Speaker #1Les 5 leçons de négociation de l'homme qui valait les 36,5 millions d'euros. Vous écoutez l'épisode 64 du podcast Majeste Valeur, je suis Insaff El Hassini et dans cet épisode, je vous partage les 5 leçons à retenir de la négociation de salaire que vient de réaliser Carlos Tavares et qui lui a permis d'obtenir un salaire historique de 36,5 millions d'euros. Cet épisode m'a été inspiré par les fondateurs de la newsletter Actionnaire, que j'adore et que je salue. Le 16 avril 2024, l'Assemblée générale du constructeur automobile Stellantis a validé à 70% des voix l'augmentation de rémunération de son directeur général Carlos Tavares, portant ainsi sa rémunération globale à 36,5 millions d'euros au titre de l'année 2023. Il s'agit ici d'une double performance pour le dirigeant portugais qui réussit ainsi à faire d'une pierre deux coups. 1. Obtenir une augmentation de rémunération historique de 16,9 millions d'euros. Et 2. Se hisser en pôle position du classement des dirigeants les mieux payés des entreprises du CAC 40. Alors, rémunération indécente ou rémunération légitime ? Le débat fait rage. Mais sur ce point, je préfère vous laisser vous forger votre propre opinion parce que j'ai prévu quelque chose de différent pour cet épisode. En effet. Je suis Carlos Tavares depuis un certain temps maintenant, et celui-ci n'en est pas à son premier coup d'essai ni exploit en termes de négociation de salaire. Mais je vous avoue que cette dernière négociation a tellement attiré l'attention de l'experte en négociation de rémunération que je suis, que j'ai décidé de lui dédier un épisode du podcast. Et puis je me suis aussi dit que dans notre société capitaliste et patriarcale, on est d'accord, la justice salariale est plus qu'incertaine pour le commun des mortels, notamment pour les femmes, il serait intéressant de décortiquer le cas Carlos Tavares pour mettre en lumière les techniques qu'il a utilisées pour obtenir cette rémunération historique afin que vous, mes auditrices et mes auditeurs, vous vous en inspirez pour gagner en confiance, faire sauter vos verrous personnels en ce qui concerne votre rémunération et l'argent que vous méritez de gagner. Voici donc les 5 leçons que je retiens de l'homme qui valait les 36,5 millions d'euros. Leçon numéro 1. La règle, c'est qu'il n'y a pas de règle. La première chose qui m'a frappée lorsque j'ai examiné la stratégie utilisée par Carlos Tavares pour négocier son salaire, c'est la facilité avec laquelle cet homme s'est affranchi de toutes les règles corporate et de tous les codes moraux en ce qui concerne la rémunération. Je m'explique. En France, la rémunération des grands patrons d'entreprises privées est un véritable sujet, puisque régulièrement elle défraie la chronique. C'est un peu comme pour la rémunération des footballeurs. Les montants sont tellement stratosphériques et aussi tellement déconnectés de la réalité salariale du peuple qu'à chaque nouvelle affaire, on craint qu'elle déclenche une bombe sociale. En même temps, ça peut se comprendre quand on réalise que le salaire de Carlos Tavares, c'est, alors tenez-vous bien, 518 fois le salaire moyen annuel chez Stellantis, qui tourne autour de 70 cas, ou encore 1586 années de salaire d'un intérimaire smicard, qui ne bénéficie d'aucune sécurité de l'emploi, ni autre forme de participation au bénéfice du groupe. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle depuis 2016 et la loi Sapin 2, la partie variable de la rémunération des grands patrons peut être bloquée par le conseil d'administration, ce qui permet un semblant de plafonnement des rémunérations. Mais bon, vous l'aurez compris, le plafonnement des rémunérations et l'opinion publique, concrètement pour Carlos Tavares, ça lui en touche une sans faire bouger l'autre. Ça fait des années que ces prétentions salariales sont discutées et critiquées, d'abord en interne chez Stellantis, par les actionnaires et les investisseurs, et et les employés du groupe, et puis en externe, par les journalistes et les observateurs économiques qui les trouvent beaucoup trop extravagantes et provoquantes. Pourtant, Carlos Tavares n'en démore pas. Il ne s'agit ni plus ni moins que du juste prix et du juste salaire d'un manager qui performe dans une entreprise qui évolue dans un contexte de marché mondialisé. Et les arguments qu'il avance sont les suivants. Premier argument, il faut comparer ce qui est comparable. Ce que les journalistes et l'opinion publique reprochent à Carlos Tavares, c'est que son salaire est beaucoup trop élevé pour le marché européen. Ce que lui réfute. Pour lui, ça n'a pas de sens. Il faut comparer des carottes avec des carottes et non pas des carottes avec des courgettes. Je m'explique. Il faut donc comparer son salaire à celui des dirigeants américains et non des dirigeants européens, dans la mesure où Stellantis réalise 52% de ses ventes aux Etats-Unis. Et effectivement, si on suit son raisonnement, 36,5 millions d'euros, c'est rien en comparaison des 99 millions de Tim Cook chez Apple ou des 226 millions de Sundar Pichai chez Google Alphabet. Deuxième argument, il surperforme, donc il mérite d'avoir une petite rallonge. En effet, la valeur boursière de l'entreprise a doublé depuis 2021 et donc, pour lui, comme il a surperformé sur son poste, il mérite d'être augmenté à la hauteur de l'argent qu'il fait gagner à ses actionnaires. Alors, audace ou impertinence ? Difficile à dire. Tout ce que je sais ici, c'est que cet homme, contrairement à la majorité des femmes, n'a ni syndrome de l'imposteur, ni syndrome de la bonne élève face au sujet de la rémunération. Il s'en fiche pas mal des prétendues règles et du candidaton. Ce qu'il importe, c'est de défendre, à tort ou à raison d'ailleurs, ce que lui perçoit comme étant sa juste valeur et son juste dû. Et je pense sincèrement que cela nous ferait du bien à toutes de nous en inspirer un peu. Parce que quand on arrive sur le marché du travail et dans le monde de l'entreprise, on nous présente tout un set de règles et de prétendus codes moraux auxquels il ne faut surtout pas déroger si on veut prospérer et faire carrière. Et nous, les femmes, nous avons tendance à suivre ces règles à la lettre, plutôt que de les challenger, nous les approprier et parfois même de les contourner, ce que nos collègues masculins, eux, ont plus de facilité à faire. Mais la réalité, c'est que dans le monde du travail et celui de l'entreprise a fortiori, la seule règle, la seule règle, c'est qu'il n'y a pas de règles. Évidemment, il y a un code de conduite, sinon ce serait de l'anarchie, mais il y a toujours des exceptions. Et j'observe que c'est justement ceux qui surfent sur ces exceptions et qui s'affranchissent de ces règles qui arrivent à grimper les échelons et faire sauter le plafond de verre de leur rémunération. Leçon numéro 2. Être convaincu de sa juste valeur. Le principal problème que j'observe chez les salariés, c'est leur besoin viscéral de validation. Est-ce qu'on peut leur reprocher ? Pas vraiment, quand on sort de l'école, personne ne nous attend avec un brief complet sur quelles sont les règles du jeu et les véritables surtout règles du jeu du monde de l'emploi. Du coup, la majorité des salariés ont tendance à considérer le monde de l'entreprise comme un prolongement de l'école et d'y appliquer les mêmes recettes en pensant qu'ils obtiendront les mêmes bons résultats. Mais en réalité, c'est une grossière erreur. Parce que pour réussir dans le monde de l'entreprise, il faut faire tout l'inverse de ce qui marchait à l'école et qui vous permettait du coup d'obtenir des bonnes notes. Et l'humilité exacerbée en est l'exemple parfait. Carlos Tavares n'a pas obtenu 19,6 millions d'augmentation de salaire en travaillant dur, en étant humble et en attendant sagement que son travail soit reconnu par son employeur quand celui-ci l'aurait décidé. Carlos Tavares a obtenu 55% d'augmentation de salaire parce qu'il était convaincu de sa juste valeur, convaincu de la plus-value de son salaire et convaincu de toute la richesse qu'il apportait à l'entreprise. A aucun moment, il a succombé à une quelconque injonction d'humilité. A aucun moment, il n'a eu de problème à communiquer sur sa performance. Et à aucun moment, il n'a tergiversé lorsqu'il était question de faire la promotion de son travail. Carlos Tavares est devenu le dirigeant le mieux payé de l'industrie automobile parce qu'il a été son meilleur VRP. Et pour ce faire, il n'a eu aucun problème à convoquer l'argument d'autorité numéro 1 pour obtenir une augmentation, le ratio contribution-rétribution. Alors, pour rappel, le ratio contribution-rétribution, c'est l'outil que moi j'ai créé pour rendre indiscutable toutes vos demandes d'augmentation. Pour celles et ceux qui souhaitent le découvrir ou l'approfondir, surtout n'hésitez pas à écouter ou réécouter l'épisode 4 de la saison 1 du podcast Ma Juste Valeur. Alors, pourquoi est-ce que le ratio contribution-rétribution, c'est l'argument d'autorité indiscutable pour obtenir une augmentation ? C'est parce qu'il s'appuie sur des faits, encore des faits, et rien que des faits. Et l'avantage avec les faits, c'est qu'ils sont vérifiables, et donc difficilement... Contestable. Donc, quand Carlos Tavares présente son ratio contribution-rétribution à ses actionnaires et qu'il apparaît que sous son management, l'entreprise a fait des bénéfices, qu'elle a doublé sa valeur boursière en trois ans et donc que son travail et sa contribution générale ont fait gagner beaucoup d'argent à l'entreprise, il n'est pas dans l'expression d'un désir ou d'un besoin de validation. Il n'attend pas qu'on lui donne une bonne note ou une gommette étoilée. Il le fait pour justifier les prétentions salariales qu'il va annoncer derrière et qui de fait vont apparaître amplement justifiées comme étant la juste part du gâteau qu'il mérite d'obtenir. La preuve d'ailleurs, son augmentation de salaire a été votée à 70% par son conseil d'administration. C'est vous dire s'ils étaient convaincus. Leçon numéro 3. Exiger une juste part du gâteau. Il y a une chose que vous devez savoir, que vous savez déjà par ailleurs, mais qui est tellement simple qu'elle passe souvent à la trappe. Votre rémunération doit toujours être en adéquation avec la plus-value et la richesse que vous apportez à votre entreprise. Si vous êtes une pièce maîtresse du puzzle, vous devez être rémunérée comme une pièce maîtresse du puzzle. Si vous êtes une pièce secondaire du puzzle, vous devez être rémunérée comme une pièce secondaire du puzzle. Mais si vous êtes une pièce secondaire du puzzle, dont la configuration particulière permet au puzzle de ne pas s'effondrer, alors en réalité vous êtes une pièce maîtresse et donc vous devez exiger d'être rémunérée comme telle. Je vais illustrer mon propos avec un exemple, celui d'un restaurant étoilé par exemple. On ne va pas rémunérer une apprentie commis dont la seule tâche est d'éplucher des carottes de la même manière qu'on emploie et qu'on rémunère la chef qui imagine et exécute les plats qui eux vont faire la renommée du restaurant et son succès économique. On est plutôt d'accord là-dessus. En revanche, si vous êtes une apprentie commis plutôt débrouillarde, qui épluche plus vite que la moyenne vos carottes, ce qui vous permet d'abattre le travail de deux ou trois commis, et qu'en plus vous filez un coup de main au plongeur, Eh bien, vous ne méritez pas d'être rémunéré comme le commun des mortels des commis apprentis, mais vous méritez d'être rémunéré à la hauteur de l'argent que vous permettez au restaurant de gagner, en lui épargnant d'en dépenser. Ce que j'essaie de vous expliquer avec cet exemple. c'est qu'il y a une hiérarchie dans les rémunérations qui est fixée en fonction de la valeur économique et humaine d'ailleurs que votre travail et votre contribution générale apportent à l'entreprise. Et votre job à vous, c'est d'identifier où vous vous situez sur cette échelle et d'exiger une rémunération en conséquence. Carlos Tavares, lui, était déjà en haut de l'échelle lorsqu'il a estimé que sa contribution était celle qui rapportait le plus. Certains seront d'accord, d'autres moins, mais au-delà du débat sur l'aspect social, capitalistique, lutte des classes, etc., ce qu'il faut retenir ici, c'est que Carlos Tavares s'est senti légitime à exiger une juste part du gâteau. Et que vous, mesdames, vous seriez bien inspirés d'en faire de même le moment venu. Leçon numéro 4. Arrêtez d'avoir des scrupules. Dans 90% des cas, la principale raison qui explique pourquoi mes clientes n'ont pas encore obtenu d'augmentation, c'est soit parce qu'elles avaient peur de la demander, soit parce qu'elles avaient des scrupules à la demander. Du coup, elles procrastinent en essayant de se convaincre qu'elles ne peuvent pas, que ça ne se fait pas, que personne n'acceptera, blablabla, et elles participent ainsi, sans s'en rendre compte, à s'auto-censurer et s'auto-saboter. Mais la vérité, mesdames, c'est que personne n'est mort d'avoir demandé une augmentation. Personne ne s'est fait virer parce qu'il a demandé une augmentation, et personne ne vous jugera parce que vous demandez une augmentation. Et si un jour votre crainte de déplaire vous rattrape, et que vous avez peur de vous sentir jugé ou... peu importe, S'il vous plaît, souvenez-vous de Carlos Tavares et du hold-up des 36,5 millions qu'il a réalisé en 2024. Leçon numéro 5. Quand l'entreprise veut, l'entreprise peut. L'annonce du 16 avril 2024 a provoqué un véritable tollé, que ce soit en interne chez Stellantis ou en externe dans l'opinion publique. Vous imaginez ? 16,9 millions d'euros d'augmentation. Pour une rémunération globale qui s'élève à 36,5 millions d'euros. C'est du jamais vu. C'est tellement du jamais vu que ça sonne plus comme un gain de l'euro million que comme une rémunération d'un salarié. Du coup, il est plutôt légitime de s'interroger sur la nécessité d'avoir une telle rémunération. Franchement, autant d'argent, est-ce que c'est utile ? Est-ce que Carlos Tavares n'en avait-il pas déjà suffisamment ? Pour mémoire, déjà en 2023, sa rémunération globale s'élevait à 19,6 millions d'euros. On peut estimer que c'était déjà amplement suffisant, non ? Et puis ? Est-ce que c'est le juste prix ? Est-ce que c'est vraiment le juste salaire d'un manager performant dans le contexte d'un marché mondialisé ? Est-ce qu'on ne serait pas plutôt dans un immense délire égotique, exacerbé par des pratiques toxiques, d'une entreprise qui évolue dans une société patriarcale ? Franchement, je ne sais pas, et on mérite tous de s'interroger. Mais ce que j'observe ici, c'est que cette affaire n'a été couverte que sous l'angle de sa dimension monétaire. Et ce que l'on oublie, lorsque l'on réduit la rémunération à sa simple dimension financière, c'est tous les non-dits qui se jouent à travers le prisme de la rémunération. Car le salaire, ce n'est pas l'argent que l'on gagne ou l'argent qu'on ne gagne pas d'ailleurs. Le salaire, c'est surtout et avant tout le respect, la reconnaissance et le besoin impérieux d'être traité justement et à sa juste valeur. Est-ce que le conseil d'administration de Stellantis a perçu toutes ces subtilités avant d'accepter à 70% la demande d'augmentation de son dirigeant ? Je ne pense pas. En revanche, ce que je pense, c'est qu'ils ont accepté de le rémunérer parce qu'ils ont dû faire un calcul assez simple. Ils ont réalisé qu'ils avaient beaucoup plus à perdre de le voir partir que de lui accorder son augmentation. Et finalement, c'est la dernière leçon que je vais retenir de l'affaire Carlos Tavares. Et elle vient confirmer d'ailleurs ce que je pensais déjà et ce que j'enseigne déjà à mes clientes. À savoir, quand l'entreprise veut, l'entreprise peut. Une entreprise convaincue de la plus-value que vous lui apportez fera toujours en sorte de vous donner ce que vous voulez. Alors peut-être pas dans la forme initialement prévue ou attendue, peut-être en deux ou en trois fois, mais elle se débrouillera toujours pour faire en sorte que vous soyez et que vous restiez contente. Parce que plus vous êtes contente et plus vous lui faites gagner de l'argent. Simple, basique, comme dirait Orelsan. Enfin, l'autre point sur lequel j'aimerais attirer votre attention, c'est que l'affaire Carlos Tavares a eu un impact bien au-delà du porte-monnaie du dirigeant, puisque celui-ci a inspiré d'autres dirigeants à demander une augmentation, leur a permis de l'obtenir et a participé ainsi à niveler par le haut la rémunération de l'ensemble des dirigeants européens. Alors si vous hésitez encore à demander cette augmentation, parce que vous craignez de faire passer votre individualité avant le collectif, ou parce que vous avez peur de rafler la mise et de ne rien laisser pour les autres, Souvenez-vous de Carlos Tavares et rappelez-vous mesdames que chacune de vos victoires, petites ou grandes, chaque plafond de verre interne ou externe que vous briserez emportera dans son sillage d'autres victoires de femmes grisées et inspirées par votre réussite. Et quant aux cassandres, vous savez les cassandres professionnelles ou personnelles d'ailleurs, celles qui essayent de vous convaincre que vous ne pouvez pas, que vous ne méritez pas, que vous ne devez pas, et bien laissez-les parler. Vous verrez, à vous regarder défendre votre juste valeur, ils s'habitueront.