- Speaker #0
Comme c'est une ville où sur la scène artistique, il n'y a pas encore des énormes institutions, il n'y a pas forcément des énormes galeries avec beaucoup d'argent, la liberté est encore un peu folle en fait. Il y a beaucoup de choses indépendantes, des choses alternatives et du coup ça je trouve ça inspirant aussi de s'autoriser tout ça et de ne pas se dire ah non, je ne peux pas le faire parce qu'à côté il y a déjà mille trucs que j'avais ressenti à Bruxelles par exemple où c'était très… il y a énormément de choses, donc du coup, pour faire sa place, c'est beaucoup plus compliqué. Donc du coup, à Marseille, je trouve que c'est beau de se dire qu'en fait, il y a ça qui existe et c'est super et je vais m'en inspirer et puis je vais pouvoir reconstruire d'autres choses et les échanger avec les gens parce qu'on est tous un peu dans la même galère. Donc au final, on se croise, on se rencontre.
- Speaker #1
Vous écoutez Marseille Créative. Je suis Clémentine Roux, votre hôte dans ce podcast. Découvrez les histoires d'artistes, d'artisans, de chefs, de designers, mais pas que. Vous entendrez des personnes engagées, marseillaises d'origine ou d'adoption, connues ou moins connues, qui font bouger Marseille grâce à leurs mains, leurs yeux et leur cœur. Bienvenue dans Marseille Créative, le podcast qui met en lumière les créatives et les créatifs Marseillais.
- Speaker #0
Je m'appelle Delphine Denereaz, je suis une artiste spécialisée dans le tissage de lirettes. Et je vis et travaille entre Marseille et Ville-Dieu.
- Speaker #1
Où est-ce que tu as grandi ?
- Speaker #0
Alors, j'ai grandi là où je vis actuellement, enfin où je partage ma vie, donc à Ville-Dieu, dans une grande maison qui s'appelle la Manienne-Arriée et qui est un endroit où on reçoit des gens qui font des stages, qui viennent découvrir la région. Et je partage cette activité avec ma sœur et mon mari, en fait. en parallèle de mon activité artistique.
- Speaker #1
Ça veut dire quoi la maniénarie ?
- Speaker #0
Alors, la maniénarie, c'est un mot provençal, qui en français, c'est la maniènerie. Donc c'est quasiment la même chose. En fait, c'était un moulinage où on défaisait les cocons de verre à soie. Parce que le verre à soie en provençal, ça se dit le maniant. Donc voilà, c'était vraiment la maison des verres à soie. et mes grands-parents avaient envie de garder le nom de cette maison qui trouvait charmant je pense et qui évoque aussi un héritage du passé à travers une activité qui n'existe plus en France qui est la fabrication de soie. On élevait les cocons un petit peu partout dans la région, donc dans le nord du Vaucluse, la Drôme, les Cévennes, l'Ardèche et c'est des endroits où on retrouve d'autres manianeries. Il y en a un petit peu partout, c'est à la campagne souvent Et les paysans, à l'époque, donc là, quand je parle de ça, c'est dans les années 1850. Bon, il y en a même avant, il y en a qui datent du Moyen-Âge, mais quand ça s'est un peu industrialisé, c'est ça. Et donc, c'est souvent la campagne et les paysans élevaient dans leurs greniers les vers à soie. Donc, ils les nourrissaient avec les feuilles de murier. Et quand ils étaient arrivés à terme, ils amenaient les cocons dans les moulinages pour qu'on défasse. La soie, qu'on la file. Mais c'est un peu tragique au final, parce qu'un gros verre qui mange toutes les feuilles et qui va s'enrouler, qui va faire un cocon tout autour de lui. La soie, c'est sa bave, c'est comme la toile d'araignée. Lui s'enferme dans son cocon, ça fait une boule blanche. Et donc nous, les hommes, les ébouillons avant que le papillon sorte de sa chrysalide. parce que sinon ça casserait tous les fils de soie. Donc là le cocon c'est un seul fil continu, donc en fait c'est ça qui est assez magique dans la soie. Le ver à soie c'est un des seuls animaux qui n'est pas sorti de son esclavage et qui est resté un animal qui est là pour fabriquer quelque chose pour l'exploitation humaine, donc il y a un truc un peu tragique dans cette histoire. Aujourd'hui avec nos consciences sur la manière de traiter les animaux, donc il y a un petit peu... peu effarante en fait avec la production de soie.
- Speaker #1
Pour revenir à cette maison, quand est-ce qu'elle a été ouverte au public ? C'est une maison de famille ?
- Speaker #0
C'est une maison que mes grands-parents ont achetée dans les années 60. À l'époque, il n'y avait plus du tout de verre à soie. Eux, ils n'ont pas du tout pratiqué cette activité-là. Eux, ils avaient une école de garçons qu'ils ont déménagé de la région parisienne et ils se sont installés en Provence pour avoir un climat un petit peu plus agréable. parce que mon grand-père était malade à cause de la guerre. Et donc, ils ont eu un internat de garçons pendant quelques années. Et puis, faute de moyens, ils ont décidé de la transformer en gîte d'accueil de groupe parce que c'est une très grande maison avec beaucoup de chambres. Et donc, dans les années 70, ils l'ont transformée en gîte. Puis, ça a été repris par mes parents. Et là, avec ma sœur, ça fait, on va dire, deux ans presque que c'est nous qui sommes un petit peu à la tête de ce... cette grosse baraque.
- Speaker #1
Donc vous faites venir des artistes en résidence ?
- Speaker #0
C'est ça. En parallèle de l'activité qui existe déjà, de recevoir des gens qui viennent en groupe, on accueille, on a envie de développer toute une programmation culturelle et artistique et de par nos réseaux, nos vies, on a des chouettes artistes autour de nous et à qui on a envie de... On a envie de partager aussi notre quotidien, donc on les invite à la maison. L'idée, c'est qu'ils laissent aussi quelque chose pour faire grandir cette maison. Et puis qu'en échange, ils profitent un petit peu d'un temps de travail loin de la ville, à la campagne, avec la piscine. Voilà, quelque chose un peu parfois hors du temps pour nos vies de citadins très actives. Et donc là, c'est la deuxième année où on reçoit des artistes. Et donc ça se passe. plutôt bien. Après, c'est quelque chose qu'on a envie de développer et de rendre un petit peu plus professionnel. Donc on va travailler aussi à ça, à la rémunération des artistes, à leur accueil, leur rendre le plus intéressant possible et le plus juste aussi, parce que c'est des questions qui nous traversent quand on est artiste, comment on travaille et comment on subit bien ses besoins. Donc on a envie de s'inscrire là-dessus de manière pérenne et correcte, surtout. Voilà.
- Speaker #1
Écoute, j'espère que ça va fonctionner.
- Speaker #0
pour revenir à Marseille pourquoi t'as décidé de venir vivre à Marseille j'ai quand même vécu à plein temps avant ça pour résumer j'ai fait des études de design textile à la Cambre à Bruxelles très loin de Marseille et j'y suis restée une dizaine d'années et puis en 2017 il était un petit peu temps de changer d'horizon voilà Avec Clément qui est devenu mon mari, on avait besoin de changer de ville en fait, pour différentes raisons et comme on était tous les deux originaires du Vaucluse, on s'est dit bon bah ça serait sympa de revenir aussi près de nos familles parce que il y a aussi le temps qui passe et de se dire bah moi mes parents j'ai pas envie de les voir dépérir, j'ai envie d'en profiter aussi en tant qu'adulte pour avoir une vie avec eux en fait, autre que quand on est ado ou que quand ils sont vieux en fait. Il y a toutes différentes choses qui ont fait qu'on s'est dit, bon allez, on rentre dans le Sud, et on ne pouvait pas revenir directement à la campagne, ce n'était pas possible, on était encore trop jeunes, on avait encore des choses à faire, et notre choix s'est porté sur Marseille. Et c'était super en fait, parce que moi je connaissais Marseille en étant, quand j'étais petite, parce que je venais voir la famille ici, bon ben ce n'était pas du tout la même image que j'en avais. et que j'ai eu la chance de redécouvrir en venant m'installer. Et d'un coup, je me suis dit, il se passe quand même des choses, c'est hyper beau. Ce n'est pas que l'image d'une ville violente qu'on nous donne dans les médias, ou d'une ville où il ne se passe pas grand-chose. C'est horrible à dire, mais avant 2013, j'avais quand même très fort cette image d'une ville qui dort un peu. Donc voilà, ça a été une agréable surprise en venant y vivre il y a six ans. De me dire, ah ouais, non, en fait, c'est cool. Et c'est un autre rythme que des villes comme Paris ou Bruxelles, où c'est très effréné, où il y a une sorte de compétition entre les gens. Là, pour le coup, il y avait de la place pour tout le monde. Moi, c'est vraiment ce que j'ai ressenti. Et puis, en fait, les choses se sont faites très naturellement. Et puis, voilà, en étant à une heure et demie de ville-dieu, c'était pratique de pouvoir aller se foutre un peu à la campagne et profiter des deux coins qui se complètent très bien, en fait.
- Speaker #1
Dans quel quartier tu vis, Marcel ?
- Speaker #0
Alors moi, j'habite dans le Camas, mais j'ai longtemps habité au Vieux-Port. Donc c'est deux quartiers très différents. Le Vieux-Port, c'était un peu par dépit. C'était ce qu'on a trouvé à l'époque. Et puis maintenant, on est dans le Camas. Donc le Camas, c'est vrai que c'est un peu plus calme comme quartier. Ça m'a permis de me rapprocher de mon atelier aussi, de pouvoir y aller à pied sans emprunter la cannebière tous les jours. Voilà, donc ça c'était assez cool. Et ouais, c'est un quartier que j'aime beaucoup. Enfin, ça a été un vrai choix de venir vivre dans le cinquième arrondissement. C'est vrai que Boulevard Chave, il y a énormément de commerces très chouettes sans être dans un truc trop beau ou trop... Trop cher en fait. C'est un bon entre-deux je trouve de quartier où il se passe des choses sans être complètement gentrifié ou assommé par les prix. Je trouve que c'est un bon équilibre et ça représente assez bien Marseille dans ce mélange un peu de population.
- Speaker #1
Quel est ton métier ?
- Speaker #0
Alors, mon métier, c'est artiste, mais plus précisément tisserande, on peut dire, parce que je ne fais que du tissage. Donc, le métier tisserande et de tisserand, c'est un métier qui date de la nuit des temps. Et je trouve ça assez cool d'assumer aussi ça et de ne pas me dire que je suis juste artiste, et de me dire que je détiens aussi un savoir-faire et quelque chose qui... qui est universel et qui existe partout dans le monde et depuis presque avant l'écriture. Donc je suis assez honorée de faire ce métier-là finalement.
- Speaker #1
Tu as toujours voulu faire ce métier ou c'est arrivé après tes études ou pendant tes études ?
- Speaker #0
Alors non, ça n'a pas toujours été un choix. En fait, à la base, moi je me dédie plutôt à être designer parce que j'avais fait des études de design textile. Donc où, effectivement, j'ai appris à tisser, j'ai appris à sérigraphier, à tricoter, enfin tout ce qui touche à la création de surfaces souples et son usage, plus précisément dans l'ameublement, un peu moins dans la mode. Et donc pendant mes études, j'ai commencé à développer tout un travail autour du réemploi déjà, c'était vraiment inhérent à ma pratique. Et donc je me suis un peu retrouvée dans un dilemme de, en fait, moi mes pièces elles sont uniques. Mais en même temps, ce qu'on m'apprend, c'est à faire des séries, à les vendre, à les rendre industrialisables en travaillant avec des grosses boîtes et tout. Et en fait, j'étais un peu prise en étau dans un truc où j'avais du mal à trouver ma place. Et quelques années après mes études, je pratiquais des choses en textile. Mais voilà, j'étais toujours prise en ce truc et j'ai décidé d'assumer le fait d'être artiste. Ça paraît tout bête, mais... Comme voilà, moi j'ai fait 5 ans d'études en design, avant ça j'ai fait un bac à répliquer, donc le design c'était vraiment ce qui a conditionné ma vie. Et là de me dire, en fait non, je change de secteur, c'est con parce que c'est en France où on met des étiquettes entre artisans, designers, artistes, et que dans d'autres pays, ça va être le même terme pour tout le monde. Mais malgré tout, moi il m'a fallu vraiment un vrai moment de me dire, j'assume, je deviens artiste. Et en fait je m'oriente vers d'autres champs pour montrer mon travail finalement. Ça a coïncidé avec ce retour en France de tout combiner ensemble et de me dire Ok, je vais me concentrer sur ma pratique, faire des pièces, monter des expositions, montrer mon travail de cette manière-là. Et tout a un peu trouvé sa place.
- Speaker #1
Vous savez que le terme artiste il fait un peu peur ?
- Speaker #0
Il fait un peu peur et il fait aussi peur aux… Moi, je pense que mes parents, ils ne m'auraient pas laissé aller au Beaux-Arts, par exemple. Alors, je n'en avais pas l'envie parce que j'étais conditionnée aussi par mes études de… Je fais de la création, mais qui va servir, qui va être utile à quelque chose. Donc j'avais l'impression que je ne pouvais faire que ça, au final, développer des objets qui vont servir. Et c'est vrai qu'Artiste, il y avait un truc très impressionnant et en même temps de me dire que ça ne marchera jamais. Je ne peux pas juste... Par contre, ça s'est avéré comme une évidence, de me dire non, assume. Il n'est pas peur, mais en fait c'est quand même des choses très différentes, c'est des parcours différents. Moi je le vois maintenant dans mon atelier, que je partage avec des gens qui sortent des beaux-arts, il y a des choses qu'on n'a pas apprises de la même façon à l'école. Donc c'est vrai que ça fait un terme qui fait un peu peur. Et je pense que mes parents m'auraient peut-être moins poussé dans mes études si j'avais fait les beaux-arts. Que des études qui servent.
- Speaker #1
Quelle est ta marque de fabrique ?
- Speaker #0
Je dirais que mon travail il est identifiable. Parce que c'est du tissage, mais avec le réemploi textile, donc la lirette. Je pense que c'est ce qui définit, sans prétention, mais je pense qu'assez vite, quand on voit une de mes pièces, si on connaît mon travail, on sait que c'est moi qui l'ai réalisée. Parce que justement, elle est différente d'une pièce tissée avec des fils de laine ou des fils beaucoup plus fins. Ça mélangé à un univers graphique très pop et très ancré dans notre actualité ou notre génération. Donc je pense que... C'est ça qui définirait bien mon travail.
- Speaker #1
Est-ce que tu peux me parler d'un projet sur lequel tu travailles en ce moment ?
- Speaker #0
Alors, le projet sur lequel je travaille en ce moment, c'est le montage de mon exposition personnelle à la Collection Lambert à Avignon. Donc c'est quelque chose d'extrêmement important pour moi parce que moi j'ai fait mon bac à Avignon. Donc la Collection Lambert, c'était un musée un peu... vraiment phare en fait, c'est là où j'ai vu, je pense, des pièces d'art moderne et d'art contemporain en premier, enfin avec des vraies émotions autour de ça, parce qu'on avait des cours d'histoire de l'art, donc du coup d'un coup d'avoir une lecture, autre que bon, on va dans un musée, on sait pas trop quand on est plus petit. Et là, j'ai une exposition personnelle, donc c'est super valorisant pour mon travail, c'est une grande exposition avec beaucoup de choses à produire, que des nouvelles pièces. Donc voilà, là je suis dans la préparation de ça et la semaine prochaine je vais attaquer le montage et la production. Donc je suis très excitée, très contente que ce moment arrive enfin et de faire ça à Avignon, je trouve ça très chouette.
- Speaker #1
Félicitations.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
Parce que comme je suis originaire du coin de la collection L'Enfer,
- Speaker #0
je connais bien.
- Speaker #1
Et ouais, c'est hyper valorisé, donc bravo. Pourrais-tu me décrire l'endroit où tu travailles ?
- Speaker #0
Alors, mes ateliers, parce que du coup j'en ai deux, mais ils se ressemblent, parce que c'est des ateliers avec des métiers à tisser. À Marseille, je travaille à l'atelier V, qui est un atelier partagé avec d'autres artistes. Des artistes qui ont aussi une pratique, je dirais, de savoir-faire manuel. Il y a de la céramique, il y a une autre tisserande, une personne qui fait de la teinture aussi. Donc c'est assez chouette, c'est un espace... qui est vivant quand les artistes sont là, qui est plutôt mignon parce que depuis quelques temps, les personnes qui y sont l'ont repeint, enfin voilà, en font un atelier très agréable où ils vivraient et travaillaient, donc ça c'est assez chouette, ils passaient du temps. Et donc moi, mon espace, il est rempli, il y a des métiers à tisser et puis il y a beaucoup de caisses remplies de tissus que je récupère qui sont... à peu près triées par couleurs quand j'ai le temps, sinon c'est plutôt des grands tas et dans lesquels je pioche, je découpe des bandelettes. Il y a des dessins au mur, il y a aussi d'autres œuvres d'artistes un petit peu par-ci par-là, celles que je ne ramène pas encore à la maison quand c'est des choses plus petites. J'aime bien que mon espace soit chargé, qu'il raconte des choses et ça m'inspire aussi de regarder des images. Je mets beaucoup de choses au mur. Donc, ce n'est pas très grand, mais j'y suis bien.
- Speaker #1
Et c'est autogéré par vous quatre ? Vous êtes quatre ?
- Speaker #0
Alors, non, là, c'est un peu... Je ne sais même pas exactement combien de personnes pour moi, mais oui, quatre, cinq. C'est autogéré, c'est une asso. C'est un atelier qui a été fondé en 2019 par des gens qui n'y sont plus. Mais ça a été... Moi, je suis arrivée très tôt dans cet atelier. Et...... Et puis, il y a eu d'autres personnes qui sont avec, qui s'y sont investies. Donc, oui, c'est chouette. On a l'avantage d'être en indépendant et de ne pas être mis à la porte à un moment donné. Parce que quand c'est des résidences, dans certains ateliers, c'est limité dans le temps. Nous, c'est vrai qu'on se paye un peu le luxe d'être chez nous. Mais en contrepartie, bénévolement, on fait pas mal de travail administratif et de comptabilité. Des choses que les artistes n'apprennent pas à l'école. Alors, la place du collectif dans mon travail et mon quotidien a pris pas mal d'importance avec les années. En fait, pendant longtemps, je pensais que j'étais quelqu'un de solitaire, enfin pas de manière amicale, mais vraiment dans le travail. Je pensais que je ne pouvais travailler que seule. Et j'ai intégré cet atelier et le fait d'être en lien à proximité d'autres artistes et du travail d'autres artistes, C'est quelque chose qui finalement m'a beaucoup apporté parce que on partage nos expériences, des rencontres, des ressentis. Et ça, je trouve ça hyper précieux d'être dans un échange et pas dans de la compète. Et donc moi, je nourris très fort ça. Alors forcément, avec des gens avec qui j'ai des affinités, ça se construit. Ce n'est pas le premier venu, malheureusement. C'est parce que voilà on développe des points communs, des façons de voir la vie et des envies de travailler ensemble. Et voilà ça m'a aussi amené à faire des collaborations avec des artistes et ça c'est très chouette aussi de pouvoir vraiment mêler des médiums et des démarches ensemble dans un projet commun. Et c'est quelque chose qui me plaît beaucoup et que j'ai envie de continuer à développer. Et donc notamment avec le collectif Monstera qu'on a fondé avec trois autres artistes qui sont des amis aussi maintenant. Donc on a démarré en 2021 avec une exposition au hangar de la Belle de Mai, quelque chose de complètement autoproduit. Je pense inconscient quand on est jeune artiste précaire, mais c'était trop bien parce que du coup, complètement libre de faire ce qu'on avait envie de faire. Et on a poursuivi l'aventure avec une résidence à la Mania Narié l'été dernier, en 2022, avec une exposition dans les jardins. Donc ça, c'était aussi complètement un peu nouveau et fou de mettre des œuvres dehors. Et c'est aussi un truc qu'on s'est autorisé. parce qu'on était chez moi et qu'on n'avait pas forcément les mêmes attentes que dans d'autres lieux de monstration un peu plus institutionnalisés. Ensuite, on a exposé à Bruxelles, à La Vallée, un endroit où j'ai eu mon atelier avant de rentrer en France. Et puis cette année, on a été en résidence à Montdauphin, dans le Kera. On a produit une autre exposition avec des nouvelles pièces cette fois-ci. Donc, c'est très précieux, je pense, quand ça fonctionne, le collectif. Et moi, c'est quelque chose que j'ai envie de... de préserver. Et j'encourage un peu tout le monde à se poser des questions avant de se lancer en collectif parce que c'est une très belle aventure, mais ce n'est pas simple en fait. Il ne suffit pas de dire, on est ensemble et c'est un collectif. Mais quand ça marche, c'est merveilleux.
- Speaker #1
Comment Marseille nourrit ta créativité ?
- Speaker #0
Alors, Marseille nourrit ma créativité sur plein d'aspects, je dirais. Tout d'abord, les premières années où j'étais à Marseille, je faisais beaucoup de choses à pied. Et moi, de manière générale, le fait de marcher, je crois que c'est un moment qui est très propice à la réflexion. Et à Marseille, il y a toujours un truc à regarder, que ce soit glamour ou pas, mais il se passe toujours quelque chose dans la rue. Parce que c'est une ville aussi qui prête à ça, à être... à être dehors et moi j'adore les échanges entre les gens, surtout qu'ici les gens ont le temps de se parler. Et je trouve que l'architecture de la ville aussi est assez fascinante. C'est quand même une très belle ville en fait, malgré ce qu'on peut parfois entendre sur la ville. Enfin, architecturellement, il y a des très belles choses. Et la géographie, je trouve que c'est... On peut monter à Notre-Dame-de-la-Garde, on a une vue incroyable. Et en fait, moi c'est des choses... bête en fait mais de voir les strates de couleurs de forme et tout qui se juxtapose et qui créent finalement une harmonie un peu chaotique parfois mais quand même une harmonie je trouve que c'est un truc que j'avais pas ressenti dans d'autres villes où j'ai vécu par exemple et c'est ça je trouve ça hyper hyper inspirant en fait déjà rien que ça après ce que j'aime et ce qui je trouve très porteur aussi c'est que comme c'est une ville où sur la scène artistique il n'y a pas encore des énormes institutions il n'y a pas forcément des énormes galeries avec beaucoup d'argent il y a la liberté est encore un peu folle en fait il y a beaucoup de choses indépendantes des choses alternatives et du coup ça je trouve ça inspirant aussi de s'autoriser tout ça et de pas se dire ah non je peux pas enfin je peux pas le faire parce que à côté il y a déjà mille trucs ou que j'avais ressenti à Bruxelles par exemple où c'était très très il y a énormément de choses, donc du coup pour faire sa place c'est beaucoup plus compliqué, donc du coup à Marseille je trouve que c'est assez beau de se dire, en fait il y a ça qui existe et c'est super et je vais m'en inspirer et puis je vais pouvoir reconstruire d'autres choses et les échanger avec les gens parce qu'on est tous un peu dans la même galère donc au final on se croise, on se rencontre et ça je trouve ça très porteur.
- Speaker #1
Moi j'ai l'impression que les gens sont un peu moins blasés ou ils ont peut-être moins vu de choses, donc du coup tu peux faire plein de choses.
- Speaker #0
Je trouve que la curiosité est très présente et c'est quelque chose auquel je ne m'attendais pas en m'installant là. Je n'avais pas d'a priori, mais venant d'une ville où il se passe tellement de choses, où c'est très point de fuite malgré tout parce qu'en termes de mode, de cinéma, de BD, c'est à un tel niveau, à Bruxelles il y a énormément d'écoles d'art, donc c'est un peu sans être la compète, mais il y a quoi. Et du coup, quand je suis arrivée ici, j'avais... Je me suis juste dit ça va être différent, mais je ne m'attendais pas à autant de curiosité en fait. Peu importe le milieu d'où viennent les gens, c'est pas forcément des gens du monde de l'art. Tout le monde a envie de découvrir des choses et ça je trouve ça trop bien. Ça fait plaisir en fait. Et on a cette image aussi du Marseillais des fois qui peut être un peu renfrognée, où il faut faire un peu ses preuves. Et au final, je nie pas ce trait de la mentalité parce que je sais qu'il existe. Mais malgré tout, on laisse quand même la place aux gens. On leur laisse faire aussi leur preuve avant de les catégoriser, de leur dire non mais vas-y, lui vient pas d'ici, on le laissera pas faire. Au final, il y a une plus grande ouverture d'esprit que ce qu'on peut penser quand on connaît pas Marseille.
- Speaker #1
Quels sont les lieux où tu te rends pour t'inspirer ?
- Speaker #0
C'est bête, mais j'aime beaucoup la mer. C'est basique, mais je trouve que quand on habite dans une ville... qui est longée par la mer, en fait, c'est fascinant. Et surtout que ce soit sur la Côte Bleue ou à l'inverse, quand on va au Goud, finalement, c'est des paysages différents. Et je trouve ça hyper ressourçant, en fait, de sentir le vent, d'entendre les gens un peu au loin, de se laisser un peu porter par les vagues, rien que visuellement. En fait, il y a un truc très cool. Après, si j'ai besoin de voir plutôt des... des formes d'art et tout, moi j'aime quand même bien toujours aller à la friche, il y a quand même toujours beaucoup de choses qui s'y passent. Après j'ai la chance d'avoir mon atelier rue du Coq où il y a Sissi Club à côté, il y a voiture 14, il y a Photokino, donc en fait il y a déjà un petit réseau de lieux d'art qui sont généreux et intéressants et différents et qui se complètent. Donc je trouve qu'en fait il n'y a pas besoin d'aller très loin, au final dans Marseille on peut aussi se promener et avoir aussi une surprise. d'une petite rue avec un commerce un peu à l'ancienne où on se dit c'est fou que ça fonctionne encore et pourtant c'est encore là et ouais je trouve ça juste de se promener dans Marseille ça c'est ça nourrit énormément. Mes petites habitudes à Marseille C'est dur à dire dans le sens où Pendant longtemps, elles ont été régies par le fait d'aller à l'atelier. Et donc du coup, quand j'habitais au Vieux-Port, par exemple, je passais par la cannebière. Donc en fait, les habitudes, c'est aussi des fois éviter certains obstacles ou se dire je prends le tram à tel arrêt pour aller plus vite, pour nanana. C'est des habitudes un peu à la con, ça. Et sinon, quand je vais à Marseille maintenant, je pense que... J'aime toujours bien passer par la plaine, parce que je sais que j'ai toujours rencontré des potes là-bas. Il y aura toujours quelqu'un qui sera en train soit de boire un verre, soit en train de... Et ça, ça fait un peu partie du truc de se dire, ah, je vais passer par là parce qu'à tous les coups, j'ai croisé quelqu'un, une tête connue.
- Speaker #1
Quelle relation entretiens-tu avec les Marseillais ?
- Speaker #0
Dans la mesure où je suis moi-même du Sud et que je partage aussi une façon de réagir aux choses et tout ça, les Marseillais ne me font pas trop peur. J'ai l'impression qu'on est fait un peu du même bois sur la manière de réagir, sur la manière d'être enthousiaste pour des choses. Donc c'est des relations assez cool. Après, il y a des choses qui peuvent m'énerver aussi dans le comportement. Sur la route ou les gens qui ne répondent pas parce qu'ils estiment qu'ils ont le temps et qu'ils vont te faire un peu galérer. Mais bon, ça, c'est très anecdotique. Non, moi, j'adore les Marseillais, en fait, plus que ce que j'aurais imaginé. Parce que quand on vient de la campagne, pas loin de Marseille, on nous fait quand même toujours peur avec Marseille. Et au final, bah non. C'est des gens adorables. Différents des Belges, mais adorables.
- Speaker #1
Qu'est-ce que tu détestes ? à Marseille, puisque tu m'as déjà dit ce que tu aimais.
- Speaker #0
Ce que je déteste à Marseille, est-ce qu'il y a vraiment un truc que je déteste ? Les jours de pluie. Je trouve que c'est tellement pas une ville adaptée pour la pluie et qui perd tout son charme. Ensuite, ce que... Bon, après, détester, c'est un peu fort, mais c'est vrai qu'il y a des choses qui me manquent cruellement. Le fait que tous les centres d'intérêt soient un peu rassemblés et que dans certains quartiers, ce soit dur d'accès, qu'il n'y ait pas de... qu'on ne peut pas trouver de tout partout. Mais finalement, est-ce que ce n'est pas aussi sa richesse qui fait que les choses sont précieuses ? Mais c'est vrai que des fois, ça manque de se dire qu'il y a tel type de commerce dans tel coin et qui du coup fait qu'on est obligé de se centraliser dans certains quartiers. Mais bon, je ne peux pas lui en vouloir pour ça. C'est la politique de la ville pendant 25 ans qui a fait qu'elle soit inaccessible à certains endroits, qu'il n'y ait pas de bus pendant certaines heures. Donc bon, je n'en veux pas à la ville.
- Speaker #1
Rosemont. Quelle odeur symbolise Marseille selon toi ?
- Speaker #0
Ça serait horrible de dire que ça serait que les poubelles, même si des fois elles sont là. Non, mais ayant vécu quand même assez longtemps près du Vieux-Port, je trouve que quand même l'odeur de la mer, elle est importante. C'est un peu une odeur, c'est pas forcément une bonne odeur, mais une odeur un peu chaude, l'odeur salée, un peu de poisson, mais pas forcément désagréable. Mais c'est vrai que c'est une odeur chargée. quand je pense à Marseille. Un mélange entre les pots d'échappement, mais c'est la même impression que j'ai avec l'air de Marseille qui est un peu lourd, un peu collant, mais bon, on aime quand même bien.
- Speaker #1
Quel son a-t-il à Marseille ?
- Speaker #0
Encore une fois, c'est horrible de ramener ça à ça, mais moi j'ai vécu longtemps les fenêtres ouvertes à écouter bandes organisées qui passaient dans les voitures et les klaxons, tu vois. Et le bruit des mouettes. Mais c'est pareil, c'est encore un petit mélange de gens qui parlent un peu fort. Mais je dis tout ça avec beaucoup de tendresse. C'est quelque chose qui peut manquer quand on n'est plus là.
- Speaker #1
Quel goût pour les Marseillais ?
- Speaker #0
Alors le goût qui définirait Marseille pour moi, c'est les panis. Parce qu'en fait, il n'y a qu'ici que j'en mange et que j'ai envie d'en manger. Et je trouve que ça va bien. Ça résume aussi un peu ce truc. C'est un peu gras, un peu craquant, un peu fondant, mais c'est bon avec la Yoli. Voilà, un truc un peu brut, mais quand c'est bien fait, tu as cette petite touche, tu te dis Ah ouais, quand même, c'est pas mal Et puis bon, j'adore les pois chiches, donc voilà, je trouve que ça résume bien.
- Speaker #1
Comment tu décrirais Marseille à quelqu'un qui n'a jamais mis les pieds ici ?
- Speaker #0
Je décrirais Marseille comme une ville belle avant tout parce que je crois que c'est important de le dire. Une ville qui est pleine de paradoxes parce qu'on a envie de dire que c'est vivant sauf qu'à des moments on sort dans la rue un dimanche à certaines heures, même dans des quartiers qui sont habituellement animés, ça peut être très calme. Donc après évidemment toutes les villes sont pleines de paradoxes mais je trouve qu'à Marseille on peut décrire aussi qu'il y a beaucoup de... de cohabitation et pas forcément des frictions mais voilà c'est une ville où ça cohabite entre les populations entre les la circulation finalement tout le monde trouve sa place voilà c'est un peu un chaos mais mais qui a beaucoup de charme et qui est solaire ouais je pense c'est important de dire que c'est solaire et c'est ouvert sur le monde pour pas oublier ce côté portuaire et que ben il ya plein de mixité je trouve que ça c'est il faut le saluer parce que Ça ne marche pas toujours aussi bien comme à Marseille, même si il y a des problèmes comme partout, on ne va pas se voiler la face. Mais il faut parler de cette belle mixité qui nourrit aussi la ville et il ne faut pas l'oublier.
- Speaker #1
Si tu devais quitter Marseille, qu'est-ce que tu regretterais ?
- Speaker #0
Je dirais en fait, c'est toute cette espèce de folie douce, de liberté qu'elle nous offre. Moi, je ne me suis jamais sentie aussi libre qu'à Marseille, bizarrement, parce qu'on nous dit que c'est une ville violente, où on peut se faire agresser. C'est vrai, encore une fois. Mais au final, dans mon look ou dans mon attitude, je ne me suis jamais sentie aussi peu regardée. Enfin, je ne dis pas ça négativement, mais on n'est pas là en train de nous dévisager. Les gens, ils se regardent, mais finalement, chacun fait ce qu'il veut. Et je crois que ça me manquerait en partant.
- Speaker #1
Est-ce que tu as une anecdote à nous raconter sur un truc marquant que tu as vécu ici ?
- Speaker #0
C'est un peu bête, mais une fois, je prenais un Uber. Et c'était pas longtemps après les immeubles qui se sont effondrés. Et justement, le chauffeur, il était de Marseille. Et il racontait que Marseille, c'était comme une pita. Qu'est-ce qu'il disait ? Que c'était toujours bon. que c'était pas toujours raffiné mais que c'était toujours bon, enfin on savait ce qu'on allait avoir avec tout et... Evidemment il l'avait mieux dit mais je trouvais que c'était une chouette anecdote de prendre ce Uber avec ce mec qui comparait Marseille à une pita et Paris à côté c'était un plat gastronomique trop cher ou un truc comme ça. Et j'avais trouvé ça... enfin c'était un chouette moment et en fait je trouvais que ça résumait bien ce truc dans Marseille où tu peux toujours rencontrer des gens qui vont te raconter des trucs drôles et que j'ai eu nulle part ailleurs en fait. des trucs complètement absurdes et farfelus, mais finalement qui sont assez justes. Donc voilà, c'est pas vraiment une anecdote, mais c'est un fait sur les gens, les Marseillais.
- Speaker #1
Et avant de te laisser, est-ce que tu pourrais me recommander une personne à interroger dans ce podcast ?
- Speaker #0
Alors j'en ai plein des personnes. Alors après, tout dépend de... Enfin, je pense que ça... Mais je pense que ça serait chouette d'inviter... Atelier Laissez-Passer qui fait du réemploi de matériaux sur le port autonome de Marseille. Pour le coup, c'est en plus des gars qui viennent tous de Marseille, donc qui ont grandi là et qui ont, je pense, pas mal de choses à raconter en termes d'anecdotes. d'amour pour cette ville et puis après il y a plein de jeunes artistes à découvrir comme Opal Mirmand, Bridget Lowe, Lena Gayo de mon collectif ou Robin Plus et Nicole Perez de l'Atelier Panthéra.
- Speaker #1
Est-ce que tu as un message à faire passer aux auditeurs et aux auditrices ?
- Speaker #0
Le message que j'ai envie de faire passer c'est je pense qu'il est un peu... c'est général mais ça s'adresse aussi aux gens qui sont dans l'art ou la création c'est de de continuer à croire en ce qu'ils font parce que c'est important. Je trouve qu'on a besoin encore d'artistes et de gens qui rendent la vie un peu plus douce.
- Speaker #1
Merci Delphine Denereas d'être venue à ce micro pour nous partager ta facette de Marseille. Si tu veux en savoir plus sur son travail, je t'invite à te rendre sur son compte Instagram, et sur son site internet pour les Marseillais. vous pouvez aussi vous rendre à la galerie ZEMA, située aux 40 rues Saintes, pour découvrir son travail jusqu'au 28 octobre 2023. Delphine exposera également à la collection Lambert à Avignon, à partir du 18 novembre 2023 jusqu'au 28 janvier 2024. Tous les liens sont à retrouver dans la description de cet épisode. Si tu as aimé ce nouveau format, n'hésite pas à me le dire en commentaire sur Apple Podcasts ou sur Spotify et en plus ça permettra au podcast d'être plus visible et mieux référencé sur ces plateformes alors vraiment n'hésite pas et d'avance un grand merci je te donne rendez-vous dans 15 jours pour un nouvel épisode, à très bientôt