- Speaker #0
sdSo
- Manon
Bienvenue dans Mosaïque Salsa, le podcast qui t'emmène au cœur de la salsa portoricaine en explorant sa danse, sa musique, son histoire et sa culture. Moi c'est Manon, et sur cet épisode, je t'invite à découvrir l'histoire de la Fania, ce groupe emblématique de la salsa. On part à la rencontre de Mehdi, un passionné de salsa, de géopolitique, mais aussi un ami d'enfance avec qui j'étais ravie de partager cette discussion. Bonjour Mehdi !
- Mehdi
Bonjour Manon !
- Manon
Je te laisse te présenter.
- Mehdi
Alors je me présente rapidement, je m'appelle Mehdi. Je suis un ami d'enfance.
- Manon
On se connaît effectivement depuis 20 ans, je pense.
- Mehdi
Et je suis très fier de participer à ce premier podcast en français sur la salsa. Alors de mon côté, je travaille en Allemagne, à Francfort, et je suis à mes heures perdues musicien d'un groupe de musique qui s'appelle Rêve Électrique. Je suis également danseur amateur de salsa New York Style et d'autres danses également comme le Forro Brésilien. Et je suis passionné d'art, d'histoire, de géographie. Et c'est pourquoi je vais te présenter aujourd'hui l'histoire de la Fania All-Stars.
- Manon
Super, allons-y.
- Mehdi
Je vais commencer par les origines et le contexte historique. Tout d'abord, la Fania est un label. Peut-être que je peux rappeler aux auditeurs ce qu'est un label ? Oui. Un label musical, c'est une société chargée de produire, éditer et distribuer les enregistrements musicaux des artistes. Ce label a été créé en 1964 par Jerry Masucci, un avocat italo-américain fan de mélodie latine. Et le compositeur et flûtiste dominicain Johnny Pacheco. La première anecdote de cet épisode est que le nom du label Fania vient d'un vieux son cubain de style son montuno, son de la montagne en français, composé par le cubain Reynaldo Bolano avec sa chanson Estefania. Cette chanson faisait partie du premier album de Johnny Pacheco qui s'appelle Canonazo avec une chanson sous le diminutif de Fania. Ce nom sonnait aussi bien en espagnol qu'en anglais. Et ils avaient peut-être déjà en tête de ne pas se cantonner seulement au marché latin.
- Manon
Là, on parle finalement d'un avocat, Masucci, et donc d'un compositeur, d'un musicien, Pacheco, qui viennent a priori de deux univers complètement différents. Est-ce que tu sais comment ils se sont rencontrés ?
- Mehdi
Leur rencontre est pour le moins improbable. A New York, Masucci poursuit des études de droit et il se lie d'amitié avec Pacheco, notamment lorsqu'il devient l'avocat pour son divorce. Cette alliance entre ces deux hommes est complémentaire, avec le flair de Pacheco pour dénicher de nouveaux talents et l'audace de Masucci qui comprend que pour sortir la fania de son ghetto, il faut investir dans la promotion et faire parler de soi. Mais j'y reviendrai plus tard dans l'épisode.
- Manon
Il me semble que derrière cette alliance, il y avait aussi une volonté pour la Fania en fait, pour le label, de mieux rémunérer les artistes.
- Mehdi
Non c'est vrai, parce que Pacheco était en conflit dans le passé pour ses albums, pour des questions de royalties et c'est pourquoi ils ont voulu créer une compagnie qui respecterait les droits des musiciens et leur paierait ce qui leur revient. Il est aussi important de mentionner que cette alliance entre Pacheco et Masucci, combinée à un contexte historique et géopolitique spécifique, a fait émerger ce qu'on appelle la salsa. Des années 1930 au début des années 1960, il y a eu aux Etats-Unis un engouement pour les musiques, les danses et les rites cubains tels que la rumba, le mambo ou encore le cha-cha-cha. Cet engouement a été déclenché notamment par la prohibition aux Etats-Unis de 1919 à 1933 où les américains utilisaient l'île de Cuba un petit peu pour faire la fête, pour boire de l'alcool, pour danser, pour les jeux d'argent, les casinos.
- Manon
C'est leur échappatoire en fait.
- Mehdi
C'était tout à fait leur échappatoire pour consommer de l'alcool, danser, etc. Et c'est là où ils ont découvert toutes ces danses et rythmes cubains. Et d'autre part, avec l'immigration des pays d'Amérique Latine, des Caraïbes, de Puerto Rico vers les Etats-Unis. L'appétence pour la culture cubaine se referme brutalement vers 1960, lorsque se tendent les relations entre Washington et la Havane et la prise de pouvoir de Fidel Castro à Cuba en 1959, en renversant le dictateur Batista, dans le contexte de la guerre froide entre les Etats-Unis et l'ex-URSS. Dans ces années 1960, les jeunes latinos se tournent de plus en plus vers le rock et les grands ensembles musicaux de Mambo ou de Cha-Cha-Cha deviennent de moins en moins rentables et cèdent la place à des ensembles plus réduits. Le Club Palladium de New York mondialement connu notamment pour le mambo ou le cha-cha-cha qui est décrit là bas en 1954 ferme ses portes en 1966. La musique cubaine semble quitter Manhattan mais comme un parfum entêtant la musique cubaine va renaître de ses cendres et avant le succès planétaire de la salsa naît le Boogaloo, c'est un mélange de soul, R'n'B et de rythmes afro-cubain. D'ailleurs, la salsa puise en partie son inspiration du boogaloo qui lui insuffle sa spontanéité, son énergie et le caractère inspiré de la rue. Petit à petit, avec l'instauration de ce blocus américain sur Cuba, la communauté latine new-yorquaise, friande de son cubain, se trouve en partie privée de sa musique favorite. Le label Fania avec ses prestigieuses signatures notamment portoricaines arrive comme un ballon d'oxygène et au bon moment historique dans cette deuxième partie des années 1960. Si l'ossature de la salsa est cubaine, son public et ses interprètes sont majoritairement portoricains. Ça s'explique car la plus importante communauté latine à New York à cette époque-là vient de Puerto Rico. Pour revenir au label après ce petit intermède historique pour comprendre un petit peu l'émergence de la salsa et pourquoi elle est émergée à cette époque-là, j'aimerais rappeler que ce label a eu des débuts assez modestes. Les deux hommes, Masucci et Pacheco, vendaient des disques directement depuis le coffre de leur voiture à New York.
- Manon
C'est fou d'imaginer ça, d'imaginer ces disques vendus à l'arrière des voitures quand on voit ce que c'est devenu et leur place encore aujourd'hui dans le monde de la salsa.
- Mehdi
Non, c'est assez fou. Mais le succès du premier album de Pacheco sur le label Fania a permis d'attirer des talents du barrio de New York. Petit à petit, le label a fait signer des musiciens de renom comme le bassiste Bobby Valentin ou le conguero Ray Barreto. Ce fut une période de renaissance musicale, un melting pot au sein de ce label Fania, avec le mix de différents genres tels que le mambo, le boogaloo que j'ai mentionné, le cuban jazz, divers rythmes africains. Ainsi un nouveau style apparaît petit à petit, et surgit le terme salsa. Ce terme a été choisi par Masucci pour identifier la musique de ses différentes productions. C'est un son urbain né dans le barrio du Bronx mêlant rythme venu d'Afrique, des Caraïbes, d'Amérique Latine et d'Europe. Bongo, conga, timbal et maracas se mêlent à la basse, au piano et au cuivre. En 1968, c'est l'éclosion. Jerry Masucci pêchait tranquillement à Acapulco au Mexique, quand les promoteurs Jack Hook et Ralph Mercado lui téléphonent avec l'idée de mettre en scène toutes les stars de la Fania. C'est ce qu'on va appeler la Fania All-Stars. Ces stars de la Fania ainsi que d'autres guest stars tels que le roi du mambo, le roi des timbales Tito Puente de Tico Records, le pianiste Eddie Palmieri d'Alegre Records, vont combiner leurs talents pour un concert événement promotionnel au Red Garter de Greenwich Village à New York. Le concert fait salle comble. L'album Live at the Red Garter s'est mal vendu à l'époque, mais c'est la véritable naissance des Fania All-stars. Masucci décide alors de filmer le prochain concert. Le 26 août 1971, lui et Ralph Mercado organisent ce concert au Cheetah. Le public est deux fois plus nombreux, plus de 5000 personnes. Et l'album live à Cheetah, volumes 1 et 2, sera l'album de musique latine le plus vendu à ce jour.
- Manon
Au final, c'était assez avant-gardiste pour ces années-là de penser à filmer un concert pour promouvoir la fania dans le monde ?
- Mehdi
C'est tout à fait le début du marketing musical comme on le connaît aujourd'hui. Avec le succès d'autres concerts à Porto Rico, Chicago et au Panama, Masucci a pris le risque, en 1973, de faire un concert dans le stade gigantesque des Yankees de New York pour un concert salsa de la Fania All-Stars. Je pourrais peut-être raconter une anecdote du concert de cette date en août 1973. Le battle entre les deux congueros. Mongo Santamaria et Ray Barreto fait rage. Le public n'en peut plus. La scène est loin des gradins et les 45 000 spectateurs envahissent la pelouse et déboulent vers la scène. Le débordement est inévitable. Les spectateurs montent sur scène tandis que Pacheco continue à diriger l'orchestre sans s'apercevoir de rien. La police intervient, les musiciens sont évacués, le drapeau portoricain est brandi devant les caméras. Le concert devient historique. Et Fania rentre dans la légende en ce 24 août 1973. Avant l'événement, Masucci l'avait prédit. Ce concert sera le Woodstock de la salsa.
- Manon
Au final, depuis tout à l'heure, on parle beaucoup de Masucci qui semble gérer vraiment la partie business de la Fania pour son développement, sa visibilité. Et du coup Pacheco j'imagine forcément qu'il gérait plutôt la partie artistique avec le recrutement des artistes, le contact en fait vraiment dans ce milieu de musiciens. Mais du coup quand je repense à Masucci, est-ce que lui c'était déjà un passionné de musique avant de rencontrer Pacheco ?
- Mehdi
Oui en fait Mazzucci il est tombé amoureux des sons cubains lors de son service militaire pendant les années 50. Il a servi les marines à Cuba sur la base militaire américaine de Guantanamo. Dès 1974, les Fania All-Stars emmènent leur musique à travers le monde, avec des concerts à San Juan, à Puerto Rico, au Venezuela, en République Dominicaine, au Panama et à Mexico, la Fania donne un concert mythique au stade de Kinshasa, au Zaire, l'ancien nom de la République Démocratique du Congo. Devant 80 000 personnes. C'est un festival de musique auquel participaient également Stevie Wonder et d'autres musiciens mondialement connus. Et c'était l'événement promotionnel du combat de boxe poids lourd entre Mohamed Ali et George Foreman. Cette aventure qui fusionne la salsa avec les rythmes africains traditionnels est immortalisée dans l'album Live in Africa et cela a un impact considérable sur la diffusion de la salsa dans le monde. La Fania All-stars retourne également au Yankee Stadium en 1975 avec au chant, Celia Cruz, Héctor Lavoe, Che Feliciano.
- Manon
Donc dans cette période faste de la Fania, où il y a beaucoup d'artistes, beaucoup de musiciens, beaucoup de chanteurs, est-ce que tu sais ce que c'était l'ambiance entre eux ? Est-ce que c'était plutôt bon enfant ? Est-ce qu'il y avait des rivalités ? Comment ça se passait ?
- Mehdi
Bien sûr, il y a eu plein de conflits. Par exemple, on peut citer le chanteur engagé poétique Ruben Blades, qui quitte la Fania en 1984, et avec laquelle il était en conflit ouvert depuis plusieurs années. Il y a eu également la relation artistique tumultueuse entre Willie Colón et Héctor Lavoe dû au comportement difficile de ces derniers et qui est assez caractéristique de cette période difficile où il y a eu aussi de nombreux problèmes de drogue. Pour revenir un petit peu sur ces concerts à travers le monde dans ces années 1970, 1976 était aussi une date clé avec des performances en Europe, au festival Midem à Cannes en France, un concert également mémorable au Lycéum Théâtre de Londres. avec la participation du guitariste rock britannique Steve Wynwood, ainsi que des concerts au Japon. Petite anecdote également, la Fania All-Stars a été le premier groupe de musique latine à se produire au Japon. Enfin, Havana Jam est aussi un concert historique enregistré le 3 mars 1979 à la Havana, à Cuba. À partir des années 1980, la Fania a décliné, à cause des problèmes de droits d'auteur impayés, l'échec de la promotion de la salsa, Sur le marché américain, avec la fusion avec d'autres labels connus comme Columbia Records, Atlantic Records, la firme peine à découvrir de nouveaux artistes qui ont le potentiel de devenir des stars. La Fania s'adapte également assez mal à l'évolution de la scène musicale et parvient difficilement à captiver les nouvelles générations d'auditeurs qui se tournent facilement vers le rock ou le merengue dans ces années 80 grâce à l'arrivée de nouveaux immigrés de République Dominicaine à New York et plus tard l'avènement du Latin Pop ou même du Rap. Les ventes de la Fania baissent significativement et rencontrent même des problèmes financiers. Peu à peu, la Fania perd ses artistes. Jerry Masucci se détourne du label, il vend ses parts avant de partir pour l'Argentine. Mais certains chanteurs de la Fania continuent une carrière en solo avec un grand succès comme le chanteur Héctor Lavoe qui devient une icône de la salsa. Une petite anecdote, un film a été produit sur lui, sur sa vie intense et tragique en 2007 et qui a été produit et réalisé par Jennifer Lopez et Marc-Antony. Ce film s'appelle El Cantante. La disparition d'Héctor Lavoie en 93, de Tito Puente en 2000, de Celia Cruz en 2003 mettront un terme définitif à l'aventure de la Fania All-Stars. Si Masucci décède en 97 et Pacheco en 2021, la Fania continue tout de même à nous faire danser dans tous les festivals de salsa.
- Manon
Et justement, toi, dans les albums de la Fania, c'est quoi ton morceau pépite, ton morceau préféré ?
- Mehdi
Ma chanson préférée de tous ces albums, je dirais que c'est la chanson live Soul Makossa avec un musicien camerounais qu'on connaît très bien en France, avec Manu Dibango qui fait partie des concerts de la Fania All-Stars à New York et à Puerto Rico à San Juan dans les années 70. Je pourrais, si tu me le permets, citer une autre chanson que j'aime beaucoup, je viens d'y penser. Oui. C'est la Bemba Colora sur l'album live at Yankee stadium en 1975. Et c'est la première apparition de la chanteuse Celia Cruz au sein de la Fania All-Stars.
- Manon
J'ai une toute dernière question pour toi. C'est quoi un de tes premiers bons souvenirs liés à la salsa ?
- Mehdi
C'est une très bonne question.
- Manon
Ton premier souvenir marquant, qu'est-ce qui t'a accroché ?
- Mehdi
Je ne sais pas si c'est un souvenir très précis, mais c'est plus le fait de s'exprimer à travers la danse, de trouver son propre style en dansant. Ce que j'adore, c'est avoir beaucoup de liberté dans la danse, de faire beaucoup de solos aussi, des spins, etc. Et de découvrir petit à petit son style. En dansant, je trouve ça assez rafraîchissant et ça permet d'exprimer un petit peu qui on est à travers la danse. Donc ça serait le meilleur souvenir que j'ai, mais c'est un truc un peu général au final.
- Manon
Merci Mehdi.
- Mehdi
Merci Manon.
- Manon
Merci pour ton écoute. J'espère que cet épisode t'a plu. La Fania, tu l'auras compris, a regroupé de nombreux grands artistes de la salsa qui se sont illustrés à travers différents styles. Le guaguanco, la charanga, le cha-cha, tout ça. Noel nous en parlera dans l'épisode suivant. En attendant, n'hésite pas à partager cet épisode et à rejoindre nos avis Salsa sur Instagram. A lundi prochain !