- Manon
Bienvenue dans Mosaïque Salsa, le podcast qui t'emmène au cœur de la salsa portoricaine, en explorant sa danse, sa musique, son histoire et sa culture. Moi c'est Manon, et sur cet épisode, je t'invite à te questionner sur les codes qui régissent notre communauté salsa, et tout ce qu'ils impliquent dans les interactions entre danseurs. Cette semaine, c'est Marion qui vient en discuter avec moi. Forte de son parcours riche de danseuse, de professeur et bien plus encore, elle vient partager ses réflexions et j'étais ravie d'en discuter avec elle. Bonjour Marion.
- Marion
Bonjour Manon.
- Manon
Est-ce que tu peux te présenter s'il te plaît ?
- Marion
Oui je peux. Alors je suis danseuse de métier depuis 12 ans, je danse depuis 24 ans et je me suis pas spécialisée, j'aime pas ce mot, mais je cherche à être la plus versatile possible. Donc j'ai été explorer, alors je viens des danses académiques à la base et j'ai très rapidement été explorer les danses latines, les danses swing, tout ce qui était street. Et j'ai fait très rapidement de la danse sportive et je suis aussi thérapeute à côté, je suis naturopathe, spécialisée en nutrition, massage et aromathérapie. Beaucoup de choses. Oui, versatile. J'ai beaucoup de mal avec cette notion de spécialisation.
- Manon
Versatile dans ta danse et dans ta vie du coup.
- Marion
Oui.
- Manon
Aujourd'hui, on va discuter un peu ensemble des codes, notamment des codes sociaux ou des règles qui peuvent y avoir dans la salsa. Par quoi tu aimerais commencer ?
- Marion
Je pense qu'un sujet qui me tient particulièrement à cœur, c'est cette notion un peu floue du consentement. Floue, pourquoi ? Parce que chacun, dans sa propre subjectivité, a une définition qui est peut-être complètement différente de ce que c'est le consentement, et surtout des limites qui... viennent définir la notion de consentement. Je me place par rapport à d'autres profs d'une manière qui est totalement à l'opposé, c'est-à-dire que j'entends souvent des profs dire à leurs élèves, ou même dans des discussions entre nous, Oui, il faut dire oui à tout le monde, il faut dire oui aux débutants, il faut dire oui même si vous n'avez pas envie, il faut dire oui, il faut dire oui. Moi, je ne suis pas du tout d'accord avec cette idée de dire oui à tout et à tout le monde. J'encourage en tout cas moi personnellement, mes élèves, à être... dans une compréhension de leur ressenti intelligente. C'est-à-dire que si on vient m'inviter et que mon corps me donne l'information de non, j'ai pas envie en fait, je préfère croire à mon corps, qui lui sait très bien et ne peut pas mentir, plutôt que de forcer mon esprit à me dire mais si, il faut. Voilà, je pense que ce diktat d'être dans une relation forcée à tout le monde, parce que c'est la salsa, c'est une danse ce qui est sociale, ça nous pousse sur des chemins qui deviennent malsains.
- Manon
Là, tu parlais des profs qui en parlent à leurs élèves. J'imagine aussi qu'au début, quand on s'adresse à des débutants, ça peut avoir un caractère assez rassurant de dire Allez inviter, de toute façon, par politesse, on vous dira oui. En tout cas, vous ne risquez pas grand-chose. Mais c'est vrai qu'après, ça induit d'autres choses par la suite. Et on a parfois du mal à trouver cet équilibre entre le oui absolu, finalement, et s'écouter. Parce qu'on va peut-être en parler, mais il y a aussi plusieurs cas de figure dans lesquels on peut avoir envie de dire non. Et c'est vrai que c'est pas facile à trouver cet équilibre-là.
- Marion
Oui, alors quand il s'agit d'un débutant qui va aller demander à danser à quelqu'un qui est peut-être un peu plus confirmé, que la personne qui invite soit au courant ou pas du niveau de la personne qui se fait inviter, peu importe, j'ai envie de dire, on reste dans une relation d'humain à humain, tu vois. Et ce qui, moi, me semble important... c'est d'être dans un respect absolu et une bienveillance absolue c'est pas parce qu'on reçoit un non ou un non merci que ça sera non toujours, que ça sera non dans toutes les circonstances et que ça sera non avec tout le monde. En fait ça demande à chacun d'avoir au préalable travaillé sur soi et sur ses propres peurs parce qu'effectivement quand t'es débutant bon déjà tu te sens un peu en retrait parce que c'est un monde qui est nouveau donc t'es pas vraiment intégré à cette micro-société, en fait, parce que c'est vraiment... La communauté. Ouais. C'est un micro-cadre sociétal, un micro-cosme. Et t'as pas forcément des amis dans le milieu, t'as pas forcément des contacts, c'est pas des gens que tu vois... Enfin voilà, tu débutes, donc c'est quelque chose qui reste très nouveau pour toi. Et effectivement, la nouveauté te met souvent dans l'inconfort. Mais si on est chacun dans une conscience très pure et très simple du fait que c'est OK... Que ce soit pas ok pour quelqu'un d'autre de danser avec nous, en fait, à partir de là, c'est pas concevable que l'ego se sente blessé, tu vois. Et que du coup, il y ait des répercussions derrière, du style, bon bah j'arrête parce qu'on m'a dit non, ou je veux pas lui parler, de toute façon, elle m'a dit non un jour, ou il m'a dit non, ou elle m'a lâchée en prenant de la piste, enfin, il y a tellement de cas de figure. C'est tellement multidimensionnel comme interaction sociale, humaine, tu vois qu'il y a tellement de choses à prendre en compte qu'en fait, c'est un des quatre accords Toltèques de Don Miguel Ruiz, ne jamais déjà faire de supposition. Donc ne jamais supposer que la personne qui est en face dit non parce que. Il peut y avoir mille et une raisons, et ne jamais prendre les choses personnellement. C'est un non qui est adressé à la personne qui a invité, mais encore une fois, c'est un non qui dépend de la condition de la personne qui a invité.
- Manon
C'est à ce moment précis, dans ce contexte-là.
- Marion
Oui, complètement.
- Manon
Généralement, c'est plutôt valorisé de dire qu'à la Salsa, il y a des codes, il y a des codes de politesse, et notamment que l'invitation, effectivement, induit une réponse. Donc ça, c'est plutôt présenté comme quelque chose de positif, mais on pourrait aller plus loin, ou en tout cas approfondir cette notion, et plutôt présenter la chose en disant qu'il y a de la bienveillance dans l'invitation, dans la réponse, que ce soit oui ou non. De présenter aussi le non comme une possibilité.
- Marion
C'est ça, je pense qu'en fait, quand on invite, et je sais à quel point c'est compliqué, parce que moi, en tant que femme, quand j'ai commencé à guider, et que c'était déjà il y a très longtemps, enfin il y a des années et des années, le changement de lead follow n'était pas du tout démocratisé. J'ai commencé, en plus c'était pas en salsa, j'ai commencé à avoir ce changement lead follow en bachata. Et c'était très compliqué à l'époque pour moi de passer d'une posture de quelqu'un qui se fait inviter à quelqu'un qui doit inviter en tant que leader, tu vois. Et je me souviens m'être récupéré des non dans la tronche, mais des non pas très cool, tu vois, parce que j'étais pas préparée à ça. Donc ça m'avait un peu surprise, mais ça m'a fait réfléchir, ça m'a fait réfléchir. Et aujourd'hui, ça me pose aucun problème d'aller inviter quelqu'un que j'aimerais leader et en me disant bah... c'est possible que cette personne me dise non et c'est carrément ok parce que même moi en tant que follow je me retrouve dans des situations où tu vois déjà quand t'es dans une posture de professeur t'es un peu mis en avant sur la scène, dans la scène latino ou salsa plus précisément et donc forcément les gens vont venir te voir et vont essayer de t'inviter etc donc c'est très fatigant. En fait je pense qu'on est vraiment dans une espèce de surconsommation de connexion... et en fait faudrait revenir à quelque chose de très enraciné c'est à dire que quand t'es en social, quand t'es en soirée par exemple t'arrives à 22h tu repars à 3-4h du mat tu vois ça te fait une plage horaire de 6h, 5-6h, une chanson ça dure 3 minutes 30 bon en salsa il y en a qui dure 7 minutes mais sauf si le DJ est fou en général ils te mettent des sons, qui sont dansables et donc en fait tu te retrouves à danser avec je sais pas peut-être 40, 50, 60, 70 personnes dans la soirée sauf qu'en fait à chaque personne, c'est une nouvelle connexion, c'est une nouvelle relation qui s'instaure, c'est un nouvel échange d'énergie, c'est un nouvel échange physique, il y a plein de processus qui se mettent en branle derrière, tu vois, cette mise en contact, et c'est extrêmement énergivore, extrêmement énergivore. Et donc pour les personnes qui vivent uniquement de la salsa, par exemple, je pense à elles, et qui tous les week-ends sont en festival ou en déplacement, et qui doivent trois soirs par semaine minimum parce que c'est la soirée du vendredi samedi et dimanche sur les festivals qui doivent faire acte de présence et danser avec des gens en fait je pense qu'on ne s'en rend pas du tout compte mais c'est physiquement, émotionnellement et psychiquement épuisant vraiment épuisant et donc pour moi c'est normal qu'il y ait des moments qu'on s'auto-octroie de pause tu vois, même si les gens ne le comprennent pas ok t'es là, t'es dans la soirée tu rigoles avec tout le monde, tu parles etc mais t'as pas forcément envie t'as juste même pas l'énergie en fait parfois de danser. Donc oui, ça je pense que c'est une problématique qui est vraiment relative au statut de prof, parce que t'es du coup plus exposé que quelqu'un qui est client, tu vois, dans le milieu, qui n'a pas un rôle de prestataire. Alors, tu vois, pour quelqu'un qui commence, moi je l'ai vécu comme ça, quand j'ai commencé la salsa, donc j'ai commencé par la cubaine, avec un prof qui s'appelle Karim, qui est un amour vraiment dans les Yvelines, et je me souviens très très bien de ces sensations que j'avais, en fait à la fin de chaque soirée où j'avais tu sais comme une espèce de décharge clairement on va se dire j'avais l'impression d'avoir pris de la coke, j'ai jamais pris de coke mais tu vois ça me faisait un effet de... Mais vraiment comme si j'étais sous drogue, vraiment et physiquement, je le ressentais physiquement tu vois et j'étais dans mes débuts dans une recherche de la connexion parce que c'était des sensations qui étaient quand même hyper nouvelles, que j'étais une petite jeunette, j'étais encore au lycée tu vois donc c'était c'était pour moi le but de trouver...
- Manon
D'enchaîner les danses tu veux dire, et d'inviter plein de gens.
- Marion
Et de tester les connexions. Vraiment, c'était je veux tester le plus de connexions possibles, un peu comme si t'avais 1000 plats sur une énorme table et qu'en fait t'as envie de goûter à tout. Actuellement, après 12 ans dans le milieu, c'est vrai que je suis plus tellement dans cette posture-là et que je suis plutôt sur du qualitatif que sur du quantitatif. Donc ça m'arrive souvent en soirée de dire ah bah non, je suis désolée, j'ai juste... pas envie de danser, j'adorerais danser avec toi mais là je... Voilà quoi.
- Manon
C'est quoi la bonne manière justement de dire non quand quelqu'un vient nous inviter ?
- Marion
Je pense qu'il n'y a pas une bonne manière. Je pense qu'il y a peut-être une base de respect envers l'autre, de conduite à avoir. Mais ça, je pense que c'est... Alors, je n'aime pas ce mot, mais c'est ce qu'on appellerait de l'éducation. Mais je n'aime pas ce mot parce que pour moi, il y a une grande différence entre un parent qui éduque et un parent qui élève. Je pense que c'est l'élévation qui prévaut sur l'éducation. L'élévation, il y a du sens derrière, l'éducation c'est tu fais donc à partir du moment où on est dans une relation saine à l'être humain tu vois, je pense que déjà l'honnêteté ça marche de dire écoute honnêtement t'es un peu trop transpirant, je viens d'arriver en soirée, réinvite-moi dans une heure quand j'aurai un peu transpiré parce que là j'ai pas envie de tu vois, ce genre de truc ou alors écoute franchement ça me ferait kiffer mais ce soir je suis un peu fatiguée et tu as une connexion qui est un peu trop dure pour que je mette l'énergie qui faille pour compenser derrière. Je t'avoue que ce n'est pas trop le bon soir. Mais après, je suis tout à fait consciente que si tu es dans le milieu, quand tu te retrouves en social, avec la musique qui est derrière, ce serait compliqué d'avoir un échange qui se fait de cette manière-là.
- Manon
Puis c'est un moment qui est très rapide. Finalement, ce temps de l'invitation, c'est quelques secondes. Et là encore, on parle des invitations qui sont faites en bonne et due forme. Il y a aussi les invitations qui durent même pas une seconde parce que... Ça m'est arrivé ce week-end. J'ai été trainée si je peux dire sur la piste heureusement c'est à mon sens en tout cas c'est très rare bon là c'est encore autre chose mais en tout cas les invitations qui sont faites de manière plus classique c'est très court donc c'est vrai que c'est pas toujours propice à ce moment là de détailler mais c'est vrai que l'honnêteté ça paraît être déjà la première base comme tu dis.
- Marion
Après, l'honnêteté elle est quand même plus simple à mettre en oeuvre quand c'est quelqu'un que tu connais en face de toi. Quand c'est quelqu'un que tu connais pas, tu sais jamais quelles sont les manières de réagir de la personne, tu prends peut-être plus de pincettes. Mais bon, tu vois, moi, ce week-end, on m'a invitée avec un doigt posé sur l'épaule, tu sais, un petit tic, quoi. Et du coup, je me suis retournée, et la personne m'a fait un signe, genre, bah allez, tu viens, quoi. Je lui ai dit, mais, qu'est-ce que tu me racontes ? Et donc, la personne me dit, bah, on danse. Et je lui dis, ah oui, voilà, le français, je comprends. Mais ça, je comprends pas, tu vois. en fait maintenant je m'embarrasse plus de cette espèce de diktat justement de faut pas blesser en fait à partir du moment où mes limites sont dépassées je m'exprime. C'est ce que je disais tout à l'heure sur ta première question, mais c'est vrai qu'il y a parfois des choses qui sont pas contrôlables et qui arrivent par exemple moi ça m'arrive d'avoir des danseurs qui m'invitent et en fait, j'ai une réaction physiologique à leur corps, c'est-à-dire que mon corps refuse le contact avec leur corps. Et c'est carrément ok, tu vois, c'est des manifestations de mon système nerveux en fait, qui me dit bah non, le contact avec ce corps-là n'est pas bénéfique pour toi, donc j'en veux pas, tu vois. Et du coup maintenant je ne me force plus, je ne me dis pas mais allez, mais si, non. Maintenant non, c'est non. Et j'ai appris à écouter et à respecter et à prendre en considération ces limites, parce que c'est toujours tellement plus simple de faire taire son corps. et de faire prendre le dessus à sa petite voix, enfin au mental, tu vois, au soi, dans ce genre de conditions, parce que tout le contexte sociétal nous pousse à l'interaction et nous pousse à accepter. Et d'ailleurs, souvent, il y a des profs qui disent "Oui, vous ne pouvez refuser une danse que quand vous êtes sur la piste de danse et que votre danseur vous fait vraiment mal". Tu vois, ça m'est déjà arrivé d'entendre ce genre de discours. Ben non, en fait. Non. Si les signaux, ils sont là avant et que tu sens profondément que c'est pas ok, en fait, tu dis juste non, non merci.
- Manon
Ça, c'est vrai qu'il faut qu'on apprenne à l'écouter. Je pense aussi au cas inverse, au cas où on recroise un danseur ou une danseuse qu'on ne connaît pas, qu'on a peut-être vu vaguement une fois en festival, où on a un espèce de souvenir, une empreinte, où je pense que ça nous est tous arrivé de se dire Ah oui, ça, il me semble bien que c'était une super danse, il me semble bien que c'était un super souvenir. Et aussi l'inverse. Il me semble bien que cette danse-là, je ne l'ai pas aimée. Pour X raisons. Et là, c'est vrai qu'on arrive à écouter un peu nos souvenirs. Je pense qu'il faut écouter même davantage, effectivement, comme tu dis, les ressentis corporels. Et ce qui va se passer. Mais c'est vrai que ce n'est pas toujours facile.
- Marion
Ça demande une conscience corporelle de fou, déjà. Oui. De capter, en fait, les signaux. Parce que ça peut passer pour tout et n'importe quoi, tu vois. Je ne sais pas, je pense à un frisson, tu vois, un baillement. ou une sensation d'inconfort physique, ou au niveau digestif, c'est des sensations qui sont extrêmement fugaces. Mais en fait, une fois que tu sais lire, que tu sais les décoder, c'est des choses que tu te rends compte très rapidement. Par exemple, c'est très très personnel, mais moi, quand je suis avec des gens qui sont bénéfiques pour moi, Sur tous les plans, j'ai une sensation physique de dégonfler. Vraiment. En fait, c'est vraiment ça. C'est que quand je suis dans un pays, même ça, ça marche sur la géographie, tu vois. Quand je me déplace dans un pays où je suis pas bien, je gonfle. Et je gonfle même physiquement. Et quand je suis avec des gens avec qui je suis pas bien, je gonfle. Quand je suis avec des gens qui sont bons pour mon système nerveux et pour mon système endocrinien, du coup parce que les deux sont extrêmement liés, j'ai cette impression et cette sensation physique de dégonfler. Et il y a pas beaucoup de personnes sur cette planète avec qui ça me fait, mais j'ai même rencontré des humains avec qui cette sensation elle est tellement rapide, c'est-à-dire qu'en peut-être 20 minutes, j'ai déjà cette sensation de gonfler ou de dégonfler en 20 minutes, donc c'est énorme. Mais c'est vrai que ça demande un travail personnel, quoi. C'est pas en tant que prof, c'est des choses que tu peux exprimer, dont tu peux parler à tes élèves, mais c'est pas quelque chose de l'ordre de l'acquis. C'est inné pour moi, bien sûr l'écoute elle peut être acquise il y a des gens pour qui l'écoute elle est innée c'est très compliqué en fait de remplir ce rôle en tant que prof parce que les gens en fait quand ils viennent dans tes cours et c'est pour ça que merci beaucoup de cette opportunité de m'exprimer sur ton podcast les gens quand ils viennent en cours ils s'attendent à avoir un cours point tu vois moi je pense que le seul milieu des danses de couple où vraiment J'ai pu apporter des choses qui font partie d'une dimension plus large que juste la sphère physique, c'est le West Coast Swing, où vraiment la communauté est ouverte à plus de choses. Et pourtant, le public du West Coast, c'est des gens qui sont très dans l'intellectuel. Mais paradoxalement, ils sont aussi beaucoup beaucoup dans le ressenti. Et donc en salsa, c'est plus compliqué. Tu places ce genre de laïus, tu parles peut-être de ça 3 minutes, 30 minutes en cours, et t'as déjà des yeux qui se lèvent aussi, et j'ai envie de...
- Manon
Oui, les attentes sont différentes.
- Marion
Oui, complètement. Sauf que bah, comment construire une communauté qui est saine si déjà à soi-même, dans sa relation à soi-même et à l'autre, on n'est pas sain ?
- Manon
Si on résume un peu ce qu'on vient de dire, finalement, ce qui va être important, c'est de s'écouter, de faire en fonction et de s'autoriser à dire oui ou à dire non. En tout cas, d'envisager aussi cette possibilité.
- Marion
Oui.
- Manon
Et je pense que ce qui serait intéressant aussi, c'est d'observer l'autre et de voir aussi si l'invitation est propice à ce moment-là. Tout à l'heure, tu parlais des danseurs professionnels, de toutes les personnes qui en font leur métier, où parfois on peut observer en festival notamment presque des files d'attente. Et moi, j'ai toujours presque de la peine en fait, parce que je me dis, la personne à ce moment-là, peut-être qu'entre deux danses, elle a envie d'aller boire, elle a envie d'aller parler avec ses amis, elle a aussi peut-être envie d'inviter quelqu'un d'autre, de saisir une autre opportunité de danse, peu importe.
- Marion
Ouais, ça oui.
- Manon
J'ai vu ça dès les premières années de danse, parce que c'est assez fréquent. Aujourd'hui, quand je re-rencontre ces situations, je suis toujours aussi étonnée de ça. Et je me demande comment, dans ce contexte-là, finalement, la connexion, elle se fait correctement. Parce qu'en fait, on est vraiment sur des danses, des invitations, ou en tout cas des acceptations d'invitations à la chaîne. Et c'est dommage.
- Marion
Ouais. Alors, en plus, ce qui s'ajoute, je pense, à ce cas de figure-là, c'est qu'en général... quand ta copine a enfin ou ton copain a enfin l'opportunité de danser avec la personne pour qui elle ou il faisait la queue tu vas le filmer donc en fait il y a une espèce d'objectification de ces danseurs là qui sont surexposés médiatiquement aussi c'est ni bon ni mauvais si tu veux mais ça nourrit un espèce d'imaginaire autour du rôle que ces personnes devraient avoir comme des gens qui montrent l'exemple mais en fait on oublie souvent que ces personnes là sont humaines qu'effectivement, elles ont peut-être envie de s'arrêter à un moment donné. Elles n'ont peut-être pas du tout envie de danser avec toi. Donc oui, moi, c'est un truc que j'ai personnellement jamais fait. Faire la queue, ça me fatigue.
- Manon
Ou courir aussi à travers la piste.
- Marion
Bon, ça, ça m'est déjà arrivé. Mais ça m'est déjà arrivé parce que je vois qu'un danceur que j'adore vient de se libérer. Et du coup, je lui cours après, je lui saute dessus et je lui dis est-ce que tu accepterais de danser avec moi ? Donc c'est souvent oui, souvent non. Enfin, peu importe, la réponse. Mais je me permets de le faire en général avec mes copains, avec les gens que je connais.
- Manon
Oui, après, c'est ça. Il y a des cas de figure qui sont très différents. Là, on a beaucoup parlé du consentement, de ce cas de figure de l'invitation. Donc ça peut être assez délicat dans certaines situations. Mais il y a aussi du bon, en fait, aux codes sociaux qui existent dans la salsa. Déjà, ça détermine des limites, malgré tout. Même si c'est à nous de compléter ça et d'être au clair avec nos limites propres. Mais je trouve que malgré tout, ces codes, se dire merci à la fin de la danse, s'inviter poliment et puis faire attention aux lignes de danse des uns des autres, c'est un peu aussi des garde-fous.
- Marion
Oui, alors du coup, ça me fait penser au fait qu'on a parlé que de l'invitation, mais il y a aussi le consentement pendant la danse. Là arrive le sujet un peu délicat parce qu'effectivement, comme je te disais tout à l'heure, chacun a sa propre conception des choses et ses propres limites. Ça me fait penser à un exemple que je donne souvent en cours, des messieurs qui vont à la salle de sport et qui soulèvent des charges très lourdes, et qui en fait ont l'habitude pour soulever, pour déplacer un poids d'un endroit, une masse d'un endroit A à un endroit B, de mettre beaucoup de force. Et en fait ils appliquent cette règle, cette loi physique en danse. Sauf que c'est pas comme ça que ça se passe avec un corps humain. Et donc du coup, ça les amène à avoir des connexions qui sont souvent pas très agréables parce que très dures et très dans la force en fait. Je fais une grosse différence entre puissance et force. Mais voilà, très dans la force brute et pas du tout dans la sensation. Je pense que ça aussi, c'est une raison carrément ok, carrément valable de dire non, je préfère pas danser avec toi. Il y a aussi le fait que quand tu danses en social avec quelqu'un, t'es dans une espèce de cocon d'intimité qui se crée et qu'au sein de ce cocon d'intimité, l'un ou l'autre des partenaires se permettent certaines choses. Je trouve ça très déplaisant quand quelqu'un, parce que tu rigoles avec cette personne de manière respectueuse, mais quelqu'un que tu connais pas spécialement, avec qui t'as juste eu quelques échanges un peu drôles ou légers, se permettent, pendant la danse mais aussi, hors la danse, de poser une main sur tes hanches ou une caresse dans ton dos. Pour moi, c'est complètement déplacé. Après, encore une fois, les relations humaines, elles sont tellement complexes. Je veux dire, s'il y a eu des signaux qui ont été envoyés, voilà, il y a des signaux qui ont été envoyés. Par contre, si ce qui s'est échangé entre ces deux personnes, ce sont juste des échanges simples, basiques, voilà sans qu'il n'y ait rien qui soit explicitement dit, on devrait rester dans une limite saine au niveau du toucher. Par exemple, encore une fois, c'est très personnel, mais je pense que je suis pas la seule. Moi, j'ai une hyperesthésie, c'est-à-dire que mon cerveau traite plus d'informations en provenance de mes organes des sens qu'il devraient le faire. Donc j'ai un toucher qui est très très très sensible. Et donc, par exemple, quand je danse avec quelqu'un qui a une petite peau, tu vois, qui dépasse au niveau des ongles et que ça m'érafle deux-trois fois, en fait, ça peut carrément me bousiller la danse, parce que c'est une information qui est très désagréable et que mon cerveau va traiter malgré moi. En fait, je vais me focus dessus. Donc, bien évidemment, j'ai travaillé énormément sur moi-même. En gérant ma respiration, j'arrive à faire un espèce de tri suivant les informations. Mais je sais que c'est le cas de plein d'autres danseuses qui se retrouvent avec cette problématique de bah c'est un bon danseur, je l'aime bien, mais en vrai, il y a des choses qui me retiennent, tu vois. Je pense que la communication, c'est le meilleur moyen de résoudre ce genre de trucs. Après, effectivement, si la communication, elle ne sert plus qu'elle n'est pas accueillie par l'autre comme étant un élément qui peut instaurer un cadre sain dans l'échange entre deux personnes ça sert à rien, juste tu dis non merci et puis voilà,basta quoi.
- Manon
Oui de jauger aussi quand c'est utile de s'étendre ou...
- Marion
Exactement, parce que c'est pas pertinent, oui, voilà on peut pas s'entendre avec tout le monde, on peut pas bien danser avec tout le monde et c'est pas grave et puis il y a peut-être un soir où votre pote, vous allez pas kiffer la danse parce que, parce que, parce que, voilà... Je pense que la communication, c'est quand même l'élément de base. On est doué de parole. Après, il y a d'autres types de communication. C'est vrai que quand tu danses avec quelqu'un qui est un peu trop entreprenant et que tu vas juste éloigner ton corps du sien, par exemple, si c'est un signal qui n'est pas compris, après, il y a une communication verbale qui peut s'instaurer ou voilà, m ais c'est vrai que...
- Manon
Oui, c'est important ce que tu dis de s'autoriser ça aussi pendant la danse parce que ça ne fait pas forcément partie de nos codes. En tout cas, ça commence à l'être, mais on évolue aussi les uns avec les autres, dans le sens d'une danse plus agréable.
- Marion
Complètement. Traditionnellement, le rôle de la follow est associé à la femme, et traditionnellement, le rôle du lead est associé à l'homme. Comme tu disais, ce milieu de la salsa, c'est un microcosme dans lequel se jouent les mêmes pièces de théâtre que dans notre société toute entière. Et donc, cette espèce d'idée sous-jacente de patriarcat, elle vient, si tu veux, se réimplanter dans le milieu de la salsa. Et bon, du coup, je dérive un peu vers autre chose, mais ça se voit, c'est extrêmement clair. Quand un couple se sépare, arrête de travailler ensemble, c'est le leader qui garde les contrats. Jamais la follow. Très rarement. Et les leaders, à un niveau professionnel, en jouent énormément de cet avantage. Il y a aussi pas mal de follow qui jouent du fait qu'elles sont complètement conscientes que sans elles, le lead n'est rien. En fait, ça induit une espèce de triangulation pour les follows, c'est-à-dire qu'on est à un niveau professionnel à la fois dans une interaction mais presque combative avec nos leads et à la fois une interaction compétitive avec les autres follows. Parce qu'on sait que les places sont chères et que c'est très compliqué de trouver sa place, de se faire une place. Parce qu'en général, on ne la trouve pas, on s'en fait une. Du coup, il y a cette espèce de triangulation entre la follow, les autres follows et les leads avec qui elle travaille en particulier, qui s'instaure et qui construit pour moi une relation à l'environnement de cette follow qui est tout sauf saine, en fait. Qui est tout sauf saine. Ces follows-là qui vont transmettre à leurs élèves ou qui vont transmettre à d'autres follows qui veulent grandir dans le milieu, elles vont aussi, même si c'est de manière implicite, transmettre l'idée qu'il faut se battre. Il faut se battre pour ta place et personne ne te fera de cadeau, voire même on te fera pas mal de crasse. Donc oui, je pense que, pour revenir au consentement, je pense que tout le système est basé sur le flou artistique qui entoure les limites du consentement.
- Manon
En tout cas, c'est peut-être des codes qui sont en train d'évoluer. Et du coup, des notions qui vont être aussi discutées ou transmises différemment dans les cours. Et on peut espérer que petit à petit, en social, ça rejaillisse aussi de manière positive et que chacun s'autorise à dire oui ou non. Et qu'on ait en tête aussi, effectivement, l'importance du consentement et l'importance de respecter les limites de l'autre.
- Marion
Oui, et puis ses limites propres.
- Manon
Et d'en prendre conscience.
- Marion
Oui, de travailler sur ça. Complètement. Je pense que le milieu est effectivement en train de changer, et je pense que c'est en train de commencer par l'Amérique centrale, le Mexique. J'y étais pendant deux mois l'année dernière, et en fait comme il y a de plus en plus d'hommes qui deviennent follow, mais à des très très très bons niveaux, ça change complètement la dynamique, si tu veux, énergétiquement, l'énergie masculine et féminine, en fait elle est redistribuée, et ça change le poids de chaque rôle. Alors après c'est vrai que ça change pas du tout au tout. Mais il y a quand même, moi je vois personnellement une grosse différence entre le milieu au Mexique, le milieu aux Etats-Unis et le milieu en Europe. Oui je pense que c'est en train de changer, je pense que ça prend beaucoup de temps et que même si ça change, si chacun n'est pas dans un travail très personnel, en fait naîtront de ces changements d'autres dérives. Mais bon ça c'est encore une autre question.
- Manon
C'est à nous aussi du coup d'aller vers les personnes qui nous ressemblent en fait, sur la prise de conscience de ces changements ou sur un...
- Marion
D'aller vers des gens qui nous ressemblent, enfin en tout cas qui sont dans une démarche, qui ressemble à celle dans laquelle on peut être. Mais j'ai même envie de dire, si on veut vraiment être dans une richesse profonde de l'échange avec l'autre, moi je trouve plus intéressant encore d'aller vers les gens qui sont complètement à l'opposé de nous. Parce que ça repositionne le regard, ça fait prendre du recul parfois sur certaines choses, ça nous fait reconsidérer aussi nos points de vue, les filtres avec lesquels on regarde ce qui se passe, ça nous permet peut-être, peut-être, de reconsidérer certaines choses, ce qui n'est pas le but en soi. Je veux dire, je voyais, je suis tombée sur cette information il n'y a pas longtemps, sur le fait de débattre. En fait, aujourd'hui quand on parle de débattre, on est dans une idée qui est d'opposition, tu vois. Et puis en fait, on est dans une idée qui est de se battre implicitement. Or débattre, c'est ne pas se battre. étymologiquement parlant, c'est vraiment être dans une discussion, mais dans un échange qui se veut vouloir apporter des solutions, sans forcément vouloir apporter des solutions, parce que solution veut dire problème, il n'y a pas forcément toujours des problèmes, mais qui se veut de pousser l'échange sur quelque chose de fin, de réfléchi et dans le respect les uns des autres. Donc le fait de te rapprocher de personnes qui sont pas sur la même longueur d'onde que toi, ça te permet de débattre. C'est-à-dire de ne plus être en opposition avec le point de vue qui est le leur, de comprendre que ce point de vue correspond à cette personne dans son cheminement à ce moment-là de sa vie, et du coup, si tu veux, de dédramatiser, en fait, le fait que l'autre ne pense pas comme moi. Ce qui n'invalide pas ma propre pensée. Ce qui n'invalide pas non plus la sienne. Mais ça recontextualise, ça remet en perspective les positions de chacun et ça nous pousse du coup à être dans un non-jugement de l'autre tout court.
- Manon
J'ai une dernière question pour toi Marion, est-ce que tu peux me raconter qu'est-ce qui t'a accrochée dans la salsa ?
- Marion
En fait, j e sais pas. Honnêtement je sais pas. Je pense que... Je pense seulement, j'aimais des hypothèses. Je pense que ça a réveillé... Pas réveillé, mais ça m'a permis d'exprimer un feu que j'avais en moi depuis toute petite qui ne pouvait pas s'exprimer dans le milieu scolaire où j'étais, et que je n'avais pas non plus la maturité d'exprimer dans mon milieu familial. En tout cas pas de manière saine, ni pour moi ni pour les autres. Ça m'a donné un terreau, si tu veux, pour planter des fleurs exotiques qui m'avaient toujours attiré mais que j'avais jamais osé approcher. Aussi mes origines peut-être parce que ma grand-mère est berbère, arabo-berbère et donc mon propre sang est un mix de plein de choses différentes et du coup je me sens plus ou moins liée à l'Afrique et je pense que tout ce qui est afro-cubain, tu vois, qui sont en fait des danses... plus que des danse, c'est une culture qui a été développée par l'exportation du coup des esclaves qui étaient ramenés d'Afrique. Je pense que ça fait une espèce de boucle aussi en termes de ce qui fait ce que je suis, de ma double identité, qui est quelque chose qui est très mis en valeur dans ma famille, en particulier par ma mère, qui est née d'un père français et donc d'une mère arabo-berbère. Et... Je crois que ça me permet en fait d'être en lien tu vois avec ces racines-là. Et je ne sais pas, pour moi la salsa c'est vraiment une danse de feu. En fait quand je danse la salsa, j'ai l'impression, déjà c'est une danse où en tant que follow, moi c'est un truc que j'adore faire, pour moi mettre du style, c'est véritablement trouver le moment et l'endroit dans mon corps que je peux utiliser pour m'exprimer. Parce que le leader ne s'approprie pas, si tu veux, ni ce moment, ce laps de temps, ni cette partie de mon corps. Et donc du coup, en salsa, je peux facilement, enfin facilement, aujourd'hui facilement, mais parce que je l'ai beaucoup travaillé, mais je peux trouver ces moments et ces endroits dans mon corps à utiliser. Et donc en fait, en tant que danseuse solo, je suis tellement heureuse de danser à deux, mais aussi de danser toute seule, en même temps. Tu vois, ça me remplit, vraiment ça me nourrit. Et d'ailleurs, quand je vais en social... Je déteste manger avant d'aller danser. Je ne mange pas avant d'aller danser. Et souvent, je n'ai pas du tout faim après avoir dansé. Parce que ça me nourrit. Mais vraiment, c'est physique. Je le ressens physiquement. Donc voilà, ça me permet de faire vivre ce feu intérieur. Voilà, ce sont des suppositions. Je pense que je n'ai même pas trop envie de vraiment savoir pourquoi. Parce que je trouve que la beauté, c'est aussi dans le fait que c'est comme ça. Et lâche prise, quoi. Et on n'a pas toujours les réponses à nos questions. Mais moi, ça m'intéresse. Oui, je sais. Mais bon, c'est pour ça que j'espère te donner des éléments de réponse. Mais je pense que ça reste que des éléments de réponse et qu'au fond, tu as au fond de moi, je ne sais pas, peut-être que dans une autre vie, j'étais déjà danseuse de salsa et que du coup, ça fait écho. Je ne sais pas. Il y a tellement de possibilités.
- Manon
Peut-être que ta réponse changerait aussi si je te redemandais dans trois mois, dans deux ans. Oui. Sûrement même. Merci Marion, je t'en prie Manon, merci à toi. Merci pour ton écoute, j'espère que cet épisode t'a plu. Marion nous a livré ses ressentis et son analyse de certaines conventions sociales qui ont une place importante dans nos soirées. Intéressons-nous maintenant aux messages portés par les chansons que l'on écoute en boucle. C'est avec Mercedes que l'on discute la semaine prochaine. En attendant, n'hésite pas à partager cet épisode et à rejoindre Mosaïque Salsa sur Instagram. A lundi prochain !