- Speaker #0
Les grands entretiens du musée de la Sacem avec Stéphane Lerouge.
Bonjour à tous. Lors du premier podcast, il nous a raconté les coulisses de ses premières partitions emblématiques comme La Lune dans le caniveau, 37 de le matin, Anaka, Camille Claudel ou L'Amant. Il nous a aussi détaillé comment, à travers le cinéma, il s'est réapproprié la musique orientale qu'il rejetait, adolescent, dans son Liban natal. Aujourd'hui, nous allons évoquer l'une de ses collaborations les plus fructueuses, avec le metteur en scène britannique Anthony Minghella, mais aussi avec Jean-Paul Rapeneau, Michel Oslo, et avec des cinéastes du Nouveau Monde, qui régénèrent son écriture, comme Xavier Delanne, Pietro Marcello ou Valéry Donzelli. Bonjour, Gabriel Yared. Bonjour Stéphane Lerouge.
- Speaker #1
J'ai envie de vous demander comment ça se passe quand on se retrouve face à un cinéaste qui est lui-même musicien, ce qui a été le cas lors de votre rencontre avec Anthony Miguelard en 1996.
- Speaker #0
C'est la première fois que ça m'arrive d'abord, mais quand on connaît Anthony Miguelard, sa pudeur... Son humilité, sa gentillesse, sa bienveillance et toutes les qualités incroyables que cet homme avait. On n'est pas gêné du tout parce qu'il n'intervient jamais dans la composition.
- Speaker #1
Il n'a pas d'indication technique ?
- Speaker #0
Il ne donne pas d'indication technique, non. Il est venu vers moi en toute confiance parce qu'il a beaucoup aimé mon travail sur 37-2 spécialement et sur Laman. Il connaissait ma musique et la première fois que je l'ai rencontré, c'est à l'occasion d'une publicité à Londres. Dans un grand bureau où il y avait tous les publicitaires, les attachés de ceci, les responsables de cela, et j'ai vu un petit Bouddha qui me regardait de loin avec un regard charmant. Et on a fait une publicité ensemble, comme il dit, on s'est fiancés avant de se marier. Et quelques mois plus tard, il m'a appelé, il m'a dit voilà j'ai un projet, je ne sais pas si c'est toi qui va faire le film ou pas, parce que le producteur ne veut pas d'un français. Il dit que les français ne sont pas fiables. Enfin, il ne connaît pas les Libanais.
- Speaker #1
C'était le producteur d'Amadeus.
- Speaker #0
C'était le producteur d'Amadeus, pour ne pas le nommer, Solzhenitsyn. Il a commencé à me parler du film. Il me dit, voilà, je te donne tous les renseignements dont tu peux avoir besoin. Il m'a parlé comme un artiste parle à un compositeur. Toujours suggéré, jamais imposé. Il me dit, voilà, je peux te donner trois pistes. Le Moyen-Orient, ça, je n'ai pas besoin de te guider. Deuxième piste. C'est Puccini. Je lui dis pourquoi Puccini ? Il me dit pour la beauté de ses mélodies et la grâce de ses harmonies. Et enfin, Jean-Sébastien Bach. Et il se fait que nous sommes tous les deux amoureux fous de Jean-Sébastien Bach. Lui et moi, lui déchiffre autant qu'il peut un prélude d'une fugue de Bach presque tous les jours. Et donc il m'a laissé avec ça. Il me dit voilà, je te laisse. Et une fois que tu auras fait le thème, je voudrais convaincre mon producteur. que tu es le compositeur pour ce film. Parce que lui tenait absolument à ma voix. Et pourtant, quand on écoute 37.2, on ne peut pas deviner que je suis le compositeur pour Le patient anglais. Parce que c'est un grand orchestre, c'est une musique complètement différente, c'est beaucoup plus lyrique et beaucoup plus vaste. Et donc je me souviens, il était venu me voir et je lui avais joué le thème, donc ceci, et je lui avais dit, voilà, le corps anglais commence. Et là comme une canoune orientale qui fait ça, etc. Il a écouté, il me dit j'adore, je voudrais que tu rencontres le producteur. Ils ont organisé pour moi un voyage à San Francisco où j'ai rencontré Saul Zenz. On m'a fait monter sur une scène sur laquelle il y avait un piano. Et j'ai joué le thème principal du film. J'ai même chanté.
- Speaker #1
Comme une audition.
- Speaker #0
Une audition, exactement. J'ai passé une audition. Je me souviens, je voulais commencer avec des chœurs russes graves qui chantaient ici. Donc je m'y mets tout pratiquement. Il n'a rien dit à la fin. Il m'a dit, could you play it again ? Tu peux le jouer encore une fois. J'ai joué. Et à la fin, il m'a dit, you are hired. vous êtes engagé. Donc voilà comment ça s'est passé avec Anthony. Et après ça, Anthony qui savait très bien, à qui j'avais dit d'ailleurs, que je n'étais pas un grand... un grand habitué, disons, de la musique de film à l'image, a été le plus grand secours dans mon travail. Lui et son monteur, que j'espère que nos auditeurs connaissent ou entendent parler.
- Speaker #1
Walter Murch.
- Speaker #0
Walter Murch, voilà. C'est Walter Murch qui a inventé le mot de sound design lorsqu'il travaillait avec Coppola sur Apocalypse Now. Et eux étaient à San Francisco, et moi j'étais à Paris à l'époque. puis après à l'île aux moines. J'étais en train de déménager vers l'île aux moines. Et tous les quelques jours, je recevais mes maquettes coupées avec un petit mot en disant « Ici, ça marche moins bien avec l'image » . Donc, je peux dire que vraiment avec Minghella et Murch, j'ai fait un pas de plus et j'ai appris à travailler beaucoup mieux avec l'image parce qu'il fallait que ça suive. Avant, je savais peut-être le faire, mais pas vraiment quand j'y pense. J'essayais d'éviter tout le temps de trop coller à l'image. Là, il fallait. Voilà, c'était ma première expérience avec Anthony.
- Speaker #1
Donc, c'est vrai que c'est un tourbillon mondial. C'est-à-dire que Le patient anglais permet à un public planétaire de découvrir la puissance de feu de votre écriture. J'entends la voix de Maurice Jarre, qui était l'un de vos pères spirituels, disant « Ah, mais j'ai l'impression que là, Gabriel, il a trouvé son David Lean. » Parce qu'il y avait un parallèle entre le David Lean.
- Speaker #0
C'est vrai. Tous les deux étaient anglais. Enfin, Anthony, d'ascendance italienne. Mais tous les deux vraiment grands spécialistes de la musique, je dirais, et qui donnaient la liberté aux compositeurs de s'exprimer. De la place, de l'espace. Et qui, en échange, justement, en lui donnant de la place, lui donnaient l'exposition auditive, disons, pour que les spectateurs entendent les thèmes et n'ont pas des petits bouts tronqués d'un thème, comme c'est le cas sur Givago, comme c'est le cas sur Laurence d'Arabie. Et comme ça a été pour moi le cas avec Anthony Minghella sur Le Patient Anglais et sur Monsieur Ripley.
- Speaker #1
Le Patient Anglais, c'est le premier acte d'une collaboration en quatre temps. Et je pense que dans le deuxième film, Le Talentueux Monsieur Ripley, la nouvelle adaptation d'un roman de Patricia Highsmith que René Clément avait adapté en 59-60, avec Delon et Maurice Roulet, Plein Soleil. Dans ce film-là, vous avez écrit un thème absolument stupéfiant. Comment est-ce que vous êtes sur un récit de machination criminelle, une histoire de possession, sur une parabole sur l'identité, vous êtes arrivé à écrire cette berceuse nourrie d'harmonie vénéneuse.
- Speaker #0
Parce que depuis le début, Anthony m'a dit, ce n'est pas un thriller normal. Pour moi, qui est beaucoup de sympathie pour le personnage principal, donc Tom Ripley. Pour moi, c'est quelqu'un qu'on ne peut pas ne pas aimer. Simplement, il est paumé. Ce qu'il fait quand il tue, il en est presque inconscient. Et il est comme Claudie Kahn dans la vie. Et il est comme beaucoup d'entre nous, qui parfois sommes perdus. Il n'avait aucun jugement sur Tom Ripley, aucun mauvais jugement sur Tom Ripley. Et quand il m'a parlé de la musique... Il m'a dit, je voudrais qu'on retrouve dans la musique ce côté j'avance, je recule, j'avance, je recule, quelque chose qui soit boiteux. Et il y a une forme musicale qu'on appelle la syncope, où le temps fort est toujours décalé par rapport à là où il devrait être, c'est-à-dire à quatre temps sur le 1 et le 2. Et c'est comme ça que j'ai trouvé l'idée, donc j'ai écrit un morceau qui s'appelle Syncopies pour le film. J'ai écrit le thème, le thème principal du film, Au bout de mon travail, Anthony a eu une idée, il a dit si on faisait une chanson ensemble, je vais écrire un texte sur tes syncopes. Mais les syncopes faisaient ça. Ça c'est ce qu'on appelle le thème qu'on appelait syncopise. Et il a écrit un texte sulfureux. qui est une berceuse que Ève chante à son fils Cain, après qu'il ait tué son frère, en lui disant « Je sais que tu as tué ton frère, mais dors, mon fils, dors » . Et moi je trouve que, d'abord, en général on met toujours les chansons à la fin d'un film et elles n'ont rien à voir avec le film. Là c'est une chanson qui commence le film et qui d'une certaine manière, très poétique, raconte l'histoire du film sans jamais donner de détails. Et je pense vraiment, après Le patient anglais, qui était une collaboration très fructueuse, mais très difficile aussi pour moi. Le film Ripley est un film que je trouve magnifique. Pour moi, c'est un chef-d'œuvre. Je l'ai vu en quatre heures, et vraiment, c'est un film qui aurait dû sortir en quatre heures, et pas comme il est sorti en deux heures et quelques. J'étais à l'Île-aux-Moines à l'époque, Anthony venait me voir souvent, on parlait de musique, et quand je lui ai présenté le thème, il m'a dit « c'est exactement ce que je veux, voyons tout ce qu'on peut tirer de ce thème-là » . Le thème était fait de vague qui était jouée soit par les bois, soit par les cordes, un accompagnement qui était constant, qui faisait ça. Voilà, c'était ça le thème. C'est rien en fait, c'est comme toujours une gamme descendance, comme dans Camille Claudel. Donc si vous voulez, ça c'est à peu près 7-8 mois de travail ensemble, mais pour moi un souvenir très très important parce que chaque fois que je travaille avec Anthony Minghella, et ça se manifeste dans ce film, nous n'allons pas du tout dans le même sens que le film précédent. Lui sur le plan du sujet, du tournage, de l'élaboration d'un film, et moi sur le plan musical. C'est quelqu'un qui m'a emmené dans des territoires chaque fois inconnus.
- Speaker #1
Ripley dit quasiment le contraire du Patient Anglais, et Carl Montaigne dit le contraire de Ripley, tout comme Breaking and Entering par réfraction dira le contraire de Carl Montaigne ensuite.
- Speaker #0
J'ai pu vraiment découvrir plein d'aspects de moi que je ne connaissais pas grâce à lui. Et chaque fois, il m'a ouvert la porte. Chaque fois, il me facilitait la composition. Il l'a accueilli. Il ne l'a jamais rejeté, en fait. Il me disait simplement, je ne pense pas. Jamais rien d'agressif. Travailler dans ces conditions pour un compositeur, c'est vraiment tellement agréable. Nous devrions toujours être dans des situations comme celle-ci. Toujours.
- Speaker #1
Il y a un très beau moment dans le documentaire que vous consacre Pascale Cuénot où Anthony Minghella vous compare à Meryl Streep.
- Speaker #0
Ah oui, au début je ne comprenais pas, mais maintenant je comprends mieux.
- Speaker #1
C'est-à-dire qu'il dit que Gabriel est un compositeur de composition. Tout comme Meryl Streep est une comédienne de composition. Et il faut juste le pousser à explorer des territoires vierges de lui-même.
- Speaker #0
Oui, tout en restant soi-même. Parce que je pense que Meryl Streep est toujours Meryl Streep quoi qu'elle fasse. Et c'est probablement parce qu'elle a cette profondeur en elle-même. Moi, je pense que je lui dois beaucoup d'avoir été chercher tous ces territoires qui dormaient en moi et qui n'ont jamais été exploités.
- Speaker #1
Il y a ce thème dans Crazy Tom qui est un peu comme un thème cousin qui descend de la folie des dogues, d'une certaine façon, et qu'un cinéaste qu'on adore, Jean-Paul Rapeneau, il va s'en enticher pour ce film qui s'appelle Bon Voyage, dont vous écrivez la musique, et vous découvrez le film au montage, en musique temporaire, une musique de vous, qui est ce thème de replay. Comment est-ce qu'on fait pour à la fois respecter l'attente de Rapeneau, et puis en même temps, ne pas s'auto-décalcomanier ?
- Speaker #0
Ça a été très délicat, mais juste pour dire que d'abord, ça a été vraiment un plaisir infini de travailler avec Jean-Paul. C'est vraiment un réalisateur qui est très rare, d'ailleurs. Tous ses films sont de purs chefs-d'œuvre. Il est perfectionniste jusqu'au boutiste. Et quand on a commencé à travailler ensemble sur Bon Voyage, il avait posé cette musique de Crazy Tom de M. Ripley. Et il m'a montré pourquoi sur la scène. Effectivement, ça marchait du tonnerre. Mais comment faire pour se reproduire sans se reproduire ? Disons que je me suis un tout petit peu copié sur le principe même de la construction. C'est-à-dire que dans M. Ripley, il y avait une constante de violoncelle qui disait la rythmique. Même chose un peu comme dans La Folie des Docs, des étagements de cellules rythmiques différentes. pour... Crazy Fred, parce que j'ai accepté qu'on l'appelle Crazy Fred. Je suis parti du même principe, mais j'ai essayé de m'éloigner quand même un peu.
- Speaker #1
Rhythmiquement ?
- Speaker #0
Rhythmiquement, oui. Déjà rythmiquement, et sur le plan thématique aussi. Oui, j'ai essayé de m'échapper de ce « joue » imposé par moi-même à moi-même. Et évidemment, ce n'est pas la même tonalité, ce n'est pas exactement le même thème, c'est même loin d'être le même thème. Et la cellule de base...
- Speaker #1
Le patient anglais Ripley, sur l'Oscar, vous a valu un tsunami de demandes nord-américaines. Comment vous les avez gérés ? Et quel rapport vous avez entretenu, vous qui êtes Libanais installé en France, avec l'industrie hollywoodienne ?
- Speaker #0
Étrangement, quand je travaillais avec Saul Zins, Ce n'était pas exactement une industrie hollywoodienne. Le réalisateur italien-anglais, la production en Europe et parfois en Afrique du Nord, Mr Ripley en Italie. Disons que Cold Mountain était vraiment typiquement américain. Mais en ce qui concerne la production, ça reste toujours plutôt New York et européen. Après l'Oscar, j'ai reçu beaucoup de propositions. Les Américains ont un mot qui exprime tout à fait ce que moi j'ai ressenti. Pigeonholed. Pigeonholed, ça veut dire j'ai été mis dans un trou de spécialisation. Je suis spécialiste des films lyriques, d'histoires d'amour qui finissent mal. Et donc, pendant quatre ans, j'ai reçu des propositions qui ne ressemblaient qu'à ça. Que ça, vraiment. Je me souviens le premier film, Message in a Bottle, dans lequel Kevin Costner meurt à la fin. City of Angels, dans lequel Meg Ryan meurt à la fin. Autumn in New York, dans lequel Winona Ryder meurt à la fin. Et j'ai dit stop, je ne peux pas continuer comme ça. J'aimerais qu'on sache que vraiment, non pas qu'on sache que je sais faire autre chose, mais qu'on me propose autre chose. Ça n'a jamais été possible, sauf, je dirais, le cinéma indépendant. comme Robert Altman, à New York, ou Paul Schrader, avec qui j'ai travaillé. Mais dans l'ensemble, c'était un peu ça.
- Speaker #1
Niel La Bute aussi.
- Speaker #0
Niel La Bute, oui, pour Possession. Mais je me souviens d'un film que j'avais beaucoup aimé, sur lequel j'avais beaucoup aimé collaborer avec le réalisateur, Brad Silberling, qui s'appelle City of Angels, qui est un remake des Ailes du Désir de Wim Wenders. Et là, vraiment, j'ai travaillé à Londres, donc j'avais toute latitude. Et je me souviens d'avoir écrit une musique qui me... qui enfin me rappelait que je peux faire autre chose simplement que des thèmes lyriques. Je peux écrire pour des guitares, faire des choses qui sonnent un peu brésiliennes parfois, parce que j'ai adoré le Brésil quand j'y étais et j'y suis resté deux ans.
- Speaker #1
Je voudrais qu'on écoute cette balade pour deux guitares et percussions.
- Speaker #0
J'avais complètement écrite, vraiment. Elle n'était pas facile à jouer, il y avait deux guitares, une percussion, exactement, oui.
- Speaker #1
Et dans un esprit à la fois romantique et folk.
- Speaker #0
Oui, celle-là.
- Speaker #1
Mais est-ce que vous avez hésité, à un moment donné, à vous installer à Los Angeles ?
- Speaker #0
Je n'ai pas hésité, malgré les conseils de mon agent de l'époque américain, qui me disait, si tu es là, tu vas faire 4-5 films par an. ton cachet va augmenter chaque fois. En fait, dès le début, je ne me suis jamais destiné à devenir compositeur de musique de film. Et je n'avais pas envie de quantité. j'avais envie de qualité si j'étais dans la musique de film c'est surtout pour le bonheur de rencontrer des hommes ou des femmes qui font des films de rencontrer des acteurs, des actrices et d'évoluer d'un projet à un autre ou en tous les cas de changer d'un projet à un autre de plus comme c'est peut-être une chose toute mineure mais je ne conduis pas et vivre à Los Angeles quand on ne conduit pas c'est absolument impossible. Et puis, je ne m'y sentais pas bien. Donc, je suis revenu en France et j'ai continué à travailler un peu avec le métier hollywoodien.
- Speaker #1
Mais en enregistrant à Londres.
- Speaker #0
En enregistrant à Londres, voilà. Et de plus en plus, je me suis orienté vers Paris, le Canada, comme avec Xavier Dolan.
- Speaker #1
Il y a un poète du cinéma d'animation qui est venu vous chercher pour ce qui était à l'époque sûrement son projet le plus ambitieux. Ce cinéaste s'appelle Michel Oslo et ce film s'appelle Azur et Asmar. Et là aussi, c'est un film sur la confrontation de deux cultures, et qui plus est, à travers le temps, puisque le film court sur 25 ans.
- Speaker #0
Oui. Avant de travailler avec Michel Oslo, j'avais eu une très belle expérience avec René Lallot. Oui,
- Speaker #1
Gandard, Ernest le Vampire. Voilà,
- Speaker #0
Gandard et Ernest le Vampire. Eh bien, je ne sais pas comment s'est fait notre rencontre. Je crois que ce sont les productions Nord-Ouest qui ont conseillé à Michel Oslo de me rencontrer. Il travaillait avec Manu Dibango sur les films Kirikou. Et là, il fallait vraiment une musique plus importante, disons. Non pas que celle de Dibango ne l'était pas, mais disons plus orchestrale. Et puis, qui mieux qu'un oriental établi à Paris et qui fait des musiques de films serait le bon compositeur pour ce film. C'est marrant, quand j'ai rencontré Michel Oslo, en fait, il n'aime pas la musique. Il veut le minimum, surtout pas trop de musique dans un film. Au départ, il devait y avoir 10-15 minutes dans le film et ce n'est pas que je l'ai convaincu, c'est que je lui dis que vraiment, il en fallait plus. Parce qu'on travaille en animation, on a déjà le storyboard. En français, ça doit avoir un nom aussi. Le storyboard. Le storyboard, c'est un nom français. Et donc, en regardant le storyboard, je me disais, mais il faut plus que ça de musique. Alors, chaque fois que je faisais des maquettes, je lui faisais entendre les maquettes les plus parfaites possibles. Et il adhérait petit à petit. Et finalement, ce film est... est un film... qui contient beaucoup de musique. Déjà, une chanson, au départ. Une chanson à laquelle j'ai participé, non pas simplement comme compositeur, mais... Comme chanteur ! Comme chanteur, oui, monsieur.
- Speaker #1
Comme voix de djinn.
- Speaker #0
Oui, voilà, je suis le djinn. Je sentais qu'il se détendait petit à petit. Au départ, il n'était pas pour de la musique.
- Speaker #1
Il était crispé, il était...
- Speaker #0
Oui, oui, oui. Pour qui connaît Michel Oslo, c'est un grand artiste qui est très pudique et qui peut paraître... qui peut paraître... disons, taciturne ou muet, mais enfin ça travaille beaucoup dedans. Et quand il voit la nécessité d'une chose, si elle est artistiquement explicable, et je dirais même éthiquement explicable, parce qu'il est très attaché à ça, il adhère.
- Speaker #1
Mais vous, en tant que compositeur, est-ce que l'écriture en soi est différente quand on sait que ce ne sont pas des prises de vue réelles, que c'est de l'animation ?
- Speaker #0
Pas du tout. Pas du tout, simplement que contrairement à mes habitudes de travail, ou en tous les cas à ma manière de travailler qui n'est pas synchrone à la seconde près, là on est obligé vraiment de tenir compte du synchronisme. L'avantage c'est que ces musiques ayant été composées et maquettées à l'avance, finalement l'animation se fait sur la musique, et pas le contraire. Pas comme à l'époque de Scott Bradley, Milton Franklin et autres, où il fallait vraiment qu'ils suivent, mais au millième de seconde près.
- Speaker #1
Alors s'il y avait un morceau pour illustrer Azur et Asmar, et votre fraternité avec Michel Oslo, ce serait lequel ?
- Speaker #0
Je crois que c'est cette berceuse. Que vous attendiez à autre chose ?
- Speaker #1
Je ne m'attendais pas à autre chose, parce que j'adore votre album vocal comme chanteur, dans le V70, et c'est amusant de vous voir, grâce au cinéma, revenir au chant quelques décennies plus tard.
- Speaker #0
Oui, parce que c'est tellement simple. petit enfant deviendra grand je parle en arabe là En fait, c'est encore une fois une petite montée.
- Speaker #2
franchira les océans qui nous sauveront la moufée des djinns wa hou wa you fan les kori ateshen et tout est assuré mais on y a une vie c'est une vie Amen.
- Speaker #1
Quel est l'éventail des réactions de cinéastes que vous avez vécues en studio ? Rapeneau, qu'on évoquait tout à l'heure, disait « Quand arrive la musique, le metteur en scène a l'impression de confier les clés de son film à un autre créateur. »
- Speaker #0
Oui, beaucoup de réalisateurs pensent comme lui. Il y a ça d'abord, et puis il y a aussi la réalité des événements. C'est-à-dire que la musique arrive à un moment où le réalisateur n'a plus rien. Il n'a plus rien à faire. Le film est pratiquement terminé. Il ne reste plus qu'à mixer. Et donc, il est là vraiment en sorte de spectateur, auditeur. Ce n'est pas qu'il s'ennuie, mais il veut continuer à diriger. Il veut continuer à donner son commentaire, il veut continuer à réaliser en fait. Mais il y a des fois où c'est difficile, parce qu'il est face à quelqu'un qui connaît très très bien son métier, et lui ne le connaît pas. Lui ne connaît pas les arcanes de la musique, parfois il ne connaît pas le nom des instruments qu'il joue. J'ai eu de toutes les expériences, des expériences un peu saugrenues, comme des expériences assez difficiles.
- Speaker #1
Saugrenues dans quel sens ?
- Speaker #0
Dans le sens, c'est quoi l'instrument qu'il joue là-bas ? Je dis ça en coranglais. C'est quoi ce truc qui est là-bas ? C'est un violoncelle ? Ah bon, bon, je... Mais j'ai eu des expériences difficiles et j'ai eu des expériences incroyables de gens qui vraiment découvraient comme un pan de leur film qu'ils n'avaient jamais vu. Bon, il y en a qui sont un peu effrayés parce que tout le monde sait que la balance, l'équilibre quand on répète avec un orchestre et qu'on écoute en studio... n'est pas le même que celui qui restera une fois que la musique est mixée, et derrière les dialogues, derrière les sons, etc. J'ai remarqué que les réalisateurs qui étaient les plus, comment dire, pas seulement rassurés, mais les plus encourageants, étaient souvent ceux qui connaissaient la musique. Non pas qu'ils étaient lecteurs ou qu'ils jouaient du piano, mais qui avaient vraiment une culture musicale avancée. C'est-à-dire qu'ils n'ont pas écouté que des musiques de films. C'est surtout ça le problème. Quand un réalisateur ne connaît que les musiques de films, même s'il connaît toutes les musiques de films depuis 1930, s'il ne connaît pas Prokofiev ou Bartok ou Tchaïkovski ou Brahms ou Bach, ses références restent étroites. J'ai connu des réalisateurs très difficiles qui demandaient toujours qu'on enlève un instrument ou bien que l'instrument ne joue pas. Dans la mesure où c'était possible, sans complètement déstabiliser la musique et l'équilibre de la musique, je l'acceptais. Mais en général, comme je ne dirige pas, et pourquoi je ne dirige pas surtout, je ne dirige pas parce que je sais que les réalisateurs, au moment de l'enregistrement de la musique, sont très nerveux. Il faudrait que quelqu'un leur tienne la main et leur explique. J'ai décidé de jouer ce rôle, de rester en cabine et d'expliquer chaque fois ce qui se passe.
- Speaker #1
C'est-à-dire d'être cinéaste-sitter.
- Speaker #0
Voilà, exactement. Mais ce ne sont quand même pas des bébés, mais on a besoin de les réconforter et de les guider aussi.
- Speaker #1
Et c'est un gain de temps aussi, puisque du coup, le vrai son, il arrive dans la cabine. Il n'y a pas d'aller-retour à faire, à diriger, réécouter la musique.
- Speaker #0
Oui, d'abord, il n'y a pas ça. Et puis, il n'y a pas à parler dans le casque au compositeur, qui est complètement dans son affaire, qui est là pour diriger. Moi, j'ai trouvé ce moyen. Être au plus près possible, comme je le suis dans tout mon travail avec un réalisateur ou une réalisatrice, au plus près possible et au plus longtemps possible s'il le faut.
- Speaker #1
Vous, à vos débuts, vous avez eu face à vous Jean-Luc Godard, Robert Altman, Philippe De Broca, Robert Henrico, John Schlesinger. Et aujourd'hui, le rapport de génération s'est inversé quand vous avez face à vous Mai Wen, par exemple, ou Xavier Dolan.
- Speaker #0
Ou Jimmy. Jimmy K.
- Speaker #1
Ruse sur le dernier piano, par exemple. Oui,
- Speaker #0
ou Christos Massalas.
- Speaker #1
Comment vous vivez cette aversion générationnelle ?
- Speaker #0
Je la recherche, je crois. J'aime les jeunes réalisatrices et les jeunes réalisateurs parce que, d'abord, ils n'ont pas d'a priori trop restrictifs sur le type de musique qu'il faut, qu'ils vous font confiance. Et quand on vous fait confiance, vous avez envie, non pas de prendre des risques, mais de vous dépasser. Il y a ça. Il y a aussi, à part Xavier, Xavier Dolan est vraiment très dirigiste, disons. Mais avec la patience et le temps, on peut lui faire changer d'avis, non pas d'avis essentiels, parce que ce qu'il exprime, je l'écoute mais je l'interprète différemment.
- Speaker #1
Vous le digérez à votre façon.
- Speaker #0
Voilà, je le digère et je le restitue différemment. Nous avons eu cette discussion sur Juste la fin du monde. Anecdotiquement, il voulait une musique très répétitive et je ne voulais pas faire ça.
- Speaker #1
Vous n'aimez pas la musique répétitive ?
- Speaker #0
Non, je n'aime pas. Si, quand même, je trouve que la musique répétitive de Steve Reich est très intéressante. Mais en général, je n'aime pas la musique répétitive médiocre. Et elle est très utilisée en ce moment au cinéma. Effectivement, elle est rassurante, elle ne gêne rien. Xavier voulait de la musique répétitive et j'ai pris mon temps et je lui ai dit il y a une musique répétitive très intéressante qui est un prélude de Jean-Sébastien Bach tiré de Glavier Bentempéré, celle-ci en Do mineur. etc. Mais avant de faire la maquette et de la lui présenter, pour que ce soit un peu plus répétitif, j'ai répété chaque mesure deux fois. Et aussi parce que ça servait mon propos qui était détaché des contre-champs au-dessus de ce prélude. Et puis je lui ai fait entendre, et il était subjugué. Tout de suite, il a adhéré. En fait, il faut les écouter, mais il ne faut pas trop les écouter. Il faut les écouter si vraiment ils expriment quelque chose de très important, essentiel, pour leur film, mais pas si c'est référencé par d'autres musiques de film.
- Speaker #1
Ce que vous dites relève presque du paradoxe. C'est-à-dire qu'il faut à la fois tenir compte de l'attente du metteur en scène et lui tordre le cou.
- Speaker #0
Un peu, oui. Mais sans le brutaliser et puis sans perdre de vue l'essentiel.
- Speaker #1
Et donc ce thème que vous avez appelé au départ « Bac à glace » en hommage à Jean-Sébastien et Philippe est devenu un moment clé de ce film dans lequel...
- Speaker #0
Qui finit le film, pratiquement.
- Speaker #1
Par rapport justement à ces cinéastes du Nouveau Monde avec lesquels vous travaillez aujourd'hui, est-ce que vous aimeriez aussi qu'ils vous poussent vers ces autres langages que vous adorez, c'est-à-dire la musique pop, la musique funk, la musique soul, etc. Je sais que vous adorez ça.
Oui, j'adore ça, mais je ne sais pas, personne ne m'a jamais demandé, à part Bennex parfois, dans 37.2, mais personne ne pense que je suis aussi un rythmicien, que j'adore les choses qui swing, que j'aime Marvin Gaye, Stevie Wonder, les Beatles, que j'aime les belles mélodies, que j'aime le jazz, les gens ne pensent pas. Si, Chouraqui, avec Les marmottes, j'ai pu exprimer ce goût que j'ai pour le jazz. Donc en fait, j'aimerais bien que cette jeune génération, qu'ils sachent que non pas que je suis infiniment cultivé, mais qu'il y a beaucoup d'aspects dans ma musique qui n'ont jamais été exploités et que j'aimerais leur offrir. C'est marrant de dire du monde du nouveau monde, moi je dirais que le monde nouveau, oui. J'aimerais bien que le monde nouveau pour moi soit. Dans votre actualité liée au festival de Cannes... En 2022, il y a l'ouverture dans la quinzaine des réalisateurs avec un film, et on va terminer là-dessus, mais un film qui s'appelle L'Envol, et ce film inverse une tendance un peu malheureuse aujourd'hui, qui fait que dans les films, quand on a besoin de chansons, aujourd'hui, on recycle des chansons préexistantes. Ce film est un film avec une partition originale et avec des chansons à 100% originales, que vous avez écrites spécialement et qui sont interprétées par les comédiens du film.
- Speaker #0
Pietro Marcello est venu me voir avec son producteur. C'est lui qui m'a choisi. On lui avait proposé plusieurs compositeurs et il m'a choisi. Pietro est un Napolitain, ce n'est pas un Italien comme il dit. Il a un sens très développé de la musique, sans être lui-même musicien. Il aime Bach, comme j'aime Bach. Il aime beaucoup la musique russe, moi aussi. Et il a adapté, d'après un roman russe qui s'appelle Les Voiles écarlates, il a écrit un scénario pour le film L'Envol. Quand il est venu me voir, il me dit « Moi j'aimerais beaucoup avoir des musiques pour le tournage, des chansons, et j'aimerais bien aussi avoir des musiques pour le film avant le tournage. » Tout ce que j'aime. Mais à ce moment-là, quand il est venu me voir, il y avait beaucoup de chansons. Je crois que je n'ai jamais passé autant de temps sur un film. Là, ça bat tous les records. Quoi,
- Speaker #1
14 mois ?
- Speaker #0
14 mois, oui. 14 mois pendant lesquels je n'ai pratiquement fait que ça. C'est-à-dire que j'ai assisté à la naissance d'un film, à sa construction, à sa déconstruction et à sa reconstruction. Il y avait beaucoup de chansons, il y en a beaucoup moins. Il y avait d'autres musiques, j'ai changé. J'ai suivi Pietro comme si j'étais, comme je suis d'ailleurs, son co-auteur. Et lui a monté, remonté, il a changé le sens du film. Ce qu'il y a de très particulier chez lui, c'est cette poésie qui se dégage de chaque plan, de chaque image. L'économie dans les dialogues, la lenteur. Mon Dieu, mon Dieu que la lenteur manque complètement au cinéma actuel. On va de plus en plus vite, on n'a plus le temps de se retourner, l'image va tellement vite. Et là, j'ai retrouvé quelque chose qui est de la beauté pure, qui est poétique, qui est inspirant, qu'on peut regarder tranquillement et dont on peut se nourrir pratiquement. C'est lent, mais c'est tellement grand en même temps.
- Speaker #1
Et bien voilà, pour terminer ce second podcast et pour évoquer aussi, non pas le présent, mais presque le futur de Gabriel Yared, avec notamment ces cinéastes que vous évoquez, Jimmy K. Roos. Christophe Massalas Valérie Donzelli. Demain On va terminer avec une chanson que vous avez choisie, une chanson qui est issue de l'envol de Pietro Marcello et qui s'intitule L'hirondelle est un texte écrit par Juliette Jouan,
- Speaker #0
l'actrice du film qui a 21 ans, c'est son premier film c'est elle qui a écrit le texte c'est elle qui chante aussi elle a une très belle voix, très pure et cette chanson finit le film Donc, je n'ai pas l'impression de dévoiler quoi que ce soit.
- Speaker #1
Merci, Gabriel.
- Speaker #0
Merci, Stéphane.
- Speaker #2
Je voudrais m'en aller avec toi Bien loin, bien loin d'ici Voir s'éloigner la terre, parcourir les cieux et attirer d'elle le parti à la peinture. Fouguer vers la lumière, le risque rage dans la douceur des nuages. Je dois quitter mon horizon, voir d'autres rivages. Les rondelles, les yeux noirs, les rondelles, je t'aime. Je venais danser dans une course, voler à pleine vitesse. Comme un trône Dans mon emballe Je vais séduire le soleil Le monde en bas Et trop étroit Les étoiles m'appellent