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Épisode 2 : Where The Bands Are Partie 1 cover
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Badlands : l'histoire de Bruce Springsteen

Épisode 2 : Where The Bands Are Partie 1

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48min |14/03/2025
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Description

Dans ce second épisode, nous allons explorer la période 1964-1968, durant laquelle Bruce apprend la guitare et intègre ses premiers groupes, dont les Castiles.


Retrouvez la playlist Spotify pour accompagner ce second épisode : https://open.spotify.com/playlist/0VebZOWtiyPyHRIej42lvI?si=0ccf477af86644c7


Les sources utilisées pour ce podcast :

  • Bruce Springsteen, Born To Run, Éditions Albin Michel (2016)

  • Marc Dufaud, Bruce Springsteen : une vie américaine, Éditions Camion Blanc (2010)

  • Peter Ames Carlin, Bruce, Éditions Sonatine (2013)

  • Hughes Barrière, Bruce Frederick Springsteen, Éditions Castor Astral (2013)

  • Clinton Heylin, E Street Shuffle: The Glory Days of Bruce Springsteen and the E Street Band, Éditions Viking Adult (2013)

  • Le site internet http://brucebase.wikidot.com/



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Badlands, l'histoire de Bruce Springsteen. Je suis Julien Debray et je suis heureux de vous retrouver pour ce second épisode dans lequel on évoquera l'adolescence et des tout premiers groupes dans lesquels Bruce Springsteen a joué à cette époque. Vous êtes dans Badlands et je vous souhaite une bonne époque. Nous sommes en septembre 1963. Le jeune Bruce Springsteen fait son entrée au lycée régional de Freehold. Loin de l'atmosphère stricte de l'école catholique de Saint-Rose-of-Lima, où il a étudié jusqu'alors, il goûte à une liberté nouvelle. Pourtant, cette sensation n'est qu'un leurre. Il réalise rapidement que l'empreinte du catholicisme ne disparaîtra pas si facilement. Malgré son éloignement des pratiques religieuses, il sent toujours son influence en lui, ancrée au plus profond de son être. Ce changement d'établissement ne transforme d'ailleurs en rien son rapport à l'école. Vos reste en marge des autres élèves détachés, indifférents aux études. Il perçoit l'école comme une contrainte oppressante, rejetant aussi bien les cours que la discipline et la pression académique. Ce sentiment de mal-être, il l'évoquera des années plus tard dans la chanson « No Surrender » , où il explique avoir plus appris avec une chanson de trois minutes que toutes ses années sur les bancs de l'école. D'ailleurs, c'est précisément à cette période que la musique prend une place essentielle dans sa vie. Alors que l'école lui semble stérile et sans issue, la musique devient quant à elle son refuge, son moyen d'évasion, son véritable salut. Les années 1960 marquent un tournant pour la musique populaire et Bruce Springsteen s'en imprègne avec une grande curiosité. Chez lui, la radio est une présence constante, allumée chaque matin par sa mère, Adele. La station de radio W. New diffuse sans relâche les nouveautés du moment, offrant au jeune Bruce une ouverture sur un univers musical alors en pleine effervescence. En l'absence d'un système hi-fi au domicile familial, la radio devient sa principale source de découverte. Comme beaucoup de jeunes de son époque, il est fasciné par Elvis Presley. l'icône incontestée du rock'n'roll. Outre The King, ce sont les groupes féminins new-yorkais qui le captivent, les Ronettes, les Crystals ou les Chiffons. Autant de formations qui enchaînent les tubes et façonnent peu à peu sa sensibilité musicale. Il se passionne également pour Roy Orbison, dont La Voix Puissante et Les Balades Envoûtantes le marquent profondément, ainsi que Chuck Berry, l'un des pionniers du rock'n'roll et un storyteller de génie. Bruce n'a que 12 ans, en 1961, lorsqu'il réunit ses maigres économies pour acheter son tout premier disque. un EP de Dusty Rhodes, chanteur méconnu reprenant les titres d'Elvis Presley. A cette époque, Elvis est dans sa période hollywoodienne. Loin de la foule de ses débuts avec Hound Dog, Blue Sweet Shoes ou Jailhouse Rock, il enchaîne désormais des morceaux plus lisses, pensés pour accompagner ses films. Malgré tout, certains titres continuent de résonner chez Bruce, comme I Can't Help Falling In Love ou Follow That Dream, des chansons qu'il reprendra des années plus tard lors de la tournée The River en 1980 et 1981. A l'été 1961, Bruce Springsteen et sa sœur Jenny raffolent également du titre de Chubby The Twist. En août de la même année, Adele réunit ses économies pour emmener ses deux aînés à la Rainbow Room d'Atlantic City. Un plateau exceptionnel réunissant Freddy Cannon, les Shirelles, Bobby Riddle et Chubby . Le tout animé par le présentateur vedette Dick Clark. Le jeune Bruce est hypnotisé par la performance de Chaker, capable à la fois de danser, de chanter et d'interpréter à la perfection sa chanson favorite du moment. Cet été-là, le virus de la musique s'empare définitivement de Bruce Springsteen. Vivant entre New York et Philadelphie, il a accès à une grande diversité de stations de radio qui émettent grâce aux longues ondes, ce qui lui permet de découvrir une variété de styles musicaux. Il est particulièrement séduit par les stations de rhythm and blues de Philadelphie, qui lui ouvrent de nouveaux horizons sonores. Un morceau en particulier, South Street des Horlons, devient un de ses favoris, d'autant plus qu'il porte le nom de la rue des Springsteen. La surf-musique également se ferait un chemin jusqu'à dans le Lou Jersey, d'abord avec la reprise d'Homicide Lou par Dick Dale et The Dead Domes, mais aussi les premiers succès radiophoniques des Beach Boys qui inondent les ondes avec leur musique débridée et fun, subtil mélange entre le rock'n'roll originel et le doo-wop. Au début de l'année 1964, Bruce Springsteen vit une véritable révolution musicale qui dépasse même la découverte d'Elvis Poesley 7 ans plus tôt. Alors qu'il est sur le siège passager de la voiture conduite par sa mère Adele dans les rues de South Street, La radio diffuse une nouvelle sensation venue d'Angleterre, les Beatles. Originaire de Liverpool, le groupe mené par Paul McCartney, John Lennon, George Harrison et Ringo Starr vient de sortir son premier album aux Etats-Unis, Mythes de Beatles. Stupéfait, Bruce entend pour la première fois la puissance des harmonies de I Wanna Hold Your Hand, l'un des premiers singles de cet album. Le choc est si fort qu'il supplie sa mère de s'arrêter dans un bowling pour qu'il puisse appeler sa petite amie de l'époque et lui demander si elle a entendu cette musique révolutionnaire. Quelques jours plus tard, le 7 février 1964, les Fab Four atterrissent à l'aéroport JFK de New York, marquant leur premier pas sur le sol américain. Une foule de plus de 4000 fans, en totale effervescence, les accueillent comme des messies. Deux jours après, le 9 février, ils apparaissent dans le Ed Sullivan Show avant d'y revenir une semaine plus tard. 73 millions d'états-uniens, soit près de 40% de la population de l'époque, regardent ce moment d'histoire sous les ondes de NBC. Parmi eux, Bruce et sa mère devant le petit écran du salon, se délectant des interprétations de All My Loving ou She Loves You. La Beatlemania déferle alors sur les Etats-Unis. Elle captive une jeunesse en quête d'espoir, à peine trois mois après l'assassinat de John Philgeral Kennedy. Comme des milliers d'autres adolescents, Bruce Springsteen devient un fan inconditionnel des Beatles. Chaque semaine, il écoute religieusement le Top 20 pour découvrir les nouveaux singles, et passe des heures à fouiller dans les kiosques à journaux, en quête de nouveaux articles sur son groupe préféré. Mais pour lui, l'impact de ce groupe dépasse largement la simple admiration. Leur musique est une vraie révélation, un exutoire face à une vie qui lui semble déjà toute tracée. Il trouve dans le rock'n'roll un moyen de s'évader, de rêver, et surtout de se connecter à une communauté qui partage ses émotions et ses aspirations. L'arrivée des Beatles aux Etats-Unis ne représente pas seulement un phénomène musical. C'est un tournant culturel majeur et pour Bruce, un déclic qui va profondément transformer sa vie. Les Rolling Stones, The Animals, The Kings, Herman Hermits, Manfred Mann et un peu plus tard The Woo bouleversent la scène musicale américaine. Moins inaccessible qu'un Elvis Presley déjà auréolé de son statut de star, ces groupes incarnent une nouvelle dynamique. Ils prouvent aux jeunes qu'il est possible de percer dans la musique en partant de rien. simplement avec du talent, de l'énergie et une attitude rebelle. Cette effervescence inspire toute une génération d'adolescents, y compris ceux qui deviendront les compagnons de route de Springsteen. En juin 1964, Steven Van Zandt découvre les Rolling Stones sur scène, une révélation qui le pousse dès le mois d'août de la même année à fonder son propre groupe de surf-musique, le Wild Wings. Bien que l'aventure ne soit que de courte durée, il persévère et crée successivement The Mates en 1965 puis The Shadows en 1966. De son côté, Danny Federici, alors âgé de 14 ans et accordéoniste dans The Legend, vit un déclic en voyant Alan Price des Animals interpréter The House of the Rising Sun. Fasciné par la puissance et la richesse des sonorités, il décide de troquer son accordéon pour les claviers et rejoint en 1966 The Storytellers, amorçant ainsi son propre parcours musical. Chez Bruce, cette vague musicale venue d'Angleterre ravive une envie profonde. Apprendre enfin à jouer les guitares. Cet été-là, il se donne les moyens d'acquérir son premier instrument en multipliant les petits boulots. Il s'occupe du jardin de sa tante Dora, mais cela ne suffit pas à financer son projet. Déterminé, il convainc une voisine de le laisser repeindre sa maison en entier, et avec l'aide de son ami Mike, il s'attèle même au goudronnage de son toit. Après un été éprouvant, il parvient enfin à réunir les 18 dollars nécessaires pour s'offrir cette guitare acoustique, repérée depuis des semaines dans la boutique Western Audio, sur Main Street. En complément, il achète un livre de partition regroupant les 100 plus grands classiques de la folk américaine, bien décidé à s'initier sérieusement. Pourtant, comme lors de sa première tentative 8 ans plus tôt, l'apprentissage se révèle laborieux. Pendant des semaines, il gratte son instrument sans parvenir à en tirer quoi que ce soit de mélodieux. L'explication viendra finalement de son cousin, qui lui fait remarquer que la guitare n'est pas accordée. Il lui montre alors ses premiers accords, mais l'instrument est loin d'être idéal. Bruce se souvient d'un manche épais comme un tasseau de bois, et des cordes si dures qu'elles semblaient être en fil de fer. Malgré ses débuts chaotiques, il s'accroche, bien décidé à faire de la musique son moyen d'expression. L'apprentissage de la guitare par Bruce tourne rapidement au cauchemar pour son père, Doug. L'ami de Bruce, Bobby Duncan, se souvient de longues heures passées dans sa chambre, à lui tenir une partition pendant qu'il répétait inlassablement ses enchaînements d'accords. Régulièrement, la voix de Doug résonne dans la maison, excédée par ses sons maladroits. Il ne veut plus entendre ce machin. Heureusement, il peut compter sur le soutien de sa mère, Adele, qui continue de l'encourager dans sa passion, convaincue qu'il doit suivre sa propre voix. A la fin de l'année 1964, Bruce accompagne d'ailleurs sa mère au magasin de musique de la ville. pour lui montrer l'objet de ses rêves. Une guitare électrique Kent, noire et or, exposée en vitrine, pendue avec son ampli pour 69 dollars. Avec ses lignes anguleuses et sa finition éclatante, cet instrument lui promet enfin le son puissant qu'il désire tant. Pour contribuer à son achat, il revend le billard qu'il avait reçu au Noël précédent, persuadé à l'époque qu'il hériterait du talent de son père pour ce jeu. Malgré les finances modestes de la famille, Adèle contracte un crédit à court terme auprès de la Household Finance Company. qu'elle sollicite habituellement pour boucler les fins de mois difficiles ou financer des vacances en famille. Dux s'oppose fermement à cette décision, mais cette fois-ci, il n'a pas son mot à dire. Le jour de Noël 1964, Bruce découvre émerveillé sa précieuse guitare sous le sapin. Ce cadeau marque un tournant. Il ne le sait pas encore, mais cette guitare Kent sera le premier véritable jalon de son parcours musical. Très vite, la guitare devient bien plus qu'un simple passe-temps pour Bruce. C'est une véritable obsession. Il passe des heures à s'exercer, apprenant les accords, s'attaquant aux gammes et s'essayant même à quelques solos rudimentaires. Son premier véritable accomplissement est l'apprentissage complet de Twist and Shout, un morceau des Aisley Brothers popularisé par les Beatles en 1963. Mais au-delà de la technique, l'instrument lui apporte quelque chose de plus profond. Devant son miroir, il se surprend à adopter des postures de guitariste, explorant ce que la musique lui permet d'exprimer. La guitare entre les mains, il se sent enfin libre, en phase avec lui-même. Des années plus tard, en 1975, il confiera à Newsweek que la première fois où il s'est senti en paix avec lui-même, c'était avec une guitare entre les mains. Outre les Beatles, les Animals vont également influencer le jeune artiste en herbe. Leur musique, brute et engagée, résonne en lui d'une manière particulière. En 1976, il rendra hommage à ce groupe en reprenant sur scène « It's my life » et « We gotta get out of this place » , deux morceaux qui expriment une rage et une urgence qui lui parlent intimement. En 2012, il confiera que la musique des Animals lui a fait découvrir une conscience de classe qu'il n'avait jamais perçue auparavant. Pour la première fois, il entend des chansons qui reflètent une réalité sociale proche de la sienne. Leur texte parle d'oppression, de frustration et d'un besoin vital d'évasion, des sentiments qu'il ne connaît que trop bien. Bruce apprécie également que The Animals ne ressemblent en rien aux idoles pop lises et impeccables de l'époque. Aucun membre du groupe n'étant particulièrement séduisant, même Eric Burdon, leur chanteur, malgré son costume, ressemble plus à un bagarreur de pub qu'à une star glamour. Cette authenticité le touche et le conforte dans l'idée que le rock peut être un exutoire, un moyen d'expression pour ceux qui viennent d'un milieu modeste. Dans cette effervescence musicale, il élargit encore ses influences. Il découvre Manfred Mann et The Searchers. mais aussi le groupe nord-irlandais ZEN mené par Von Morrison, qui marque l'histoire du rock garage avec des hymnes comme Gloria ou I Can Only Give You Everything. Chaque nouvel artiste, chaque nouvelle chanson renforce un peu plus son désir de faire de la musique son propre langage. La passion grandissante de Bruce pour la musique creuse un fossé toujours plus profond entre lui et son père. Sensible et rêveur, l'adolescent se sent en total décalage avec cette figure d'autorité rigide qui incarne à ses yeux une vie de travail monotone et de rêve brisé. Doug Springsteen ne comprend pas cet intérêt dévorant pour la musique et encore moins pour cette quête d'évasion qui anime son fils. Pour lui, Bruce devrait se préparer à un avenir plus concret, plus conforme aux valeurs de travail et de sacrifice qu'il estime essentielles. Mais à mesure que Bruce découvre des artistes qui lui offrent une autre vision du monde, il s'éloigne encore davantage de son père. It's my life des Honeymoles devient presque un manifeste personnel. Cette chanson lui fait comprendre qu'une autre voie est possible, que son destin ne doit pas nécessairement ressembler à celui de son père. À travers la musique, il entrevoit l'espoir d'une vie plus grande, plus libre. À la maison, la tension est permanente. Chaque soir, Doug s'installe à la table de la cuisine, un pack de bière à portée de main, enchaînant les cigarettes dans une atmosphère lourde et oppressante. Ces moments deviennent de théâtres de confrontations répétées. Le père interroge le fils sur sa vie et ses choix, avec une insistance qui vire souvent à l'affrontement verbal. Beau se sent piégé dans un cycle de disputes incessantes, incapable d'expliquer ses aspirations, sans déclencher la colère paternelle. Cette relation conflictuelle laissera une empreinte à Daily Bill sur son œuvre. À travers ses chansons, il exprimera cette frustration, ce besoin d'échapper à un modèle imposé, cette volonté farouche de tracer son propre chemin, envers et contre tout. Loin de s'arranger, la situation se tend encore davantage à mesure que Bruce tente d'intégrer des formations musicales. A la maison, son père voit d'un mauvais œil cette obsession qui, selon lui, le détend des responsabilités et de l'avenir qu'il devrait préparer. Mais pour Bruce, il n'y a plus de retour en arrière possible. Chaque instant libre est consacré à la guitare, à l'écoute de disques ou à perfectionner ses connaissances musicales. C'est au club communautaire pour jeunes de Freehold où il passe du temps avec ses amis qu'il entend parler d'un groupe local, des Rogues. Alors, à la recherche d'un guitariste rythmique, il saisit sa chance. Il se présente à l'audition avec sa fidèle guitare Kent sous le bras et décroche le poste. Pendant une dizaine de jours, il répète sans relâche avec ses nouveaux compagnons, préparant leur premier concert rémunéré, une fête au Freehold X Club. Ce soir-là, il interprète fièrement Twist and Shout, le premier morceau qu'il a appris, devant un vrai public. Malgré quelques dates supplémentaires, notamment lors d'une fête privée et en première partie des Shovels au lycée de Freehold, l'expérience tourne au cours. L'alchimie ne prend pas, et ses camarades finissent par le rejeter, lui reprochant notamment son matériel trop médiocre pour le groupe. De retour chez lui, furieux et blessé, Bruce se réfugie dans sa chambre, et comme pour conjurer sa frustration, s'attèle à l'apprentissage d'un nouveau solo, celui de It's All Over Now des Rolling Stones de Circumstance. Malgré cet échec, le jeune guitariste persiste et continue à chercher une opportunité pour jouer dans un groupe. Cette persévérance finit par payer lorsqu'il entend parler d'une audition pour le groupe dans lequel joue le petit ami de sa sœur Ginny, George Tace. Le groupe en question, les Castiles, tire son nom d'une marque de shampoing très populaire auprès des adolescents de l'époque. Ils se sont formés au premier jour de l'été 1965 autour de George Tace, jeune guitariste élégant, à la fois menaçant et mystérieux. à la voix puissante et à la présence scénique incroyable pour son jeune âge. Il est accompagné de Bart Haynes à la batterie, Frank Marziotti à la basse, ainsi que Danny Highland aux percussions et au chœur. Les castilles commencent par répéter dans le salon des parents de Bart Haynes, aux grands dames des voisins, Gordon Tex Vinyard et de sa femme Marion, un couple sans enfant d'une trentaine d'années. Excédés par le bruit, ils finissent par venir frapper à la porte, bien décidés à se plaindre. Mais en découvrant ces lycéens passionnés, leur colère s'efface au profit d'une certaine curiosité. Tex entame la conversation avec les jeunes musiciens et leur demande si leur groupe est un projet sérieux. Emballé par leurs réponses, il leur propose immédiatement de les aider à professionnaliser leur démarche. Dès lors, Tex devient leur manager et met à disposition son propre salon comme local de répétition. Plus qu'un simple coup de main, il veut leur apporter une véritable structure, les faire progresser, leur trouver des engagements scéniques et bâtir un véritable plan de carrière. Par une soirée pluvieuse de juin, Bruce Springsteen se rend au 39 Center Street pour auditionner devant George Tace et Tex Vinyard. Complètement trempé avec ses bottes usées, il commence à jouer deux ou trois titres qu'il connaît parfaitement, mais sa timidité maladive est évidente. Il ne se laisse guider que par la musique, jouant les morceaux qu'il maîtrise sur le bout des doigts. Impressionné par son jeu malgré sa timidité, Vinyard et Tace échangent quelques mots et lui proposent de revenir une semaine plus tard pour jouer avec le groupe. Bruce profite de cette occasion pour apprendre davantage de titres et de se préparer au mieux pour cette prochaine audition. Le jour J, sa prestation de Twist and Shout captive totalement le groupe et il décroche enfin sa place dans la formation. Même si Tate se sépare de Jenny dans la foulée, il devient grand ami avec Bruce, qu'il vient réveiller chaque matin pour aller au lycée. Malgré les années, l'école est toujours un sacerdoce pour Bruce. Il passe le plus clair de son temps dans la salle de répétition du lycée, complètement absorbé et concentré sur la pratique de cet instrument qui l'obsède. Seuls quelques profs parviennent à le passionner, comme son prof d'anglais, qu'il influence grandement pour écrire ses premiers poèmes et chansons. Un autre artiste va également influencer le jeune Bruce dans sa volonté d'écrire ses propres textes. En cet été 1965, il découvre le dernier single de Bob Dylan, « Like a Rolling Stone » . Ce troisième choc musical est un nouveau tournant. Après Elvis Presley et les Beatles, la musique de Dylan lui offre une nouvelle approche musicale. L'artiste, lassé d'être perçu comme un simple chanteur folk, vient de bouleverser la musique populaire en passant d'une pop légère à un rock électrique puissant. Bruce se souvient précisément du moment où il entend le coup de caisse claire d'introduction de Like a Rolling Stone à la radio, alors qu'il est en voiture avec sa mère. Bien que celle-ci soit une amatrice de rock, elle juge que Dylan est incapable de chanter. Mais Bruce perçoit immédiatement qu'il vient d'entendre une voix unique, rugueuse, et il est totalement fasciné par l'univers de ce jeune artiste. Il se précipite pour acheter le single, puis l'album Highway 61 Revisited, qu'il écoute en boucle, captivé non seulement par la musique, mais aussi par l'image de Dylan en veste satinée et t-shirt triomphe sur la pochette. Des années plus tard, lors d'un concert en 1980, Bruce se souviendra que le son sortait d'un haut-parleur bon marché ce jour-là. Et même s'il n'avait pas compris toutes les paroles du couplet, il se souvient de cette question. « How does it feel to be on your own ? » Comment se sent-on quand on est tout seul qui résonne profondément en lui ? Cette question incarnait l'esprit rebelle d'une génération des années 60, une jeunesse incomprise et en décalage avec ses parents. Si le jeune guitariste n'a jamais été attiré par la période folk de Dylan, la puissance sonore de ses albums électriques, Brigaded, All Back Home, Highway 61 Revisited et Blonde Blonde, le Captive, il considère l'approche de Dylan comme révolutionnaire. Si Elvis a libéré les corps, Dylan, lui, a libéré les esprits. Il a prouvé que la musique n'était pas simplement physique, mais aussi intellectuelle, changeant ainsi la perception du rock'n'roll. A ses yeux, Dylan a montré qu'un artiste pouvait non seulement briser des conventions musicales, mais aussi innover sur le plan des idées, transformant la musique populaire en un vecteur de réflexion profonde. Les Castiles passent la majeure partie de l'été à répéter dans le salon des Vignardes, transformé en un véritable local de répétition. Cette fois-ci, Bo s'est déterminé à ne pas reproduire l'échec des Rose. Son éviction lui a laissé un goût amer, et il est plus motivé que jamais. Il passe ses nuits à écouter et à jouer, exploitant chaque instant libre pour perfectionner son jeu. Il n'a qu'un objectif, devenir le meilleur guitariste de la région. Peu à peu, son travail acharné porte ses fruits. Il gagne en aisance, développant son toucher et apprenant à se démarquer comme un soliste crédible. Malgré son absence totale de connaissances musicales, Tex Vinyard joue un rôle central dans la dynamique du groupe. Il dirige les répétitions avec une autorité naturelle, n'hésitant pas à les interrompre lorsqu'un morceau sonne faux, donnant des instructions précises et motivant les musiciens avec un enthousiasme contagieux. Il croit fermement en leur potentiel et n'hésite pas à les pousser toujours plus loin. De son côté, sa femme Marion joue un rôle tout aussi essentiel, endossant celui de la maman poule pour ses jeunes artistes. Elles veillent à leur bien-être, leur préparent des sandwiches et leur servent des sodas bon marché, créant ainsi une atmosphère chaleureuse et familiale. Les vineyards jouent un rôle clé dans l'ascension des Castilles. Comme tant d'autres figures de l'ombre du rock'n'roll, ils ouvrent leurs maisons, transportent le matériel, achètent des instruments et aménagent des espaces pour les répétitions. Ils deviennent le lien entre une génération d'adolescents rêveurs et celle des adultes, leur apportant un soutien financier et moral inestimable. A cette époque, les structures permettant aux jeunes groupes de se produire sont encore rares. Si des clubs indépendants dédiés aux adolescents émergent dès 1964, leur essor réel ne survient qu'en 1966, avant d'être rapidement éclipsé par la chaîne des Hula Baloo Teen Clubs. En parallèle, des institutions religieuses ou fraternelles, comme la Catholic House Organization ou la Elks Lodge organisent des teen parties, offrant aux jeunes musiciens quelques précieuses occasions de jouer en public. C'est dans ce contexte que les Castiles décrochent leur tout premier concert au Woodhaven Swim Club de Freehold. Nous sommes en juillet 1965 et ce soir-là le groupe empoche 35 dollars, une somme modeste mais assez significative pour ces jeunes musiciens. Si nous n'avons que très peu d'éléments concernant cette première date, Tex Vinyard confirme qu'il clôture leur performance avec une reprise du Glenn Miller Orchestra « In The Mood » . Ce premier succès leur ouvre d'autres portes. En août, ils enchaînent avec un concert au Blue Moon, une pizzeria située à Freewood Acres, ainsi que deux concerts à Saint-Rose-of-Lima, l'ancienne école catholique que Booth a quittée en 1963, après l'obtention de son certificat d'études. Quelques jours après, des castilles se produisent à L'Angle Inn, un parc de mobilhommes situé sur la route 33. Un grand barbecue y est organisé pour les résidents par un après-midi de septembre. Dans son autobiographie, Bruce Springsteen évoque ce concert comme la première véritable date des Castiles. Le groupe s'installe à l'ombre, sous l'avancée d'un petit garage, et joue devant une cinquantaine de personnes. Leur matériel est rudimentaire, une batterie, quelques amplis de guitare, dont un qui sert à sonoriser le micro du chanteur. Ce jour-là, il partage l'affiche avec un groupe local de 48, mené par une jeune chanteuse à peine âgée de 10 ans. Lorsque les Castilles investissent la scène, la magie opère. Une partie du public se met à danser sur les tables, portée par l'énergie brute de ces jeunes musiciens. Bien que la setlist exacte de ce jour-là demeure inconnue, Bruce se souvient de l'interprétation mémorable de George Tace sur You Turn Me Home de Ian Whitecomb et Bluesville et du final explosif sur Twist and Shout qui déclenche l'euphorie parmi l'assistance. Ce concert marque un tournant. Pour la première fois, les Castilles gouttent à la satisfaction d'avoir conquis un public, d'avoir su le faire danser et vibrer avec eux. Une archive retrouvée dans les affaires d'un des membres du groupe révèle une setlist datant d'octobre 1965, témoignant du répertoire du groupe à cette époque. Elle contient 27 morceaux, essentiellement les tubes du moment. Satisfaction is the last time des Rolling Stones. All day and all of the night des Kings. What I Say de Ray Charles ou encore I Got You Babe de Sonny Henshire qui avait dominé les charts cette année-là. A ces standards s'ajoutent des chansons des Yardbirds ou des Zombies, ainsi qu'une composition originale, Sidewalk, preuve que le groupe commence à s'aventurer vers la création de son propre univers. Si les Castiles consacrent une grande partie de son répertoire aux classiques de la British Invasion, Tex Vinyard tient à ce qu'il maîtrise aussi des morceaux plus intemporels comme In The Mood de Glenn Miller ou Moonweaver d'Henri Mancini. Côté apparence, Vignard prend les choses en main. Il finance et imagine les premières tenues de scène du groupe. Pantalons noirs, vestes brillantes, chemises blanches boutonnées jusqu'en haut. Une esthétique qui lasse vite les musiciens et qui les pousse vers un style plus extravagant. Bruce adopte un look entre le fils à papa et le blouson noir, avec ses chemises en mandra fermées jusqu'au cou, ses pantalons noirs moulants rentrés dans des bottes de cow-boy. Tess, lui, affiche un look de loup-barre, tandis que Paul Popkin ressemble à un boy scout. Bart Haynes, le jeune batteur de 17 ans, dégage un charisme brut entre Marlon Brando et une petite frappe du New Jersey. Mêtu d'un pantalon en satin, de chaussures italiennes impeccables, il affiche une longchalance assumée, cigarette au bout des lèvres. Tex Vinyard s'investit pleinement dans l'ascension des Castiles. Il leur trouve des engagements pour animer des balles d'adolescents, réquisitionne la camionnette de la station-service de Marzotti pour transporter le matériel, et les conduit lui-même dans sa Cadillac Bleu Ciel. Pendant les concerts, il gère le son depuis le fond de la salle. ajustant le volume d'un simple mouvement de pouce. Après chaque spectacle, il entraîne tout le monde chez Federici's pour manger une pizza, puis il distribue la paye, 5 dollars par tête en moyenne, puis il garde sa part après avoir soustrait le coût des repas et des sodas. Grâce à ses revenus, le groupe améliore son matériel. Ils achètent de nouveaux amplis, de nouveaux micros, de nouveaux haut-parleurs. Springsteen commence alors à gagner suffisamment d'argent pour ne plus dépendre financièrement de ses parents, qui lui laissent enfin plus de liberté de week-end. Malgré ce nouvel équilibre, son père, lui, reste inquiet pour son avenir. Il tente de prémunir son fils contre les désillusions du monde du travail. A l'époque, le chômage frappe de plein fouet la classe ouvrière et Doug en fait des frais. Freehold, autrefois ville dynamique, c'est un peu à peu après la fermeture de l'usine de tapis Carragogion, qui employait 400 ouvriers avant de délocaliser sa production en Caroline du Nord, attirée par une main-d'œuvre moins coûteuse. Avec elle, c'est toute l'économie locale qui vacille. Boutiques, restaurants, concessionnaires, les fermetures s'enchaînent. La ville sombre dans une longue agonie, marquée par l'amertume et la sensation d'une trahison collective. Ceux qui y avaient bâti leur vie se retrouvent abandonnés, leur loyauté aux entreprises locales non seulement ignorées, mais aussi piétinées. Face à ce naufrage, Douglas se réfugie de plus en plus dans l'alcool. Il veut préparer son fils à une existence aussi rude que la sienne, sans illusions ni faux espoirs. Pendant des années, leurs relations intriguent et inquiètent leur entourage. Certains évoquent des accès de violence, d'autres parlent plutôt d'une forme plus insidieuse de maltraitance, une dureté psychologique faite de silences lourds et de regards fuyants. Derrière son attitude sèche et distante, Doug reste un homme brisé, rongé par une honte qu'il n'a jamais su mettre en mots. Son propre échec le hante, mais face à son fils, il devient une présence oppressante. Mais plus que les reproches ou les disputes, ce qui fait le plus souffrir Bruce, c'est ce regard vide qu'il voit dans les yeux de son père chaque fois qu'il entre dans la cuisine. Mangé dans l'obscurité, avec un paquet de cigarettes et un pack de bière à portée de main, Doug reste impassible. Bruce, lui, espère un signe, un geste d'affection, ou ne serait-ce qu'un houchement de tête, mais il ne perçoit que de l'indifférence. Jusqu'à la fin de l'année 1965, les Castiles enchaînent une douzaine de concerts dans la région, jouant parfois dans des lieux improbables. L'un des plus marquants a lieu en octobre, à l'hôpital Marlboro, devant une poignée de passants de l'unité psychiatrique. Bruce racontera souvent cette anecdote. Un homme en costume présente le groupe et s'emballe dans un discours délirant de 20 minutes, annonçant qu'ils deviendront plus grands que les Beatles avant d'être évacués par le personnel médical. Quelques jours après ce concert, le 30 octobre, le batteur Bart Haynes quitte le groupe. Il s'engage volontairement dans la marine, persuadé qu'en devançant l'appel, il obtiendra une meilleure affectation et un meilleur grade. Il sait que le Vietnam l'attend. Son départ oblige les Castilles à trouver un remplaçant en urgence. C'est Vinnie Magnello qui le remplace au pied levé. L'année 1966 démarre avec de nouveaux engagements et des scènes toujours aussi variées. En février, il joue à la chambre du commerce de Freehold. mais aussi dans des pizzerias, lors de mariages ou encore dans des balles pour adolescents. Ils participent également à plusieurs concours de groupes locaux où la récompense varie, une somme d'argent ou une première partie pour un artiste en tournée. Ces événements deviennent des rendez-vous incontournables, offrant aux jeunes musiciens l'occasion de se mesurer les uns les autres et de tisser des liens au-delà du lycée et de leur ville. Le 22 avril, les Castiles prennent part à la Battle of the Band, un concept très en vogue à l'époque, organisé dans des gymnases ou des amphithéâtres. L'édition de cette année-là, orchestrée par le promoteur Norman Seldin, rassemble 25 groupes locaux au Roller Drome de Matawan. Chaque formation dispose de trois ou quatre titres pour convaincre le jury. L'enjeu est de taille. Le vainqueur aura l'opportunité d'ouvrir, une semaine plus tard, pour un plateau réunissant les Crystals, les Dovels et the Hadibs. Malgré une prestation solide, les Castiles ne se classent même pas parmi les trois premiers. La troisième place revient aux Blue Masters, la seconde à Sony and the Starfires, dont le batteur Vinnie Lopez croisera plus tard la route de Booth Springsteen. La victoire est attribuée aux Rogues, un groupe originaire de Middletown. En mai 1966, les Castiles montent pour la première fois sur la scène du Teen Devil, un club pour adolescents très en vogue depuis son ouverture en 1964 à New Shreibery. Ce lieu deviendra un des QG de Bruce qui s'y produira régulièrement jusqu'en 1969. Mais cette première date marque aussi la dernière apparition du bassiste Frank Marziotti. Plus âgé d'une bonne dizaine d'années que le reste du groupe, il n'apprécie pas qu'un gamin vienne lui demander, après le concert, s'il est le père de Bruce Springsteen. L'incident le vexe profondément et précipite son départ. Les auditions pour lui trouver un remplaçant se tiennent dans le salon des vineyardes. Après plusieurs essais, le groupe recrute Kurt Fleur. Avec ce nouveau line-up, les Castiles passent à l'étape supérieure. Le 18 mai 1966, ils enregistrent leur tout premier 45 tours dans les studios Mister Music, situés à Bridgetown, près du centre commercial local. Les deux morceaux sont des compositions originales de Bruce Springsteen et de George Tace. Baby High est une chanson légère qui parle de rupture, tandis que That's What You Got, en phase B, adopte un ton plus sombre, racontant l'histoire d'un homme dont les actes mènent à la mort prématurée de sa fiancée. La légende raconte que ces titres ont été écrits à la va-vite sur le trajet menant au studio et enregistrés en une seule prise. Seuls 7 ou 8 tests pressing en acétate sont produits et à peine la moitié d'entre eux survivront aux décennies suivantes. L'enregistrement se fait dans une pièce minuscule, mal adaptée aux instruments amplifiés. Dès que le volume monte, le son sature dans les micros. Ces studios ne sont tout simplement pas faits pour accueillir un groupe de rock. A cette période, Booth commence à prendre une place plus importante au sein des Castiles. Depuis le début de l'aventure, il se contente du rôle de guitariste rythmique, un poste qu'il trouvait d'abord très confortable. Mais sur scène, il sent une énergie nouvelle monter en lui, une envie irrépressible de capter l'attention. Petit à petit, il devient un véritable phénomène scénique. Le bassiste Kurt Fleur se souvient d'un Bruce encore timide en dehors de la scène, mais qui s'illuminait littéralement dès qu'il branchait sa guitare. Pourtant, ses camarades lui laissent encore peu d'espace au chant, persuadé qu'il n'a pas la voix pour ça. Malgré tout, au fil de l'année 1966, il finit par s'imposer. Il commence en reprenant du Bob Dylan avant que le groupe ne lui accorde quelques morceaux plus électriques comme My Generation de Wu ou Mystic High de Zem. Sur ces titres, sa fougue et son charisme explosent, annonçant déjà la bête de scène qui deviendra des années plus tard. Trois jours après l'enregistrement de ce premier 45 tours, les Castiles montent pour la première fois sur la scène du lycée de Freehold, leur propre lycée, à l'occasion du bal de promo des juniors. Le groupe affine progressivement son répertoire et commence à se faire un nom, jouant dans les beach clubs, les discothèques, les drive-ins, et même sur des scènes plus importantes. Le 2 juillet 1966, il participe à la soirée de lancement du Surf and Sea Club de Seabright, un club situé en bord de mer sur le territoire des fameux blousons dorés. Il joue en première partie des Rogues, un groupe qui commence à se faire un nom et qui est embauché comme groupe résident pour l'été. Ce show n'était pas du tout prévu, mais pour cette résidence, les Rogues ont pour mission de dénicher des groupes locaux pour assurer leur première partie. Séduits par l'audition des casties le matin même, ils les invitent à laisser leur matériel sur place et à ouvrir pour le concert du soir même. Le week-end suivant, un autre grand événement est organisé au Surf & Sea, animé par Gary Stevens, une personnalité incontournable de la radio new-yorkaise. Cinq artistes nationaux sont invités. Johnny Tillett Stone, The Jaffaive, Dean Parrish, The Times et The Shangri-Las. Les Rogues, qui avaient impressionné la direction du club lors de leur audition, sont de nouveau à l'affiche, accompagnés par d'autres groupes locaux comme The Victors et les Castiles. Ceux-ci jouent des sets très brefs de deux ou trois morceaux, mais Bruce, de plus en plus à l'aise, prend la scène d'assaut, grimpant sur les amplis pour haranguer la foule et marquer les esprits le temps de cette brève exposition. Cette prestation énergique leur permet de décrocher une nouvelle invitation le 14 août 1966, toujours au Surf & Sea, où ils joueront en première partie de Little Anthony. Une fois encore, le groupe impressionne et cette fois-ci, ils disposent de plus de temps pour séduire le public. Leurs prestations réussies poussent les programmateurs à les reprogrammer le 21 août en première partie des works, puis à nouveau le 17 septembre aux côtés des berries. Lors de cette date du 14 août au Surf & Sea, un autre groupe se distingue. Les Shadows, originaire de Middletown, une ville plus bourgeoise et moins ouvrière que Freehold, située à une trentaine de minutes de route. Parmi les musiciens, Steven Van Zandt, guitariste talentueux, fait ses armes. Booth et lui se sont rencontrés quelques mois plus tôt au Hula Baloo Club de Middletown et se sont rapidement liés d'amitié, devenant de véritables complices musicaux. Ils partagent une obsession commune pour les détails de leurs morceaux préférés et passent des heures à les disséquer, discutant de tout ce qui concerne de près ou de loin leur groupe fétiche. Ensemble, ils créent un univers musical à part, centré uniquement sur le rock'n'roll. Lorsque Van Zandt forme son nouveau groupe, The Source, Bruce irait les voir au Tendezvous. Van Zandt est connu à l'époque comme l'un des premiers adeptes du country rock, maîtrisant à la perfection le répertoire des Byrds ou des Youngbloods, bien avant que Bruce ne s'intéresse à ce genre musical. En parallèle, dès le mois de septembre 1966, les Castiles enrichissent leur son également en ajoutant un clavieriste, Bob Alfano, ancien membre des Rising Sun et élève au lycée de Freehold. Un samedi après-midi de répétition, dans le salon de Tex, le groupe prend une décision capitale. Ils ont compris que pour se faire remarquer, il leur faut absolument sortir du New Jersey. La région étant peu touristique, seuls les locaux ont l'opportunité de voir le groupe évoluer sur scène. En novembre 1966, Vignard décroche une audition au légendaire Café Wow de New York City, une salle emblématique du Greenwich Village, qui a vu le premier concert de Bob Dylan en 1961, ou encore des prestations enflammées de Jimi Hendrix. Lors de cette audition, le groupe joue devant Manny Rhodes, le propriétaire du lieu. Selon Tex Vinyard, c'est la reprise de My Generation des Wu, chantée par Bruce Springsteen, qui permet au groupe de décrocher un contrat. Ils se produiront ainsi une trentaine de fois dans cette salle mythique, jouant les samedis et les dimanches après-midi, une à deux fois par mois jusqu'en mars 1968. Malgré cette belle opportunité, les Castiles sont étonnés d'apprendre qu'ils ne seront pas payés pour ces concerts. Le café-wa leur offre en effet une opportunité de se produire et ils estiment que cela suffit pour mettre un pied à New York, dans la cour des grands, avec l'espoir qu'un des nicheurs de talent les repère et les prenne sous son aile. Les week-ends des jeunes musiciens commencent à être de plus en plus rythmés par leur virée à New York. Ils prennent la navette de Plymouth Hall, s'arrêtent à Port Authority et découvrent un tout nouvel univers. Un monde animé entre les hippies, les gays, les dealers, la faune du Washington Square Park. C'est un véritable exode pour les musiciens, un nouveau foyer loin de chez eux, bien loin de l'atmosphère étouffante et malsaine de leur région. Ils croisent également les figures d'oproux de la scène musicale de l'époque. Ils assistent aux concerts des Mothers of Invasion au Warwick Theater, juste au coin de la rue, et même à l'un des premiers concerts en solo de Neil Young pour la promotion de son premier album, Bitter Hand. Dans ce Greenwich Village, Bruce trouve une ambiance plus libre, plus ouverte. Il se sent chez lui, prêt à se révéler sans crainte d'être jugé. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'il reste dans la ville après les concerts, séchant les cours du lendemain. Il dort parfois à la Belle Étoile, dans la voiture d'un ami, ou même dans la chambre de tête d'un autre guitariste qui arrondit ses finements en dilant. C'est également à cette époque que les drogues commencent à devenir un problème dans les lycées du New Jersey. Bruce préférera toujours s'en tenir à l'écart, effrayé par les conséquences qu'elles pourraient avoir sur lui. A la fin de l'année 1966, le groupe enchaîne les concerts, dont des performances notables à Loulabaloo de Middletown et à l'American Hotel de Freehall le 23 décembre, lors d'une soirée Sweet Sixteen pour les lycéennes de la ville. Le début de l'année 1967 suit une dynamique similaire, avec deux concerts mensuels au Café Wao, des représentations au lycée d'O.L., à l'église Saint-Rose-of-Lima et une autre date à Loulabaloo de Middletown. L'année 1967 marque également un tournant culturel avec l'essor du psychédélisme et de la culture hippie menée par la musique des Doors ou du Jefferson Airplane. Les Castiles s'engouffrent dans la brèche. Bruce change de style, il adopte désormais des vêtements flashy, un motif floraux et se laisse pousser ses cheveux frisés. Lors du concert à l'église Saros of Lima, le groupe ajoute des stroboscopes, des fumigènes et divers effets visuels à son spectacle. Vers la fin de l'année, ils reprendront des morceaux des Doors comme Break on Through ou The End, s'imprégnant pleinement de l'univers psychédélique de ce groupe majeur. Cependant, ce changement d'apparence et d'attitude accentue leur rejet par les conservateurs de Freehold, avec qui le courant passe très mal. Bruce, tout comme nombre de ses amis musiciens, se sent marginalisé, perçu comme un véritable paria dans sa propre ville. Le 9 juin 1967, 5 des 6 membres du groupe obtiennent leur diplôme de fin d'études, tandis qu'Alfano a encore un an de lycée devant lui. Il se reproduise au Senior Firewall Dance, la soirée de fin d'année organisée par le lycée. Mais l'ambiance n'est pas forcément à la fête pour Bruce. Il a passé cette dernière année dans un isolement presque total, ignoré par ses camarades qui tentent désormais de l'exclure de la cérémonie des remises des diplômes prévues 10 jours plus tard. Une de ses professeurs prend publiquement position contre lui, critiquant son apparence et incitant la classe à refuser sa présence à la remise des diplômes, jugeant ses cheveux longs comme un symbole de rébellion qui discréditerait toute la promotion. Afin d'éviter cette humiliation supplémentaire, Boo se réveille aux aurores ce jour-là et emprunte la navette qui le met à l'aise. mène jusqu'au Greenwich Village. Il passe la journée à Flaneda Washington Square, ou à faire un arrêt au Café Wa, où il rencontre une jeune fille. Ses parents, inquiets, réussissent à le joindre par téléphone au club et lui promettent d'oublier tout ça s'il revient immédiatement chez eux, où famille et amis l'attendent pour célébrer l'obtention de son diplôme. Booth rentre en début de soirée accompagné de sa nouvelle copine. Son père Doug est furieux, il l'attend et ramène la jeune demoiselle à la gare routière. Il ordonne à Booth de se rendre directement dans sa chambre où il dévisse et confisque toutes les ampoules, laissant son fils dans le noir pour réfléchir à ses erreurs. Booth finira par récupérer son diplôme quelques jours plus tard après ce nouvel affrontement avec son père. Le conflit entre le père et le fils va encore s'intensifier avec un accident de moto qui va ajouter de l'huile sur le feu. Alors qu'il rentre chez lui sur une petite moto Yamaha, Wu s'est renversé par une cadillac qui le percute à la jambe. Il est éjecté 6 ou 7 mètres plus loin sur le bitume, sans casque de sécurité, pas obligatoire à l'époque. Il reste sans connaissance pendant 30 minutes, jusqu'à son arrivée à l'hôpital situé dans la ville de Neptune. Aux urgences, les médecins doivent lui découper son jean, tant la jambe est enflée. Certains médecins se moquent de lui à cause de sa coupe de cheveux et dès le lendemain, il refuse de soigner son traumatisme crânien. De retour à la maison, l'avocat censé le défendre, Billy Doyle, futur maire de Freehold, est tellement écoeuré par sa dégaine qu'il affirme qu'à la place du juge, il le déclarait lui-même coupable, rien que pour son look. Furieux de passer pour un père indigne devant une connaissance qu'il estime, Doug profite que Bruce soit immobilisé pour faire venir un coiffeur qui libérera son fils de ses mèches indignes. Le jeune homme est furieux et hurle à son père qu'il le déteste pour la seule fois de son existence. Comme si cela ne suffisait pas, il doit limiter ses performances sur scène afin de ne pas aggraver son traumatisme crânien. Il passe ainsi l'essentiel de son été à cogiter. Le 16 septembre, le groupe inaugure malgré tout un nouveau club de freehold destiné aux 13-18 ans, The Left Foot, dans les locaux de l'église épiscopale de la ville. Ils sont soutenus par Purple Dynasty en ouverture et chaque groupe joue deux sets de 30 minutes. Le club, ouvert par les révérends George Erickson et Fred Coleman, accompagné de deux lycéens, ne tiendra que sept mois, mais les Castiles auront le temps d'y s'y produire une seconde fois. Les deux apparitions ont été enregistrées par le manager du club sur un appareil à bande de bonne qualité. La setlist, composée de 13 titres, représente l'intégralité du concert des Castiles, composée uniquement de reprises. Bien que Booth ait été engagé en tant que guitariste rythmique deux ans plus tôt, Il semble clair qu'il soit devenu le point central du groupe puisqu'il chante quasiment l'intégralité du set, hormis Eleanor Rigby des Beatles, See My Friend des Kings et The Steve Songs de Bruce Project, chanté par George Stace. Bruce y interprète notamment Fire et Purple Haze de Jimi Hendrix, You Can Judge About by the Cover de Bo Diddley et Suzanne de Leonard Cohen. Deux semaines plus tard, le groupe remet le couvert dans le même lieu avec un répertoire différent. George Tate assure le chant principal sur « With a little help from my friend the Beatles » « Saint-Francisian Night » d'Eric Burden and the Animals, puis le later des Box Top. Bruce chante quant à lui « Hey Joe, my generation des Woo » « Wake me, shake me » des Coasters et les rappels de la soirée « To love somebody » des Bee Gees. Lors de ce concert, Bruce chante également une composition originale « Mr. Jones » composée par le clavieriste Bob Alfano « A look into my window » . autre création originale sur laquelle il partage le micro avec George Tace. Un mois plus tard, le groupe apprend avec stupeur que Bart Haynes, le premier batteur des Castiles, engagé volontaire, a été tué sous une pluie de tirs de mortier dans une embuscade tendue par les soldats nord-vietnamiens. Après l'obtention de son diplôme de fin d'études en juin 1966, il avait rejoint la marine en octobre de la même année, avant d'être envoyé au Vietnam en avril 1967, où il perdit la vie six mois plus tard, à l'âge de 19 ans. Les Castiles, de leur côté, passent le reste de l'année 1967 et le début de l'année 1968 à partager leur temps entre le Café-Ois jusqu'en mars, le Tendezvous de New Shrubbery, l'Océan Surf Club de Seabright ou encore les différents Oulabaloo de Freehold et de Middletown. A la maison, le conflit entre père et fils atteint des sommets. Mais Doug rêve désormais d'un ailleurs. Après des années de dépression dans cette région industrielle, il veut partir aussi loin que possible, à l'autre bout du pays, en Californie. Adele n'est pas forcément enchantée par cette idée. Ginny, leur grande-fille, vient d'avoir son premier enfant, mais Doug n'en démore pas et se dit prêt à partir sans sa femme. L'idée fera son chemin, mais pour lui, son avenir n'est plus dans le New Jersey. En mai 1968, Booth fait seule l'ouverture du Broad Street Coffee House de Red Bank dans le New Jersey. Conçu pour offrir une scène aux auteurs-compositeurs-interprètes qui pullulent en cette fin des années 60, surfant sur la vague de talent du Greenwich Village, le club embauche chanteurs, groupes de rock et organise des soirées open mic. Ce premier concert en formule acoustique permet à Booth de présenter ses chansons folk écrites entre fin 1967 et début 1968, des compositions qui ne trouvent que la vie. pas leur place dans le set électrique des Castiles. Les 15 titres interprétés seront également joués dans ce même lieu durant d'autres spectacles en 1968, dont Alone, co-écrite avec Norman Luck, le leader des Purple Dynasty, puis A Winter Revelation, Crystal Clouds, The War Song et Death of a Good Man. Ces compositions s'inscrivent dans un registre proche de Tim Buckley, Leonard Cohen, Bob Dylan et Donovan. Bruce reviendra avec son groupe au moins à trois reprises lors de l'été 1968, entre des dates au casino de Long Branch, au Tendezvous ou l'Houlabaloo de Freehold. Les mois s'enchaînent et semblent se répéter. Les Castiles ne parviennent pas à percer et continuent de fouler inlassablement les mêmes planches. La résidence au Café Was est terminée au mois de mars et ils doivent de nouveau se contenter des scènes du New Jersey. Les deux têtes pensantes, George Tate et Bruce Springsteen, ne s'entendent plus aussi bien qu'à leur début et ne s'adressent quasiment plus la parole. s'engueulant même sur scène à quelques reprises. Le groupe songe à se séparer. Le fossé se creuse, notamment avec les premiers concerts en solo de Bruce, qui a envie d'explorer d'autres voies. Le destin va aider le groupe à prendre cette lourde décision. Durant la première semaine d'août 1968, une descente de police gigantesque réveille les quartiers de Freehold à 4h du matin. Le coup de filet surprend la ville, qui n'a jamais rien connu de telle. Depuis quelques mois, la drogue a envahi la ville. marijuana, LSD, champignons, amphétamines, tranquillisants, cocaïne, speed, Vinnie Magnello, Paul Popkin et Kurt Fleur se font choper durant cette descente. Pour Bruce et Tace, c'en est trop et le groupe se sépare officiellement après un dernier show au Tinday-Woo le 10 août 1968. George Tace rejoindra pour sa part le groupe local Rusty Chain. Bob Alfano et Vinnie Magnello formeront Sunny Jim tandis que Kurt Fleur et Paul Popkin rangeront définitivement les instruments au placard. Booth, de son côté, récupérera les engagements des Castiles et s'y produira avec le nouveau groupe qui se dessine dans sa tête. Nous allons nous quitter après cette aventure des Castiles qui aura duré de juin 1965 à août 1968. Vous trouverez dans la description de cet épisode les sources ayant servi à la création de ce podcast, ainsi qu'une playlist Spotify pour accompagner ce second épisode. C'était Julien et j'espère que vous avez apprécié ce voyage dans le temps. N'hésitez pas à partager et noter ce podcast sur votre application favorite. On se retrouve dans deux semaines pour le troisième épisode de Badlands, l'histoire de Bruce Springsteen. A très vite !

Description

Dans ce second épisode, nous allons explorer la période 1964-1968, durant laquelle Bruce apprend la guitare et intègre ses premiers groupes, dont les Castiles.


Retrouvez la playlist Spotify pour accompagner ce second épisode : https://open.spotify.com/playlist/0VebZOWtiyPyHRIej42lvI?si=0ccf477af86644c7


Les sources utilisées pour ce podcast :

  • Bruce Springsteen, Born To Run, Éditions Albin Michel (2016)

  • Marc Dufaud, Bruce Springsteen : une vie américaine, Éditions Camion Blanc (2010)

  • Peter Ames Carlin, Bruce, Éditions Sonatine (2013)

  • Hughes Barrière, Bruce Frederick Springsteen, Éditions Castor Astral (2013)

  • Clinton Heylin, E Street Shuffle: The Glory Days of Bruce Springsteen and the E Street Band, Éditions Viking Adult (2013)

  • Le site internet http://brucebase.wikidot.com/



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Badlands, l'histoire de Bruce Springsteen. Je suis Julien Debray et je suis heureux de vous retrouver pour ce second épisode dans lequel on évoquera l'adolescence et des tout premiers groupes dans lesquels Bruce Springsteen a joué à cette époque. Vous êtes dans Badlands et je vous souhaite une bonne époque. Nous sommes en septembre 1963. Le jeune Bruce Springsteen fait son entrée au lycée régional de Freehold. Loin de l'atmosphère stricte de l'école catholique de Saint-Rose-of-Lima, où il a étudié jusqu'alors, il goûte à une liberté nouvelle. Pourtant, cette sensation n'est qu'un leurre. Il réalise rapidement que l'empreinte du catholicisme ne disparaîtra pas si facilement. Malgré son éloignement des pratiques religieuses, il sent toujours son influence en lui, ancrée au plus profond de son être. Ce changement d'établissement ne transforme d'ailleurs en rien son rapport à l'école. Vos reste en marge des autres élèves détachés, indifférents aux études. Il perçoit l'école comme une contrainte oppressante, rejetant aussi bien les cours que la discipline et la pression académique. Ce sentiment de mal-être, il l'évoquera des années plus tard dans la chanson « No Surrender » , où il explique avoir plus appris avec une chanson de trois minutes que toutes ses années sur les bancs de l'école. D'ailleurs, c'est précisément à cette période que la musique prend une place essentielle dans sa vie. Alors que l'école lui semble stérile et sans issue, la musique devient quant à elle son refuge, son moyen d'évasion, son véritable salut. Les années 1960 marquent un tournant pour la musique populaire et Bruce Springsteen s'en imprègne avec une grande curiosité. Chez lui, la radio est une présence constante, allumée chaque matin par sa mère, Adele. La station de radio W. New diffuse sans relâche les nouveautés du moment, offrant au jeune Bruce une ouverture sur un univers musical alors en pleine effervescence. En l'absence d'un système hi-fi au domicile familial, la radio devient sa principale source de découverte. Comme beaucoup de jeunes de son époque, il est fasciné par Elvis Presley. l'icône incontestée du rock'n'roll. Outre The King, ce sont les groupes féminins new-yorkais qui le captivent, les Ronettes, les Crystals ou les Chiffons. Autant de formations qui enchaînent les tubes et façonnent peu à peu sa sensibilité musicale. Il se passionne également pour Roy Orbison, dont La Voix Puissante et Les Balades Envoûtantes le marquent profondément, ainsi que Chuck Berry, l'un des pionniers du rock'n'roll et un storyteller de génie. Bruce n'a que 12 ans, en 1961, lorsqu'il réunit ses maigres économies pour acheter son tout premier disque. un EP de Dusty Rhodes, chanteur méconnu reprenant les titres d'Elvis Presley. A cette époque, Elvis est dans sa période hollywoodienne. Loin de la foule de ses débuts avec Hound Dog, Blue Sweet Shoes ou Jailhouse Rock, il enchaîne désormais des morceaux plus lisses, pensés pour accompagner ses films. Malgré tout, certains titres continuent de résonner chez Bruce, comme I Can't Help Falling In Love ou Follow That Dream, des chansons qu'il reprendra des années plus tard lors de la tournée The River en 1980 et 1981. A l'été 1961, Bruce Springsteen et sa sœur Jenny raffolent également du titre de Chubby The Twist. En août de la même année, Adele réunit ses économies pour emmener ses deux aînés à la Rainbow Room d'Atlantic City. Un plateau exceptionnel réunissant Freddy Cannon, les Shirelles, Bobby Riddle et Chubby . Le tout animé par le présentateur vedette Dick Clark. Le jeune Bruce est hypnotisé par la performance de Chaker, capable à la fois de danser, de chanter et d'interpréter à la perfection sa chanson favorite du moment. Cet été-là, le virus de la musique s'empare définitivement de Bruce Springsteen. Vivant entre New York et Philadelphie, il a accès à une grande diversité de stations de radio qui émettent grâce aux longues ondes, ce qui lui permet de découvrir une variété de styles musicaux. Il est particulièrement séduit par les stations de rhythm and blues de Philadelphie, qui lui ouvrent de nouveaux horizons sonores. Un morceau en particulier, South Street des Horlons, devient un de ses favoris, d'autant plus qu'il porte le nom de la rue des Springsteen. La surf-musique également se ferait un chemin jusqu'à dans le Lou Jersey, d'abord avec la reprise d'Homicide Lou par Dick Dale et The Dead Domes, mais aussi les premiers succès radiophoniques des Beach Boys qui inondent les ondes avec leur musique débridée et fun, subtil mélange entre le rock'n'roll originel et le doo-wop. Au début de l'année 1964, Bruce Springsteen vit une véritable révolution musicale qui dépasse même la découverte d'Elvis Poesley 7 ans plus tôt. Alors qu'il est sur le siège passager de la voiture conduite par sa mère Adele dans les rues de South Street, La radio diffuse une nouvelle sensation venue d'Angleterre, les Beatles. Originaire de Liverpool, le groupe mené par Paul McCartney, John Lennon, George Harrison et Ringo Starr vient de sortir son premier album aux Etats-Unis, Mythes de Beatles. Stupéfait, Bruce entend pour la première fois la puissance des harmonies de I Wanna Hold Your Hand, l'un des premiers singles de cet album. Le choc est si fort qu'il supplie sa mère de s'arrêter dans un bowling pour qu'il puisse appeler sa petite amie de l'époque et lui demander si elle a entendu cette musique révolutionnaire. Quelques jours plus tard, le 7 février 1964, les Fab Four atterrissent à l'aéroport JFK de New York, marquant leur premier pas sur le sol américain. Une foule de plus de 4000 fans, en totale effervescence, les accueillent comme des messies. Deux jours après, le 9 février, ils apparaissent dans le Ed Sullivan Show avant d'y revenir une semaine plus tard. 73 millions d'états-uniens, soit près de 40% de la population de l'époque, regardent ce moment d'histoire sous les ondes de NBC. Parmi eux, Bruce et sa mère devant le petit écran du salon, se délectant des interprétations de All My Loving ou She Loves You. La Beatlemania déferle alors sur les Etats-Unis. Elle captive une jeunesse en quête d'espoir, à peine trois mois après l'assassinat de John Philgeral Kennedy. Comme des milliers d'autres adolescents, Bruce Springsteen devient un fan inconditionnel des Beatles. Chaque semaine, il écoute religieusement le Top 20 pour découvrir les nouveaux singles, et passe des heures à fouiller dans les kiosques à journaux, en quête de nouveaux articles sur son groupe préféré. Mais pour lui, l'impact de ce groupe dépasse largement la simple admiration. Leur musique est une vraie révélation, un exutoire face à une vie qui lui semble déjà toute tracée. Il trouve dans le rock'n'roll un moyen de s'évader, de rêver, et surtout de se connecter à une communauté qui partage ses émotions et ses aspirations. L'arrivée des Beatles aux Etats-Unis ne représente pas seulement un phénomène musical. C'est un tournant culturel majeur et pour Bruce, un déclic qui va profondément transformer sa vie. Les Rolling Stones, The Animals, The Kings, Herman Hermits, Manfred Mann et un peu plus tard The Woo bouleversent la scène musicale américaine. Moins inaccessible qu'un Elvis Presley déjà auréolé de son statut de star, ces groupes incarnent une nouvelle dynamique. Ils prouvent aux jeunes qu'il est possible de percer dans la musique en partant de rien. simplement avec du talent, de l'énergie et une attitude rebelle. Cette effervescence inspire toute une génération d'adolescents, y compris ceux qui deviendront les compagnons de route de Springsteen. En juin 1964, Steven Van Zandt découvre les Rolling Stones sur scène, une révélation qui le pousse dès le mois d'août de la même année à fonder son propre groupe de surf-musique, le Wild Wings. Bien que l'aventure ne soit que de courte durée, il persévère et crée successivement The Mates en 1965 puis The Shadows en 1966. De son côté, Danny Federici, alors âgé de 14 ans et accordéoniste dans The Legend, vit un déclic en voyant Alan Price des Animals interpréter The House of the Rising Sun. Fasciné par la puissance et la richesse des sonorités, il décide de troquer son accordéon pour les claviers et rejoint en 1966 The Storytellers, amorçant ainsi son propre parcours musical. Chez Bruce, cette vague musicale venue d'Angleterre ravive une envie profonde. Apprendre enfin à jouer les guitares. Cet été-là, il se donne les moyens d'acquérir son premier instrument en multipliant les petits boulots. Il s'occupe du jardin de sa tante Dora, mais cela ne suffit pas à financer son projet. Déterminé, il convainc une voisine de le laisser repeindre sa maison en entier, et avec l'aide de son ami Mike, il s'attèle même au goudronnage de son toit. Après un été éprouvant, il parvient enfin à réunir les 18 dollars nécessaires pour s'offrir cette guitare acoustique, repérée depuis des semaines dans la boutique Western Audio, sur Main Street. En complément, il achète un livre de partition regroupant les 100 plus grands classiques de la folk américaine, bien décidé à s'initier sérieusement. Pourtant, comme lors de sa première tentative 8 ans plus tôt, l'apprentissage se révèle laborieux. Pendant des semaines, il gratte son instrument sans parvenir à en tirer quoi que ce soit de mélodieux. L'explication viendra finalement de son cousin, qui lui fait remarquer que la guitare n'est pas accordée. Il lui montre alors ses premiers accords, mais l'instrument est loin d'être idéal. Bruce se souvient d'un manche épais comme un tasseau de bois, et des cordes si dures qu'elles semblaient être en fil de fer. Malgré ses débuts chaotiques, il s'accroche, bien décidé à faire de la musique son moyen d'expression. L'apprentissage de la guitare par Bruce tourne rapidement au cauchemar pour son père, Doug. L'ami de Bruce, Bobby Duncan, se souvient de longues heures passées dans sa chambre, à lui tenir une partition pendant qu'il répétait inlassablement ses enchaînements d'accords. Régulièrement, la voix de Doug résonne dans la maison, excédée par ses sons maladroits. Il ne veut plus entendre ce machin. Heureusement, il peut compter sur le soutien de sa mère, Adele, qui continue de l'encourager dans sa passion, convaincue qu'il doit suivre sa propre voix. A la fin de l'année 1964, Bruce accompagne d'ailleurs sa mère au magasin de musique de la ville. pour lui montrer l'objet de ses rêves. Une guitare électrique Kent, noire et or, exposée en vitrine, pendue avec son ampli pour 69 dollars. Avec ses lignes anguleuses et sa finition éclatante, cet instrument lui promet enfin le son puissant qu'il désire tant. Pour contribuer à son achat, il revend le billard qu'il avait reçu au Noël précédent, persuadé à l'époque qu'il hériterait du talent de son père pour ce jeu. Malgré les finances modestes de la famille, Adèle contracte un crédit à court terme auprès de la Household Finance Company. qu'elle sollicite habituellement pour boucler les fins de mois difficiles ou financer des vacances en famille. Dux s'oppose fermement à cette décision, mais cette fois-ci, il n'a pas son mot à dire. Le jour de Noël 1964, Bruce découvre émerveillé sa précieuse guitare sous le sapin. Ce cadeau marque un tournant. Il ne le sait pas encore, mais cette guitare Kent sera le premier véritable jalon de son parcours musical. Très vite, la guitare devient bien plus qu'un simple passe-temps pour Bruce. C'est une véritable obsession. Il passe des heures à s'exercer, apprenant les accords, s'attaquant aux gammes et s'essayant même à quelques solos rudimentaires. Son premier véritable accomplissement est l'apprentissage complet de Twist and Shout, un morceau des Aisley Brothers popularisé par les Beatles en 1963. Mais au-delà de la technique, l'instrument lui apporte quelque chose de plus profond. Devant son miroir, il se surprend à adopter des postures de guitariste, explorant ce que la musique lui permet d'exprimer. La guitare entre les mains, il se sent enfin libre, en phase avec lui-même. Des années plus tard, en 1975, il confiera à Newsweek que la première fois où il s'est senti en paix avec lui-même, c'était avec une guitare entre les mains. Outre les Beatles, les Animals vont également influencer le jeune artiste en herbe. Leur musique, brute et engagée, résonne en lui d'une manière particulière. En 1976, il rendra hommage à ce groupe en reprenant sur scène « It's my life » et « We gotta get out of this place » , deux morceaux qui expriment une rage et une urgence qui lui parlent intimement. En 2012, il confiera que la musique des Animals lui a fait découvrir une conscience de classe qu'il n'avait jamais perçue auparavant. Pour la première fois, il entend des chansons qui reflètent une réalité sociale proche de la sienne. Leur texte parle d'oppression, de frustration et d'un besoin vital d'évasion, des sentiments qu'il ne connaît que trop bien. Bruce apprécie également que The Animals ne ressemblent en rien aux idoles pop lises et impeccables de l'époque. Aucun membre du groupe n'étant particulièrement séduisant, même Eric Burdon, leur chanteur, malgré son costume, ressemble plus à un bagarreur de pub qu'à une star glamour. Cette authenticité le touche et le conforte dans l'idée que le rock peut être un exutoire, un moyen d'expression pour ceux qui viennent d'un milieu modeste. Dans cette effervescence musicale, il élargit encore ses influences. Il découvre Manfred Mann et The Searchers. mais aussi le groupe nord-irlandais ZEN mené par Von Morrison, qui marque l'histoire du rock garage avec des hymnes comme Gloria ou I Can Only Give You Everything. Chaque nouvel artiste, chaque nouvelle chanson renforce un peu plus son désir de faire de la musique son propre langage. La passion grandissante de Bruce pour la musique creuse un fossé toujours plus profond entre lui et son père. Sensible et rêveur, l'adolescent se sent en total décalage avec cette figure d'autorité rigide qui incarne à ses yeux une vie de travail monotone et de rêve brisé. Doug Springsteen ne comprend pas cet intérêt dévorant pour la musique et encore moins pour cette quête d'évasion qui anime son fils. Pour lui, Bruce devrait se préparer à un avenir plus concret, plus conforme aux valeurs de travail et de sacrifice qu'il estime essentielles. Mais à mesure que Bruce découvre des artistes qui lui offrent une autre vision du monde, il s'éloigne encore davantage de son père. It's my life des Honeymoles devient presque un manifeste personnel. Cette chanson lui fait comprendre qu'une autre voie est possible, que son destin ne doit pas nécessairement ressembler à celui de son père. À travers la musique, il entrevoit l'espoir d'une vie plus grande, plus libre. À la maison, la tension est permanente. Chaque soir, Doug s'installe à la table de la cuisine, un pack de bière à portée de main, enchaînant les cigarettes dans une atmosphère lourde et oppressante. Ces moments deviennent de théâtres de confrontations répétées. Le père interroge le fils sur sa vie et ses choix, avec une insistance qui vire souvent à l'affrontement verbal. Beau se sent piégé dans un cycle de disputes incessantes, incapable d'expliquer ses aspirations, sans déclencher la colère paternelle. Cette relation conflictuelle laissera une empreinte à Daily Bill sur son œuvre. À travers ses chansons, il exprimera cette frustration, ce besoin d'échapper à un modèle imposé, cette volonté farouche de tracer son propre chemin, envers et contre tout. Loin de s'arranger, la situation se tend encore davantage à mesure que Bruce tente d'intégrer des formations musicales. A la maison, son père voit d'un mauvais œil cette obsession qui, selon lui, le détend des responsabilités et de l'avenir qu'il devrait préparer. Mais pour Bruce, il n'y a plus de retour en arrière possible. Chaque instant libre est consacré à la guitare, à l'écoute de disques ou à perfectionner ses connaissances musicales. C'est au club communautaire pour jeunes de Freehold où il passe du temps avec ses amis qu'il entend parler d'un groupe local, des Rogues. Alors, à la recherche d'un guitariste rythmique, il saisit sa chance. Il se présente à l'audition avec sa fidèle guitare Kent sous le bras et décroche le poste. Pendant une dizaine de jours, il répète sans relâche avec ses nouveaux compagnons, préparant leur premier concert rémunéré, une fête au Freehold X Club. Ce soir-là, il interprète fièrement Twist and Shout, le premier morceau qu'il a appris, devant un vrai public. Malgré quelques dates supplémentaires, notamment lors d'une fête privée et en première partie des Shovels au lycée de Freehold, l'expérience tourne au cours. L'alchimie ne prend pas, et ses camarades finissent par le rejeter, lui reprochant notamment son matériel trop médiocre pour le groupe. De retour chez lui, furieux et blessé, Bruce se réfugie dans sa chambre, et comme pour conjurer sa frustration, s'attèle à l'apprentissage d'un nouveau solo, celui de It's All Over Now des Rolling Stones de Circumstance. Malgré cet échec, le jeune guitariste persiste et continue à chercher une opportunité pour jouer dans un groupe. Cette persévérance finit par payer lorsqu'il entend parler d'une audition pour le groupe dans lequel joue le petit ami de sa sœur Ginny, George Tace. Le groupe en question, les Castiles, tire son nom d'une marque de shampoing très populaire auprès des adolescents de l'époque. Ils se sont formés au premier jour de l'été 1965 autour de George Tace, jeune guitariste élégant, à la fois menaçant et mystérieux. à la voix puissante et à la présence scénique incroyable pour son jeune âge. Il est accompagné de Bart Haynes à la batterie, Frank Marziotti à la basse, ainsi que Danny Highland aux percussions et au chœur. Les castilles commencent par répéter dans le salon des parents de Bart Haynes, aux grands dames des voisins, Gordon Tex Vinyard et de sa femme Marion, un couple sans enfant d'une trentaine d'années. Excédés par le bruit, ils finissent par venir frapper à la porte, bien décidés à se plaindre. Mais en découvrant ces lycéens passionnés, leur colère s'efface au profit d'une certaine curiosité. Tex entame la conversation avec les jeunes musiciens et leur demande si leur groupe est un projet sérieux. Emballé par leurs réponses, il leur propose immédiatement de les aider à professionnaliser leur démarche. Dès lors, Tex devient leur manager et met à disposition son propre salon comme local de répétition. Plus qu'un simple coup de main, il veut leur apporter une véritable structure, les faire progresser, leur trouver des engagements scéniques et bâtir un véritable plan de carrière. Par une soirée pluvieuse de juin, Bruce Springsteen se rend au 39 Center Street pour auditionner devant George Tace et Tex Vinyard. Complètement trempé avec ses bottes usées, il commence à jouer deux ou trois titres qu'il connaît parfaitement, mais sa timidité maladive est évidente. Il ne se laisse guider que par la musique, jouant les morceaux qu'il maîtrise sur le bout des doigts. Impressionné par son jeu malgré sa timidité, Vinyard et Tace échangent quelques mots et lui proposent de revenir une semaine plus tard pour jouer avec le groupe. Bruce profite de cette occasion pour apprendre davantage de titres et de se préparer au mieux pour cette prochaine audition. Le jour J, sa prestation de Twist and Shout captive totalement le groupe et il décroche enfin sa place dans la formation. Même si Tate se sépare de Jenny dans la foulée, il devient grand ami avec Bruce, qu'il vient réveiller chaque matin pour aller au lycée. Malgré les années, l'école est toujours un sacerdoce pour Bruce. Il passe le plus clair de son temps dans la salle de répétition du lycée, complètement absorbé et concentré sur la pratique de cet instrument qui l'obsède. Seuls quelques profs parviennent à le passionner, comme son prof d'anglais, qu'il influence grandement pour écrire ses premiers poèmes et chansons. Un autre artiste va également influencer le jeune Bruce dans sa volonté d'écrire ses propres textes. En cet été 1965, il découvre le dernier single de Bob Dylan, « Like a Rolling Stone » . Ce troisième choc musical est un nouveau tournant. Après Elvis Presley et les Beatles, la musique de Dylan lui offre une nouvelle approche musicale. L'artiste, lassé d'être perçu comme un simple chanteur folk, vient de bouleverser la musique populaire en passant d'une pop légère à un rock électrique puissant. Bruce se souvient précisément du moment où il entend le coup de caisse claire d'introduction de Like a Rolling Stone à la radio, alors qu'il est en voiture avec sa mère. Bien que celle-ci soit une amatrice de rock, elle juge que Dylan est incapable de chanter. Mais Bruce perçoit immédiatement qu'il vient d'entendre une voix unique, rugueuse, et il est totalement fasciné par l'univers de ce jeune artiste. Il se précipite pour acheter le single, puis l'album Highway 61 Revisited, qu'il écoute en boucle, captivé non seulement par la musique, mais aussi par l'image de Dylan en veste satinée et t-shirt triomphe sur la pochette. Des années plus tard, lors d'un concert en 1980, Bruce se souviendra que le son sortait d'un haut-parleur bon marché ce jour-là. Et même s'il n'avait pas compris toutes les paroles du couplet, il se souvient de cette question. « How does it feel to be on your own ? » Comment se sent-on quand on est tout seul qui résonne profondément en lui ? Cette question incarnait l'esprit rebelle d'une génération des années 60, une jeunesse incomprise et en décalage avec ses parents. Si le jeune guitariste n'a jamais été attiré par la période folk de Dylan, la puissance sonore de ses albums électriques, Brigaded, All Back Home, Highway 61 Revisited et Blonde Blonde, le Captive, il considère l'approche de Dylan comme révolutionnaire. Si Elvis a libéré les corps, Dylan, lui, a libéré les esprits. Il a prouvé que la musique n'était pas simplement physique, mais aussi intellectuelle, changeant ainsi la perception du rock'n'roll. A ses yeux, Dylan a montré qu'un artiste pouvait non seulement briser des conventions musicales, mais aussi innover sur le plan des idées, transformant la musique populaire en un vecteur de réflexion profonde. Les Castiles passent la majeure partie de l'été à répéter dans le salon des Vignardes, transformé en un véritable local de répétition. Cette fois-ci, Bo s'est déterminé à ne pas reproduire l'échec des Rose. Son éviction lui a laissé un goût amer, et il est plus motivé que jamais. Il passe ses nuits à écouter et à jouer, exploitant chaque instant libre pour perfectionner son jeu. Il n'a qu'un objectif, devenir le meilleur guitariste de la région. Peu à peu, son travail acharné porte ses fruits. Il gagne en aisance, développant son toucher et apprenant à se démarquer comme un soliste crédible. Malgré son absence totale de connaissances musicales, Tex Vinyard joue un rôle central dans la dynamique du groupe. Il dirige les répétitions avec une autorité naturelle, n'hésitant pas à les interrompre lorsqu'un morceau sonne faux, donnant des instructions précises et motivant les musiciens avec un enthousiasme contagieux. Il croit fermement en leur potentiel et n'hésite pas à les pousser toujours plus loin. De son côté, sa femme Marion joue un rôle tout aussi essentiel, endossant celui de la maman poule pour ses jeunes artistes. Elles veillent à leur bien-être, leur préparent des sandwiches et leur servent des sodas bon marché, créant ainsi une atmosphère chaleureuse et familiale. Les vineyards jouent un rôle clé dans l'ascension des Castilles. Comme tant d'autres figures de l'ombre du rock'n'roll, ils ouvrent leurs maisons, transportent le matériel, achètent des instruments et aménagent des espaces pour les répétitions. Ils deviennent le lien entre une génération d'adolescents rêveurs et celle des adultes, leur apportant un soutien financier et moral inestimable. A cette époque, les structures permettant aux jeunes groupes de se produire sont encore rares. Si des clubs indépendants dédiés aux adolescents émergent dès 1964, leur essor réel ne survient qu'en 1966, avant d'être rapidement éclipsé par la chaîne des Hula Baloo Teen Clubs. En parallèle, des institutions religieuses ou fraternelles, comme la Catholic House Organization ou la Elks Lodge organisent des teen parties, offrant aux jeunes musiciens quelques précieuses occasions de jouer en public. C'est dans ce contexte que les Castiles décrochent leur tout premier concert au Woodhaven Swim Club de Freehold. Nous sommes en juillet 1965 et ce soir-là le groupe empoche 35 dollars, une somme modeste mais assez significative pour ces jeunes musiciens. Si nous n'avons que très peu d'éléments concernant cette première date, Tex Vinyard confirme qu'il clôture leur performance avec une reprise du Glenn Miller Orchestra « In The Mood » . Ce premier succès leur ouvre d'autres portes. En août, ils enchaînent avec un concert au Blue Moon, une pizzeria située à Freewood Acres, ainsi que deux concerts à Saint-Rose-of-Lima, l'ancienne école catholique que Booth a quittée en 1963, après l'obtention de son certificat d'études. Quelques jours après, des castilles se produisent à L'Angle Inn, un parc de mobilhommes situé sur la route 33. Un grand barbecue y est organisé pour les résidents par un après-midi de septembre. Dans son autobiographie, Bruce Springsteen évoque ce concert comme la première véritable date des Castiles. Le groupe s'installe à l'ombre, sous l'avancée d'un petit garage, et joue devant une cinquantaine de personnes. Leur matériel est rudimentaire, une batterie, quelques amplis de guitare, dont un qui sert à sonoriser le micro du chanteur. Ce jour-là, il partage l'affiche avec un groupe local de 48, mené par une jeune chanteuse à peine âgée de 10 ans. Lorsque les Castilles investissent la scène, la magie opère. Une partie du public se met à danser sur les tables, portée par l'énergie brute de ces jeunes musiciens. Bien que la setlist exacte de ce jour-là demeure inconnue, Bruce se souvient de l'interprétation mémorable de George Tace sur You Turn Me Home de Ian Whitecomb et Bluesville et du final explosif sur Twist and Shout qui déclenche l'euphorie parmi l'assistance. Ce concert marque un tournant. Pour la première fois, les Castilles gouttent à la satisfaction d'avoir conquis un public, d'avoir su le faire danser et vibrer avec eux. Une archive retrouvée dans les affaires d'un des membres du groupe révèle une setlist datant d'octobre 1965, témoignant du répertoire du groupe à cette époque. Elle contient 27 morceaux, essentiellement les tubes du moment. Satisfaction is the last time des Rolling Stones. All day and all of the night des Kings. What I Say de Ray Charles ou encore I Got You Babe de Sonny Henshire qui avait dominé les charts cette année-là. A ces standards s'ajoutent des chansons des Yardbirds ou des Zombies, ainsi qu'une composition originale, Sidewalk, preuve que le groupe commence à s'aventurer vers la création de son propre univers. Si les Castiles consacrent une grande partie de son répertoire aux classiques de la British Invasion, Tex Vinyard tient à ce qu'il maîtrise aussi des morceaux plus intemporels comme In The Mood de Glenn Miller ou Moonweaver d'Henri Mancini. Côté apparence, Vignard prend les choses en main. Il finance et imagine les premières tenues de scène du groupe. Pantalons noirs, vestes brillantes, chemises blanches boutonnées jusqu'en haut. Une esthétique qui lasse vite les musiciens et qui les pousse vers un style plus extravagant. Bruce adopte un look entre le fils à papa et le blouson noir, avec ses chemises en mandra fermées jusqu'au cou, ses pantalons noirs moulants rentrés dans des bottes de cow-boy. Tess, lui, affiche un look de loup-barre, tandis que Paul Popkin ressemble à un boy scout. Bart Haynes, le jeune batteur de 17 ans, dégage un charisme brut entre Marlon Brando et une petite frappe du New Jersey. Mêtu d'un pantalon en satin, de chaussures italiennes impeccables, il affiche une longchalance assumée, cigarette au bout des lèvres. Tex Vinyard s'investit pleinement dans l'ascension des Castiles. Il leur trouve des engagements pour animer des balles d'adolescents, réquisitionne la camionnette de la station-service de Marzotti pour transporter le matériel, et les conduit lui-même dans sa Cadillac Bleu Ciel. Pendant les concerts, il gère le son depuis le fond de la salle. ajustant le volume d'un simple mouvement de pouce. Après chaque spectacle, il entraîne tout le monde chez Federici's pour manger une pizza, puis il distribue la paye, 5 dollars par tête en moyenne, puis il garde sa part après avoir soustrait le coût des repas et des sodas. Grâce à ses revenus, le groupe améliore son matériel. Ils achètent de nouveaux amplis, de nouveaux micros, de nouveaux haut-parleurs. Springsteen commence alors à gagner suffisamment d'argent pour ne plus dépendre financièrement de ses parents, qui lui laissent enfin plus de liberté de week-end. Malgré ce nouvel équilibre, son père, lui, reste inquiet pour son avenir. Il tente de prémunir son fils contre les désillusions du monde du travail. A l'époque, le chômage frappe de plein fouet la classe ouvrière et Doug en fait des frais. Freehold, autrefois ville dynamique, c'est un peu à peu après la fermeture de l'usine de tapis Carragogion, qui employait 400 ouvriers avant de délocaliser sa production en Caroline du Nord, attirée par une main-d'œuvre moins coûteuse. Avec elle, c'est toute l'économie locale qui vacille. Boutiques, restaurants, concessionnaires, les fermetures s'enchaînent. La ville sombre dans une longue agonie, marquée par l'amertume et la sensation d'une trahison collective. Ceux qui y avaient bâti leur vie se retrouvent abandonnés, leur loyauté aux entreprises locales non seulement ignorées, mais aussi piétinées. Face à ce naufrage, Douglas se réfugie de plus en plus dans l'alcool. Il veut préparer son fils à une existence aussi rude que la sienne, sans illusions ni faux espoirs. Pendant des années, leurs relations intriguent et inquiètent leur entourage. Certains évoquent des accès de violence, d'autres parlent plutôt d'une forme plus insidieuse de maltraitance, une dureté psychologique faite de silences lourds et de regards fuyants. Derrière son attitude sèche et distante, Doug reste un homme brisé, rongé par une honte qu'il n'a jamais su mettre en mots. Son propre échec le hante, mais face à son fils, il devient une présence oppressante. Mais plus que les reproches ou les disputes, ce qui fait le plus souffrir Bruce, c'est ce regard vide qu'il voit dans les yeux de son père chaque fois qu'il entre dans la cuisine. Mangé dans l'obscurité, avec un paquet de cigarettes et un pack de bière à portée de main, Doug reste impassible. Bruce, lui, espère un signe, un geste d'affection, ou ne serait-ce qu'un houchement de tête, mais il ne perçoit que de l'indifférence. Jusqu'à la fin de l'année 1965, les Castiles enchaînent une douzaine de concerts dans la région, jouant parfois dans des lieux improbables. L'un des plus marquants a lieu en octobre, à l'hôpital Marlboro, devant une poignée de passants de l'unité psychiatrique. Bruce racontera souvent cette anecdote. Un homme en costume présente le groupe et s'emballe dans un discours délirant de 20 minutes, annonçant qu'ils deviendront plus grands que les Beatles avant d'être évacués par le personnel médical. Quelques jours après ce concert, le 30 octobre, le batteur Bart Haynes quitte le groupe. Il s'engage volontairement dans la marine, persuadé qu'en devançant l'appel, il obtiendra une meilleure affectation et un meilleur grade. Il sait que le Vietnam l'attend. Son départ oblige les Castilles à trouver un remplaçant en urgence. C'est Vinnie Magnello qui le remplace au pied levé. L'année 1966 démarre avec de nouveaux engagements et des scènes toujours aussi variées. En février, il joue à la chambre du commerce de Freehold. mais aussi dans des pizzerias, lors de mariages ou encore dans des balles pour adolescents. Ils participent également à plusieurs concours de groupes locaux où la récompense varie, une somme d'argent ou une première partie pour un artiste en tournée. Ces événements deviennent des rendez-vous incontournables, offrant aux jeunes musiciens l'occasion de se mesurer les uns les autres et de tisser des liens au-delà du lycée et de leur ville. Le 22 avril, les Castiles prennent part à la Battle of the Band, un concept très en vogue à l'époque, organisé dans des gymnases ou des amphithéâtres. L'édition de cette année-là, orchestrée par le promoteur Norman Seldin, rassemble 25 groupes locaux au Roller Drome de Matawan. Chaque formation dispose de trois ou quatre titres pour convaincre le jury. L'enjeu est de taille. Le vainqueur aura l'opportunité d'ouvrir, une semaine plus tard, pour un plateau réunissant les Crystals, les Dovels et the Hadibs. Malgré une prestation solide, les Castiles ne se classent même pas parmi les trois premiers. La troisième place revient aux Blue Masters, la seconde à Sony and the Starfires, dont le batteur Vinnie Lopez croisera plus tard la route de Booth Springsteen. La victoire est attribuée aux Rogues, un groupe originaire de Middletown. En mai 1966, les Castiles montent pour la première fois sur la scène du Teen Devil, un club pour adolescents très en vogue depuis son ouverture en 1964 à New Shreibery. Ce lieu deviendra un des QG de Bruce qui s'y produira régulièrement jusqu'en 1969. Mais cette première date marque aussi la dernière apparition du bassiste Frank Marziotti. Plus âgé d'une bonne dizaine d'années que le reste du groupe, il n'apprécie pas qu'un gamin vienne lui demander, après le concert, s'il est le père de Bruce Springsteen. L'incident le vexe profondément et précipite son départ. Les auditions pour lui trouver un remplaçant se tiennent dans le salon des vineyardes. Après plusieurs essais, le groupe recrute Kurt Fleur. Avec ce nouveau line-up, les Castiles passent à l'étape supérieure. Le 18 mai 1966, ils enregistrent leur tout premier 45 tours dans les studios Mister Music, situés à Bridgetown, près du centre commercial local. Les deux morceaux sont des compositions originales de Bruce Springsteen et de George Tace. Baby High est une chanson légère qui parle de rupture, tandis que That's What You Got, en phase B, adopte un ton plus sombre, racontant l'histoire d'un homme dont les actes mènent à la mort prématurée de sa fiancée. La légende raconte que ces titres ont été écrits à la va-vite sur le trajet menant au studio et enregistrés en une seule prise. Seuls 7 ou 8 tests pressing en acétate sont produits et à peine la moitié d'entre eux survivront aux décennies suivantes. L'enregistrement se fait dans une pièce minuscule, mal adaptée aux instruments amplifiés. Dès que le volume monte, le son sature dans les micros. Ces studios ne sont tout simplement pas faits pour accueillir un groupe de rock. A cette période, Booth commence à prendre une place plus importante au sein des Castiles. Depuis le début de l'aventure, il se contente du rôle de guitariste rythmique, un poste qu'il trouvait d'abord très confortable. Mais sur scène, il sent une énergie nouvelle monter en lui, une envie irrépressible de capter l'attention. Petit à petit, il devient un véritable phénomène scénique. Le bassiste Kurt Fleur se souvient d'un Bruce encore timide en dehors de la scène, mais qui s'illuminait littéralement dès qu'il branchait sa guitare. Pourtant, ses camarades lui laissent encore peu d'espace au chant, persuadé qu'il n'a pas la voix pour ça. Malgré tout, au fil de l'année 1966, il finit par s'imposer. Il commence en reprenant du Bob Dylan avant que le groupe ne lui accorde quelques morceaux plus électriques comme My Generation de Wu ou Mystic High de Zem. Sur ces titres, sa fougue et son charisme explosent, annonçant déjà la bête de scène qui deviendra des années plus tard. Trois jours après l'enregistrement de ce premier 45 tours, les Castiles montent pour la première fois sur la scène du lycée de Freehold, leur propre lycée, à l'occasion du bal de promo des juniors. Le groupe affine progressivement son répertoire et commence à se faire un nom, jouant dans les beach clubs, les discothèques, les drive-ins, et même sur des scènes plus importantes. Le 2 juillet 1966, il participe à la soirée de lancement du Surf and Sea Club de Seabright, un club situé en bord de mer sur le territoire des fameux blousons dorés. Il joue en première partie des Rogues, un groupe qui commence à se faire un nom et qui est embauché comme groupe résident pour l'été. Ce show n'était pas du tout prévu, mais pour cette résidence, les Rogues ont pour mission de dénicher des groupes locaux pour assurer leur première partie. Séduits par l'audition des casties le matin même, ils les invitent à laisser leur matériel sur place et à ouvrir pour le concert du soir même. Le week-end suivant, un autre grand événement est organisé au Surf & Sea, animé par Gary Stevens, une personnalité incontournable de la radio new-yorkaise. Cinq artistes nationaux sont invités. Johnny Tillett Stone, The Jaffaive, Dean Parrish, The Times et The Shangri-Las. Les Rogues, qui avaient impressionné la direction du club lors de leur audition, sont de nouveau à l'affiche, accompagnés par d'autres groupes locaux comme The Victors et les Castiles. Ceux-ci jouent des sets très brefs de deux ou trois morceaux, mais Bruce, de plus en plus à l'aise, prend la scène d'assaut, grimpant sur les amplis pour haranguer la foule et marquer les esprits le temps de cette brève exposition. Cette prestation énergique leur permet de décrocher une nouvelle invitation le 14 août 1966, toujours au Surf & Sea, où ils joueront en première partie de Little Anthony. Une fois encore, le groupe impressionne et cette fois-ci, ils disposent de plus de temps pour séduire le public. Leurs prestations réussies poussent les programmateurs à les reprogrammer le 21 août en première partie des works, puis à nouveau le 17 septembre aux côtés des berries. Lors de cette date du 14 août au Surf & Sea, un autre groupe se distingue. Les Shadows, originaire de Middletown, une ville plus bourgeoise et moins ouvrière que Freehold, située à une trentaine de minutes de route. Parmi les musiciens, Steven Van Zandt, guitariste talentueux, fait ses armes. Booth et lui se sont rencontrés quelques mois plus tôt au Hula Baloo Club de Middletown et se sont rapidement liés d'amitié, devenant de véritables complices musicaux. Ils partagent une obsession commune pour les détails de leurs morceaux préférés et passent des heures à les disséquer, discutant de tout ce qui concerne de près ou de loin leur groupe fétiche. Ensemble, ils créent un univers musical à part, centré uniquement sur le rock'n'roll. Lorsque Van Zandt forme son nouveau groupe, The Source, Bruce irait les voir au Tendezvous. Van Zandt est connu à l'époque comme l'un des premiers adeptes du country rock, maîtrisant à la perfection le répertoire des Byrds ou des Youngbloods, bien avant que Bruce ne s'intéresse à ce genre musical. En parallèle, dès le mois de septembre 1966, les Castiles enrichissent leur son également en ajoutant un clavieriste, Bob Alfano, ancien membre des Rising Sun et élève au lycée de Freehold. Un samedi après-midi de répétition, dans le salon de Tex, le groupe prend une décision capitale. Ils ont compris que pour se faire remarquer, il leur faut absolument sortir du New Jersey. La région étant peu touristique, seuls les locaux ont l'opportunité de voir le groupe évoluer sur scène. En novembre 1966, Vignard décroche une audition au légendaire Café Wow de New York City, une salle emblématique du Greenwich Village, qui a vu le premier concert de Bob Dylan en 1961, ou encore des prestations enflammées de Jimi Hendrix. Lors de cette audition, le groupe joue devant Manny Rhodes, le propriétaire du lieu. Selon Tex Vinyard, c'est la reprise de My Generation des Wu, chantée par Bruce Springsteen, qui permet au groupe de décrocher un contrat. Ils se produiront ainsi une trentaine de fois dans cette salle mythique, jouant les samedis et les dimanches après-midi, une à deux fois par mois jusqu'en mars 1968. Malgré cette belle opportunité, les Castiles sont étonnés d'apprendre qu'ils ne seront pas payés pour ces concerts. Le café-wa leur offre en effet une opportunité de se produire et ils estiment que cela suffit pour mettre un pied à New York, dans la cour des grands, avec l'espoir qu'un des nicheurs de talent les repère et les prenne sous son aile. Les week-ends des jeunes musiciens commencent à être de plus en plus rythmés par leur virée à New York. Ils prennent la navette de Plymouth Hall, s'arrêtent à Port Authority et découvrent un tout nouvel univers. Un monde animé entre les hippies, les gays, les dealers, la faune du Washington Square Park. C'est un véritable exode pour les musiciens, un nouveau foyer loin de chez eux, bien loin de l'atmosphère étouffante et malsaine de leur région. Ils croisent également les figures d'oproux de la scène musicale de l'époque. Ils assistent aux concerts des Mothers of Invasion au Warwick Theater, juste au coin de la rue, et même à l'un des premiers concerts en solo de Neil Young pour la promotion de son premier album, Bitter Hand. Dans ce Greenwich Village, Bruce trouve une ambiance plus libre, plus ouverte. Il se sent chez lui, prêt à se révéler sans crainte d'être jugé. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'il reste dans la ville après les concerts, séchant les cours du lendemain. Il dort parfois à la Belle Étoile, dans la voiture d'un ami, ou même dans la chambre de tête d'un autre guitariste qui arrondit ses finements en dilant. C'est également à cette époque que les drogues commencent à devenir un problème dans les lycées du New Jersey. Bruce préférera toujours s'en tenir à l'écart, effrayé par les conséquences qu'elles pourraient avoir sur lui. A la fin de l'année 1966, le groupe enchaîne les concerts, dont des performances notables à Loulabaloo de Middletown et à l'American Hotel de Freehall le 23 décembre, lors d'une soirée Sweet Sixteen pour les lycéennes de la ville. Le début de l'année 1967 suit une dynamique similaire, avec deux concerts mensuels au Café Wao, des représentations au lycée d'O.L., à l'église Saint-Rose-of-Lima et une autre date à Loulabaloo de Middletown. L'année 1967 marque également un tournant culturel avec l'essor du psychédélisme et de la culture hippie menée par la musique des Doors ou du Jefferson Airplane. Les Castiles s'engouffrent dans la brèche. Bruce change de style, il adopte désormais des vêtements flashy, un motif floraux et se laisse pousser ses cheveux frisés. Lors du concert à l'église Saros of Lima, le groupe ajoute des stroboscopes, des fumigènes et divers effets visuels à son spectacle. Vers la fin de l'année, ils reprendront des morceaux des Doors comme Break on Through ou The End, s'imprégnant pleinement de l'univers psychédélique de ce groupe majeur. Cependant, ce changement d'apparence et d'attitude accentue leur rejet par les conservateurs de Freehold, avec qui le courant passe très mal. Bruce, tout comme nombre de ses amis musiciens, se sent marginalisé, perçu comme un véritable paria dans sa propre ville. Le 9 juin 1967, 5 des 6 membres du groupe obtiennent leur diplôme de fin d'études, tandis qu'Alfano a encore un an de lycée devant lui. Il se reproduise au Senior Firewall Dance, la soirée de fin d'année organisée par le lycée. Mais l'ambiance n'est pas forcément à la fête pour Bruce. Il a passé cette dernière année dans un isolement presque total, ignoré par ses camarades qui tentent désormais de l'exclure de la cérémonie des remises des diplômes prévues 10 jours plus tard. Une de ses professeurs prend publiquement position contre lui, critiquant son apparence et incitant la classe à refuser sa présence à la remise des diplômes, jugeant ses cheveux longs comme un symbole de rébellion qui discréditerait toute la promotion. Afin d'éviter cette humiliation supplémentaire, Boo se réveille aux aurores ce jour-là et emprunte la navette qui le met à l'aise. mène jusqu'au Greenwich Village. Il passe la journée à Flaneda Washington Square, ou à faire un arrêt au Café Wa, où il rencontre une jeune fille. Ses parents, inquiets, réussissent à le joindre par téléphone au club et lui promettent d'oublier tout ça s'il revient immédiatement chez eux, où famille et amis l'attendent pour célébrer l'obtention de son diplôme. Booth rentre en début de soirée accompagné de sa nouvelle copine. Son père Doug est furieux, il l'attend et ramène la jeune demoiselle à la gare routière. Il ordonne à Booth de se rendre directement dans sa chambre où il dévisse et confisque toutes les ampoules, laissant son fils dans le noir pour réfléchir à ses erreurs. Booth finira par récupérer son diplôme quelques jours plus tard après ce nouvel affrontement avec son père. Le conflit entre le père et le fils va encore s'intensifier avec un accident de moto qui va ajouter de l'huile sur le feu. Alors qu'il rentre chez lui sur une petite moto Yamaha, Wu s'est renversé par une cadillac qui le percute à la jambe. Il est éjecté 6 ou 7 mètres plus loin sur le bitume, sans casque de sécurité, pas obligatoire à l'époque. Il reste sans connaissance pendant 30 minutes, jusqu'à son arrivée à l'hôpital situé dans la ville de Neptune. Aux urgences, les médecins doivent lui découper son jean, tant la jambe est enflée. Certains médecins se moquent de lui à cause de sa coupe de cheveux et dès le lendemain, il refuse de soigner son traumatisme crânien. De retour à la maison, l'avocat censé le défendre, Billy Doyle, futur maire de Freehold, est tellement écoeuré par sa dégaine qu'il affirme qu'à la place du juge, il le déclarait lui-même coupable, rien que pour son look. Furieux de passer pour un père indigne devant une connaissance qu'il estime, Doug profite que Bruce soit immobilisé pour faire venir un coiffeur qui libérera son fils de ses mèches indignes. Le jeune homme est furieux et hurle à son père qu'il le déteste pour la seule fois de son existence. Comme si cela ne suffisait pas, il doit limiter ses performances sur scène afin de ne pas aggraver son traumatisme crânien. Il passe ainsi l'essentiel de son été à cogiter. Le 16 septembre, le groupe inaugure malgré tout un nouveau club de freehold destiné aux 13-18 ans, The Left Foot, dans les locaux de l'église épiscopale de la ville. Ils sont soutenus par Purple Dynasty en ouverture et chaque groupe joue deux sets de 30 minutes. Le club, ouvert par les révérends George Erickson et Fred Coleman, accompagné de deux lycéens, ne tiendra que sept mois, mais les Castiles auront le temps d'y s'y produire une seconde fois. Les deux apparitions ont été enregistrées par le manager du club sur un appareil à bande de bonne qualité. La setlist, composée de 13 titres, représente l'intégralité du concert des Castiles, composée uniquement de reprises. Bien que Booth ait été engagé en tant que guitariste rythmique deux ans plus tôt, Il semble clair qu'il soit devenu le point central du groupe puisqu'il chante quasiment l'intégralité du set, hormis Eleanor Rigby des Beatles, See My Friend des Kings et The Steve Songs de Bruce Project, chanté par George Stace. Bruce y interprète notamment Fire et Purple Haze de Jimi Hendrix, You Can Judge About by the Cover de Bo Diddley et Suzanne de Leonard Cohen. Deux semaines plus tard, le groupe remet le couvert dans le même lieu avec un répertoire différent. George Tate assure le chant principal sur « With a little help from my friend the Beatles » « Saint-Francisian Night » d'Eric Burden and the Animals, puis le later des Box Top. Bruce chante quant à lui « Hey Joe, my generation des Woo » « Wake me, shake me » des Coasters et les rappels de la soirée « To love somebody » des Bee Gees. Lors de ce concert, Bruce chante également une composition originale « Mr. Jones » composée par le clavieriste Bob Alfano « A look into my window » . autre création originale sur laquelle il partage le micro avec George Tace. Un mois plus tard, le groupe apprend avec stupeur que Bart Haynes, le premier batteur des Castiles, engagé volontaire, a été tué sous une pluie de tirs de mortier dans une embuscade tendue par les soldats nord-vietnamiens. Après l'obtention de son diplôme de fin d'études en juin 1966, il avait rejoint la marine en octobre de la même année, avant d'être envoyé au Vietnam en avril 1967, où il perdit la vie six mois plus tard, à l'âge de 19 ans. Les Castiles, de leur côté, passent le reste de l'année 1967 et le début de l'année 1968 à partager leur temps entre le Café-Ois jusqu'en mars, le Tendezvous de New Shrubbery, l'Océan Surf Club de Seabright ou encore les différents Oulabaloo de Freehold et de Middletown. A la maison, le conflit entre père et fils atteint des sommets. Mais Doug rêve désormais d'un ailleurs. Après des années de dépression dans cette région industrielle, il veut partir aussi loin que possible, à l'autre bout du pays, en Californie. Adele n'est pas forcément enchantée par cette idée. Ginny, leur grande-fille, vient d'avoir son premier enfant, mais Doug n'en démore pas et se dit prêt à partir sans sa femme. L'idée fera son chemin, mais pour lui, son avenir n'est plus dans le New Jersey. En mai 1968, Booth fait seule l'ouverture du Broad Street Coffee House de Red Bank dans le New Jersey. Conçu pour offrir une scène aux auteurs-compositeurs-interprètes qui pullulent en cette fin des années 60, surfant sur la vague de talent du Greenwich Village, le club embauche chanteurs, groupes de rock et organise des soirées open mic. Ce premier concert en formule acoustique permet à Booth de présenter ses chansons folk écrites entre fin 1967 et début 1968, des compositions qui ne trouvent que la vie. pas leur place dans le set électrique des Castiles. Les 15 titres interprétés seront également joués dans ce même lieu durant d'autres spectacles en 1968, dont Alone, co-écrite avec Norman Luck, le leader des Purple Dynasty, puis A Winter Revelation, Crystal Clouds, The War Song et Death of a Good Man. Ces compositions s'inscrivent dans un registre proche de Tim Buckley, Leonard Cohen, Bob Dylan et Donovan. Bruce reviendra avec son groupe au moins à trois reprises lors de l'été 1968, entre des dates au casino de Long Branch, au Tendezvous ou l'Houlabaloo de Freehold. Les mois s'enchaînent et semblent se répéter. Les Castiles ne parviennent pas à percer et continuent de fouler inlassablement les mêmes planches. La résidence au Café Was est terminée au mois de mars et ils doivent de nouveau se contenter des scènes du New Jersey. Les deux têtes pensantes, George Tate et Bruce Springsteen, ne s'entendent plus aussi bien qu'à leur début et ne s'adressent quasiment plus la parole. s'engueulant même sur scène à quelques reprises. Le groupe songe à se séparer. Le fossé se creuse, notamment avec les premiers concerts en solo de Bruce, qui a envie d'explorer d'autres voies. Le destin va aider le groupe à prendre cette lourde décision. Durant la première semaine d'août 1968, une descente de police gigantesque réveille les quartiers de Freehold à 4h du matin. Le coup de filet surprend la ville, qui n'a jamais rien connu de telle. Depuis quelques mois, la drogue a envahi la ville. marijuana, LSD, champignons, amphétamines, tranquillisants, cocaïne, speed, Vinnie Magnello, Paul Popkin et Kurt Fleur se font choper durant cette descente. Pour Bruce et Tace, c'en est trop et le groupe se sépare officiellement après un dernier show au Tinday-Woo le 10 août 1968. George Tace rejoindra pour sa part le groupe local Rusty Chain. Bob Alfano et Vinnie Magnello formeront Sunny Jim tandis que Kurt Fleur et Paul Popkin rangeront définitivement les instruments au placard. Booth, de son côté, récupérera les engagements des Castiles et s'y produira avec le nouveau groupe qui se dessine dans sa tête. Nous allons nous quitter après cette aventure des Castiles qui aura duré de juin 1965 à août 1968. Vous trouverez dans la description de cet épisode les sources ayant servi à la création de ce podcast, ainsi qu'une playlist Spotify pour accompagner ce second épisode. C'était Julien et j'espère que vous avez apprécié ce voyage dans le temps. N'hésitez pas à partager et noter ce podcast sur votre application favorite. On se retrouve dans deux semaines pour le troisième épisode de Badlands, l'histoire de Bruce Springsteen. A très vite !

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Description

Dans ce second épisode, nous allons explorer la période 1964-1968, durant laquelle Bruce apprend la guitare et intègre ses premiers groupes, dont les Castiles.


Retrouvez la playlist Spotify pour accompagner ce second épisode : https://open.spotify.com/playlist/0VebZOWtiyPyHRIej42lvI?si=0ccf477af86644c7


Les sources utilisées pour ce podcast :

  • Bruce Springsteen, Born To Run, Éditions Albin Michel (2016)

  • Marc Dufaud, Bruce Springsteen : une vie américaine, Éditions Camion Blanc (2010)

  • Peter Ames Carlin, Bruce, Éditions Sonatine (2013)

  • Hughes Barrière, Bruce Frederick Springsteen, Éditions Castor Astral (2013)

  • Clinton Heylin, E Street Shuffle: The Glory Days of Bruce Springsteen and the E Street Band, Éditions Viking Adult (2013)

  • Le site internet http://brucebase.wikidot.com/



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Badlands, l'histoire de Bruce Springsteen. Je suis Julien Debray et je suis heureux de vous retrouver pour ce second épisode dans lequel on évoquera l'adolescence et des tout premiers groupes dans lesquels Bruce Springsteen a joué à cette époque. Vous êtes dans Badlands et je vous souhaite une bonne époque. Nous sommes en septembre 1963. Le jeune Bruce Springsteen fait son entrée au lycée régional de Freehold. Loin de l'atmosphère stricte de l'école catholique de Saint-Rose-of-Lima, où il a étudié jusqu'alors, il goûte à une liberté nouvelle. Pourtant, cette sensation n'est qu'un leurre. Il réalise rapidement que l'empreinte du catholicisme ne disparaîtra pas si facilement. Malgré son éloignement des pratiques religieuses, il sent toujours son influence en lui, ancrée au plus profond de son être. Ce changement d'établissement ne transforme d'ailleurs en rien son rapport à l'école. Vos reste en marge des autres élèves détachés, indifférents aux études. Il perçoit l'école comme une contrainte oppressante, rejetant aussi bien les cours que la discipline et la pression académique. Ce sentiment de mal-être, il l'évoquera des années plus tard dans la chanson « No Surrender » , où il explique avoir plus appris avec une chanson de trois minutes que toutes ses années sur les bancs de l'école. D'ailleurs, c'est précisément à cette période que la musique prend une place essentielle dans sa vie. Alors que l'école lui semble stérile et sans issue, la musique devient quant à elle son refuge, son moyen d'évasion, son véritable salut. Les années 1960 marquent un tournant pour la musique populaire et Bruce Springsteen s'en imprègne avec une grande curiosité. Chez lui, la radio est une présence constante, allumée chaque matin par sa mère, Adele. La station de radio W. New diffuse sans relâche les nouveautés du moment, offrant au jeune Bruce une ouverture sur un univers musical alors en pleine effervescence. En l'absence d'un système hi-fi au domicile familial, la radio devient sa principale source de découverte. Comme beaucoup de jeunes de son époque, il est fasciné par Elvis Presley. l'icône incontestée du rock'n'roll. Outre The King, ce sont les groupes féminins new-yorkais qui le captivent, les Ronettes, les Crystals ou les Chiffons. Autant de formations qui enchaînent les tubes et façonnent peu à peu sa sensibilité musicale. Il se passionne également pour Roy Orbison, dont La Voix Puissante et Les Balades Envoûtantes le marquent profondément, ainsi que Chuck Berry, l'un des pionniers du rock'n'roll et un storyteller de génie. Bruce n'a que 12 ans, en 1961, lorsqu'il réunit ses maigres économies pour acheter son tout premier disque. un EP de Dusty Rhodes, chanteur méconnu reprenant les titres d'Elvis Presley. A cette époque, Elvis est dans sa période hollywoodienne. Loin de la foule de ses débuts avec Hound Dog, Blue Sweet Shoes ou Jailhouse Rock, il enchaîne désormais des morceaux plus lisses, pensés pour accompagner ses films. Malgré tout, certains titres continuent de résonner chez Bruce, comme I Can't Help Falling In Love ou Follow That Dream, des chansons qu'il reprendra des années plus tard lors de la tournée The River en 1980 et 1981. A l'été 1961, Bruce Springsteen et sa sœur Jenny raffolent également du titre de Chubby The Twist. En août de la même année, Adele réunit ses économies pour emmener ses deux aînés à la Rainbow Room d'Atlantic City. Un plateau exceptionnel réunissant Freddy Cannon, les Shirelles, Bobby Riddle et Chubby . Le tout animé par le présentateur vedette Dick Clark. Le jeune Bruce est hypnotisé par la performance de Chaker, capable à la fois de danser, de chanter et d'interpréter à la perfection sa chanson favorite du moment. Cet été-là, le virus de la musique s'empare définitivement de Bruce Springsteen. Vivant entre New York et Philadelphie, il a accès à une grande diversité de stations de radio qui émettent grâce aux longues ondes, ce qui lui permet de découvrir une variété de styles musicaux. Il est particulièrement séduit par les stations de rhythm and blues de Philadelphie, qui lui ouvrent de nouveaux horizons sonores. Un morceau en particulier, South Street des Horlons, devient un de ses favoris, d'autant plus qu'il porte le nom de la rue des Springsteen. La surf-musique également se ferait un chemin jusqu'à dans le Lou Jersey, d'abord avec la reprise d'Homicide Lou par Dick Dale et The Dead Domes, mais aussi les premiers succès radiophoniques des Beach Boys qui inondent les ondes avec leur musique débridée et fun, subtil mélange entre le rock'n'roll originel et le doo-wop. Au début de l'année 1964, Bruce Springsteen vit une véritable révolution musicale qui dépasse même la découverte d'Elvis Poesley 7 ans plus tôt. Alors qu'il est sur le siège passager de la voiture conduite par sa mère Adele dans les rues de South Street, La radio diffuse une nouvelle sensation venue d'Angleterre, les Beatles. Originaire de Liverpool, le groupe mené par Paul McCartney, John Lennon, George Harrison et Ringo Starr vient de sortir son premier album aux Etats-Unis, Mythes de Beatles. Stupéfait, Bruce entend pour la première fois la puissance des harmonies de I Wanna Hold Your Hand, l'un des premiers singles de cet album. Le choc est si fort qu'il supplie sa mère de s'arrêter dans un bowling pour qu'il puisse appeler sa petite amie de l'époque et lui demander si elle a entendu cette musique révolutionnaire. Quelques jours plus tard, le 7 février 1964, les Fab Four atterrissent à l'aéroport JFK de New York, marquant leur premier pas sur le sol américain. Une foule de plus de 4000 fans, en totale effervescence, les accueillent comme des messies. Deux jours après, le 9 février, ils apparaissent dans le Ed Sullivan Show avant d'y revenir une semaine plus tard. 73 millions d'états-uniens, soit près de 40% de la population de l'époque, regardent ce moment d'histoire sous les ondes de NBC. Parmi eux, Bruce et sa mère devant le petit écran du salon, se délectant des interprétations de All My Loving ou She Loves You. La Beatlemania déferle alors sur les Etats-Unis. Elle captive une jeunesse en quête d'espoir, à peine trois mois après l'assassinat de John Philgeral Kennedy. Comme des milliers d'autres adolescents, Bruce Springsteen devient un fan inconditionnel des Beatles. Chaque semaine, il écoute religieusement le Top 20 pour découvrir les nouveaux singles, et passe des heures à fouiller dans les kiosques à journaux, en quête de nouveaux articles sur son groupe préféré. Mais pour lui, l'impact de ce groupe dépasse largement la simple admiration. Leur musique est une vraie révélation, un exutoire face à une vie qui lui semble déjà toute tracée. Il trouve dans le rock'n'roll un moyen de s'évader, de rêver, et surtout de se connecter à une communauté qui partage ses émotions et ses aspirations. L'arrivée des Beatles aux Etats-Unis ne représente pas seulement un phénomène musical. C'est un tournant culturel majeur et pour Bruce, un déclic qui va profondément transformer sa vie. Les Rolling Stones, The Animals, The Kings, Herman Hermits, Manfred Mann et un peu plus tard The Woo bouleversent la scène musicale américaine. Moins inaccessible qu'un Elvis Presley déjà auréolé de son statut de star, ces groupes incarnent une nouvelle dynamique. Ils prouvent aux jeunes qu'il est possible de percer dans la musique en partant de rien. simplement avec du talent, de l'énergie et une attitude rebelle. Cette effervescence inspire toute une génération d'adolescents, y compris ceux qui deviendront les compagnons de route de Springsteen. En juin 1964, Steven Van Zandt découvre les Rolling Stones sur scène, une révélation qui le pousse dès le mois d'août de la même année à fonder son propre groupe de surf-musique, le Wild Wings. Bien que l'aventure ne soit que de courte durée, il persévère et crée successivement The Mates en 1965 puis The Shadows en 1966. De son côté, Danny Federici, alors âgé de 14 ans et accordéoniste dans The Legend, vit un déclic en voyant Alan Price des Animals interpréter The House of the Rising Sun. Fasciné par la puissance et la richesse des sonorités, il décide de troquer son accordéon pour les claviers et rejoint en 1966 The Storytellers, amorçant ainsi son propre parcours musical. Chez Bruce, cette vague musicale venue d'Angleterre ravive une envie profonde. Apprendre enfin à jouer les guitares. Cet été-là, il se donne les moyens d'acquérir son premier instrument en multipliant les petits boulots. Il s'occupe du jardin de sa tante Dora, mais cela ne suffit pas à financer son projet. Déterminé, il convainc une voisine de le laisser repeindre sa maison en entier, et avec l'aide de son ami Mike, il s'attèle même au goudronnage de son toit. Après un été éprouvant, il parvient enfin à réunir les 18 dollars nécessaires pour s'offrir cette guitare acoustique, repérée depuis des semaines dans la boutique Western Audio, sur Main Street. En complément, il achète un livre de partition regroupant les 100 plus grands classiques de la folk américaine, bien décidé à s'initier sérieusement. Pourtant, comme lors de sa première tentative 8 ans plus tôt, l'apprentissage se révèle laborieux. Pendant des semaines, il gratte son instrument sans parvenir à en tirer quoi que ce soit de mélodieux. L'explication viendra finalement de son cousin, qui lui fait remarquer que la guitare n'est pas accordée. Il lui montre alors ses premiers accords, mais l'instrument est loin d'être idéal. Bruce se souvient d'un manche épais comme un tasseau de bois, et des cordes si dures qu'elles semblaient être en fil de fer. Malgré ses débuts chaotiques, il s'accroche, bien décidé à faire de la musique son moyen d'expression. L'apprentissage de la guitare par Bruce tourne rapidement au cauchemar pour son père, Doug. L'ami de Bruce, Bobby Duncan, se souvient de longues heures passées dans sa chambre, à lui tenir une partition pendant qu'il répétait inlassablement ses enchaînements d'accords. Régulièrement, la voix de Doug résonne dans la maison, excédée par ses sons maladroits. Il ne veut plus entendre ce machin. Heureusement, il peut compter sur le soutien de sa mère, Adele, qui continue de l'encourager dans sa passion, convaincue qu'il doit suivre sa propre voix. A la fin de l'année 1964, Bruce accompagne d'ailleurs sa mère au magasin de musique de la ville. pour lui montrer l'objet de ses rêves. Une guitare électrique Kent, noire et or, exposée en vitrine, pendue avec son ampli pour 69 dollars. Avec ses lignes anguleuses et sa finition éclatante, cet instrument lui promet enfin le son puissant qu'il désire tant. Pour contribuer à son achat, il revend le billard qu'il avait reçu au Noël précédent, persuadé à l'époque qu'il hériterait du talent de son père pour ce jeu. Malgré les finances modestes de la famille, Adèle contracte un crédit à court terme auprès de la Household Finance Company. qu'elle sollicite habituellement pour boucler les fins de mois difficiles ou financer des vacances en famille. Dux s'oppose fermement à cette décision, mais cette fois-ci, il n'a pas son mot à dire. Le jour de Noël 1964, Bruce découvre émerveillé sa précieuse guitare sous le sapin. Ce cadeau marque un tournant. Il ne le sait pas encore, mais cette guitare Kent sera le premier véritable jalon de son parcours musical. Très vite, la guitare devient bien plus qu'un simple passe-temps pour Bruce. C'est une véritable obsession. Il passe des heures à s'exercer, apprenant les accords, s'attaquant aux gammes et s'essayant même à quelques solos rudimentaires. Son premier véritable accomplissement est l'apprentissage complet de Twist and Shout, un morceau des Aisley Brothers popularisé par les Beatles en 1963. Mais au-delà de la technique, l'instrument lui apporte quelque chose de plus profond. Devant son miroir, il se surprend à adopter des postures de guitariste, explorant ce que la musique lui permet d'exprimer. La guitare entre les mains, il se sent enfin libre, en phase avec lui-même. Des années plus tard, en 1975, il confiera à Newsweek que la première fois où il s'est senti en paix avec lui-même, c'était avec une guitare entre les mains. Outre les Beatles, les Animals vont également influencer le jeune artiste en herbe. Leur musique, brute et engagée, résonne en lui d'une manière particulière. En 1976, il rendra hommage à ce groupe en reprenant sur scène « It's my life » et « We gotta get out of this place » , deux morceaux qui expriment une rage et une urgence qui lui parlent intimement. En 2012, il confiera que la musique des Animals lui a fait découvrir une conscience de classe qu'il n'avait jamais perçue auparavant. Pour la première fois, il entend des chansons qui reflètent une réalité sociale proche de la sienne. Leur texte parle d'oppression, de frustration et d'un besoin vital d'évasion, des sentiments qu'il ne connaît que trop bien. Bruce apprécie également que The Animals ne ressemblent en rien aux idoles pop lises et impeccables de l'époque. Aucun membre du groupe n'étant particulièrement séduisant, même Eric Burdon, leur chanteur, malgré son costume, ressemble plus à un bagarreur de pub qu'à une star glamour. Cette authenticité le touche et le conforte dans l'idée que le rock peut être un exutoire, un moyen d'expression pour ceux qui viennent d'un milieu modeste. Dans cette effervescence musicale, il élargit encore ses influences. Il découvre Manfred Mann et The Searchers. mais aussi le groupe nord-irlandais ZEN mené par Von Morrison, qui marque l'histoire du rock garage avec des hymnes comme Gloria ou I Can Only Give You Everything. Chaque nouvel artiste, chaque nouvelle chanson renforce un peu plus son désir de faire de la musique son propre langage. La passion grandissante de Bruce pour la musique creuse un fossé toujours plus profond entre lui et son père. Sensible et rêveur, l'adolescent se sent en total décalage avec cette figure d'autorité rigide qui incarne à ses yeux une vie de travail monotone et de rêve brisé. Doug Springsteen ne comprend pas cet intérêt dévorant pour la musique et encore moins pour cette quête d'évasion qui anime son fils. Pour lui, Bruce devrait se préparer à un avenir plus concret, plus conforme aux valeurs de travail et de sacrifice qu'il estime essentielles. Mais à mesure que Bruce découvre des artistes qui lui offrent une autre vision du monde, il s'éloigne encore davantage de son père. It's my life des Honeymoles devient presque un manifeste personnel. Cette chanson lui fait comprendre qu'une autre voie est possible, que son destin ne doit pas nécessairement ressembler à celui de son père. À travers la musique, il entrevoit l'espoir d'une vie plus grande, plus libre. À la maison, la tension est permanente. Chaque soir, Doug s'installe à la table de la cuisine, un pack de bière à portée de main, enchaînant les cigarettes dans une atmosphère lourde et oppressante. Ces moments deviennent de théâtres de confrontations répétées. Le père interroge le fils sur sa vie et ses choix, avec une insistance qui vire souvent à l'affrontement verbal. Beau se sent piégé dans un cycle de disputes incessantes, incapable d'expliquer ses aspirations, sans déclencher la colère paternelle. Cette relation conflictuelle laissera une empreinte à Daily Bill sur son œuvre. À travers ses chansons, il exprimera cette frustration, ce besoin d'échapper à un modèle imposé, cette volonté farouche de tracer son propre chemin, envers et contre tout. Loin de s'arranger, la situation se tend encore davantage à mesure que Bruce tente d'intégrer des formations musicales. A la maison, son père voit d'un mauvais œil cette obsession qui, selon lui, le détend des responsabilités et de l'avenir qu'il devrait préparer. Mais pour Bruce, il n'y a plus de retour en arrière possible. Chaque instant libre est consacré à la guitare, à l'écoute de disques ou à perfectionner ses connaissances musicales. C'est au club communautaire pour jeunes de Freehold où il passe du temps avec ses amis qu'il entend parler d'un groupe local, des Rogues. Alors, à la recherche d'un guitariste rythmique, il saisit sa chance. Il se présente à l'audition avec sa fidèle guitare Kent sous le bras et décroche le poste. Pendant une dizaine de jours, il répète sans relâche avec ses nouveaux compagnons, préparant leur premier concert rémunéré, une fête au Freehold X Club. Ce soir-là, il interprète fièrement Twist and Shout, le premier morceau qu'il a appris, devant un vrai public. Malgré quelques dates supplémentaires, notamment lors d'une fête privée et en première partie des Shovels au lycée de Freehold, l'expérience tourne au cours. L'alchimie ne prend pas, et ses camarades finissent par le rejeter, lui reprochant notamment son matériel trop médiocre pour le groupe. De retour chez lui, furieux et blessé, Bruce se réfugie dans sa chambre, et comme pour conjurer sa frustration, s'attèle à l'apprentissage d'un nouveau solo, celui de It's All Over Now des Rolling Stones de Circumstance. Malgré cet échec, le jeune guitariste persiste et continue à chercher une opportunité pour jouer dans un groupe. Cette persévérance finit par payer lorsqu'il entend parler d'une audition pour le groupe dans lequel joue le petit ami de sa sœur Ginny, George Tace. Le groupe en question, les Castiles, tire son nom d'une marque de shampoing très populaire auprès des adolescents de l'époque. Ils se sont formés au premier jour de l'été 1965 autour de George Tace, jeune guitariste élégant, à la fois menaçant et mystérieux. à la voix puissante et à la présence scénique incroyable pour son jeune âge. Il est accompagné de Bart Haynes à la batterie, Frank Marziotti à la basse, ainsi que Danny Highland aux percussions et au chœur. Les castilles commencent par répéter dans le salon des parents de Bart Haynes, aux grands dames des voisins, Gordon Tex Vinyard et de sa femme Marion, un couple sans enfant d'une trentaine d'années. Excédés par le bruit, ils finissent par venir frapper à la porte, bien décidés à se plaindre. Mais en découvrant ces lycéens passionnés, leur colère s'efface au profit d'une certaine curiosité. Tex entame la conversation avec les jeunes musiciens et leur demande si leur groupe est un projet sérieux. Emballé par leurs réponses, il leur propose immédiatement de les aider à professionnaliser leur démarche. Dès lors, Tex devient leur manager et met à disposition son propre salon comme local de répétition. Plus qu'un simple coup de main, il veut leur apporter une véritable structure, les faire progresser, leur trouver des engagements scéniques et bâtir un véritable plan de carrière. Par une soirée pluvieuse de juin, Bruce Springsteen se rend au 39 Center Street pour auditionner devant George Tace et Tex Vinyard. Complètement trempé avec ses bottes usées, il commence à jouer deux ou trois titres qu'il connaît parfaitement, mais sa timidité maladive est évidente. Il ne se laisse guider que par la musique, jouant les morceaux qu'il maîtrise sur le bout des doigts. Impressionné par son jeu malgré sa timidité, Vinyard et Tace échangent quelques mots et lui proposent de revenir une semaine plus tard pour jouer avec le groupe. Bruce profite de cette occasion pour apprendre davantage de titres et de se préparer au mieux pour cette prochaine audition. Le jour J, sa prestation de Twist and Shout captive totalement le groupe et il décroche enfin sa place dans la formation. Même si Tate se sépare de Jenny dans la foulée, il devient grand ami avec Bruce, qu'il vient réveiller chaque matin pour aller au lycée. Malgré les années, l'école est toujours un sacerdoce pour Bruce. Il passe le plus clair de son temps dans la salle de répétition du lycée, complètement absorbé et concentré sur la pratique de cet instrument qui l'obsède. Seuls quelques profs parviennent à le passionner, comme son prof d'anglais, qu'il influence grandement pour écrire ses premiers poèmes et chansons. Un autre artiste va également influencer le jeune Bruce dans sa volonté d'écrire ses propres textes. En cet été 1965, il découvre le dernier single de Bob Dylan, « Like a Rolling Stone » . Ce troisième choc musical est un nouveau tournant. Après Elvis Presley et les Beatles, la musique de Dylan lui offre une nouvelle approche musicale. L'artiste, lassé d'être perçu comme un simple chanteur folk, vient de bouleverser la musique populaire en passant d'une pop légère à un rock électrique puissant. Bruce se souvient précisément du moment où il entend le coup de caisse claire d'introduction de Like a Rolling Stone à la radio, alors qu'il est en voiture avec sa mère. Bien que celle-ci soit une amatrice de rock, elle juge que Dylan est incapable de chanter. Mais Bruce perçoit immédiatement qu'il vient d'entendre une voix unique, rugueuse, et il est totalement fasciné par l'univers de ce jeune artiste. Il se précipite pour acheter le single, puis l'album Highway 61 Revisited, qu'il écoute en boucle, captivé non seulement par la musique, mais aussi par l'image de Dylan en veste satinée et t-shirt triomphe sur la pochette. Des années plus tard, lors d'un concert en 1980, Bruce se souviendra que le son sortait d'un haut-parleur bon marché ce jour-là. Et même s'il n'avait pas compris toutes les paroles du couplet, il se souvient de cette question. « How does it feel to be on your own ? » Comment se sent-on quand on est tout seul qui résonne profondément en lui ? Cette question incarnait l'esprit rebelle d'une génération des années 60, une jeunesse incomprise et en décalage avec ses parents. Si le jeune guitariste n'a jamais été attiré par la période folk de Dylan, la puissance sonore de ses albums électriques, Brigaded, All Back Home, Highway 61 Revisited et Blonde Blonde, le Captive, il considère l'approche de Dylan comme révolutionnaire. Si Elvis a libéré les corps, Dylan, lui, a libéré les esprits. Il a prouvé que la musique n'était pas simplement physique, mais aussi intellectuelle, changeant ainsi la perception du rock'n'roll. A ses yeux, Dylan a montré qu'un artiste pouvait non seulement briser des conventions musicales, mais aussi innover sur le plan des idées, transformant la musique populaire en un vecteur de réflexion profonde. Les Castiles passent la majeure partie de l'été à répéter dans le salon des Vignardes, transformé en un véritable local de répétition. Cette fois-ci, Bo s'est déterminé à ne pas reproduire l'échec des Rose. Son éviction lui a laissé un goût amer, et il est plus motivé que jamais. Il passe ses nuits à écouter et à jouer, exploitant chaque instant libre pour perfectionner son jeu. Il n'a qu'un objectif, devenir le meilleur guitariste de la région. Peu à peu, son travail acharné porte ses fruits. Il gagne en aisance, développant son toucher et apprenant à se démarquer comme un soliste crédible. Malgré son absence totale de connaissances musicales, Tex Vinyard joue un rôle central dans la dynamique du groupe. Il dirige les répétitions avec une autorité naturelle, n'hésitant pas à les interrompre lorsqu'un morceau sonne faux, donnant des instructions précises et motivant les musiciens avec un enthousiasme contagieux. Il croit fermement en leur potentiel et n'hésite pas à les pousser toujours plus loin. De son côté, sa femme Marion joue un rôle tout aussi essentiel, endossant celui de la maman poule pour ses jeunes artistes. Elles veillent à leur bien-être, leur préparent des sandwiches et leur servent des sodas bon marché, créant ainsi une atmosphère chaleureuse et familiale. Les vineyards jouent un rôle clé dans l'ascension des Castilles. Comme tant d'autres figures de l'ombre du rock'n'roll, ils ouvrent leurs maisons, transportent le matériel, achètent des instruments et aménagent des espaces pour les répétitions. Ils deviennent le lien entre une génération d'adolescents rêveurs et celle des adultes, leur apportant un soutien financier et moral inestimable. A cette époque, les structures permettant aux jeunes groupes de se produire sont encore rares. Si des clubs indépendants dédiés aux adolescents émergent dès 1964, leur essor réel ne survient qu'en 1966, avant d'être rapidement éclipsé par la chaîne des Hula Baloo Teen Clubs. En parallèle, des institutions religieuses ou fraternelles, comme la Catholic House Organization ou la Elks Lodge organisent des teen parties, offrant aux jeunes musiciens quelques précieuses occasions de jouer en public. C'est dans ce contexte que les Castiles décrochent leur tout premier concert au Woodhaven Swim Club de Freehold. Nous sommes en juillet 1965 et ce soir-là le groupe empoche 35 dollars, une somme modeste mais assez significative pour ces jeunes musiciens. Si nous n'avons que très peu d'éléments concernant cette première date, Tex Vinyard confirme qu'il clôture leur performance avec une reprise du Glenn Miller Orchestra « In The Mood » . Ce premier succès leur ouvre d'autres portes. En août, ils enchaînent avec un concert au Blue Moon, une pizzeria située à Freewood Acres, ainsi que deux concerts à Saint-Rose-of-Lima, l'ancienne école catholique que Booth a quittée en 1963, après l'obtention de son certificat d'études. Quelques jours après, des castilles se produisent à L'Angle Inn, un parc de mobilhommes situé sur la route 33. Un grand barbecue y est organisé pour les résidents par un après-midi de septembre. Dans son autobiographie, Bruce Springsteen évoque ce concert comme la première véritable date des Castiles. Le groupe s'installe à l'ombre, sous l'avancée d'un petit garage, et joue devant une cinquantaine de personnes. Leur matériel est rudimentaire, une batterie, quelques amplis de guitare, dont un qui sert à sonoriser le micro du chanteur. Ce jour-là, il partage l'affiche avec un groupe local de 48, mené par une jeune chanteuse à peine âgée de 10 ans. Lorsque les Castilles investissent la scène, la magie opère. Une partie du public se met à danser sur les tables, portée par l'énergie brute de ces jeunes musiciens. Bien que la setlist exacte de ce jour-là demeure inconnue, Bruce se souvient de l'interprétation mémorable de George Tace sur You Turn Me Home de Ian Whitecomb et Bluesville et du final explosif sur Twist and Shout qui déclenche l'euphorie parmi l'assistance. Ce concert marque un tournant. Pour la première fois, les Castilles gouttent à la satisfaction d'avoir conquis un public, d'avoir su le faire danser et vibrer avec eux. Une archive retrouvée dans les affaires d'un des membres du groupe révèle une setlist datant d'octobre 1965, témoignant du répertoire du groupe à cette époque. Elle contient 27 morceaux, essentiellement les tubes du moment. Satisfaction is the last time des Rolling Stones. All day and all of the night des Kings. What I Say de Ray Charles ou encore I Got You Babe de Sonny Henshire qui avait dominé les charts cette année-là. A ces standards s'ajoutent des chansons des Yardbirds ou des Zombies, ainsi qu'une composition originale, Sidewalk, preuve que le groupe commence à s'aventurer vers la création de son propre univers. Si les Castiles consacrent une grande partie de son répertoire aux classiques de la British Invasion, Tex Vinyard tient à ce qu'il maîtrise aussi des morceaux plus intemporels comme In The Mood de Glenn Miller ou Moonweaver d'Henri Mancini. Côté apparence, Vignard prend les choses en main. Il finance et imagine les premières tenues de scène du groupe. Pantalons noirs, vestes brillantes, chemises blanches boutonnées jusqu'en haut. Une esthétique qui lasse vite les musiciens et qui les pousse vers un style plus extravagant. Bruce adopte un look entre le fils à papa et le blouson noir, avec ses chemises en mandra fermées jusqu'au cou, ses pantalons noirs moulants rentrés dans des bottes de cow-boy. Tess, lui, affiche un look de loup-barre, tandis que Paul Popkin ressemble à un boy scout. Bart Haynes, le jeune batteur de 17 ans, dégage un charisme brut entre Marlon Brando et une petite frappe du New Jersey. Mêtu d'un pantalon en satin, de chaussures italiennes impeccables, il affiche une longchalance assumée, cigarette au bout des lèvres. Tex Vinyard s'investit pleinement dans l'ascension des Castiles. Il leur trouve des engagements pour animer des balles d'adolescents, réquisitionne la camionnette de la station-service de Marzotti pour transporter le matériel, et les conduit lui-même dans sa Cadillac Bleu Ciel. Pendant les concerts, il gère le son depuis le fond de la salle. ajustant le volume d'un simple mouvement de pouce. Après chaque spectacle, il entraîne tout le monde chez Federici's pour manger une pizza, puis il distribue la paye, 5 dollars par tête en moyenne, puis il garde sa part après avoir soustrait le coût des repas et des sodas. Grâce à ses revenus, le groupe améliore son matériel. Ils achètent de nouveaux amplis, de nouveaux micros, de nouveaux haut-parleurs. Springsteen commence alors à gagner suffisamment d'argent pour ne plus dépendre financièrement de ses parents, qui lui laissent enfin plus de liberté de week-end. Malgré ce nouvel équilibre, son père, lui, reste inquiet pour son avenir. Il tente de prémunir son fils contre les désillusions du monde du travail. A l'époque, le chômage frappe de plein fouet la classe ouvrière et Doug en fait des frais. Freehold, autrefois ville dynamique, c'est un peu à peu après la fermeture de l'usine de tapis Carragogion, qui employait 400 ouvriers avant de délocaliser sa production en Caroline du Nord, attirée par une main-d'œuvre moins coûteuse. Avec elle, c'est toute l'économie locale qui vacille. Boutiques, restaurants, concessionnaires, les fermetures s'enchaînent. La ville sombre dans une longue agonie, marquée par l'amertume et la sensation d'une trahison collective. Ceux qui y avaient bâti leur vie se retrouvent abandonnés, leur loyauté aux entreprises locales non seulement ignorées, mais aussi piétinées. Face à ce naufrage, Douglas se réfugie de plus en plus dans l'alcool. Il veut préparer son fils à une existence aussi rude que la sienne, sans illusions ni faux espoirs. Pendant des années, leurs relations intriguent et inquiètent leur entourage. Certains évoquent des accès de violence, d'autres parlent plutôt d'une forme plus insidieuse de maltraitance, une dureté psychologique faite de silences lourds et de regards fuyants. Derrière son attitude sèche et distante, Doug reste un homme brisé, rongé par une honte qu'il n'a jamais su mettre en mots. Son propre échec le hante, mais face à son fils, il devient une présence oppressante. Mais plus que les reproches ou les disputes, ce qui fait le plus souffrir Bruce, c'est ce regard vide qu'il voit dans les yeux de son père chaque fois qu'il entre dans la cuisine. Mangé dans l'obscurité, avec un paquet de cigarettes et un pack de bière à portée de main, Doug reste impassible. Bruce, lui, espère un signe, un geste d'affection, ou ne serait-ce qu'un houchement de tête, mais il ne perçoit que de l'indifférence. Jusqu'à la fin de l'année 1965, les Castiles enchaînent une douzaine de concerts dans la région, jouant parfois dans des lieux improbables. L'un des plus marquants a lieu en octobre, à l'hôpital Marlboro, devant une poignée de passants de l'unité psychiatrique. Bruce racontera souvent cette anecdote. Un homme en costume présente le groupe et s'emballe dans un discours délirant de 20 minutes, annonçant qu'ils deviendront plus grands que les Beatles avant d'être évacués par le personnel médical. Quelques jours après ce concert, le 30 octobre, le batteur Bart Haynes quitte le groupe. Il s'engage volontairement dans la marine, persuadé qu'en devançant l'appel, il obtiendra une meilleure affectation et un meilleur grade. Il sait que le Vietnam l'attend. Son départ oblige les Castilles à trouver un remplaçant en urgence. C'est Vinnie Magnello qui le remplace au pied levé. L'année 1966 démarre avec de nouveaux engagements et des scènes toujours aussi variées. En février, il joue à la chambre du commerce de Freehold. mais aussi dans des pizzerias, lors de mariages ou encore dans des balles pour adolescents. Ils participent également à plusieurs concours de groupes locaux où la récompense varie, une somme d'argent ou une première partie pour un artiste en tournée. Ces événements deviennent des rendez-vous incontournables, offrant aux jeunes musiciens l'occasion de se mesurer les uns les autres et de tisser des liens au-delà du lycée et de leur ville. Le 22 avril, les Castiles prennent part à la Battle of the Band, un concept très en vogue à l'époque, organisé dans des gymnases ou des amphithéâtres. L'édition de cette année-là, orchestrée par le promoteur Norman Seldin, rassemble 25 groupes locaux au Roller Drome de Matawan. Chaque formation dispose de trois ou quatre titres pour convaincre le jury. L'enjeu est de taille. Le vainqueur aura l'opportunité d'ouvrir, une semaine plus tard, pour un plateau réunissant les Crystals, les Dovels et the Hadibs. Malgré une prestation solide, les Castiles ne se classent même pas parmi les trois premiers. La troisième place revient aux Blue Masters, la seconde à Sony and the Starfires, dont le batteur Vinnie Lopez croisera plus tard la route de Booth Springsteen. La victoire est attribuée aux Rogues, un groupe originaire de Middletown. En mai 1966, les Castiles montent pour la première fois sur la scène du Teen Devil, un club pour adolescents très en vogue depuis son ouverture en 1964 à New Shreibery. Ce lieu deviendra un des QG de Bruce qui s'y produira régulièrement jusqu'en 1969. Mais cette première date marque aussi la dernière apparition du bassiste Frank Marziotti. Plus âgé d'une bonne dizaine d'années que le reste du groupe, il n'apprécie pas qu'un gamin vienne lui demander, après le concert, s'il est le père de Bruce Springsteen. L'incident le vexe profondément et précipite son départ. Les auditions pour lui trouver un remplaçant se tiennent dans le salon des vineyardes. Après plusieurs essais, le groupe recrute Kurt Fleur. Avec ce nouveau line-up, les Castiles passent à l'étape supérieure. Le 18 mai 1966, ils enregistrent leur tout premier 45 tours dans les studios Mister Music, situés à Bridgetown, près du centre commercial local. Les deux morceaux sont des compositions originales de Bruce Springsteen et de George Tace. Baby High est une chanson légère qui parle de rupture, tandis que That's What You Got, en phase B, adopte un ton plus sombre, racontant l'histoire d'un homme dont les actes mènent à la mort prématurée de sa fiancée. La légende raconte que ces titres ont été écrits à la va-vite sur le trajet menant au studio et enregistrés en une seule prise. Seuls 7 ou 8 tests pressing en acétate sont produits et à peine la moitié d'entre eux survivront aux décennies suivantes. L'enregistrement se fait dans une pièce minuscule, mal adaptée aux instruments amplifiés. Dès que le volume monte, le son sature dans les micros. Ces studios ne sont tout simplement pas faits pour accueillir un groupe de rock. A cette période, Booth commence à prendre une place plus importante au sein des Castiles. Depuis le début de l'aventure, il se contente du rôle de guitariste rythmique, un poste qu'il trouvait d'abord très confortable. Mais sur scène, il sent une énergie nouvelle monter en lui, une envie irrépressible de capter l'attention. Petit à petit, il devient un véritable phénomène scénique. Le bassiste Kurt Fleur se souvient d'un Bruce encore timide en dehors de la scène, mais qui s'illuminait littéralement dès qu'il branchait sa guitare. Pourtant, ses camarades lui laissent encore peu d'espace au chant, persuadé qu'il n'a pas la voix pour ça. Malgré tout, au fil de l'année 1966, il finit par s'imposer. Il commence en reprenant du Bob Dylan avant que le groupe ne lui accorde quelques morceaux plus électriques comme My Generation de Wu ou Mystic High de Zem. Sur ces titres, sa fougue et son charisme explosent, annonçant déjà la bête de scène qui deviendra des années plus tard. Trois jours après l'enregistrement de ce premier 45 tours, les Castiles montent pour la première fois sur la scène du lycée de Freehold, leur propre lycée, à l'occasion du bal de promo des juniors. Le groupe affine progressivement son répertoire et commence à se faire un nom, jouant dans les beach clubs, les discothèques, les drive-ins, et même sur des scènes plus importantes. Le 2 juillet 1966, il participe à la soirée de lancement du Surf and Sea Club de Seabright, un club situé en bord de mer sur le territoire des fameux blousons dorés. Il joue en première partie des Rogues, un groupe qui commence à se faire un nom et qui est embauché comme groupe résident pour l'été. Ce show n'était pas du tout prévu, mais pour cette résidence, les Rogues ont pour mission de dénicher des groupes locaux pour assurer leur première partie. Séduits par l'audition des casties le matin même, ils les invitent à laisser leur matériel sur place et à ouvrir pour le concert du soir même. Le week-end suivant, un autre grand événement est organisé au Surf & Sea, animé par Gary Stevens, une personnalité incontournable de la radio new-yorkaise. Cinq artistes nationaux sont invités. Johnny Tillett Stone, The Jaffaive, Dean Parrish, The Times et The Shangri-Las. Les Rogues, qui avaient impressionné la direction du club lors de leur audition, sont de nouveau à l'affiche, accompagnés par d'autres groupes locaux comme The Victors et les Castiles. Ceux-ci jouent des sets très brefs de deux ou trois morceaux, mais Bruce, de plus en plus à l'aise, prend la scène d'assaut, grimpant sur les amplis pour haranguer la foule et marquer les esprits le temps de cette brève exposition. Cette prestation énergique leur permet de décrocher une nouvelle invitation le 14 août 1966, toujours au Surf & Sea, où ils joueront en première partie de Little Anthony. Une fois encore, le groupe impressionne et cette fois-ci, ils disposent de plus de temps pour séduire le public. Leurs prestations réussies poussent les programmateurs à les reprogrammer le 21 août en première partie des works, puis à nouveau le 17 septembre aux côtés des berries. Lors de cette date du 14 août au Surf & Sea, un autre groupe se distingue. Les Shadows, originaire de Middletown, une ville plus bourgeoise et moins ouvrière que Freehold, située à une trentaine de minutes de route. Parmi les musiciens, Steven Van Zandt, guitariste talentueux, fait ses armes. Booth et lui se sont rencontrés quelques mois plus tôt au Hula Baloo Club de Middletown et se sont rapidement liés d'amitié, devenant de véritables complices musicaux. Ils partagent une obsession commune pour les détails de leurs morceaux préférés et passent des heures à les disséquer, discutant de tout ce qui concerne de près ou de loin leur groupe fétiche. Ensemble, ils créent un univers musical à part, centré uniquement sur le rock'n'roll. Lorsque Van Zandt forme son nouveau groupe, The Source, Bruce irait les voir au Tendezvous. Van Zandt est connu à l'époque comme l'un des premiers adeptes du country rock, maîtrisant à la perfection le répertoire des Byrds ou des Youngbloods, bien avant que Bruce ne s'intéresse à ce genre musical. En parallèle, dès le mois de septembre 1966, les Castiles enrichissent leur son également en ajoutant un clavieriste, Bob Alfano, ancien membre des Rising Sun et élève au lycée de Freehold. Un samedi après-midi de répétition, dans le salon de Tex, le groupe prend une décision capitale. Ils ont compris que pour se faire remarquer, il leur faut absolument sortir du New Jersey. La région étant peu touristique, seuls les locaux ont l'opportunité de voir le groupe évoluer sur scène. En novembre 1966, Vignard décroche une audition au légendaire Café Wow de New York City, une salle emblématique du Greenwich Village, qui a vu le premier concert de Bob Dylan en 1961, ou encore des prestations enflammées de Jimi Hendrix. Lors de cette audition, le groupe joue devant Manny Rhodes, le propriétaire du lieu. Selon Tex Vinyard, c'est la reprise de My Generation des Wu, chantée par Bruce Springsteen, qui permet au groupe de décrocher un contrat. Ils se produiront ainsi une trentaine de fois dans cette salle mythique, jouant les samedis et les dimanches après-midi, une à deux fois par mois jusqu'en mars 1968. Malgré cette belle opportunité, les Castiles sont étonnés d'apprendre qu'ils ne seront pas payés pour ces concerts. Le café-wa leur offre en effet une opportunité de se produire et ils estiment que cela suffit pour mettre un pied à New York, dans la cour des grands, avec l'espoir qu'un des nicheurs de talent les repère et les prenne sous son aile. Les week-ends des jeunes musiciens commencent à être de plus en plus rythmés par leur virée à New York. Ils prennent la navette de Plymouth Hall, s'arrêtent à Port Authority et découvrent un tout nouvel univers. Un monde animé entre les hippies, les gays, les dealers, la faune du Washington Square Park. C'est un véritable exode pour les musiciens, un nouveau foyer loin de chez eux, bien loin de l'atmosphère étouffante et malsaine de leur région. Ils croisent également les figures d'oproux de la scène musicale de l'époque. Ils assistent aux concerts des Mothers of Invasion au Warwick Theater, juste au coin de la rue, et même à l'un des premiers concerts en solo de Neil Young pour la promotion de son premier album, Bitter Hand. Dans ce Greenwich Village, Bruce trouve une ambiance plus libre, plus ouverte. Il se sent chez lui, prêt à se révéler sans crainte d'être jugé. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'il reste dans la ville après les concerts, séchant les cours du lendemain. Il dort parfois à la Belle Étoile, dans la voiture d'un ami, ou même dans la chambre de tête d'un autre guitariste qui arrondit ses finements en dilant. C'est également à cette époque que les drogues commencent à devenir un problème dans les lycées du New Jersey. Bruce préférera toujours s'en tenir à l'écart, effrayé par les conséquences qu'elles pourraient avoir sur lui. A la fin de l'année 1966, le groupe enchaîne les concerts, dont des performances notables à Loulabaloo de Middletown et à l'American Hotel de Freehall le 23 décembre, lors d'une soirée Sweet Sixteen pour les lycéennes de la ville. Le début de l'année 1967 suit une dynamique similaire, avec deux concerts mensuels au Café Wao, des représentations au lycée d'O.L., à l'église Saint-Rose-of-Lima et une autre date à Loulabaloo de Middletown. L'année 1967 marque également un tournant culturel avec l'essor du psychédélisme et de la culture hippie menée par la musique des Doors ou du Jefferson Airplane. Les Castiles s'engouffrent dans la brèche. Bruce change de style, il adopte désormais des vêtements flashy, un motif floraux et se laisse pousser ses cheveux frisés. Lors du concert à l'église Saros of Lima, le groupe ajoute des stroboscopes, des fumigènes et divers effets visuels à son spectacle. Vers la fin de l'année, ils reprendront des morceaux des Doors comme Break on Through ou The End, s'imprégnant pleinement de l'univers psychédélique de ce groupe majeur. Cependant, ce changement d'apparence et d'attitude accentue leur rejet par les conservateurs de Freehold, avec qui le courant passe très mal. Bruce, tout comme nombre de ses amis musiciens, se sent marginalisé, perçu comme un véritable paria dans sa propre ville. Le 9 juin 1967, 5 des 6 membres du groupe obtiennent leur diplôme de fin d'études, tandis qu'Alfano a encore un an de lycée devant lui. Il se reproduise au Senior Firewall Dance, la soirée de fin d'année organisée par le lycée. Mais l'ambiance n'est pas forcément à la fête pour Bruce. Il a passé cette dernière année dans un isolement presque total, ignoré par ses camarades qui tentent désormais de l'exclure de la cérémonie des remises des diplômes prévues 10 jours plus tard. Une de ses professeurs prend publiquement position contre lui, critiquant son apparence et incitant la classe à refuser sa présence à la remise des diplômes, jugeant ses cheveux longs comme un symbole de rébellion qui discréditerait toute la promotion. Afin d'éviter cette humiliation supplémentaire, Boo se réveille aux aurores ce jour-là et emprunte la navette qui le met à l'aise. mène jusqu'au Greenwich Village. Il passe la journée à Flaneda Washington Square, ou à faire un arrêt au Café Wa, où il rencontre une jeune fille. Ses parents, inquiets, réussissent à le joindre par téléphone au club et lui promettent d'oublier tout ça s'il revient immédiatement chez eux, où famille et amis l'attendent pour célébrer l'obtention de son diplôme. Booth rentre en début de soirée accompagné de sa nouvelle copine. Son père Doug est furieux, il l'attend et ramène la jeune demoiselle à la gare routière. Il ordonne à Booth de se rendre directement dans sa chambre où il dévisse et confisque toutes les ampoules, laissant son fils dans le noir pour réfléchir à ses erreurs. Booth finira par récupérer son diplôme quelques jours plus tard après ce nouvel affrontement avec son père. Le conflit entre le père et le fils va encore s'intensifier avec un accident de moto qui va ajouter de l'huile sur le feu. Alors qu'il rentre chez lui sur une petite moto Yamaha, Wu s'est renversé par une cadillac qui le percute à la jambe. Il est éjecté 6 ou 7 mètres plus loin sur le bitume, sans casque de sécurité, pas obligatoire à l'époque. Il reste sans connaissance pendant 30 minutes, jusqu'à son arrivée à l'hôpital situé dans la ville de Neptune. Aux urgences, les médecins doivent lui découper son jean, tant la jambe est enflée. Certains médecins se moquent de lui à cause de sa coupe de cheveux et dès le lendemain, il refuse de soigner son traumatisme crânien. De retour à la maison, l'avocat censé le défendre, Billy Doyle, futur maire de Freehold, est tellement écoeuré par sa dégaine qu'il affirme qu'à la place du juge, il le déclarait lui-même coupable, rien que pour son look. Furieux de passer pour un père indigne devant une connaissance qu'il estime, Doug profite que Bruce soit immobilisé pour faire venir un coiffeur qui libérera son fils de ses mèches indignes. Le jeune homme est furieux et hurle à son père qu'il le déteste pour la seule fois de son existence. Comme si cela ne suffisait pas, il doit limiter ses performances sur scène afin de ne pas aggraver son traumatisme crânien. Il passe ainsi l'essentiel de son été à cogiter. Le 16 septembre, le groupe inaugure malgré tout un nouveau club de freehold destiné aux 13-18 ans, The Left Foot, dans les locaux de l'église épiscopale de la ville. Ils sont soutenus par Purple Dynasty en ouverture et chaque groupe joue deux sets de 30 minutes. Le club, ouvert par les révérends George Erickson et Fred Coleman, accompagné de deux lycéens, ne tiendra que sept mois, mais les Castiles auront le temps d'y s'y produire une seconde fois. Les deux apparitions ont été enregistrées par le manager du club sur un appareil à bande de bonne qualité. La setlist, composée de 13 titres, représente l'intégralité du concert des Castiles, composée uniquement de reprises. Bien que Booth ait été engagé en tant que guitariste rythmique deux ans plus tôt, Il semble clair qu'il soit devenu le point central du groupe puisqu'il chante quasiment l'intégralité du set, hormis Eleanor Rigby des Beatles, See My Friend des Kings et The Steve Songs de Bruce Project, chanté par George Stace. Bruce y interprète notamment Fire et Purple Haze de Jimi Hendrix, You Can Judge About by the Cover de Bo Diddley et Suzanne de Leonard Cohen. Deux semaines plus tard, le groupe remet le couvert dans le même lieu avec un répertoire différent. George Tate assure le chant principal sur « With a little help from my friend the Beatles » « Saint-Francisian Night » d'Eric Burden and the Animals, puis le later des Box Top. Bruce chante quant à lui « Hey Joe, my generation des Woo » « Wake me, shake me » des Coasters et les rappels de la soirée « To love somebody » des Bee Gees. Lors de ce concert, Bruce chante également une composition originale « Mr. Jones » composée par le clavieriste Bob Alfano « A look into my window » . autre création originale sur laquelle il partage le micro avec George Tace. Un mois plus tard, le groupe apprend avec stupeur que Bart Haynes, le premier batteur des Castiles, engagé volontaire, a été tué sous une pluie de tirs de mortier dans une embuscade tendue par les soldats nord-vietnamiens. Après l'obtention de son diplôme de fin d'études en juin 1966, il avait rejoint la marine en octobre de la même année, avant d'être envoyé au Vietnam en avril 1967, où il perdit la vie six mois plus tard, à l'âge de 19 ans. Les Castiles, de leur côté, passent le reste de l'année 1967 et le début de l'année 1968 à partager leur temps entre le Café-Ois jusqu'en mars, le Tendezvous de New Shrubbery, l'Océan Surf Club de Seabright ou encore les différents Oulabaloo de Freehold et de Middletown. A la maison, le conflit entre père et fils atteint des sommets. Mais Doug rêve désormais d'un ailleurs. Après des années de dépression dans cette région industrielle, il veut partir aussi loin que possible, à l'autre bout du pays, en Californie. Adele n'est pas forcément enchantée par cette idée. Ginny, leur grande-fille, vient d'avoir son premier enfant, mais Doug n'en démore pas et se dit prêt à partir sans sa femme. L'idée fera son chemin, mais pour lui, son avenir n'est plus dans le New Jersey. En mai 1968, Booth fait seule l'ouverture du Broad Street Coffee House de Red Bank dans le New Jersey. Conçu pour offrir une scène aux auteurs-compositeurs-interprètes qui pullulent en cette fin des années 60, surfant sur la vague de talent du Greenwich Village, le club embauche chanteurs, groupes de rock et organise des soirées open mic. Ce premier concert en formule acoustique permet à Booth de présenter ses chansons folk écrites entre fin 1967 et début 1968, des compositions qui ne trouvent que la vie. pas leur place dans le set électrique des Castiles. Les 15 titres interprétés seront également joués dans ce même lieu durant d'autres spectacles en 1968, dont Alone, co-écrite avec Norman Luck, le leader des Purple Dynasty, puis A Winter Revelation, Crystal Clouds, The War Song et Death of a Good Man. Ces compositions s'inscrivent dans un registre proche de Tim Buckley, Leonard Cohen, Bob Dylan et Donovan. Bruce reviendra avec son groupe au moins à trois reprises lors de l'été 1968, entre des dates au casino de Long Branch, au Tendezvous ou l'Houlabaloo de Freehold. Les mois s'enchaînent et semblent se répéter. Les Castiles ne parviennent pas à percer et continuent de fouler inlassablement les mêmes planches. La résidence au Café Was est terminée au mois de mars et ils doivent de nouveau se contenter des scènes du New Jersey. Les deux têtes pensantes, George Tate et Bruce Springsteen, ne s'entendent plus aussi bien qu'à leur début et ne s'adressent quasiment plus la parole. s'engueulant même sur scène à quelques reprises. Le groupe songe à se séparer. Le fossé se creuse, notamment avec les premiers concerts en solo de Bruce, qui a envie d'explorer d'autres voies. Le destin va aider le groupe à prendre cette lourde décision. Durant la première semaine d'août 1968, une descente de police gigantesque réveille les quartiers de Freehold à 4h du matin. Le coup de filet surprend la ville, qui n'a jamais rien connu de telle. Depuis quelques mois, la drogue a envahi la ville. marijuana, LSD, champignons, amphétamines, tranquillisants, cocaïne, speed, Vinnie Magnello, Paul Popkin et Kurt Fleur se font choper durant cette descente. Pour Bruce et Tace, c'en est trop et le groupe se sépare officiellement après un dernier show au Tinday-Woo le 10 août 1968. George Tace rejoindra pour sa part le groupe local Rusty Chain. Bob Alfano et Vinnie Magnello formeront Sunny Jim tandis que Kurt Fleur et Paul Popkin rangeront définitivement les instruments au placard. Booth, de son côté, récupérera les engagements des Castiles et s'y produira avec le nouveau groupe qui se dessine dans sa tête. Nous allons nous quitter après cette aventure des Castiles qui aura duré de juin 1965 à août 1968. Vous trouverez dans la description de cet épisode les sources ayant servi à la création de ce podcast, ainsi qu'une playlist Spotify pour accompagner ce second épisode. C'était Julien et j'espère que vous avez apprécié ce voyage dans le temps. N'hésitez pas à partager et noter ce podcast sur votre application favorite. On se retrouve dans deux semaines pour le troisième épisode de Badlands, l'histoire de Bruce Springsteen. A très vite !

Description

Dans ce second épisode, nous allons explorer la période 1964-1968, durant laquelle Bruce apprend la guitare et intègre ses premiers groupes, dont les Castiles.


Retrouvez la playlist Spotify pour accompagner ce second épisode : https://open.spotify.com/playlist/0VebZOWtiyPyHRIej42lvI?si=0ccf477af86644c7


Les sources utilisées pour ce podcast :

  • Bruce Springsteen, Born To Run, Éditions Albin Michel (2016)

  • Marc Dufaud, Bruce Springsteen : une vie américaine, Éditions Camion Blanc (2010)

  • Peter Ames Carlin, Bruce, Éditions Sonatine (2013)

  • Hughes Barrière, Bruce Frederick Springsteen, Éditions Castor Astral (2013)

  • Clinton Heylin, E Street Shuffle: The Glory Days of Bruce Springsteen and the E Street Band, Éditions Viking Adult (2013)

  • Le site internet http://brucebase.wikidot.com/



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    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Badlands, l'histoire de Bruce Springsteen. Je suis Julien Debray et je suis heureux de vous retrouver pour ce second épisode dans lequel on évoquera l'adolescence et des tout premiers groupes dans lesquels Bruce Springsteen a joué à cette époque. Vous êtes dans Badlands et je vous souhaite une bonne époque. Nous sommes en septembre 1963. Le jeune Bruce Springsteen fait son entrée au lycée régional de Freehold. Loin de l'atmosphère stricte de l'école catholique de Saint-Rose-of-Lima, où il a étudié jusqu'alors, il goûte à une liberté nouvelle. Pourtant, cette sensation n'est qu'un leurre. Il réalise rapidement que l'empreinte du catholicisme ne disparaîtra pas si facilement. Malgré son éloignement des pratiques religieuses, il sent toujours son influence en lui, ancrée au plus profond de son être. Ce changement d'établissement ne transforme d'ailleurs en rien son rapport à l'école. Vos reste en marge des autres élèves détachés, indifférents aux études. Il perçoit l'école comme une contrainte oppressante, rejetant aussi bien les cours que la discipline et la pression académique. Ce sentiment de mal-être, il l'évoquera des années plus tard dans la chanson « No Surrender » , où il explique avoir plus appris avec une chanson de trois minutes que toutes ses années sur les bancs de l'école. D'ailleurs, c'est précisément à cette période que la musique prend une place essentielle dans sa vie. Alors que l'école lui semble stérile et sans issue, la musique devient quant à elle son refuge, son moyen d'évasion, son véritable salut. Les années 1960 marquent un tournant pour la musique populaire et Bruce Springsteen s'en imprègne avec une grande curiosité. Chez lui, la radio est une présence constante, allumée chaque matin par sa mère, Adele. La station de radio W. New diffuse sans relâche les nouveautés du moment, offrant au jeune Bruce une ouverture sur un univers musical alors en pleine effervescence. En l'absence d'un système hi-fi au domicile familial, la radio devient sa principale source de découverte. Comme beaucoup de jeunes de son époque, il est fasciné par Elvis Presley. l'icône incontestée du rock'n'roll. Outre The King, ce sont les groupes féminins new-yorkais qui le captivent, les Ronettes, les Crystals ou les Chiffons. Autant de formations qui enchaînent les tubes et façonnent peu à peu sa sensibilité musicale. Il se passionne également pour Roy Orbison, dont La Voix Puissante et Les Balades Envoûtantes le marquent profondément, ainsi que Chuck Berry, l'un des pionniers du rock'n'roll et un storyteller de génie. Bruce n'a que 12 ans, en 1961, lorsqu'il réunit ses maigres économies pour acheter son tout premier disque. un EP de Dusty Rhodes, chanteur méconnu reprenant les titres d'Elvis Presley. A cette époque, Elvis est dans sa période hollywoodienne. Loin de la foule de ses débuts avec Hound Dog, Blue Sweet Shoes ou Jailhouse Rock, il enchaîne désormais des morceaux plus lisses, pensés pour accompagner ses films. Malgré tout, certains titres continuent de résonner chez Bruce, comme I Can't Help Falling In Love ou Follow That Dream, des chansons qu'il reprendra des années plus tard lors de la tournée The River en 1980 et 1981. A l'été 1961, Bruce Springsteen et sa sœur Jenny raffolent également du titre de Chubby The Twist. En août de la même année, Adele réunit ses économies pour emmener ses deux aînés à la Rainbow Room d'Atlantic City. Un plateau exceptionnel réunissant Freddy Cannon, les Shirelles, Bobby Riddle et Chubby . Le tout animé par le présentateur vedette Dick Clark. Le jeune Bruce est hypnotisé par la performance de Chaker, capable à la fois de danser, de chanter et d'interpréter à la perfection sa chanson favorite du moment. Cet été-là, le virus de la musique s'empare définitivement de Bruce Springsteen. Vivant entre New York et Philadelphie, il a accès à une grande diversité de stations de radio qui émettent grâce aux longues ondes, ce qui lui permet de découvrir une variété de styles musicaux. Il est particulièrement séduit par les stations de rhythm and blues de Philadelphie, qui lui ouvrent de nouveaux horizons sonores. Un morceau en particulier, South Street des Horlons, devient un de ses favoris, d'autant plus qu'il porte le nom de la rue des Springsteen. La surf-musique également se ferait un chemin jusqu'à dans le Lou Jersey, d'abord avec la reprise d'Homicide Lou par Dick Dale et The Dead Domes, mais aussi les premiers succès radiophoniques des Beach Boys qui inondent les ondes avec leur musique débridée et fun, subtil mélange entre le rock'n'roll originel et le doo-wop. Au début de l'année 1964, Bruce Springsteen vit une véritable révolution musicale qui dépasse même la découverte d'Elvis Poesley 7 ans plus tôt. Alors qu'il est sur le siège passager de la voiture conduite par sa mère Adele dans les rues de South Street, La radio diffuse une nouvelle sensation venue d'Angleterre, les Beatles. Originaire de Liverpool, le groupe mené par Paul McCartney, John Lennon, George Harrison et Ringo Starr vient de sortir son premier album aux Etats-Unis, Mythes de Beatles. Stupéfait, Bruce entend pour la première fois la puissance des harmonies de I Wanna Hold Your Hand, l'un des premiers singles de cet album. Le choc est si fort qu'il supplie sa mère de s'arrêter dans un bowling pour qu'il puisse appeler sa petite amie de l'époque et lui demander si elle a entendu cette musique révolutionnaire. Quelques jours plus tard, le 7 février 1964, les Fab Four atterrissent à l'aéroport JFK de New York, marquant leur premier pas sur le sol américain. Une foule de plus de 4000 fans, en totale effervescence, les accueillent comme des messies. Deux jours après, le 9 février, ils apparaissent dans le Ed Sullivan Show avant d'y revenir une semaine plus tard. 73 millions d'états-uniens, soit près de 40% de la population de l'époque, regardent ce moment d'histoire sous les ondes de NBC. Parmi eux, Bruce et sa mère devant le petit écran du salon, se délectant des interprétations de All My Loving ou She Loves You. La Beatlemania déferle alors sur les Etats-Unis. Elle captive une jeunesse en quête d'espoir, à peine trois mois après l'assassinat de John Philgeral Kennedy. Comme des milliers d'autres adolescents, Bruce Springsteen devient un fan inconditionnel des Beatles. Chaque semaine, il écoute religieusement le Top 20 pour découvrir les nouveaux singles, et passe des heures à fouiller dans les kiosques à journaux, en quête de nouveaux articles sur son groupe préféré. Mais pour lui, l'impact de ce groupe dépasse largement la simple admiration. Leur musique est une vraie révélation, un exutoire face à une vie qui lui semble déjà toute tracée. Il trouve dans le rock'n'roll un moyen de s'évader, de rêver, et surtout de se connecter à une communauté qui partage ses émotions et ses aspirations. L'arrivée des Beatles aux Etats-Unis ne représente pas seulement un phénomène musical. C'est un tournant culturel majeur et pour Bruce, un déclic qui va profondément transformer sa vie. Les Rolling Stones, The Animals, The Kings, Herman Hermits, Manfred Mann et un peu plus tard The Woo bouleversent la scène musicale américaine. Moins inaccessible qu'un Elvis Presley déjà auréolé de son statut de star, ces groupes incarnent une nouvelle dynamique. Ils prouvent aux jeunes qu'il est possible de percer dans la musique en partant de rien. simplement avec du talent, de l'énergie et une attitude rebelle. Cette effervescence inspire toute une génération d'adolescents, y compris ceux qui deviendront les compagnons de route de Springsteen. En juin 1964, Steven Van Zandt découvre les Rolling Stones sur scène, une révélation qui le pousse dès le mois d'août de la même année à fonder son propre groupe de surf-musique, le Wild Wings. Bien que l'aventure ne soit que de courte durée, il persévère et crée successivement The Mates en 1965 puis The Shadows en 1966. De son côté, Danny Federici, alors âgé de 14 ans et accordéoniste dans The Legend, vit un déclic en voyant Alan Price des Animals interpréter The House of the Rising Sun. Fasciné par la puissance et la richesse des sonorités, il décide de troquer son accordéon pour les claviers et rejoint en 1966 The Storytellers, amorçant ainsi son propre parcours musical. Chez Bruce, cette vague musicale venue d'Angleterre ravive une envie profonde. Apprendre enfin à jouer les guitares. Cet été-là, il se donne les moyens d'acquérir son premier instrument en multipliant les petits boulots. Il s'occupe du jardin de sa tante Dora, mais cela ne suffit pas à financer son projet. Déterminé, il convainc une voisine de le laisser repeindre sa maison en entier, et avec l'aide de son ami Mike, il s'attèle même au goudronnage de son toit. Après un été éprouvant, il parvient enfin à réunir les 18 dollars nécessaires pour s'offrir cette guitare acoustique, repérée depuis des semaines dans la boutique Western Audio, sur Main Street. En complément, il achète un livre de partition regroupant les 100 plus grands classiques de la folk américaine, bien décidé à s'initier sérieusement. Pourtant, comme lors de sa première tentative 8 ans plus tôt, l'apprentissage se révèle laborieux. Pendant des semaines, il gratte son instrument sans parvenir à en tirer quoi que ce soit de mélodieux. L'explication viendra finalement de son cousin, qui lui fait remarquer que la guitare n'est pas accordée. Il lui montre alors ses premiers accords, mais l'instrument est loin d'être idéal. Bruce se souvient d'un manche épais comme un tasseau de bois, et des cordes si dures qu'elles semblaient être en fil de fer. Malgré ses débuts chaotiques, il s'accroche, bien décidé à faire de la musique son moyen d'expression. L'apprentissage de la guitare par Bruce tourne rapidement au cauchemar pour son père, Doug. L'ami de Bruce, Bobby Duncan, se souvient de longues heures passées dans sa chambre, à lui tenir une partition pendant qu'il répétait inlassablement ses enchaînements d'accords. Régulièrement, la voix de Doug résonne dans la maison, excédée par ses sons maladroits. Il ne veut plus entendre ce machin. Heureusement, il peut compter sur le soutien de sa mère, Adele, qui continue de l'encourager dans sa passion, convaincue qu'il doit suivre sa propre voix. A la fin de l'année 1964, Bruce accompagne d'ailleurs sa mère au magasin de musique de la ville. pour lui montrer l'objet de ses rêves. Une guitare électrique Kent, noire et or, exposée en vitrine, pendue avec son ampli pour 69 dollars. Avec ses lignes anguleuses et sa finition éclatante, cet instrument lui promet enfin le son puissant qu'il désire tant. Pour contribuer à son achat, il revend le billard qu'il avait reçu au Noël précédent, persuadé à l'époque qu'il hériterait du talent de son père pour ce jeu. Malgré les finances modestes de la famille, Adèle contracte un crédit à court terme auprès de la Household Finance Company. qu'elle sollicite habituellement pour boucler les fins de mois difficiles ou financer des vacances en famille. Dux s'oppose fermement à cette décision, mais cette fois-ci, il n'a pas son mot à dire. Le jour de Noël 1964, Bruce découvre émerveillé sa précieuse guitare sous le sapin. Ce cadeau marque un tournant. Il ne le sait pas encore, mais cette guitare Kent sera le premier véritable jalon de son parcours musical. Très vite, la guitare devient bien plus qu'un simple passe-temps pour Bruce. C'est une véritable obsession. Il passe des heures à s'exercer, apprenant les accords, s'attaquant aux gammes et s'essayant même à quelques solos rudimentaires. Son premier véritable accomplissement est l'apprentissage complet de Twist and Shout, un morceau des Aisley Brothers popularisé par les Beatles en 1963. Mais au-delà de la technique, l'instrument lui apporte quelque chose de plus profond. Devant son miroir, il se surprend à adopter des postures de guitariste, explorant ce que la musique lui permet d'exprimer. La guitare entre les mains, il se sent enfin libre, en phase avec lui-même. Des années plus tard, en 1975, il confiera à Newsweek que la première fois où il s'est senti en paix avec lui-même, c'était avec une guitare entre les mains. Outre les Beatles, les Animals vont également influencer le jeune artiste en herbe. Leur musique, brute et engagée, résonne en lui d'une manière particulière. En 1976, il rendra hommage à ce groupe en reprenant sur scène « It's my life » et « We gotta get out of this place » , deux morceaux qui expriment une rage et une urgence qui lui parlent intimement. En 2012, il confiera que la musique des Animals lui a fait découvrir une conscience de classe qu'il n'avait jamais perçue auparavant. Pour la première fois, il entend des chansons qui reflètent une réalité sociale proche de la sienne. Leur texte parle d'oppression, de frustration et d'un besoin vital d'évasion, des sentiments qu'il ne connaît que trop bien. Bruce apprécie également que The Animals ne ressemblent en rien aux idoles pop lises et impeccables de l'époque. Aucun membre du groupe n'étant particulièrement séduisant, même Eric Burdon, leur chanteur, malgré son costume, ressemble plus à un bagarreur de pub qu'à une star glamour. Cette authenticité le touche et le conforte dans l'idée que le rock peut être un exutoire, un moyen d'expression pour ceux qui viennent d'un milieu modeste. Dans cette effervescence musicale, il élargit encore ses influences. Il découvre Manfred Mann et The Searchers. mais aussi le groupe nord-irlandais ZEN mené par Von Morrison, qui marque l'histoire du rock garage avec des hymnes comme Gloria ou I Can Only Give You Everything. Chaque nouvel artiste, chaque nouvelle chanson renforce un peu plus son désir de faire de la musique son propre langage. La passion grandissante de Bruce pour la musique creuse un fossé toujours plus profond entre lui et son père. Sensible et rêveur, l'adolescent se sent en total décalage avec cette figure d'autorité rigide qui incarne à ses yeux une vie de travail monotone et de rêve brisé. Doug Springsteen ne comprend pas cet intérêt dévorant pour la musique et encore moins pour cette quête d'évasion qui anime son fils. Pour lui, Bruce devrait se préparer à un avenir plus concret, plus conforme aux valeurs de travail et de sacrifice qu'il estime essentielles. Mais à mesure que Bruce découvre des artistes qui lui offrent une autre vision du monde, il s'éloigne encore davantage de son père. It's my life des Honeymoles devient presque un manifeste personnel. Cette chanson lui fait comprendre qu'une autre voie est possible, que son destin ne doit pas nécessairement ressembler à celui de son père. À travers la musique, il entrevoit l'espoir d'une vie plus grande, plus libre. À la maison, la tension est permanente. Chaque soir, Doug s'installe à la table de la cuisine, un pack de bière à portée de main, enchaînant les cigarettes dans une atmosphère lourde et oppressante. Ces moments deviennent de théâtres de confrontations répétées. Le père interroge le fils sur sa vie et ses choix, avec une insistance qui vire souvent à l'affrontement verbal. Beau se sent piégé dans un cycle de disputes incessantes, incapable d'expliquer ses aspirations, sans déclencher la colère paternelle. Cette relation conflictuelle laissera une empreinte à Daily Bill sur son œuvre. À travers ses chansons, il exprimera cette frustration, ce besoin d'échapper à un modèle imposé, cette volonté farouche de tracer son propre chemin, envers et contre tout. Loin de s'arranger, la situation se tend encore davantage à mesure que Bruce tente d'intégrer des formations musicales. A la maison, son père voit d'un mauvais œil cette obsession qui, selon lui, le détend des responsabilités et de l'avenir qu'il devrait préparer. Mais pour Bruce, il n'y a plus de retour en arrière possible. Chaque instant libre est consacré à la guitare, à l'écoute de disques ou à perfectionner ses connaissances musicales. C'est au club communautaire pour jeunes de Freehold où il passe du temps avec ses amis qu'il entend parler d'un groupe local, des Rogues. Alors, à la recherche d'un guitariste rythmique, il saisit sa chance. Il se présente à l'audition avec sa fidèle guitare Kent sous le bras et décroche le poste. Pendant une dizaine de jours, il répète sans relâche avec ses nouveaux compagnons, préparant leur premier concert rémunéré, une fête au Freehold X Club. Ce soir-là, il interprète fièrement Twist and Shout, le premier morceau qu'il a appris, devant un vrai public. Malgré quelques dates supplémentaires, notamment lors d'une fête privée et en première partie des Shovels au lycée de Freehold, l'expérience tourne au cours. L'alchimie ne prend pas, et ses camarades finissent par le rejeter, lui reprochant notamment son matériel trop médiocre pour le groupe. De retour chez lui, furieux et blessé, Bruce se réfugie dans sa chambre, et comme pour conjurer sa frustration, s'attèle à l'apprentissage d'un nouveau solo, celui de It's All Over Now des Rolling Stones de Circumstance. Malgré cet échec, le jeune guitariste persiste et continue à chercher une opportunité pour jouer dans un groupe. Cette persévérance finit par payer lorsqu'il entend parler d'une audition pour le groupe dans lequel joue le petit ami de sa sœur Ginny, George Tace. Le groupe en question, les Castiles, tire son nom d'une marque de shampoing très populaire auprès des adolescents de l'époque. Ils se sont formés au premier jour de l'été 1965 autour de George Tace, jeune guitariste élégant, à la fois menaçant et mystérieux. à la voix puissante et à la présence scénique incroyable pour son jeune âge. Il est accompagné de Bart Haynes à la batterie, Frank Marziotti à la basse, ainsi que Danny Highland aux percussions et au chœur. Les castilles commencent par répéter dans le salon des parents de Bart Haynes, aux grands dames des voisins, Gordon Tex Vinyard et de sa femme Marion, un couple sans enfant d'une trentaine d'années. Excédés par le bruit, ils finissent par venir frapper à la porte, bien décidés à se plaindre. Mais en découvrant ces lycéens passionnés, leur colère s'efface au profit d'une certaine curiosité. Tex entame la conversation avec les jeunes musiciens et leur demande si leur groupe est un projet sérieux. Emballé par leurs réponses, il leur propose immédiatement de les aider à professionnaliser leur démarche. Dès lors, Tex devient leur manager et met à disposition son propre salon comme local de répétition. Plus qu'un simple coup de main, il veut leur apporter une véritable structure, les faire progresser, leur trouver des engagements scéniques et bâtir un véritable plan de carrière. Par une soirée pluvieuse de juin, Bruce Springsteen se rend au 39 Center Street pour auditionner devant George Tace et Tex Vinyard. Complètement trempé avec ses bottes usées, il commence à jouer deux ou trois titres qu'il connaît parfaitement, mais sa timidité maladive est évidente. Il ne se laisse guider que par la musique, jouant les morceaux qu'il maîtrise sur le bout des doigts. Impressionné par son jeu malgré sa timidité, Vinyard et Tace échangent quelques mots et lui proposent de revenir une semaine plus tard pour jouer avec le groupe. Bruce profite de cette occasion pour apprendre davantage de titres et de se préparer au mieux pour cette prochaine audition. Le jour J, sa prestation de Twist and Shout captive totalement le groupe et il décroche enfin sa place dans la formation. Même si Tate se sépare de Jenny dans la foulée, il devient grand ami avec Bruce, qu'il vient réveiller chaque matin pour aller au lycée. Malgré les années, l'école est toujours un sacerdoce pour Bruce. Il passe le plus clair de son temps dans la salle de répétition du lycée, complètement absorbé et concentré sur la pratique de cet instrument qui l'obsède. Seuls quelques profs parviennent à le passionner, comme son prof d'anglais, qu'il influence grandement pour écrire ses premiers poèmes et chansons. Un autre artiste va également influencer le jeune Bruce dans sa volonté d'écrire ses propres textes. En cet été 1965, il découvre le dernier single de Bob Dylan, « Like a Rolling Stone » . Ce troisième choc musical est un nouveau tournant. Après Elvis Presley et les Beatles, la musique de Dylan lui offre une nouvelle approche musicale. L'artiste, lassé d'être perçu comme un simple chanteur folk, vient de bouleverser la musique populaire en passant d'une pop légère à un rock électrique puissant. Bruce se souvient précisément du moment où il entend le coup de caisse claire d'introduction de Like a Rolling Stone à la radio, alors qu'il est en voiture avec sa mère. Bien que celle-ci soit une amatrice de rock, elle juge que Dylan est incapable de chanter. Mais Bruce perçoit immédiatement qu'il vient d'entendre une voix unique, rugueuse, et il est totalement fasciné par l'univers de ce jeune artiste. Il se précipite pour acheter le single, puis l'album Highway 61 Revisited, qu'il écoute en boucle, captivé non seulement par la musique, mais aussi par l'image de Dylan en veste satinée et t-shirt triomphe sur la pochette. Des années plus tard, lors d'un concert en 1980, Bruce se souviendra que le son sortait d'un haut-parleur bon marché ce jour-là. Et même s'il n'avait pas compris toutes les paroles du couplet, il se souvient de cette question. « How does it feel to be on your own ? » Comment se sent-on quand on est tout seul qui résonne profondément en lui ? Cette question incarnait l'esprit rebelle d'une génération des années 60, une jeunesse incomprise et en décalage avec ses parents. Si le jeune guitariste n'a jamais été attiré par la période folk de Dylan, la puissance sonore de ses albums électriques, Brigaded, All Back Home, Highway 61 Revisited et Blonde Blonde, le Captive, il considère l'approche de Dylan comme révolutionnaire. Si Elvis a libéré les corps, Dylan, lui, a libéré les esprits. Il a prouvé que la musique n'était pas simplement physique, mais aussi intellectuelle, changeant ainsi la perception du rock'n'roll. A ses yeux, Dylan a montré qu'un artiste pouvait non seulement briser des conventions musicales, mais aussi innover sur le plan des idées, transformant la musique populaire en un vecteur de réflexion profonde. Les Castiles passent la majeure partie de l'été à répéter dans le salon des Vignardes, transformé en un véritable local de répétition. Cette fois-ci, Bo s'est déterminé à ne pas reproduire l'échec des Rose. Son éviction lui a laissé un goût amer, et il est plus motivé que jamais. Il passe ses nuits à écouter et à jouer, exploitant chaque instant libre pour perfectionner son jeu. Il n'a qu'un objectif, devenir le meilleur guitariste de la région. Peu à peu, son travail acharné porte ses fruits. Il gagne en aisance, développant son toucher et apprenant à se démarquer comme un soliste crédible. Malgré son absence totale de connaissances musicales, Tex Vinyard joue un rôle central dans la dynamique du groupe. Il dirige les répétitions avec une autorité naturelle, n'hésitant pas à les interrompre lorsqu'un morceau sonne faux, donnant des instructions précises et motivant les musiciens avec un enthousiasme contagieux. Il croit fermement en leur potentiel et n'hésite pas à les pousser toujours plus loin. De son côté, sa femme Marion joue un rôle tout aussi essentiel, endossant celui de la maman poule pour ses jeunes artistes. Elles veillent à leur bien-être, leur préparent des sandwiches et leur servent des sodas bon marché, créant ainsi une atmosphère chaleureuse et familiale. Les vineyards jouent un rôle clé dans l'ascension des Castilles. Comme tant d'autres figures de l'ombre du rock'n'roll, ils ouvrent leurs maisons, transportent le matériel, achètent des instruments et aménagent des espaces pour les répétitions. Ils deviennent le lien entre une génération d'adolescents rêveurs et celle des adultes, leur apportant un soutien financier et moral inestimable. A cette époque, les structures permettant aux jeunes groupes de se produire sont encore rares. Si des clubs indépendants dédiés aux adolescents émergent dès 1964, leur essor réel ne survient qu'en 1966, avant d'être rapidement éclipsé par la chaîne des Hula Baloo Teen Clubs. En parallèle, des institutions religieuses ou fraternelles, comme la Catholic House Organization ou la Elks Lodge organisent des teen parties, offrant aux jeunes musiciens quelques précieuses occasions de jouer en public. C'est dans ce contexte que les Castiles décrochent leur tout premier concert au Woodhaven Swim Club de Freehold. Nous sommes en juillet 1965 et ce soir-là le groupe empoche 35 dollars, une somme modeste mais assez significative pour ces jeunes musiciens. Si nous n'avons que très peu d'éléments concernant cette première date, Tex Vinyard confirme qu'il clôture leur performance avec une reprise du Glenn Miller Orchestra « In The Mood » . Ce premier succès leur ouvre d'autres portes. En août, ils enchaînent avec un concert au Blue Moon, une pizzeria située à Freewood Acres, ainsi que deux concerts à Saint-Rose-of-Lima, l'ancienne école catholique que Booth a quittée en 1963, après l'obtention de son certificat d'études. Quelques jours après, des castilles se produisent à L'Angle Inn, un parc de mobilhommes situé sur la route 33. Un grand barbecue y est organisé pour les résidents par un après-midi de septembre. Dans son autobiographie, Bruce Springsteen évoque ce concert comme la première véritable date des Castiles. Le groupe s'installe à l'ombre, sous l'avancée d'un petit garage, et joue devant une cinquantaine de personnes. Leur matériel est rudimentaire, une batterie, quelques amplis de guitare, dont un qui sert à sonoriser le micro du chanteur. Ce jour-là, il partage l'affiche avec un groupe local de 48, mené par une jeune chanteuse à peine âgée de 10 ans. Lorsque les Castilles investissent la scène, la magie opère. Une partie du public se met à danser sur les tables, portée par l'énergie brute de ces jeunes musiciens. Bien que la setlist exacte de ce jour-là demeure inconnue, Bruce se souvient de l'interprétation mémorable de George Tace sur You Turn Me Home de Ian Whitecomb et Bluesville et du final explosif sur Twist and Shout qui déclenche l'euphorie parmi l'assistance. Ce concert marque un tournant. Pour la première fois, les Castilles gouttent à la satisfaction d'avoir conquis un public, d'avoir su le faire danser et vibrer avec eux. Une archive retrouvée dans les affaires d'un des membres du groupe révèle une setlist datant d'octobre 1965, témoignant du répertoire du groupe à cette époque. Elle contient 27 morceaux, essentiellement les tubes du moment. Satisfaction is the last time des Rolling Stones. All day and all of the night des Kings. What I Say de Ray Charles ou encore I Got You Babe de Sonny Henshire qui avait dominé les charts cette année-là. A ces standards s'ajoutent des chansons des Yardbirds ou des Zombies, ainsi qu'une composition originale, Sidewalk, preuve que le groupe commence à s'aventurer vers la création de son propre univers. Si les Castiles consacrent une grande partie de son répertoire aux classiques de la British Invasion, Tex Vinyard tient à ce qu'il maîtrise aussi des morceaux plus intemporels comme In The Mood de Glenn Miller ou Moonweaver d'Henri Mancini. Côté apparence, Vignard prend les choses en main. Il finance et imagine les premières tenues de scène du groupe. Pantalons noirs, vestes brillantes, chemises blanches boutonnées jusqu'en haut. Une esthétique qui lasse vite les musiciens et qui les pousse vers un style plus extravagant. Bruce adopte un look entre le fils à papa et le blouson noir, avec ses chemises en mandra fermées jusqu'au cou, ses pantalons noirs moulants rentrés dans des bottes de cow-boy. Tess, lui, affiche un look de loup-barre, tandis que Paul Popkin ressemble à un boy scout. Bart Haynes, le jeune batteur de 17 ans, dégage un charisme brut entre Marlon Brando et une petite frappe du New Jersey. Mêtu d'un pantalon en satin, de chaussures italiennes impeccables, il affiche une longchalance assumée, cigarette au bout des lèvres. Tex Vinyard s'investit pleinement dans l'ascension des Castiles. Il leur trouve des engagements pour animer des balles d'adolescents, réquisitionne la camionnette de la station-service de Marzotti pour transporter le matériel, et les conduit lui-même dans sa Cadillac Bleu Ciel. Pendant les concerts, il gère le son depuis le fond de la salle. ajustant le volume d'un simple mouvement de pouce. Après chaque spectacle, il entraîne tout le monde chez Federici's pour manger une pizza, puis il distribue la paye, 5 dollars par tête en moyenne, puis il garde sa part après avoir soustrait le coût des repas et des sodas. Grâce à ses revenus, le groupe améliore son matériel. Ils achètent de nouveaux amplis, de nouveaux micros, de nouveaux haut-parleurs. Springsteen commence alors à gagner suffisamment d'argent pour ne plus dépendre financièrement de ses parents, qui lui laissent enfin plus de liberté de week-end. Malgré ce nouvel équilibre, son père, lui, reste inquiet pour son avenir. Il tente de prémunir son fils contre les désillusions du monde du travail. A l'époque, le chômage frappe de plein fouet la classe ouvrière et Doug en fait des frais. Freehold, autrefois ville dynamique, c'est un peu à peu après la fermeture de l'usine de tapis Carragogion, qui employait 400 ouvriers avant de délocaliser sa production en Caroline du Nord, attirée par une main-d'œuvre moins coûteuse. Avec elle, c'est toute l'économie locale qui vacille. Boutiques, restaurants, concessionnaires, les fermetures s'enchaînent. La ville sombre dans une longue agonie, marquée par l'amertume et la sensation d'une trahison collective. Ceux qui y avaient bâti leur vie se retrouvent abandonnés, leur loyauté aux entreprises locales non seulement ignorées, mais aussi piétinées. Face à ce naufrage, Douglas se réfugie de plus en plus dans l'alcool. Il veut préparer son fils à une existence aussi rude que la sienne, sans illusions ni faux espoirs. Pendant des années, leurs relations intriguent et inquiètent leur entourage. Certains évoquent des accès de violence, d'autres parlent plutôt d'une forme plus insidieuse de maltraitance, une dureté psychologique faite de silences lourds et de regards fuyants. Derrière son attitude sèche et distante, Doug reste un homme brisé, rongé par une honte qu'il n'a jamais su mettre en mots. Son propre échec le hante, mais face à son fils, il devient une présence oppressante. Mais plus que les reproches ou les disputes, ce qui fait le plus souffrir Bruce, c'est ce regard vide qu'il voit dans les yeux de son père chaque fois qu'il entre dans la cuisine. Mangé dans l'obscurité, avec un paquet de cigarettes et un pack de bière à portée de main, Doug reste impassible. Bruce, lui, espère un signe, un geste d'affection, ou ne serait-ce qu'un houchement de tête, mais il ne perçoit que de l'indifférence. Jusqu'à la fin de l'année 1965, les Castiles enchaînent une douzaine de concerts dans la région, jouant parfois dans des lieux improbables. L'un des plus marquants a lieu en octobre, à l'hôpital Marlboro, devant une poignée de passants de l'unité psychiatrique. Bruce racontera souvent cette anecdote. Un homme en costume présente le groupe et s'emballe dans un discours délirant de 20 minutes, annonçant qu'ils deviendront plus grands que les Beatles avant d'être évacués par le personnel médical. Quelques jours après ce concert, le 30 octobre, le batteur Bart Haynes quitte le groupe. Il s'engage volontairement dans la marine, persuadé qu'en devançant l'appel, il obtiendra une meilleure affectation et un meilleur grade. Il sait que le Vietnam l'attend. Son départ oblige les Castilles à trouver un remplaçant en urgence. C'est Vinnie Magnello qui le remplace au pied levé. L'année 1966 démarre avec de nouveaux engagements et des scènes toujours aussi variées. En février, il joue à la chambre du commerce de Freehold. mais aussi dans des pizzerias, lors de mariages ou encore dans des balles pour adolescents. Ils participent également à plusieurs concours de groupes locaux où la récompense varie, une somme d'argent ou une première partie pour un artiste en tournée. Ces événements deviennent des rendez-vous incontournables, offrant aux jeunes musiciens l'occasion de se mesurer les uns les autres et de tisser des liens au-delà du lycée et de leur ville. Le 22 avril, les Castiles prennent part à la Battle of the Band, un concept très en vogue à l'époque, organisé dans des gymnases ou des amphithéâtres. L'édition de cette année-là, orchestrée par le promoteur Norman Seldin, rassemble 25 groupes locaux au Roller Drome de Matawan. Chaque formation dispose de trois ou quatre titres pour convaincre le jury. L'enjeu est de taille. Le vainqueur aura l'opportunité d'ouvrir, une semaine plus tard, pour un plateau réunissant les Crystals, les Dovels et the Hadibs. Malgré une prestation solide, les Castiles ne se classent même pas parmi les trois premiers. La troisième place revient aux Blue Masters, la seconde à Sony and the Starfires, dont le batteur Vinnie Lopez croisera plus tard la route de Booth Springsteen. La victoire est attribuée aux Rogues, un groupe originaire de Middletown. En mai 1966, les Castiles montent pour la première fois sur la scène du Teen Devil, un club pour adolescents très en vogue depuis son ouverture en 1964 à New Shreibery. Ce lieu deviendra un des QG de Bruce qui s'y produira régulièrement jusqu'en 1969. Mais cette première date marque aussi la dernière apparition du bassiste Frank Marziotti. Plus âgé d'une bonne dizaine d'années que le reste du groupe, il n'apprécie pas qu'un gamin vienne lui demander, après le concert, s'il est le père de Bruce Springsteen. L'incident le vexe profondément et précipite son départ. Les auditions pour lui trouver un remplaçant se tiennent dans le salon des vineyardes. Après plusieurs essais, le groupe recrute Kurt Fleur. Avec ce nouveau line-up, les Castiles passent à l'étape supérieure. Le 18 mai 1966, ils enregistrent leur tout premier 45 tours dans les studios Mister Music, situés à Bridgetown, près du centre commercial local. Les deux morceaux sont des compositions originales de Bruce Springsteen et de George Tace. Baby High est une chanson légère qui parle de rupture, tandis que That's What You Got, en phase B, adopte un ton plus sombre, racontant l'histoire d'un homme dont les actes mènent à la mort prématurée de sa fiancée. La légende raconte que ces titres ont été écrits à la va-vite sur le trajet menant au studio et enregistrés en une seule prise. Seuls 7 ou 8 tests pressing en acétate sont produits et à peine la moitié d'entre eux survivront aux décennies suivantes. L'enregistrement se fait dans une pièce minuscule, mal adaptée aux instruments amplifiés. Dès que le volume monte, le son sature dans les micros. Ces studios ne sont tout simplement pas faits pour accueillir un groupe de rock. A cette période, Booth commence à prendre une place plus importante au sein des Castiles. Depuis le début de l'aventure, il se contente du rôle de guitariste rythmique, un poste qu'il trouvait d'abord très confortable. Mais sur scène, il sent une énergie nouvelle monter en lui, une envie irrépressible de capter l'attention. Petit à petit, il devient un véritable phénomène scénique. Le bassiste Kurt Fleur se souvient d'un Bruce encore timide en dehors de la scène, mais qui s'illuminait littéralement dès qu'il branchait sa guitare. Pourtant, ses camarades lui laissent encore peu d'espace au chant, persuadé qu'il n'a pas la voix pour ça. Malgré tout, au fil de l'année 1966, il finit par s'imposer. Il commence en reprenant du Bob Dylan avant que le groupe ne lui accorde quelques morceaux plus électriques comme My Generation de Wu ou Mystic High de Zem. Sur ces titres, sa fougue et son charisme explosent, annonçant déjà la bête de scène qui deviendra des années plus tard. Trois jours après l'enregistrement de ce premier 45 tours, les Castiles montent pour la première fois sur la scène du lycée de Freehold, leur propre lycée, à l'occasion du bal de promo des juniors. Le groupe affine progressivement son répertoire et commence à se faire un nom, jouant dans les beach clubs, les discothèques, les drive-ins, et même sur des scènes plus importantes. Le 2 juillet 1966, il participe à la soirée de lancement du Surf and Sea Club de Seabright, un club situé en bord de mer sur le territoire des fameux blousons dorés. Il joue en première partie des Rogues, un groupe qui commence à se faire un nom et qui est embauché comme groupe résident pour l'été. Ce show n'était pas du tout prévu, mais pour cette résidence, les Rogues ont pour mission de dénicher des groupes locaux pour assurer leur première partie. Séduits par l'audition des casties le matin même, ils les invitent à laisser leur matériel sur place et à ouvrir pour le concert du soir même. Le week-end suivant, un autre grand événement est organisé au Surf & Sea, animé par Gary Stevens, une personnalité incontournable de la radio new-yorkaise. Cinq artistes nationaux sont invités. Johnny Tillett Stone, The Jaffaive, Dean Parrish, The Times et The Shangri-Las. Les Rogues, qui avaient impressionné la direction du club lors de leur audition, sont de nouveau à l'affiche, accompagnés par d'autres groupes locaux comme The Victors et les Castiles. Ceux-ci jouent des sets très brefs de deux ou trois morceaux, mais Bruce, de plus en plus à l'aise, prend la scène d'assaut, grimpant sur les amplis pour haranguer la foule et marquer les esprits le temps de cette brève exposition. Cette prestation énergique leur permet de décrocher une nouvelle invitation le 14 août 1966, toujours au Surf & Sea, où ils joueront en première partie de Little Anthony. Une fois encore, le groupe impressionne et cette fois-ci, ils disposent de plus de temps pour séduire le public. Leurs prestations réussies poussent les programmateurs à les reprogrammer le 21 août en première partie des works, puis à nouveau le 17 septembre aux côtés des berries. Lors de cette date du 14 août au Surf & Sea, un autre groupe se distingue. Les Shadows, originaire de Middletown, une ville plus bourgeoise et moins ouvrière que Freehold, située à une trentaine de minutes de route. Parmi les musiciens, Steven Van Zandt, guitariste talentueux, fait ses armes. Booth et lui se sont rencontrés quelques mois plus tôt au Hula Baloo Club de Middletown et se sont rapidement liés d'amitié, devenant de véritables complices musicaux. Ils partagent une obsession commune pour les détails de leurs morceaux préférés et passent des heures à les disséquer, discutant de tout ce qui concerne de près ou de loin leur groupe fétiche. Ensemble, ils créent un univers musical à part, centré uniquement sur le rock'n'roll. Lorsque Van Zandt forme son nouveau groupe, The Source, Bruce irait les voir au Tendezvous. Van Zandt est connu à l'époque comme l'un des premiers adeptes du country rock, maîtrisant à la perfection le répertoire des Byrds ou des Youngbloods, bien avant que Bruce ne s'intéresse à ce genre musical. En parallèle, dès le mois de septembre 1966, les Castiles enrichissent leur son également en ajoutant un clavieriste, Bob Alfano, ancien membre des Rising Sun et élève au lycée de Freehold. Un samedi après-midi de répétition, dans le salon de Tex, le groupe prend une décision capitale. Ils ont compris que pour se faire remarquer, il leur faut absolument sortir du New Jersey. La région étant peu touristique, seuls les locaux ont l'opportunité de voir le groupe évoluer sur scène. En novembre 1966, Vignard décroche une audition au légendaire Café Wow de New York City, une salle emblématique du Greenwich Village, qui a vu le premier concert de Bob Dylan en 1961, ou encore des prestations enflammées de Jimi Hendrix. Lors de cette audition, le groupe joue devant Manny Rhodes, le propriétaire du lieu. Selon Tex Vinyard, c'est la reprise de My Generation des Wu, chantée par Bruce Springsteen, qui permet au groupe de décrocher un contrat. Ils se produiront ainsi une trentaine de fois dans cette salle mythique, jouant les samedis et les dimanches après-midi, une à deux fois par mois jusqu'en mars 1968. Malgré cette belle opportunité, les Castiles sont étonnés d'apprendre qu'ils ne seront pas payés pour ces concerts. Le café-wa leur offre en effet une opportunité de se produire et ils estiment que cela suffit pour mettre un pied à New York, dans la cour des grands, avec l'espoir qu'un des nicheurs de talent les repère et les prenne sous son aile. Les week-ends des jeunes musiciens commencent à être de plus en plus rythmés par leur virée à New York. Ils prennent la navette de Plymouth Hall, s'arrêtent à Port Authority et découvrent un tout nouvel univers. Un monde animé entre les hippies, les gays, les dealers, la faune du Washington Square Park. C'est un véritable exode pour les musiciens, un nouveau foyer loin de chez eux, bien loin de l'atmosphère étouffante et malsaine de leur région. Ils croisent également les figures d'oproux de la scène musicale de l'époque. Ils assistent aux concerts des Mothers of Invasion au Warwick Theater, juste au coin de la rue, et même à l'un des premiers concerts en solo de Neil Young pour la promotion de son premier album, Bitter Hand. Dans ce Greenwich Village, Bruce trouve une ambiance plus libre, plus ouverte. Il se sent chez lui, prêt à se révéler sans crainte d'être jugé. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'il reste dans la ville après les concerts, séchant les cours du lendemain. Il dort parfois à la Belle Étoile, dans la voiture d'un ami, ou même dans la chambre de tête d'un autre guitariste qui arrondit ses finements en dilant. C'est également à cette époque que les drogues commencent à devenir un problème dans les lycées du New Jersey. Bruce préférera toujours s'en tenir à l'écart, effrayé par les conséquences qu'elles pourraient avoir sur lui. A la fin de l'année 1966, le groupe enchaîne les concerts, dont des performances notables à Loulabaloo de Middletown et à l'American Hotel de Freehall le 23 décembre, lors d'une soirée Sweet Sixteen pour les lycéennes de la ville. Le début de l'année 1967 suit une dynamique similaire, avec deux concerts mensuels au Café Wao, des représentations au lycée d'O.L., à l'église Saint-Rose-of-Lima et une autre date à Loulabaloo de Middletown. L'année 1967 marque également un tournant culturel avec l'essor du psychédélisme et de la culture hippie menée par la musique des Doors ou du Jefferson Airplane. Les Castiles s'engouffrent dans la brèche. Bruce change de style, il adopte désormais des vêtements flashy, un motif floraux et se laisse pousser ses cheveux frisés. Lors du concert à l'église Saros of Lima, le groupe ajoute des stroboscopes, des fumigènes et divers effets visuels à son spectacle. Vers la fin de l'année, ils reprendront des morceaux des Doors comme Break on Through ou The End, s'imprégnant pleinement de l'univers psychédélique de ce groupe majeur. Cependant, ce changement d'apparence et d'attitude accentue leur rejet par les conservateurs de Freehold, avec qui le courant passe très mal. Bruce, tout comme nombre de ses amis musiciens, se sent marginalisé, perçu comme un véritable paria dans sa propre ville. Le 9 juin 1967, 5 des 6 membres du groupe obtiennent leur diplôme de fin d'études, tandis qu'Alfano a encore un an de lycée devant lui. Il se reproduise au Senior Firewall Dance, la soirée de fin d'année organisée par le lycée. Mais l'ambiance n'est pas forcément à la fête pour Bruce. Il a passé cette dernière année dans un isolement presque total, ignoré par ses camarades qui tentent désormais de l'exclure de la cérémonie des remises des diplômes prévues 10 jours plus tard. Une de ses professeurs prend publiquement position contre lui, critiquant son apparence et incitant la classe à refuser sa présence à la remise des diplômes, jugeant ses cheveux longs comme un symbole de rébellion qui discréditerait toute la promotion. Afin d'éviter cette humiliation supplémentaire, Boo se réveille aux aurores ce jour-là et emprunte la navette qui le met à l'aise. mène jusqu'au Greenwich Village. Il passe la journée à Flaneda Washington Square, ou à faire un arrêt au Café Wa, où il rencontre une jeune fille. Ses parents, inquiets, réussissent à le joindre par téléphone au club et lui promettent d'oublier tout ça s'il revient immédiatement chez eux, où famille et amis l'attendent pour célébrer l'obtention de son diplôme. Booth rentre en début de soirée accompagné de sa nouvelle copine. Son père Doug est furieux, il l'attend et ramène la jeune demoiselle à la gare routière. Il ordonne à Booth de se rendre directement dans sa chambre où il dévisse et confisque toutes les ampoules, laissant son fils dans le noir pour réfléchir à ses erreurs. Booth finira par récupérer son diplôme quelques jours plus tard après ce nouvel affrontement avec son père. Le conflit entre le père et le fils va encore s'intensifier avec un accident de moto qui va ajouter de l'huile sur le feu. Alors qu'il rentre chez lui sur une petite moto Yamaha, Wu s'est renversé par une cadillac qui le percute à la jambe. Il est éjecté 6 ou 7 mètres plus loin sur le bitume, sans casque de sécurité, pas obligatoire à l'époque. Il reste sans connaissance pendant 30 minutes, jusqu'à son arrivée à l'hôpital situé dans la ville de Neptune. Aux urgences, les médecins doivent lui découper son jean, tant la jambe est enflée. Certains médecins se moquent de lui à cause de sa coupe de cheveux et dès le lendemain, il refuse de soigner son traumatisme crânien. De retour à la maison, l'avocat censé le défendre, Billy Doyle, futur maire de Freehold, est tellement écoeuré par sa dégaine qu'il affirme qu'à la place du juge, il le déclarait lui-même coupable, rien que pour son look. Furieux de passer pour un père indigne devant une connaissance qu'il estime, Doug profite que Bruce soit immobilisé pour faire venir un coiffeur qui libérera son fils de ses mèches indignes. Le jeune homme est furieux et hurle à son père qu'il le déteste pour la seule fois de son existence. Comme si cela ne suffisait pas, il doit limiter ses performances sur scène afin de ne pas aggraver son traumatisme crânien. Il passe ainsi l'essentiel de son été à cogiter. Le 16 septembre, le groupe inaugure malgré tout un nouveau club de freehold destiné aux 13-18 ans, The Left Foot, dans les locaux de l'église épiscopale de la ville. Ils sont soutenus par Purple Dynasty en ouverture et chaque groupe joue deux sets de 30 minutes. Le club, ouvert par les révérends George Erickson et Fred Coleman, accompagné de deux lycéens, ne tiendra que sept mois, mais les Castiles auront le temps d'y s'y produire une seconde fois. Les deux apparitions ont été enregistrées par le manager du club sur un appareil à bande de bonne qualité. La setlist, composée de 13 titres, représente l'intégralité du concert des Castiles, composée uniquement de reprises. Bien que Booth ait été engagé en tant que guitariste rythmique deux ans plus tôt, Il semble clair qu'il soit devenu le point central du groupe puisqu'il chante quasiment l'intégralité du set, hormis Eleanor Rigby des Beatles, See My Friend des Kings et The Steve Songs de Bruce Project, chanté par George Stace. Bruce y interprète notamment Fire et Purple Haze de Jimi Hendrix, You Can Judge About by the Cover de Bo Diddley et Suzanne de Leonard Cohen. Deux semaines plus tard, le groupe remet le couvert dans le même lieu avec un répertoire différent. George Tate assure le chant principal sur « With a little help from my friend the Beatles » « Saint-Francisian Night » d'Eric Burden and the Animals, puis le later des Box Top. Bruce chante quant à lui « Hey Joe, my generation des Woo » « Wake me, shake me » des Coasters et les rappels de la soirée « To love somebody » des Bee Gees. Lors de ce concert, Bruce chante également une composition originale « Mr. Jones » composée par le clavieriste Bob Alfano « A look into my window » . autre création originale sur laquelle il partage le micro avec George Tace. Un mois plus tard, le groupe apprend avec stupeur que Bart Haynes, le premier batteur des Castiles, engagé volontaire, a été tué sous une pluie de tirs de mortier dans une embuscade tendue par les soldats nord-vietnamiens. Après l'obtention de son diplôme de fin d'études en juin 1966, il avait rejoint la marine en octobre de la même année, avant d'être envoyé au Vietnam en avril 1967, où il perdit la vie six mois plus tard, à l'âge de 19 ans. Les Castiles, de leur côté, passent le reste de l'année 1967 et le début de l'année 1968 à partager leur temps entre le Café-Ois jusqu'en mars, le Tendezvous de New Shrubbery, l'Océan Surf Club de Seabright ou encore les différents Oulabaloo de Freehold et de Middletown. A la maison, le conflit entre père et fils atteint des sommets. Mais Doug rêve désormais d'un ailleurs. Après des années de dépression dans cette région industrielle, il veut partir aussi loin que possible, à l'autre bout du pays, en Californie. Adele n'est pas forcément enchantée par cette idée. Ginny, leur grande-fille, vient d'avoir son premier enfant, mais Doug n'en démore pas et se dit prêt à partir sans sa femme. L'idée fera son chemin, mais pour lui, son avenir n'est plus dans le New Jersey. En mai 1968, Booth fait seule l'ouverture du Broad Street Coffee House de Red Bank dans le New Jersey. Conçu pour offrir une scène aux auteurs-compositeurs-interprètes qui pullulent en cette fin des années 60, surfant sur la vague de talent du Greenwich Village, le club embauche chanteurs, groupes de rock et organise des soirées open mic. Ce premier concert en formule acoustique permet à Booth de présenter ses chansons folk écrites entre fin 1967 et début 1968, des compositions qui ne trouvent que la vie. pas leur place dans le set électrique des Castiles. Les 15 titres interprétés seront également joués dans ce même lieu durant d'autres spectacles en 1968, dont Alone, co-écrite avec Norman Luck, le leader des Purple Dynasty, puis A Winter Revelation, Crystal Clouds, The War Song et Death of a Good Man. Ces compositions s'inscrivent dans un registre proche de Tim Buckley, Leonard Cohen, Bob Dylan et Donovan. Bruce reviendra avec son groupe au moins à trois reprises lors de l'été 1968, entre des dates au casino de Long Branch, au Tendezvous ou l'Houlabaloo de Freehold. Les mois s'enchaînent et semblent se répéter. Les Castiles ne parviennent pas à percer et continuent de fouler inlassablement les mêmes planches. La résidence au Café Was est terminée au mois de mars et ils doivent de nouveau se contenter des scènes du New Jersey. Les deux têtes pensantes, George Tate et Bruce Springsteen, ne s'entendent plus aussi bien qu'à leur début et ne s'adressent quasiment plus la parole. s'engueulant même sur scène à quelques reprises. Le groupe songe à se séparer. Le fossé se creuse, notamment avec les premiers concerts en solo de Bruce, qui a envie d'explorer d'autres voies. Le destin va aider le groupe à prendre cette lourde décision. Durant la première semaine d'août 1968, une descente de police gigantesque réveille les quartiers de Freehold à 4h du matin. Le coup de filet surprend la ville, qui n'a jamais rien connu de telle. Depuis quelques mois, la drogue a envahi la ville. marijuana, LSD, champignons, amphétamines, tranquillisants, cocaïne, speed, Vinnie Magnello, Paul Popkin et Kurt Fleur se font choper durant cette descente. Pour Bruce et Tace, c'en est trop et le groupe se sépare officiellement après un dernier show au Tinday-Woo le 10 août 1968. George Tace rejoindra pour sa part le groupe local Rusty Chain. Bob Alfano et Vinnie Magnello formeront Sunny Jim tandis que Kurt Fleur et Paul Popkin rangeront définitivement les instruments au placard. Booth, de son côté, récupérera les engagements des Castiles et s'y produira avec le nouveau groupe qui se dessine dans sa tête. Nous allons nous quitter après cette aventure des Castiles qui aura duré de juin 1965 à août 1968. Vous trouverez dans la description de cet épisode les sources ayant servi à la création de ce podcast, ainsi qu'une playlist Spotify pour accompagner ce second épisode. C'était Julien et j'espère que vous avez apprécié ce voyage dans le temps. N'hésitez pas à partager et noter ce podcast sur votre application favorite. On se retrouve dans deux semaines pour le troisième épisode de Badlands, l'histoire de Bruce Springsteen. A très vite !

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