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Badlands : l'histoire de Bruce Springsteen

Épisode 4 : It's Hard To Be A Saint In The City

Épisode 4 : It's Hard To Be A Saint In The City

52min |11/04/2025
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Badlands : l'histoire de Bruce Springsteen

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52min |11/04/2025
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Description

Dans ce quatrième épisode, nous allons retracer l'année 1972, durant laquelle Springsteen va changer d'orientation musicale dans l'optique de signer un contrat avec une maison de disques.


Retrouvez la playlist Spotify pour accompagner ce quatrième épisode : https://open.spotify.com/playlist/5uZZt2f0D55SMHK8BHRXh0?si=4871abfbd6ce4952


Les sources utilisées pour ce podcast :

  • Bruce Springsteen, Born To Run, Éditions Albin Michel (2016)

  • Marc Dufaud, Bruce Springsteen : une vie américaine, Éditions Camion Blanc (2010)

  • Peter Ames Carlin, Bruce, Éditions Sonatine (2013)

  • Hughes Barrière, Bruce Frederick Springsteen, Éditions Castor Astral (2013)

  • Clinton Heylin, E Street Shuffle: The Glory Days of Bruce Springsteen and the E Street Band, Éditions Viking Adult (2013)

  • Le site internet http://brucebase.wikidot.com/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce quatrième épisode de Badlands, le podcast qui retrace l'histoire de Beau Springsteen. Nous nous sommes quittés il y a deux semaines sur la séparation abrupte de Stine Mill. Aujourd'hui, nous allons explorer la lente transition qui conduira le chanteur vers une aventure en solo. Vous êtes dans Badlands et je vous souhaite une agréable écoute. A la fin de l'année 1971, Bruce Springsteen prend tout le monde de court en mettant un terme à l'aventure steel mill. Le groupe, qui parvenait à attirer plus de 4000 spectateurs par concert, semblait en pleine ascension, bien qu'aucun contrat avec une maison de disques ne se profilait à l'horizon. Tinker Waste, leur manager depuis le début, est celui qui a le plus de mal à accepter cette décision. Mais Booth a d'autres ambitions. Il se sent prisonnier dans cette mouture rock progressive et il rêve d'un groupe plus grand, enrichi d'une section de cuivre et de choristes, à l'image de la musique soul qui l'inspire de plus en plus. Sans tarder, il propose à Vinnie Lopez, son batteur depuis 1969, de continuer l'aventure avec lui. Il peut également compter sur son ami Steven Van Zandt, grand passionné de musique soul, pour l'épauler dans cette nouvelle direction musicale. En revanche, les deux autres membres de Stine Mill sont mis à l'écart. Robin Thompson quitte le New Jersey pour retourner en Virginie, tandis que Danny Federici devra patienter deux ans avant que Bruce ne fasse de nouveau appel à lui. L'hiver 1971 est une période de transition et d'expérimentation pour Bruce Springsteen. Sans groupe fixe, il multiplie les collaborations et participe à des jams improvisés à l'Upstage, le célèbre club d'Ashbury Park. Il rejoint ponctuellement sur scène Steven Van Zandt et The Big Bad Bobby Williams Band, un projet lancé par son ami guitariste après la dissolution de Steel Mill. Durant ces mois de transition, Bruce partage également la scène avec John Lyon, Eddie Loraci et le chanteur folk Al B. Talon. C'est également à partir de cette époque qu'il commence à collaborer avec Gary Talent, un bassiste passionné et véritable encyclopédie musicale vivante. Le dernier fait alors partie d'un groupe de soul, Little Melvin et The Invaders, dans lequel évolue déjà un jeune saxophoniste charismatique, Clarence Clements. À l'upstage, Bruce fait une autre rencontre décisive. David Sanchus, un talentueux clavieriste formé à la musique classique, dont le génie impressionne toute la scène d'Ashbury Park. Au-delà de ses compétences musicales, David Sanchus impose une présence scénique magnétique qui capte instantanément l'attention de Springsteen. En tant qu'afro-américain dans un club jusqu'alors fréquenté par des musiciens blancs, il brise une barrière symbolique dans une ville encore marquée par les tensions raciales de l'été précédent. Son audace et son talent impressionnent autant les spectateurs que Springsteen lui-même. À travers ses rencontres, Booth dessine progressivement les contours de son futur groupe. Au sein de cette faune musicale, le saxophoniste Alby Talon devient une figure centrale. L'appartement qu'il partage avec John Lyon et Steven Van Zandt sur Sewell Avenue devient le QG de cette bande. Lorsqu'il ne joue pas à l'upstage, les musiciens s'y retrouvent pour de longues soirées à jouer à leur propre version du Monopoly, ou Alliance Secrète, au devin, tricherie et négociations intenses ponctuent chaque partie. Bruce, maître dans l'art de la persuasion et de l'esbrouf, rafle régulièrement la mise, au point de devenir le boss du Monopoly, un surnom qu'il gardera toute sa vie. Malgré cette effervescence, les concerts se font rares. La plupart des musiciens survivent en jouant lors de jams improvisés et de quelques prestations sous le nom de Steven Van Zandt. Pour joindre les deux bouts, Gary Talent et Davidson Shoes, les deux nouveaux compagnons de scène de Bruce Springsteen, s'installent dans l'usine Challenger de Tinker West. Bien déterminé à donner vie à son big band, Bruce Springsteen passe à l'action en publiant une annonce dans l'Ashbury Park Press afin d'auditionner des choristes et des cuivres. Depuis son voyage en Californie en décembre 1970, il est totalement fasciné par le répertoire de Van Morrison. Le chanteur irlandais, maître dans l'art de fusionner rock, blues, jazz, gospel et musique celtique, influence profondément sa vision musicale. Booth veut insuffler cette richesse sonore à son propre groupe et se met en quête de musiciens capables d'explorer ses directions. C'est ainsi qu'il repère le saxophoniste Bobby Fangenbaum. Pour tester sa sensibilité, il lui fait interpréter plusieurs morceaux de Fend Morrison, cherchant à retrouver cette intensité émotionnelle et ce groove si particulier. Séduit par son jeu, il l'intègre aussitôt à l'équipe. Parmi les talents repérés lors de ses auditions, une jeune lycéenne, Baptiste Kelfa, dont la voix fait sensation dans les bars d'Ashbury Park. sont un brunis qui attire immédiatement l'attention des musiciens. A peine âgée de 18 ans, la chanteuse est malheureusement trop jeune pour partir sur les routes, et Bruce lui conseille de rester au lycée pour le moment. Elle rejoindra le East Street Bump d'une décennie plus tard, avant de devenir la compagne de Bruce. Si la nouvelle formation n'est pas encore stabilisée, une opportunité inattendue se présente en février 1971. Le manager des Allman Brothers Band contacte Tinker West pour leur proposer une première partie au Sunshine Inn d'Ashbury Park. Bruce et Steven Vincent, grands admirateurs du groupe, acceptent immédiatement. Pour l'occasion, ils forment une équipe réunissant des musiciens rencontrés lors des jam sessions à l'upstage. Le groupe, initialement baptisé Bruce Springsteen & The Friendly Enemies, est vite renommé Dr. Zoom & The Sonic Boom par Tinker et Bruce, qui estiment que ce nom correspond mieux à l'esprit déjanté et énergique de cette troupe. En ce 27 mars 1971, Bruce Springsteen est accompagné de toute une ribambelle de musiciens. Steven Van Zandt, Gary Talent, David Sanchez, Vinnie Lopez, Southside Johnny, Albie Talon, John Wasdorff, Bobby Fingenbaum, Bobby Williams et enfin Tinker West en conga. A ces musiciens s'ajoutent une choriste et une troupe de fidèles de l'upstage, comprenant notamment une majorette et un groupe de figurants installés sur le côté de la scène, jouant à une partie de Monopoly. Plus qu'un simple concert, Dr. Zoom & The Sonic Boom devient un véritable spectacle, alliant autant l'aspect visuel que musical. La prestation devient une jam session hors norme et dans un chaos organisé. Les musiciens, déguisés, exagèrent leur rôle, tandis que les interventions théâtrales ponctuent les morceaux. Bruce, quant à lui, chante autour de la table de Monopoly, créant une ambiance surréaliste où le public est immergé dans une expérience délirante et pleine d'énergie. Wayne Hellman, sidéré par ce qu'il voit, sympathise avec le groupe en coulisses. et prend même le temps de montrer à Steven Vanzand quelques plans de guitare. Le Allman Brothers Band est totalement séduit par la performance et il promet de les inviter à jouer en première partie lors de leur prochain concert prévu à Ashbury Park en novembre 1971. Malheureusement, le concert n'aura jamais lieu. Dwayne Allman meurt tragiquement dans un accident de moto le 29 octobre 1971 et la tournée est tout simplement annulée. Bien que des concerts de Dr. Zoom et The Sonic Boom soient peu nombreux, ils marqueront un chapitre essentiel de la carrière de Springsteen. Ce groupe visionnaire, mêlant à la fois le funk, la soul, le rock et des performances théâtrales inédites, permet à Booth de se réinventer musicalement. Durant les semaines qui suivent, Booth se produit seul en acoustique, d'abord à l'upstage, puis au Student Prince d'Asbury Park. Pendant ce temps, Steven Van Zandt s'illustre avec le Sundance Blues Band, une formation qui réunit Joe Axtorm, Gary Talent, Vinnie Lopez et Southside Johnny. Mais Dr. Zoom & The Sonic Boom n'a pas encore dit son dernier mot et donnera encore deux concerts en mai 1971. Le premier a lieu au Sunshine Inn le 14 mai, où une troupe de huit choristes et performeurs, surnommés les Zoomettes, accompagnent Bruce et les autres musiciens. Le lendemain, le groupe est en tête d'affiche du festival Ernie the Chicken, un événement en plein air sur le campus de l'Université de Newark. Les deux concerts poussent encore plus loin le concept d'une fête musicale libre et énergique. Les musiciens enchaînent les longs jams instrumentales, alternant entre classiques du blues, du rock'n'roll et autres improvisations, de toutes ponctuées par une mise en scène toujours aussi doufoque. Quelques jours après, le patron de l'upstage propose à Bruce et son groupe un set électrique pour le week-end suivant. Cette fois-ci, les choristes Dolores Holmes et Barbara Dinkins rejoignent Bruce, Stephen, Vinnie, Gary et David sous un nouveau nom, Bruce Springsteen and the Red Hot Mamas. Bien que la formation ne se produise qu'à deux reprises sous ce nom, elle marque une transition décisive vers une nouvelle ère dans la carrière de Springsteen. Depuis la dissolution de Steam Mill en janvier 1971, Bruce a pris conscience que le fonctionnement collectif de son précédent groupe a souvent bridé sa vision artistique. Lassé des débats interminables sur la direction à prendre, il décide que son nouveau groupe portera son nom et qu'il en assumera seul la responsabilité. Ce changement reflète une rupture nette avec ses expériences précédentes en groupe. Bruce veut désormais un contrôle total sur son œuvre. A l'été 1971, le groupe se renomme le Bruce Springsteen Band et investit l'usine de Tinker pour travailler sur de nouvelles compositions. Le groupe est alors composé de David Sanchus au clavier, Carl Tinker West au conga, Vinnie Lopez à la batterie, Stephen Van Zandt à la guitare, Hervé Tchirlin à la trompette, Bobby Fangenbaum au saxophone, ainsi que Barbara Jenkins et Dolores Holmes au chœur. L'un des premiers faits d'armes de cette nouvelle formation est la composition You Mean So Much To Me. Le titre deviendra un incontournable des concerts de cette époque et quelques années plus tard, il sera repris sur leur premier album The South Side Journey, qui choisit pour sa part de ne pas intégrer le Bruce Springsteen Band. Le premier concert du groupe a lieu le 10 juillet 1971, à l'Université Brookdale de Linkroft, dans le cadre de l'annuel Nothings Festival. La couleur musicale évolue par rapport à l'ère Dr. Zoom et The Sonic Boom. Bruce et ses musiciens offrent une performance imprégnée d'un style plus jazzy, inspiré des big bands, bien que les envolées guitaristiques spectaculaires de Springsteen soient toujours au rendez-vous. Ce soir-là, dans la salle, un certain Ernest Carter Boom, futur membre du Street Band, découvre le guitariste-chanteur sur scène. Le lendemain, le groupe a l'opportunité d'ouvrir pour Humble Pie au Sunshine Inn, Dashbury Park. La formation britannique, menée par le charismatique Steve Marriott et le guitariste Peter Frampton, est alors en pleine ascension. Ils viennent notamment d'offrir un concert mémorable au Shea Stadium de New York en première partie de Grenfell Crane Road. Après le concert, Humble Pine ne tarit pas des loges sur la performance de Bruce et de son groupe. Peter Frampton leur promet de leur dénicher une audition auprès de leur label, I&M, et de les inviter en première partie de leur prochaine tournée américaine. Fidèles à leur indépendance et à leur vision, Bruce et Tinker West refusent les avances du groupe. Le Blues Springsteen Band enchaîne les concerts tout au long de l'été 1971. Parmi les événements marquants, un spectacle dans le Monroe Park de Richmond en Virginie, ainsi qu'un autre plus prestigieux au Guggenheim Bandschil dans le parc de Lincoln Center à New York. Pour cette date, le groupe bénéficie d'une heure de set, et Tinker profite de cet événement pour enregistrer le concert depuis la table de mixage. Le groupe ouvre la soirée avec un arrangement gospel blues de CC Ryder, un classique du rock'n'roll que le Eastfield Brown continuerait de reprendre tout au long de sa carrière. Durant le set, Dolores Holmes livre une interprétation magistrale de I'm in love again, une chanson de Springsteen fortement influencée par Ronnie Spector. Le public assiste à un show intense avec des titres emblématiques de cette période comme Dance Dance Dance, You Mean So Much To Me et John Balaya All Over qui deviendra l'un des tubes phares du Bruce Springsteen Band. Malgré cette frénésie, le groupe traverse une période de ralentissement après l'abandon du non-Steam mill. Le public se dépasse moins massivement. Le modèle du Bruce Springsteen Band, avec sa dizaine de musiciens, s'avère rapidement impossible à maintenir financièrement. Conscient de cette réalité, Bruce Springsteen décide de recentrer l'effectif autour du noyau dur. Steven Van Zandt, David Sanchez, Vinnie Lopez et Gary Talent. Les chœurs et les cuivres seront désormais uniquement sollicités pour les grands stats. Le 1er septembre 1971, c'est la formation resserrée du Bruce Springsteen Band qui se produit au Garfield Park de Long Branch, avec pour toile de fond le bord de mer. L'événement est organisé par Blah Productions, la société de Tinker West. Très rare pour l'époque, Bruce passe la majeure partie du concert derrière le piano, laissant Steven Van Zandt assurer les parties de guitare, tandis que David Sanchez le soutient à l'orgue. L'enregistrement amateur d'une dizaine de titres permet de retracer le concert, marqué par des reprises de Little Queenie, Jumpin' Jack Flash et Route 66. ainsi que des morceaux emblématiques de cette période comme Dance Dance Dance ou Jambalaya War Over qui semblent clôturer le show. Malgré l'énergie et la passion déployées sur scène, La baisse de fréquentation des concerts entraîne certaines tensions avec Tinker West. Le groupe, en grande difficulté financière, vient de décrocher une résidence au Student Prince, où il se produit des week-ends du vendredi au dimanche. Chaque soir, ils enchaînent 4 sets de 45 minutes pour un total d'une quarantaine de représentations entre septembre et la fin de l'année 1971. Tinker estime que c'est une erreur de saturer le marché avec des concerts en club. Il préférerait que le groupe se concentre uniquement sur les grosses dates prévues sur les campus universitaires. C'est durant cette période de vaches maigres que Bruce Springsteen va faire une rencontre déterminante. Avec le temps, les témoignages des différents protagonistes se sont enrichis de mythes et d'anecdotes contribuant à la légende de ce duo à l'horaire iconique. Ce soir-là, la nuit est sombre et le vent s'engouffre avec force dans les rues désertes d'Ashbury Park. À l'intérieur du Sudenprinz, quelques habitués cherchent un refuge dans cette ambiance musicale. Soudain, une bourrasque violente arrache la porte du club, projetée vers l'extérieur. Dans l'encadrement, une silhouette imposante apparaît sous la plus battante, Clarence Clemens. Il avance vers la scène et demande s'il peut jouer. Dès les premières notes, son saxophone emplit la salle d'une intensité brute et profonde. C'est exactement le son que Bruges cherche depuis des mois. Pourtant, rien ne se décide cette nuit-là. Clarence a déjà des engagements et Bruce n'a rien à lui proposer. Les deux hommes se serrent la main et se quittent, tout en sachant au fond d'eux qu'ils se retrouveront prochainement. En attendant, le groupe est attendu à l'université de Richmond le 23 octobre. Pour l'occasion, Hervé Chirling, le trompettiste et la choriste Dolores Holmes sont conviés, mais les retrouvailles tournent rapidement la catastrophe. À leur arrivée en ville, Lopez, Tierlin et d'autres membres du groupe sont pris à partie par un junkie armé d'un couteau. Furieux, Tierlin accuse Tinker West d'avoir cherché à réduire les coûts des logements au détriment de leur sécurité, les obligeant à dormir dans des quartiers à risque. L'altercation dégénère rapidement. Lopez, excédé, lui assène un coup de poing en plein visage. Hervé Tierlin quitte immédiatement le groupe. Pendant ce temps, Dolores Holmes est violemment agressée par son petit ami. Lorsque Bruce arrive à son motel, l'homme a déjà pris la fuite, laissant la choriste avec une plaie ouverte. Le groupe, réduit à cinq musiciens, monte sur scène ce soir-là avec un retard conséquent. Au cours de cet automne 1971, les locaux de la Challenger Eastern Company de Tinker West à Wadamassa ferment leurs portes. L'entreprise de Tinker est alors relocalisée à Atlantic Islands, où le groupe s'installe avec les instruments et ses bagages. L'endroit, perdu aux clairs des plaines du centre-Algerzie, est un véritable coupe-gorge. Peu à peu, l'atmosphère au sein du groupe se détériore également. Si Bruce semble dépargné par la situation, les autres musiciens subissent les critiques acerbes et les insultes de leur manager. La tension monte et la rancœur s'installe progressivement. Conscient du malaise, Bruce prend les devants et annonce à Tinker qu'il ne souhaite plus recourir à ses services de manager tout en lui laissant son rôle d'ingénieur du son pour les concerts. Le 30 octobre, le Bruce Springsteen Band est de retour en Virginie, en première partie de Cactus, avant de terminer l'année avec une avalanche de concerts au Student Prince, leur unique source de revenus en dehors des campus universitaires. Le même soir, l'Upstage Club, ce lieu culte d'Ashbury Park, ferme ses portes. Depuis quelques mois, une ambiance morose y régnait, exacerbée par l'arrivée des drogues dures qui avaient profondément transformé l'atmosphère du lieu. En parallèle, les excès d'alcool de Tom Potter ont eu raison de la bonne tenue de ses affaires mais aussi de son couple. Bruce et son groupe participeront à une dernière soirée le 29 octobre avant de mettre les voiles vers Richmond. Ce sera également la dernière fois que le Bruce Springsteen Band se produit avec des choristes. Malgré les victimes de Tinker West du poste de manager, Bruce Springsteen maintient une relation privilégiée avec ce dernier. Tinker a toujours de bons contacts dans le milieu et lui propose de rencontrer un producteur de disques à New York. Après avoir accumulé de nombreuses déceptions auprès des professionnels de la musique, Bruce hésite. Pourtant, son style d'écriture s'est affiné et il vient de composer quelques titres efficaces qui pourraient bien attirer l'attention et l'ouvrir des portes. Le 4 novembre, West emmène Bruce dans son pick-up, direction la 5ème avenue, dans les locaux de Pocketful of Tunes, la société de production de Wes Ferrell. Bruce rencontre alors Mike Apple dans son bureau, une petite pièce dans laquelle se trouve un piano, un magnétophone, une guitare et deux chaises. Avec son collaborateur Jimmy Kretekos, Apple est à l'origine de plusieurs chansons pour le projet phare de Wes Ferrell, le groupe imaginaire de la série télévisée à succès Support Rich Family, diffusée sur la chaîne ABC. Oh,

  • Speaker #1

    they tried to tell me you would have done But I knew they were wrong

  • Speaker #0

    Lors de cette audition, Bruce joue quelques morceaux pour Mike Apple, s'accompagnant lui-même au piano et à la guitare. Le manager en herbe manifeste un intérêt évident pour ce qu'il entend et semble déçu de ne pas en avoir davantage que ses trois ou quatre titres. Apple est notamment frappé par le passage évoquant une fille sourde qui danse devant un orchestre silencieux sur Babydoll, ainsi que par la phrase dans Song of Orphans « La hache a besoin d'un bras plus fort, tu ne sens donc pas tes muscles frémir » qui lui reste en tête. Après cette performance, Bruce informe Mike Apple qu'il s'apprête à partir en Californie à la fin de l'année pour revoir sa famille et jouer dans les clubs de la région. Il est lassé du New Jersey où il se sent comme un gros poisson dans un petit bocal. Apple lui conseille de se lancer dans une carrière solo en tant qu'auteur-compositeur et de profiter de ce voyage en Californie pour écrire d'autres chansons. Il lui donne également son numéro et l'invite à le rappeler à son retour. Cette rencontre avec MakeApple représente un tournant décisif dans la carrière de Bruce Springsteen. Elle symbolise une transition majeure, Apple étant la figure capable de jouer un rôle crucial dans le lancement de sa carrière. Bruce, qui cherche encore à se faire une place dans le monde de la musique, trouve en MakeApple une oreille attentive, un mentor potentiel. Malgré ce premier rendez-vous, Booth décide de garder le silence auprès de ses amis musiciens. A Ashbury Park, l'ambiance a drastiquement changé. L'Upstage Club n'existe plus, les émeutes ont laissé la ville exsangue et tué le circuit des clubs pour tout le monde, principalement les groupes qui composent leurs propres titres. Hormis une nouvelle résidence au Student Prince du 12 novembre au 19 décembre, le Bruce Springsteen Band ne reçoit plus de propositions de concerts. Lassé par cette voie sans issue, plusieurs membres du groupe décident de partir vivre à Richmond, où l'hiver y sera plus agréable, avec davantage d'étudiants amateurs de musique, dont beaucoup n'ont jamais oublié Steel Mill et son charismatique leader. Gary Talent, Steven Van Zandt et Davidson Shoes font cap vers le sud, tandis que Vinnie Lopez reste dans le nord pour travailler sur un chantier naval. Bruce ? Le moteur du groupe a quant à lui d'autres projets en tête. Il a déjà prévu de retourner en Californie pour les fêtes de Noël et s'embaille à son nom et un simple sac à dos comme bagage, il n'est pas sûr de revenir de sitôt. Quelques jours avant Noël, Bruce et Tinker montent dans le vieux break Ford de ce dernier pour traverser une nouvelle fois le pays. 72 heures de route et plus de 4000 kilomètres les attendent, sous des conditions météorologiques désastreuses, la neige ayant recouvert une bonne partie des montagnes. Bruce décide de démarrer une nouvelle vie. Avec 300 dollars en poche économisés grâce aux dernières dates au Student Prince, il cherche un club en Californie pour se produire. Il se rend cependant vite compte que les scènes ouvertes sur lesquelles il peut jouer son répertoire acoustique ne rémunèrent pas vraiment. De nouveau, il redevient un parfait inconnu, laissant derrière lui sa réputation et son groupe. Il songe alors à intégrer une formation déjà existante. Il commence donc par fréquenter des clubs de la région de San Francisco et découvre un groupe funk soul qui fait sensation. Les musiciens viennent notamment de se séparer d'un de leurs guitaristes et une audition est rapidement organisée. La session dure une quarantaine de minutes et Bruce est relativement confiant. Après un rapide débrief, les musiciens reviennent vers lui et l'informe qu'il n'est pas la bonne personne pour le projet. Malgré cet échec, Bruce Springsteen redouble d'efforts et s'investit pleinement dans l'écriture, adoptant la posture d'un songwriter folk à la Bob Dylan. Pendant trois semaines, il compose sans relâche, explorant divers styles et affinant ses textes, qui gagnent en ambition et en profondeur. Cowboy of the Sea transforme ses rêves d'enfance en une réflexion sur l'avidité du monde moderne. If I was a Priest dresse le portrait d'un ouest sauvage et hypocrite, où Jésus est un shérif et la Vierge Marie tient à sa lune le samedi, prononce la messe le dimanche et se prostitue le lundi. Randall Street ravive la nostalgie de son enfance auprès de son grand-père Fred, tandis que Border Guard évoque une figure autoritaire souffrant davantage que ses victimes, une référence à peine voilée à son père. Parmi ces morceaux, It's Hard to Be a Saint in the City se distingue par sa puissance. Probablement autobiographique, ce titre évoque la découverte de New York et ses sentiments ambivalents de répulsion et d'attirance pour cette ville.

  • Speaker #1

    J'avais une peau de peau de poisson et le look d'un cobra. J'ai été né en bleu et en hiver, mais j'ai explosé comme un supernova. J'ai pu marcher comme Brando dans le soleil, danser comme un Casanova. with my black jacket and hair slicked sweet silver star studs on my duds like a harley in heat when I strut down the street I feel it's hard to be the women fell back said don't that man look pretty triple on the corner cried out niggles for your pity and gasoline boys downtown sure it's all pretty and it's so hard to be a saint in the city

  • Speaker #0

    Pendant plusieurs semaines, Bruce écume la ville de San Francisco, cherchant désespérément un endroit où jouer ses chansons acoustiques contre un cachet. Il est cependant confronté aux mêmes problématiques qu'Abelstein mille deux ans plus tôt. L'argent vient rapidement en manquer et l'espoir s'amenuise progressivement. Un jour, dans une boutique photo d'un centre commercial, il discute avec le gérant, qui se révèle être bassiste dans un groupe en quête d'un guitariste. Il lui propose de les rejoindre le week-end suivant à San José. Bruce emprunte la voiture de ses parents, roule une heure vers le sud et arrive dans une banlieue paisible de la ville. Il y retrouve son contact, accompagné d'un batteur et d'un second guitariste. Il est surpris de voir qu'il s'agit de deux adolescents âgés d'une quinzaine d'années. Il comprend immédiatement que ce groupe ne le mènera nulle part. Pourtant, il reste toute l'après-midi avec eux à jouer, se laissant emporter par l'instant. Mais en repartant le soir, il en vient une nouvelle fois à la conclusion qu'il n'a pas d'avenir en Californie. Il doit retourner là où il est déjà établi, là où il est le roi des clubs et des universités, dans le New Jersey. Avant de reprendre la route vers la côte est, son père lui propose de l'accompagner pour une virée au Mexique. Au programme, un road trip entre père et fils et avec une valte à Long Beach où le Queen Mary est acquiet. C'est sur ce paquebot que Doug Springsteen a embarqué durant la Seconde Guerre mondiale et il souhaite le voir une dernière fois. Ensuite, direction Tier 1 pour un match de polo de Basque, un peu de tourisme et un détour par Disneyland sur la route du retour où ils retrouveront la mère et la petite sœur de Bruce, Pamela. Bruce accepte en espérant que ce voyage puisse soigner certaines blessures du passé, mais les réalités le rattrapent rapidement. Les deux hommes ne se supportent à peine. Les tensions, jamais vraiment apaisées, refont surface à chaque échange verbal. À Long Beach, la visite du Queen Mary vire au fiasco, et Booth ne semble pas comprendre à quel point cette visite est symbolique pour son père. De retour à San Mateo, Booth retrouve Tinker West, qui lui annonce son départ imminent vers la côte est. Sans hésiter, le chanteur décide de l'accompagner. Il est temps de rentrer là où il est un héros local dans un coin perdu, un type qui gagne juste assez pour survivre grâce à sa musique. De retour sur le Jersey Shore à la mi-janvier 1972, Bruce reprend sa carrière scénique avec trois concerts en tant que guitariste rythmique du Sundance Blues Band au Captain's Gartner, un club situé dans la ville de Neptune. Le groupe est dirigé par Suicide Johnny et comporte en serrant Steven Van Zandt, Vinnie Lopez et David Sanchus. L'expérience est cependant de courte durée et ses trois dates seront les dernières du Sundance Blues Band. Dès le week-end suivant, c'est le Bruce Springsteen Band qui reprend du service. Trois soirées sont programmées au Captain's Gartner, puis neuf concerts au Backdoor de Richmond étalés sur le mois de février. Ce retour à la scène coïncide avec une explosion de créativité. Booth, inspiré et infatigable, compose sans relâche, explorant de nouveaux territoires musicaux tout en affinant son écriture. Depuis l'automne 1971, Booth a composé une dizaine de nouveaux titres. Parmi eux, Just Can't Change et Like a Stranger montrent une maturité croissante malgré les arrangements influencés par le rock progressif. Make Up Your Mind, un morceau mid-tempo, adopte un phrasé à la Bob Dylan. Cowboy of the Sea est quant à elle la première version de Lost in the Flood, ce qui sent déjà la direction artistique à venir. Avec I Remember, Booth repousse encore davantage des limites de son écriture. Ce titre monumental de 15 minutes comprend un passage instrumental qui sera repris plus tard dans Thundercrack, ainsi qu'un pont parlé à la frontière de l'écriture et de l'improvisation qui deviendra l'une de ses marques de fabrique. Malgré l'effervescence créative qui l'entoure, Bruce continue, dans l'ombre, à développer également son répertoire folk. Il sait que sa voix et ses accompagnements à la guitare n'ont rien d'exceptionnel, mais il mise tout sur la qualité de ses textes. Bruce décide de recontacter Mike Apple. Ce dernier lui donne rendez-vous le 14 février dans les bureaux de Westfair & Music sur Madison Avenue. Ce soir-là, Mike Apple n'est pas seul. Jimmy Critecos est également présent, ainsi que Bob Spitz, un jeune homme de 21 ans, chargé de vendre le catalogue de Westfairail aux stations de radio. Apple l'invite à assister à l'audition, pressentant que quelque chose d'important pourrait se produire. Bob Spitz fait d'ailleurs preuve d'une remarquable intuition puisqu'il amène son monétophone à Bobine. Il ne le sait pas encore, mais il s'apprête à capturer un moment historique. Le silence s'abat alors que Bruce accorde sa guitare. Dès les premiers accords, quelque chose se produit. Il démarre avec No Need, une balade intime. Sa voix rauque, l'urgence de son interprétation, la sincérité de ses paroles captivent immédiatement son public du soir. Puis il enchaîne avec Cowboy of the Sea et If I Was a Priest, des morceaux qu'il rote depuis l'année précédente. Mais c'est avec It's Hard to Be a Saint in the City que tout bascule. Mike Apple est totalement sidéré par ce qu'il entend. A peine la chanson terminée, il lui demande de la rejouer. Bruce continue et livre les premières ébauches de For You et The Angel. Chaque chanson confirme son évolution fulgurante. Les textes sont d'une maturité impressionnante, les enchaînements d'accords sont surprenants et les mélodies sont d'une efficacité redoutable. Lorsque la dernière note s'évanouit dans la pièce, Mike Apple est en trance. Pour lui, ces chansons peuvent révolutionner l'industrie musicale. Il ne veut surtout pas laisser passer un tel talent. Il veut signer Bruce Springsteen. Et vite. Les différentes parties conviennent alors d'un nouveau rendez-vous le lendemain pour commencer à discuter contrat et argent. Mike Apple, Jim Kretekos et Bob Spitz sentent que quelque chose d'énorme est en train de naître. Le soir même, autour d'un dîner, ils échafaudent déjà des plans, imaginent les mois à venir, les opportunités à saisir et la carrière qu'ils vont bâtir. Mais avant tout, Apple doit régler une dernière formalité. Toujours sous contrat avec Wes Ferrell, il est tenu de lui présenter toute nouvelle découverte. Springsteen se présente donc devant ce dernier pour une nouvelle audition. 10 minutes, 2 chansons, c'est tout ce qu'il faut à Farrell pour décider que Springsteen n'a rien de spécial. Il le laisse partir sans regret. Dès cet instant, Apple comprend qu'il va tout miser sur Bruce Springsteen. Avec Retecos, il passe des heures au téléphone pour démarcher des maisons de disques et rédige les premiers brouillons de contrats qui poseront les bases de leur société de management. Ils improvisent un quartier général dans le bureau de Welter Tund, responsable administratif de Ferrell, régulièrement en déplacement. En mars, les deux hommes démissionnent de leur poste et s'associent à 50-50 dans leur société de management qu'ils baptisent Laurel Canyon. Splitt fait quant à lui office de comptable, responsable administratif et même logeur pour Booth, qui prend l'habitude de squatter le hamac accroché dans son petit appartement de New York. Sans véritable espace de travail, il s'installe provisoirement dans les bureaux de la 54ème rue, mise à disposition par Jules Kurtz, un avocat influent du showbiz avec qui Apple a sympathisé. Booth est touché par l'enthousiasme de ses nouveaux alliés et il accepte d'être pris sous leur aile. En attendant d'entrer dans la cour des grands, Mike Apple insiste pour que tout soit verrouillé légalement, une formalité étrangère à Booth qui a toujours vécu en marge du système. Depuis qu'il a commencé à jouer avec les Castiles en 1965, il a toujours reçu ses cachets en liquide, n'a jamais déclaré un centime aux impôts, jamais signé de bail, ni même jamais rempli un formulaire administratif. Il n'a ni carte de crédit, ni chéquier et surtout aucun contact dans l'industrie musicale pour lui porter conseil. Mike Apple prend le temps de lui détailler chaque document. Pour la partie production, son contrat d'enregistrement le lie à l'Orel Canyon Production, la société fondée par Mike Apple et Jim Kretekos, qui produira ses albums. avant de les céder en licence à une major. Les droits d'édition resteront également entre leurs mains. Si d'autres artistes venaient à reprendre les morceaux, Booth toucherait bien sa part en tant qu'auteur compositeur, mais il ne percevrait rien sur la partie éditoriale. Concernant le management, la répartition sera de 25,75 en faveur de Booth, tandis que l'ensemble des dépenses liées à sa carrière sera directement déduit de ses propres recettes. Désemparé, Bruce passe plusieurs soirées à tenter de décrypter seul le jargon juridique. Jules Kurtz, devenu l'avocat de Mike, lui explique vaguement les clauses principales. Avec appréhension, hésitation et une certaine imprudence, Bruce finira par signer les contrats un à un. Le chanteur garde tout cela pour lui et ne juge pas nécessaire d'en parler aux membres du Bruce Springsteen Band. Après tout, la série de concerts décevant des derniers mois a quelque peu brisé l'élan collectif. Les autres musiciens du groupe ont tous des jobs alimentaires et jouent dans d'autres groupes. De son côté, Bruce gère parfaitement la séparation entre ces deux vies. Sur scène, il reste le leader charismatique, l'âme d'un groupe dynamique, mais dans l'ombre, il se consacre pleinement à son répertoire acoustique, avec l'espoir de signer bientôt avec une grande maison de disques. Une véritable dichotomie émerge alors entre le Bruce Springsteen de New York, songwriter discret et introspectif, et celui du New Jersey, une bête de scène qui électrise les foules. Entre l'hiver et le printemps 1972, le beau Springsteen Band donne quelques concerts à travers la New Jersey et la Virginie. Il joue notamment à l'église catholique de Red Bank, puis à l'aréna de Richmond le 17 mars, lors d'un festival qui réunit Mike Quatro, le frère de Suzy, pionnier du rock électronique, et Mitch Ryder, dont Booth incorporera plus tard quelques morceaux dans son célèbre Détromédelé. L'événement, pourtant prometteur, attire à peine 1000 spectateurs sur des 4600 attendus. Les musiciens profitent malgré tout de ces retrouvailles pour rejoindre Tinker West, qui vient de finaliser son studio d'enregistrement au-dessus de sa nouvelle usine. Pour prêter main forte à leur ancien manager, ils déballent leur matériel et jouent quelques-unes de leurs dernières compositions, tandis que Tinker effectue les derniers réglages. Parmi les morceaux qu'ils interprètent, il y a une reprise de It's a Love of Now, Baby Blue de Bob Dylan. Mais ce sont surtout les compositions de blues qui marquent les esprits, notamment When You Dance qui s'étaient sur près de 17 minutes avec une influence évidente du Allman Brothers Band et du Grateful Dead. L'intégralité de la répétition est enregistrée par Tinker West. L'atmosphère dans le studio est détendue, ponctuée de bavardages légers entre chaque morceau. Les discussions tournent principalement autour des niveaux des micros et des retours, mais le tout est assaisonné d'une bonne dose de rigolade et de plaisanterie. Un mois s'écoule ensuite avant qu'il ne remonte sur scène au Rogers College à la mi-avril. Après cela, l'agenda demeure désespérément vide et chacun suit sa propre route. Vinnie Lopez reste sur le Jersey Shore où il travaille sur un chantier naval à Pointe-Plaisante. Steven Van Zandt, Gary Talent et David Sanchus retournent quant à eux vivre à Richmond. Van Zandt y forme un duo de country blues avec John Lyon, baptisé Southside Johnny and the Kid, tout en s'illustrant sur le circuit des clubs. David Sanchus, pour sa part, commence à travailler dans le nouveau studio Alpha Recording, tandis que Gary Talent, tout juste marié, trouve un emploi dans un magasin de musique à Richmond et commence à envisager l'ouverture de sa propre boutique à l'autre bout de la ville. Tandis que Booth continue d'écrire sans relâche, Mike Apple met en œuvre toutes les stratégies possibles pour décrocher une audition avec des maisons de disques. Un premier essai est effectué chez Atlantic Records mais n'aboutit à rien. Face à cet échec, Apple change de méthode et opte pour une approche plus audacieuse. Il décide d'entrer directement en contact avec Clive Davis, le président de Columbia Records. Davis qui a été propulsé à la tête de la maison de disques au début des années 1960, a succédé à Mitch Miller, écarté après un scandale financier. Sous la direction de Davis, Columbia Records a connu une véritable mutation, entrant de plein pied dans l'ère moderne du rock. Malgré tous ces efforts, Mike Cappell ne parvient toujours pas à entrer en contact directement avec Clive Davis. Se rappelant de l'influence de John Hammond au sein du label, il s'acharne et harcèle sa secrétaire jusqu'à obtenir, enfin, une audition début mai. Pour cette grande occasion, Bruce, qui n'a pas les moyens de s'offrir une guitare acoustique, en emprunte une à Vinnie Magnello, l'ex-batteur des Castiles. Le manche est fissuré et faute d'étui pour la protéger,

  • Speaker #1

    il la porte simplement sur son épaule.

  • Speaker #0

    Au début 1972, il franchit la porte du bureau de John Hammond, l'un de ses héros musicaux. Mike Apple fait son entrée avec une attitude à la fois conquérante et hautaine. Il explique à Hammond qu'il a tenu à ce que Bruce le rencontre, afin de vérifier s'il avait découvert Bob Dylan sur un coup de chance, ou s'il possédait réellement une bonne oreille musicale. Apple s'assoit ensuite sur le rebord de la fenêtre et laisse le jeune guitariste pétrifié faire son numéro. John Amon est sur ses gardes, mais se contente de se caler dans son fauteuil, les deux mains derrière la tête, et demande à Bruce de lui jouer quelque chose. Le chanteur démarre avec « It's hard to be a saint in a city » , le titre qui a convaincu Mike Apple de son potentiel. En une seule chanson, Bruce parvient à convaincre l'un des plus grands directeurs artistiques de l'histoire de la musique contemporaine. Ce dernier lui affirme qu'il doit absolument signer chez CBS et l'invite à interpréter d'autres titres. Bruce continue sur sa lancée avec « Worrying Up » et « If I Was The Priest » . John Hammond est captivé, mais ajoute toutefois qu'il faudrait apporter quelques arrangements à ses morceaux pour qu'ils puissent être présentés à Clive Davis, le grand patron de Columbia. « Mary Queen of Arkansas » , une autre chanson interprétée ce jour-là, ne fait cependant pas l'unanimité. L'audition a duré près de 40 minutes et le directeur artistique demande à voir le chanteur sur scène le soir même. Mike Apple et Bruce Springsteen quittent les locaux de CBS tout sourire, contents d'avoir avancé un pas de géant dans leur quête. Ils prennent ensuite un taxi jusqu'au Greenwich Village pour faire le tour des salles disponibles ce soir-là. Ils finissent par trouver une porte ouverte au Gastate à Google. Sam Hood, le propriétaire et futur patron du Max Kansas City, accepte de glisser Springsteen une demi-heure avant la programmation de la soirée durant laquelle Garland Jeffries fait ses classes en ouverture de Charlie Musselwhite.

  • Speaker #1

    Si maman vient, elle crie Hey, t'as fait ça avec ce trampo-là encore la nuit dernière Tu sais, c'est le cinéma de la silver Chaque putain de black C'est celui que Maman ne fait pas Mais maman, elle me chante Ces mélodies du lune Avec ce grand hook top 40 Elle se réveille, elle ne s'en fiche pas. Papa se stresse et dit, Mary, regarde, la fille est bien. La fille est bien. Et il y a une tension là-bas. Parce qu'il y a quelque chose qui se trouve là-bas. Je me suis retrouvé là-bas. Et même si tu as peur de ce que tu as peur, ne le fais pas. Parce que si ce que maman ressent est trop vrai, elle ne le ressent pas. Donc, sortez de derrière vos bâtiments. Juste un lift-off et un bus. Mon père est mort et ma mère est morte. Je suis en train de me faire un rocher. Tu es seul maintenant.

  • Speaker #0

    Le concert se déroule devant une poignée de spectateurs, une dizaine tout au plus. Bruce interprète quasiment les mêmes morceaux que lors de l'audition du matin, à l'exception de Mary Queen of Arkansas, remplacée par Arabian Nights. John Hammond est là, discret. assis à une table à l'écart. Ils s'imprègnent de chaque note de chaque parole. La prestation de Bruce ce soir-là confirme la bonne impression qu'il a eue lors de l'audition. A la fin du concert, Amon retrouve le jeune artiste à l'extérieur de la salle et lui annonce que sa vie est sur le point de changer. Cependant, une étape importante l'attend encore. Une audition avec Clive Davis, le président de Columbia Records. Mais Hammond, en homme d'expérience, promet à Booth de l'épauler et de mettre à profit son poids et son expérience dans l'industrie pour s'assurer que la maison de disques reconnaisse son potentiel et l'opportunité qu'il représente. Le lendemain après-midi, toujours dans les locaux de CBS, John Hammond, avec l'aide de Mike Apple et la coproduction, organise une session pour enregistrer une démo. L'objectif est de la faire circuler au sein de la maison de disques afin de montrer l'étendue des talents de compositeurs et d'interprètes de Booth. La session se déroule sans encombre et en seulement deux heures, Bruce enregistre 14 titres. Quelques jours plus tard, Clive Davis reçoit la démo, accompagnée d'une note manuscrite d'Amand, précisant que ces morceaux ont été enregistrés en un temps record. Parmi les titres interprétés ce jour-là, les joueurs finiront sur son premier album, comme « Mary Queen of Arkansas » , « It's Hard to Be a Saint in the City » , « The Angel » , « Growing Up » ou « Does This View Stop at the 82nd Street » . Il y a également « Cowboy of the Sea » , qui est une première mouture de ce qui deviendra « Lost in the Flood » . ainsi que Jazzman, un titre qui sera finalement exclu de l'album à la dernière minute. A la fin de la session, John Hammond, satisfait de la prestation, annonce à Booth qu'il peut désormais se considérer comme un artiste CBS. Le directeur artistique insiste cependant auprès de Clive Davis pour qu'il prenne une décision rapidement. Il rappelle à son patron que Booth a déjà joué au Gaslight et que sa réputation commence à se répandre. Clive Davis, visiblement intrigué et impressionné, reconnaît volontiers le potentiel de Booth. Il aime beaucoup l'originalité de son répertoire et demande à ce qu'on lui organise une audition. Quelques jours plus tard, Bruce se présente à Clive Davis avec Mike Apple et son avocat sous la recommandation enthousiaste de John Hammond. Durant cette prestation, Davis est captivé par ce qu'il entend. Bien qu'il ne manifeste pas son enthousiasme de manière aussi évidente que John Hammond quelques jours plus tôt, il est clairement impressionné par ce qu'il considère comme un talent exceptionnel. A l'issue de l'audition, il demande à John Hammond de faire signer M. Springsteen chez Columbia Records au plus vite. Formalité administrative oblige, la signature du contrat avec Columbia Records ne sera officialisée qu'en juin. Une semaine après l'audition, Boz signe un autre contrat qui sera déterminant dans sa carrière. Il s'agit cette fois d'un accord concernant ses compositions. Elles deviendront la propriété exclusive de Sioux City Music Publisher, une société d'édition musicale créée spécialement pour lui par Mike Apple et Jim Kretekos. Entre mai et juillet 1972, Booth se consacra à la réalisation de plusieurs démos pour alimenter ce catalogue. Tim Kretekos et Bob Spitz passent ainsi plusieurs semaines à aider le chanteur à enregistrer ses démos, dans différents lieux comme les studios de Pocketful of Sounds ou l'appartement de Kretekos. L'objectif de cette manœuvre est de déposer des copyrights sur toutes les œuvres de Booth. Par ailleurs, Mike Apple noue un partenariat avec l'éditeur musical londonien Intersong Music dans l'espoir de léguer quelques compositions de Booth à d'autres artistes. Alan Rudge, responsable de la gestion de ce catalogue, fait presser des acétates à partir des bandes reçues. Si Mike Apple et Jim Crittacost nourrissent de grands espoirs concernant ces démos, ils se rendent vite compte que l'univers musical de Springsteen ne se prête pas facilement aux réinterprétations. Le 9 juin 1972, Laurel Canyon et CBS concluent enfin un contrat d'enregistrement de 5 ans. Selon cet accord, Booth devra produire au moins 10 albums pendant cette période, soit 2 par an. En échange, CBS verse un chèque de 65 000 $, 25 000 en guise d'avance sur les futurs royalties de l'artiste et 40 000 pour couvrir les frais d'enregistrement. Ce contrat accorde à CBS uniquement les droits sur les chansons figurant sur l'album qu'ils commercialiseront, tandis que le reste du matériel, comme les titres rejetés ou les prises alternatives, resteront la propriété de l'Orel Canyon. Jules emporte une copie du contrat de CBS à H.B.Rippard pour le relire attentivement. Il se fait aider par Robin Nash, une amie du Jersey Shore, afin de vérifier chaque terme juridique à l'aide d'un dictionnaire. En attendant d'entrer en studio, Goose vit une période de vache maigre. Les mois s'écoulent sans qu'il ne se produise sur scène, trop occupé par les différentes auditions, les relectures de contrats et surtout l'écriture de son premier album. Le Bruce Springsteen Band ne se réunira plus que deux fois au début de l'été, une première pour une fête privée dans un entrepôt à Pointe-Plaisante dans le New Jersey et une seconde le 5 juillet 1972, marquant la fin de l'histoire pour cette formation. Ce dernier concert se déroule dans un cinéma de 300 places à Red Bank et a pour objectif de collecter des fonds en faveur du candidat démocrate à l'élection présidentielle, George McGovern. Bien qu'il ne soit pas encore engagé politiquement, Bruce accepte d'y participer, déterminé à soutenir toute personne s'opposant à Richard Nixon dans la course à la Maison Blanche. Cette dernière date marque à la fois la fin d'une ère pour le groupe et le début d'une nouvelle étape dans la carrière de Bruce qui s'apprête à entrer dans le monde de la musique professionnelle. Malgré la signature avec CBS, le quotidien de Bruce Springsteen est précaire. Sans activité scénique régulière depuis six mois, il n'a plus de revenus et se retrouve pour la première fois de sa vie totalement fauché. Il est incapable de payer les 60 dollars de loyer de l'appartement de Tom Potter et il en vient parfois à fouiller les poubelles pour manger. Mike Apple lui avance un peu d'argent, mais cela ne suffit pas à éviter l'expulsion. Cette nuit-là, Bruce Springsteen dort sur la plage, en mitoufflé dans sa sac de couchage, avec sa planche de surf et tous ses effets personnels à ses côtés. L'errance se prolonge encore quelques temps, jusqu'à ce qu'un vieil ami, Big Danny Gallagher, lui propose de l'héberger dans son deux pièces d'Ashbury Park. Sans lit à sa disposition, Booth installe à même le sol du séjour, avec son sac de couchage communique réconfort. Entre espoir et incertitude, il passe des mois à multiplier les allers-retours entre Ashbury Park et New York, donnant naissance, note après note, session après session, à ce qui deviendra son premier album, Greetings from Ashbury Park, New Jersey. L'épisode d'aujourd'hui touche à sa fin. Bruce est désormais un artiste signé chez CBS, et malgré une santé financière désastreuse, il s'apprête à entrer dans l'histoire de la musique populaire. C'était Julien, et je vous remercie pour votre écoute. Comme toujours, vous retrouverez en description la playlist Spotify qui accompagne cet épisode, ainsi que les sources utilisées pour écrire ce podcast. On se retrouve prochainement pour évoquer le premier album de Bruce. A très vite dans Badlands !

Description

Dans ce quatrième épisode, nous allons retracer l'année 1972, durant laquelle Springsteen va changer d'orientation musicale dans l'optique de signer un contrat avec une maison de disques.


Retrouvez la playlist Spotify pour accompagner ce quatrième épisode : https://open.spotify.com/playlist/5uZZt2f0D55SMHK8BHRXh0?si=4871abfbd6ce4952


Les sources utilisées pour ce podcast :

  • Bruce Springsteen, Born To Run, Éditions Albin Michel (2016)

  • Marc Dufaud, Bruce Springsteen : une vie américaine, Éditions Camion Blanc (2010)

  • Peter Ames Carlin, Bruce, Éditions Sonatine (2013)

  • Hughes Barrière, Bruce Frederick Springsteen, Éditions Castor Astral (2013)

  • Clinton Heylin, E Street Shuffle: The Glory Days of Bruce Springsteen and the E Street Band, Éditions Viking Adult (2013)

  • Le site internet http://brucebase.wikidot.com/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce quatrième épisode de Badlands, le podcast qui retrace l'histoire de Beau Springsteen. Nous nous sommes quittés il y a deux semaines sur la séparation abrupte de Stine Mill. Aujourd'hui, nous allons explorer la lente transition qui conduira le chanteur vers une aventure en solo. Vous êtes dans Badlands et je vous souhaite une agréable écoute. A la fin de l'année 1971, Bruce Springsteen prend tout le monde de court en mettant un terme à l'aventure steel mill. Le groupe, qui parvenait à attirer plus de 4000 spectateurs par concert, semblait en pleine ascension, bien qu'aucun contrat avec une maison de disques ne se profilait à l'horizon. Tinker Waste, leur manager depuis le début, est celui qui a le plus de mal à accepter cette décision. Mais Booth a d'autres ambitions. Il se sent prisonnier dans cette mouture rock progressive et il rêve d'un groupe plus grand, enrichi d'une section de cuivre et de choristes, à l'image de la musique soul qui l'inspire de plus en plus. Sans tarder, il propose à Vinnie Lopez, son batteur depuis 1969, de continuer l'aventure avec lui. Il peut également compter sur son ami Steven Van Zandt, grand passionné de musique soul, pour l'épauler dans cette nouvelle direction musicale. En revanche, les deux autres membres de Stine Mill sont mis à l'écart. Robin Thompson quitte le New Jersey pour retourner en Virginie, tandis que Danny Federici devra patienter deux ans avant que Bruce ne fasse de nouveau appel à lui. L'hiver 1971 est une période de transition et d'expérimentation pour Bruce Springsteen. Sans groupe fixe, il multiplie les collaborations et participe à des jams improvisés à l'Upstage, le célèbre club d'Ashbury Park. Il rejoint ponctuellement sur scène Steven Van Zandt et The Big Bad Bobby Williams Band, un projet lancé par son ami guitariste après la dissolution de Steel Mill. Durant ces mois de transition, Bruce partage également la scène avec John Lyon, Eddie Loraci et le chanteur folk Al B. Talon. C'est également à partir de cette époque qu'il commence à collaborer avec Gary Talent, un bassiste passionné et véritable encyclopédie musicale vivante. Le dernier fait alors partie d'un groupe de soul, Little Melvin et The Invaders, dans lequel évolue déjà un jeune saxophoniste charismatique, Clarence Clements. À l'upstage, Bruce fait une autre rencontre décisive. David Sanchus, un talentueux clavieriste formé à la musique classique, dont le génie impressionne toute la scène d'Ashbury Park. Au-delà de ses compétences musicales, David Sanchus impose une présence scénique magnétique qui capte instantanément l'attention de Springsteen. En tant qu'afro-américain dans un club jusqu'alors fréquenté par des musiciens blancs, il brise une barrière symbolique dans une ville encore marquée par les tensions raciales de l'été précédent. Son audace et son talent impressionnent autant les spectateurs que Springsteen lui-même. À travers ses rencontres, Booth dessine progressivement les contours de son futur groupe. Au sein de cette faune musicale, le saxophoniste Alby Talon devient une figure centrale. L'appartement qu'il partage avec John Lyon et Steven Van Zandt sur Sewell Avenue devient le QG de cette bande. Lorsqu'il ne joue pas à l'upstage, les musiciens s'y retrouvent pour de longues soirées à jouer à leur propre version du Monopoly, ou Alliance Secrète, au devin, tricherie et négociations intenses ponctuent chaque partie. Bruce, maître dans l'art de la persuasion et de l'esbrouf, rafle régulièrement la mise, au point de devenir le boss du Monopoly, un surnom qu'il gardera toute sa vie. Malgré cette effervescence, les concerts se font rares. La plupart des musiciens survivent en jouant lors de jams improvisés et de quelques prestations sous le nom de Steven Van Zandt. Pour joindre les deux bouts, Gary Talent et Davidson Shoes, les deux nouveaux compagnons de scène de Bruce Springsteen, s'installent dans l'usine Challenger de Tinker West. Bien déterminé à donner vie à son big band, Bruce Springsteen passe à l'action en publiant une annonce dans l'Ashbury Park Press afin d'auditionner des choristes et des cuivres. Depuis son voyage en Californie en décembre 1970, il est totalement fasciné par le répertoire de Van Morrison. Le chanteur irlandais, maître dans l'art de fusionner rock, blues, jazz, gospel et musique celtique, influence profondément sa vision musicale. Booth veut insuffler cette richesse sonore à son propre groupe et se met en quête de musiciens capables d'explorer ses directions. C'est ainsi qu'il repère le saxophoniste Bobby Fangenbaum. Pour tester sa sensibilité, il lui fait interpréter plusieurs morceaux de Fend Morrison, cherchant à retrouver cette intensité émotionnelle et ce groove si particulier. Séduit par son jeu, il l'intègre aussitôt à l'équipe. Parmi les talents repérés lors de ses auditions, une jeune lycéenne, Baptiste Kelfa, dont la voix fait sensation dans les bars d'Ashbury Park. sont un brunis qui attire immédiatement l'attention des musiciens. A peine âgée de 18 ans, la chanteuse est malheureusement trop jeune pour partir sur les routes, et Bruce lui conseille de rester au lycée pour le moment. Elle rejoindra le East Street Bump d'une décennie plus tard, avant de devenir la compagne de Bruce. Si la nouvelle formation n'est pas encore stabilisée, une opportunité inattendue se présente en février 1971. Le manager des Allman Brothers Band contacte Tinker West pour leur proposer une première partie au Sunshine Inn d'Ashbury Park. Bruce et Steven Vincent, grands admirateurs du groupe, acceptent immédiatement. Pour l'occasion, ils forment une équipe réunissant des musiciens rencontrés lors des jam sessions à l'upstage. Le groupe, initialement baptisé Bruce Springsteen & The Friendly Enemies, est vite renommé Dr. Zoom & The Sonic Boom par Tinker et Bruce, qui estiment que ce nom correspond mieux à l'esprit déjanté et énergique de cette troupe. En ce 27 mars 1971, Bruce Springsteen est accompagné de toute une ribambelle de musiciens. Steven Van Zandt, Gary Talent, David Sanchez, Vinnie Lopez, Southside Johnny, Albie Talon, John Wasdorff, Bobby Fingenbaum, Bobby Williams et enfin Tinker West en conga. A ces musiciens s'ajoutent une choriste et une troupe de fidèles de l'upstage, comprenant notamment une majorette et un groupe de figurants installés sur le côté de la scène, jouant à une partie de Monopoly. Plus qu'un simple concert, Dr. Zoom & The Sonic Boom devient un véritable spectacle, alliant autant l'aspect visuel que musical. La prestation devient une jam session hors norme et dans un chaos organisé. Les musiciens, déguisés, exagèrent leur rôle, tandis que les interventions théâtrales ponctuent les morceaux. Bruce, quant à lui, chante autour de la table de Monopoly, créant une ambiance surréaliste où le public est immergé dans une expérience délirante et pleine d'énergie. Wayne Hellman, sidéré par ce qu'il voit, sympathise avec le groupe en coulisses. et prend même le temps de montrer à Steven Vanzand quelques plans de guitare. Le Allman Brothers Band est totalement séduit par la performance et il promet de les inviter à jouer en première partie lors de leur prochain concert prévu à Ashbury Park en novembre 1971. Malheureusement, le concert n'aura jamais lieu. Dwayne Allman meurt tragiquement dans un accident de moto le 29 octobre 1971 et la tournée est tout simplement annulée. Bien que des concerts de Dr. Zoom et The Sonic Boom soient peu nombreux, ils marqueront un chapitre essentiel de la carrière de Springsteen. Ce groupe visionnaire, mêlant à la fois le funk, la soul, le rock et des performances théâtrales inédites, permet à Booth de se réinventer musicalement. Durant les semaines qui suivent, Booth se produit seul en acoustique, d'abord à l'upstage, puis au Student Prince d'Asbury Park. Pendant ce temps, Steven Van Zandt s'illustre avec le Sundance Blues Band, une formation qui réunit Joe Axtorm, Gary Talent, Vinnie Lopez et Southside Johnny. Mais Dr. Zoom & The Sonic Boom n'a pas encore dit son dernier mot et donnera encore deux concerts en mai 1971. Le premier a lieu au Sunshine Inn le 14 mai, où une troupe de huit choristes et performeurs, surnommés les Zoomettes, accompagnent Bruce et les autres musiciens. Le lendemain, le groupe est en tête d'affiche du festival Ernie the Chicken, un événement en plein air sur le campus de l'Université de Newark. Les deux concerts poussent encore plus loin le concept d'une fête musicale libre et énergique. Les musiciens enchaînent les longs jams instrumentales, alternant entre classiques du blues, du rock'n'roll et autres improvisations, de toutes ponctuées par une mise en scène toujours aussi doufoque. Quelques jours après, le patron de l'upstage propose à Bruce et son groupe un set électrique pour le week-end suivant. Cette fois-ci, les choristes Dolores Holmes et Barbara Dinkins rejoignent Bruce, Stephen, Vinnie, Gary et David sous un nouveau nom, Bruce Springsteen and the Red Hot Mamas. Bien que la formation ne se produise qu'à deux reprises sous ce nom, elle marque une transition décisive vers une nouvelle ère dans la carrière de Springsteen. Depuis la dissolution de Steam Mill en janvier 1971, Bruce a pris conscience que le fonctionnement collectif de son précédent groupe a souvent bridé sa vision artistique. Lassé des débats interminables sur la direction à prendre, il décide que son nouveau groupe portera son nom et qu'il en assumera seul la responsabilité. Ce changement reflète une rupture nette avec ses expériences précédentes en groupe. Bruce veut désormais un contrôle total sur son œuvre. A l'été 1971, le groupe se renomme le Bruce Springsteen Band et investit l'usine de Tinker pour travailler sur de nouvelles compositions. Le groupe est alors composé de David Sanchus au clavier, Carl Tinker West au conga, Vinnie Lopez à la batterie, Stephen Van Zandt à la guitare, Hervé Tchirlin à la trompette, Bobby Fangenbaum au saxophone, ainsi que Barbara Jenkins et Dolores Holmes au chœur. L'un des premiers faits d'armes de cette nouvelle formation est la composition You Mean So Much To Me. Le titre deviendra un incontournable des concerts de cette époque et quelques années plus tard, il sera repris sur leur premier album The South Side Journey, qui choisit pour sa part de ne pas intégrer le Bruce Springsteen Band. Le premier concert du groupe a lieu le 10 juillet 1971, à l'Université Brookdale de Linkroft, dans le cadre de l'annuel Nothings Festival. La couleur musicale évolue par rapport à l'ère Dr. Zoom et The Sonic Boom. Bruce et ses musiciens offrent une performance imprégnée d'un style plus jazzy, inspiré des big bands, bien que les envolées guitaristiques spectaculaires de Springsteen soient toujours au rendez-vous. Ce soir-là, dans la salle, un certain Ernest Carter Boom, futur membre du Street Band, découvre le guitariste-chanteur sur scène. Le lendemain, le groupe a l'opportunité d'ouvrir pour Humble Pie au Sunshine Inn, Dashbury Park. La formation britannique, menée par le charismatique Steve Marriott et le guitariste Peter Frampton, est alors en pleine ascension. Ils viennent notamment d'offrir un concert mémorable au Shea Stadium de New York en première partie de Grenfell Crane Road. Après le concert, Humble Pine ne tarit pas des loges sur la performance de Bruce et de son groupe. Peter Frampton leur promet de leur dénicher une audition auprès de leur label, I&M, et de les inviter en première partie de leur prochaine tournée américaine. Fidèles à leur indépendance et à leur vision, Bruce et Tinker West refusent les avances du groupe. Le Blues Springsteen Band enchaîne les concerts tout au long de l'été 1971. Parmi les événements marquants, un spectacle dans le Monroe Park de Richmond en Virginie, ainsi qu'un autre plus prestigieux au Guggenheim Bandschil dans le parc de Lincoln Center à New York. Pour cette date, le groupe bénéficie d'une heure de set, et Tinker profite de cet événement pour enregistrer le concert depuis la table de mixage. Le groupe ouvre la soirée avec un arrangement gospel blues de CC Ryder, un classique du rock'n'roll que le Eastfield Brown continuerait de reprendre tout au long de sa carrière. Durant le set, Dolores Holmes livre une interprétation magistrale de I'm in love again, une chanson de Springsteen fortement influencée par Ronnie Spector. Le public assiste à un show intense avec des titres emblématiques de cette période comme Dance Dance Dance, You Mean So Much To Me et John Balaya All Over qui deviendra l'un des tubes phares du Bruce Springsteen Band. Malgré cette frénésie, le groupe traverse une période de ralentissement après l'abandon du non-Steam mill. Le public se dépasse moins massivement. Le modèle du Bruce Springsteen Band, avec sa dizaine de musiciens, s'avère rapidement impossible à maintenir financièrement. Conscient de cette réalité, Bruce Springsteen décide de recentrer l'effectif autour du noyau dur. Steven Van Zandt, David Sanchez, Vinnie Lopez et Gary Talent. Les chœurs et les cuivres seront désormais uniquement sollicités pour les grands stats. Le 1er septembre 1971, c'est la formation resserrée du Bruce Springsteen Band qui se produit au Garfield Park de Long Branch, avec pour toile de fond le bord de mer. L'événement est organisé par Blah Productions, la société de Tinker West. Très rare pour l'époque, Bruce passe la majeure partie du concert derrière le piano, laissant Steven Van Zandt assurer les parties de guitare, tandis que David Sanchez le soutient à l'orgue. L'enregistrement amateur d'une dizaine de titres permet de retracer le concert, marqué par des reprises de Little Queenie, Jumpin' Jack Flash et Route 66. ainsi que des morceaux emblématiques de cette période comme Dance Dance Dance ou Jambalaya War Over qui semblent clôturer le show. Malgré l'énergie et la passion déployées sur scène, La baisse de fréquentation des concerts entraîne certaines tensions avec Tinker West. Le groupe, en grande difficulté financière, vient de décrocher une résidence au Student Prince, où il se produit des week-ends du vendredi au dimanche. Chaque soir, ils enchaînent 4 sets de 45 minutes pour un total d'une quarantaine de représentations entre septembre et la fin de l'année 1971. Tinker estime que c'est une erreur de saturer le marché avec des concerts en club. Il préférerait que le groupe se concentre uniquement sur les grosses dates prévues sur les campus universitaires. C'est durant cette période de vaches maigres que Bruce Springsteen va faire une rencontre déterminante. Avec le temps, les témoignages des différents protagonistes se sont enrichis de mythes et d'anecdotes contribuant à la légende de ce duo à l'horaire iconique. Ce soir-là, la nuit est sombre et le vent s'engouffre avec force dans les rues désertes d'Ashbury Park. À l'intérieur du Sudenprinz, quelques habitués cherchent un refuge dans cette ambiance musicale. Soudain, une bourrasque violente arrache la porte du club, projetée vers l'extérieur. Dans l'encadrement, une silhouette imposante apparaît sous la plus battante, Clarence Clemens. Il avance vers la scène et demande s'il peut jouer. Dès les premières notes, son saxophone emplit la salle d'une intensité brute et profonde. C'est exactement le son que Bruges cherche depuis des mois. Pourtant, rien ne se décide cette nuit-là. Clarence a déjà des engagements et Bruce n'a rien à lui proposer. Les deux hommes se serrent la main et se quittent, tout en sachant au fond d'eux qu'ils se retrouveront prochainement. En attendant, le groupe est attendu à l'université de Richmond le 23 octobre. Pour l'occasion, Hervé Chirling, le trompettiste et la choriste Dolores Holmes sont conviés, mais les retrouvailles tournent rapidement la catastrophe. À leur arrivée en ville, Lopez, Tierlin et d'autres membres du groupe sont pris à partie par un junkie armé d'un couteau. Furieux, Tierlin accuse Tinker West d'avoir cherché à réduire les coûts des logements au détriment de leur sécurité, les obligeant à dormir dans des quartiers à risque. L'altercation dégénère rapidement. Lopez, excédé, lui assène un coup de poing en plein visage. Hervé Tierlin quitte immédiatement le groupe. Pendant ce temps, Dolores Holmes est violemment agressée par son petit ami. Lorsque Bruce arrive à son motel, l'homme a déjà pris la fuite, laissant la choriste avec une plaie ouverte. Le groupe, réduit à cinq musiciens, monte sur scène ce soir-là avec un retard conséquent. Au cours de cet automne 1971, les locaux de la Challenger Eastern Company de Tinker West à Wadamassa ferment leurs portes. L'entreprise de Tinker est alors relocalisée à Atlantic Islands, où le groupe s'installe avec les instruments et ses bagages. L'endroit, perdu aux clairs des plaines du centre-Algerzie, est un véritable coupe-gorge. Peu à peu, l'atmosphère au sein du groupe se détériore également. Si Bruce semble dépargné par la situation, les autres musiciens subissent les critiques acerbes et les insultes de leur manager. La tension monte et la rancœur s'installe progressivement. Conscient du malaise, Bruce prend les devants et annonce à Tinker qu'il ne souhaite plus recourir à ses services de manager tout en lui laissant son rôle d'ingénieur du son pour les concerts. Le 30 octobre, le Bruce Springsteen Band est de retour en Virginie, en première partie de Cactus, avant de terminer l'année avec une avalanche de concerts au Student Prince, leur unique source de revenus en dehors des campus universitaires. Le même soir, l'Upstage Club, ce lieu culte d'Ashbury Park, ferme ses portes. Depuis quelques mois, une ambiance morose y régnait, exacerbée par l'arrivée des drogues dures qui avaient profondément transformé l'atmosphère du lieu. En parallèle, les excès d'alcool de Tom Potter ont eu raison de la bonne tenue de ses affaires mais aussi de son couple. Bruce et son groupe participeront à une dernière soirée le 29 octobre avant de mettre les voiles vers Richmond. Ce sera également la dernière fois que le Bruce Springsteen Band se produit avec des choristes. Malgré les victimes de Tinker West du poste de manager, Bruce Springsteen maintient une relation privilégiée avec ce dernier. Tinker a toujours de bons contacts dans le milieu et lui propose de rencontrer un producteur de disques à New York. Après avoir accumulé de nombreuses déceptions auprès des professionnels de la musique, Bruce hésite. Pourtant, son style d'écriture s'est affiné et il vient de composer quelques titres efficaces qui pourraient bien attirer l'attention et l'ouvrir des portes. Le 4 novembre, West emmène Bruce dans son pick-up, direction la 5ème avenue, dans les locaux de Pocketful of Tunes, la société de production de Wes Ferrell. Bruce rencontre alors Mike Apple dans son bureau, une petite pièce dans laquelle se trouve un piano, un magnétophone, une guitare et deux chaises. Avec son collaborateur Jimmy Kretekos, Apple est à l'origine de plusieurs chansons pour le projet phare de Wes Ferrell, le groupe imaginaire de la série télévisée à succès Support Rich Family, diffusée sur la chaîne ABC. Oh,

  • Speaker #1

    they tried to tell me you would have done But I knew they were wrong

  • Speaker #0

    Lors de cette audition, Bruce joue quelques morceaux pour Mike Apple, s'accompagnant lui-même au piano et à la guitare. Le manager en herbe manifeste un intérêt évident pour ce qu'il entend et semble déçu de ne pas en avoir davantage que ses trois ou quatre titres. Apple est notamment frappé par le passage évoquant une fille sourde qui danse devant un orchestre silencieux sur Babydoll, ainsi que par la phrase dans Song of Orphans « La hache a besoin d'un bras plus fort, tu ne sens donc pas tes muscles frémir » qui lui reste en tête. Après cette performance, Bruce informe Mike Apple qu'il s'apprête à partir en Californie à la fin de l'année pour revoir sa famille et jouer dans les clubs de la région. Il est lassé du New Jersey où il se sent comme un gros poisson dans un petit bocal. Apple lui conseille de se lancer dans une carrière solo en tant qu'auteur-compositeur et de profiter de ce voyage en Californie pour écrire d'autres chansons. Il lui donne également son numéro et l'invite à le rappeler à son retour. Cette rencontre avec MakeApple représente un tournant décisif dans la carrière de Bruce Springsteen. Elle symbolise une transition majeure, Apple étant la figure capable de jouer un rôle crucial dans le lancement de sa carrière. Bruce, qui cherche encore à se faire une place dans le monde de la musique, trouve en MakeApple une oreille attentive, un mentor potentiel. Malgré ce premier rendez-vous, Booth décide de garder le silence auprès de ses amis musiciens. A Ashbury Park, l'ambiance a drastiquement changé. L'Upstage Club n'existe plus, les émeutes ont laissé la ville exsangue et tué le circuit des clubs pour tout le monde, principalement les groupes qui composent leurs propres titres. Hormis une nouvelle résidence au Student Prince du 12 novembre au 19 décembre, le Bruce Springsteen Band ne reçoit plus de propositions de concerts. Lassé par cette voie sans issue, plusieurs membres du groupe décident de partir vivre à Richmond, où l'hiver y sera plus agréable, avec davantage d'étudiants amateurs de musique, dont beaucoup n'ont jamais oublié Steel Mill et son charismatique leader. Gary Talent, Steven Van Zandt et Davidson Shoes font cap vers le sud, tandis que Vinnie Lopez reste dans le nord pour travailler sur un chantier naval. Bruce ? Le moteur du groupe a quant à lui d'autres projets en tête. Il a déjà prévu de retourner en Californie pour les fêtes de Noël et s'embaille à son nom et un simple sac à dos comme bagage, il n'est pas sûr de revenir de sitôt. Quelques jours avant Noël, Bruce et Tinker montent dans le vieux break Ford de ce dernier pour traverser une nouvelle fois le pays. 72 heures de route et plus de 4000 kilomètres les attendent, sous des conditions météorologiques désastreuses, la neige ayant recouvert une bonne partie des montagnes. Bruce décide de démarrer une nouvelle vie. Avec 300 dollars en poche économisés grâce aux dernières dates au Student Prince, il cherche un club en Californie pour se produire. Il se rend cependant vite compte que les scènes ouvertes sur lesquelles il peut jouer son répertoire acoustique ne rémunèrent pas vraiment. De nouveau, il redevient un parfait inconnu, laissant derrière lui sa réputation et son groupe. Il songe alors à intégrer une formation déjà existante. Il commence donc par fréquenter des clubs de la région de San Francisco et découvre un groupe funk soul qui fait sensation. Les musiciens viennent notamment de se séparer d'un de leurs guitaristes et une audition est rapidement organisée. La session dure une quarantaine de minutes et Bruce est relativement confiant. Après un rapide débrief, les musiciens reviennent vers lui et l'informe qu'il n'est pas la bonne personne pour le projet. Malgré cet échec, Bruce Springsteen redouble d'efforts et s'investit pleinement dans l'écriture, adoptant la posture d'un songwriter folk à la Bob Dylan. Pendant trois semaines, il compose sans relâche, explorant divers styles et affinant ses textes, qui gagnent en ambition et en profondeur. Cowboy of the Sea transforme ses rêves d'enfance en une réflexion sur l'avidité du monde moderne. If I was a Priest dresse le portrait d'un ouest sauvage et hypocrite, où Jésus est un shérif et la Vierge Marie tient à sa lune le samedi, prononce la messe le dimanche et se prostitue le lundi. Randall Street ravive la nostalgie de son enfance auprès de son grand-père Fred, tandis que Border Guard évoque une figure autoritaire souffrant davantage que ses victimes, une référence à peine voilée à son père. Parmi ces morceaux, It's Hard to Be a Saint in the City se distingue par sa puissance. Probablement autobiographique, ce titre évoque la découverte de New York et ses sentiments ambivalents de répulsion et d'attirance pour cette ville.

  • Speaker #1

    J'avais une peau de peau de poisson et le look d'un cobra. J'ai été né en bleu et en hiver, mais j'ai explosé comme un supernova. J'ai pu marcher comme Brando dans le soleil, danser comme un Casanova. with my black jacket and hair slicked sweet silver star studs on my duds like a harley in heat when I strut down the street I feel it's hard to be the women fell back said don't that man look pretty triple on the corner cried out niggles for your pity and gasoline boys downtown sure it's all pretty and it's so hard to be a saint in the city

  • Speaker #0

    Pendant plusieurs semaines, Bruce écume la ville de San Francisco, cherchant désespérément un endroit où jouer ses chansons acoustiques contre un cachet. Il est cependant confronté aux mêmes problématiques qu'Abelstein mille deux ans plus tôt. L'argent vient rapidement en manquer et l'espoir s'amenuise progressivement. Un jour, dans une boutique photo d'un centre commercial, il discute avec le gérant, qui se révèle être bassiste dans un groupe en quête d'un guitariste. Il lui propose de les rejoindre le week-end suivant à San José. Bruce emprunte la voiture de ses parents, roule une heure vers le sud et arrive dans une banlieue paisible de la ville. Il y retrouve son contact, accompagné d'un batteur et d'un second guitariste. Il est surpris de voir qu'il s'agit de deux adolescents âgés d'une quinzaine d'années. Il comprend immédiatement que ce groupe ne le mènera nulle part. Pourtant, il reste toute l'après-midi avec eux à jouer, se laissant emporter par l'instant. Mais en repartant le soir, il en vient une nouvelle fois à la conclusion qu'il n'a pas d'avenir en Californie. Il doit retourner là où il est déjà établi, là où il est le roi des clubs et des universités, dans le New Jersey. Avant de reprendre la route vers la côte est, son père lui propose de l'accompagner pour une virée au Mexique. Au programme, un road trip entre père et fils et avec une valte à Long Beach où le Queen Mary est acquiet. C'est sur ce paquebot que Doug Springsteen a embarqué durant la Seconde Guerre mondiale et il souhaite le voir une dernière fois. Ensuite, direction Tier 1 pour un match de polo de Basque, un peu de tourisme et un détour par Disneyland sur la route du retour où ils retrouveront la mère et la petite sœur de Bruce, Pamela. Bruce accepte en espérant que ce voyage puisse soigner certaines blessures du passé, mais les réalités le rattrapent rapidement. Les deux hommes ne se supportent à peine. Les tensions, jamais vraiment apaisées, refont surface à chaque échange verbal. À Long Beach, la visite du Queen Mary vire au fiasco, et Booth ne semble pas comprendre à quel point cette visite est symbolique pour son père. De retour à San Mateo, Booth retrouve Tinker West, qui lui annonce son départ imminent vers la côte est. Sans hésiter, le chanteur décide de l'accompagner. Il est temps de rentrer là où il est un héros local dans un coin perdu, un type qui gagne juste assez pour survivre grâce à sa musique. De retour sur le Jersey Shore à la mi-janvier 1972, Bruce reprend sa carrière scénique avec trois concerts en tant que guitariste rythmique du Sundance Blues Band au Captain's Gartner, un club situé dans la ville de Neptune. Le groupe est dirigé par Suicide Johnny et comporte en serrant Steven Van Zandt, Vinnie Lopez et David Sanchus. L'expérience est cependant de courte durée et ses trois dates seront les dernières du Sundance Blues Band. Dès le week-end suivant, c'est le Bruce Springsteen Band qui reprend du service. Trois soirées sont programmées au Captain's Gartner, puis neuf concerts au Backdoor de Richmond étalés sur le mois de février. Ce retour à la scène coïncide avec une explosion de créativité. Booth, inspiré et infatigable, compose sans relâche, explorant de nouveaux territoires musicaux tout en affinant son écriture. Depuis l'automne 1971, Booth a composé une dizaine de nouveaux titres. Parmi eux, Just Can't Change et Like a Stranger montrent une maturité croissante malgré les arrangements influencés par le rock progressif. Make Up Your Mind, un morceau mid-tempo, adopte un phrasé à la Bob Dylan. Cowboy of the Sea est quant à elle la première version de Lost in the Flood, ce qui sent déjà la direction artistique à venir. Avec I Remember, Booth repousse encore davantage des limites de son écriture. Ce titre monumental de 15 minutes comprend un passage instrumental qui sera repris plus tard dans Thundercrack, ainsi qu'un pont parlé à la frontière de l'écriture et de l'improvisation qui deviendra l'une de ses marques de fabrique. Malgré l'effervescence créative qui l'entoure, Bruce continue, dans l'ombre, à développer également son répertoire folk. Il sait que sa voix et ses accompagnements à la guitare n'ont rien d'exceptionnel, mais il mise tout sur la qualité de ses textes. Bruce décide de recontacter Mike Apple. Ce dernier lui donne rendez-vous le 14 février dans les bureaux de Westfair & Music sur Madison Avenue. Ce soir-là, Mike Apple n'est pas seul. Jimmy Critecos est également présent, ainsi que Bob Spitz, un jeune homme de 21 ans, chargé de vendre le catalogue de Westfairail aux stations de radio. Apple l'invite à assister à l'audition, pressentant que quelque chose d'important pourrait se produire. Bob Spitz fait d'ailleurs preuve d'une remarquable intuition puisqu'il amène son monétophone à Bobine. Il ne le sait pas encore, mais il s'apprête à capturer un moment historique. Le silence s'abat alors que Bruce accorde sa guitare. Dès les premiers accords, quelque chose se produit. Il démarre avec No Need, une balade intime. Sa voix rauque, l'urgence de son interprétation, la sincérité de ses paroles captivent immédiatement son public du soir. Puis il enchaîne avec Cowboy of the Sea et If I Was a Priest, des morceaux qu'il rote depuis l'année précédente. Mais c'est avec It's Hard to Be a Saint in the City que tout bascule. Mike Apple est totalement sidéré par ce qu'il entend. A peine la chanson terminée, il lui demande de la rejouer. Bruce continue et livre les premières ébauches de For You et The Angel. Chaque chanson confirme son évolution fulgurante. Les textes sont d'une maturité impressionnante, les enchaînements d'accords sont surprenants et les mélodies sont d'une efficacité redoutable. Lorsque la dernière note s'évanouit dans la pièce, Mike Apple est en trance. Pour lui, ces chansons peuvent révolutionner l'industrie musicale. Il ne veut surtout pas laisser passer un tel talent. Il veut signer Bruce Springsteen. Et vite. Les différentes parties conviennent alors d'un nouveau rendez-vous le lendemain pour commencer à discuter contrat et argent. Mike Apple, Jim Kretekos et Bob Spitz sentent que quelque chose d'énorme est en train de naître. Le soir même, autour d'un dîner, ils échafaudent déjà des plans, imaginent les mois à venir, les opportunités à saisir et la carrière qu'ils vont bâtir. Mais avant tout, Apple doit régler une dernière formalité. Toujours sous contrat avec Wes Ferrell, il est tenu de lui présenter toute nouvelle découverte. Springsteen se présente donc devant ce dernier pour une nouvelle audition. 10 minutes, 2 chansons, c'est tout ce qu'il faut à Farrell pour décider que Springsteen n'a rien de spécial. Il le laisse partir sans regret. Dès cet instant, Apple comprend qu'il va tout miser sur Bruce Springsteen. Avec Retecos, il passe des heures au téléphone pour démarcher des maisons de disques et rédige les premiers brouillons de contrats qui poseront les bases de leur société de management. Ils improvisent un quartier général dans le bureau de Welter Tund, responsable administratif de Ferrell, régulièrement en déplacement. En mars, les deux hommes démissionnent de leur poste et s'associent à 50-50 dans leur société de management qu'ils baptisent Laurel Canyon. Splitt fait quant à lui office de comptable, responsable administratif et même logeur pour Booth, qui prend l'habitude de squatter le hamac accroché dans son petit appartement de New York. Sans véritable espace de travail, il s'installe provisoirement dans les bureaux de la 54ème rue, mise à disposition par Jules Kurtz, un avocat influent du showbiz avec qui Apple a sympathisé. Booth est touché par l'enthousiasme de ses nouveaux alliés et il accepte d'être pris sous leur aile. En attendant d'entrer dans la cour des grands, Mike Apple insiste pour que tout soit verrouillé légalement, une formalité étrangère à Booth qui a toujours vécu en marge du système. Depuis qu'il a commencé à jouer avec les Castiles en 1965, il a toujours reçu ses cachets en liquide, n'a jamais déclaré un centime aux impôts, jamais signé de bail, ni même jamais rempli un formulaire administratif. Il n'a ni carte de crédit, ni chéquier et surtout aucun contact dans l'industrie musicale pour lui porter conseil. Mike Apple prend le temps de lui détailler chaque document. Pour la partie production, son contrat d'enregistrement le lie à l'Orel Canyon Production, la société fondée par Mike Apple et Jim Kretekos, qui produira ses albums. avant de les céder en licence à une major. Les droits d'édition resteront également entre leurs mains. Si d'autres artistes venaient à reprendre les morceaux, Booth toucherait bien sa part en tant qu'auteur compositeur, mais il ne percevrait rien sur la partie éditoriale. Concernant le management, la répartition sera de 25,75 en faveur de Booth, tandis que l'ensemble des dépenses liées à sa carrière sera directement déduit de ses propres recettes. Désemparé, Bruce passe plusieurs soirées à tenter de décrypter seul le jargon juridique. Jules Kurtz, devenu l'avocat de Mike, lui explique vaguement les clauses principales. Avec appréhension, hésitation et une certaine imprudence, Bruce finira par signer les contrats un à un. Le chanteur garde tout cela pour lui et ne juge pas nécessaire d'en parler aux membres du Bruce Springsteen Band. Après tout, la série de concerts décevant des derniers mois a quelque peu brisé l'élan collectif. Les autres musiciens du groupe ont tous des jobs alimentaires et jouent dans d'autres groupes. De son côté, Bruce gère parfaitement la séparation entre ces deux vies. Sur scène, il reste le leader charismatique, l'âme d'un groupe dynamique, mais dans l'ombre, il se consacre pleinement à son répertoire acoustique, avec l'espoir de signer bientôt avec une grande maison de disques. Une véritable dichotomie émerge alors entre le Bruce Springsteen de New York, songwriter discret et introspectif, et celui du New Jersey, une bête de scène qui électrise les foules. Entre l'hiver et le printemps 1972, le beau Springsteen Band donne quelques concerts à travers la New Jersey et la Virginie. Il joue notamment à l'église catholique de Red Bank, puis à l'aréna de Richmond le 17 mars, lors d'un festival qui réunit Mike Quatro, le frère de Suzy, pionnier du rock électronique, et Mitch Ryder, dont Booth incorporera plus tard quelques morceaux dans son célèbre Détromédelé. L'événement, pourtant prometteur, attire à peine 1000 spectateurs sur des 4600 attendus. Les musiciens profitent malgré tout de ces retrouvailles pour rejoindre Tinker West, qui vient de finaliser son studio d'enregistrement au-dessus de sa nouvelle usine. Pour prêter main forte à leur ancien manager, ils déballent leur matériel et jouent quelques-unes de leurs dernières compositions, tandis que Tinker effectue les derniers réglages. Parmi les morceaux qu'ils interprètent, il y a une reprise de It's a Love of Now, Baby Blue de Bob Dylan. Mais ce sont surtout les compositions de blues qui marquent les esprits, notamment When You Dance qui s'étaient sur près de 17 minutes avec une influence évidente du Allman Brothers Band et du Grateful Dead. L'intégralité de la répétition est enregistrée par Tinker West. L'atmosphère dans le studio est détendue, ponctuée de bavardages légers entre chaque morceau. Les discussions tournent principalement autour des niveaux des micros et des retours, mais le tout est assaisonné d'une bonne dose de rigolade et de plaisanterie. Un mois s'écoule ensuite avant qu'il ne remonte sur scène au Rogers College à la mi-avril. Après cela, l'agenda demeure désespérément vide et chacun suit sa propre route. Vinnie Lopez reste sur le Jersey Shore où il travaille sur un chantier naval à Pointe-Plaisante. Steven Van Zandt, Gary Talent et David Sanchus retournent quant à eux vivre à Richmond. Van Zandt y forme un duo de country blues avec John Lyon, baptisé Southside Johnny and the Kid, tout en s'illustrant sur le circuit des clubs. David Sanchus, pour sa part, commence à travailler dans le nouveau studio Alpha Recording, tandis que Gary Talent, tout juste marié, trouve un emploi dans un magasin de musique à Richmond et commence à envisager l'ouverture de sa propre boutique à l'autre bout de la ville. Tandis que Booth continue d'écrire sans relâche, Mike Apple met en œuvre toutes les stratégies possibles pour décrocher une audition avec des maisons de disques. Un premier essai est effectué chez Atlantic Records mais n'aboutit à rien. Face à cet échec, Apple change de méthode et opte pour une approche plus audacieuse. Il décide d'entrer directement en contact avec Clive Davis, le président de Columbia Records. Davis qui a été propulsé à la tête de la maison de disques au début des années 1960, a succédé à Mitch Miller, écarté après un scandale financier. Sous la direction de Davis, Columbia Records a connu une véritable mutation, entrant de plein pied dans l'ère moderne du rock. Malgré tous ces efforts, Mike Cappell ne parvient toujours pas à entrer en contact directement avec Clive Davis. Se rappelant de l'influence de John Hammond au sein du label, il s'acharne et harcèle sa secrétaire jusqu'à obtenir, enfin, une audition début mai. Pour cette grande occasion, Bruce, qui n'a pas les moyens de s'offrir une guitare acoustique, en emprunte une à Vinnie Magnello, l'ex-batteur des Castiles. Le manche est fissuré et faute d'étui pour la protéger,

  • Speaker #1

    il la porte simplement sur son épaule.

  • Speaker #0

    Au début 1972, il franchit la porte du bureau de John Hammond, l'un de ses héros musicaux. Mike Apple fait son entrée avec une attitude à la fois conquérante et hautaine. Il explique à Hammond qu'il a tenu à ce que Bruce le rencontre, afin de vérifier s'il avait découvert Bob Dylan sur un coup de chance, ou s'il possédait réellement une bonne oreille musicale. Apple s'assoit ensuite sur le rebord de la fenêtre et laisse le jeune guitariste pétrifié faire son numéro. John Amon est sur ses gardes, mais se contente de se caler dans son fauteuil, les deux mains derrière la tête, et demande à Bruce de lui jouer quelque chose. Le chanteur démarre avec « It's hard to be a saint in a city » , le titre qui a convaincu Mike Apple de son potentiel. En une seule chanson, Bruce parvient à convaincre l'un des plus grands directeurs artistiques de l'histoire de la musique contemporaine. Ce dernier lui affirme qu'il doit absolument signer chez CBS et l'invite à interpréter d'autres titres. Bruce continue sur sa lancée avec « Worrying Up » et « If I Was The Priest » . John Hammond est captivé, mais ajoute toutefois qu'il faudrait apporter quelques arrangements à ses morceaux pour qu'ils puissent être présentés à Clive Davis, le grand patron de Columbia. « Mary Queen of Arkansas » , une autre chanson interprétée ce jour-là, ne fait cependant pas l'unanimité. L'audition a duré près de 40 minutes et le directeur artistique demande à voir le chanteur sur scène le soir même. Mike Apple et Bruce Springsteen quittent les locaux de CBS tout sourire, contents d'avoir avancé un pas de géant dans leur quête. Ils prennent ensuite un taxi jusqu'au Greenwich Village pour faire le tour des salles disponibles ce soir-là. Ils finissent par trouver une porte ouverte au Gastate à Google. Sam Hood, le propriétaire et futur patron du Max Kansas City, accepte de glisser Springsteen une demi-heure avant la programmation de la soirée durant laquelle Garland Jeffries fait ses classes en ouverture de Charlie Musselwhite.

  • Speaker #1

    Si maman vient, elle crie Hey, t'as fait ça avec ce trampo-là encore la nuit dernière Tu sais, c'est le cinéma de la silver Chaque putain de black C'est celui que Maman ne fait pas Mais maman, elle me chante Ces mélodies du lune Avec ce grand hook top 40 Elle se réveille, elle ne s'en fiche pas. Papa se stresse et dit, Mary, regarde, la fille est bien. La fille est bien. Et il y a une tension là-bas. Parce qu'il y a quelque chose qui se trouve là-bas. Je me suis retrouvé là-bas. Et même si tu as peur de ce que tu as peur, ne le fais pas. Parce que si ce que maman ressent est trop vrai, elle ne le ressent pas. Donc, sortez de derrière vos bâtiments. Juste un lift-off et un bus. Mon père est mort et ma mère est morte. Je suis en train de me faire un rocher. Tu es seul maintenant.

  • Speaker #0

    Le concert se déroule devant une poignée de spectateurs, une dizaine tout au plus. Bruce interprète quasiment les mêmes morceaux que lors de l'audition du matin, à l'exception de Mary Queen of Arkansas, remplacée par Arabian Nights. John Hammond est là, discret. assis à une table à l'écart. Ils s'imprègnent de chaque note de chaque parole. La prestation de Bruce ce soir-là confirme la bonne impression qu'il a eue lors de l'audition. A la fin du concert, Amon retrouve le jeune artiste à l'extérieur de la salle et lui annonce que sa vie est sur le point de changer. Cependant, une étape importante l'attend encore. Une audition avec Clive Davis, le président de Columbia Records. Mais Hammond, en homme d'expérience, promet à Booth de l'épauler et de mettre à profit son poids et son expérience dans l'industrie pour s'assurer que la maison de disques reconnaisse son potentiel et l'opportunité qu'il représente. Le lendemain après-midi, toujours dans les locaux de CBS, John Hammond, avec l'aide de Mike Apple et la coproduction, organise une session pour enregistrer une démo. L'objectif est de la faire circuler au sein de la maison de disques afin de montrer l'étendue des talents de compositeurs et d'interprètes de Booth. La session se déroule sans encombre et en seulement deux heures, Bruce enregistre 14 titres. Quelques jours plus tard, Clive Davis reçoit la démo, accompagnée d'une note manuscrite d'Amand, précisant que ces morceaux ont été enregistrés en un temps record. Parmi les titres interprétés ce jour-là, les joueurs finiront sur son premier album, comme « Mary Queen of Arkansas » , « It's Hard to Be a Saint in the City » , « The Angel » , « Growing Up » ou « Does This View Stop at the 82nd Street » . Il y a également « Cowboy of the Sea » , qui est une première mouture de ce qui deviendra « Lost in the Flood » . ainsi que Jazzman, un titre qui sera finalement exclu de l'album à la dernière minute. A la fin de la session, John Hammond, satisfait de la prestation, annonce à Booth qu'il peut désormais se considérer comme un artiste CBS. Le directeur artistique insiste cependant auprès de Clive Davis pour qu'il prenne une décision rapidement. Il rappelle à son patron que Booth a déjà joué au Gaslight et que sa réputation commence à se répandre. Clive Davis, visiblement intrigué et impressionné, reconnaît volontiers le potentiel de Booth. Il aime beaucoup l'originalité de son répertoire et demande à ce qu'on lui organise une audition. Quelques jours plus tard, Bruce se présente à Clive Davis avec Mike Apple et son avocat sous la recommandation enthousiaste de John Hammond. Durant cette prestation, Davis est captivé par ce qu'il entend. Bien qu'il ne manifeste pas son enthousiasme de manière aussi évidente que John Hammond quelques jours plus tôt, il est clairement impressionné par ce qu'il considère comme un talent exceptionnel. A l'issue de l'audition, il demande à John Hammond de faire signer M. Springsteen chez Columbia Records au plus vite. Formalité administrative oblige, la signature du contrat avec Columbia Records ne sera officialisée qu'en juin. Une semaine après l'audition, Boz signe un autre contrat qui sera déterminant dans sa carrière. Il s'agit cette fois d'un accord concernant ses compositions. Elles deviendront la propriété exclusive de Sioux City Music Publisher, une société d'édition musicale créée spécialement pour lui par Mike Apple et Jim Kretekos. Entre mai et juillet 1972, Booth se consacra à la réalisation de plusieurs démos pour alimenter ce catalogue. Tim Kretekos et Bob Spitz passent ainsi plusieurs semaines à aider le chanteur à enregistrer ses démos, dans différents lieux comme les studios de Pocketful of Sounds ou l'appartement de Kretekos. L'objectif de cette manœuvre est de déposer des copyrights sur toutes les œuvres de Booth. Par ailleurs, Mike Apple noue un partenariat avec l'éditeur musical londonien Intersong Music dans l'espoir de léguer quelques compositions de Booth à d'autres artistes. Alan Rudge, responsable de la gestion de ce catalogue, fait presser des acétates à partir des bandes reçues. Si Mike Apple et Jim Crittacost nourrissent de grands espoirs concernant ces démos, ils se rendent vite compte que l'univers musical de Springsteen ne se prête pas facilement aux réinterprétations. Le 9 juin 1972, Laurel Canyon et CBS concluent enfin un contrat d'enregistrement de 5 ans. Selon cet accord, Booth devra produire au moins 10 albums pendant cette période, soit 2 par an. En échange, CBS verse un chèque de 65 000 $, 25 000 en guise d'avance sur les futurs royalties de l'artiste et 40 000 pour couvrir les frais d'enregistrement. Ce contrat accorde à CBS uniquement les droits sur les chansons figurant sur l'album qu'ils commercialiseront, tandis que le reste du matériel, comme les titres rejetés ou les prises alternatives, resteront la propriété de l'Orel Canyon. Jules emporte une copie du contrat de CBS à H.B.Rippard pour le relire attentivement. Il se fait aider par Robin Nash, une amie du Jersey Shore, afin de vérifier chaque terme juridique à l'aide d'un dictionnaire. En attendant d'entrer en studio, Goose vit une période de vache maigre. Les mois s'écoulent sans qu'il ne se produise sur scène, trop occupé par les différentes auditions, les relectures de contrats et surtout l'écriture de son premier album. Le Bruce Springsteen Band ne se réunira plus que deux fois au début de l'été, une première pour une fête privée dans un entrepôt à Pointe-Plaisante dans le New Jersey et une seconde le 5 juillet 1972, marquant la fin de l'histoire pour cette formation. Ce dernier concert se déroule dans un cinéma de 300 places à Red Bank et a pour objectif de collecter des fonds en faveur du candidat démocrate à l'élection présidentielle, George McGovern. Bien qu'il ne soit pas encore engagé politiquement, Bruce accepte d'y participer, déterminé à soutenir toute personne s'opposant à Richard Nixon dans la course à la Maison Blanche. Cette dernière date marque à la fois la fin d'une ère pour le groupe et le début d'une nouvelle étape dans la carrière de Bruce qui s'apprête à entrer dans le monde de la musique professionnelle. Malgré la signature avec CBS, le quotidien de Bruce Springsteen est précaire. Sans activité scénique régulière depuis six mois, il n'a plus de revenus et se retrouve pour la première fois de sa vie totalement fauché. Il est incapable de payer les 60 dollars de loyer de l'appartement de Tom Potter et il en vient parfois à fouiller les poubelles pour manger. Mike Apple lui avance un peu d'argent, mais cela ne suffit pas à éviter l'expulsion. Cette nuit-là, Bruce Springsteen dort sur la plage, en mitoufflé dans sa sac de couchage, avec sa planche de surf et tous ses effets personnels à ses côtés. L'errance se prolonge encore quelques temps, jusqu'à ce qu'un vieil ami, Big Danny Gallagher, lui propose de l'héberger dans son deux pièces d'Ashbury Park. Sans lit à sa disposition, Booth installe à même le sol du séjour, avec son sac de couchage communique réconfort. Entre espoir et incertitude, il passe des mois à multiplier les allers-retours entre Ashbury Park et New York, donnant naissance, note après note, session après session, à ce qui deviendra son premier album, Greetings from Ashbury Park, New Jersey. L'épisode d'aujourd'hui touche à sa fin. Bruce est désormais un artiste signé chez CBS, et malgré une santé financière désastreuse, il s'apprête à entrer dans l'histoire de la musique populaire. C'était Julien, et je vous remercie pour votre écoute. Comme toujours, vous retrouverez en description la playlist Spotify qui accompagne cet épisode, ainsi que les sources utilisées pour écrire ce podcast. On se retrouve prochainement pour évoquer le premier album de Bruce. A très vite dans Badlands !

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Dans ce quatrième épisode, nous allons retracer l'année 1972, durant laquelle Springsteen va changer d'orientation musicale dans l'optique de signer un contrat avec une maison de disques.


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Les sources utilisées pour ce podcast :

  • Bruce Springsteen, Born To Run, Éditions Albin Michel (2016)

  • Marc Dufaud, Bruce Springsteen : une vie américaine, Éditions Camion Blanc (2010)

  • Peter Ames Carlin, Bruce, Éditions Sonatine (2013)

  • Hughes Barrière, Bruce Frederick Springsteen, Éditions Castor Astral (2013)

  • Clinton Heylin, E Street Shuffle: The Glory Days of Bruce Springsteen and the E Street Band, Éditions Viking Adult (2013)

  • Le site internet http://brucebase.wikidot.com/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce quatrième épisode de Badlands, le podcast qui retrace l'histoire de Beau Springsteen. Nous nous sommes quittés il y a deux semaines sur la séparation abrupte de Stine Mill. Aujourd'hui, nous allons explorer la lente transition qui conduira le chanteur vers une aventure en solo. Vous êtes dans Badlands et je vous souhaite une agréable écoute. A la fin de l'année 1971, Bruce Springsteen prend tout le monde de court en mettant un terme à l'aventure steel mill. Le groupe, qui parvenait à attirer plus de 4000 spectateurs par concert, semblait en pleine ascension, bien qu'aucun contrat avec une maison de disques ne se profilait à l'horizon. Tinker Waste, leur manager depuis le début, est celui qui a le plus de mal à accepter cette décision. Mais Booth a d'autres ambitions. Il se sent prisonnier dans cette mouture rock progressive et il rêve d'un groupe plus grand, enrichi d'une section de cuivre et de choristes, à l'image de la musique soul qui l'inspire de plus en plus. Sans tarder, il propose à Vinnie Lopez, son batteur depuis 1969, de continuer l'aventure avec lui. Il peut également compter sur son ami Steven Van Zandt, grand passionné de musique soul, pour l'épauler dans cette nouvelle direction musicale. En revanche, les deux autres membres de Stine Mill sont mis à l'écart. Robin Thompson quitte le New Jersey pour retourner en Virginie, tandis que Danny Federici devra patienter deux ans avant que Bruce ne fasse de nouveau appel à lui. L'hiver 1971 est une période de transition et d'expérimentation pour Bruce Springsteen. Sans groupe fixe, il multiplie les collaborations et participe à des jams improvisés à l'Upstage, le célèbre club d'Ashbury Park. Il rejoint ponctuellement sur scène Steven Van Zandt et The Big Bad Bobby Williams Band, un projet lancé par son ami guitariste après la dissolution de Steel Mill. Durant ces mois de transition, Bruce partage également la scène avec John Lyon, Eddie Loraci et le chanteur folk Al B. Talon. C'est également à partir de cette époque qu'il commence à collaborer avec Gary Talent, un bassiste passionné et véritable encyclopédie musicale vivante. Le dernier fait alors partie d'un groupe de soul, Little Melvin et The Invaders, dans lequel évolue déjà un jeune saxophoniste charismatique, Clarence Clements. À l'upstage, Bruce fait une autre rencontre décisive. David Sanchus, un talentueux clavieriste formé à la musique classique, dont le génie impressionne toute la scène d'Ashbury Park. Au-delà de ses compétences musicales, David Sanchus impose une présence scénique magnétique qui capte instantanément l'attention de Springsteen. En tant qu'afro-américain dans un club jusqu'alors fréquenté par des musiciens blancs, il brise une barrière symbolique dans une ville encore marquée par les tensions raciales de l'été précédent. Son audace et son talent impressionnent autant les spectateurs que Springsteen lui-même. À travers ses rencontres, Booth dessine progressivement les contours de son futur groupe. Au sein de cette faune musicale, le saxophoniste Alby Talon devient une figure centrale. L'appartement qu'il partage avec John Lyon et Steven Van Zandt sur Sewell Avenue devient le QG de cette bande. Lorsqu'il ne joue pas à l'upstage, les musiciens s'y retrouvent pour de longues soirées à jouer à leur propre version du Monopoly, ou Alliance Secrète, au devin, tricherie et négociations intenses ponctuent chaque partie. Bruce, maître dans l'art de la persuasion et de l'esbrouf, rafle régulièrement la mise, au point de devenir le boss du Monopoly, un surnom qu'il gardera toute sa vie. Malgré cette effervescence, les concerts se font rares. La plupart des musiciens survivent en jouant lors de jams improvisés et de quelques prestations sous le nom de Steven Van Zandt. Pour joindre les deux bouts, Gary Talent et Davidson Shoes, les deux nouveaux compagnons de scène de Bruce Springsteen, s'installent dans l'usine Challenger de Tinker West. Bien déterminé à donner vie à son big band, Bruce Springsteen passe à l'action en publiant une annonce dans l'Ashbury Park Press afin d'auditionner des choristes et des cuivres. Depuis son voyage en Californie en décembre 1970, il est totalement fasciné par le répertoire de Van Morrison. Le chanteur irlandais, maître dans l'art de fusionner rock, blues, jazz, gospel et musique celtique, influence profondément sa vision musicale. Booth veut insuffler cette richesse sonore à son propre groupe et se met en quête de musiciens capables d'explorer ses directions. C'est ainsi qu'il repère le saxophoniste Bobby Fangenbaum. Pour tester sa sensibilité, il lui fait interpréter plusieurs morceaux de Fend Morrison, cherchant à retrouver cette intensité émotionnelle et ce groove si particulier. Séduit par son jeu, il l'intègre aussitôt à l'équipe. Parmi les talents repérés lors de ses auditions, une jeune lycéenne, Baptiste Kelfa, dont la voix fait sensation dans les bars d'Ashbury Park. sont un brunis qui attire immédiatement l'attention des musiciens. A peine âgée de 18 ans, la chanteuse est malheureusement trop jeune pour partir sur les routes, et Bruce lui conseille de rester au lycée pour le moment. Elle rejoindra le East Street Bump d'une décennie plus tard, avant de devenir la compagne de Bruce. Si la nouvelle formation n'est pas encore stabilisée, une opportunité inattendue se présente en février 1971. Le manager des Allman Brothers Band contacte Tinker West pour leur proposer une première partie au Sunshine Inn d'Ashbury Park. Bruce et Steven Vincent, grands admirateurs du groupe, acceptent immédiatement. Pour l'occasion, ils forment une équipe réunissant des musiciens rencontrés lors des jam sessions à l'upstage. Le groupe, initialement baptisé Bruce Springsteen & The Friendly Enemies, est vite renommé Dr. Zoom & The Sonic Boom par Tinker et Bruce, qui estiment que ce nom correspond mieux à l'esprit déjanté et énergique de cette troupe. En ce 27 mars 1971, Bruce Springsteen est accompagné de toute une ribambelle de musiciens. Steven Van Zandt, Gary Talent, David Sanchez, Vinnie Lopez, Southside Johnny, Albie Talon, John Wasdorff, Bobby Fingenbaum, Bobby Williams et enfin Tinker West en conga. A ces musiciens s'ajoutent une choriste et une troupe de fidèles de l'upstage, comprenant notamment une majorette et un groupe de figurants installés sur le côté de la scène, jouant à une partie de Monopoly. Plus qu'un simple concert, Dr. Zoom & The Sonic Boom devient un véritable spectacle, alliant autant l'aspect visuel que musical. La prestation devient une jam session hors norme et dans un chaos organisé. Les musiciens, déguisés, exagèrent leur rôle, tandis que les interventions théâtrales ponctuent les morceaux. Bruce, quant à lui, chante autour de la table de Monopoly, créant une ambiance surréaliste où le public est immergé dans une expérience délirante et pleine d'énergie. Wayne Hellman, sidéré par ce qu'il voit, sympathise avec le groupe en coulisses. et prend même le temps de montrer à Steven Vanzand quelques plans de guitare. Le Allman Brothers Band est totalement séduit par la performance et il promet de les inviter à jouer en première partie lors de leur prochain concert prévu à Ashbury Park en novembre 1971. Malheureusement, le concert n'aura jamais lieu. Dwayne Allman meurt tragiquement dans un accident de moto le 29 octobre 1971 et la tournée est tout simplement annulée. Bien que des concerts de Dr. Zoom et The Sonic Boom soient peu nombreux, ils marqueront un chapitre essentiel de la carrière de Springsteen. Ce groupe visionnaire, mêlant à la fois le funk, la soul, le rock et des performances théâtrales inédites, permet à Booth de se réinventer musicalement. Durant les semaines qui suivent, Booth se produit seul en acoustique, d'abord à l'upstage, puis au Student Prince d'Asbury Park. Pendant ce temps, Steven Van Zandt s'illustre avec le Sundance Blues Band, une formation qui réunit Joe Axtorm, Gary Talent, Vinnie Lopez et Southside Johnny. Mais Dr. Zoom & The Sonic Boom n'a pas encore dit son dernier mot et donnera encore deux concerts en mai 1971. Le premier a lieu au Sunshine Inn le 14 mai, où une troupe de huit choristes et performeurs, surnommés les Zoomettes, accompagnent Bruce et les autres musiciens. Le lendemain, le groupe est en tête d'affiche du festival Ernie the Chicken, un événement en plein air sur le campus de l'Université de Newark. Les deux concerts poussent encore plus loin le concept d'une fête musicale libre et énergique. Les musiciens enchaînent les longs jams instrumentales, alternant entre classiques du blues, du rock'n'roll et autres improvisations, de toutes ponctuées par une mise en scène toujours aussi doufoque. Quelques jours après, le patron de l'upstage propose à Bruce et son groupe un set électrique pour le week-end suivant. Cette fois-ci, les choristes Dolores Holmes et Barbara Dinkins rejoignent Bruce, Stephen, Vinnie, Gary et David sous un nouveau nom, Bruce Springsteen and the Red Hot Mamas. Bien que la formation ne se produise qu'à deux reprises sous ce nom, elle marque une transition décisive vers une nouvelle ère dans la carrière de Springsteen. Depuis la dissolution de Steam Mill en janvier 1971, Bruce a pris conscience que le fonctionnement collectif de son précédent groupe a souvent bridé sa vision artistique. Lassé des débats interminables sur la direction à prendre, il décide que son nouveau groupe portera son nom et qu'il en assumera seul la responsabilité. Ce changement reflète une rupture nette avec ses expériences précédentes en groupe. Bruce veut désormais un contrôle total sur son œuvre. A l'été 1971, le groupe se renomme le Bruce Springsteen Band et investit l'usine de Tinker pour travailler sur de nouvelles compositions. Le groupe est alors composé de David Sanchus au clavier, Carl Tinker West au conga, Vinnie Lopez à la batterie, Stephen Van Zandt à la guitare, Hervé Tchirlin à la trompette, Bobby Fangenbaum au saxophone, ainsi que Barbara Jenkins et Dolores Holmes au chœur. L'un des premiers faits d'armes de cette nouvelle formation est la composition You Mean So Much To Me. Le titre deviendra un incontournable des concerts de cette époque et quelques années plus tard, il sera repris sur leur premier album The South Side Journey, qui choisit pour sa part de ne pas intégrer le Bruce Springsteen Band. Le premier concert du groupe a lieu le 10 juillet 1971, à l'Université Brookdale de Linkroft, dans le cadre de l'annuel Nothings Festival. La couleur musicale évolue par rapport à l'ère Dr. Zoom et The Sonic Boom. Bruce et ses musiciens offrent une performance imprégnée d'un style plus jazzy, inspiré des big bands, bien que les envolées guitaristiques spectaculaires de Springsteen soient toujours au rendez-vous. Ce soir-là, dans la salle, un certain Ernest Carter Boom, futur membre du Street Band, découvre le guitariste-chanteur sur scène. Le lendemain, le groupe a l'opportunité d'ouvrir pour Humble Pie au Sunshine Inn, Dashbury Park. La formation britannique, menée par le charismatique Steve Marriott et le guitariste Peter Frampton, est alors en pleine ascension. Ils viennent notamment d'offrir un concert mémorable au Shea Stadium de New York en première partie de Grenfell Crane Road. Après le concert, Humble Pine ne tarit pas des loges sur la performance de Bruce et de son groupe. Peter Frampton leur promet de leur dénicher une audition auprès de leur label, I&M, et de les inviter en première partie de leur prochaine tournée américaine. Fidèles à leur indépendance et à leur vision, Bruce et Tinker West refusent les avances du groupe. Le Blues Springsteen Band enchaîne les concerts tout au long de l'été 1971. Parmi les événements marquants, un spectacle dans le Monroe Park de Richmond en Virginie, ainsi qu'un autre plus prestigieux au Guggenheim Bandschil dans le parc de Lincoln Center à New York. Pour cette date, le groupe bénéficie d'une heure de set, et Tinker profite de cet événement pour enregistrer le concert depuis la table de mixage. Le groupe ouvre la soirée avec un arrangement gospel blues de CC Ryder, un classique du rock'n'roll que le Eastfield Brown continuerait de reprendre tout au long de sa carrière. Durant le set, Dolores Holmes livre une interprétation magistrale de I'm in love again, une chanson de Springsteen fortement influencée par Ronnie Spector. Le public assiste à un show intense avec des titres emblématiques de cette période comme Dance Dance Dance, You Mean So Much To Me et John Balaya All Over qui deviendra l'un des tubes phares du Bruce Springsteen Band. Malgré cette frénésie, le groupe traverse une période de ralentissement après l'abandon du non-Steam mill. Le public se dépasse moins massivement. Le modèle du Bruce Springsteen Band, avec sa dizaine de musiciens, s'avère rapidement impossible à maintenir financièrement. Conscient de cette réalité, Bruce Springsteen décide de recentrer l'effectif autour du noyau dur. Steven Van Zandt, David Sanchez, Vinnie Lopez et Gary Talent. Les chœurs et les cuivres seront désormais uniquement sollicités pour les grands stats. Le 1er septembre 1971, c'est la formation resserrée du Bruce Springsteen Band qui se produit au Garfield Park de Long Branch, avec pour toile de fond le bord de mer. L'événement est organisé par Blah Productions, la société de Tinker West. Très rare pour l'époque, Bruce passe la majeure partie du concert derrière le piano, laissant Steven Van Zandt assurer les parties de guitare, tandis que David Sanchez le soutient à l'orgue. L'enregistrement amateur d'une dizaine de titres permet de retracer le concert, marqué par des reprises de Little Queenie, Jumpin' Jack Flash et Route 66. ainsi que des morceaux emblématiques de cette période comme Dance Dance Dance ou Jambalaya War Over qui semblent clôturer le show. Malgré l'énergie et la passion déployées sur scène, La baisse de fréquentation des concerts entraîne certaines tensions avec Tinker West. Le groupe, en grande difficulté financière, vient de décrocher une résidence au Student Prince, où il se produit des week-ends du vendredi au dimanche. Chaque soir, ils enchaînent 4 sets de 45 minutes pour un total d'une quarantaine de représentations entre septembre et la fin de l'année 1971. Tinker estime que c'est une erreur de saturer le marché avec des concerts en club. Il préférerait que le groupe se concentre uniquement sur les grosses dates prévues sur les campus universitaires. C'est durant cette période de vaches maigres que Bruce Springsteen va faire une rencontre déterminante. Avec le temps, les témoignages des différents protagonistes se sont enrichis de mythes et d'anecdotes contribuant à la légende de ce duo à l'horaire iconique. Ce soir-là, la nuit est sombre et le vent s'engouffre avec force dans les rues désertes d'Ashbury Park. À l'intérieur du Sudenprinz, quelques habitués cherchent un refuge dans cette ambiance musicale. Soudain, une bourrasque violente arrache la porte du club, projetée vers l'extérieur. Dans l'encadrement, une silhouette imposante apparaît sous la plus battante, Clarence Clemens. Il avance vers la scène et demande s'il peut jouer. Dès les premières notes, son saxophone emplit la salle d'une intensité brute et profonde. C'est exactement le son que Bruges cherche depuis des mois. Pourtant, rien ne se décide cette nuit-là. Clarence a déjà des engagements et Bruce n'a rien à lui proposer. Les deux hommes se serrent la main et se quittent, tout en sachant au fond d'eux qu'ils se retrouveront prochainement. En attendant, le groupe est attendu à l'université de Richmond le 23 octobre. Pour l'occasion, Hervé Chirling, le trompettiste et la choriste Dolores Holmes sont conviés, mais les retrouvailles tournent rapidement la catastrophe. À leur arrivée en ville, Lopez, Tierlin et d'autres membres du groupe sont pris à partie par un junkie armé d'un couteau. Furieux, Tierlin accuse Tinker West d'avoir cherché à réduire les coûts des logements au détriment de leur sécurité, les obligeant à dormir dans des quartiers à risque. L'altercation dégénère rapidement. Lopez, excédé, lui assène un coup de poing en plein visage. Hervé Tierlin quitte immédiatement le groupe. Pendant ce temps, Dolores Holmes est violemment agressée par son petit ami. Lorsque Bruce arrive à son motel, l'homme a déjà pris la fuite, laissant la choriste avec une plaie ouverte. Le groupe, réduit à cinq musiciens, monte sur scène ce soir-là avec un retard conséquent. Au cours de cet automne 1971, les locaux de la Challenger Eastern Company de Tinker West à Wadamassa ferment leurs portes. L'entreprise de Tinker est alors relocalisée à Atlantic Islands, où le groupe s'installe avec les instruments et ses bagages. L'endroit, perdu aux clairs des plaines du centre-Algerzie, est un véritable coupe-gorge. Peu à peu, l'atmosphère au sein du groupe se détériore également. Si Bruce semble dépargné par la situation, les autres musiciens subissent les critiques acerbes et les insultes de leur manager. La tension monte et la rancœur s'installe progressivement. Conscient du malaise, Bruce prend les devants et annonce à Tinker qu'il ne souhaite plus recourir à ses services de manager tout en lui laissant son rôle d'ingénieur du son pour les concerts. Le 30 octobre, le Bruce Springsteen Band est de retour en Virginie, en première partie de Cactus, avant de terminer l'année avec une avalanche de concerts au Student Prince, leur unique source de revenus en dehors des campus universitaires. Le même soir, l'Upstage Club, ce lieu culte d'Ashbury Park, ferme ses portes. Depuis quelques mois, une ambiance morose y régnait, exacerbée par l'arrivée des drogues dures qui avaient profondément transformé l'atmosphère du lieu. En parallèle, les excès d'alcool de Tom Potter ont eu raison de la bonne tenue de ses affaires mais aussi de son couple. Bruce et son groupe participeront à une dernière soirée le 29 octobre avant de mettre les voiles vers Richmond. Ce sera également la dernière fois que le Bruce Springsteen Band se produit avec des choristes. Malgré les victimes de Tinker West du poste de manager, Bruce Springsteen maintient une relation privilégiée avec ce dernier. Tinker a toujours de bons contacts dans le milieu et lui propose de rencontrer un producteur de disques à New York. Après avoir accumulé de nombreuses déceptions auprès des professionnels de la musique, Bruce hésite. Pourtant, son style d'écriture s'est affiné et il vient de composer quelques titres efficaces qui pourraient bien attirer l'attention et l'ouvrir des portes. Le 4 novembre, West emmène Bruce dans son pick-up, direction la 5ème avenue, dans les locaux de Pocketful of Tunes, la société de production de Wes Ferrell. Bruce rencontre alors Mike Apple dans son bureau, une petite pièce dans laquelle se trouve un piano, un magnétophone, une guitare et deux chaises. Avec son collaborateur Jimmy Kretekos, Apple est à l'origine de plusieurs chansons pour le projet phare de Wes Ferrell, le groupe imaginaire de la série télévisée à succès Support Rich Family, diffusée sur la chaîne ABC. Oh,

  • Speaker #1

    they tried to tell me you would have done But I knew they were wrong

  • Speaker #0

    Lors de cette audition, Bruce joue quelques morceaux pour Mike Apple, s'accompagnant lui-même au piano et à la guitare. Le manager en herbe manifeste un intérêt évident pour ce qu'il entend et semble déçu de ne pas en avoir davantage que ses trois ou quatre titres. Apple est notamment frappé par le passage évoquant une fille sourde qui danse devant un orchestre silencieux sur Babydoll, ainsi que par la phrase dans Song of Orphans « La hache a besoin d'un bras plus fort, tu ne sens donc pas tes muscles frémir » qui lui reste en tête. Après cette performance, Bruce informe Mike Apple qu'il s'apprête à partir en Californie à la fin de l'année pour revoir sa famille et jouer dans les clubs de la région. Il est lassé du New Jersey où il se sent comme un gros poisson dans un petit bocal. Apple lui conseille de se lancer dans une carrière solo en tant qu'auteur-compositeur et de profiter de ce voyage en Californie pour écrire d'autres chansons. Il lui donne également son numéro et l'invite à le rappeler à son retour. Cette rencontre avec MakeApple représente un tournant décisif dans la carrière de Bruce Springsteen. Elle symbolise une transition majeure, Apple étant la figure capable de jouer un rôle crucial dans le lancement de sa carrière. Bruce, qui cherche encore à se faire une place dans le monde de la musique, trouve en MakeApple une oreille attentive, un mentor potentiel. Malgré ce premier rendez-vous, Booth décide de garder le silence auprès de ses amis musiciens. A Ashbury Park, l'ambiance a drastiquement changé. L'Upstage Club n'existe plus, les émeutes ont laissé la ville exsangue et tué le circuit des clubs pour tout le monde, principalement les groupes qui composent leurs propres titres. Hormis une nouvelle résidence au Student Prince du 12 novembre au 19 décembre, le Bruce Springsteen Band ne reçoit plus de propositions de concerts. Lassé par cette voie sans issue, plusieurs membres du groupe décident de partir vivre à Richmond, où l'hiver y sera plus agréable, avec davantage d'étudiants amateurs de musique, dont beaucoup n'ont jamais oublié Steel Mill et son charismatique leader. Gary Talent, Steven Van Zandt et Davidson Shoes font cap vers le sud, tandis que Vinnie Lopez reste dans le nord pour travailler sur un chantier naval. Bruce ? Le moteur du groupe a quant à lui d'autres projets en tête. Il a déjà prévu de retourner en Californie pour les fêtes de Noël et s'embaille à son nom et un simple sac à dos comme bagage, il n'est pas sûr de revenir de sitôt. Quelques jours avant Noël, Bruce et Tinker montent dans le vieux break Ford de ce dernier pour traverser une nouvelle fois le pays. 72 heures de route et plus de 4000 kilomètres les attendent, sous des conditions météorologiques désastreuses, la neige ayant recouvert une bonne partie des montagnes. Bruce décide de démarrer une nouvelle vie. Avec 300 dollars en poche économisés grâce aux dernières dates au Student Prince, il cherche un club en Californie pour se produire. Il se rend cependant vite compte que les scènes ouvertes sur lesquelles il peut jouer son répertoire acoustique ne rémunèrent pas vraiment. De nouveau, il redevient un parfait inconnu, laissant derrière lui sa réputation et son groupe. Il songe alors à intégrer une formation déjà existante. Il commence donc par fréquenter des clubs de la région de San Francisco et découvre un groupe funk soul qui fait sensation. Les musiciens viennent notamment de se séparer d'un de leurs guitaristes et une audition est rapidement organisée. La session dure une quarantaine de minutes et Bruce est relativement confiant. Après un rapide débrief, les musiciens reviennent vers lui et l'informe qu'il n'est pas la bonne personne pour le projet. Malgré cet échec, Bruce Springsteen redouble d'efforts et s'investit pleinement dans l'écriture, adoptant la posture d'un songwriter folk à la Bob Dylan. Pendant trois semaines, il compose sans relâche, explorant divers styles et affinant ses textes, qui gagnent en ambition et en profondeur. Cowboy of the Sea transforme ses rêves d'enfance en une réflexion sur l'avidité du monde moderne. If I was a Priest dresse le portrait d'un ouest sauvage et hypocrite, où Jésus est un shérif et la Vierge Marie tient à sa lune le samedi, prononce la messe le dimanche et se prostitue le lundi. Randall Street ravive la nostalgie de son enfance auprès de son grand-père Fred, tandis que Border Guard évoque une figure autoritaire souffrant davantage que ses victimes, une référence à peine voilée à son père. Parmi ces morceaux, It's Hard to Be a Saint in the City se distingue par sa puissance. Probablement autobiographique, ce titre évoque la découverte de New York et ses sentiments ambivalents de répulsion et d'attirance pour cette ville.

  • Speaker #1

    J'avais une peau de peau de poisson et le look d'un cobra. J'ai été né en bleu et en hiver, mais j'ai explosé comme un supernova. J'ai pu marcher comme Brando dans le soleil, danser comme un Casanova. with my black jacket and hair slicked sweet silver star studs on my duds like a harley in heat when I strut down the street I feel it's hard to be the women fell back said don't that man look pretty triple on the corner cried out niggles for your pity and gasoline boys downtown sure it's all pretty and it's so hard to be a saint in the city

  • Speaker #0

    Pendant plusieurs semaines, Bruce écume la ville de San Francisco, cherchant désespérément un endroit où jouer ses chansons acoustiques contre un cachet. Il est cependant confronté aux mêmes problématiques qu'Abelstein mille deux ans plus tôt. L'argent vient rapidement en manquer et l'espoir s'amenuise progressivement. Un jour, dans une boutique photo d'un centre commercial, il discute avec le gérant, qui se révèle être bassiste dans un groupe en quête d'un guitariste. Il lui propose de les rejoindre le week-end suivant à San José. Bruce emprunte la voiture de ses parents, roule une heure vers le sud et arrive dans une banlieue paisible de la ville. Il y retrouve son contact, accompagné d'un batteur et d'un second guitariste. Il est surpris de voir qu'il s'agit de deux adolescents âgés d'une quinzaine d'années. Il comprend immédiatement que ce groupe ne le mènera nulle part. Pourtant, il reste toute l'après-midi avec eux à jouer, se laissant emporter par l'instant. Mais en repartant le soir, il en vient une nouvelle fois à la conclusion qu'il n'a pas d'avenir en Californie. Il doit retourner là où il est déjà établi, là où il est le roi des clubs et des universités, dans le New Jersey. Avant de reprendre la route vers la côte est, son père lui propose de l'accompagner pour une virée au Mexique. Au programme, un road trip entre père et fils et avec une valte à Long Beach où le Queen Mary est acquiet. C'est sur ce paquebot que Doug Springsteen a embarqué durant la Seconde Guerre mondiale et il souhaite le voir une dernière fois. Ensuite, direction Tier 1 pour un match de polo de Basque, un peu de tourisme et un détour par Disneyland sur la route du retour où ils retrouveront la mère et la petite sœur de Bruce, Pamela. Bruce accepte en espérant que ce voyage puisse soigner certaines blessures du passé, mais les réalités le rattrapent rapidement. Les deux hommes ne se supportent à peine. Les tensions, jamais vraiment apaisées, refont surface à chaque échange verbal. À Long Beach, la visite du Queen Mary vire au fiasco, et Booth ne semble pas comprendre à quel point cette visite est symbolique pour son père. De retour à San Mateo, Booth retrouve Tinker West, qui lui annonce son départ imminent vers la côte est. Sans hésiter, le chanteur décide de l'accompagner. Il est temps de rentrer là où il est un héros local dans un coin perdu, un type qui gagne juste assez pour survivre grâce à sa musique. De retour sur le Jersey Shore à la mi-janvier 1972, Bruce reprend sa carrière scénique avec trois concerts en tant que guitariste rythmique du Sundance Blues Band au Captain's Gartner, un club situé dans la ville de Neptune. Le groupe est dirigé par Suicide Johnny et comporte en serrant Steven Van Zandt, Vinnie Lopez et David Sanchus. L'expérience est cependant de courte durée et ses trois dates seront les dernières du Sundance Blues Band. Dès le week-end suivant, c'est le Bruce Springsteen Band qui reprend du service. Trois soirées sont programmées au Captain's Gartner, puis neuf concerts au Backdoor de Richmond étalés sur le mois de février. Ce retour à la scène coïncide avec une explosion de créativité. Booth, inspiré et infatigable, compose sans relâche, explorant de nouveaux territoires musicaux tout en affinant son écriture. Depuis l'automne 1971, Booth a composé une dizaine de nouveaux titres. Parmi eux, Just Can't Change et Like a Stranger montrent une maturité croissante malgré les arrangements influencés par le rock progressif. Make Up Your Mind, un morceau mid-tempo, adopte un phrasé à la Bob Dylan. Cowboy of the Sea est quant à elle la première version de Lost in the Flood, ce qui sent déjà la direction artistique à venir. Avec I Remember, Booth repousse encore davantage des limites de son écriture. Ce titre monumental de 15 minutes comprend un passage instrumental qui sera repris plus tard dans Thundercrack, ainsi qu'un pont parlé à la frontière de l'écriture et de l'improvisation qui deviendra l'une de ses marques de fabrique. Malgré l'effervescence créative qui l'entoure, Bruce continue, dans l'ombre, à développer également son répertoire folk. Il sait que sa voix et ses accompagnements à la guitare n'ont rien d'exceptionnel, mais il mise tout sur la qualité de ses textes. Bruce décide de recontacter Mike Apple. Ce dernier lui donne rendez-vous le 14 février dans les bureaux de Westfair & Music sur Madison Avenue. Ce soir-là, Mike Apple n'est pas seul. Jimmy Critecos est également présent, ainsi que Bob Spitz, un jeune homme de 21 ans, chargé de vendre le catalogue de Westfairail aux stations de radio. Apple l'invite à assister à l'audition, pressentant que quelque chose d'important pourrait se produire. Bob Spitz fait d'ailleurs preuve d'une remarquable intuition puisqu'il amène son monétophone à Bobine. Il ne le sait pas encore, mais il s'apprête à capturer un moment historique. Le silence s'abat alors que Bruce accorde sa guitare. Dès les premiers accords, quelque chose se produit. Il démarre avec No Need, une balade intime. Sa voix rauque, l'urgence de son interprétation, la sincérité de ses paroles captivent immédiatement son public du soir. Puis il enchaîne avec Cowboy of the Sea et If I Was a Priest, des morceaux qu'il rote depuis l'année précédente. Mais c'est avec It's Hard to Be a Saint in the City que tout bascule. Mike Apple est totalement sidéré par ce qu'il entend. A peine la chanson terminée, il lui demande de la rejouer. Bruce continue et livre les premières ébauches de For You et The Angel. Chaque chanson confirme son évolution fulgurante. Les textes sont d'une maturité impressionnante, les enchaînements d'accords sont surprenants et les mélodies sont d'une efficacité redoutable. Lorsque la dernière note s'évanouit dans la pièce, Mike Apple est en trance. Pour lui, ces chansons peuvent révolutionner l'industrie musicale. Il ne veut surtout pas laisser passer un tel talent. Il veut signer Bruce Springsteen. Et vite. Les différentes parties conviennent alors d'un nouveau rendez-vous le lendemain pour commencer à discuter contrat et argent. Mike Apple, Jim Kretekos et Bob Spitz sentent que quelque chose d'énorme est en train de naître. Le soir même, autour d'un dîner, ils échafaudent déjà des plans, imaginent les mois à venir, les opportunités à saisir et la carrière qu'ils vont bâtir. Mais avant tout, Apple doit régler une dernière formalité. Toujours sous contrat avec Wes Ferrell, il est tenu de lui présenter toute nouvelle découverte. Springsteen se présente donc devant ce dernier pour une nouvelle audition. 10 minutes, 2 chansons, c'est tout ce qu'il faut à Farrell pour décider que Springsteen n'a rien de spécial. Il le laisse partir sans regret. Dès cet instant, Apple comprend qu'il va tout miser sur Bruce Springsteen. Avec Retecos, il passe des heures au téléphone pour démarcher des maisons de disques et rédige les premiers brouillons de contrats qui poseront les bases de leur société de management. Ils improvisent un quartier général dans le bureau de Welter Tund, responsable administratif de Ferrell, régulièrement en déplacement. En mars, les deux hommes démissionnent de leur poste et s'associent à 50-50 dans leur société de management qu'ils baptisent Laurel Canyon. Splitt fait quant à lui office de comptable, responsable administratif et même logeur pour Booth, qui prend l'habitude de squatter le hamac accroché dans son petit appartement de New York. Sans véritable espace de travail, il s'installe provisoirement dans les bureaux de la 54ème rue, mise à disposition par Jules Kurtz, un avocat influent du showbiz avec qui Apple a sympathisé. Booth est touché par l'enthousiasme de ses nouveaux alliés et il accepte d'être pris sous leur aile. En attendant d'entrer dans la cour des grands, Mike Apple insiste pour que tout soit verrouillé légalement, une formalité étrangère à Booth qui a toujours vécu en marge du système. Depuis qu'il a commencé à jouer avec les Castiles en 1965, il a toujours reçu ses cachets en liquide, n'a jamais déclaré un centime aux impôts, jamais signé de bail, ni même jamais rempli un formulaire administratif. Il n'a ni carte de crédit, ni chéquier et surtout aucun contact dans l'industrie musicale pour lui porter conseil. Mike Apple prend le temps de lui détailler chaque document. Pour la partie production, son contrat d'enregistrement le lie à l'Orel Canyon Production, la société fondée par Mike Apple et Jim Kretekos, qui produira ses albums. avant de les céder en licence à une major. Les droits d'édition resteront également entre leurs mains. Si d'autres artistes venaient à reprendre les morceaux, Booth toucherait bien sa part en tant qu'auteur compositeur, mais il ne percevrait rien sur la partie éditoriale. Concernant le management, la répartition sera de 25,75 en faveur de Booth, tandis que l'ensemble des dépenses liées à sa carrière sera directement déduit de ses propres recettes. Désemparé, Bruce passe plusieurs soirées à tenter de décrypter seul le jargon juridique. Jules Kurtz, devenu l'avocat de Mike, lui explique vaguement les clauses principales. Avec appréhension, hésitation et une certaine imprudence, Bruce finira par signer les contrats un à un. Le chanteur garde tout cela pour lui et ne juge pas nécessaire d'en parler aux membres du Bruce Springsteen Band. Après tout, la série de concerts décevant des derniers mois a quelque peu brisé l'élan collectif. Les autres musiciens du groupe ont tous des jobs alimentaires et jouent dans d'autres groupes. De son côté, Bruce gère parfaitement la séparation entre ces deux vies. Sur scène, il reste le leader charismatique, l'âme d'un groupe dynamique, mais dans l'ombre, il se consacre pleinement à son répertoire acoustique, avec l'espoir de signer bientôt avec une grande maison de disques. Une véritable dichotomie émerge alors entre le Bruce Springsteen de New York, songwriter discret et introspectif, et celui du New Jersey, une bête de scène qui électrise les foules. Entre l'hiver et le printemps 1972, le beau Springsteen Band donne quelques concerts à travers la New Jersey et la Virginie. Il joue notamment à l'église catholique de Red Bank, puis à l'aréna de Richmond le 17 mars, lors d'un festival qui réunit Mike Quatro, le frère de Suzy, pionnier du rock électronique, et Mitch Ryder, dont Booth incorporera plus tard quelques morceaux dans son célèbre Détromédelé. L'événement, pourtant prometteur, attire à peine 1000 spectateurs sur des 4600 attendus. Les musiciens profitent malgré tout de ces retrouvailles pour rejoindre Tinker West, qui vient de finaliser son studio d'enregistrement au-dessus de sa nouvelle usine. Pour prêter main forte à leur ancien manager, ils déballent leur matériel et jouent quelques-unes de leurs dernières compositions, tandis que Tinker effectue les derniers réglages. Parmi les morceaux qu'ils interprètent, il y a une reprise de It's a Love of Now, Baby Blue de Bob Dylan. Mais ce sont surtout les compositions de blues qui marquent les esprits, notamment When You Dance qui s'étaient sur près de 17 minutes avec une influence évidente du Allman Brothers Band et du Grateful Dead. L'intégralité de la répétition est enregistrée par Tinker West. L'atmosphère dans le studio est détendue, ponctuée de bavardages légers entre chaque morceau. Les discussions tournent principalement autour des niveaux des micros et des retours, mais le tout est assaisonné d'une bonne dose de rigolade et de plaisanterie. Un mois s'écoule ensuite avant qu'il ne remonte sur scène au Rogers College à la mi-avril. Après cela, l'agenda demeure désespérément vide et chacun suit sa propre route. Vinnie Lopez reste sur le Jersey Shore où il travaille sur un chantier naval à Pointe-Plaisante. Steven Van Zandt, Gary Talent et David Sanchus retournent quant à eux vivre à Richmond. Van Zandt y forme un duo de country blues avec John Lyon, baptisé Southside Johnny and the Kid, tout en s'illustrant sur le circuit des clubs. David Sanchus, pour sa part, commence à travailler dans le nouveau studio Alpha Recording, tandis que Gary Talent, tout juste marié, trouve un emploi dans un magasin de musique à Richmond et commence à envisager l'ouverture de sa propre boutique à l'autre bout de la ville. Tandis que Booth continue d'écrire sans relâche, Mike Apple met en œuvre toutes les stratégies possibles pour décrocher une audition avec des maisons de disques. Un premier essai est effectué chez Atlantic Records mais n'aboutit à rien. Face à cet échec, Apple change de méthode et opte pour une approche plus audacieuse. Il décide d'entrer directement en contact avec Clive Davis, le président de Columbia Records. Davis qui a été propulsé à la tête de la maison de disques au début des années 1960, a succédé à Mitch Miller, écarté après un scandale financier. Sous la direction de Davis, Columbia Records a connu une véritable mutation, entrant de plein pied dans l'ère moderne du rock. Malgré tous ces efforts, Mike Cappell ne parvient toujours pas à entrer en contact directement avec Clive Davis. Se rappelant de l'influence de John Hammond au sein du label, il s'acharne et harcèle sa secrétaire jusqu'à obtenir, enfin, une audition début mai. Pour cette grande occasion, Bruce, qui n'a pas les moyens de s'offrir une guitare acoustique, en emprunte une à Vinnie Magnello, l'ex-batteur des Castiles. Le manche est fissuré et faute d'étui pour la protéger,

  • Speaker #1

    il la porte simplement sur son épaule.

  • Speaker #0

    Au début 1972, il franchit la porte du bureau de John Hammond, l'un de ses héros musicaux. Mike Apple fait son entrée avec une attitude à la fois conquérante et hautaine. Il explique à Hammond qu'il a tenu à ce que Bruce le rencontre, afin de vérifier s'il avait découvert Bob Dylan sur un coup de chance, ou s'il possédait réellement une bonne oreille musicale. Apple s'assoit ensuite sur le rebord de la fenêtre et laisse le jeune guitariste pétrifié faire son numéro. John Amon est sur ses gardes, mais se contente de se caler dans son fauteuil, les deux mains derrière la tête, et demande à Bruce de lui jouer quelque chose. Le chanteur démarre avec « It's hard to be a saint in a city » , le titre qui a convaincu Mike Apple de son potentiel. En une seule chanson, Bruce parvient à convaincre l'un des plus grands directeurs artistiques de l'histoire de la musique contemporaine. Ce dernier lui affirme qu'il doit absolument signer chez CBS et l'invite à interpréter d'autres titres. Bruce continue sur sa lancée avec « Worrying Up » et « If I Was The Priest » . John Hammond est captivé, mais ajoute toutefois qu'il faudrait apporter quelques arrangements à ses morceaux pour qu'ils puissent être présentés à Clive Davis, le grand patron de Columbia. « Mary Queen of Arkansas » , une autre chanson interprétée ce jour-là, ne fait cependant pas l'unanimité. L'audition a duré près de 40 minutes et le directeur artistique demande à voir le chanteur sur scène le soir même. Mike Apple et Bruce Springsteen quittent les locaux de CBS tout sourire, contents d'avoir avancé un pas de géant dans leur quête. Ils prennent ensuite un taxi jusqu'au Greenwich Village pour faire le tour des salles disponibles ce soir-là. Ils finissent par trouver une porte ouverte au Gastate à Google. Sam Hood, le propriétaire et futur patron du Max Kansas City, accepte de glisser Springsteen une demi-heure avant la programmation de la soirée durant laquelle Garland Jeffries fait ses classes en ouverture de Charlie Musselwhite.

  • Speaker #1

    Si maman vient, elle crie Hey, t'as fait ça avec ce trampo-là encore la nuit dernière Tu sais, c'est le cinéma de la silver Chaque putain de black C'est celui que Maman ne fait pas Mais maman, elle me chante Ces mélodies du lune Avec ce grand hook top 40 Elle se réveille, elle ne s'en fiche pas. Papa se stresse et dit, Mary, regarde, la fille est bien. La fille est bien. Et il y a une tension là-bas. Parce qu'il y a quelque chose qui se trouve là-bas. Je me suis retrouvé là-bas. Et même si tu as peur de ce que tu as peur, ne le fais pas. Parce que si ce que maman ressent est trop vrai, elle ne le ressent pas. Donc, sortez de derrière vos bâtiments. Juste un lift-off et un bus. Mon père est mort et ma mère est morte. Je suis en train de me faire un rocher. Tu es seul maintenant.

  • Speaker #0

    Le concert se déroule devant une poignée de spectateurs, une dizaine tout au plus. Bruce interprète quasiment les mêmes morceaux que lors de l'audition du matin, à l'exception de Mary Queen of Arkansas, remplacée par Arabian Nights. John Hammond est là, discret. assis à une table à l'écart. Ils s'imprègnent de chaque note de chaque parole. La prestation de Bruce ce soir-là confirme la bonne impression qu'il a eue lors de l'audition. A la fin du concert, Amon retrouve le jeune artiste à l'extérieur de la salle et lui annonce que sa vie est sur le point de changer. Cependant, une étape importante l'attend encore. Une audition avec Clive Davis, le président de Columbia Records. Mais Hammond, en homme d'expérience, promet à Booth de l'épauler et de mettre à profit son poids et son expérience dans l'industrie pour s'assurer que la maison de disques reconnaisse son potentiel et l'opportunité qu'il représente. Le lendemain après-midi, toujours dans les locaux de CBS, John Hammond, avec l'aide de Mike Apple et la coproduction, organise une session pour enregistrer une démo. L'objectif est de la faire circuler au sein de la maison de disques afin de montrer l'étendue des talents de compositeurs et d'interprètes de Booth. La session se déroule sans encombre et en seulement deux heures, Bruce enregistre 14 titres. Quelques jours plus tard, Clive Davis reçoit la démo, accompagnée d'une note manuscrite d'Amand, précisant que ces morceaux ont été enregistrés en un temps record. Parmi les titres interprétés ce jour-là, les joueurs finiront sur son premier album, comme « Mary Queen of Arkansas » , « It's Hard to Be a Saint in the City » , « The Angel » , « Growing Up » ou « Does This View Stop at the 82nd Street » . Il y a également « Cowboy of the Sea » , qui est une première mouture de ce qui deviendra « Lost in the Flood » . ainsi que Jazzman, un titre qui sera finalement exclu de l'album à la dernière minute. A la fin de la session, John Hammond, satisfait de la prestation, annonce à Booth qu'il peut désormais se considérer comme un artiste CBS. Le directeur artistique insiste cependant auprès de Clive Davis pour qu'il prenne une décision rapidement. Il rappelle à son patron que Booth a déjà joué au Gaslight et que sa réputation commence à se répandre. Clive Davis, visiblement intrigué et impressionné, reconnaît volontiers le potentiel de Booth. Il aime beaucoup l'originalité de son répertoire et demande à ce qu'on lui organise une audition. Quelques jours plus tard, Bruce se présente à Clive Davis avec Mike Apple et son avocat sous la recommandation enthousiaste de John Hammond. Durant cette prestation, Davis est captivé par ce qu'il entend. Bien qu'il ne manifeste pas son enthousiasme de manière aussi évidente que John Hammond quelques jours plus tôt, il est clairement impressionné par ce qu'il considère comme un talent exceptionnel. A l'issue de l'audition, il demande à John Hammond de faire signer M. Springsteen chez Columbia Records au plus vite. Formalité administrative oblige, la signature du contrat avec Columbia Records ne sera officialisée qu'en juin. Une semaine après l'audition, Boz signe un autre contrat qui sera déterminant dans sa carrière. Il s'agit cette fois d'un accord concernant ses compositions. Elles deviendront la propriété exclusive de Sioux City Music Publisher, une société d'édition musicale créée spécialement pour lui par Mike Apple et Jim Kretekos. Entre mai et juillet 1972, Booth se consacra à la réalisation de plusieurs démos pour alimenter ce catalogue. Tim Kretekos et Bob Spitz passent ainsi plusieurs semaines à aider le chanteur à enregistrer ses démos, dans différents lieux comme les studios de Pocketful of Sounds ou l'appartement de Kretekos. L'objectif de cette manœuvre est de déposer des copyrights sur toutes les œuvres de Booth. Par ailleurs, Mike Apple noue un partenariat avec l'éditeur musical londonien Intersong Music dans l'espoir de léguer quelques compositions de Booth à d'autres artistes. Alan Rudge, responsable de la gestion de ce catalogue, fait presser des acétates à partir des bandes reçues. Si Mike Apple et Jim Crittacost nourrissent de grands espoirs concernant ces démos, ils se rendent vite compte que l'univers musical de Springsteen ne se prête pas facilement aux réinterprétations. Le 9 juin 1972, Laurel Canyon et CBS concluent enfin un contrat d'enregistrement de 5 ans. Selon cet accord, Booth devra produire au moins 10 albums pendant cette période, soit 2 par an. En échange, CBS verse un chèque de 65 000 $, 25 000 en guise d'avance sur les futurs royalties de l'artiste et 40 000 pour couvrir les frais d'enregistrement. Ce contrat accorde à CBS uniquement les droits sur les chansons figurant sur l'album qu'ils commercialiseront, tandis que le reste du matériel, comme les titres rejetés ou les prises alternatives, resteront la propriété de l'Orel Canyon. Jules emporte une copie du contrat de CBS à H.B.Rippard pour le relire attentivement. Il se fait aider par Robin Nash, une amie du Jersey Shore, afin de vérifier chaque terme juridique à l'aide d'un dictionnaire. En attendant d'entrer en studio, Goose vit une période de vache maigre. Les mois s'écoulent sans qu'il ne se produise sur scène, trop occupé par les différentes auditions, les relectures de contrats et surtout l'écriture de son premier album. Le Bruce Springsteen Band ne se réunira plus que deux fois au début de l'été, une première pour une fête privée dans un entrepôt à Pointe-Plaisante dans le New Jersey et une seconde le 5 juillet 1972, marquant la fin de l'histoire pour cette formation. Ce dernier concert se déroule dans un cinéma de 300 places à Red Bank et a pour objectif de collecter des fonds en faveur du candidat démocrate à l'élection présidentielle, George McGovern. Bien qu'il ne soit pas encore engagé politiquement, Bruce accepte d'y participer, déterminé à soutenir toute personne s'opposant à Richard Nixon dans la course à la Maison Blanche. Cette dernière date marque à la fois la fin d'une ère pour le groupe et le début d'une nouvelle étape dans la carrière de Bruce qui s'apprête à entrer dans le monde de la musique professionnelle. Malgré la signature avec CBS, le quotidien de Bruce Springsteen est précaire. Sans activité scénique régulière depuis six mois, il n'a plus de revenus et se retrouve pour la première fois de sa vie totalement fauché. Il est incapable de payer les 60 dollars de loyer de l'appartement de Tom Potter et il en vient parfois à fouiller les poubelles pour manger. Mike Apple lui avance un peu d'argent, mais cela ne suffit pas à éviter l'expulsion. Cette nuit-là, Bruce Springsteen dort sur la plage, en mitoufflé dans sa sac de couchage, avec sa planche de surf et tous ses effets personnels à ses côtés. L'errance se prolonge encore quelques temps, jusqu'à ce qu'un vieil ami, Big Danny Gallagher, lui propose de l'héberger dans son deux pièces d'Ashbury Park. Sans lit à sa disposition, Booth installe à même le sol du séjour, avec son sac de couchage communique réconfort. Entre espoir et incertitude, il passe des mois à multiplier les allers-retours entre Ashbury Park et New York, donnant naissance, note après note, session après session, à ce qui deviendra son premier album, Greetings from Ashbury Park, New Jersey. L'épisode d'aujourd'hui touche à sa fin. Bruce est désormais un artiste signé chez CBS, et malgré une santé financière désastreuse, il s'apprête à entrer dans l'histoire de la musique populaire. C'était Julien, et je vous remercie pour votre écoute. Comme toujours, vous retrouverez en description la playlist Spotify qui accompagne cet épisode, ainsi que les sources utilisées pour écrire ce podcast. On se retrouve prochainement pour évoquer le premier album de Bruce. A très vite dans Badlands !

Description

Dans ce quatrième épisode, nous allons retracer l'année 1972, durant laquelle Springsteen va changer d'orientation musicale dans l'optique de signer un contrat avec une maison de disques.


Retrouvez la playlist Spotify pour accompagner ce quatrième épisode : https://open.spotify.com/playlist/5uZZt2f0D55SMHK8BHRXh0?si=4871abfbd6ce4952


Les sources utilisées pour ce podcast :

  • Bruce Springsteen, Born To Run, Éditions Albin Michel (2016)

  • Marc Dufaud, Bruce Springsteen : une vie américaine, Éditions Camion Blanc (2010)

  • Peter Ames Carlin, Bruce, Éditions Sonatine (2013)

  • Hughes Barrière, Bruce Frederick Springsteen, Éditions Castor Astral (2013)

  • Clinton Heylin, E Street Shuffle: The Glory Days of Bruce Springsteen and the E Street Band, Éditions Viking Adult (2013)

  • Le site internet http://brucebase.wikidot.com/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce quatrième épisode de Badlands, le podcast qui retrace l'histoire de Beau Springsteen. Nous nous sommes quittés il y a deux semaines sur la séparation abrupte de Stine Mill. Aujourd'hui, nous allons explorer la lente transition qui conduira le chanteur vers une aventure en solo. Vous êtes dans Badlands et je vous souhaite une agréable écoute. A la fin de l'année 1971, Bruce Springsteen prend tout le monde de court en mettant un terme à l'aventure steel mill. Le groupe, qui parvenait à attirer plus de 4000 spectateurs par concert, semblait en pleine ascension, bien qu'aucun contrat avec une maison de disques ne se profilait à l'horizon. Tinker Waste, leur manager depuis le début, est celui qui a le plus de mal à accepter cette décision. Mais Booth a d'autres ambitions. Il se sent prisonnier dans cette mouture rock progressive et il rêve d'un groupe plus grand, enrichi d'une section de cuivre et de choristes, à l'image de la musique soul qui l'inspire de plus en plus. Sans tarder, il propose à Vinnie Lopez, son batteur depuis 1969, de continuer l'aventure avec lui. Il peut également compter sur son ami Steven Van Zandt, grand passionné de musique soul, pour l'épauler dans cette nouvelle direction musicale. En revanche, les deux autres membres de Stine Mill sont mis à l'écart. Robin Thompson quitte le New Jersey pour retourner en Virginie, tandis que Danny Federici devra patienter deux ans avant que Bruce ne fasse de nouveau appel à lui. L'hiver 1971 est une période de transition et d'expérimentation pour Bruce Springsteen. Sans groupe fixe, il multiplie les collaborations et participe à des jams improvisés à l'Upstage, le célèbre club d'Ashbury Park. Il rejoint ponctuellement sur scène Steven Van Zandt et The Big Bad Bobby Williams Band, un projet lancé par son ami guitariste après la dissolution de Steel Mill. Durant ces mois de transition, Bruce partage également la scène avec John Lyon, Eddie Loraci et le chanteur folk Al B. Talon. C'est également à partir de cette époque qu'il commence à collaborer avec Gary Talent, un bassiste passionné et véritable encyclopédie musicale vivante. Le dernier fait alors partie d'un groupe de soul, Little Melvin et The Invaders, dans lequel évolue déjà un jeune saxophoniste charismatique, Clarence Clements. À l'upstage, Bruce fait une autre rencontre décisive. David Sanchus, un talentueux clavieriste formé à la musique classique, dont le génie impressionne toute la scène d'Ashbury Park. Au-delà de ses compétences musicales, David Sanchus impose une présence scénique magnétique qui capte instantanément l'attention de Springsteen. En tant qu'afro-américain dans un club jusqu'alors fréquenté par des musiciens blancs, il brise une barrière symbolique dans une ville encore marquée par les tensions raciales de l'été précédent. Son audace et son talent impressionnent autant les spectateurs que Springsteen lui-même. À travers ses rencontres, Booth dessine progressivement les contours de son futur groupe. Au sein de cette faune musicale, le saxophoniste Alby Talon devient une figure centrale. L'appartement qu'il partage avec John Lyon et Steven Van Zandt sur Sewell Avenue devient le QG de cette bande. Lorsqu'il ne joue pas à l'upstage, les musiciens s'y retrouvent pour de longues soirées à jouer à leur propre version du Monopoly, ou Alliance Secrète, au devin, tricherie et négociations intenses ponctuent chaque partie. Bruce, maître dans l'art de la persuasion et de l'esbrouf, rafle régulièrement la mise, au point de devenir le boss du Monopoly, un surnom qu'il gardera toute sa vie. Malgré cette effervescence, les concerts se font rares. La plupart des musiciens survivent en jouant lors de jams improvisés et de quelques prestations sous le nom de Steven Van Zandt. Pour joindre les deux bouts, Gary Talent et Davidson Shoes, les deux nouveaux compagnons de scène de Bruce Springsteen, s'installent dans l'usine Challenger de Tinker West. Bien déterminé à donner vie à son big band, Bruce Springsteen passe à l'action en publiant une annonce dans l'Ashbury Park Press afin d'auditionner des choristes et des cuivres. Depuis son voyage en Californie en décembre 1970, il est totalement fasciné par le répertoire de Van Morrison. Le chanteur irlandais, maître dans l'art de fusionner rock, blues, jazz, gospel et musique celtique, influence profondément sa vision musicale. Booth veut insuffler cette richesse sonore à son propre groupe et se met en quête de musiciens capables d'explorer ses directions. C'est ainsi qu'il repère le saxophoniste Bobby Fangenbaum. Pour tester sa sensibilité, il lui fait interpréter plusieurs morceaux de Fend Morrison, cherchant à retrouver cette intensité émotionnelle et ce groove si particulier. Séduit par son jeu, il l'intègre aussitôt à l'équipe. Parmi les talents repérés lors de ses auditions, une jeune lycéenne, Baptiste Kelfa, dont la voix fait sensation dans les bars d'Ashbury Park. sont un brunis qui attire immédiatement l'attention des musiciens. A peine âgée de 18 ans, la chanteuse est malheureusement trop jeune pour partir sur les routes, et Bruce lui conseille de rester au lycée pour le moment. Elle rejoindra le East Street Bump d'une décennie plus tard, avant de devenir la compagne de Bruce. Si la nouvelle formation n'est pas encore stabilisée, une opportunité inattendue se présente en février 1971. Le manager des Allman Brothers Band contacte Tinker West pour leur proposer une première partie au Sunshine Inn d'Ashbury Park. Bruce et Steven Vincent, grands admirateurs du groupe, acceptent immédiatement. Pour l'occasion, ils forment une équipe réunissant des musiciens rencontrés lors des jam sessions à l'upstage. Le groupe, initialement baptisé Bruce Springsteen & The Friendly Enemies, est vite renommé Dr. Zoom & The Sonic Boom par Tinker et Bruce, qui estiment que ce nom correspond mieux à l'esprit déjanté et énergique de cette troupe. En ce 27 mars 1971, Bruce Springsteen est accompagné de toute une ribambelle de musiciens. Steven Van Zandt, Gary Talent, David Sanchez, Vinnie Lopez, Southside Johnny, Albie Talon, John Wasdorff, Bobby Fingenbaum, Bobby Williams et enfin Tinker West en conga. A ces musiciens s'ajoutent une choriste et une troupe de fidèles de l'upstage, comprenant notamment une majorette et un groupe de figurants installés sur le côté de la scène, jouant à une partie de Monopoly. Plus qu'un simple concert, Dr. Zoom & The Sonic Boom devient un véritable spectacle, alliant autant l'aspect visuel que musical. La prestation devient une jam session hors norme et dans un chaos organisé. Les musiciens, déguisés, exagèrent leur rôle, tandis que les interventions théâtrales ponctuent les morceaux. Bruce, quant à lui, chante autour de la table de Monopoly, créant une ambiance surréaliste où le public est immergé dans une expérience délirante et pleine d'énergie. Wayne Hellman, sidéré par ce qu'il voit, sympathise avec le groupe en coulisses. et prend même le temps de montrer à Steven Vanzand quelques plans de guitare. Le Allman Brothers Band est totalement séduit par la performance et il promet de les inviter à jouer en première partie lors de leur prochain concert prévu à Ashbury Park en novembre 1971. Malheureusement, le concert n'aura jamais lieu. Dwayne Allman meurt tragiquement dans un accident de moto le 29 octobre 1971 et la tournée est tout simplement annulée. Bien que des concerts de Dr. Zoom et The Sonic Boom soient peu nombreux, ils marqueront un chapitre essentiel de la carrière de Springsteen. Ce groupe visionnaire, mêlant à la fois le funk, la soul, le rock et des performances théâtrales inédites, permet à Booth de se réinventer musicalement. Durant les semaines qui suivent, Booth se produit seul en acoustique, d'abord à l'upstage, puis au Student Prince d'Asbury Park. Pendant ce temps, Steven Van Zandt s'illustre avec le Sundance Blues Band, une formation qui réunit Joe Axtorm, Gary Talent, Vinnie Lopez et Southside Johnny. Mais Dr. Zoom & The Sonic Boom n'a pas encore dit son dernier mot et donnera encore deux concerts en mai 1971. Le premier a lieu au Sunshine Inn le 14 mai, où une troupe de huit choristes et performeurs, surnommés les Zoomettes, accompagnent Bruce et les autres musiciens. Le lendemain, le groupe est en tête d'affiche du festival Ernie the Chicken, un événement en plein air sur le campus de l'Université de Newark. Les deux concerts poussent encore plus loin le concept d'une fête musicale libre et énergique. Les musiciens enchaînent les longs jams instrumentales, alternant entre classiques du blues, du rock'n'roll et autres improvisations, de toutes ponctuées par une mise en scène toujours aussi doufoque. Quelques jours après, le patron de l'upstage propose à Bruce et son groupe un set électrique pour le week-end suivant. Cette fois-ci, les choristes Dolores Holmes et Barbara Dinkins rejoignent Bruce, Stephen, Vinnie, Gary et David sous un nouveau nom, Bruce Springsteen and the Red Hot Mamas. Bien que la formation ne se produise qu'à deux reprises sous ce nom, elle marque une transition décisive vers une nouvelle ère dans la carrière de Springsteen. Depuis la dissolution de Steam Mill en janvier 1971, Bruce a pris conscience que le fonctionnement collectif de son précédent groupe a souvent bridé sa vision artistique. Lassé des débats interminables sur la direction à prendre, il décide que son nouveau groupe portera son nom et qu'il en assumera seul la responsabilité. Ce changement reflète une rupture nette avec ses expériences précédentes en groupe. Bruce veut désormais un contrôle total sur son œuvre. A l'été 1971, le groupe se renomme le Bruce Springsteen Band et investit l'usine de Tinker pour travailler sur de nouvelles compositions. Le groupe est alors composé de David Sanchus au clavier, Carl Tinker West au conga, Vinnie Lopez à la batterie, Stephen Van Zandt à la guitare, Hervé Tchirlin à la trompette, Bobby Fangenbaum au saxophone, ainsi que Barbara Jenkins et Dolores Holmes au chœur. L'un des premiers faits d'armes de cette nouvelle formation est la composition You Mean So Much To Me. Le titre deviendra un incontournable des concerts de cette époque et quelques années plus tard, il sera repris sur leur premier album The South Side Journey, qui choisit pour sa part de ne pas intégrer le Bruce Springsteen Band. Le premier concert du groupe a lieu le 10 juillet 1971, à l'Université Brookdale de Linkroft, dans le cadre de l'annuel Nothings Festival. La couleur musicale évolue par rapport à l'ère Dr. Zoom et The Sonic Boom. Bruce et ses musiciens offrent une performance imprégnée d'un style plus jazzy, inspiré des big bands, bien que les envolées guitaristiques spectaculaires de Springsteen soient toujours au rendez-vous. Ce soir-là, dans la salle, un certain Ernest Carter Boom, futur membre du Street Band, découvre le guitariste-chanteur sur scène. Le lendemain, le groupe a l'opportunité d'ouvrir pour Humble Pie au Sunshine Inn, Dashbury Park. La formation britannique, menée par le charismatique Steve Marriott et le guitariste Peter Frampton, est alors en pleine ascension. Ils viennent notamment d'offrir un concert mémorable au Shea Stadium de New York en première partie de Grenfell Crane Road. Après le concert, Humble Pine ne tarit pas des loges sur la performance de Bruce et de son groupe. Peter Frampton leur promet de leur dénicher une audition auprès de leur label, I&M, et de les inviter en première partie de leur prochaine tournée américaine. Fidèles à leur indépendance et à leur vision, Bruce et Tinker West refusent les avances du groupe. Le Blues Springsteen Band enchaîne les concerts tout au long de l'été 1971. Parmi les événements marquants, un spectacle dans le Monroe Park de Richmond en Virginie, ainsi qu'un autre plus prestigieux au Guggenheim Bandschil dans le parc de Lincoln Center à New York. Pour cette date, le groupe bénéficie d'une heure de set, et Tinker profite de cet événement pour enregistrer le concert depuis la table de mixage. Le groupe ouvre la soirée avec un arrangement gospel blues de CC Ryder, un classique du rock'n'roll que le Eastfield Brown continuerait de reprendre tout au long de sa carrière. Durant le set, Dolores Holmes livre une interprétation magistrale de I'm in love again, une chanson de Springsteen fortement influencée par Ronnie Spector. Le public assiste à un show intense avec des titres emblématiques de cette période comme Dance Dance Dance, You Mean So Much To Me et John Balaya All Over qui deviendra l'un des tubes phares du Bruce Springsteen Band. Malgré cette frénésie, le groupe traverse une période de ralentissement après l'abandon du non-Steam mill. Le public se dépasse moins massivement. Le modèle du Bruce Springsteen Band, avec sa dizaine de musiciens, s'avère rapidement impossible à maintenir financièrement. Conscient de cette réalité, Bruce Springsteen décide de recentrer l'effectif autour du noyau dur. Steven Van Zandt, David Sanchez, Vinnie Lopez et Gary Talent. Les chœurs et les cuivres seront désormais uniquement sollicités pour les grands stats. Le 1er septembre 1971, c'est la formation resserrée du Bruce Springsteen Band qui se produit au Garfield Park de Long Branch, avec pour toile de fond le bord de mer. L'événement est organisé par Blah Productions, la société de Tinker West. Très rare pour l'époque, Bruce passe la majeure partie du concert derrière le piano, laissant Steven Van Zandt assurer les parties de guitare, tandis que David Sanchez le soutient à l'orgue. L'enregistrement amateur d'une dizaine de titres permet de retracer le concert, marqué par des reprises de Little Queenie, Jumpin' Jack Flash et Route 66. ainsi que des morceaux emblématiques de cette période comme Dance Dance Dance ou Jambalaya War Over qui semblent clôturer le show. Malgré l'énergie et la passion déployées sur scène, La baisse de fréquentation des concerts entraîne certaines tensions avec Tinker West. Le groupe, en grande difficulté financière, vient de décrocher une résidence au Student Prince, où il se produit des week-ends du vendredi au dimanche. Chaque soir, ils enchaînent 4 sets de 45 minutes pour un total d'une quarantaine de représentations entre septembre et la fin de l'année 1971. Tinker estime que c'est une erreur de saturer le marché avec des concerts en club. Il préférerait que le groupe se concentre uniquement sur les grosses dates prévues sur les campus universitaires. C'est durant cette période de vaches maigres que Bruce Springsteen va faire une rencontre déterminante. Avec le temps, les témoignages des différents protagonistes se sont enrichis de mythes et d'anecdotes contribuant à la légende de ce duo à l'horaire iconique. Ce soir-là, la nuit est sombre et le vent s'engouffre avec force dans les rues désertes d'Ashbury Park. À l'intérieur du Sudenprinz, quelques habitués cherchent un refuge dans cette ambiance musicale. Soudain, une bourrasque violente arrache la porte du club, projetée vers l'extérieur. Dans l'encadrement, une silhouette imposante apparaît sous la plus battante, Clarence Clemens. Il avance vers la scène et demande s'il peut jouer. Dès les premières notes, son saxophone emplit la salle d'une intensité brute et profonde. C'est exactement le son que Bruges cherche depuis des mois. Pourtant, rien ne se décide cette nuit-là. Clarence a déjà des engagements et Bruce n'a rien à lui proposer. Les deux hommes se serrent la main et se quittent, tout en sachant au fond d'eux qu'ils se retrouveront prochainement. En attendant, le groupe est attendu à l'université de Richmond le 23 octobre. Pour l'occasion, Hervé Chirling, le trompettiste et la choriste Dolores Holmes sont conviés, mais les retrouvailles tournent rapidement la catastrophe. À leur arrivée en ville, Lopez, Tierlin et d'autres membres du groupe sont pris à partie par un junkie armé d'un couteau. Furieux, Tierlin accuse Tinker West d'avoir cherché à réduire les coûts des logements au détriment de leur sécurité, les obligeant à dormir dans des quartiers à risque. L'altercation dégénère rapidement. Lopez, excédé, lui assène un coup de poing en plein visage. Hervé Tierlin quitte immédiatement le groupe. Pendant ce temps, Dolores Holmes est violemment agressée par son petit ami. Lorsque Bruce arrive à son motel, l'homme a déjà pris la fuite, laissant la choriste avec une plaie ouverte. Le groupe, réduit à cinq musiciens, monte sur scène ce soir-là avec un retard conséquent. Au cours de cet automne 1971, les locaux de la Challenger Eastern Company de Tinker West à Wadamassa ferment leurs portes. L'entreprise de Tinker est alors relocalisée à Atlantic Islands, où le groupe s'installe avec les instruments et ses bagages. L'endroit, perdu aux clairs des plaines du centre-Algerzie, est un véritable coupe-gorge. Peu à peu, l'atmosphère au sein du groupe se détériore également. Si Bruce semble dépargné par la situation, les autres musiciens subissent les critiques acerbes et les insultes de leur manager. La tension monte et la rancœur s'installe progressivement. Conscient du malaise, Bruce prend les devants et annonce à Tinker qu'il ne souhaite plus recourir à ses services de manager tout en lui laissant son rôle d'ingénieur du son pour les concerts. Le 30 octobre, le Bruce Springsteen Band est de retour en Virginie, en première partie de Cactus, avant de terminer l'année avec une avalanche de concerts au Student Prince, leur unique source de revenus en dehors des campus universitaires. Le même soir, l'Upstage Club, ce lieu culte d'Ashbury Park, ferme ses portes. Depuis quelques mois, une ambiance morose y régnait, exacerbée par l'arrivée des drogues dures qui avaient profondément transformé l'atmosphère du lieu. En parallèle, les excès d'alcool de Tom Potter ont eu raison de la bonne tenue de ses affaires mais aussi de son couple. Bruce et son groupe participeront à une dernière soirée le 29 octobre avant de mettre les voiles vers Richmond. Ce sera également la dernière fois que le Bruce Springsteen Band se produit avec des choristes. Malgré les victimes de Tinker West du poste de manager, Bruce Springsteen maintient une relation privilégiée avec ce dernier. Tinker a toujours de bons contacts dans le milieu et lui propose de rencontrer un producteur de disques à New York. Après avoir accumulé de nombreuses déceptions auprès des professionnels de la musique, Bruce hésite. Pourtant, son style d'écriture s'est affiné et il vient de composer quelques titres efficaces qui pourraient bien attirer l'attention et l'ouvrir des portes. Le 4 novembre, West emmène Bruce dans son pick-up, direction la 5ème avenue, dans les locaux de Pocketful of Tunes, la société de production de Wes Ferrell. Bruce rencontre alors Mike Apple dans son bureau, une petite pièce dans laquelle se trouve un piano, un magnétophone, une guitare et deux chaises. Avec son collaborateur Jimmy Kretekos, Apple est à l'origine de plusieurs chansons pour le projet phare de Wes Ferrell, le groupe imaginaire de la série télévisée à succès Support Rich Family, diffusée sur la chaîne ABC. Oh,

  • Speaker #1

    they tried to tell me you would have done But I knew they were wrong

  • Speaker #0

    Lors de cette audition, Bruce joue quelques morceaux pour Mike Apple, s'accompagnant lui-même au piano et à la guitare. Le manager en herbe manifeste un intérêt évident pour ce qu'il entend et semble déçu de ne pas en avoir davantage que ses trois ou quatre titres. Apple est notamment frappé par le passage évoquant une fille sourde qui danse devant un orchestre silencieux sur Babydoll, ainsi que par la phrase dans Song of Orphans « La hache a besoin d'un bras plus fort, tu ne sens donc pas tes muscles frémir » qui lui reste en tête. Après cette performance, Bruce informe Mike Apple qu'il s'apprête à partir en Californie à la fin de l'année pour revoir sa famille et jouer dans les clubs de la région. Il est lassé du New Jersey où il se sent comme un gros poisson dans un petit bocal. Apple lui conseille de se lancer dans une carrière solo en tant qu'auteur-compositeur et de profiter de ce voyage en Californie pour écrire d'autres chansons. Il lui donne également son numéro et l'invite à le rappeler à son retour. Cette rencontre avec MakeApple représente un tournant décisif dans la carrière de Bruce Springsteen. Elle symbolise une transition majeure, Apple étant la figure capable de jouer un rôle crucial dans le lancement de sa carrière. Bruce, qui cherche encore à se faire une place dans le monde de la musique, trouve en MakeApple une oreille attentive, un mentor potentiel. Malgré ce premier rendez-vous, Booth décide de garder le silence auprès de ses amis musiciens. A Ashbury Park, l'ambiance a drastiquement changé. L'Upstage Club n'existe plus, les émeutes ont laissé la ville exsangue et tué le circuit des clubs pour tout le monde, principalement les groupes qui composent leurs propres titres. Hormis une nouvelle résidence au Student Prince du 12 novembre au 19 décembre, le Bruce Springsteen Band ne reçoit plus de propositions de concerts. Lassé par cette voie sans issue, plusieurs membres du groupe décident de partir vivre à Richmond, où l'hiver y sera plus agréable, avec davantage d'étudiants amateurs de musique, dont beaucoup n'ont jamais oublié Steel Mill et son charismatique leader. Gary Talent, Steven Van Zandt et Davidson Shoes font cap vers le sud, tandis que Vinnie Lopez reste dans le nord pour travailler sur un chantier naval. Bruce ? Le moteur du groupe a quant à lui d'autres projets en tête. Il a déjà prévu de retourner en Californie pour les fêtes de Noël et s'embaille à son nom et un simple sac à dos comme bagage, il n'est pas sûr de revenir de sitôt. Quelques jours avant Noël, Bruce et Tinker montent dans le vieux break Ford de ce dernier pour traverser une nouvelle fois le pays. 72 heures de route et plus de 4000 kilomètres les attendent, sous des conditions météorologiques désastreuses, la neige ayant recouvert une bonne partie des montagnes. Bruce décide de démarrer une nouvelle vie. Avec 300 dollars en poche économisés grâce aux dernières dates au Student Prince, il cherche un club en Californie pour se produire. Il se rend cependant vite compte que les scènes ouvertes sur lesquelles il peut jouer son répertoire acoustique ne rémunèrent pas vraiment. De nouveau, il redevient un parfait inconnu, laissant derrière lui sa réputation et son groupe. Il songe alors à intégrer une formation déjà existante. Il commence donc par fréquenter des clubs de la région de San Francisco et découvre un groupe funk soul qui fait sensation. Les musiciens viennent notamment de se séparer d'un de leurs guitaristes et une audition est rapidement organisée. La session dure une quarantaine de minutes et Bruce est relativement confiant. Après un rapide débrief, les musiciens reviennent vers lui et l'informe qu'il n'est pas la bonne personne pour le projet. Malgré cet échec, Bruce Springsteen redouble d'efforts et s'investit pleinement dans l'écriture, adoptant la posture d'un songwriter folk à la Bob Dylan. Pendant trois semaines, il compose sans relâche, explorant divers styles et affinant ses textes, qui gagnent en ambition et en profondeur. Cowboy of the Sea transforme ses rêves d'enfance en une réflexion sur l'avidité du monde moderne. If I was a Priest dresse le portrait d'un ouest sauvage et hypocrite, où Jésus est un shérif et la Vierge Marie tient à sa lune le samedi, prononce la messe le dimanche et se prostitue le lundi. Randall Street ravive la nostalgie de son enfance auprès de son grand-père Fred, tandis que Border Guard évoque une figure autoritaire souffrant davantage que ses victimes, une référence à peine voilée à son père. Parmi ces morceaux, It's Hard to Be a Saint in the City se distingue par sa puissance. Probablement autobiographique, ce titre évoque la découverte de New York et ses sentiments ambivalents de répulsion et d'attirance pour cette ville.

  • Speaker #1

    J'avais une peau de peau de poisson et le look d'un cobra. J'ai été né en bleu et en hiver, mais j'ai explosé comme un supernova. J'ai pu marcher comme Brando dans le soleil, danser comme un Casanova. with my black jacket and hair slicked sweet silver star studs on my duds like a harley in heat when I strut down the street I feel it's hard to be the women fell back said don't that man look pretty triple on the corner cried out niggles for your pity and gasoline boys downtown sure it's all pretty and it's so hard to be a saint in the city

  • Speaker #0

    Pendant plusieurs semaines, Bruce écume la ville de San Francisco, cherchant désespérément un endroit où jouer ses chansons acoustiques contre un cachet. Il est cependant confronté aux mêmes problématiques qu'Abelstein mille deux ans plus tôt. L'argent vient rapidement en manquer et l'espoir s'amenuise progressivement. Un jour, dans une boutique photo d'un centre commercial, il discute avec le gérant, qui se révèle être bassiste dans un groupe en quête d'un guitariste. Il lui propose de les rejoindre le week-end suivant à San José. Bruce emprunte la voiture de ses parents, roule une heure vers le sud et arrive dans une banlieue paisible de la ville. Il y retrouve son contact, accompagné d'un batteur et d'un second guitariste. Il est surpris de voir qu'il s'agit de deux adolescents âgés d'une quinzaine d'années. Il comprend immédiatement que ce groupe ne le mènera nulle part. Pourtant, il reste toute l'après-midi avec eux à jouer, se laissant emporter par l'instant. Mais en repartant le soir, il en vient une nouvelle fois à la conclusion qu'il n'a pas d'avenir en Californie. Il doit retourner là où il est déjà établi, là où il est le roi des clubs et des universités, dans le New Jersey. Avant de reprendre la route vers la côte est, son père lui propose de l'accompagner pour une virée au Mexique. Au programme, un road trip entre père et fils et avec une valte à Long Beach où le Queen Mary est acquiet. C'est sur ce paquebot que Doug Springsteen a embarqué durant la Seconde Guerre mondiale et il souhaite le voir une dernière fois. Ensuite, direction Tier 1 pour un match de polo de Basque, un peu de tourisme et un détour par Disneyland sur la route du retour où ils retrouveront la mère et la petite sœur de Bruce, Pamela. Bruce accepte en espérant que ce voyage puisse soigner certaines blessures du passé, mais les réalités le rattrapent rapidement. Les deux hommes ne se supportent à peine. Les tensions, jamais vraiment apaisées, refont surface à chaque échange verbal. À Long Beach, la visite du Queen Mary vire au fiasco, et Booth ne semble pas comprendre à quel point cette visite est symbolique pour son père. De retour à San Mateo, Booth retrouve Tinker West, qui lui annonce son départ imminent vers la côte est. Sans hésiter, le chanteur décide de l'accompagner. Il est temps de rentrer là où il est un héros local dans un coin perdu, un type qui gagne juste assez pour survivre grâce à sa musique. De retour sur le Jersey Shore à la mi-janvier 1972, Bruce reprend sa carrière scénique avec trois concerts en tant que guitariste rythmique du Sundance Blues Band au Captain's Gartner, un club situé dans la ville de Neptune. Le groupe est dirigé par Suicide Johnny et comporte en serrant Steven Van Zandt, Vinnie Lopez et David Sanchus. L'expérience est cependant de courte durée et ses trois dates seront les dernières du Sundance Blues Band. Dès le week-end suivant, c'est le Bruce Springsteen Band qui reprend du service. Trois soirées sont programmées au Captain's Gartner, puis neuf concerts au Backdoor de Richmond étalés sur le mois de février. Ce retour à la scène coïncide avec une explosion de créativité. Booth, inspiré et infatigable, compose sans relâche, explorant de nouveaux territoires musicaux tout en affinant son écriture. Depuis l'automne 1971, Booth a composé une dizaine de nouveaux titres. Parmi eux, Just Can't Change et Like a Stranger montrent une maturité croissante malgré les arrangements influencés par le rock progressif. Make Up Your Mind, un morceau mid-tempo, adopte un phrasé à la Bob Dylan. Cowboy of the Sea est quant à elle la première version de Lost in the Flood, ce qui sent déjà la direction artistique à venir. Avec I Remember, Booth repousse encore davantage des limites de son écriture. Ce titre monumental de 15 minutes comprend un passage instrumental qui sera repris plus tard dans Thundercrack, ainsi qu'un pont parlé à la frontière de l'écriture et de l'improvisation qui deviendra l'une de ses marques de fabrique. Malgré l'effervescence créative qui l'entoure, Bruce continue, dans l'ombre, à développer également son répertoire folk. Il sait que sa voix et ses accompagnements à la guitare n'ont rien d'exceptionnel, mais il mise tout sur la qualité de ses textes. Bruce décide de recontacter Mike Apple. Ce dernier lui donne rendez-vous le 14 février dans les bureaux de Westfair & Music sur Madison Avenue. Ce soir-là, Mike Apple n'est pas seul. Jimmy Critecos est également présent, ainsi que Bob Spitz, un jeune homme de 21 ans, chargé de vendre le catalogue de Westfairail aux stations de radio. Apple l'invite à assister à l'audition, pressentant que quelque chose d'important pourrait se produire. Bob Spitz fait d'ailleurs preuve d'une remarquable intuition puisqu'il amène son monétophone à Bobine. Il ne le sait pas encore, mais il s'apprête à capturer un moment historique. Le silence s'abat alors que Bruce accorde sa guitare. Dès les premiers accords, quelque chose se produit. Il démarre avec No Need, une balade intime. Sa voix rauque, l'urgence de son interprétation, la sincérité de ses paroles captivent immédiatement son public du soir. Puis il enchaîne avec Cowboy of the Sea et If I Was a Priest, des morceaux qu'il rote depuis l'année précédente. Mais c'est avec It's Hard to Be a Saint in the City que tout bascule. Mike Apple est totalement sidéré par ce qu'il entend. A peine la chanson terminée, il lui demande de la rejouer. Bruce continue et livre les premières ébauches de For You et The Angel. Chaque chanson confirme son évolution fulgurante. Les textes sont d'une maturité impressionnante, les enchaînements d'accords sont surprenants et les mélodies sont d'une efficacité redoutable. Lorsque la dernière note s'évanouit dans la pièce, Mike Apple est en trance. Pour lui, ces chansons peuvent révolutionner l'industrie musicale. Il ne veut surtout pas laisser passer un tel talent. Il veut signer Bruce Springsteen. Et vite. Les différentes parties conviennent alors d'un nouveau rendez-vous le lendemain pour commencer à discuter contrat et argent. Mike Apple, Jim Kretekos et Bob Spitz sentent que quelque chose d'énorme est en train de naître. Le soir même, autour d'un dîner, ils échafaudent déjà des plans, imaginent les mois à venir, les opportunités à saisir et la carrière qu'ils vont bâtir. Mais avant tout, Apple doit régler une dernière formalité. Toujours sous contrat avec Wes Ferrell, il est tenu de lui présenter toute nouvelle découverte. Springsteen se présente donc devant ce dernier pour une nouvelle audition. 10 minutes, 2 chansons, c'est tout ce qu'il faut à Farrell pour décider que Springsteen n'a rien de spécial. Il le laisse partir sans regret. Dès cet instant, Apple comprend qu'il va tout miser sur Bruce Springsteen. Avec Retecos, il passe des heures au téléphone pour démarcher des maisons de disques et rédige les premiers brouillons de contrats qui poseront les bases de leur société de management. Ils improvisent un quartier général dans le bureau de Welter Tund, responsable administratif de Ferrell, régulièrement en déplacement. En mars, les deux hommes démissionnent de leur poste et s'associent à 50-50 dans leur société de management qu'ils baptisent Laurel Canyon. Splitt fait quant à lui office de comptable, responsable administratif et même logeur pour Booth, qui prend l'habitude de squatter le hamac accroché dans son petit appartement de New York. Sans véritable espace de travail, il s'installe provisoirement dans les bureaux de la 54ème rue, mise à disposition par Jules Kurtz, un avocat influent du showbiz avec qui Apple a sympathisé. Booth est touché par l'enthousiasme de ses nouveaux alliés et il accepte d'être pris sous leur aile. En attendant d'entrer dans la cour des grands, Mike Apple insiste pour que tout soit verrouillé légalement, une formalité étrangère à Booth qui a toujours vécu en marge du système. Depuis qu'il a commencé à jouer avec les Castiles en 1965, il a toujours reçu ses cachets en liquide, n'a jamais déclaré un centime aux impôts, jamais signé de bail, ni même jamais rempli un formulaire administratif. Il n'a ni carte de crédit, ni chéquier et surtout aucun contact dans l'industrie musicale pour lui porter conseil. Mike Apple prend le temps de lui détailler chaque document. Pour la partie production, son contrat d'enregistrement le lie à l'Orel Canyon Production, la société fondée par Mike Apple et Jim Kretekos, qui produira ses albums. avant de les céder en licence à une major. Les droits d'édition resteront également entre leurs mains. Si d'autres artistes venaient à reprendre les morceaux, Booth toucherait bien sa part en tant qu'auteur compositeur, mais il ne percevrait rien sur la partie éditoriale. Concernant le management, la répartition sera de 25,75 en faveur de Booth, tandis que l'ensemble des dépenses liées à sa carrière sera directement déduit de ses propres recettes. Désemparé, Bruce passe plusieurs soirées à tenter de décrypter seul le jargon juridique. Jules Kurtz, devenu l'avocat de Mike, lui explique vaguement les clauses principales. Avec appréhension, hésitation et une certaine imprudence, Bruce finira par signer les contrats un à un. Le chanteur garde tout cela pour lui et ne juge pas nécessaire d'en parler aux membres du Bruce Springsteen Band. Après tout, la série de concerts décevant des derniers mois a quelque peu brisé l'élan collectif. Les autres musiciens du groupe ont tous des jobs alimentaires et jouent dans d'autres groupes. De son côté, Bruce gère parfaitement la séparation entre ces deux vies. Sur scène, il reste le leader charismatique, l'âme d'un groupe dynamique, mais dans l'ombre, il se consacre pleinement à son répertoire acoustique, avec l'espoir de signer bientôt avec une grande maison de disques. Une véritable dichotomie émerge alors entre le Bruce Springsteen de New York, songwriter discret et introspectif, et celui du New Jersey, une bête de scène qui électrise les foules. Entre l'hiver et le printemps 1972, le beau Springsteen Band donne quelques concerts à travers la New Jersey et la Virginie. Il joue notamment à l'église catholique de Red Bank, puis à l'aréna de Richmond le 17 mars, lors d'un festival qui réunit Mike Quatro, le frère de Suzy, pionnier du rock électronique, et Mitch Ryder, dont Booth incorporera plus tard quelques morceaux dans son célèbre Détromédelé. L'événement, pourtant prometteur, attire à peine 1000 spectateurs sur des 4600 attendus. Les musiciens profitent malgré tout de ces retrouvailles pour rejoindre Tinker West, qui vient de finaliser son studio d'enregistrement au-dessus de sa nouvelle usine. Pour prêter main forte à leur ancien manager, ils déballent leur matériel et jouent quelques-unes de leurs dernières compositions, tandis que Tinker effectue les derniers réglages. Parmi les morceaux qu'ils interprètent, il y a une reprise de It's a Love of Now, Baby Blue de Bob Dylan. Mais ce sont surtout les compositions de blues qui marquent les esprits, notamment When You Dance qui s'étaient sur près de 17 minutes avec une influence évidente du Allman Brothers Band et du Grateful Dead. L'intégralité de la répétition est enregistrée par Tinker West. L'atmosphère dans le studio est détendue, ponctuée de bavardages légers entre chaque morceau. Les discussions tournent principalement autour des niveaux des micros et des retours, mais le tout est assaisonné d'une bonne dose de rigolade et de plaisanterie. Un mois s'écoule ensuite avant qu'il ne remonte sur scène au Rogers College à la mi-avril. Après cela, l'agenda demeure désespérément vide et chacun suit sa propre route. Vinnie Lopez reste sur le Jersey Shore où il travaille sur un chantier naval à Pointe-Plaisante. Steven Van Zandt, Gary Talent et David Sanchus retournent quant à eux vivre à Richmond. Van Zandt y forme un duo de country blues avec John Lyon, baptisé Southside Johnny and the Kid, tout en s'illustrant sur le circuit des clubs. David Sanchus, pour sa part, commence à travailler dans le nouveau studio Alpha Recording, tandis que Gary Talent, tout juste marié, trouve un emploi dans un magasin de musique à Richmond et commence à envisager l'ouverture de sa propre boutique à l'autre bout de la ville. Tandis que Booth continue d'écrire sans relâche, Mike Apple met en œuvre toutes les stratégies possibles pour décrocher une audition avec des maisons de disques. Un premier essai est effectué chez Atlantic Records mais n'aboutit à rien. Face à cet échec, Apple change de méthode et opte pour une approche plus audacieuse. Il décide d'entrer directement en contact avec Clive Davis, le président de Columbia Records. Davis qui a été propulsé à la tête de la maison de disques au début des années 1960, a succédé à Mitch Miller, écarté après un scandale financier. Sous la direction de Davis, Columbia Records a connu une véritable mutation, entrant de plein pied dans l'ère moderne du rock. Malgré tous ces efforts, Mike Cappell ne parvient toujours pas à entrer en contact directement avec Clive Davis. Se rappelant de l'influence de John Hammond au sein du label, il s'acharne et harcèle sa secrétaire jusqu'à obtenir, enfin, une audition début mai. Pour cette grande occasion, Bruce, qui n'a pas les moyens de s'offrir une guitare acoustique, en emprunte une à Vinnie Magnello, l'ex-batteur des Castiles. Le manche est fissuré et faute d'étui pour la protéger,

  • Speaker #1

    il la porte simplement sur son épaule.

  • Speaker #0

    Au début 1972, il franchit la porte du bureau de John Hammond, l'un de ses héros musicaux. Mike Apple fait son entrée avec une attitude à la fois conquérante et hautaine. Il explique à Hammond qu'il a tenu à ce que Bruce le rencontre, afin de vérifier s'il avait découvert Bob Dylan sur un coup de chance, ou s'il possédait réellement une bonne oreille musicale. Apple s'assoit ensuite sur le rebord de la fenêtre et laisse le jeune guitariste pétrifié faire son numéro. John Amon est sur ses gardes, mais se contente de se caler dans son fauteuil, les deux mains derrière la tête, et demande à Bruce de lui jouer quelque chose. Le chanteur démarre avec « It's hard to be a saint in a city » , le titre qui a convaincu Mike Apple de son potentiel. En une seule chanson, Bruce parvient à convaincre l'un des plus grands directeurs artistiques de l'histoire de la musique contemporaine. Ce dernier lui affirme qu'il doit absolument signer chez CBS et l'invite à interpréter d'autres titres. Bruce continue sur sa lancée avec « Worrying Up » et « If I Was The Priest » . John Hammond est captivé, mais ajoute toutefois qu'il faudrait apporter quelques arrangements à ses morceaux pour qu'ils puissent être présentés à Clive Davis, le grand patron de Columbia. « Mary Queen of Arkansas » , une autre chanson interprétée ce jour-là, ne fait cependant pas l'unanimité. L'audition a duré près de 40 minutes et le directeur artistique demande à voir le chanteur sur scène le soir même. Mike Apple et Bruce Springsteen quittent les locaux de CBS tout sourire, contents d'avoir avancé un pas de géant dans leur quête. Ils prennent ensuite un taxi jusqu'au Greenwich Village pour faire le tour des salles disponibles ce soir-là. Ils finissent par trouver une porte ouverte au Gastate à Google. Sam Hood, le propriétaire et futur patron du Max Kansas City, accepte de glisser Springsteen une demi-heure avant la programmation de la soirée durant laquelle Garland Jeffries fait ses classes en ouverture de Charlie Musselwhite.

  • Speaker #1

    Si maman vient, elle crie Hey, t'as fait ça avec ce trampo-là encore la nuit dernière Tu sais, c'est le cinéma de la silver Chaque putain de black C'est celui que Maman ne fait pas Mais maman, elle me chante Ces mélodies du lune Avec ce grand hook top 40 Elle se réveille, elle ne s'en fiche pas. Papa se stresse et dit, Mary, regarde, la fille est bien. La fille est bien. Et il y a une tension là-bas. Parce qu'il y a quelque chose qui se trouve là-bas. Je me suis retrouvé là-bas. Et même si tu as peur de ce que tu as peur, ne le fais pas. Parce que si ce que maman ressent est trop vrai, elle ne le ressent pas. Donc, sortez de derrière vos bâtiments. Juste un lift-off et un bus. Mon père est mort et ma mère est morte. Je suis en train de me faire un rocher. Tu es seul maintenant.

  • Speaker #0

    Le concert se déroule devant une poignée de spectateurs, une dizaine tout au plus. Bruce interprète quasiment les mêmes morceaux que lors de l'audition du matin, à l'exception de Mary Queen of Arkansas, remplacée par Arabian Nights. John Hammond est là, discret. assis à une table à l'écart. Ils s'imprègnent de chaque note de chaque parole. La prestation de Bruce ce soir-là confirme la bonne impression qu'il a eue lors de l'audition. A la fin du concert, Amon retrouve le jeune artiste à l'extérieur de la salle et lui annonce que sa vie est sur le point de changer. Cependant, une étape importante l'attend encore. Une audition avec Clive Davis, le président de Columbia Records. Mais Hammond, en homme d'expérience, promet à Booth de l'épauler et de mettre à profit son poids et son expérience dans l'industrie pour s'assurer que la maison de disques reconnaisse son potentiel et l'opportunité qu'il représente. Le lendemain après-midi, toujours dans les locaux de CBS, John Hammond, avec l'aide de Mike Apple et la coproduction, organise une session pour enregistrer une démo. L'objectif est de la faire circuler au sein de la maison de disques afin de montrer l'étendue des talents de compositeurs et d'interprètes de Booth. La session se déroule sans encombre et en seulement deux heures, Bruce enregistre 14 titres. Quelques jours plus tard, Clive Davis reçoit la démo, accompagnée d'une note manuscrite d'Amand, précisant que ces morceaux ont été enregistrés en un temps record. Parmi les titres interprétés ce jour-là, les joueurs finiront sur son premier album, comme « Mary Queen of Arkansas » , « It's Hard to Be a Saint in the City » , « The Angel » , « Growing Up » ou « Does This View Stop at the 82nd Street » . Il y a également « Cowboy of the Sea » , qui est une première mouture de ce qui deviendra « Lost in the Flood » . ainsi que Jazzman, un titre qui sera finalement exclu de l'album à la dernière minute. A la fin de la session, John Hammond, satisfait de la prestation, annonce à Booth qu'il peut désormais se considérer comme un artiste CBS. Le directeur artistique insiste cependant auprès de Clive Davis pour qu'il prenne une décision rapidement. Il rappelle à son patron que Booth a déjà joué au Gaslight et que sa réputation commence à se répandre. Clive Davis, visiblement intrigué et impressionné, reconnaît volontiers le potentiel de Booth. Il aime beaucoup l'originalité de son répertoire et demande à ce qu'on lui organise une audition. Quelques jours plus tard, Bruce se présente à Clive Davis avec Mike Apple et son avocat sous la recommandation enthousiaste de John Hammond. Durant cette prestation, Davis est captivé par ce qu'il entend. Bien qu'il ne manifeste pas son enthousiasme de manière aussi évidente que John Hammond quelques jours plus tôt, il est clairement impressionné par ce qu'il considère comme un talent exceptionnel. A l'issue de l'audition, il demande à John Hammond de faire signer M. Springsteen chez Columbia Records au plus vite. Formalité administrative oblige, la signature du contrat avec Columbia Records ne sera officialisée qu'en juin. Une semaine après l'audition, Boz signe un autre contrat qui sera déterminant dans sa carrière. Il s'agit cette fois d'un accord concernant ses compositions. Elles deviendront la propriété exclusive de Sioux City Music Publisher, une société d'édition musicale créée spécialement pour lui par Mike Apple et Jim Kretekos. Entre mai et juillet 1972, Booth se consacra à la réalisation de plusieurs démos pour alimenter ce catalogue. Tim Kretekos et Bob Spitz passent ainsi plusieurs semaines à aider le chanteur à enregistrer ses démos, dans différents lieux comme les studios de Pocketful of Sounds ou l'appartement de Kretekos. L'objectif de cette manœuvre est de déposer des copyrights sur toutes les œuvres de Booth. Par ailleurs, Mike Apple noue un partenariat avec l'éditeur musical londonien Intersong Music dans l'espoir de léguer quelques compositions de Booth à d'autres artistes. Alan Rudge, responsable de la gestion de ce catalogue, fait presser des acétates à partir des bandes reçues. Si Mike Apple et Jim Crittacost nourrissent de grands espoirs concernant ces démos, ils se rendent vite compte que l'univers musical de Springsteen ne se prête pas facilement aux réinterprétations. Le 9 juin 1972, Laurel Canyon et CBS concluent enfin un contrat d'enregistrement de 5 ans. Selon cet accord, Booth devra produire au moins 10 albums pendant cette période, soit 2 par an. En échange, CBS verse un chèque de 65 000 $, 25 000 en guise d'avance sur les futurs royalties de l'artiste et 40 000 pour couvrir les frais d'enregistrement. Ce contrat accorde à CBS uniquement les droits sur les chansons figurant sur l'album qu'ils commercialiseront, tandis que le reste du matériel, comme les titres rejetés ou les prises alternatives, resteront la propriété de l'Orel Canyon. Jules emporte une copie du contrat de CBS à H.B.Rippard pour le relire attentivement. Il se fait aider par Robin Nash, une amie du Jersey Shore, afin de vérifier chaque terme juridique à l'aide d'un dictionnaire. En attendant d'entrer en studio, Goose vit une période de vache maigre. Les mois s'écoulent sans qu'il ne se produise sur scène, trop occupé par les différentes auditions, les relectures de contrats et surtout l'écriture de son premier album. Le Bruce Springsteen Band ne se réunira plus que deux fois au début de l'été, une première pour une fête privée dans un entrepôt à Pointe-Plaisante dans le New Jersey et une seconde le 5 juillet 1972, marquant la fin de l'histoire pour cette formation. Ce dernier concert se déroule dans un cinéma de 300 places à Red Bank et a pour objectif de collecter des fonds en faveur du candidat démocrate à l'élection présidentielle, George McGovern. Bien qu'il ne soit pas encore engagé politiquement, Bruce accepte d'y participer, déterminé à soutenir toute personne s'opposant à Richard Nixon dans la course à la Maison Blanche. Cette dernière date marque à la fois la fin d'une ère pour le groupe et le début d'une nouvelle étape dans la carrière de Bruce qui s'apprête à entrer dans le monde de la musique professionnelle. Malgré la signature avec CBS, le quotidien de Bruce Springsteen est précaire. Sans activité scénique régulière depuis six mois, il n'a plus de revenus et se retrouve pour la première fois de sa vie totalement fauché. Il est incapable de payer les 60 dollars de loyer de l'appartement de Tom Potter et il en vient parfois à fouiller les poubelles pour manger. Mike Apple lui avance un peu d'argent, mais cela ne suffit pas à éviter l'expulsion. Cette nuit-là, Bruce Springsteen dort sur la plage, en mitoufflé dans sa sac de couchage, avec sa planche de surf et tous ses effets personnels à ses côtés. L'errance se prolonge encore quelques temps, jusqu'à ce qu'un vieil ami, Big Danny Gallagher, lui propose de l'héberger dans son deux pièces d'Ashbury Park. Sans lit à sa disposition, Booth installe à même le sol du séjour, avec son sac de couchage communique réconfort. Entre espoir et incertitude, il passe des mois à multiplier les allers-retours entre Ashbury Park et New York, donnant naissance, note après note, session après session, à ce qui deviendra son premier album, Greetings from Ashbury Park, New Jersey. L'épisode d'aujourd'hui touche à sa fin. Bruce est désormais un artiste signé chez CBS, et malgré une santé financière désastreuse, il s'apprête à entrer dans l'histoire de la musique populaire. C'était Julien, et je vous remercie pour votre écoute. Comme toujours, vous retrouverez en description la playlist Spotify qui accompagne cet épisode, ainsi que les sources utilisées pour écrire ce podcast. On se retrouve prochainement pour évoquer le premier album de Bruce. A très vite dans Badlands !

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