Speaker #0Bienvenue sur Nuit Blanche, le podcast pour celles qui aiment les femmes, celles qui écoutent avec le ventre, et celles qui se souviennent longtemps, très longtemps. Cette fois, je voudrais partager avec toi un souvenir. Le souvenir d'une femme qui est entrée dans ma vie un jour et qui l'a changée à jamais. Cette tête, il y a des années, mais je la revois encore, marcher le long de la rivière, le silence accroché à ses pas, et je n'ai qu'à fermer les yeux et je me souviens de tout. C'est un matin du mois d'août. Il fait déjà bien trop chaud et le jour hésite encore à naître, suspendu entre l'ombre et la lumière. Elle avance d'un pas léger, aérien, presque irréel. Il y a dans sa démarche une sorte d'évidence, quelque chose de doux et de grave à la fois, comme si la terre ne la retenait pas tout à fait, comme si elle portait en elle un monde de souvenirs froissés. Ses longs cheveux bruns tombent en cascade sur ses épaules nues. Ils ondulent au rythme du vent et caressent sa peau, comme une promesse. Et il y a moi, dans le décor. Je la suis et je ne vois qu'elle. Parce que le reste s'efface. Parce que les contours du réel vacillent. Qu'il se dilate ? Ou se resserre ? Je ne sais pas. Et tout semble déplacé d'un souffle, comme si le monde avait changé de texture. Cette fille-là ne sait pas que je pourrais la suivre jusqu'au bout du monde. Ou bien peut-être qu'elle s'en doute. Peut-être qu'elle a entendu les mots que je n'ai pas su dire. Ce qui brûle derrière mes lèvres et ce qui tremble dans mes gestes. La vérité, c'est que, la nuit dernière, nous avons fait l'amour pour la première fois. C'était beau, lent, tendre et maladroit parfois, mais bouleversant. Ses mains ont parcouru mon corps comme si elles l'avaient reconnu tout de suite. Sa bouche a effleuré ma peau avec une tendresse brute, comme si elle m'attendait depuis des années et comme si elle savait déjà tout. C'était la nuit, mais tout en elle brillait. Ses yeux d'abord, posés sur moi comme une question sans détour. Ses doigts ensuite, qui frôlaient mes hanches, mon ventre, comme s'ils apprenaient une langue oubliée. Et ma peau frémissait sous la sienne, mais tu vois, ce n'était pas seulement du désir, c'était bien plus profond que ça. C'était un appel. Un vertige, et je dois l'avouer, mais j'ai eu peur. Peur d'elle, de moi, de ce que ça réveillait, mais je n'ai pas fui. Non, je me suis ouverte à elle, un peu comme on ouvre une fenêtre au vent d'été, sans savoir s'il va caresser ou tout renverser. Alors... quand elle m'a embrassée je veux dire vraiment embrassée j'ai senti quelque chose céder en moi ses lèvres étaient douces comme du velours mais sûres et certaines et moi dans moi j'avais le corps le coeur et l'âme en flammes incendie total, alors elle a pris son temps. Chaque geste était précis, attentif, comme une prière murmurée contre ma peau. Et c'était troublant, tu vois, parce que elle ne cherchait rien à conquérir, seulement à me rencontrer là au plus juste. Et je l'entendais respirer de plus en plus fort, je l'entendais me sentir, et je me suis laissée faire. Je me suis laissée tomber, je me suis abandonnée, peut-être pour la première fois de mon existence. Et je crois que je n'avais jamais été touchée comme ça, pas seulement dans mon corps, mais dans un lieu plus secret encore, tu sais, cette... cet endroit qu'on garde fermement à soi-même et le silence d'après n'avait rien de vide non il était plein d'elle de nous de tout ce qu'on avait enfin osé osé faire osé dire osé croire Après, elle s'est endormie contre moi, et je suis restée là, éveillée, à l'écouter respirer. Évidemment, je n'avais plus sommeil, j'étais moi aussi trop pleine d'elle, de ce qui venait de se passer, et de ce que je n'arrivais pas encore à nommer. Alors, je fixais le plafond, les ombres douces qui glissaient sur les murs, et... Et je me disais, c'est donc ça. C'est ça, quand tout bascule. Quand une certitude éclate en silence, quand ce n'est plus seulement un corps, ni même une envie, mais quand c'est une présence qui te traverse et te transforme. J'ai fermé les yeux un instant et j'ai senti une paix étrange, inattendue s'installer en moi. un calme danse c'était comme si j'étais enfin à ma place et comme si tout prenait enfin sens et dans le silence de cette chambre j'ai compris que quelque chose avait changé pour toujours que je n'étais plus seule dans ma peau et que je n'étais plus seule tout court Et le lendemain matin, elle marche devant moi, au bord de l'eau. Ses cheveux collent un peu à sa nuque, le monde autour est flou. Comme la veille silencieuse, et je sens qu'elle sait, je sens que nos peaux se souviennent encore. Et je la regarde, parce que je ne sais plus faire que ça. Et tout en moi se tend, se dilate et se serre, et c'est comme si la vie avait commencé hier soir entre ses bras, et qu'elle recommençait ce matin dans chacun de ses pas. Et je... je contemple la cambrure de son dos et des images de la nuit me reviennent. Elle remonte ses cheveux en un geste distrait, familier, et je reste figée parce que... parce que tout en elle me bouleverse et tout me manque déjà alors qu'elle est là à deux pas et je ne sais pas si je suis en train de la perdre ou si au contraire c'est ici que tout commence elle se retourne un instant et planche ses grands yeux dans les miens Un frisson le traverse, il remonte le long de mes jambes jusqu'à ma gorge, et pendant quelques pas, il n'y a plus de passé, plus de question. Il n'y a rien que le matin qui s'étire, nos pieds dans la poussière, et l'eau qui chante tout près. Et cette évidence-là, nous deux. Alors, à cet instant précis, je me demande... Je me demande comment je vais faire maintenant, comment je vais continuer à vivre avec ça dans le ventre, avec sa peau imprimée dans la mienne, avec son odeur qui me poursuit, comme un secret resté trop longtemps enfoui, et je crois que je pourrais la reconnaître les yeux fermés, la retrouver parmi mille autres rien qu'en respirant. Et je sens encore sa nuque sous ma bouche, la chaleur de son dos contre ma poitrine, ses cheveux en travers de mes lèvres, et cette façon qu'elle a de dire mon prénom sans le prononcer. Alors oui, oui je me demande si je vais réussir à rentrer chez moi, à redevenir celle d'avant, celle que les autres attendent et celle que je prétends être, mais je sais déjà que non, je ne vais pas y arriver. Je le sens dans mon corps, dans mes jambes, dans ce cœur devenu trop grand. Il y avait clairement un avant et je sais qu'il y aura un après. Alors toujours au milieu du silence, on s'installe dans l'herbe, là où elle est encore fraîche, un peu humide. Elle s'allonge sur le côté comme si rien n'avait changé, mais je me dis que... que peut-être qu'elle aussi, elle brûle. Mais qu'elle le cache mieux. Et moi, je reste assise, les mains nerveuses. J'ai... j'ai envie de l'embrasser encore et encore. Je crois que je pourrais l'embrasser pendant des heures. Mais ça, je n'ose pas de lui dire. Parce que le silence entre nous n'est pas gênant, il est épais, plein de ce qu'on ne dit pas, de ce qu'on n'ose pas encore formuler parce que, parce que le formuler ce serait sauter dans le vide. Et pourtant, je meurs d'envie de lui demander ce qu'elle pense, là maintenant, si elle regrette, si c'était pour elle aussi autre chose qu'une nuit de plus, mais je me tège, je me retiens. Parce que je n'ai pas envie d'abîmer ce moment et que j'ai surtout pas envie de forcer quoi que ce soit. Et surtout je me dis que peut-être pour une fois je peux juste être, être ici, avec elle, sans avoir à comprendre ou à prévoir. Et je réalise que peut-être que le bonheur en fait c'est juste ça. Un matin d'août, au bord d'une rivière et son corps pas loin du mien. Et peut-être qu'il n'y a rien d'autre à attendre, rien d'autre à espérer, et rien d'autre à comprendre non plus. Peut-être que tout est là, dans cette seconde précise, dans cette lumière dorée sur sa peau, dans cette brise tiède qui soulève à peine l'herbe autour de nous, et dans ce silence doux, entre deux battements. Alors, c'est vrai, on ne sait pas ce qu'on est l'une pour l'autre, et peut-être qu'on ne le saura jamais. Tout comme on ne sait pas ce qu'il y aura demain, mais là, maintenant, on habite le même instant, le même souffle, la même lumière. Et je ferme les yeux et je me dis que, que si ma vie devait s'arrêter maintenant, ici, je n'aurais pas de regrets. Non, parce que... parce que j'ai touché ça. Ce quelque chose de vivant, de brûlant, de vrai. Ce quelque chose qu'on ne nomme pas, qu'on ne possède pas et qu'on ne retient pas. Alors, tu t'en doutes peut-être, mais des années plus tard, elle n'est plus là, depuis longtemps. Et le souvenir s'éloigne, lentement, malgré moi. Un peu comme une barque qu'on laisse dériver sur l'eau. Mais ce matin-là, au bord de la rivière, je crois que j'ai su, confusément, mais j'ai su que quelque chose en moi ne reviendrait jamais tout à fait. et c'était vrai mais souvent je repense à sa main dans la mienne à cette nuit qui aura porté la collision de nos êtres à nos corps au seuil du plaisir à ce silence si plein à cette seconde où tout semblait tenir en équilibre et je me demande si elle s'en souvient aussi si parfois elle pense à moi comme comme moi je pense à elle et aujourd'hui je n'attends plus rien et je peux te dire que ça m'a pris du temps mais il m'arrive encore certains soirs certaines nuits de sentir là juste là au creux du ventre cette même douleur cette même lumière et cette même absence et je me dis alors que que c'était peut-être ça l'amour ou quelque chose qui qui y ressemblait d'avoir partagé ce souvenir avec moi pour moi certains souvenirs sont comme des éclats de verre dans la lumière ils blessent et ils brillent on croit parfois les avoir rangés mais ils se glissent partout dans l'odeur d'un parfum dans le froissement d'une robe une chanson qui traverse la radio Je crois qu'il ne vieillisse pas tout à fait comme nous. Il garde la couleur exacte de ce qui a été, même si parfois on préférerait peut-être les voir s'effacer. Enfin, je sais pas. Je te dis à bientôt pour peut-être une prochaine écoute. Une prochaine lettre, un prochain souvenir, un regret. Prends soin de toi.