Speaker #0Bonjour à tous, vous écoutez Marie Petitot, la plume qui dépoussière l'histoire et fait revivre les personnages du passé. Ménage à trois dans le Palatina. Épisode 1. Charlotte la caractérielle. 31 mai 1692, au château de Versailles. Nous sommes dans les appartements de Madame, épouse du frère de Louis XIV. Élisabeth Charlotte de Wittelsbach, princesse palatine, surnommée Liselotte par ses proches, est devenue duchesse d'Orléans vingt ans plus tôt, après son mariage avec le fringant Philippe. En ce 31 mai 1692, la volumineuse silhouette de Liselotte s'enfonce dans le fauteuil de son cabinet de travail. C'est la pièce favorite de ses appartements, où elle passe le plus clair de son temps, entourée de ses livres, de ses collections de médailles et de ses chiens. La princesse caresse d'une main l'épagnole nain lové dans les plis de sa jupe. De l'autre, elle tient un ouvrage dont elle vient d'achever la lecture. Dans un soupir excédé, elle lâche le petit volume qui vient s'écraser sur le parquet. Resté ouvert, il laisse apparaître son titre aguicheur, « La vie et les amours » de Charles-Louis, électeur palatin. Le regard d'Elisabeth Charlotte traverse la fenêtre pour se poser sur un point indistinct parmi les fleurs qui embaument les jardins et colorent les parterres. Voilà qui remue bien des souvenirs d'enfance. Caressant toujours mécaniquement la petite boule de poils blottis contre son corps, Liselotte fronce les sourcils. L'auteur Anonyme et visiblement très bien renseignée sur la vie intime de son père, même si le style est affreux et que certaines lettres sont sans doute des faux documents, elle reconnaît son style et celui de sa mère. Comment a-t-il fait pour récupérer autant de correspondances ? Bonjour la discrétion ! Ceci dit, cela n'a jamais été le fort de sa famille. Ah, cette boulimie épistolaire ! C'est une véritable religion chez les Wittelsbachs. Lislotte elle-même battra tous les records en confiant ses états d'âme au papier. D'ailleurs, cette lecture humiliante qui étale sur la place publique les mœurs bigames de son père et le caractère impossible de sa mère réveille certaines pulsions. Soulevant délicatement les pagnoles, elle se lève et dépose l'animal dans son panier en velours, puis s'installe à son bureau et reprend la plume pour terminer une lettre. Une lettre adressée à sa tante favorite, Sophie de Wittelsbach, devenue princesse électrice de Hannover. Sans doute voudra-t-elle connaître l'existence de cette infâme publication qui raconte dans les moindres détails le vaudeville galant que fut le mariage de son frère aîné. J'ai oublié de demander à votre dilection, terme parfois utilisé pour s'adresser à des personnages de haut rang. J'ai oublié de demander à votre dilection si votre dilection a vu un livre qui est imprimé à Cologne ayant pour titre « La vie et les amours de Charles-Louis Lecteur Palatin » . C'est mal écrit et plein de mensonges. Lorsque paraît ce petit volume, le père de Liselotte est mort depuis 12 ans. La même année paraît une traduction anglaise à Londres. Cinq ans plus tard, une seconde édition française est imprimée à Amsterdam, puis l'Allemagne est inondée de traductions. Elisabeth Charlotte écrit encore en 1710 à sa tante Sophie. Le livre des amours de Charles-Louis m'a rendu si impatiente que je l'ai jeté au feu. Pour une princesse qui aime passionnément les livres, L'acte révèle son agacement. Sa dignité atteinte ne supporte pas la vision de cet ouvrage dans sa bibliothèque. Le mariage raté de ses parents est pourtant une histoire bien réelle. Pour raconter de façon véridique cet enchaînement très théâtral d'altercations entre deux êtres qui se déchirent, il faut revenir aux sources. Les principales sont les mémoires, rédigées en français, et l'abondante correspondance de Sophie de Hanovre, la petite sœur de l'électeur palatin, vit ce drame conjugal en même temps que les protagonistes. Il reste aussi de nombreuses lettres du père, de la mère et de la belle-mère de Lisdotte, ainsi que la correspondance de notre chère Palatine. Charles Louis, premier protagoniste du trio infernal que vous allez découvrir, est issu de la maison Wittelsbach, l'une des plus anciennes et des plus puissantes dynasties du Saint-Empire romain germanique. Une branche règne sur le duché de Bavière qui deviendra un royaume, une autre branche règne sur le Palatina, l'une des sept principautés du Saint-Empire dont le vote compte pour élire l'empereur. C'est un électorat. où règne un prince électeur. Charles Louis naît en 1617 à Heidelberg, capitale de ce Palatina, où règne son père le prince électeur Frédéric V, et sa mère l'électrice Élisabeth, née princesse d'Angleterre Élisabeth Stuart. Le règne de Frédéric V commence sous les meilleurs auspices. Ayant hérité des conseillers avisés de son père et de son grand-père, il effectue des voyages en Allemagne pour consolider des alliances protestantes. Il embellit aussi beaucoup le château d'Heidelberg et ses jardins, un véritable joyau de la Renaissance allemande en grès rose. Pourtant, tout bascule très vite. Pour son malheur, Frédéric hérite du statut de leader de l'Union protestante fondée en 1608 par son père. Lorsque la Bohème se soulève contre l'Empereur en 1619 et qu'on vient lui offrir sur un plateau d'argent la couronne de Bohème, Frédéric V du Palatina est incapable de résister. Du haut de ses 23 ans, secondé par son épouse ambitieuse, il fait une entrée spectaculaire à Prague en octobre. Frédéric et Élisabeth sont couronnés ensemble. Hélas, le nouveau monarque se rend vite compte qu'aucune principauté n'a les moyens de défendre son trône fraîchement conquis contre les armées impériales. Il a été dupé. C'est l'élément déclencheur de la terrible guerre de Trenton. Quelques mois seulement après son couronnement, la Ligue catholique défait les armées protestantes à la bataille dite de la Montagne Blanche, le 8 novembre 1620. Pour Frédéric V, c'est la déchéance. Mis au banc de l'Empire, il est condamné à l'exil et les terres du Palatina sont confiées au Wittelsbach de Bavière, l'autre branche de la famille. Le cortège royal doit quitter précipitamment la Bohème. Le couple et leurs jeunes enfants, proscrits, traversent péniblement le territoire dans les neiges de la Silésie. Ils trouvent finalement refuge à La Haye, capitale des Provinces-Unies. Charles Louis n'a alors que trois ans et c'est dans cette famille brisée qu'il grandit. Entre un père déçu qui ne supporte pas l'inaction, et une mère aigrie qui ne s'intéresse qu'aux animaux et aux bijoux, tout en enrageant à chaque nouvelle grossesse que lui impose son époux. À l'âge adulte, les enfants de Frédéric V et Élisabeth s'éloignent le plus possible de cette cour superficielle de la haie, quitte à se lancer dans une vie d'errance et d'aventure. Ils n'ont rien à perdre, c'est la voie que choisit Charles-Louis. Notre jeune héritier du Palatina n'a que 15 ans, en 1632, lorsque son père Frédéric V décède subitement. C'est à lui désormais de redorer le blason de sa famille. Dès 1635, après ses études à l'aide où il apprend à parler de nombreuses langues étrangères, le jeune homme entame de longs séjours en Angleterre. Il compte beaucoup sur son oncle maternel le roi Charles Ier Stuart pour l'aider à récupérer le Palatina. Or, La déception est au rendez-vous. Il se tourne alors successivement vers les Hollandais, les Suédois, les Français, les princes de l'Allemagne protestante. À chaque fois, c'est la même chose. Tromperie, coup bas, mensonge. Le jeune homme enchaîne les déconvenues militaires et diplomatiques. Finalement, c'est le traité de Westphalie signé en 1648, traité qui met fin à la guerre de 30 ans et instaure la paix entre la France, la Suède, l'Empereur et les princes allemands qui rend à Charles-Louis ses terres palatines. Le 6 octobre 1649, le nouveau prince électeur retrouve, après 30 années d'exil, des états qu'il a quittés à l'âge de 3 ans, des villes et des campagnes dont l'état désolant est le résultat des ravages de la guerre, le Palatinate étant la partie la plus dévastée de l'Allemagne. Pour relever ces états de leur ruine, Charles-Louis fait preuve d'une énergie peu commune. À force de persévérance et de parcimonie, il jette les fondements d'une nouvelle ère de prospérité, notamment en adoptant une stratégie de dépense vouée tout entière à la reconstruction, au commerce et à l'entretien d'une armée, et non à ses plaisirs personnels, et en soutenant la paix civile par sa politique religieuse tolérante. L'électeur parvient ainsi à réaliser un véritable miracle, le Palatina se repeuple et pense ses blessures. Charles-Louis Ier comprend aussi très vite qu'il faut asseoir sa situation personnelle sur l'électorat en fondant une famille. Et notre prince va avoir beaucoup plus de mal à réussir son mariage qu'à ressusciter le Palatine. Il est temps à présent de faire connaissance avec la future mère de Liselotte, second protagoniste important de cette histoire, la princesse Charlotte de Hesse-Casseul. En 1649, juste avant de retrouver ses étapes à l'atteint, Charles-Louis de Wittelsbach fait étape à Nuremberg, où les puissances étrangères fêtent la paix de Westphalie. Il rencontre alors le prince Guillaume VI, landgrave de Hesse-Casseul, une principauté du Saint-Empire. L'Ande grave est un titre octroyé à certains princes souverains allemands. Guillaume VI est accompagné de sa mère et de sa sœur cadette. L'électeur palatin tombe sous le charme, non de la mère, mais de la sœur, Charlotte. Les contemporains soulignent la beauté de cette jeune femme élancée qui vient de fêter ses 22 ans. On remarque aussi qu'elle a une haute opinion d'elle-même et de sa beauté, à tel point qu'elle boude les tentatives de séduction de l'électeur palatin. Charles-Louis, émoustillé par cette froideur qu'il prend pour un jeu, se fait de plus en plus pressant. La mère de Charlotte pousse alors sa fille à répondre favorablement aux avances. Elle obéit, sans grande conviction toutefois. L'affaire est aussitôt menée tambour battant. Charles-Louis estime que le mariage avec Charlotte allie pour une fois la politique aux effusions du cœur. De son cœur, en tout cas. Le talentueux historien Dirk van der Kruis auteur d'une biographie sur Liselotte et d'une autre sur Sophie de Hanovre, explique la raison qui emporte le choix de l'électeur. Il voulait se marier et faire bénéficier le palatinat des avantages d'une alliance avec la puissante maison de Hesse, dont les branches von Hesse-Cassel et von Hesse-Darmstadt avaient contracté des mariages avec toutes les dynasties régnantes du Saint-Empire. Alors qu'il est installé à Heidelberg depuis à peine quatre mois, Charles-Louis Ier repart. Accompagné d'une suite nombreuse, il parcourt en une semaine les 250 kilomètres qui séparent Heidelberg de Kassel, où il arrive en grande pompe le 12 février 1650 pour les célébrations du mariage. Les festivités durent plusieurs jours. Au moment des noces, Charlotte apparaît rayonnante dans une robe tissée d'argent, une couronne de diamants posée sur sa chevelure dénouée qui retombe sur ses épaules. Quelle vision angélique ! Qui pourrait se douter que la princesse est un véritable petit diablotin ? Il y a bien la belle-mère de l'électeur, la landgrave douairière Amélie, qui met en garde Charles-Louis. S'il s'engage, c'est en connaissance de cause. Sa fille est une personne assez froide et très optinée. Il ne pourra pas dire qu'il n'était pas au courant. L'électeur balaye ses arguments d'un revers de la main. Dirk van der Kruis raconte. Le caractère ombrageux de Charlotte ne pesait guère au regard des avantages politiques qu'il se promettait de cette union. A la fois romantique et despotique, il croyait qu'il lui suffirait d'aimer beaucoup la coquette que la politique avait mise dans son lit et de lui tenir en même temps l'abri de haute pour se faire aimer et respecter. Après tout, il avait douze ans de plus et savait parler aux femmes, avec tendresse si possible, avec fermeté s'il le fallait. Charles-Louis Ier et Charlotte font leur joyeuse entrée dans Heidelberg le 3 avril 1650. La nouvelle électrice éblouit sa capitale au son des cloches et des coups de canon. Elle parade dans un carrosse de velours cramoisi galonné d'or, cadeau de sa mère qui est sans doute ravie d'avoir trouvé un époux à cette mégère pas encore apprivoisée. C'est alors que les ennuis commencent. Dès le début, cette union est vouée à l'échec. Charlotte n'aime pas son mari. Pourtant, Charles-Louis Ier déborde d'amour. Il la cajole devant tout le monde et la surnomme « mine chatte » , « mon trésor » . Ce comportement n'émeut pas du tout Charlotte qui trouve son époux ridicule. Et comme elle est coquette, elle passe des heures à sa toilette pour apparaître resplendissante en public, dans le but de plaire à des inconnus. Elle décoche des œillades séduisantes de tous côtés. Au lieu d'apprendre à connaître et à apprivoiser cet époux qui en soi ne demande alors rien de mieux. Pour Charles-Louis, c'est appuyer là où ça fait mal. C'est réveiller l'un des plus grands défauts de sa personnalité par ailleurs joyeuse, lumineuse et perspicace, la paranoïa. Sa jeunesse difficile, jalonnée de déceptions, lui a en effet forgé un caractère soupçonneux et méfiant qui lui vaut une étrange réputation dans toute l'Europe. Les jugements portés sur lui à diverses époques concordent sur ce point. Le 28 janvier 1663, par exemple, le diplomate Robert de Gravel écrit à Louis XIV « Je crois que la plus forte tâche qui obscurcit plusieurs belles qualités dont ce prince est assurément revêtu est l'extrême défiance dans laquelle il est perpétuellement de toutes choses. Ce soupçon permanent s'accompagne d'une grande intransigeance et transforme sa vie domestique. » En enfer. Quelques mois après les noces, la jeune princesse Sophie, sœur cadette de l'électeur, arrive à Heidelberg. Dès son arrivée à la cour, Sophie analyse sa belle-sœur sous toutes les coutuvres. Le portrait physique est fidèle à sa réputation. « Je vis que c'était une femme fort grande, le corps assez court et les jambes fort longues, qui avait un teint admirable, la plus belle gorge du monde. Ses traits n'étaient pas réguliers. » Et je trouvais aussi que ses sourcils qu'elle teignait en noir faisaient un trop grand opposé à ses cheveux qui étaient d'un fort beau blond cendré. Elle avait les yeux beaux et brillants, la bouche grande et grimaceuse, et tout ensemble on pouvait dire que c'était une belle femme. Le jugement moral est cependant bien rude. Dès le premier jour, le verdict tombe. Je ne pouvais m'empêcher de dire selon ma naïveté hollandaise, Madame ma belle-sœur n'a point d'esprit. J'en étais bien mieux persuadée le lendemain, qui était un dimanche, que je l'allais trouver pour l'accompagner à l'église, et que je l'avais étalé tous ses beaux habits sur une table, à nommer tous les endroits d'où il était venu, et le temps qu'elle les avait eus. Je traitais cela de bagatème. Après qu'elle eût fait l'étymologie de tous ses habits, nous allâmes au prêche. Au retour, elle me fit confidence qu'elle avait épousé M. l'électeur, contre son gré, qu'elle avait été recherchée par plusieurs autres princes, que Madame sa mère avait choisie pour elle et lui avait fait épouser un vieux jaloux. Ce discours me surprit sérieusement. Autrement dit, la princesse Sophie est sidérée par la personnalité superficielle et hautaine de Charlotte, qui manque cruellement de jugeote. Avec un peu de souplesse et quelques cajoleries, elle aurait pu s'entendre à merveille avec son vieux jaloux comme elle l'appelle, qui l'aime sincèrement. S'il se plaint à Sophie qu'elle a été mal élevée, Il idolâtre pour l'instant sa jeune épouse, au point de mettre Sophie mal à l'aise. J'étais souvent honteuse de voir qu'il la baisait, embrassait, devant tout le monde. C'était des embrassades continuelles, je l'ai vu souvent à genoux devant lui et lui devant elle. On aurait dit dans ce moment que leur amour serait éternel. Hélas, le couple explosif ne s'entend décidément pas. Les scènes de ménage se succèdent et rythme bal, mascarade, promenade et concert qui égayent la cour. La princesse Elisabeth, qui parvient elle aussi à s'échapper de la cour de la haie, rejoint sa sœur Sophie à Heidelberg et elle est comme elle témoin de ces altercations surréalistes. L'écho des disputes violentes entre Charles-Louis et Charlotte résonne dans les galeries italiennes du château d'Heidelberg, s'envole jusqu'au tour massif de ce palais à l'allure d'une forteresse pour aller se noyer dans le paysage. enchanteur où serpente le nécar. L'incompatibilité d'humeur des jeunes gens entretient la frustration de part et d'autre. Agacé par l'indifférence et la coquetterie maladive de son épouse, Charles-Louis devient injustement jaloux et perd son sang-froid, tandis que Charlotte, qui se sent persécutée et manque de clairvoyance, se met en colère à la moindre remarque qu'il ose lui faire. Je laisse la parole à Arvette Barine qui écrit dans La Revue des Deux Mondes. Soudain éclatait une scène furieuse, déchaînée le plus souvent par la jalousie de Charles-Louis, et la journée finissait sans qu'aucun des adversaires eût déposé les armes. Puis on se raccommodait, puis on recommençait. Un fils, le prince Charles, vint au monde le 31 mars 1651 parmi ces tempêtes. C'était un enfant doux et maladif. Il fut très malheureux entre ses deux ans, ragé, et en resta déprimé toute sa vie. La princesse, qui devait être madame, naquit l'année suivante, le 27 mai 1652. Élisabeth Charlotte, Liselotte par abréviation, était d'une autre trempe que son frère. Turbulente et réjouie, il lui était impossible d'avoir du chagrin longtemps. Avec les parents que le sort lui avait donné, c'était une heureuse humeur. Les orages glissèrent sur elle sans l'atteindre, et Heidelberg lui laissa plus tard, lorsqu'il fallut le quitter pour la France. Le souvenir d'un paradis terrestre où elle avait eu sa bonne part, de ses bonheurs d'enfant qui sont si vifs et qui restent si chers. Tant que Charles-Louis cherche à se réconcilier avec sa femme après chaque nouvelle dispute, le couple tient. Mais sa patience a des limites. Un événement va faire voler en éclats ce mariage déjà fissuré de toutes parts. C'était Marie Petito dans le podcast Plume d'Histoire. A très bientôt pour un nouvel épisode de la série Ménage à Troyes dans le Palatina.