Speaker #0Bonjour à tous, vous écoutez Marie Petitot, la plume qui dépoussière l'histoire et fait revivre les personnages du passé. Ménage à trois dans le Palatina. Épisode 2. Louise l'Ambitieuse. A la fin de l'année 1652, Charlotte est enceinte pour la troisième fois. Une troisième grossesse en trois ans. La barbe ! Au début de l'année 1653, elle apprend qu'elle va accompagner son époux à la diète d'Augsbourg où se rassemblent les princes électeurs pour désigner le roi des Romains. Pour l'électrice Charlotte, hors de question de laisser cette grossesse intempestive lui gâcher une opportunité de briller au milieu de cette réunion de la plus belle société allemande. Le couple prend la route, suivi d'un impressionnant cortège transportant les caisses d'effets nécessaires et superflus. Elle emmène même dans ses bagages une certaine Madame Leprince, coiffeuse qu'elle fait venir exprès de France. La mésentente du couple éclate en public dès leur arrivée à Augsbourg. Charlotte, qui ne pense qu'à s'amuser et à faire étalage de sa beauté, passe son temps à se faire confectionner des impressionnants échafaudages de cheveux par sa Madame Leprince. Elle visite les teintureries, court les festivités et participe à toutes les parties de chasse, malgré sa grossesse très avancée. Le 12 mai 1653, elle accouche prématurément d'un garçon baptisé Frédéric, qui décède aussitôt. Charles-Louis en veut à Charlotte. Il l'accuse d'être responsable de la mort de leur fils. De son côté, Charlotte ne souhaite plus d'autres grossesses qui y viennent porter atteinte à ses charmes. Ils prennent le chemin du retour bien fâchés. Et dès leur retour à Heidelberg, l'électrice ferme la porte de sa chambre à son mari. Elle a assez donné de sa personne. Dans un premier temps, on essaye de persuader Charlotte de reprendre la vie commune. Guillaume s'y stante d'Amadou et sa sœur, sans succès. En plus de refuser tout rapprochement physique à l'électeur, elle commence à manifester une sourde jalousie, à le voir poser son regard sur d'autres, au point d'en perdre complètement la raison. En reprochant à Charles-Louis d'être amoureux de sa sœur Sophie, la princesse raconte. Elle devint jalouse elle-même. On aurait de la peine à croire que ce fut de moi et qu'un frère que je respectais en père et qui était d'âge à le pouvoir être serait soupçonné d'être mon galon. En sa colère, elle avait écrit à plusieurs personnes que les lecteurs étaient amoureux de moi et que je n'y répondais que pour avoir des douceurs. Ce me donna envie de me marier pour me tirer de cet embarras. Pour fuir son malheur domestique, Charles-Louis s'absente de plus en plus souvent d'Heidelberg, voyageant dans ses états en reconstruction, certain d'être accueilli à chacun de ses retours par les aigreurs de Charlotte, décidément insupportable. Je laisse Bernadette de Castelbajac apporter la conclusion qui introduit la troisième protagoniste de cette pièce tragicommue. Passée une courte période de brouilles et de raccommodements suivie de nouvelles récriminations, l'amour qu'il éprouvait pour elle s'éteignit comme une chandelle brusquement soufflée. Elle ne voulait plus de lui ? Très bien, il irait ailleurs. Fin d'un roman d'amour qui n'avait pas duré trois ans. Et ainsi apparaît avant l'heure une main tenant au petit pied, Louise de Degenfeld. Merci. Une chevelure rousse et une peau de porcelaine. Beaucoup d'érudition. Un maintien réservé et une grande douceur. Louise de Degenfeld est l'exact opposé de Charlotte de Escastel. En 1652, année de naissance de Liselotte, Louise entre au service de l'électrice en qualité de dame d'atour. Cette jeune beauté de 19 ans, issue d'une famille noble, est protégée de la vanité de sa maîtresse par une simplicité et une discrétion qui inspirent confiance. Charlotte en fait sa confidente et c'est elle qu'elle choisit pour dormir dans sa chambre comme le veut l'étiquette à la cour d'Heidelberg. C'est en 1653 que Charles-Louis, définitivement désabusé sur son épouse, pose les yeux sur cette beauté assez timide. Quel bonheur de la voir rougir dès qu'il lui adresse discrètement des propos galants. Sa douceur, quel repos ! peau agréable après les violences de Charlotte, la jeune fille ose parfois lui répondre, par un petit billet où elle écrit quelques vers. L'électeur est séduit. Il entame avec elle une correspondance en latin, langue que Charlotte ne maîtrise pas du tout, et les deux tourtereaux s'échangent des galanteries à l'image d'Héloïse et Abélard, au nez et à la barbe de l'épouse. Au départ, en effet, l'électrice ne se doute de rien. Elle remarque néanmoins que son époux vient de plus en plus souvent la visiter dans ses appartements, sans pour autant que leurs échanges aient gagné en amabilité. Louise témoigne des scènes que Charlotte fait à son mari et inversement, c'est qu'un seul faux pas de sa part et son avenir est compromis. Pendant trois ans, elle résiste aux avances de plus en plus pressantes de Charles-Louis. Elle lui fait comprendre qu'elle ne peut être sa maîtresse, mais acceptera d'être sa femme. lorsqu'il sera de nouveau libre de convoler. Madame a des principes. L'électeur fait tout pour convaincre Louise. Il est prêt à lui abandonner la jouissance de deux domaines proches d'Heidelberg en attendant que la patronne, autrement dit l'électrice qui a perdu son surnom de trésor, quitte la place. Aussitôt qu'elle sera retournée dans sa famille, il promet à Louise que sa situation sera officielle et améliorée. Avant que Louise n'ait pu répondre à cette étonnante mémoire, Charlotte commence à comprendre que son époux la prend pour une poire. Dès qu'elle découvre le poteau rose, Charlotte persécute sa dame d'atour de mille vexations et de violences qui obligent les lecteurs à se déclarer ouvertement. Personne ne doute plus de son attachement pour Louise. Sur ces entrefaits, un incident décisif et hautement rocambolesque survient le 21 mars 1657. Par une indiscrétion, Charlotte tombe sur un billet rédigé par Louis en latin et en allemand. Une lettre truffée d'expressions du style « Mon amour, vous avez vaincu et je suis votre » , etc. Prise d'une violente colère, Charlotte enfonce la porte de la chambre de sa dame d'atour qui n'y est pas. Elle se précipite sur sa cassette et vide l'intégralité des lettres qu'elle contient. C'est alors qu'elle tombe à nouveau sur plusieurs lettres en latin qu'elle se fait traduire immédiatement. Parmi d'innombrables billets d'amour, deux documents compromettants, une sorte de double promesse de mariage datée du 10 février. « Je sous-signais Louise de Degenfeld m'engage formellement à me donner au compte palatin Charles-Louis électeur, tout entier, corps et âme et volonté. Etant que son Altesse électorale et moi vivrons, à l'aimer, honorer et servir constamment et fidèlement, comme une femme doit à son mari, je m'y engage formellement. Moi, Charles-Louis Comte Palatin, électeur, m'engage et promet par cet écrit à aimer constamment et fidèlement par-dessus tout, à honorer et entretenir la baronne Louise von Degenfeld, tant qu'elle et moi vivrons, comme un mari doit à sa femme. En fois de quoi j'ai écrit et signé le présent de ma propre main. Siamant et en toute réflexion, et scellé de monceaux ordinaires. Au fond de la cassette, Charlotte découvre encore des bagues offertes par son époux à la traîtresse. C'est cela, plus que la promesse de mariage, qui lui fait piquer une crise de nerfs. Effrayée par ce vacarme de l'enfer, Louise est l'électeur à court suivi des princesses Sophie et Elisabeth. Sophie raconte dans ses mémoires. Nous vîmes en entrant dans la chambre une scène extraordinaire. L'électeur se tenait devant sa maîtresse pour parer les coups qu'elle pourrait recevoir de Madame Safame. L'électrice marchait par la chambre, tenant tous les bijoux de la Degenfeld entre les mains. Elle s'approcha de nous tout en feu et nous dit « Princesse, voici la récompense de la garce ! Cela n'est-il pas pour moi ? » Je ne pouvais m'empêcher de rire de cette demande et je fis un si grand éclat que l'électrice s'en trouva infectée et se mit à rire aussi. Mais un moment après, sa colère la reprit, comme M. l'électeur lui dit qu'il fallait rendre les pierreries à qui elles appartenaient. Elle répliqua en les jetant par toute la chambre « S'ils ne doivent point être à moi, les voilà donc ! » Louise écrit quelques jours plus tard à son frère, le baron Adolphe de Degenfeld. « Si les lecteurs ne m'avaient protégée, elle m'aurait tuée. » Elle ajoute dans une autre lettre à son frère Ferdinand. « Elle devint à moitié folle. » Dirk van der Kruis raconte de façon savoureuse les suites incroyables de cet événement. Coincé entre sa femme, prête à faire des malheurs, sa maîtresse et ses deux sœurs, Charles-Louis part au plus pressé. Il enferma Louise à double tour dans son cabinet de peur d'accident. Il profita ensuite du souper de Charlotte pour loger Louise dans un bel appartement au-dessus du sien et en fit percer le plancher et poser une échelle. Mais l'électrice découvrit bientôt la cachette, le moindre marmiton du château devait être au courant. Et il serait monté le couteau à la main, précise Sophie, si ces dames ne l'en eussent empêchée. Les serviteurs du château de Heidelberg touchaient des gages des plus modestes les ressources du Palatina étant limitées, mais au moins il ne s'ennuyait pas. Un page de Charles-Louis embrassa la cause de son maître avec tant de fougue qu'il lui proposa en toute simplicité d'empoisonner la soupe de l'électrice. Charles-Louis eut de la peine à modérer son zèle intempestif et redoutait non sans raison des voies de fait. Il décida d'éloigner Louise du champ de bataille et l'installa d'abord au château de Schwetzingen. Et quelques mois plus tard, à Frankenheim. C'est pendant ces quelques mois où il tient sa dulcinée à l'abri des vociférations et des violences de la patronne que Charles-Louis prépare leur avenir commun. L'électeur est prêt à lever tous les obstacles. Et ils sont nombreux. Ils commencent par rédiger une lettre ouverte, autrement dit une missive officielle, où ils répudient clairement Charlotte de Hesse-Castle. Les raisons invoquées sont sa malicieuse désertion de ses devoirs conjugaux et son comportement désagréable, désobéissant, obstiné, insupportable et récalcitrant. Il conclut Nous avons sondé notre conscience et nous nous estimons dégagés de nos obligations vers elle. Il explique alors qu'il a pris une seconde épouse, la baronne Louise de Degenfeld, en vertu de la juridiction qui lui appartenait, comme prince régnant, dans les matières ecclésiastiques et politiques, et qu'il est résolu à passer le reste de ses jours avec elle, conjugalement et chrétiennement. Les Escastles tentent, assez mollement, de convaincre Charles-Louis de pardonner à Charlotte ses erreurs passées. Les lecteurs refusent, mais promettent que l'électrice sera toujours traitée en princesse. Charles-Louis Saint-Génie ensuite... à convaincre le baron de Degenfeld, frère de Louise, outré à l'idée que sa sœur puisse vivre en concubinage. Pendant ce temps, il cherche un pasteur qui accepte de bénir l'union et l'approbation de théologiens que réclame Louise. Le pasteur de la jeune femme, qui répond au nom d'Aylan, est plus difficile à convaincre que ne l'imaginaient les lecteurs de Primabor. Il prévient Louise qu'il lui refusera la communion, ce qui la met dans tous ses états. Prise de scrupules religieux, agacée par cette situation qui n'évolue pas, elle menace de se retirer dans un monastère. Charles-Louis tente de persuader le pasteur récalcitrant en redressant ses idées sur la polygamie. Il écrit à Louise. « Je lui ai cité Moïse et les prophètes, mais je vois bien qu'on lui a fait peur. » La solution apparaît soudain à force de chercher. Elle vient d'une concession faite autrefois par Luther en personne en faveur d'un aïeul de Charlotte. C'est ainsi qu'on dét... terre l'histoire que voici pour trancher la question. Le landgrave Philippe de Hesse avait épousé en 1523 Christine de Saxe. Lui resta fidèle pendant trois semaines et papillonna ensuite de maîtresse en maîtresse. Il rencontra en 1539 Margaret von der Saal, qu'il voulut absolument épouser. Il fit soumettre à Luther et Mélenchon l'idée d'un mariage double. Citons de nombreux précédents tirés de l'Ancien Testament. Le réformateur lui accorda la permission en décembre 1539, fondant sa décision sur l'argument suivant. Puisqu'il était impossible au Landgrave de retourner à sa première femme, il était préférable de lui laisser mener une vie moins dissolue en lui permettant de s'unir à Margaret. Le pasteur Eiland ne put tenir tête à l'autorité de Luther, et le mariage religieux de Charles-Louis et de Louise fut béni à Frankenhall dans la plus stricte intimité le 6 janvier 1658. Au document qui atteste des saintes promesses réciproques et du lien matrimonial qui unit désormais Charles-Louis et la baronne de Degenfeld, le pasteur ajoute, avant d'apposer sa signature et son sceau, « comme un peu honteux parce qu'il vient d'octroyer en considération de l'autorité divine dont il est investi » . Je prie ceux qui verront cette attestation de ne pas me juger avant l'heure et de ne pas me prendre pour un homme qui, au mépris de sa conscience et des devoirs de son état, a fait bon marché de sa responsabilité devant Dieu et devant le monde. Je ne suis qu'un homme, je ne vois que ce qui tombe sous mes yeux. Dieu au contraire voit le fond du cœur. C'était Marie Petito dans le podcast Plume d'Histoire. A très bientôt pour un nouvel épisode de la série Ménage à Troyes dans le Palatina.