- Speaker #0
Chers utopistes, bonjour et bienvenue sur le podcast du projet Utopia, un podcast qui s'intéresse aux rapports entre science et société. Aujourd'hui, on va s'attaquer à une question complexe. Qu'est-ce qui fait qu'une théorie est scientifique ? Cette question de la scientificité est centrale en philosophie des sciences et reste encore largement débattue aujourd'hui. Pour en parler, j'ai avec moi Jérémy Attar, physicien et philosophe des sciences. Dans sa thèse de doctorat, Jérémy s'est plongé dans cet intense débat intellectuel en essayant de répondre notamment à la question des différentes épistémologies des sciences. Pour faire simple, une épistémologie pourrait être définie comme étant l'ensemble des méthodes et des principes qui permettent de construire et valider des connaissances. En s'appuyant sur des figures comme Popper, Kuhn ou encore Lakatoche, Jérémy va remettre en question certaines de nos idées reçues. Il nous expliquera pourquoi, La seule notion de falsifiabilité de Popper n'est pas suffisante, et comment il est possible d'appréhender la scientificité autrement ? Mais on ne s'arrêtera pas là, on parlera également des sciences sociales qui se revendiquent souvent d'autres épistémologies que celles en vigueur en physique ou en biologie. Alors, ont-elles réellement besoin de leurs propres épistémologies ? Et comment pourrait-on essayer de réunir ces différentes approches sous une même bannière, une même scientificité ? Ce podcast vous offrira quelques clés et pistes pour vos propres réflexions, choses bien utiles pour votre esprit critique. Cela vous permettra notamment d'enrichir votre cadre épistémique, d'étayer la lutte contre les fausses sciences, de réfléchir à la place des disciplines émergentes et d'améliorer votre regard critique sur la science elle-même. Une chose est sûre, après cette conversation, vous ne verrez plus la science de la même manière. Alors installez-vous, prenez une aspirine et plongeons ensemble dans ces questions complexes. mais fascinante. Jérémy, bonjour.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Je suis très content de te retrouver. On avait déjà pu t'entendre sur le podcast dans la première saison. Et là, on va parler un petit peu de ton travail de thèse, car tu es redacteur depuis maintenant six mois.
- Speaker #1
Oui, un peu plus.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux nous parler de ce travail de thèse ? Qu'est-ce qui t'a amené à l'écrire, à penser à ce sujet-là, à réfléchir à ce sujet-là ?
- Speaker #1
Oui, tout d'abord, merci beaucoup. super sympa de m'inviter pour parler de mon travail de thèse en philosophie des sciences et épistémologie. Alors du coup, j'ai soutenu ma thèse en juin 2024, qui s'intitule « Vers un modèle unitaire de la scientificité » . Alors bon, c'est un peu pompeux, comme tous les titres de thèse, mais on va un petit peu en parler. Ce qui m'a amené, moi, à réfléchir sur ces sujets-là. Donc là, dans ma thèse, je travaille sur la question de la scientificité. On en parlera, bien sûr, plus longuement après, mais... C'est la question de savoir qu'est-ce qui caractérise la science. Ça veut dire quoi en fait ? Un truc est scientifique. Qu'est-ce qui singularise, s'il y a quelque chose qui singularise la connaissance scientifique vis-à-vis d'un autre type de discours sur le monde ? Ça c'est des questions un peu très générales en fait, en philosophie des sciences, et particulièrement en épistémologie. Moi je l'ai croisé avec une autre question, qui est celle de l'unité épistémologique des sciences en général, c'est-à-dire est-ce que toutes les disciplines scientifiques, indépendamment de leur objet, du type, de phénomènes, d'objets qu'elles utilisent, qu'elles étudient, pardon, est-ce qu'elles peuvent se comprendre au sein du même cadre épistémologique, c'est-à-dire sous les mêmes règles, poursuivant les mêmes objectifs, etc. Ou alors, au contraire, est-ce que, eh bien non, il faut, au-delà de quelques aspects très minimaux, très minimales, est-ce qu'il faut en fait penser les sciences toutes indépendamment les unes des autres ? On ne peut pas... ou transcrire les critères épistémologiques d'une science sur une autre. C'est un peu les deux débats à l'intersection desquels je m'inscris.
- Speaker #0
Où est-ce qu'il y a les vraies sciences et les moins vraies sciences ?
- Speaker #1
Ouais, on pourrait le voir un peu comme ça, mais alors est-ce qu'il y a des sciences d'un certain type et des sciences d'un autre type ? Vraiment, voilà. Ou alors au contraire, non, est-ce que toutes les sciences sont des instantiations, c'est-à-dire des exemples concrets d'un même principe plus général ? Moi, clairement, je m'inscris plutôt dans cette vision-là. Mais bon, moi ce qui m'a intéressé c'est bien sûr de mettre le nez dans ces débats-là. J'ai proposé des choses, mais bien sûr, ce qui m'intéressait avant tout c'était vraiment de regarder, d'apprendre des choses, d'apprendre plein de choses. Et comment j'en suis arrivé à réfléchir à ces sujets-là ? En fait, moi je suis physicien de formation, donc de base j'ai été vraiment formé en physique. Et pendant mes études, etc., eh bien j'ai... Je me suis toujours intéressé à l'épistémologie et à la philosophie des sciences. Après, j'ai fait de la physique théorique, alors on est toujours un peu obligé, quand on parle dans des trucs très théoriques en physique, je pense qu'on est toujours un peu obligé, à un moment donné, de se poser des questions de philosophie des sciences, en particulier. Et moi, je me suis toujours intéressé à l'épistémologie. Ça m'intéressait toujours de savoir, en fait, comment on fait un modèle en physique, et qu'est-ce qu'on est en train de faire, quoi. Pourquoi est-ce que là, je mets cette force-là, à tel moment, comment c'est justifié, quoi.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux préciser un peu ce que c'est l'épistémologie ? Parce que pas tout le monde sait ce que c'est.
- Speaker #1
D'ailleurs, l'épistémologie, il peut y avoir plusieurs définitions, mais en gros, c'est la discipline qui s'intéresse à la connaissance, en général. Donc il essaie de se demander qu'est-ce que ça veut dire quand je dis que je sais que quelque chose est vrai par exemple. Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire. Alors évidemment ça s'intéresse aussi au mode de production de la connaissance. mais à ses modes de justification, et bien sûr à sa nature, à la nature de la connaissance. Est-ce qu'encore une fois, quand on dit que quelque chose est une connaissance, est-ce que c'est quelque chose qui est de la même nature qu'une autre croyance, ou est-ce que c'est d'une nature différente, etc. Et après, au sein de cet immense champ qui est l'épistémologie, qui veut un peu tout et rien dire, il y a bien sûr le fait de s'intéresser à un certain type de connaissances, qui sont les connaissances scientifiques. Moi, c'est vraiment dans cette veine-là que je m'intéresse, que je m'inscris, c'est vraiment la... on pourrait appeler l'épistémologie des sciences, particulièrement. Des questions sur la nature de la connaissance scientifique et sur ses modes de justification. Quand on dit que l'on sait que l'univers a 13,5 milliards d'années, qu'est-ce que ça veut dire en fait ? C'est un peu ça l'épistémologie, en gros. En tout cas, le champ de l'épistémologie dans lequel je m'inscris. Il y a d'autres types d'épistémologie, c'est un champ très très complexe. Du coup, je me suis toujours posé des questions d'épistémologie, de philosophie des sciences. J'ai lu des choses pendant mon parcours de physicien. J'ai discuté avec d'autres personnes qui étaient plus documentées que moi sur le sujet. Ça m'a toujours intéressé. Et en parallèle de ça, je me suis aussi intéressé aux sciences sociales pour tout un ensemble de raisons. Mais principalement parce que j'essayais de comprendre un peu les phénomènes sociaux, politiques qui m'entouraient. Et en fait, j'ai été assez frappé rapidement par la grosse différence qu'il y avait quand j'essayais de lire des livres de sciences sociales ou des travaux en sciences sociales. J'avais l'impression qu'il n'y avait pas du tout la même chose. Ça ressemblait à la connaissance en sciences sociales.
- Speaker #0
Et pas construite de la même manière.
- Speaker #1
Oui. ne ressemblait pas du tout à ce que moi je connaissais en termes de connaissances scientifiques en provenant de la physique. Alors évidemment, je n'ai pas du tout fait une revue de la littérature exhaustive à l'époque, puisque moi j'ai lu ce qu'on me disait de lire, enfin, ce qu'on me conseillait. Et du coup, j'étais assez frappé par ça, en me disant, bon ben voilà, c'est pas sûrement normal. Mais j'étais quand même toujours un peu gêné, j'avais toujours une petite gêne en mode, ouais mais quand même c'est bizarre, parce que si on appelle ça des sciences, a priori il n'y a pas de raison que ce soit fondamentalement différent, sinon ce serait juste autre chose. Merci. Pourquoi est-ce qu'on appelle ça des sciences si ça ne ressemble pas à la même chose que ce que j'appelle une science ? Il y a toujours eu une gêne en moi. Je ne comprenais pas ce que ça pouvait vouloir dire d'avoir une épistémologie particulière. mis à part bien sûr des spécificités qui sont évidentes, puisqu'on peut discuter avec un humain directement dans le même langage, on ne peut pas discuter avec un électron, ça c'est trivial. Mais à part ça, à part ces spécificités-là, bien sûr des méthodes empiriques qui différaient réellement, parce que l'objet n'est pas le même, à part ça, j'arrivais vraiment pas à comprendre, il y a toujours une gêne qui est restée. Jusqu'au moment où j'ai compris qu'en fait, c'était pas une gêne triviale du tout, en fait c'était un des débats les plus... les plus houleux en épistémologie, en particulier dans le champ des sciences sociales. En fait, c'était un débat. C'était un débat qui était toujours actif et qui existe depuis la naissance des sciences sociales, au XVIIIe, mais surtout au XIXe siècle, à partir de la fin du XIXe. Du coup, une chose en entraînant une autre. En vous passant les détails, j'ai commencé après avoir fait un master en philosophie des sciences à l'université d'Aix-Marseille. J'ai ensuite été inscrit en thèse à l'université de Mons en Belgique, en co-tutel avec l'université de Namur. J'ai vraiment construit mon sujet à la fois à l'intersection du problème de la démarcation scientifique, de la définition de la scientificité, et de l'unité épistémologique des sciences. Mais pour ne pas m'étaler... Sachant que c'est déjà, pour les gens qui connaissent un peu le sujet, c'est déjà très étalé, mais c'est déjà extrêmement ambitieux. Mais pour ne pas m'étaler davantage, on va dire, je me suis vraiment focalisé sur une approche épistémologique comparée entre les sciences physiques, que je connaissais très bien, et les sciences sociales, que je connaissais moins. Et du coup, c'était aussi une excuse, cette thèse. pour en fait apprendre plein de choses, pour apprendre plein de choses dans le champ des sciences sociales, à la fois d'un point de vue disciplinaire, c'est-à-dire qu'est-ce qui se fait, comment ça se fait, quelles sont les différentes choses qui se font réellement, pour apprendre des choses sur le monde social et sur la science elle-même, et épistémologique bien sûr. Donc les débats aussi en parallèle, en épistémologie, qu'est-ce qu'une connaissance, qu'est-ce qu'on considère comme étant une connaissance scientifique du monde social, quels sont les débats derrière, etc. Donc je me suis plongé peut-être la première là-dedans.
- Speaker #0
Oui tu disais ambitieux mais c'est le cas parce que c'est déjà quelque chose qui a été beaucoup écrit, pensé, réfléchi, échangé, débattu dans ce Ausha. Donc venir après ça, après tous ces débats, c'est déjà remuer un petit peu la merde quelque part. Il y a eu tellement de choses qui se sont dit que c'était contradictoire mais des fois il faut arriver à faire le tri. C'est du gros boulot quoi.
- Speaker #1
Oui mais c'est ma lèse-là que j'avais vraiment envie de le dénouer. d'avoir un peu plus les idées claires. Évidemment, c'est un peu le piège de la thèse, mais en particulièrement de la philosophie. C'est-à-dire que quand tu mets le doigt là, quelque part, tu déroules, tu déroules, tu déroules, et en fait, ça n'en finit jamais. Donc évidemment, même si tu règles certains problèmes et certaines choses sont quand même plus claires maintenant, maintenant pour moi qu'avant. J'ai quand même une vision plus claire, bien sûr, des choses aujourd'hui qu'il y a 4-5 ans. Mais il y a encore plein de questions qui se sont posées et sur lesquelles je suis encore en train de travailler. C'est le principe de la recherche, bien sûr, académique. Mais je suis quand même content parce que je suis détendu sur certains points. pour en y revenir et sur les tensions qui m'animaient à l'époque je me suis aussi un peu écarté des idées
- Speaker #0
Avant de rentrer vraiment dans la vie du sujet juste une dernière question est-ce que tu penses que tu réfléchiras à cette question toute ta vie ?
- Speaker #1
Sur ces questions là ? Ouais j'ai du mal à... J'ai l'impression d'y avoir réfléchi toute ma vie déjà, alors que ce n'est pas vraiment, enfin ce n'est pas complètement vrai. Mais oui, j'ai l'impression que ce type de questions, si j'ai la chance, si j'ai la chance par exemple de pouvoir poursuivre une carrière académique. Oui, je pense que ce sont des questions qui m'accompagneront tout le temps. Après, si je ne peux pas, ce qui est probable, parce qu'en général, c'est quand même difficile de poursuivre une carrière académique, j'espère que d'une manière ou d'une autre, je continuerai à travailler ces questions. Mais oui, je pense que ce sont des genres de questions qui m'obsèdent. C'est vraiment de l'obsession. Ce sont des choses qui ne m'empêchent pas de dormir, mais ce sont des choses qui m'ont possédé pendant toutes ces années et auxquelles je voulais vraiment avoir une réponse. Évidemment, une réponse qui n'arrive jamais, mais qui quand même, encore une fois...
- Speaker #0
Quelque part, c'est une recherche de sens par rapport à ce que tu faisais, puisque tu étais dans un champ scientifique. Et de toute façon, la connaissance en tant que telle, ce qu'on a intéressé par...
- Speaker #1
la science c'est la base mais c'est vrai que d'arriver dans les sciences sociales surtout en venant de la physique il y a souvent une très grande tension où les sociologues ou les personnes qui font des sciences sociales souvent sont assez réticents à avoir débarqué quelqu'un qui fait de la...
- Speaker #0
Qui vient des sciences dures, comme on dit justement.
- Speaker #1
Ouais parce qu'on va arriver avec...
- Speaker #0
Là il y a une débarcation souvent dans la langue populaire de dire sciences dures.
- Speaker #1
D'ailleurs on pourrait revenir sur ça parce que j'ai jamais vu écrite nulle part dans des papiers académiques typiquement donc... C'est pour ça que je disais populaire. Oui c'est ça, ouais ouais, carrément. Moi je suis vraiment arrivé dans ce champ, j'avais mes propres idées, t'es obligé de partir avec des a priori. Donc j'avais quand même un malaise à imaginer qu'on puisse définir une épistémologie fondamentalement alternative. Je ne savais pas trop ce que ça pouvait vouloir dire. Mais je suis vraiment arrivé, pas neutre, mais bien sûr, on ne peut jamais l'être. Mais quand même, en me disant, je vais quand même aussi lire les gens qui défendent la nécessité d'une épistémologie. À part, j'ai vraiment envie de comprendre. Et donc du coup, même si je suis arrivé en ayant probablement mon biais de physicien, on pourrait dire, j'ai essayé en tout cas de comprendre. de comprendre réellement le problème, même si évidemment il y a des formes de sciences sociales qui m'attirent intuitivement beaucoup plus que d'autres. Les sciences sociales qui utilisent des modèles, qui simplifient, qui idéalisent, qui travaillent avec ce type d'objet, bien sûr m'attirent intuitivement plus parce que c'est le genre de langage auquel je suis habitué.
- Speaker #0
Est-ce que tu veux d'abord nous faire du coup... le petit topo de ta thèse en commençant par un petit peu l'histoire de la scientificité, de cette définition de la science à travers les âges, ou est-ce que tu veux commencer par Popper, ou finir par Popper, je sais pas.
- Speaker #1
Je pense que Popper sera un peu... incontournable là avec nous dans cette pièce non mais on peut parler du problème de la démarcation scientifique dans un premier temps on cherche un peu c'est un problème qui remonte à l'antiquité probablement de savoir définir ce qui est par exemple de la connaissance ce qui est de l'opinion des choses comme ça oui parce qu'on n'a pas toujours parlé de science avec ce terme là bien sûr mais en fait les mêmes types de réflexions était déjà à l'œuvre, je pense, au départ, même si les sciences en elles-mêmes, bien sûr, n'existaient pas dans le même format que même il y a 100 ans. Et souvent, quand on parle du problème de la démarcation scientifique, on parle de sa version moderne qui commence en particulier avec Karl Popper dans les années 1930, en fait. Même ses réflexions à lui me remontent encore plus loin, mais c'était à peu près, donc ça fait quasiment un siècle, on va dire. Il y a eu évidemment énormément, énormément d'écrits sur la question. Mais l'idée à l'époque, si on recontextualise un petit peu, c'était vraiment de savoir démarquer ce qui était de l'ordre de la science, la connaissance scientifique, et de l'ordre de ce qu'il appelait à l'époque la métaphysique, c'est-à-dire quelque chose qui, du coup, n'a pas de contenu empirique ou une sorte de divagation, on va dire. assez péjoratif, quoi. C'est juste une sorte de blabla, un discours sur le monde qui tourne en boucle, enfin, qui tourne en rond, en gros. Et comment est-ce qu'on différencie un discours qui relève d'un contenu empirique, qui dit réellement quelque chose sur le monde, d'un discours qui a l'air de dire quelque chose sur le monde et qui, en fait, ne dit rien ? On pourrait le simplifier un petit peu comme ça. Et Karl Popper, lui, il a un critère. En fait, il n'en a pas qu'un, mais son critère fondamental, bien sûr, et incontournable, c'est la réfutabilité. Il y a en fait quelque chose qui est scientifique. C'est pas forcément juste quelque chose qui est validé empiriquement. Mais c'est surtout quelque chose qui pourrait potentiellement être réfutable empiriquement.
- Speaker #0
On peut trouver des moyens de le réfuter.
- Speaker #1
On peut imaginer une façon de le réfuter. Et en fait, c'est la condition pour que ce que je suis en train de dire ait une chance de dire quelque chose de substantiel sur le monde. Parce que si je dis quelque chose qui, quel que soit l'état du monde, est vrai, ça veut dire que cette Ausha... n'a pas besoin du monde pour être vrai ou fausse. Et si cette Ausha n'a pas besoin du monde pour être vrai ou fausse, en fait elle ne parle pas du monde, elle n'a aucune chance de contenir une information substantielle sur le monde. Moi je le vois vraiment comme ça, le critère de réfutabilité c'est de dire une condition pour qu'une hypothèse, une proposition, une théorie aient une chance de dire quelque chose de substantiel sur le monde, de contenir quelque chose d'empirique. c'est qu'elle soit, bien sûr, peut-être validée dans l'expérience, c'est encore mieux si elle est validée, mais ça ne suffit pas, en fait. Ça ne suffit pas qu'elle soit validée. Ce n'est pas l'adéquation empirique qu'on essaye de maximiser, ce n'est pas uniquement ça, c'est l'adéquation empirique, mais dans le cas où elle est éventuellement réfutable. Et plus elle est réfutable, c'est-à-dire plus on fait une prédiction, une proposition risquée, plus on gagne d'informations sur le monde quand on se rend compte qu'en fait elle est validée.
- Speaker #0
En fait, on met la théorie à l'épreuve, en fait, en essayant de refuter.
- Speaker #1
Si elle résiste,
- Speaker #0
ça veut dire qu'elle est solide. Si elle ne résiste pas, on passe à une autre théorie.
- Speaker #1
En fait, pour que la validation, il dit ça à un moment donné, il dit pour qu'une validation ait une quelconque valeur, il n'est pas idiot, Popper, il sait très bien qu'on aime bien quand les théories sont validées. Même si pour lui, on apprend vraiment quelque chose quand les théories sont réfutées, parce qu'on l'apprend par déduction. Mais évidemment qu'on est content aussi quand les théories sont validées. Mais ce qu'il dit, c'est... En fait, la validation n'a une valeur épistémologique que dans le cas où ça aurait très bien pu être une réfutation. Et si c'est une validation qui n'aurait pas pu être une réfutation, en fait, on le savait déjà que ça allait être validé. Donc, du coup, on n'a pas besoin de l'expérience. Et si on n'a pas besoin de l'expérience, aucune chance que ta théorie, elle dise quoi que ce soit sur le monde. Puisqu'elle n'a pas de lien avec l'expérience. Elle a l'air d'avoir un lien, mais elle n'en a pas.
- Speaker #0
On peut donner un exemple peut-être. Dans les gens qui nous écoutent, c'est peut-être un peu vague de se dire comment ça peut être possible qu'il y ait des idées qui soient toujours vraies.
- Speaker #1
Oui, bien sûr. En gros, l'idée, c'est comme ça que je le vois. C'est un peu biaisé peut-être, mais quand on essaie de dire des choses sur le monde, quand on essaie de produire de la connaissance, très souvent, tout le temps, on est obligé d'avoir déjà un certain nombre de concepts dans la tête, de définitions. Par exemple, si je dis la phrase préférée des épistémologues, « Tous les signes sont blancs » ou « Tous les corbeaux sont noirs » , on a l'impression que c'est une phrase que tout le monde comprend. « Tous les signes sont blancs » , c'est évident, il n'y a même pas à définir quoi que ce soit.
- Speaker #0
Il faut que ça existe, les signes noirs, mais après... En plus,
- Speaker #1
c'est les fausses. Mais même pour pouvoir énoncer et pour pouvoir tester est-ce que oui ou non tous les signes sont blancs, il faut déjà avoir une certaine définition de ce que c'est un signe. Je vais me balader dans la nature. et je vais regarder des oiseaux, des animaux, et je vais dire ça c'est un signe, ça c'est pas un signe. Donc ça déjà ça repose sur une définition. Et il faut aussi avoir une définition de qu'est-ce que c'est qu'un signe blanc, par rapport à un signe d'une autre couleur. Donc en fait même quand on dit un truc aussi trivial que tous les signes sont blancs, on a envie de savoir si c'est vrai ou pas, et bien on repose forcément sur des définitions. Et donc il y a des choses qui vont forcément être vraies, de par les termes de la définition elle-même. Par exemple, si je dis « tous les signes sont des oiseaux » , cette phrase a un sens empirique. Parce qu'on sait ce que c'est un signe, on sait ce que c'est des oiseaux. Elle est toujours vraie, mais elle est parfaitement triviale. Elle n'apporte pas de connaissances, à part le fait de mettre en exergue une relation dans nos définitions, tout simplement parce que pour être un signe, par définition, il faut déjà être un oiseau. Donc si je vais dans la nature et que je dis « Waouh, c'est incroyable, ma théorie, elle marche trop bien. »
- Speaker #0
Par la définition du signe, tu disais, il y a déjà le fait que ce soit un oiseau. Exactement.
- Speaker #1
Et donc du coup, l'idée, c'est de dire « Si je vais avec cette proposition dans la nature et que je regarde les oiseaux et que je dis « Waouh, c'est incroyable, ma théorie, elle marche trop bien. » Tous les signes sont effectivement des oiseaux. Sauf qu'en fait, je ne me rends pas compte là. Alors là, je me rends compte parce que c'est un exemple trivial, mais dans d'autres cas, on ne s'en rend pas compte. En fait, dans ce cas-là, c'est trivial en fait. C'est évident que... que je ne vais pas pouvoir être contredit, puisque c'est vrai par définition. Et donc si c'est vrai par définition, ce n'est pas forcément grave, puisque c'est juste comme ça, c'est vrai, et on ne peut rien en faire empiriquement. Ça ne nous apprend rien empiriquement. C'est juste une sorte d'artefact, d'artefact de nos définitions, du cadre empirique, des lunettes à travers lesquelles on regarde le monde. Et moi, je vois le falsificationnisme de Karl Popper vraiment fondé sur cette idée-là. Pour moi, c'est vraiment... il y aura toujours des artefacts de notre cadre empirique, mais ces artefacts-là ne contiennent aucune information substantielle sur le monde. Et donc, les choses qui contiennent de l'information, qui sont intéressantes, et qui peuvent avoir une chance de contenir de l'information sur le monde, ce sont les propositions qui sont éventuellement réfutables. Évidemment, on veut qu'elles soient aussi validées. Et en fait, Karl Popper, par ce biais-là, d'une part, il définit ce que ça veut dire, du coup, d'avoir un contenu empirique pour une théorie. mais aussi, en même temps, il pense avoir par là même résolu le problème de l'induction, donc le problème de la justification de nos connaissances, parce qu'il dit en fait, bon ça c'est un truc que tous les épistémologues qui font, d'ailleurs quasiment l'épistémologie en soi, l'épistémologie des sciences, c'est que toutes nos connaissances scientifiques reposent in fine sur un mode d'inférence qu'on appelle l'induction. C'est-à-dire qu'à la fin, toutes nos hypothèses... nos théories, aussi corroborées soient-elles, aussi validées soient-elles des milliards et des milliards de fois, à la fin, elles sont quand même validées sur un nombre fini de données empiriques. C'est-à-dire que si je veux tester est-ce que tous les signes sont blancs, en plus on sait que c'est faux, mais si par exemple je veux tester que, je sais pas moi, tous les corbeaux sont noirs, et bien en fait, tout ce que je pourrais faire, c'est essayer de trouver un corbeau qui n'est pas noir, et tant que j'y arrive pas, je pourrais dire je sais pas si c'est vrai. que tous les corbeaux sont noirs. Par contre, j'en induis la règle générale, je n'en déduis pas, je ne peux pas déduire ça, ce n'est pas une déduction logique, c'est une induction. J'en induis que tous les corbeaux sont noirs. Et la preuve que j'ai, ce n'est pas une preuve mathématique, c'est une preuve empirique, c'est-à-dire, en supposant ça, ça correspond à tout ce que j'ai observé pour le moment. Mais en vrai, ça pourrait très bien ne pas l'être. Et en fait, il n'y a pas de fondation logique à l'induction. Et ça, c'est l'angoisse. des épistémologues, et en même temps ça définit leur discipline, parce que du coup comment ça se fait qu'on a quand même l'impression qu'il y a certaines théories qui sont vachement bien prédictives, qui sont vachement bien corroborées, on peut vraiment leur faire confiance, même sans parler de théories très compliquées, et même sans parler de théories très compliquées, c'est l'exemple de Hume, David Hume qui a un peu posé ce problème là, son exemple c'est de dire est-ce que tu peux parier que le soleil va se lever demain ? Tout le monde va parier que le soleil va se lever, je parierai ma vie, c'est évident. et pourtant c'est que de l'induction qui me permet de, in fine en tout cas cette croyance que j'ai, cette confiance que j'ai dans le fait que le soleil va se lever demain repose sur un nombre fini de validations et le paradoxe c'est de dire ok donc c'est pas fondé sur des règles de la logique déductive pour autant on a quand même l'impression qu'on peut faire confiance,
- Speaker #0
qu'on peut arriver quand même à avoir des connaissances par ce milieu là quoi et donc du coup comment ça se fait ?
- Speaker #1
Donc ça c'est vraiment le problème épistémologique un peu fondamental quoi comment est-ce qu'on peut justifier des connaissances alors qu'elles sont fondées sur l'induction. Et Popper, il pense avoir résolu ce problème-là avec son critère de réfutabilité, en disant, en fait, on ne peut pas savoir quand une induction est vraie, par contre, on peut savoir quand elle est fausse. Il y a une asymétrie entre les conditions de vérité et de fausseté d'une induction. C'est-à-dire que si je réfute ma proposition, là, je sais définitivement, et par déduction, qu'elle est fausse. Et donc là j'ai appris quelque chose par déduction. Donc il me dit, en fait ce qu'il nous dit Popper c'est, non non en fait on n'apprend rien par induction, on apprend par déduction. Par contre on apprend négativement, alors qu'on apprend que nos hypothèses sont fausses. Et donc tout ce qu'on peut essayer de faire, c'est de faire les hypothèses les plus... les plus audacieuses possibles et de voir si elles sont réfutées. Et si elles ne sont pas réfutées, on peut leur faire confiance jusqu'à preuve du contraire, mais rien ne le prouve positivement. Par contre, tout ce qu'on sait, c'est qu'il y a tout un ensemble d'hypothèses qui sont fausses, et ça, on le sait définitivement. Ça, c'est vraiment la vision paupérienne du problème de l'induction.
- Speaker #0
Pour prendre l'exemple du soleil, se dire, en fait, finalement, on peut attendre demain, voir s'il se lève, et du coup, on pourra voir si c'est réfuté ou pas. Ouais,
- Speaker #1
c'est ça. Mais on ne pourra jamais être sûr. que ça va être validé. Par contre, dès l'instant où notre proposition est réfutée, selon Popper, c'est beaucoup plus compliqué que ça, mais en tout cas, selon lui, il pense avoir vraiment résolu le problème de l'induction du même coup, avant d'une pierre de coup. Et ça a été énormément discuté. En fait, il y a plein de problèmes à ça, et pour le coup, moi, ma position aujourd'hui, c'est de dire que la réfutabilité d'un modèle, d'une théorie, d'un contenu comme ça, est La réfutabilité, c'est une vertu épistémologique vraiment très importante. Une des vertus épistémologiques importantes, les épistémologues en général, ont revenu de l'idée que ça a résolu le problème de la justification.
- Speaker #0
Il y a un exemple aussi du coup de choses qui ne marchent pas bien avec cette idée, parce que, intuitivement, comme ça, quand tu l'expliques, ça paraît quand même évident.
- Speaker #1
Ouais, en fait, un des problèmes, c'est de dire, ce que Popper disait, c'est qu'on apprend quelque chose, on augmente notre connaissance parce qu'on a réfuté définitivement une hypothèse. Mais si des hypothèses possibles, il y en a une infinité, ce qui est probablement le cas, du coup, en en réfutant une, il y en a toujours une infinité. Même si on savait définitivement qu'une hypothèse était fausse, il en resterait probablement encore une infinité. Est-ce qu'on a vraiment avancé ? Ça a l'air d'être un peu plus compliqué que ça. Les approches actuelles se basent surtout sur la logique bayésienne. Je n'ai pas trop mis le nez dedans pendant ma thèse. J'ai un peu regardé à des moments, mais je suis parti sur une autre direction. Ça, c'est vraiment... Ce qui est intéressant avec la proposition de Popper du problème de la démarcation, si on revient vraiment sur la question de la démarcation, c'est que ça a l'avantage, disons, d'être un critère très simple, très puissant quand même, et qui explique aussi quand même pas mal de choses. Il prend par exemple l'exemple de la physique en disant « Regardez les théories physiques, les prédictions qu'elles font, quoi. Des prédictions qui pourraient complètement être fausses. » qui a 99% de chances d'être fausse a priori, on va dire, et pourtant, elles sont...
- Speaker #0
Oui, parce qu'elles sont souvent contre-intuitives.
- Speaker #1
Elles sont souvent contre-intuitives, et puis surtout, elles sont précises. C'est-à-dire que quand tu... quand tu prédis la position d'une planète à telle... Enfin voilà, c'est vraiment un truc précis. Ce n'est pas flou, ça ne peut pas s'accommoder à tout. Ça peut s'accommoder un peu, mais pas à tout. Mais en tout cas, cette proposition, elle est simple, elle est quand même puissante, et surtout, elle a structuré le débat ensuite. C'est-à-dire que le débat ensuite, des gens qui sont venus après Popper et qui ont essayé un petit peu d'améliorer son modèle...
- Speaker #0
Ils sont partis de Popper.
- Speaker #1
Ouais, voilà, ça a pas mal structuré ça. On est petit à petit, si je fais un rapide historique des 100 dernières années, en fait, on est petit à petit, on s'est un peu petit à petit écarté de l'idée d'un unique critère. C'est-à-dire qu'on s'est rendu compte qu'un seul critère, ce n'était pas suffisant. Que le critère de réfutabilité lui-même n'était pas forcément suffisant. Il fallait l'affiner pour vraiment qu'il puisse dire quelque chose. Parce qu'en soi, par exemple, la théorie de la Terre plate, elle est réfutable.
- Speaker #0
Disons qu'il y a des théories un peu borderline qui peuvent discuter.
- Speaker #1
En fait, c'est un peu une question de méthodologie philosophique en général ou conceptuelle. Quand on veut un critère qui définit un concept, c'est-à-dire une propriété, on va dire, qui définit un concept, c'est-à-dire que un objet est dans telle catégorie s'il possède la propriété et il ne l'est pas s'il ne possède pas la propriété. Typiquement, un truc, c'est une science, si c'est réfutable, c'est pas une science, si c'est pas réfutable. Eh bien, quand on a une telle définition, il faut bien s'assurer que ça marche quoi. Et donc ce qu'on entend habituellement par science, ça recouvre quand même plus ou moins ce qu'on entend par science quoi. Et aussi que ça exclut bien ce qu'on entend par pseudo-science ou non-science ou ce qu'on veut. Et en fait, c'est dans une vision naïve du falsificationnisme paupérien, ça ne marche pas du tout. Parce qu'il y a par exemple des théories, je sais pas, le modèle de la Terre plate, il est réfutable, donc tu peux faire des prédictions réfutables. même plus que ça, elles sont parfaitement réfutées pour la plupart. Donc tu pourrais dire que le modèle d'interprète il est scientifique mais du coup ce serait un peu bizarre. Et au contraire il y a des principes au cœur des théories les plus scientifiques que tu peux imaginer genre le principe de conservation de l'énergie en physique le principe fondamental des théories physiques qui en fait ne sont pas ou plus réfutables c'est à dire qu'on les considère comme un peu des matrices, des noyaux durs qui vont servir à faire des prédictions, mais qui sont en eux-mêmes plus réfutables. Donc il y a même des choses qui appartiennent à des théories scientifiques et qui ne sont plus réfutables. Alors je te donne un exemple, parce que ça c'est les travaux suivants, et notamment d'un collègue et disciple de Karl Popper, qui s'appelle Imre Lakatoch, que moi j'aime beaucoup, c'est vraiment un philosophe que j'ai beaucoup aimé lire. Et lui il améliore le modèle de Karl Popper, et il faut savoir aussi que Popper, quand on lit ses premiers textes, il a tout à fait conscience de tout un ensemble de limites. Il adresse directement, en fait, dans son bouquin. Donc, c'est un peu naïf de... Ce que je viens de dire juste avant...
- Speaker #0
Il est naïf de le réduire tellement à ça, parce qu'il avait quand même dit, oui, bon, il y a des trucs qu'il faudrait affiner.
- Speaker #1
Oui, oui, et puis même, il y avait répondu. Et typiquement, il sait très bien que le postulat un peu fondamental de sa logique, derrière, même le postulat même logique, quasiment, c'est de dire qu'il y a une asymétrie entre la vérité d'une proposition et la fausseté d'une proposition. D'accord. On ne sait jamais si une induction est vraie. Par contre, on peut savoir définitivement si elle est fausse. Et en fait, ça, il a bien compris que c'était même pas vrai. Parce que quand une induction, déjà, une induction en elle-même, une proposition en elle-même, on ne peut jamais vraiment juger de sa vérité directement. C'est-à-dire qu'en fait, une proposition est toujours incluse dans un système dénoncé plus complexe. Je donne un exemple très simple. J'ai une théorie sur le système solaire. Je prédis qu'il y a telle ou telle planète qui va être à tel endroit. Qu'est-ce que je fais pour observer ? Je regarde à travers ma lunette ou à travers mon télescope. Et pour pouvoir savoir si ma théorie à propos de la planète est validée ou non, il faut que je fasse confiance à toutes les lois de l'optique qui régissent le fonctionnement du télescope. Donc en fait, je ne suis pas vraiment en train de tester uniquement ma théorie sur la planète. Je suis en train de tester ma théorie sur la planète, mais en faisant tout un ensemble de suppositions que je suis obligé de tenir pour vrai. Et donc... Ça, c'est vraiment le problème du M. Quine ou de l'holisme de la confirmation qui est fondamental aussi en épistémologie. Et qui dit qu'en fait, même quand tu as une prédiction qui est réfutée, tu peux toujours accommoder ton système théorique de telle façon à rendre la proposition non réfutée.
- Speaker #0
C'est en gros, tu dessines la cible autour de la flèche.
- Speaker #1
Ouais, par exemple. Ou juste, tu n'observes pas la planète, tu peux dire, les lois de l'optique changent quand on observe dans telle direction. Alors évidemment, ça, c'est un peu tiré par les cheveux. Mais en fait, il se trouve que non seulement c'est possible logiquement de faire ça mais que c'est surtout très souvent fait con de sauver ta théorie face à l'expérience il y a des théories qui ont déjà été validées plein de fois,
- Speaker #0
elles sont relativement solides et il y a de bonnes chances que s'il y a un truc qui l'invalide c'est pour de mauvaises raisons il n'a pas été pris en compte ou quelque chose comme ça moi je cite souvent l'exemple de Voyager je sais plus combien 3, je sais plus qui accélère et on comprenait pas pourquoi ... En fait, c'est juste que les calculs qui avaient été faits avant ne prenaient pas en compte certaines choses.
- Speaker #1
Mais c'est parce qu'en fait, il irradie, parce qu'il y a encore de l'électronique dedans. Du coup, il y a des ondes électromagnétiques qui sont guidées dans un sens. Du coup, il y a un moment qui n'est pas nul. Il s'auto-accélère en quelque sorte. C'est comme les neutrinos en 2011, quand on a cru découvrir des neutrinos qui allaient plus vite que la lumière. En fait, on a remis en question l'usine à gaz de l'expérience, parce que l'expérience en elle-même, en fait, ce n'était pas aussi facile que ça de mesurer des neutrinos. Donc, il y a tout un ensemble de choses qu'il faut supposer, fonctionner pour qu'on puisse interpréter de telle façon la vitesse des neutrinos. Et quand on observe des neutrinos qui vont plus vite que la lumière, on ne remet pas en question la relativité, en fait. En fait, on dit qu'il y a une couille quelque part et il faut la trouver. Et c'est effectivement ce qui a fini de se passer. Donc, en fait, c'est... Un exemple que, évidemment, l'Akatoche ne pouvait pas connaître, puisqu'il est mort bien avant, on peut en non plus d'ailleurs, mais c'est vraiment très typique de l'histoire des sciences. Dans toutes les sciences d'ailleurs, pas que dans la physique, il y en a beaucoup en physique, mais pas uniquement, dans toutes les sciences, il y a toujours cette idée de dire je constitue petit à petit ce que l'Akatoche appelait un noyau dur, c'est-à-dire un ensemble de propositions, quasiment de définitions, de principes, que je tiens pour vrai par quasiment décision méthodologique. c'est ma décision méthodologique de tenir ces principes là pour vrai et une fois tenu pour vrai ça va me donner une grille de lecture des phénomènes, donc je vais interpréter les phénomènes physiques comme étant des phénomènes où il y a une certaine quantité qu'on appelle l'énergie et qui se conserve, maintenant à moi de trouver quel type d'énergie à quel endroit etc se conserve dans quelles conditions et ça va guider la construction de modèles. Donc en fait c'est pour ça qu'un noyau dur comme ça devient irréfutable quasiment par décision et en fait on ne va plus le juger à est-ce qu'il est vrai ou pas mais on va le juger à est-ce qu'il est fécond, est-ce qu'il nous apporte de nouvelles connaissances, est-ce qu'il nous fait découvrir de nouvelles choses. Et donc du coup le problème de la démarcation dans ce cas-là du coup c'est plus réformable parce que par une volonté
- Speaker #0
Tic, quoi, finalement.
- Speaker #1
Oui, mais parce que, oui, après, il y a des façons d'en rendre compte. Par exemple, il y a des choses qui ont tellement été corroborées par ailleurs que, méthodologiquement, c'est pas ça que tu vas remettre en question. C'est ce que tu disais, quand t'as un problème, ben, en fait, t'as plein de possibilités d'ajuster ton système théorique pour résoudre le problème. Il est rationnel, méthodologiquement, de commencer par ajuster les choses les moins centraux dans ton réseau d'hypothèses. Et les choses les plus centrales, pardon. du coup tu vas les toucher en dernier et si tu dois les toucher c'est parce que tu as un autre programme de recherche tu as un autre noyau dur qui a émergé à un moment donné et qui peut se substituer au premier et tant que tu n'as pas ce nouveau programme de recherche en fait tu bricoles au
- Speaker #0
sein du cadre du seul cadre dans lequel tu peux bricoler et c'est pas grave ça n'empêche pas de chercher parce que par exemple on sait très bien qu'Einstein sa théorie de la relativité n'est pas compatible avec le monde de l'infiniment petit ... donc tout ce qui est mécanique quantique etc et du coup il y a des théories du tout qui ont essayé de se construire malgré tout on n'a pas juste séparé les deux modèles il faut bien chercher justement quand même des modèles qui permettent de relier les deux pour un jour en avoir un si jamais il existe après
- Speaker #1
la différence ici c'est que ces théories là ont été recherchées pour des raisons vraiment théoriques parce que pour l'instant on n'a pas de données empiriques qui me permettent de dire qui testent ces domaines-là de la physique. Donc c'est vraiment purement conceptuel et théorique pour l'instant. Alors que dans le cas de Lakatoch, lui, il parle vraiment de cas concrets, historiques, où on a découvert de nouvelles choses en faisant confiance à la théorie, alors même que la théorie avait l'air d'avoir fait des prédictions réfutées. Et ça, Popper, il est complètement d'accord avec ça. À aucun moment, il est contre ça. En fait, c'est très naïf de penser... d'imaginer que Popper dit qu'il faut jeter une théorie dès lors qu'il y a une réfutation. Parce qu'il se rend bien compte que sinon il y aurait absolument zéro théorie. Ça n'existerait pas. Donc il est complètement d'accord avec ça. Et ce n'est pas du tout une contradiction de la pensée popérienne d'imaginer un truc comme ça, parce qu'en fait il l'a déjà intégré. Et lui, il le résout en disant, il faut que les théories soient les plus réfutables possibles. Si on fait des ajustements, il faut éviter les ajustements ad hoc. c'est-à-dire les ajustements qui n'augmentent pas le degré de falsifiabilité de la théorie. Tu peux bricoler, et ton bricolage, en lui-même, il doit être testable. C'est-à-dire que si tu rajoutes une entité, si tu rajoutes une hypothèse, il ne faut pas juste qu'elle soit là de manière ad hoc, c'est-à-dire juste pour penser, avec un A, ton problème, il faut que le fait de mettre cette hypothèse-là pour résoudre le problème implique de nouvelles prédictions éventuellement réfutables, qui... si possible, ne sont pas réfutés. Donc Lakatoche, en fait, il va formaliser encore plus ça, et pour lui, il ne distingue plus des théories scientifiques et des théories pseudo-scientifiques, il distingue ce qu'il appelle des problem shifts, ou des programmes de recherche, c'est pas exactement la même chose, je rentre pas dans les détails, progressifs ou dégénératifs. Donc en gros, ce qu'il dit, c'est que ça n'a pas, c'est une erreur des catégories d'imaginer qu'on puisse définir une théorie à un moment donné comme étant scientifique ou non scientifique, c'est la dynamique de cette théorie qui peut être progressive, donc ce serait l'équivalent de scientifique fécond, ou dégénérative qui serait l'équivalent de pseudo-théorie du coup dégénérative dans quel sens ? à chaque fois que tu rajoutes une hypothèse tu obtiens une nouvelle anomalie et à chaque fois tu rajoutes une nouvelle hypothèse ad hoc qui est juste là pour résoudre l'anomalie etc etc et le cas des platistes est assez criant pour ça tu la pollues quelque part avec des hypothèses à d'autres quand j'accustifie et en fait t'as toujours un peu ça dans toutes les sciences tu fais ça, t'es obligé de... Il y a même des gens, j'en cite dans ma thèse, mais des personnes qui pensent que l'état actuel de la cosmologie relève d'un programme dégénératif. C'est-à-dire que les hypothèses de matière noire, etc., en fait, ça fait exactement ce que disait la catho.
- Speaker #0
C'est des rustines, quoi.
- Speaker #1
C'est des rustines, ça implique autre chose. On remet des rustines, on remet des rustines, on remet des rustines. Ce qui est loin de faire l'unanimité. Donc, évidemment, il ne faut pas croire que la matière noire est une pseudo-théorie. Il y a de très bonnes raisons de penser que ce n'est pas le cas. Mais en tout cas, ça se discute, quoi. c'est des choses qui se discutent de manière contemporaine c'est ça qui est intéressant Lacatoche lui, sa démarcation on va dire, démarcation elle se base toujours sur la falsifiabilité sur la réfutabilité, c'est vraiment encore fondamental par contre il l'a juste en disant en fait je vais changer d'objet d'analyse d'objet de la démarcation, moi je démarque plus des théories qui sont prises à un moment donné, en fait je démarque des trajectoires de théorie. Il y a des trajectoires de théorie qui sont progressives et des trajectoires qui sont déjouées.
- Speaker #0
En fait, il y a quelques années, voire dizaines d'années, pour qu'on puisse s'établir si c'est une science ou pas.
- Speaker #1
Et ça explique aussi pourquoi tu peux très bien t'accommoder de certaines anomalies sans forcément que ta théorie derrière soit plus scientifique. C'est juste que... il y a toujours des anomalies, toujours des choses qui ne collent pas et ça donne des problèmes à résoudre. Et si tu n'arrives pas à les résoudre au sein du cadre théorique dans lequel tu es, petit à petit, tu vas être un peu poussé à inventer un nouveau cadre théorique. Mais en fait, la plupart du temps, tu ne vas pas faire ça. Tu vas juste bricoler. Après,
- Speaker #0
je me disais, il y a quand même des théories vraiment pétées, complètement pétées, vraiment pseudo-scientifiques. On voit de suite que ce sont des théories pseudo-scientifiques. Mais en fait, c'est qu'en général, elles reposent, c'est ce que je me suis dit après. C'est qu'elle repose sur des idées qui ont déjà été réfutées ou qui appartiennent déjà à d'autres théories pseudoscientifiques mais qui sont réfutées ou qui ne sont pas en tout cas établies et qui existent depuis beaucoup plus longtemps. Donc même s'il y a des choses récentes qui existent, souvent elles puisent dans ces trucs-là qui existent depuis longtemps et qu'on sait que c'est de la merde.
- Speaker #1
Donc après, il y a pas mal de gens qui ont encore discuté de ces questions-là. La question de la falsifiabilité dans les années 80-90. Il y a un gars qui s'appelle Meir, je sais pas comment on dit, qui a pas mal travaillé sur ça, il a essayé un peu de formaliser l'idée de Popper. De la même façon, de Popper et de la Catoche, du coup, donc encore dans les années 80-90. Mais entre-temps, il y a Larry Laudan, je sais pas comment on prononce, Laudan, en français, qui a écrit un article assez célèbre en 1983, il s'appelle The Demise of the Demarcation Problem, donc c'est vraiment la... la déroute quoi je dirais, l'impasse quoi. Donc en gros il argumente que le problème de la démarcation scientifique, donc s'efforcer de trouver des critères qui soient collectivement suffisants et individuellement nécessaires, c'est-à-dire qu'il faut que tous les critères soient là pour que le truc soit une science, et s'il manque un des critères c'est plus une science, et bien c'est peine perdue. En gros pour lui la... Les productions scientifiques sont d'une nature tellement hétérogène que ça n'a pas d'intérêt, et que c'est même quasiment impossible, selon lui, et que ça n'a jamais été fait, de trouver un ensemble de critères satisfaisants, minimales et satisfaisants, qui permettent de démarquer. Et en plus, pour lui, ça n'a pas vraiment d'importance, parce que ce qui compte surtout, c'est de savoir ce qui est fiable et ce qui n'est pas fiable. Donc en gros, il appelle dans son article à abandonner le problème de la démarcation, à considérer que c'est un pseudo-problème. C'est un problème de langage, en fait, c'est juste un problème sémantique quasiment. C'est pas vraiment un vrai problème, c'est pas un vrai problème philosophique. Et ce qui est plus intéressant, selon lui, c'est de définir ce que sont des croyances justifiées, des croyances non justifiées, ou des croyances fiables, des croyances scientifiques, des connaissances scientifiques fiables, des connaissances scientifiques non fiables. Et c'est beaucoup plus ça qui est intéressant, selon lui. Pour autant, ça n'a pas forcément, comme je disais, il y en a d'autres qui ont continué un peu sur cette démarche-là.
- Speaker #0
toi t'en penses quoi du coup de ça ?
- Speaker #1
de... de son article ouais ouais bah moi je trouve c'est super intéressant parce qu'effectivement à l'époque mais je pense qu'il y a quand même des façons de voir de définir la scientificité comme j'ai tenté moi de le faire en m'appuyant sur d'autres bien sûr sans forcément supposer que ça démarque que ça résolve le problème de la démarcation d'une manière extrêmement claire donc je pense que en gros en 2000 2000 En 2013, il y a un gros handbook qui est sorti, « Science et pseudoscience » , je crois qu'ils appelaient, non, « Philosophy of Pseudoscience » , « Philosophie des pseudosciences » , et qui remet au goût du jour le problème de la démarcation, donc il y a plus de dix ans, mais il y a quand même une dizaine d'années, donc c'est toujours...
- Speaker #0
C'est relativement récent.
- Speaker #1
C'est relativement... Bon, sur une échelle de 50 ans, c'est récent. Sur une échelle académique, ça commence à être un peu... Un peu daté. Un peu daté, mais ça reste quand même dans les dix dernières années, quoi. Et en fait, il se réattaque à ce problème-là en disant qu'il y a quand même des problèmes politiques derrière, parce qu'il y a des choses, parfois, qu'on va enseigner à l'école ou pas, en fonction de si c'est scientifique ou pas. Donc en fait, on a quand même besoin de savoir ce qui est scientifique ou pas. On a quand même besoin de cette démarcation d'une certaine façon, même si elle est parfaite, même si elle n'est pas parfaite. C'est un peu l'idée qu'il dit. J'ai l'impression qu'il met un peu en exergue une sorte d'argument fallacieux de la solution parfaite. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas trouvé de solution parfaite. qu'on n'a pas quand même appris des choses sur le chemin. Je crois que c'est un peu leur conclusion. Enfin, pas leur conclusion, mais leur...
- Speaker #0
Oui, en gros, même si ça marche pas tout le temps, ça marche quand même pas mal de trucs.
- Speaker #1
Et puis même se poser la question.
- Speaker #0
On a déjà pas mal avancé, quoi. Ouais,
- Speaker #1
et puis même si on n'a pas trouvé de solution parfaite, qui marche parfois, même des solutions insatisfaisantes, le fait même de se poser cette question, ça a été fécond, parce que ça nous a permis vraiment de nous poser...
- Speaker #0
Et puis ça nous a permis de prendre du recul aussi sur le truc, quoi.
- Speaker #1
C'est un peu plus dans cette optique-là que je le vois.
- Speaker #0
Merci d'avoir écouté jusqu'au bout cette première partie où nous avons parlé ensemble du problème de la démarcation. Dans la prochaine émission, nous verrons ensemble un autre problème, celui de l'unification des sciences. Alors ne le ratez surtout pas car il y a aussi plein de choses à dire et Jérémy commencera à nous parler de son propre travail. N'oubliez pas de suivre le projet Utopia pour avoir la suite de ces questionnements et vous pouvez également nous soutenir sur Patreon ou LibéraPay pour contribuer à l'amélioration du podcast. A bientôt. Hello,
- Speaker #1
my name is David. I'm a senior engineer at the University of Michigan. Hi, my name is Peter. I'm a senior student at the School of Engineering. I'm a student at the University of Iowa. I'm a