- Speaker #0
Chers utopistes, bonjour et bienvenue sur le podcast du projet Utopia, un podcast qui s'intéresse aux rapports entre science et société. Aujourd'hui, nous retrouvons Jérémie Attard pour un deuxième épisode autour de sa thèse vers un modèle unitaire de la scientificité. Une question essentielle traverse ses recherches. Existe-t-il une frontière claire entre ce qui est scientifique et ce qui ne l'est pas ? Où devons-nous repenser cette démarcation ? Au fil de cet épisode, nous plongerons dans les défis que pose la définition de la science elle-même. Peut-on réellement établir des critères universels pour dire qu'une discipline, une théorie ou une méthode est scientifique ? Quels sont les risques d'une vision trop rigide ou au contraire trop permissive de la scientificité ? Et quelle est la place des sciences humaines et sociales, et en particulier la sociologie, dans tout ça ? À travers son approche, Jérémy nous invite à dépasser les clivages traditionnels hérités de Karl Popper et à interroger nos propres certitudes. C'est ce que nous allons continuer à explorer ensemble. Alors installez-vous confortablement, préparez cette fois-ci encore votre cachet d'aspirine et laissez-vous porter par cette réflexion captivante sur l'essence même de la connaissance scientifique.
- Speaker #1
Les théories scientifiques, les connaissances scientifiques sont des objets extrêmement hétérogènes, qui peuvent prendre plein de formes différentes, et donc du coup il ne faut pas s'arrêter à juste une théorie ou un énoncé. Ça n'a plus de sens maintenant de parler d'un énoncé tout seul qui serait scientifique. ou pseudo-scientifique. C'est à la limite une théorie, voire un objet encore plus gros. Et donc il y a eu un double mouvement, à la fois sur quel type d'objet on a envie d'analyser, c'est quoi l'objet de notre analyse, notre unité d'analyse, est-ce qu'on est en train de vouloir démarquer des théories scientifiques, ou de pseudo-scientifiques, des énoncés ? des modèles, est-ce qu'on veut un truc plus gros, genre une communauté scientifique ou une pratique ? Et en fait, ou un champ même entier, une discipline, on voit que selon ce qu'on veut démarquer, la question n'est pas du tout la même. Savoir comment démarquer une... communauté scientifique et d'une communauté pseudo-scientifique, c'est pas exactement la même question de savoir comment démarquer une théorie scientifique et une théorie pseudo-scientifique. C'est juste pas les mêmes objets, donc c'est normal que ce soit pas la même question. Et donc, du coup, le problème de la démarcation, il s'est diversifié dans cette direction-là. là. Il y a eu de plus en plus d'objets, des objets de plus en plus gros, qui prenaient de plus en plus d'aspects en compte. Par exemple, il y a Mario Bunray, qui est un philosophe des sciences très connues des années 80, dans les années 80 en tout cas, il a écrit sur un concept qu'il a appelé un champ épistémique. Et pour lui, un champ épistémique, je pourrais même pas le dire de tête, mais c'est un ensemble de dix éléments. Et dans ces dix éléments, il y a le groupe social des scientifiques, il y a la société dans laquelle ce groupe social s'insère, il y a les méthodes partagées par les scientifiques, il y a le background knowledge, c'est-à-dire les connaissances et les croyances partagées par ce champ. il y a toutes les théories etc etc et donc en fait il prend comme unité d'analyse de base un ce qu'il appelle un champ épistémique qui est plus grand qu'une discipline scientifique mais ça prend en compte 10 éléments enfin c'est énorme c'est un truc vraiment énorme et c'est hétérogène en lui chaque élément est déjà énorme c'est ça et en fait c'est quand même intéressant c'est super intéressant ensuite et c'est ça qui veut démarquer il veut démarquer les champs épistémiques scientifiques des champs épistémiques pseudo scientifiques non scientifiques en disant bah voilà Et ça, ça dépend d'éléments cognitifs, épistémiques, c'est-à-dire qui font référence à la connaissance, à des modèles, à des théories, mais ça prend aussi des éléments non épistémiques en compte, c'est-à-dire typiquement la société dans laquelle s'insèrent les gens qui produisent la connaissance à tel moment. Donc il a vraiment eu un objet très gros qui essaie de prendre plein de choses en compte, donc c'est aussi très intéressant. Et la deuxième direction dans laquelle le problème s'est diversifié, c'est qu'on a arrêté d'imaginer pouvoir trouver un... un monocritaire un seul critère qui permet de démarquer science et pseudoscience ou science et non-science et les gens qui se sont attaqués à ce problème ont adopté une approche qu'on appelle multicritères c'est à dire en fait pour démarquer la science de la pseudoscience un seul critère ne suffit pas donc il faut plein de critères et donc là il y a plusieurs façons de regarder ces critères là soit tu dis je veux un ensemble de critères stricts c'est à dire je veux 5 critères qui sont individuellement nécessaires et collectivement suffisantes, comme je disais tout à l'heure, c'est-à-dire, je veux cinq critères qui sont tels que Pour être de la science, il suffit de cocher ces cinq critères. Si tu coches ces cinq critères, tu es de la science. Et s'il y en a un que tu ne Ausha, tu n'es pas de la science. Donc c'est vraiment des critères qui sont collectivement suffisants et individuellement nécessaires. Ça, personne n'en a trouvé à ma connaissance. C'est pas pour ça que ce n'est pas intéressant de tester des modèles comme ça, de tester certains ensembles de critères. Une autre façon de voir l'approche multicritère, c'est par... clustering. Donc ça, il y a des gens qui depuis 2000, 2010, ont lancé un programme de recherche plus ou moins dans ce sens-là. C'est dire en fait, on va prendre plein de critères mais parfois, c'est des trentaines. J'ai déjà vu des papiers où ils définissent la scientificité d'un champ avec une trentaine de critères. Donc, c'est des critères évidemment très hétérogènes qui portent sur des champs épistémiques donc sur des, comme je disais tout à l'heure, de Mario Boudret typiquement. C'est un peu la base de ces trucs-là. Et qui dit, en fait, imaginons qu'on ait 10 critères. On va considérer qu'un truc est scientifique lorsque ce truc coche au moins 7 critères sur 10. D'accord. Et ce qui est très intéressant avec ça, c'est que du coup, il y a énormément de façons d'être scientifique. Oui.
- Speaker #0
Il y a des variantes.
- Speaker #1
En fait, il faut cocher 7 critères sur 10, et 7 parmi 10. Donc, si on fait un peu de combinatoire. il y a combien de façons de choisir 7 éléments dans un ensemble à 10 éléments ? En gros, on peut faire le calcul et je crois que c'est 130 ou 140 façons de choisir un ensemble de 7 éléments dans un ensemble de 10 éléments.
- Speaker #0
Donc 130 formes de sciences un peu différentes. Voilà.
- Speaker #1
En fait, évidemment, ce 7, il est complètement arbitraire, mais c'est pour dire que l'approche, elle a de ça d'intéressant, qu'avec peu de critères et un principe... on peut générer plein de formes, vraiment beaucoup de formes de scientificité. Et ce serait pas du tout étonnant d'avoir 100 formes de scientificité différentes.
- Speaker #0
Ça résoudrait le problème justement de la scientificité, peut-être de la sociologie par exemple, des sciences sociales en général.
- Speaker #1
Ouais, c'est exactement ça.
- Speaker #0
Ça pourrait, ça pourrait.
- Speaker #1
Bien sûr, carrément. L'approche multicritère, qui sont beaucoup développées depuis une dizaine d'années, elles sont intéressantes pour ça parce que justement, elles permettent à peu de frais. de rendre compte de la diversité de manière d'être scientifique en quelque sorte. Voilà, donc c'est à peu près où on en est. Et en général, il n'y a pas de solution. définitive, même si on a quand même un peu progressé.
- Speaker #0
Tu n'aurais pas travaillé dessus. J'ai résolu la question, il n'y aurait pas toujours des gens qui réfléchissent.
- Speaker #1
Mais c'est intéressant parce que la réfutabilité, pour le coup, c'est un truc qui est toujours resté. C'est-à-dire, dans les critères de scientificité, le fait d'être testable et réfutable, ça fait toujours partie de ces critères-là. C'est juste que l'on l'a...
- Speaker #0
qui n'est pas suffisant mais qui est toujours pertinent.
- Speaker #1
Qui est toujours là à un moment donné. Ce qui est intéressant, c'est de savoir dans quelle mesure il est pertinent, comment est-ce qu'il est pertinent, etc.
- Speaker #0
Dans la première partie, tu disais que c'était vachement important de définir ce que c'est une science. C'est quoi l'intérêt ? Je peux développer un petit peu ça, s'il te plaît ?
- Speaker #1
Ouais, ben... Moi, ce que je disais, c'est qu'il y a pas mal de raisons d'imaginer que c'est une question importante. Déjà, c'est une question théorique et conceptuelle intéressante. C'est-à-dire qu'en général, en philosophie, on aime bien clarifier les concepts qu'on a, et notamment des concepts aussi de la vie de tous les jours, entre guillemets. C'est-à-dire, quand on dit que quelque chose est une science... est-ce que c'est juste une façon de parler ou est-ce qu'il y a quelque chose à l'intérieur qui fait que c'est une science ? Est-ce qu'on peut... Je trouve que ça a toujours un intérêt intrinsèque de tenter de clarifier des concepts qui sont par ailleurs utilisés tout le temps. C'est-à-dire que les scientifiques eux-mêmes, ils veulent faire de la science, ils ne veulent pas faire de la pseudo-science. Typiquement, ils ne veulent pas faire un truc qui ressemble à de la science mais qui n'en est pas. Quand on veut... savoir si quelque chose est fiable pour prendre des décisions individuelles ou collectives, on veut savoir si c'est de la science ou pas de la science, par exemple. Ça a aussi des impacts politiques, je dirais. Quand on veut savoir qu'est-ce qu'on enseigne à l'école, c'est pareil. il faut savoir ce qui est le plus fiable ou pas à enseigner. Donc je pense que de ce point de vue-là, il y a aussi des impacts politiques. Mais même, moi je pense que ce qui m'intéressait réellement, concrètement, on ne va pas se mentir, c'est vraiment l'aspect même théorique, c'est de dire comment c'est possible qu'on puisse utiliser des termes, des concepts qui ne recouvrent pas des choses bien... bien clair, enfin que ce que ça recouvre ne soit pas bien clair. Et moi j'aime bien ce travail de clarification conceptuelle en général. En particulier quant à ce qu'on appelle une pluralité conceptuelle, c'est-à-dire des concepts ou des versions d'un même concept qui coexistent mais qui sont en contradictoire les unes avec les autres par exemple, c'est intéressant de savoir ce que cette pluralité conceptuelle recouvre. Est-ce que c'est juste une sorte de reliquat historique ? C'est-à-dire que ça s'est toujours un peu défini comme ça, et puis maintenant qu'on met le nez dedans, on se rend compte qu'en fait les gens ne pensent pas la même chose. Ou est-ce que ça recouvre vraiment des ruptures épistémologiques plus profondes ? Et je trouve que c'est toujours intéressant d'aller un peu clarifier les concepts. Et du coup, comme la scientificité ou la science est un concept, c'est aussi intéressant de savoir ce que ça reprend.
- Speaker #0
Donc on avait vu aussi qu'il y avait peut-être... forme de scientificité. Du coup, on ne va pas en revenir sur peut-être, mais est-ce que tu peux développer du coup cette histoire de essayer de unifier en fait la science, est-ce que ça a vraiment du sens du coup ? Est-ce que c'est faisable, a priori ? Est-ce que ce n'est pas faisable ? Quels sont les obstacles ? Ce genre de choses.
- Speaker #1
Je pense qu'il y a plusieurs clarifications à faire avant, de pouvoir même poser la question. Parce que si on reprend cette question-là, encore une fois, du point de vue de la pluralité conceptuelle... il y a des fois où la pluralité conceptuelle pose pas vraiment de problème. Par exemple, si je définis la science différemment, mais sur des objets qui sont différents, bah on s'en fout un peu quoi. C'est-à-dire que par exemple, bien sûr que la définition de science, si je parle par exemple d'une mission spatiale, Si je parle d'une mission spatiale en disant que c'est une mission scientifique, et si je parle d'une théorie en physique qui est une théorie scientifique... C'est évident que je ne vais pas pouvoir définir cette scientificité de la même façon, puisque ça porte sur des objets qui sont complètement différents. Dans un cas, c'est une mission spatiale d'exploration, et dans l'autre cas, c'est une théorie, donc un objet cognitif. Donc c'est évident que dans ces cas-là, ce n'est pas du tout grave d'avoir différentes définitions de scientificité, tout simplement parce que ça ne s'applique pas du tout au même type d'objet. Donc le premier truc à dire, c'est est-ce qu'on parle du même type d'objet ou pas ? Si on parle pas du même type d'objet, c'est pas très grave d'avoir des définitions de la scientificité qui sont différentes. Ça pose pas forcément de problème. Ensuite, la deuxième question à se poser, c'est est-ce que ces objets-là poursuivent le même type de but ? Est-ce que ces objets-là poursuivent le même type de but ? et en particulier de buts épistémiques. Parce que les sciences peuvent poursuivre tout un tas de buts, d'objectifs, des buts épistémiques et puis des buts non épistémiques. Mais si on se focalise sur les buts épistémiques, c'est-à-dire qui ont comme objectif de produire de la connaissance, eh bien est-ce qu'ils poursuivent le même type de buts ? Et des buts épistémiques, il y en a plein aussi. Par exemple, une science, elle peut chercher à décrire tout simplement le réel. Elle peut chercher à expliquer certains phénomènes. Elle peut chercher à... à comprendre, par exemple dans le cas de la sociologie, il y a tout un mouvement, il y a toute une approche qu'on appelle la compréhension, au sens sociologique du terme, c'est-à-dire vraiment reconstruire le sens que des acteurs donnent aux phénomènes, aux situations sociales qu'ils traversent. Et donc du coup la compréhension sociologique ça peut être, dans ce sens là, un objectif en soi. En fait les sciences, même si on parle du même type d'objet, peuvent poursuivre des buts qui pareil sont différents. Donc c'est évident que si on poursuit des buts qui sont différents, on ne va pas forcément avoir le même type de critères de scientificité. Maintenant, la question, c'est de savoir, si maintenant on parle du même objet, du même type d'objet, par exemple un modèle ou une théorie, un objet cognitif, vraiment, et qui poursuivent le même type de but, par exemple mettre en évidence des phénomènes généraux et tenter de les expliquer, est-ce que là, dans ce cas-là, on peut vraiment avoir différentes définitions de ce que ça veut dire ? Et là, je pense que non. dans ces cas-là, il n'y a pas de raison de penser. En tout cas, je n'ai pas été convaincu, je ne vois pas de raison de penser qu'on ne puisse pas faire ça dans toutes les sciences. On ne fera pas exactement de la même façon, on n'y arrivera peut-être pas aussi bien.
- Speaker #0
Mais il va y avoir des points communs en fait.
- Speaker #1
Il y a des points communs qui sont fondamentaux et qui vraiment vont définir ce que c'est la connaissance. dans ce type-là, pour ce type d'objet, dans ce type d'objet, dans ce type d'objectif épistémique précis. Évidemment, il y a des choses qu'on pourra faire en sociologie, par exemple reconstruire le sens que les acteurs donnent à leur existence, à leurs conditions d'existence ou aux phénomènes qu'ils traversent. Ces choses-là, on ne pourra le faire qu'avec des humains, c'est évident. Donc il y a tout un ensemble de choses, des buts qui sont de la connaissance. qui sont même probablement de la connaissance scientifique, mais qui sont effectivement propres à certains domaines. Moi, ce n'est pas ça qui m'intéresse. Ce qui m'intéresse, c'est est-ce qu'il n'y a quand même pas, malgré cette spécificité-là, des buts importants, comme l'explication. L'explication, c'est un but peut-être central de la démarche scientifique, de l'approche scientifique du monde, c'est expliquer les phénomènes. Le fait de mettre en évidence des phénomènes les plus généraux possible, de chercher à les expliquer dans un cadre... le théorique le plus parcimonieux, pour moi, ça fonde vraiment la scientificité. Et la question est donc maintenant, est-ce que faire ça, c'est pertinent, possible ou facile dans toutes les sciences ? Et c'est là où il y a des débats, en fait. Mais le débat, je trouve qu'il est mieux structuré quand on clarifie un petit peu ça. Parce que moi, je ne parle pas des communautés. Typiquement, il y a tout un ensemble de... d'approche en épistémologie qui vont plutôt prendre comme objet d'étude non pas les théories en elles-mêmes ou les productions, mais plutôt les producteurs, ou les modes de production. Et donc ce qui va les intéresser, par exemple en épistémologie sociale, ce qui va intéresser les épistémologues qui font de l'épistémologie sociale, c'est les conditions sociales, collectives, mais aussi politiques, historiques, de production de la connaissance. A quel point les aspects politiques ou collectifs vont intervenir dans la production et même la justification de certaines connaissances. Mais moi, ce n'est pas du tout ça qui... Enfin, ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas, ça m'intéresse, mais on ne va pas tout faire. Et moi, ce n'est pas ça, ce n'est pas sur ce type d'objet que je me suis concentré. Je me suis vraiment concentré sur des unités cognitives, sur des unités épistémiques, c'est-à-dire des morceaux de connaissances. Mon objet, c'était de la connaissance. c'était un modèle typiquement moi j'ai plutôt pris les modèles.
- Speaker #0
Le conceptuel quoi.
- Speaker #1
Voilà c'est des modèles et des théories quoi. C'est vraiment au niveau des modèles et théories que j'ai travaillé. Et particulièrement, je me suis posé la question de savoir si, quel que soit le type de phénomène qu'on est en train d'étudier, est-ce qu'il est toujours possible ou pas de mettre en évidence des phénomènes généraux et d'essayer de rendre compte de manière parcimonieuse au sein de cadres théoriques. Et je n'ai pas trouvé de raison convaincante selon moi que c'était impossible. que c'était non pertinent. Parce qu'en fait, parmi, du coup, maintenant, si je peux continuer sur cette question-là, en fait, on peut reformuler l'ensemble des contre-argumentations qui existent depuis le XIXe siècle, l'ensemble des écrits et des critiques de cette Ausha, qu'on a souvent traité, par exemple, de positivistes. à plus ou moins bon escient d'ailleurs ce qu'on retrouve principalement dans toutes ces critiques là c'est un mélange de plein de choses soit il y a des gens qui disent que c'est pas possible de par la nature du monde social c'est impossible de mettre en exergue des régularités par exemple qu'on pourrait ensuite expliquer dans un modèle un peu général Mais c'est souvent ambigu, parce que de fait, on peut faire. De fait, on peut mettre en exergue ce type de régularité. On fait ça depuis la naissance de la sociologie, l'essence sociale en général. Donc c'est difficile de tenir le... c'est pas possible.
- Speaker #0
Oui, mais devant ce qui est de souvenir, c'est que les sociétés évoluent pour diverses raisons. La morale évolue, les valeurs évoluent, etc. Et donc, du coup, comme ça change tout le temps, c'est difficile, en fait, d'avoir des modèles qui restent stables dans le temps.
- Speaker #1
Tout à fait, oui. Et ça, on pourra revenir sur cette critique-là particulière. En tout cas, ce que je disais, c'est qu'il y a des personnes qui disent que c'est pas possible. Et effectivement il y a des grosses limites, on n'est pas en train de vouloir faire des lois fondamentales, c'est même pas l'idée, mais il y a quand même des régularités empiriques. Il y aurait de l'exil des régularités empiriques si vous regardez la distribution des revenus dans une population. elle aura toujours plus ou moins la même tête, à travers les âges, à travers la culture, etc. Et vous allez me dire, oui, pour ça, il faut qu'on puisse définir des revenus. C'est-à-dire qu'effectivement, cette distribution-là, elle n'a de sens qu'au sein de sociétés industrialisées. où le salariat est le mode d'existence le plus commun. Donc évidemment que ces régularités elles-mêmes s'inscrivent dans une époque. Ce n'est pas une loi fondamentale de l'humain. Mais il n'en reste que c'est quand même des régularités empiriques intéressantes. Dès l'instant où, sur une certaine échelle de temps et de manière transculturelle, on arrive à mettre en exergue des régularités, un scientifique... selon ma conception, devraient trouver ça intéressant. Et en fait, parmi les personnes qui s'opposent à l'application d'une même épistémologie aux sciences sociales, qu'il existe dans les autres sciences, il y a des personnes qui disent donc que c'est impossible, voire très difficile, mais il y en a d'autres qui disent, oui, oui, c'est possible, mais c'est juste pas pertinent. Donc ils vont en disant, en fait, dès l'instant où on peut mettre en exergue une régularité, par définition... qui soit indépendant de la culture ou de conditions historiques, on va dire. En fait, dès l'instant où on peut faire ça, on n'est déjà plus en train de faire des sciences sociales, parce que précisément, et ça c'est notamment Jean-Claude Passeron qui en parle, qui est un peu le tenant actuel depuis, on va dire, 30 ans, un petit peu dans son sillage que pas mal de personnes se placent, notamment en France, en sociologie en France. C'est à son épistémologie qu'ils font souvent référence. Et en gros, son argument, c'est de dire, en fait, même si son argument n'est pas forcément clair, mais on peut parfois voir transparaître cette idée-là qu'en fait, même si on y arrive, dès l'instant où on y arrive, c'est déjà plus pertinent, parce que précisément, en observant et en étudiant des régularités qui transcendent les cultures, on n'est déjà plus en train de faire des sciences humaines. puisque ce qui fait la spécificité des sciences humaines, c'est précisément le caractère singulier des différentes situations. Et du coup, en faisant ça, c'est une position. C'est-à-dire qu'on peut, s'il y a quelqu'un qui arrive et qui me dit « moi je trouve pas ça intéressant de détecter des régularités » , je dois pas trop lui dire, je dis « bah oui, ok, d'accord, on n'est pas intéressé par les mêmes choses » . Mais ce n'est pas une démonstration. Précisément parce que si c'est une démonstration, alors c'est un raisonnement circulaire. forcément, puisqu'on est en train de dire qu'on ne peut pas faire ça en sciences humaines, parce que dès l'instant où on le fait, on n'est déjà plus en train de faire ces sciences humaines, en gros, pour caricaturer un peu bien sûr. En fait, du coup, on trouve souvent ce type de circularité dans les contre-arguments. Alors qu'en fait, des régularités qui transcendent même les époques et les cultures, en fait, on en trouve. J'en cite bien sûr un paquet dans ma thèse. Mais typiquement, il y a des courbes de distribution comme ça, de vote dans certains systèmes qui ne semblent dépendre que du système de vote. Dès l'instant où le système de vote a telle forme, on peut observer à différents moments sur 50 ans, dans différents pays qui sont aussi différents que... l'Italie, la Pologne et la Grèce, on observe les mêmes types de distributions de votes, dans certains cas des patterns, des motifs.
- Speaker #0
Est-ce que c'est un modèle ou est-ce que c'est dû au système lui-même ?
- Speaker #1
Il y a quand même des humains au milieu. Et dès l'instant où on arrive à en rendre compte d'une manière extrêmement simple, parcimonieuse avec un modèle pas trop compliqué, bah oui on est en train de produire de la connaissance quoi et de la connaissance proprement sociale puisqu'on est en train de parler de distribution de vote quoi on n'est pas en train de parler d'électrons ou d'étoiles quoi on est en train de parler d'un sujet proprement social alors après cet exemple là c'est pas forcément le plus excitant clairement et c'est vraiment une illustration que Dès l'instant où on se met à chercher des régularités, évidemment non triviales, on peut en trouver un certain nombre.
- Speaker #0
Je ne sais pas si c'est un bon exemple pour moi, parce que le coût du vote, parce que quand un système de vote... Je ne sais pas de quel système de vote tu parles exactement, mais... Je vais prendre un exemple complètement différent pour faire passer l'idée. Tu prends des animaux, on va dire des moutons, des grégaires qui se suivent. Tu prends des moutons, tu les fais passer dans un tunnel suffisamment petit, et après tu vas t'étonner qu'ils sont tous en ligne. Tu vois ce que je veux dire ? Alors qu'en fait c'est dû au contexte, c'est dû au fait que le contexte va façonner les comportements. mais qui ne peuvent pas faire autrement. Comment ils se seraient passés s'ils n'étaient pas mis en ligne ? Si le système de vote est suffisamment rigide pour façonner les comportements de manière... Est-ce que tu ne peux pas te comporter différemment si tu veux voter ? Je ne comprends pas. Oui, ça apporte... Pour moi, c'est trivial, justement. Oui,
- Speaker #1
parce que... Du coup, c'est un peu pareil que si on remplace les moutons et le tunnel par le système scolaire et des élèves qui proviennent de classes sociales différentes.
- Speaker #0
Ça me paraît... moins rigide un système scolaire parce qu'il ya des systèmes de vote quoi parce que tu as des individualités entre les différentes individualités entre les différents instituteurs professeurs directeurs les élèves qui sont nombreux dans une salle c'est complètement différent je trouve là oui c'est pour moi c'est plus social tu vois alors que le système de vote ça me paraît moins social selon le vote ça dépend il ya aussi des sociologues qui distinguent
- Speaker #1
les phénomènes sociaux des phénomènes humains. C'est-à-dire que ces deux catégories ne se recouvrent pas nécessairement dans le sens où quelque chose qui est social, ça peut être aussi la description d'une dynamique collective. Dès l'instant où il y a des agents qui agissent d'une certaine façon, qu'on arrive à modéliser ou qu'on pense modéliser, et qu'on arrive à en déduire des comportements collectifs, en fait on est en train de décrire un phénomène social dans le sens où il y a des individus qui prennent des décisions en fonction de ce que font les autres, et qui... qui sont contraintes, bien sûr, dans leurs décisions par tout un ensemble de phénomènes. Oui,
- Speaker #0
je dis bien que...
- Speaker #1
Et donc, ce phénomène-là, il est social, et il y a des phénomènes qui sont humains, et des phénomènes qui sont social-humains, et des phénomènes qui sont sociaux, qui ne sont pas forcément humains. Et donc, du coup, il y a deux catégories qui peuvent se recouvrir aussi. Et donc, quand on fait de la sociologie, on peut très bien aussi vouloir décrire des dynamiques collectives à des moments. et en fait font très très très peu d'hypothèses sur les individus. Et en fait, il y a des fois où ça marche, quoi. Il y a des fois où c'est n'importe quoi, bien sûr, mais il y a d'autres fois où ça marche, en fait, plutôt bien, quoi. Et dès l'instant où on est en train d'étudier des phénomènes collectifs sociaux humains, c'est difficile de dire qu'on fait autre chose que de la science sociale, quoi.
- Speaker #0
Ouais, mais en fait, ce que je veux dire, c'est que je ne sais pas s'il y a une question de décision qui vient là-dedans. Je reprécise bien que ça dépend vraiment du modèle de système de vote dont on parle. Il y a des contextes sociaux qui vont créer des comportements, mais on a toujours le choix dans ces comportements, je veux dire dans le sens où ça va orienter, ça va pousser les gens vers ces comportements, mais c'est pas pour ça que tous vont avoir exactement les mêmes. Oui,
- Speaker #1
ça compte pas.
- Speaker #0
Alors que... un truc extrêmement contraignant, un système de vote très contraignant, ce n'est pas étonnant si tout le monde vote pareil. C'est un peu plus rigide comme système,
- Speaker #1
comme influence. En général, quand je me suis attaqué à ce débat-là... et à ces débats-là, en fait, qui durent encore une fois depuis longtemps, depuis la naissance des sciences sociales. Quand je me suis attaqué à ces débats-là, je me suis rendu compte que, bon, ça partait dans plein de sens différents, bien sûr. Une première chose à clarifier, c'était ce que je t'ai dit tout à l'heure, c'est-à-dire, quel objet on parle particulièrement ? Est-ce qu'on se place au niveau des unités cognitives, c'est-à-dire des théories, des modèles, etc., ou plutôt sur une unité plus large, comme un champ épistémique ou une communauté ? Ça, c'est un premier truc à clarifier. Quels sont les buts épistémiques qui sont poursuivis ? Est-ce qu'on parle des mêmes buts ou pas ? Parce qu'effectivement, si on ne parle pas des mêmes buts, encore une fois, pas de tout grave, ça ne pose pas spécialement de problème conceptuel d'avoir deux concepts de science, puisqu'on ne parle pas de la même chose, et on ne poursuit pas les mêmes buts. Moi, la question que je me suis vraiment posée, c'est quand on parle d'objets comme des théories qui poursuivent des buts bien identifiés, qui semblent être au centre de l'activité scientifique, c'est-à-dire mettre en évidence... des phénomènes les plus généraux possibles, des régularités empiriques, et tenter de les expliquer au sein de modèles qui appartiennent à des cadres théoriques plus ou moins rigides, est-ce que ça, c'est possible de faire ça, et c'est pertinent de faire ça dans toutes les sciences, en particulier en physique, bien sûr, ça c'est assez évident que c'est le cas, mais est-ce que c'est aussi pertinent, possible, difficile, plus ou moins difficile ? dans les sciences sociales et en particulier en sociologie. Donc j'ai plus recadré ce débat-là, ce débat comme ça, avec cette focale-là. Et à partir de là, je ne me suis pas concentré sur l'histoire du débat. Je n'ai pas fait un historique complet de toutes les positions possibles et imaginables sur ce débat-là. J'ai préféré prendre une optique analytique, c'est-à-dire de me concentrer sur les différents types d'arguments qui ressortaient systématiquement de ces débats-là. Alors il y a un bénéfice et un coût. à ce type de déshistoricisation, on pourrait dire. Le bénéfice, bien sûr, il est cognitif. C'est qu'à la fin, j'ai quatre classes d'arguments. C'est-à-dire que j'ai dit, voilà, il y a quatre types d'arguments principaux qui reviennent tout le temps, pour soutenir l'idée que ce n'est pas possible de faire ça, qu'il faut une épistémologie alternative. Et donc, si on peut classer ces arguments, on peut ensuite essayer de contre-argumenter à partir de ces classes-là. Et donc, si quelqu'un veut attaquer aussi mon modèle, c'est aussi plus simple. C'est bien aussi par honnêteté intellectuelle d'avoir un modèle clair, parce que les personnes en face qui ne sont pas d'accord peuvent se référer directement à des choses à se faire moins identifier. Bien sûr, le coup de faire ça, le problème éventuel, c'est que du coup ça semble homogénéiser un petit peu ces positions-là, alors que même les personnes qui ne sont pas d'accord avec l'épistémologie unitaire, avec le monisme épistémologique, donc ceux qui sont plutôt des pluralistes, je vais les appeler maintenant des pluralistes, même les pluralistes ne sont pas homogènes entre eux. Il n'y a pas de position pluraliste unique. Et donc du coup, réduire toute l'histoire et tout le débat à quatre types d'arguments. c'est forcément un peu réducteur et on peut aussi m'accuser parfois de faire des hommes de paille, c'est-à-dire de construire une position pluraliste qui n'a jamais vraiment été tenue telle qu'elle pour pouvoir mieux la déconstruire. Donc moi, j'ai essayé de faire attention à ne pas faire ça et j'ai pris la décision assumée de dire que je préfère faire ça sous forme analytique et je considérais que les bénéfices surpassaient les coûts. Donc je suis conscient qu'il y a des limites à cette Ausha. Mais je préfère toujours quand il y a des catégories bien définies, etc. Et en fait, ces quatre catégories d'arguments, alors je n'ai plus forcément en tête, mais en gros, le premier type d'argument, c'est l'historicité. Donc de dire les phénomènes, c'est ce que tu disais tout à l'heure, c'est un des types d'arguments. Les phénomènes sociaux sont des phénomènes intrinsèquement historiques. Donc du coup, ils ne peuvent pas être captés dans des... par des concepts qui se transcendraient à les réalités historiques, et les singularités historiques surtout. Le deuxième type d'argument, c'est celui de la signification, c'est-à-dire qu'au contraire des phénomènes physiques, les phénomènes sociaux ont une signification pour les acteurs qui les vivent, pour les agents, les acteurs qui les vivent, les individus, etc. Et cette signification est intéressante à reconstruire en tant que telle. Cette signification est une connaissance du monde social comme une autre. Il y a ensuite l'argument de l'intentionnalité. C'est-à-dire qu'en plus des causes, on va dire, il y a un ensemble de causes, causes explicatives, d'explications causales qu'on va mobiliser dans toutes les sciences, mais en plus de toutes celles qui existent, les causes finales sont à réintégrer en sciences humaines. C'est-à-dire qu'en physique et en biologie, on a mis des siècles à se débarrasser des causes finales. A priori, il n'y a aucune raison d'abandonner ces causes-là en sociologie ou en sciences sociales, précisément parce que les humains, dans leur comportement, poursuivent des buts particuliers. Et donc, les causes de ces comportements, en partie, sont les finalités à lesquelles ils veulent arriver. Et donc, du coup, remettre en question... Enfin, du coup, il y a des causes d'un type différent. Donc voilà, le troisième type d'argument, c'était l'intentionnalité. Les agents sont doués d'une intention. Et donc, du coup, bah... ça rend aussi la réalité sociale plus chaotique, puisque vu qu'il y a des intentions, même s'il y a quand même une certaine rationalité, il y a quand même des régularités au niveau micro aussi, on peut imaginer que vu qu'il y a des intentions qui ne sont pas forcément toujours bien modélisables comme il faut, ça va produire du chaos. Et la quatrième classe d'arguments, c'est la performativité des connaissances. C'est-à-dire que les connaissances sur le monde social ont... une certaine performativité, c'est-à-dire le fait même de savoir des choses sur comment le monde social fonctionne, va changer le monde social qu'on était en train, précisément, d'observer.
- Speaker #0
Ça crée des croyances qu'on va entretenir, en fait.
- Speaker #1
Il y a plein de choses différentes, mais par exemple, le fait même de... Si, par exemple, il y a un économiste qui dit « il faut faire ça, ça, ça et ça » , du coup, la connaissance... va impliquer peut-être des politiques particulières qui vont avoir un effet sur les comportements ensuite et qui va peut-être contredire la théorie de base, alors qu'à priori, la théorie peut-être était bonne ou inversement. Un autre exemple, c'est l'effet bison-futé. Le truc classique, c'est ça. C'est dire, en fait, tu as un bison-futé qui te dit... Je ne sais pas si ça existe encore, mais c'est comme ça qu'on appelle cet effet-là. En gros, c'est l'effet, il y aura beaucoup de monde sur les routes ce week-end. Et donc du coup tout le monde entend ça, et donc du coup ils partent avant. Et donc du coup, il n'y a pas de monde sur le week-end. Et en fait, la prédiction est fausse précisément parce qu'elle est vraie. Donc il faut avouer, quoi qu'on en pense, que c'est quand même une forme logique assez particulière. C'est-à-dire qu'on ne peut pas vraiment dire que la prédiction est fausse. Il y a une performativité des connaissances. Alors que le fait de savoir des choses sur le monde physique, a priori, ne change rien au monde physique. On ne change pas le comportement des... Alors évidemment, on peut agir dessus. On agit sur le monde physique, mais on n'agit pas en changeant ses lois fondamentales. On n'agit pas précisément parce qu'on les connaît, parce qu'on a découvert des régularités très robustes. Donc ça, c'est la quatrième classe d'arguments. Et puis évidemment, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais ces arguments-là, ils s'articulent les uns avec les autres et ils se soutiennent. Ils ont des bonnes raisons d'être soutenus aussi. Et dans une seconde partie, dans un second temps, j'ai ensuite revenu sur ces arguments et essayé de les contredire les uns après les autres. De deux façons différentes, d'une façon théorique, on va dire, c'est-à-dire de... philosophiques, philosophiquement, théoriquement, pourquoi est-ce qu'en fait on n'a pas forcément de bonnes raisons de penser ça, pourquoi est-ce qu'on peut contre-argumenter à chaque fois, et la deuxième manière que j'ai eu de contre-argumenter, c'est par des exemples en fait, des exemples concrets, donc des arguments, ce que j'ai appelé des arguments par l'exemple, c'est-à-dire en fait depuis 50, 60 ans, et notamment depuis on va dire 20 ans, 20, 30 ans, il y a des courants, en sociologie particulièrement, qui se développent, et qui... d'une part, semblent produire des connaissances, tout ce qu'il y a de plus scientifique sur le monde social, et d'autre part, contredisent formellement ces arguments-là. Elles ne rentrent pas du tout en compte. Donc, j'ai l'impression que la conclusion, entre guillemets, c'est que j'ai l'impression que c'est possible, dans le monde social, de mettre en exergue des régularités intéressantes, en faisant attention, bien sûr, à ne pas généraliser à outre mesure, d'en rendre compte au sein de modèles parfois même des modèles formels, des modèles mathématiques, même parfois des simulations numériques quand c'est pertinent. Ça n'empêche pas, bien sûr, d'utiliser d'autres formes empiriques, comme des entretiens, bien sûr, qui sont nécessaires à des moments. En gros, la conclusion, c'est que c'est d'une part complètement possible et d'autre part pertinent. J'ai l'impression que ces personnes-là produisent des connaissances sur le monde social qui ont la même forme, qui répondent aux mêmes critères épistémologiques que dans les autres sciences. et qui sont pourtant proprement sociaux.
- Speaker #0
Est-ce qu'il n'y a pas aussi un problème dans la démarcation, le fait de surcatégoriser, de catégoriser de manière très ferme, alors que finalement peut-être que la scientificité c'est un concept qui peut être considéré sur une continuité. On est plus ou moins scientifique finalement, plutôt que scientifique ou non scientifique.
- Speaker #1
Oui, ça c'est assez consensuel aussi. effectivement le côté où on a un critère ou même un certain ensemble de critères avec des catégories bien nettes déjà on n'est pas arrivé de fait à trouver des choses comme ça donc bon, évidemment qu'on a plus tendance à avoir des concepts plus flous des catégories glissantes on pourrait dire évidemment c'est plus comme ça qu'on voit les choses aujourd'hui et d'ailleurs dans ma thèse je le vois un peu comme ça je vois vraiment la scientificité comme étant une propriété qui émerge d'un processus d'optimisation Et donc, on peut être plus ou moins scientifique.
- Speaker #0
Oui, parce que si la scientificité, du coup, c'est un processus, il y a quelque chose qui, forcément, il faut rentrer la notion de temps aussi dedans, parce que le temps que ça change, que ça évolue, que ça mûrisse.
- Speaker #1
Oui, carrément. Donc, c'est vraiment, c'est un peu l'idée. Et clairement, la scientificité, ça va jamais être quelque chose de bien bien tranché. Alors après, les modèles tranchés, ils sont souvent faux, mais ils sont quand même intéressants. c'est pas parce qu'ils sont faux qu'ils sont pas intéressants en fait. Au contraire, si on a un truc un peu plus flou, ça va peut-être être un peu plus vrai ou descriptif, mais ça va être aussi un peu plus trivial.
- Speaker #0
C'est intéressant dans le sens où c'est plus facile de classer peut-être. C'est intéressant de classer d'un point de vue intellectuel pour pouvoir bien rebondir dessus, réfléchir, organiser sa réflexion.
- Speaker #1
C'est même l'idée d'avoir des modèles idéaux en général, ou des métamodèles, puisque là c'est des modèles de modèles ou des modèles de connaissances. Quand on a un modèle de connaissance qui est idéal, on sait très bien que ça n'arrive jamais. Ça n'existe pas, ce n'est pas un être. Ce n'est pas un être qui existe dans le monde, c'est un être qui existe dans notre tête, c'est un concept. Mais pour autant, il nous aide quand même à voir la distance qu'il existe entre ce concept et ce qu'on observe dans le monde. Et du coup, par là même, il est utile. Par exemple, il y a Robert Merton qui avait fait un modèle de ce que c'était la science, mais notamment des sortes de principes méthodologiques ou même éthiques qu'une communauté scientifique devait respecter. Et ce modèle est basé sur quatre principes, qui sont l'universalisme, le communisme ou le communalisme, c'est-à-dire le fait de partager les connaissances qui appartiennent à la personne. L'universalisme, c'est que la justification des connaissances ne dépend pas de la personne qui les a émises. Voilà, le troisième c'est... Le troisième et le quatrième, ça m'échappe. Les deux derniers m'échappent. Et en gros, quand on regarde le... Quand on regarde ce modèle là, et qu'on regarde ensuite la vraie science, les vraies communautés scientifiques, on se rend bien compte que ça n'a rien à voir. Et que les communautés scientifiques sont loin de coller au modèle idéal. Et c'est précisément parce que ça ne colle pas au modèle idéal que ça permet de mettre en exergue des problèmes. Quand on dit qu'une communauté scientifique est problématique, par exemple, a un fonctionnement problématique, En fait, si on dit que c'est un fonctionnement problématique, c'est que c'est problématique par rapport à quelque chose. Je vois. C'est pas juste problématique comme ça, c'est problématique par rapport à quelque chose. Et donc du coup, c'est très intéressant de définir ce quelque chose, précisément pour pouvoir mesurer la distance au réel, même si le réel ne correspondra jamais à cette Ausha. C'est exactement la même chose avec les modèles de rationalité humaine, où on a des modèles extrêmement simples souvent, et qui sont systématiquement violés dans des expériences. quand on teste ça en fait ça marche pas on se rend compte que les gens ne sont pas rationnels mais justement pour pouvoir dire ça il faut déjà avoir un modèle de ce que ça veut dire un être rationnel et donc du coup on imagine un agent rationnel qui agit d'une certaine façon et quand on observe pas ça dans les expériences mais qu'on observe quand même une déviation qui est systématique dès l'instant où cette déviation là elle est systématique c'est à dire que c'est toujours la même on est en train d'apprendre quelque chose Mais on est en train d'apprendre quelque chose alors que c'est une déviation, c'est-à-dire que le modèle est faux. Mais vu qu'il est faux tout le temps de la même manière, du coup là ça nous apprend quelque chose. Et donc du coup, pour moi c'est pour ça que je vois ces modèles-là extrêmement simples comme étant quand même super intéressants, parce que ça permet de mesurer la distance de ce modèle au réel. Et donc d'une part ça permet de se rendre compte qu'il y a parfois des erreurs systématiques. Donc s'il y a... Fausse-té systématique, c'est quand même qu'on est en train d'apprendre quelque chose, on met le doigt sur un truc, et de deux...
- Speaker #0
Ou que le modèle est complètement pété, mais justement on apprend aussi quelque chose.
- Speaker #1
Oui, c'est ça. Ou alors que le modèle est trop simple, et du coup qu'il faut le complexifier. Et du coup, au moins, on sait d'où partir. Et les modèles de rationalité ont fait exactement ça, c'est-à-dire que les modèles de rationalité humaine se sont complexifiés avec le temps, mais en commençant d'un truc très simple. C'est toujours le principe de Varcymonie, et si on arrive à expliquer des phénomènes complexes... avec des modèles très simples, on est content, on n'a pas besoin de rajouter des hypothèses en plus. Dès l'instant où ça ne marche plus, on sait qu'il faut modifier le modèle, et en plus, on connaît plus ou moins les quelques directions dans lesquelles on peut aller. Donc le fait d'avoir un modèle à la base trop simple ou systématiquement faux, ce n'est pas forcément un problème. C'est pour ça aussi qu'il ne faut pas être trop dur avec les modèles de scientificité trop simples, parce qu'ils permettent au moins toujours cette Ausha. même s'ils sont faux, on apprend de la distance observée au modèle. C'est-à-dire que c'est pas grave si la réalité colle pas au modèle. C'est l'instant où on peut apprendre quelque chose à partir de la distance qu'il y a entre la réalité et le modèle. Et donc, pour moi, les modèles de scientificité, c'est un peu ça. On sait très bien qu'on va pas mettre le doigt sur qu'est-ce que c'est que la connaissance scientifique, mais juste en posant ces modèles-là, on peut peut-être espérer apprendre quelque chose sur la connaissance.
- Speaker #0
Merci de nous avoir écoutés. Il reste encore un épisode pour terminer cette discussion passionnante. Nous vous retrouvons donc bientôt pour la suite de cette conversation. N'oubliez pas que vous pouvez soutenir le projet Utopia en partageant les épisodes, en en parlant autour de vous et en laissant un petit pourboire si vous le voulez bien. Merci d'être fidèles et de nous écouter encore et toujours. A bientôt.