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Quoi de neuf en Histoire ?

Episode 94, Le Débarquement de Provence, par Claire Miot

Episode 94, Le Débarquement de Provence, par Claire Miot

47min |15/08/2024
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Description

Le Débarquement de Provence, c'est "l'autre" débarquement de l'année 1944. Le 15 août, les troupes alliées, à forte composante française, accostent en Provence et en moins de deux semaines libèrent Toulon, Marseille et la région. L'historienne Claire Miot revient sur les événements et les enjeux de cette séquence décisive, dans un livre enrichi par les photographies du Service cinématographique des armées.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour chères auditrices et chers auditeurs, je suis Rassane Moubarak et je suis très heureux de vous retrouver pour cette nouvelle saison de Quoi de Neuf en histoire. C'est déjà la quatrième saison de ce podcast et c'est toujours avec autant de plaisir que j'accueille des historiennes et des historiens pour parler de leurs derniers livres. L'émission d'aujourd'hui est présentée en duo avec l'historien Pierre Malenti qui est un habitué du podcast. D'abord en tant qu'invité et de plus en plus en tant que chroniqueur, bonjour Pierre.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous, bonjour Hassan.

  • Speaker #0

    Pour cette émission, alors en duo en fait c'est en trio, nous recevons Claire Miot que je te laisse nous présenter.

  • Speaker #1

    Oui bonjour Claire Miot et merci d'être avec nous pour cette première émission de la quatrième saison. Vous êtes une ancienne élève de l'ENS de Cachan, aujourd'hui Paris-Saclay, où vous avez aussi enseigné il y a quelques années. Vous êtes aujourd'hui maître de conférence en histoire contemporaine à Sciences Po Ex. Et puis auteur de plusieurs ouvrages. Un premier livre qui avait été assez remarqué par la critique en 2021, chez Perrin, la première armée française. Et puis en 2022, vous étiez co-directrice d'un ouvrage sur Laissez-C'est le feu et L'arrêt des combats un thème original et un ouvrage qui avait lui aussi été assez remarqué et qui a été publié aux presses du Septentrion. Et nous vous recevons aujourd'hui pour un troisième livre dont Rassad va nous dire quelques mots.

  • Speaker #0

    Oui, donc à mon tour de vous saluer, Claire.

  • Speaker #2

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Vous publiez aujourd'hui un ouvrage intitulé Le débarquement de Provence août 1944, aux éditions Passé Composé. dont nous fêtons en ce moment le 80e anniversaire. C'est en effet le 15 août 1944 qu'à 8h du matin, des troupes américaines, britanniques et françaises débarquent dans le sud de la France. Ce débarquement est beaucoup moins connu que celui de Normandie et pourtant il est lui aussi stratégique. Comment, pour commencer, vous expliquer cet oubli relatif de cet événement ?

  • Speaker #2

    Alors... Je pense qu'il y a plusieurs raisons à cet oubli. La première raison, c'est que malgré tout, même si ce débarquement est stratégique, il n'a pas du tout la même ampleur que celui de Normandie. Le débarquement de Normandie, c'est à peu près 130 000 hommes. Le jour J, 30 000, 35 000, tout dépend comment on compte, en Provence le 15 août. Donc on n'est déjà pas tout à fait dans les mêmes proportions. En plus, au moment où ce débarquement a lieu, le 15 août 1944, au fond, l'issue de la bataille... de France et plus généralement de la bataille en Europe, ne fait plus garde-doute, en fait, à moyen ou long terme. Et donc, à partir de là, la dimension, justement, décisive de ce débarquement Provence paraît quand même secondaire par rapport à celle de Normandie. Et puis, de toute façon, dans l'esprit des planificateurs, ce débarquement, on y reviendra, il a été pensé comme un appui à Overlord. Il n'a pas son autonomie propre. Donc ça, c'est une première raison. Ce n'est pas la même ampleur. Tout simplement, c'est un débarquement très important, mais il n'a jamais eu la même ampleur que celui de Normandie. Deuxième argument, deuxième raison, malgré tout, le débarquement en Normandie ouvre la voie à la libération de Paris. Et ça, c'est tout un symbole que n'a pas le débarquement en Provence, même si ce débarquement en Provence ouvre la voie, bien sûr, à la libération de Toulon et Marseille, qui sont deux villes très importantes, en fait, pour les Alliés. Mais du point de vue... Des Français, à l'échelle française, c'est malgré tout pas le même symbole. Donc ça, ça peut expliquer un relatif oubli. Et puis, c'est un débarquement franco-français, même si les Américains sont très présents, on l'a dit. C'est une opération sous commandement américain. Il y a malgré tout trois divisions américaines, plus la division aéroportée. Donc les alliés sont présents, mais de manière plus secondaire. Et donc cette mémoire du débarquement en Provence ne peut pas être... internationalisée, comme c'est le cas de la mémoire du débarquement en Normandie, où on voit bien qu'il y a un véritable tourisme mémoriel en Normandie, qui est celui d'Américains, de Britanniques et aussi bien sûr de Français. Autre élément pour comprendre ce relatif oubli du débarquement en Provence, il est cette fois à comprendre du point de vue de l'histoire franco-française. En fait, ce débarquement, dans un premier temps, il n'est pas du tout oublié. Il est même célébré. Et en particulier, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les troupes coloniales, qui constituent une partie non négligeable des effectifs, sont en fait célébrées à la libération. Et elles sont célébrées parce qu'à ce moment-là, il y a un consensus dans l'opinion publique française selon lequel la puissance de la France passe par son empire. Donc il est faux de dire qu'on a oublié les troupes coloniales en 1944-1945. En revanche... Et là où les choses changent, c'est au moment des guerres de décolonisation. Pourquoi ? Parce que la mémoire de ce débarquement vient percuter une guerre qui ne dit pas son nom, qui est la guerre d'Algérie, et au sein de laquelle un certain nombre d'anciens de la première armée française, cette armée qui débarque en Provence, vont avoir un rôle, disons, compliqué à célébrer, c'est le moins que l'on puisse dire. Je pense notamment, c'est le cas le plus emblématique, au général Salan, ce général putschiste. à la tête de l'OAS, l'Organisation de l'Armée Secrète, qui est donc une organisation terroriste, qui lutte pour le maintien de l'Algérie sous domination française. Ce général Salan, il a été le colonel Salan à la tête d'un régiment de tirailleurs sénégalais qui a libéré Toulon. Difficile malgré tout de célébrer le général, le colonel Salan. Qu'est-ce que l'on fait exactement ? Et difficile également de célébrer la place de ces soldats coloniaux. qui ont libéré une grande partie de la métropole au moment des décolonisations et après les décolonisations. Pour autant, j'ai malgré tout le sentiment que c'est un peu en train de changer. Depuis les années, disons, 2000. Alors, un premier jalon, c'est le film Indigène, qui sort en 2006, et qui va, au fond, cristalliser un véritable débat public sur la question des vétérans de l'ancien empire français. La question notamment de la cristallisation des pensions des anciens combattants de l'Empire colonial français, qui existait déjà avant le film, est portée effectivement par ce film-là et par l'opinion publique, au point que le président Chirac, à l'époque, est obligé de prendre position et de dire oui, on va faire quelque chose Donc ça, à mon avis, c'est un premier jalon. Et le deuxième jalon, je le vois plutôt dans les années 2010, et en particulier au moment du 70e anniversaire du débarquement en Provence, où le président Hollande, à l'époque, marque véritablement le coup. Les commémorations prennent une ampleur importante et le président va effectivement célébrer, au fond, la dette de sang qui unit la France à l'Afrique. Alors évidemment, il y a un contexte politique qui est très particulier, qui est celui de l'opération Barkhane. Mais malgré tout... À ce moment-là, on peut dire que la mémoire du débarquement en Provence rentre véritablement dans un cycle commémoratif national d'ampleur plus importante que précédemment.

  • Speaker #1

    À vous écouter, Claire Millon, on se rend compte finalement qu'il y a une question de l'image dans cette mémoire du débarquement, avec une transformation du souvenir à travers les films, et vous évoquez notamment le rôle du film indigène dans cette mémoire du débarquement. Et justement, vous écrivez aujourd'hui, vous publiez à la fois une histoire du débarquement de Provence, mais... Vous avez aussi tenu à le mettre en images, et c'est une des forces de ce livre, c'est aussi une des raisons pour lesquelles on était heureux de vous recevoir, c'est que vous avez choisi de sortir des photographies pour certaines inédites, pour beaucoup méconnues, des fonds de l'établissement de communication et de production audiovisuelle, l'ECPAD, qui fait un important travail de communication sur ces documents, notamment sur les réseaux sociaux, et vous racontez dans le livre comment ces photos d'époque ont aussi été prises par des hommes, dans le débarquement il y a ces soldats, mais aussi ces photographes, vous évoquez le service cinématographique des armées. Le SCA du lieutenant Albert Plessis, qui est lui-même blessé pendant ses combats de Provence, est-ce que vous pouvez nous dire d'où vient cette idée qu'à côté des combattants du débarquement, il faut aussi des photographes, des documentaristes du débarquement ? Pourquoi ce choix d'avoir des hommes qui vont sauvegarder une mémoire photographique du débarquement ? Et quelle est l'histoire de ces hommes ?

  • Speaker #2

    Alors il y a plusieurs questions dans votre question. La première question, c'est effectivement à propos du format un peu original du livre. Alors ça, c'est une suggestion de Nicolas Grappaien, de Passé Composé, qui est venu me voir en me disant, il y a un fond extraordinaire de photographie qui émane justement du service cinématographique des armées. Il faut en faire quelque chose. Alors pas tant pour faire un livre de photos, mais en tout cas pour raconter cette histoire à partir des photographies. C'est un projet qui m'a évidemment séduite parce qu'il ne s'agissait pas de raconter une énième fois le débarquement et la bataille de Provence, mais bien de partir de ces photographies, ce qu'elles montrent, ce qu'elles ne montrent pas, pour raconter ce débarquement en Provence. Alors du coup, ces photographies montrent beaucoup de choses, mais il y a certaines choses qu'elles ne montrent pas. Ce qu'elles montrent, et ça me permettra d'ailleurs de répondre à la deuxième partie de la question, ce qu'elles montrent beaucoup, c'est des scènes de libération. C'est des scènes de communion nationale entre cette armée, en particulier française, débarquée, mais qui vient de l'extérieur d'une part, et la population civile d'autre part, et puis les FFI, les forces françaises de l'intérieur. Donc énormément de photographies qui documentent, qui mettent en scène cette union nationale. Alors ce n'est pas du tout un hasard, puisque ces photographies, elles sont principalement prises par justement ces hommes du SCA. qui sont des militaires, qui sont des photographes, ils sont les deux à la fois, qui suivent l'armée, qui sont engagés et qui doivent documenter véritablement cette bataille de Provence. Mais les instructions sont assez claires, c'est-à-dire qu'il s'agit, et on le sent vraiment bien en fait dans ces reportages, d'exalter justement l'unité retrouvée quatre ans après l'abîme et surtout quelques années après cette division. profonde qu'a connue la France. D'où, au fond, ces photos de liesse, de joie, qui montrent, comme je le disais, la joie, et on voit assez peu de photos montrant la face sombre de la libération, qui pourtant est documentée par ailleurs. Je pense, bien sûr, à l'épuration extra-légale, je pense au règlement de compte, ou encore aux tontes de femmes qui frappent ces soldats qui arrivent en France. Ce que ces photographies ne montrent pas, ou en tout cas peu, ce sont les combats eux-mêmes qui ont été certes de moindre importance qu'en Normandie. La bataille des Haies en Normandie a été terrible. La bataille de Provence à part quelques combats sur lesquels on reviendra peut-être, Toulon et Marseille, se passent relativement bien.

  • Speaker #0

    Mais c'est tout simplement lié au fait qu'il est très difficile malgré tout de prendre en photo une action sur le vif. Donc ça c'est des choses qu'on retrouve de manière assez classique dans les photographies de guerre. En fait si vous regardez en détail on a très très peu de photos prises sur le vif. Parce que justement on est sur le vif dans l'action et qu'il y a un danger imminent. Et c'est pas forcément le moment où on va sortir l'appareil photo ou la caméra. Ce service cinématographique des armées, en fait, il a été créé pendant la Grande Guerre. Ce n'est pas la première fois que l'armée cherche à documenter véritablement ces combats. Ce service, il est créé pendant la Grande Guerre pour ces raisons-là. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est évidemment réactivé, mais il va être divisé entre d'une part Vichy et d'autre part la France libre. Et donc ce SCA en 1944, il est le fruit de... à l'image de l'armée finalement, de la fusion justement de ces services anciennement vichistes d'une part et de services de la France libre.

  • Speaker #1

    Ce qui est aussi intéressant dans votre ouvrage, c'est que vous avez non seulement des photographies françaises, mais pas que. Vous y publiez un certain nombre de photographies prises par les Allemands. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous avez trouvé ces photos ? Et puis illustre-t-elle un autre débarquement de Provence, un autre regard ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, l'avantage d'avoir recours à ce fonds de l'ECPAD, c'est qu'on a accès à ces photoreportages de l'armée française, on a accès aussi à des fonds privés, et en particulier, je pense notamment au fonds ISHAC, qui est un civil, qui n'a pas l'uniforme, mais qui suit les armées françaises et adhère véritablement à la cause, d'ailleurs, ça se voit. Et puis, on a accès... Ce qu'on appelle les fonds allemands. Alors de quoi s'agit-il ? Il s'agit en fait de photographies, de centaines voire de milliers de photographies qui ont été saisies par les Alliés en 1945. Et ces photographies, elles ont été en fait prises par les compagnies de propagande allemandes. Donc ce sont des photographies de propagande. Il faut le dire d'emblée, très nettement, très clairement.

  • Speaker #2

    qui ont été saisies alors qu'elles étaient en France ou en Allemagne ?

  • Speaker #0

    Elles ont été saisies, je crois. Alors ça, c'est une vraie question. Il faudrait demander à le CPAD. C'est une prise de guerre. Donc, en fait, ils ne sont pas toujours très à l'aise avec ça. Je crois en 1945. Mais honnêtement, il faudrait vérifier. C'est une bonne question. Mais voilà, c'est des photographies de propagande. Et on le voit très bien d'ailleurs. C'est extrêmement posé. L'idée étant de montrer la puissance de l'Allemagne nazie. Alors... Alors, est-ce qu'elle montre un autre débarquement ? En fait, elle montre peu le débarquement, voire pas le débarquement. Ce que montrent ces photographies, il y en a beaucoup, c'est la construction du mur de la Méditerranée. Ça, beaucoup. Les Allemands vont documenter, autant qu'ils vont mettre en scène, j'ai envie de dire les deux à la fois, la construction de ce mur de la Méditerranée à partir de novembre 1942, date à laquelle la Wehrmacht envahit la zone sud et donc à partir de là ils vont fortifier le littoral de la riviera parce qu'ils ont tout à fait conscience du fait que la menace peut venir de la méditerranée, ils en ont parfaitement conscience. De la même manière à partir de 1943 ils vont prendre le relais sur l'ancienne zone d'occupation italienne et fortifier aussi ce littoral. Et donc on a ce paradoxe entre ce que j'ai essayé de montrer entre des photographies qui montre une forme de puissance allemande d'une part, et la réalité des faits qui est que ce mur de la Méditerranée est sans commune mesure avec le mur de l'Atlantique. C'est-à-dire qu'il y a des points très solidement fortifiés, c'est le cas de Marseille, c'est le cas des Calanques en particulier, je pense également à la région autour de Hyères, mais il y a des trous dans la raquette, dirait-on aujourd'hui, et c'est d'ailleurs une des raisons qui expliquent le succès du débarquement en Provence. pas le même mur, malgré ce que veulent nous montrer ces photos de propagande.

  • Speaker #2

    Je voudrais vous poser une question, Clermont, sur le contexte géopolitique, parce que vous avez dit que ce combat était plutôt un théâtre secondaire, un théâtre d'opération secondaire, et qu'on savait que la bataille serait jouée à moyen ou à long terme. En ce mois d'août 1944, donc Paris n'est pas encore libérée, est-ce que vous pouvez nous rappeler où se situe le front de Normandie, à quelle distance est-on de Paris ? Et parallèlement à l'Est, les Soviétiques, eux aussi, ont entamé depuis plusieurs mois une contre-offensive. Où se situe le front à l'Est ?

  • Speaker #0

    Alors, au moment du débarquement en Provence, le 15 août, du côté du front normand, après plusieurs semaines d'enlisement, les alliés réussissent à percer ce qu'on appelle la poche de falaise. Donc, ils sont pour le coup à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Ça, c'est pour le front Ouest. Pour le front Est... L'opération Bagration, qui a été lancée le 22 juin 1944, est un succès également. C'est-à-dire qu'en août 1944, les Soviétiques sont aux portes de Varsovie, donc ont largement avancé également. D'où cette idée, encore une fois, qu'à l'échelle de l'Europe, à l'échelle de cette guerre mondiale, le débarquement en Provence a sa place très importante, mais qui reste malgré tout secondaire.

  • Speaker #2

    D'autant plus que les Anglais, eux, ne soutiennent pas forcément un tel débarquement. Et on le voit d'ailleurs dans l'acronyme de cette opération, qui au départ est Anvil et qui est transformée en Dragoon, parce qu'en anglais, Dragoon, ça veut dire contraindre, forcer. Et c'est vrai qu'on a un peu forcé la main de Churchill pour accepter de débarquer en Provence.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Peut-être faut-il revenir très rapidement sur la genèse de cette opération Anvil qui deviendra Anvil-Dragoon. En fait... Elle est décidée en 1943, à l'été 1943, et pensée tout de suite comme étant le pendant méditerranéen à l'opération Overlord. À ce stade, les Britanniques ne sont en fait pas très favorables à une opération directe contre le Reich, donc Overlord. Au contraire, depuis 1941, les Britanniques défendent une stratégie méditerranéenne, c'est-à-dire indirecte. C'est-à-dire qu'ils défendent l'idée qu'il ne faut pas frapper. Le Reich, directement, c'est impossible, c'est trop difficile, mais plutôt opérer là où il est le plus faible, c'est-à-dire dans la zone méditerranéenne. Dans un premier temps, les Britanniques l'emportent dans le rapport de force. Et donc, cela explique le fait que les Alliés débarquent, par exemple, en Afrique du Nord, en novembre 1942, c'est l'opération Torch. Cela explique également que l'on décide de l'opération de débarquement en Sicile, en 1943, et ensuite donc de la campagne italienne. Donc à partir de là, c'est plutôt cette stratégie périphérique qui l'emporte et Overlord, c'est secondaire. Et si Overlord est secondaire, et bien Anvil est secondaire. Sauf qu'à partir de 1942-43, les Américains montent en puissance dans l'Alliance et surtout s'engagent auprès des Soviétiques à ouvrir ce second front dont les Soviétiques ont tant besoin. Et donc petit à petit, discussion, compromis, finalement... les Britanniques comme les Américains s'engagent auprès des Soviétiques pour lancer l'opération Overlord et donc Hanville. Sauf que, problème, entre-temps, les Alliés s'enlisent en Italie en 1943-44. Et donc l'opération, elle est repoussée, elle est même décalée. C'est-à-dire qu'au départ, Overlord et Hanville devaient avoir lieu exactement au même moment. Sauf que là, on voit bien qu'il y a un décalage de plus de deux mois. Et ça, c'est tout simplement parce que... Face aux difficultés en Italie, on est obligé perpétuellement de revoir les plans. Face à ces difficultés en Italie, les Britanniques continuent à pousser leur pion et dire, en fait, renonçons à Anneville. Overlord, c'est impossible d'y renoncer. Renonçons à Anneville et exploitons plutôt l'offensive en Italie et en particulier en Istrie et vers Ljubljana, et donc en fait vers l'Europe centrale et orientale. Et ça, cette option qui est avancée par Churchill au début de l'été 1944, elle va être très vite repoussée. Repoussée par les Américains, repoussée par les Français qui n'acceptent pas l'idée de ne pas être envoyés en France. Et puis en fait, repoussée aussi par une partie des Britanniques et en particulier, pas tant par l'opinion publique, qui ceci dit est de plus en plus francophile, mais par une partie de l'entourage de Churchill qui prend conscience du fait que désormais... Avec le débarquement en Normandie, avec le fait que De Gaulle est très bien accueilli en Normandie, eh bien on ne pourra pas faire sans les Français. Et ce sera impossible de les envoyer en Istrie, en Europe orientale, enfin c'est impossible. Désormais, que ce soit les Britanniques ou les Américains, les deux ont bien conscience, et démonstration est faite en Normandie, qu'au fond, ils ne pourront plus passer des Français, et donc de l'adhésion des Français au projet, si je puis dire.

  • Speaker #1

    Alors vous nous parlez de cette participation des Français, et d'ailleurs vous avez évoqué dès le début de cet entretien le fait que ce débarquement de France était un débarquement franco-français, on pourrait dire à rebours du débarquement de Normandie, où là pour le coup les Français, à commencer par le premier d'entre eux, le général de Gaulle, sont tenus à l'écart de la décision, de l'opération, de Gaulle jusqu'au dernier moment d'ailleurs refusant de prendre la parole pour le soutenir, puis acceptant de s'exprimer à la radio sous la pression de son entourage pour accompagner ce débarquement. Qu'en est-il du débarquement de Provence ? Quelle est la place des Français dans l'organisation logistique, matérielle ? Et puis, qui sont, sans tous les nommer, mais les deux, trois personnages clés qu'on peut retrouver dans votre ouvrage et qui sont les hommes du débarquement de Provence ?

  • Speaker #0

    Sans doute qu'il ne faudrait pas dire que le débarquement en Provence est un débarquement franco-français. Ce serait faux, en fait. C'est faux, pourquoi ? Parce que déjà, cette armée française qui débarque en Provence, elle a été réarmée par les Américains. à partir de la conférence d'Anfa en janvier 1943. Donc de toute façon, c'est du matériel américain. Donc rien que pour ça, ce n'est pas un débarquement franco-français. Ça, c'est le premier élément. Le deuxième élément, malgré tout, c'est que sur les dix divisions qui sont engagées, trois sont américaines, enfin sur les onze avec la division à aéroportée, il y a une majorité, si vous voulez, de divisions françaises, sept. Mais il y a aussi, encore une fois, des divisions américaines, surtout, et quelques unités britanniques. Le général qui commande le front méditerranéen, c'est un général britannique, c'est le général Wilson. Le général qui commande l'opération, alors même que les troupes françaises, en termes d'effectifs, sont plus importantes, c'est le général Patch, qui est un général américain. Pourquoi ? Parce que les alliés ont considéré que les Français n'avaient pas l'expérience suffisante. pour être à la tête des premiers jours du jour J, qui est les opérations de débarquement, les opérations amphibies de la mer vers la terre, sont toujours des opérations extrêmement délicates. Et il a été clairement décidé que les Français n'auraient pas le commandement des troupes au moment du jour J. Et ça, malgré tout, cela montre une forme de subordination des Français au commandement allié. De la même manière, les Français sont... très largement tenues à l'écart des opérations. C'est-à-dire qu'ils ne sont pas du tout dans la boucle et dans la boucle de décision, si je puis dire. Ils sont tenus informés, on écoute avec politesse les suggestions du général de l'âtre de Tassigny, qui est le chef de la première armée française. À cette époque, elle s'appelle armée B. On écoute poliment, mais malgré tout, les décisions sont prises par les alliés et certainement pas par les Français. Mais il est vrai qu'en termes d'effectifs, C'est un débarquement français, à la différence du débarquement en Normandie, où en gros, en Normandie, on a un millier de Français à peu près le jour J. On a beaucoup parlé des 177 hommes du commando Kieffer. Mais en fait, on a oublié effectivement qu'il y avait aussi des Français sous uniforme britannique ou américain. Donc c'est à peu près 1000 hommes. Il faudrait sans doute creuser davantage. Mais malgré tout, c'est 1000 hommes. Voilà, comparé. Aux effectifs de la première armée française, qui atteindront en gros 250 000 hommes, on n'est pas du tout dans le même niveau de proportion.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous pouvez nous dire, justement, pour revenir sur ce point que vous évoquez, comment les Français prennent-ils cette tutelle américaine ? Comment le roi Jean, sur nom de Jean de la Deceisy, comment De Gaulle réagisse à cette mainmise, finalement, des alliés sur le débarquement de Provence ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que les Français réagissent assez mal au fait d'être dans une situation... subalterne, si je puis dire, ils le supportent difficilement, mais malgré le tout, obtiennent un certain nombre de victoires. La première victoire, qui paraît un peu évidente, mais qui est quand même importante, c'est que c'est le général de Gaulle qui choisit quel général français sera à la tête de l'armée de la Libération. Et ça, ce n'est pas si évident, parce que les alliés, les Britanniques et les Américains, auraient préféré le général Juin. Celui qui commandait le corps expéditionnaire français en Italie. Et au fond, ça aurait été relativement logique, puisque l'essentiel des unités engagées en Italie, on va les retrouver en Provence, ça aurait été relativement logique que ce soit le général Juin. Sauf que d'un point de vue politique, le général de Gaulle, qui pourtant est très proche de Juin, il se tutoie, ne peut pas choisir le général Juin. Pourquoi ? Parce qu'il incarne véritablement cette armée d'Afrique, et en particulier cette armée d'Afrique compromise avec Vichy. Juin a attendu un peu trop longtemps avant de se rallier aux alliés au moment de l'opération Torche en novembre 1942. A contrario, le général de l'être de Tassini, dont il ne faut absolument pas faire... un résistant de la première heure, mais malgré tout, le général de Latre de Tassigny a pour lui le fait d'être entré en dissidence à partir de novembre 1942, d'avoir été arrêté par Vichy, d'avoir été jugé par Vichy, de s'être évadé d'une prison de Vichy, d'avoir rejoint Londres, et à partir de là, de s'être mis entièrement à la disposition du général de Gaulle, en se présentant par ailleurs comme, justement, quasiment un représentant de la résistance intérieure, ce qui est très habile d'un point de vue politique. Et donc à partir de là, De Gaulle fait le choix de Latre qui sera sans doute une figure plus acceptable pour la résistance intérieure. Mais encore une fois, il ne s'agit absolument pas d'un résistant de la première heure. Le général de Latre de Tassigny a fait une belle carrière sous Vichy. Il n'a absolument pas à refuser les responsabilités, mais malgré tout, il fait partie des rares... officiers généraux qui sont vraiment entrés en dissidence pour le coup en novembre 1942. Donc voilà, déjà, les Français, c'est-à-dire le général de Gaulle, imposent le choix du chef. Par ailleurs, ce que de Gaulle arrive à imposer, et ce n'était pas gagné, c'est justement que les Français ne soient pas engagés ailleurs qu'en Provence. Or, le CFLN, le Comité français de libération nationale, qui deviendra... À l'été 1944, le gouvernement provisoire de la République française a bien conscience qu'il y a un risque, que ces troupes françaises restent soit en Italie, soit elles aillent justement en Istrie, dans la trouée de Ljubljana, et pourquoi pas à Vienne. Donc déjà ça, c'est une forme de conquête. Mais ça dit la fragilité effectivement de ce quatrième allié dans la coalition.

  • Speaker #2

    Vous avez dit, Claire Miot, que très logiquement les Allemands s'attendaient, préparaient une invasion par la Provence. Même si le dispositif de défense est moins strict qu'en Normandie, le mur de la Méditerranée est beaucoup plus lâche que le mur de l'Atlantique, pourtant les Français et les autres troupes débarquent, et on est assez surpris par la rapidité de la progression et le peu de résistance qu'ils rencontrent. Comment est-ce qu'on explique cela ? Sans revenir sur toute la chronologie de ces 15 jours de libération, est-ce qu'on peut redire les principales étapes de la progression des troupes ?

  • Speaker #0

    Oui, alors effectivement, pour revenir à ce que vous évoquiez, cette défense allemande est relativement faible. Alors pourquoi elle est faible ? Tout simplement parce que les bombardements, la préparation en termes de bombardement des alliés a considérablement affaibli ce mur de la Méditerranée qui déjà présentait un certain nombre de difficultés, de faiblesses. Donc ça, c'est un premier élément. Le deuxième élément, c'est que les unités... qui sont destinées à défendre le littoral méditerranéen côté allemand sont en fait des unités qui présentent un certain nombre de faiblesses, soit des hommes très jeunes, soit au contraire des combattants plus âgés, un certain nombre de troupes étrangères également, dont la loyauté est sujette à discussion côté allemand. Tout cela fait que cette résistance allemande est relativement limitée. Pour autant, ponctuellement, il y a des combats qui sont malgré tout difficiles. Mais il est vrai qu'encore une fois, les Alliés ont la supériorité à la fois en termes aériens et puis également tout simplement sur le terrain pour les raisons que j'ai évoquées. Donc, pour résumer, ça veut dire que dès le soir du 15 août, très rapidement, les Alliés ont atteint ce qu'on appelle la ligne bleue, c'est-à-dire qu'ils ont atteint leurs objectifs. Ils ont réussi véritablement à établir ce qu'on appelle cette tête de pont. là aussi qui fait partie des choses les plus délicates à faire dans une opération amphibie. L'enjeu, c'est d'établir cette fameuse tête de pont, et ça, ils y arrivent. Et donc à partir de là, au moment où la deuxième vague de débarquement a lieu, le 16-17 août 1944, au sein de laquelle on retrouve l'essentiel des forces françaises, eh bien, là aussi, le front est relativement stabilisé. Et en fait, on se rend compte qu'on peut aller plus vite que prévu. On peut aller plus vite que prévu. C'est le choix que fait d'ailleurs le général de l'être de Tassigny. Il revenait aux Français de prendre Toulon et Marseille. Or, il s'agit des deux villes qui seront défendues, puisque dès le 16 août 1944, Hitler ordonne à ses troupes stationnées dans le sud de la France la retraite. Cet ordre, en fait, les troupes vont le recevoir plus tard. Mais toujours est-il que très vite, Hitler a conscience du fait qu'il ne pourra pas tenir les deux fronts. Donc, ordre de retraite. à l'exception des troupes qui tiendront Toulon et Marseille, parce que pour le coup, Hitler a bien compris que ces deux ports étaient essentiels pour le front européen. Et donc, malgré tout, ce sont les Français qui vont devoir libérer Toulon et Marseille, et ils ont bien conscience, le général de l'âtre de Tassigny a bien conscience du fait qu'il s'agira de batailles acharnées. D'où l'idée pour de l'âtre d'aller le plus vite possible, justement pour éviter... que la défense allemande se réorganise, etc. Et finalement, il réussit à convaincre le général Patch de récupérer une partie de ses troupes qu'il lui avait confiées, bref, de lancer l'opération sur Toulon et sur Marseille au même moment, plus vite que prévu. Et donc, à partir du 19 août 1944, donc on est au fond à débarquement plus de deux jours pour les troupes françaises, puisque l'essentiel de ces troupes françaises ne débarquent que le 17 août. de Latre de Tasigny lance les hostilités vers Toulon et vers Marseille.

  • Speaker #1

    Pour rester dans cette chronologie, le 20 août suivant, Patch, dont vous évoquiez le nom, qui est donc l'officier américain, engage les combats à l'Est, la remontée vers la trouée du Rhône. Toulon tombe le 26, Marseille le 28 août. Donc on a finalement une libération de la Provence assez rapide dans l'espace de deux semaines. Comment réagit la population ? Vous évoquiez tout à l'heure le rôle des résistants français, des FFI. Il y a aussi dans cette période des insurrections, des grèves générales. des manifestations spontanées de Français qui veulent accueillir et aider à libérer ces villes. Quelle est finalement l'attitude des Français de métropole et de Provence face à ce débarquement ?

  • Speaker #0

    Ce qui est sûr, c'est que depuis le débarquement en Normandie, la population est en état d'alerte. La population française et d'ailleurs les troupes allemandes. Donc, depuis juin 1944, effectivement, on sent un certain nombre d'éléments au sein de la population française. Vous avez de très nombreux... résistants ou futurs résistants qui font leur montée au maquis, c'est-à-dire qu'ils vont quitter les centres-villes pour rejoindre le massif de la Sainte-Baume, par exemple, le massif de la Sainte-Victoire, les monts du Luberon, pour, au fond, préparer quelque chose. Alors, quoi ? On ne sait pas encore, mais en tout cas, de préparer ce débarquement que l'on sent, que l'on pressent. Par ailleurs, dans les villes, un certain nombre d'appels... à la mobilisation, à la grève générale ont lieu. C'est le cas à Marseille. En fait, à Marseille, il y a des mouvements sociaux depuis le printemps 1944. Ces mouvements, ces grèves, elles ont été interrompues par les bombardements alliés qui sont extrêmement importants en mai 1944. Mais au fond, la mobilisation de la population n'a jamais véritablement faibli. Toute la question, pour la résistance intérieure, c'est la question de l'insurrection. Sachant... que le général de Gaulle, depuis 1942, appelait à une insurrection. Mais il l'appelait à une insurrection presque symbolique, dans cette idée qu'au fond, la France doit être libérée par les Français. Symbolique pour de Gaulle, qui craint en fait que trop prématurée, l'insurrection n'entraîne des représailles très importantes contre la population. Et de fait, l'histoire lui donne raison, le verre-corps, c'est exactement cette histoire-là. Donc, en fait, de Gaulle... n'est pas favorable à une véritable insurrection. Parce qu'il redoute des représailles et puis parce qu'il redoute aussi une prise de pouvoir du Parti communiste. Parti communiste qui est très important à Marseille en particulier. Et donc il y a une vraie inquiétude de la part de De Gaulle d'une part et des cadres de l'armée régulière dont tous ne sont pas communistes, c'est le moins qu'on puisse dire, vis-à-vis au fond d'une commune, d'une nouvelle commune. Cette inquiétude existe aussi pour Paris. De Gaulle aurait dit à Leclerc je ne veux pas d'une nouvelle commune, foncez vers Paris L'a-t-il dit exactement ? Nul ne le sait, mais ce n'est pas impossible qu'il l'ait fait en tout cas. Ce que je ne sais pas non plus, et à quoi il est difficile au fond de répondre, c'est quelle est la part de réelle peur du rouge, pour dire les choses. De Gaulle met beaucoup en scène dans ses mémoires de guerre le péril communiste. Le fait que Marseille était à deux doigts de basculer dans la dictature communiste, je reprends les termes du général, on sait qu'il s'agit aussi par là de justifier sa légitimité. Mais il n'est pas impossible malgré tout que le corps des officiers ait profondément travaillé par un anticommunisme que l'on retrouve d'ailleurs dans l'entre-deux-guerres, enfin c'est vraiment pas nouveau, et par une véritable inquiétude face à cette insurrection. De fait, à Marseille, cette insurrection est lancée dès le 19 août 1944 par un appel à la grève générale. Pour autant, la résistance intérieure à Marseille, y compris la résistance communiste, est divisée sur cette question-là. Parce qu'elle a bien conscience, une partie de cette résistance a bien conscience, que face à des troupes solidement retranchées au cœur même de la ville, les garnisons sont au cœur même de la ville, Il y a des batteries installées sur les îles du Frioul au large de Marseille. Enfin, voilà, ils ne sont pas fous, ils se rendent bien compte que le rapport de force n'est pas très favorable à la résistance intérieure. Et donc une partie même de la résistance intérieure est divisée sur cette question de l'insurrection. Mais les choses, évidemment avec le débarquement en Provence, les choses s'accélèrent. Appel à la grève générale le 19 août, deux jours plus tard la préfecture est prise, les autorités de Vichy se rendent sans effusion de sang. Le comité départemental de la Libération s'installe à la préfecture. Raymond Aubrac arrive, commissaire de la République. Et donc à partir de là, la ville se couvre de barricades. Sauf que la population est extrêmement vulnérable. De son côté, Delattre... ordonne, ordonnerait au général Gualard de Montsaber qui se dirige vers Marseille de stopper l'avancée. Justement parce qu'il attend de voir ce qui se passe dans Marseille. Il redoute encore une fois une insurrection, des troubles, etc. Et puis finalement, comme des résistants passent les lignes et viennent voir l'armée régulière en disant en fait on a besoin de vous et bien finalement... Le général de Montsaber lance l'offensive et les premières troupes de l'armée régulière entrent dans les faubourgs de Marseille le 23 août au soir, il me semble, ou le 24 au matin, le 23. Et donc s'en suit quelques cinq jours de combats acharnés dans la ville jusqu'à la libération de la ville le 28 août. On a une logique un peu similaire à Toulon où les résistants de l'intérieur préparent là aussi le terrain, c'est-à-dire vont harceler. les troupes ennemies dans la ville et vont désorganiser complètement la défense. En revanche, on n'a pas une insurrection au sens de participation massive de la population civile au combat à Toulon. C'est plutôt l'affaire des résistants de l'intérieur. On n'a pas ces images de barricades telles qu'on peut les avoir dans Marseille et que le livre montre bien. Il y a des très belles photos montrant des barricades qui ressemblent beaucoup à celles qu'on a pu voir à Paris à la même époque. Toulon, c'est une aide non négligeable, il faut bien le dire, de la résistance intérieure à l'armée régulière.

  • Speaker #1

    Et c'est un cas vraiment particulier à Marseille et Toulon. On découvre dans le livre qu'à Nice, par exemple, où les armées américaines se sont également arrêtées, je ne parle pas de votre contrôle, mais aux portes de Nice et où il y a eu une insurrection populaire, là, les Allemands ont fait retraite puisqu'ils n'avaient pas l'ordre, contrairement à Marseille et Toulon, de tenir la ville. Ils partent en retraite et la ville est ensuite libérée. par sa population avec l'appui des Américains quelques jours plus tard.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. En réalité, du côté de l'Est de la côte méditerranéenne, en fait, ce que montrent les historiens et les historiennes, c'est que les Alliés n'ont pas vraiment de plan pour cette partie-là. Ce n'est pas très clair de ce qu'on va faire. Ce n'est pas très clair si on va pousser jusque vers les Alpes, jusque vers la frontière italienne. Et c'est à partir du 20 août, justement, que le général Patch ordonne... à ces troupes de progresser également en direction de Nice. Mais en réalité, elles ne doivent pas aller jusqu'à Nice. Elles doivent s'arrêter sur les rives du fleuve Le Var. Et au fond, pendant ce temps-là, a lieu cette insurrection à Nice dont on a effectivement des très jolies photographies. À ce moment-là, de toute façon, les troupes allemandes se retirent, comme elles le feront d'ailleurs à Lyon au début du mois de septembre. Donc il n'y a pas de véritable combat à Nice. une insurrection assurément.

  • Speaker #1

    Et on découvre d'ailleurs dans le livre, pour filer ce que vous nous racontez, sur cette désorganisation du front Est en Provence, que Patch décide d'avancer parce qu'il croit au début à la possibilité d'une contre-offensive et il tient une espagne de ligne de défense sur sa droite. Et finalement, c'est apprenant que les Allemands sont en retraite, qu'il décide de pousser son avantage et qu'encouragé par ses officiers suvalternes, il va de plus en plus loin. Mais on a un petit peu l'impression que c'est au jour à jour. Et au vu des positions allemandes qui évoluent, que le front se dessine et que la trouée se fait ensuite à partir du 20 août vers Lyon ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. C'est-à-dire que pour l'Est, il n'y a pas véritablement de plan. Il s'agit surtout d'éviter que des troupes allemandes arrivent en renfort de l'Italie, même de cette région. En revanche, effectivement, il a été prévu très vite une progression vers la vallée du Rhône. Ça, c'est effectivement les choses qui ont été prévues de cette manière-là. En revanche, il y a vraiment une forme d'improvisation. pour la libération de Nice et pour la progression vers les Alpes.

  • Speaker #2

    Vous avez dit que cette progression, Clermieux, elle se fait assez rapidement. On peut donner quelques dates. Les Allemands évacuent Lyon le 2 septembre, Dijon est libéré le 11, et le 12, Delattre fait la jonction avec Leclerc. Donc ça va quand même assez vite. Comment se fait ensuite l'administration de la zone libérée ? Est-ce que les troupes régulières qui ont progressé, elles sont quand même restées pour administrer la zone ? Est-ce que ce sont... les civils et la résistance intérieure qui ont pris le contrôle. Et en fait, est-ce qu'il y a une rivalité entre les deux ? Parce qu'on sent parfois poindre un peu une tension. Après la libération de ces villes, il y a des cérémonies, des scènes d'allégresse, des parades. Mais après, une fois la victoire obtenue, comment se fait l'administration au quotidien et la rivalité éventuelle entre les troupes régulières et les forces de résistance ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, au fond, toute la question, c'est celle de qu'est-ce qui se passe à libération plus deux heures ? Et c'est une question qui est très importante, c'est-à-dire que là aussi, que ce soit les alliés ou les Français de l'extérieur, c'est-à-dire le GPRF, le gouvernement provisoire de la République française, toute la question est de savoir s'il va y avoir des insurrections, une prise de pouvoir des communistes, des troubles, etc. En fait, ce dont se rendent compte très rapidement les Américains, c'est que ça se passe bien. C'est-à-dire qu'à part quelques cas évidemment plus problématiques, eh bien, les comités départementaux de libération ou les comités locaux de libération prennent, je dirais presque tranquillement, le pouvoir, administrent. Et au fond, les militaires n'ont pas à s'ingérer dans les affaires publiques. Les militaires américains, certainement, mais aussi les Français. C'est-à-dire qu'encore une fois... Ce que montrent les sources, c'est que De Gaulle avait anticipé des éventuels débordements et avait prévu que des troupes régulières fassent des opérations de maintien de l'ordre. Sauf que ce ne sera pas le cas, à part, encore une fois, dans des cas très particuliers. En fait, le rétablissement de la légalité républicaine, le rétablissement de l'ordre, se fait relativement bien et relativement facilement. Par exemple, le général Brosset à Lyon donne très vite le pouvoir aux civils. Le général de Montsaber, qui est le commandant d'armes de Marseille, là aussi donne très rapidement le pouvoir à Raymond Aubrac, tout en disant que quand même c'est un petit peu le chaos. Mais en fait, quand on lit les carnets du général de Montsaber, on se rend compte qu'il n'est pas inquiet pour l'ordre public. Il y a effectivement quelques débordements que j'ai évoqués, ces règlements de comptes, ces exactions. Mais on peut dire qu'au fond, les militaires n'auront pas de fonction politique, tout simplement, un, parce qu'ils ne le veulent pas, et deux, parce qu'en fait, la question ne se pose pas, grosso modo. Encore une fois, mis à part quelques exceptions.

  • Speaker #1

    Une dernière question, Clermion. On a suivi avec vous tout au long de cette émission, finalement, les conditions de préparation, le débarquement, sa suite. On a évoqué un petit peu le sujet de la mémoire. C'est aujourd'hui le 80e anniversaire de ce débarquement. Vous avez rappelé d'ailleurs... l'importance qu'avait donnée le président Hollande dans son temps au moment du 70e anniversaire ? Est-ce qu'il y a des choses particulières qui sont prévues cette année ? Vous pouvez nous parler et parler aux éditeurs. Et puis, quelle est la place de ce débarquement dans toutes les grandes commémorations qui sont organisées ? Il y a une commission nationale qui suit ce 80e anniversaire. Il y a un musée, le musée du Mont-Faron, si je ne m'abuse, qui est dédié à ce débarquement. Quel est l'environnement mémoriel et vers quoi on peut inviter les auditeurs qui s'intéresseraient ? En plus de leur commander de lire votre lire, vers quel site, vers quel musée on peut les orienter en vue de ce 80e anniversaire ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, le lieu de mémoire du débarquement en Provence, c'est le mémorial du Mont-Faron, qui a été inauguré en 1964 par le général de Gaulle. C'est refait récemment, justement, dans la continuité du 70e anniversaire du débarquement en Provence. Donc c'est vraiment un des lieux. de mémoire de ce débarquement en Provence. Mais il est vrai que, contrairement à la Normandie, les lieux de mémoire sont beaucoup plus discrets en Provence. Vous avez ça et là un certain nombre de plaques, plus ou moins discrètes. Je pense notamment à cette plaque en hommage aux commandos qui ont pris pied au Cap-Nègre aux premières heures du 15 août 1944, ces commandos français. Voilà, vous avez une plaque au Cap-Nègre, je pense à une stèle en hommage au tirailleur algérien à Pierre Feuduvar, je pense à un certain nombre de nécropoles, notamment la nécropole de Luyne, je pense à la nécropole également de Draguignan. Mais c'est vrai que cette mémoire, elle est beaucoup plus discrète qu'en Normandie, indéniablement. Concernant les commémorations du 80e anniversaire, je suis dans l'expectative comme vous, c'est-à-dire que la question qu'on peut se poser c'est est-ce que le président de la République au fond s'inscrira dans le chemin qui a été à mon avis tracé par le président Hollande en 2014, c'est-à-dire de faire de la commémoration du débarquement en Provence un moment où on va d'une part célébrer le lien. qui unit la France à ses anciennes colonies. Là, on voit bien que le contexte international rend les choses un tout petit peu difficiles, puisque la France est en train de se désengager d'Afrique, donc à voir. Et l'autre élément qu'avait mis également en place le président Hollande à l'époque, c'était au fond d'appeler les jeunes, en particulier issus de l'immigration nord-africaine et d'Afrique subsaharienne, à être fiers de leur histoire, en exaltant justement... le rôle commis par cette France. Alors les termes sont toujours un peu les mêmes, bigarrés, venant d'horizons très très différents, etc. Pour le coup, on verra si cette trame-là, au fond, elle est suivie par le président Macron. Est-ce que aussi, ce qu'on retrouvait beaucoup avec Hollande en 2014, ce discours aussi sur l'unanimité, ce qui est au fond une thématique très gaullienne. de la Provence comme lieu d'unité entre la population, son armée régulière, mais aussi les FFI. Les défilés militaires que l'on peut voir le 29 août 1944 à Marseille, c'est vraiment pour montrer la fusion entre armée des ombres, armée régulière, population. Et ce que là, cette thématique va apparaître, font la Provence comme lieu de retrouvailles des Français qui étaient divisés jusque-là. On verra, le contexte politique et international rend les choses, à mon avis, un peu ouvertes, alors qu'il est.

  • Speaker #2

    Je précise que nous enregistrons, Clermieux, cet entretien en juillet. Donc c'est pour ça que nous verrons effectivement ce qu'il en sera dans un mois. Merci beaucoup, Clermieux, d'avoir participé à notre émission. Je rappelle le titre de votre livre, Le débarquement de Provence, août 1944, aux éditions Passé Composé. C'est une coédition avec le ministère des Armées. Et je te remercie, Pierre Malenti, d'avoir participé, toi aussi comme présentateur. Et je dis à nos auditrices et nos auditeurs qu'ils te retrouveront très prochainement pour d'autres numéros.

  • Speaker #1

    C'est avec plaisir.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup à vous tous d'avoir écouté ce nouvel entretien, le premier de la quatrième saison de Coineuf en histoire. Et je serai ravi de vous retrouver prochainement pour un nouvel épisode. Merci.

  • Speaker #3

    Bonjour à tous !

Description

Le Débarquement de Provence, c'est "l'autre" débarquement de l'année 1944. Le 15 août, les troupes alliées, à forte composante française, accostent en Provence et en moins de deux semaines libèrent Toulon, Marseille et la région. L'historienne Claire Miot revient sur les événements et les enjeux de cette séquence décisive, dans un livre enrichi par les photographies du Service cinématographique des armées.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour chères auditrices et chers auditeurs, je suis Rassane Moubarak et je suis très heureux de vous retrouver pour cette nouvelle saison de Quoi de Neuf en histoire. C'est déjà la quatrième saison de ce podcast et c'est toujours avec autant de plaisir que j'accueille des historiennes et des historiens pour parler de leurs derniers livres. L'émission d'aujourd'hui est présentée en duo avec l'historien Pierre Malenti qui est un habitué du podcast. D'abord en tant qu'invité et de plus en plus en tant que chroniqueur, bonjour Pierre.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous, bonjour Hassan.

  • Speaker #0

    Pour cette émission, alors en duo en fait c'est en trio, nous recevons Claire Miot que je te laisse nous présenter.

  • Speaker #1

    Oui bonjour Claire Miot et merci d'être avec nous pour cette première émission de la quatrième saison. Vous êtes une ancienne élève de l'ENS de Cachan, aujourd'hui Paris-Saclay, où vous avez aussi enseigné il y a quelques années. Vous êtes aujourd'hui maître de conférence en histoire contemporaine à Sciences Po Ex. Et puis auteur de plusieurs ouvrages. Un premier livre qui avait été assez remarqué par la critique en 2021, chez Perrin, la première armée française. Et puis en 2022, vous étiez co-directrice d'un ouvrage sur Laissez-C'est le feu et L'arrêt des combats un thème original et un ouvrage qui avait lui aussi été assez remarqué et qui a été publié aux presses du Septentrion. Et nous vous recevons aujourd'hui pour un troisième livre dont Rassad va nous dire quelques mots.

  • Speaker #0

    Oui, donc à mon tour de vous saluer, Claire.

  • Speaker #2

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Vous publiez aujourd'hui un ouvrage intitulé Le débarquement de Provence août 1944, aux éditions Passé Composé. dont nous fêtons en ce moment le 80e anniversaire. C'est en effet le 15 août 1944 qu'à 8h du matin, des troupes américaines, britanniques et françaises débarquent dans le sud de la France. Ce débarquement est beaucoup moins connu que celui de Normandie et pourtant il est lui aussi stratégique. Comment, pour commencer, vous expliquer cet oubli relatif de cet événement ?

  • Speaker #2

    Alors... Je pense qu'il y a plusieurs raisons à cet oubli. La première raison, c'est que malgré tout, même si ce débarquement est stratégique, il n'a pas du tout la même ampleur que celui de Normandie. Le débarquement de Normandie, c'est à peu près 130 000 hommes. Le jour J, 30 000, 35 000, tout dépend comment on compte, en Provence le 15 août. Donc on n'est déjà pas tout à fait dans les mêmes proportions. En plus, au moment où ce débarquement a lieu, le 15 août 1944, au fond, l'issue de la bataille... de France et plus généralement de la bataille en Europe, ne fait plus garde-doute, en fait, à moyen ou long terme. Et donc, à partir de là, la dimension, justement, décisive de ce débarquement Provence paraît quand même secondaire par rapport à celle de Normandie. Et puis, de toute façon, dans l'esprit des planificateurs, ce débarquement, on y reviendra, il a été pensé comme un appui à Overlord. Il n'a pas son autonomie propre. Donc ça, c'est une première raison. Ce n'est pas la même ampleur. Tout simplement, c'est un débarquement très important, mais il n'a jamais eu la même ampleur que celui de Normandie. Deuxième argument, deuxième raison, malgré tout, le débarquement en Normandie ouvre la voie à la libération de Paris. Et ça, c'est tout un symbole que n'a pas le débarquement en Provence, même si ce débarquement en Provence ouvre la voie, bien sûr, à la libération de Toulon et Marseille, qui sont deux villes très importantes, en fait, pour les Alliés. Mais du point de vue... Des Français, à l'échelle française, c'est malgré tout pas le même symbole. Donc ça, ça peut expliquer un relatif oubli. Et puis, c'est un débarquement franco-français, même si les Américains sont très présents, on l'a dit. C'est une opération sous commandement américain. Il y a malgré tout trois divisions américaines, plus la division aéroportée. Donc les alliés sont présents, mais de manière plus secondaire. Et donc cette mémoire du débarquement en Provence ne peut pas être... internationalisée, comme c'est le cas de la mémoire du débarquement en Normandie, où on voit bien qu'il y a un véritable tourisme mémoriel en Normandie, qui est celui d'Américains, de Britanniques et aussi bien sûr de Français. Autre élément pour comprendre ce relatif oubli du débarquement en Provence, il est cette fois à comprendre du point de vue de l'histoire franco-française. En fait, ce débarquement, dans un premier temps, il n'est pas du tout oublié. Il est même célébré. Et en particulier, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les troupes coloniales, qui constituent une partie non négligeable des effectifs, sont en fait célébrées à la libération. Et elles sont célébrées parce qu'à ce moment-là, il y a un consensus dans l'opinion publique française selon lequel la puissance de la France passe par son empire. Donc il est faux de dire qu'on a oublié les troupes coloniales en 1944-1945. En revanche... Et là où les choses changent, c'est au moment des guerres de décolonisation. Pourquoi ? Parce que la mémoire de ce débarquement vient percuter une guerre qui ne dit pas son nom, qui est la guerre d'Algérie, et au sein de laquelle un certain nombre d'anciens de la première armée française, cette armée qui débarque en Provence, vont avoir un rôle, disons, compliqué à célébrer, c'est le moins que l'on puisse dire. Je pense notamment, c'est le cas le plus emblématique, au général Salan, ce général putschiste. à la tête de l'OAS, l'Organisation de l'Armée Secrète, qui est donc une organisation terroriste, qui lutte pour le maintien de l'Algérie sous domination française. Ce général Salan, il a été le colonel Salan à la tête d'un régiment de tirailleurs sénégalais qui a libéré Toulon. Difficile malgré tout de célébrer le général, le colonel Salan. Qu'est-ce que l'on fait exactement ? Et difficile également de célébrer la place de ces soldats coloniaux. qui ont libéré une grande partie de la métropole au moment des décolonisations et après les décolonisations. Pour autant, j'ai malgré tout le sentiment que c'est un peu en train de changer. Depuis les années, disons, 2000. Alors, un premier jalon, c'est le film Indigène, qui sort en 2006, et qui va, au fond, cristalliser un véritable débat public sur la question des vétérans de l'ancien empire français. La question notamment de la cristallisation des pensions des anciens combattants de l'Empire colonial français, qui existait déjà avant le film, est portée effectivement par ce film-là et par l'opinion publique, au point que le président Chirac, à l'époque, est obligé de prendre position et de dire oui, on va faire quelque chose Donc ça, à mon avis, c'est un premier jalon. Et le deuxième jalon, je le vois plutôt dans les années 2010, et en particulier au moment du 70e anniversaire du débarquement en Provence, où le président Hollande, à l'époque, marque véritablement le coup. Les commémorations prennent une ampleur importante et le président va effectivement célébrer, au fond, la dette de sang qui unit la France à l'Afrique. Alors évidemment, il y a un contexte politique qui est très particulier, qui est celui de l'opération Barkhane. Mais malgré tout... À ce moment-là, on peut dire que la mémoire du débarquement en Provence rentre véritablement dans un cycle commémoratif national d'ampleur plus importante que précédemment.

  • Speaker #1

    À vous écouter, Claire Millon, on se rend compte finalement qu'il y a une question de l'image dans cette mémoire du débarquement, avec une transformation du souvenir à travers les films, et vous évoquez notamment le rôle du film indigène dans cette mémoire du débarquement. Et justement, vous écrivez aujourd'hui, vous publiez à la fois une histoire du débarquement de Provence, mais... Vous avez aussi tenu à le mettre en images, et c'est une des forces de ce livre, c'est aussi une des raisons pour lesquelles on était heureux de vous recevoir, c'est que vous avez choisi de sortir des photographies pour certaines inédites, pour beaucoup méconnues, des fonds de l'établissement de communication et de production audiovisuelle, l'ECPAD, qui fait un important travail de communication sur ces documents, notamment sur les réseaux sociaux, et vous racontez dans le livre comment ces photos d'époque ont aussi été prises par des hommes, dans le débarquement il y a ces soldats, mais aussi ces photographes, vous évoquez le service cinématographique des armées. Le SCA du lieutenant Albert Plessis, qui est lui-même blessé pendant ses combats de Provence, est-ce que vous pouvez nous dire d'où vient cette idée qu'à côté des combattants du débarquement, il faut aussi des photographes, des documentaristes du débarquement ? Pourquoi ce choix d'avoir des hommes qui vont sauvegarder une mémoire photographique du débarquement ? Et quelle est l'histoire de ces hommes ?

  • Speaker #2

    Alors il y a plusieurs questions dans votre question. La première question, c'est effectivement à propos du format un peu original du livre. Alors ça, c'est une suggestion de Nicolas Grappaien, de Passé Composé, qui est venu me voir en me disant, il y a un fond extraordinaire de photographie qui émane justement du service cinématographique des armées. Il faut en faire quelque chose. Alors pas tant pour faire un livre de photos, mais en tout cas pour raconter cette histoire à partir des photographies. C'est un projet qui m'a évidemment séduite parce qu'il ne s'agissait pas de raconter une énième fois le débarquement et la bataille de Provence, mais bien de partir de ces photographies, ce qu'elles montrent, ce qu'elles ne montrent pas, pour raconter ce débarquement en Provence. Alors du coup, ces photographies montrent beaucoup de choses, mais il y a certaines choses qu'elles ne montrent pas. Ce qu'elles montrent, et ça me permettra d'ailleurs de répondre à la deuxième partie de la question, ce qu'elles montrent beaucoup, c'est des scènes de libération. C'est des scènes de communion nationale entre cette armée, en particulier française, débarquée, mais qui vient de l'extérieur d'une part, et la population civile d'autre part, et puis les FFI, les forces françaises de l'intérieur. Donc énormément de photographies qui documentent, qui mettent en scène cette union nationale. Alors ce n'est pas du tout un hasard, puisque ces photographies, elles sont principalement prises par justement ces hommes du SCA. qui sont des militaires, qui sont des photographes, ils sont les deux à la fois, qui suivent l'armée, qui sont engagés et qui doivent documenter véritablement cette bataille de Provence. Mais les instructions sont assez claires, c'est-à-dire qu'il s'agit, et on le sent vraiment bien en fait dans ces reportages, d'exalter justement l'unité retrouvée quatre ans après l'abîme et surtout quelques années après cette division. profonde qu'a connue la France. D'où, au fond, ces photos de liesse, de joie, qui montrent, comme je le disais, la joie, et on voit assez peu de photos montrant la face sombre de la libération, qui pourtant est documentée par ailleurs. Je pense, bien sûr, à l'épuration extra-légale, je pense au règlement de compte, ou encore aux tontes de femmes qui frappent ces soldats qui arrivent en France. Ce que ces photographies ne montrent pas, ou en tout cas peu, ce sont les combats eux-mêmes qui ont été certes de moindre importance qu'en Normandie. La bataille des Haies en Normandie a été terrible. La bataille de Provence à part quelques combats sur lesquels on reviendra peut-être, Toulon et Marseille, se passent relativement bien.

  • Speaker #0

    Mais c'est tout simplement lié au fait qu'il est très difficile malgré tout de prendre en photo une action sur le vif. Donc ça c'est des choses qu'on retrouve de manière assez classique dans les photographies de guerre. En fait si vous regardez en détail on a très très peu de photos prises sur le vif. Parce que justement on est sur le vif dans l'action et qu'il y a un danger imminent. Et c'est pas forcément le moment où on va sortir l'appareil photo ou la caméra. Ce service cinématographique des armées, en fait, il a été créé pendant la Grande Guerre. Ce n'est pas la première fois que l'armée cherche à documenter véritablement ces combats. Ce service, il est créé pendant la Grande Guerre pour ces raisons-là. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est évidemment réactivé, mais il va être divisé entre d'une part Vichy et d'autre part la France libre. Et donc ce SCA en 1944, il est le fruit de... à l'image de l'armée finalement, de la fusion justement de ces services anciennement vichistes d'une part et de services de la France libre.

  • Speaker #1

    Ce qui est aussi intéressant dans votre ouvrage, c'est que vous avez non seulement des photographies françaises, mais pas que. Vous y publiez un certain nombre de photographies prises par les Allemands. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous avez trouvé ces photos ? Et puis illustre-t-elle un autre débarquement de Provence, un autre regard ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, l'avantage d'avoir recours à ce fonds de l'ECPAD, c'est qu'on a accès à ces photoreportages de l'armée française, on a accès aussi à des fonds privés, et en particulier, je pense notamment au fonds ISHAC, qui est un civil, qui n'a pas l'uniforme, mais qui suit les armées françaises et adhère véritablement à la cause, d'ailleurs, ça se voit. Et puis, on a accès... Ce qu'on appelle les fonds allemands. Alors de quoi s'agit-il ? Il s'agit en fait de photographies, de centaines voire de milliers de photographies qui ont été saisies par les Alliés en 1945. Et ces photographies, elles ont été en fait prises par les compagnies de propagande allemandes. Donc ce sont des photographies de propagande. Il faut le dire d'emblée, très nettement, très clairement.

  • Speaker #2

    qui ont été saisies alors qu'elles étaient en France ou en Allemagne ?

  • Speaker #0

    Elles ont été saisies, je crois. Alors ça, c'est une vraie question. Il faudrait demander à le CPAD. C'est une prise de guerre. Donc, en fait, ils ne sont pas toujours très à l'aise avec ça. Je crois en 1945. Mais honnêtement, il faudrait vérifier. C'est une bonne question. Mais voilà, c'est des photographies de propagande. Et on le voit très bien d'ailleurs. C'est extrêmement posé. L'idée étant de montrer la puissance de l'Allemagne nazie. Alors... Alors, est-ce qu'elle montre un autre débarquement ? En fait, elle montre peu le débarquement, voire pas le débarquement. Ce que montrent ces photographies, il y en a beaucoup, c'est la construction du mur de la Méditerranée. Ça, beaucoup. Les Allemands vont documenter, autant qu'ils vont mettre en scène, j'ai envie de dire les deux à la fois, la construction de ce mur de la Méditerranée à partir de novembre 1942, date à laquelle la Wehrmacht envahit la zone sud et donc à partir de là ils vont fortifier le littoral de la riviera parce qu'ils ont tout à fait conscience du fait que la menace peut venir de la méditerranée, ils en ont parfaitement conscience. De la même manière à partir de 1943 ils vont prendre le relais sur l'ancienne zone d'occupation italienne et fortifier aussi ce littoral. Et donc on a ce paradoxe entre ce que j'ai essayé de montrer entre des photographies qui montre une forme de puissance allemande d'une part, et la réalité des faits qui est que ce mur de la Méditerranée est sans commune mesure avec le mur de l'Atlantique. C'est-à-dire qu'il y a des points très solidement fortifiés, c'est le cas de Marseille, c'est le cas des Calanques en particulier, je pense également à la région autour de Hyères, mais il y a des trous dans la raquette, dirait-on aujourd'hui, et c'est d'ailleurs une des raisons qui expliquent le succès du débarquement en Provence. pas le même mur, malgré ce que veulent nous montrer ces photos de propagande.

  • Speaker #2

    Je voudrais vous poser une question, Clermont, sur le contexte géopolitique, parce que vous avez dit que ce combat était plutôt un théâtre secondaire, un théâtre d'opération secondaire, et qu'on savait que la bataille serait jouée à moyen ou à long terme. En ce mois d'août 1944, donc Paris n'est pas encore libérée, est-ce que vous pouvez nous rappeler où se situe le front de Normandie, à quelle distance est-on de Paris ? Et parallèlement à l'Est, les Soviétiques, eux aussi, ont entamé depuis plusieurs mois une contre-offensive. Où se situe le front à l'Est ?

  • Speaker #0

    Alors, au moment du débarquement en Provence, le 15 août, du côté du front normand, après plusieurs semaines d'enlisement, les alliés réussissent à percer ce qu'on appelle la poche de falaise. Donc, ils sont pour le coup à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Ça, c'est pour le front Ouest. Pour le front Est... L'opération Bagration, qui a été lancée le 22 juin 1944, est un succès également. C'est-à-dire qu'en août 1944, les Soviétiques sont aux portes de Varsovie, donc ont largement avancé également. D'où cette idée, encore une fois, qu'à l'échelle de l'Europe, à l'échelle de cette guerre mondiale, le débarquement en Provence a sa place très importante, mais qui reste malgré tout secondaire.

  • Speaker #2

    D'autant plus que les Anglais, eux, ne soutiennent pas forcément un tel débarquement. Et on le voit d'ailleurs dans l'acronyme de cette opération, qui au départ est Anvil et qui est transformée en Dragoon, parce qu'en anglais, Dragoon, ça veut dire contraindre, forcer. Et c'est vrai qu'on a un peu forcé la main de Churchill pour accepter de débarquer en Provence.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Peut-être faut-il revenir très rapidement sur la genèse de cette opération Anvil qui deviendra Anvil-Dragoon. En fait... Elle est décidée en 1943, à l'été 1943, et pensée tout de suite comme étant le pendant méditerranéen à l'opération Overlord. À ce stade, les Britanniques ne sont en fait pas très favorables à une opération directe contre le Reich, donc Overlord. Au contraire, depuis 1941, les Britanniques défendent une stratégie méditerranéenne, c'est-à-dire indirecte. C'est-à-dire qu'ils défendent l'idée qu'il ne faut pas frapper. Le Reich, directement, c'est impossible, c'est trop difficile, mais plutôt opérer là où il est le plus faible, c'est-à-dire dans la zone méditerranéenne. Dans un premier temps, les Britanniques l'emportent dans le rapport de force. Et donc, cela explique le fait que les Alliés débarquent, par exemple, en Afrique du Nord, en novembre 1942, c'est l'opération Torch. Cela explique également que l'on décide de l'opération de débarquement en Sicile, en 1943, et ensuite donc de la campagne italienne. Donc à partir de là, c'est plutôt cette stratégie périphérique qui l'emporte et Overlord, c'est secondaire. Et si Overlord est secondaire, et bien Anvil est secondaire. Sauf qu'à partir de 1942-43, les Américains montent en puissance dans l'Alliance et surtout s'engagent auprès des Soviétiques à ouvrir ce second front dont les Soviétiques ont tant besoin. Et donc petit à petit, discussion, compromis, finalement... les Britanniques comme les Américains s'engagent auprès des Soviétiques pour lancer l'opération Overlord et donc Hanville. Sauf que, problème, entre-temps, les Alliés s'enlisent en Italie en 1943-44. Et donc l'opération, elle est repoussée, elle est même décalée. C'est-à-dire qu'au départ, Overlord et Hanville devaient avoir lieu exactement au même moment. Sauf que là, on voit bien qu'il y a un décalage de plus de deux mois. Et ça, c'est tout simplement parce que... Face aux difficultés en Italie, on est obligé perpétuellement de revoir les plans. Face à ces difficultés en Italie, les Britanniques continuent à pousser leur pion et dire, en fait, renonçons à Anneville. Overlord, c'est impossible d'y renoncer. Renonçons à Anneville et exploitons plutôt l'offensive en Italie et en particulier en Istrie et vers Ljubljana, et donc en fait vers l'Europe centrale et orientale. Et ça, cette option qui est avancée par Churchill au début de l'été 1944, elle va être très vite repoussée. Repoussée par les Américains, repoussée par les Français qui n'acceptent pas l'idée de ne pas être envoyés en France. Et puis en fait, repoussée aussi par une partie des Britanniques et en particulier, pas tant par l'opinion publique, qui ceci dit est de plus en plus francophile, mais par une partie de l'entourage de Churchill qui prend conscience du fait que désormais... Avec le débarquement en Normandie, avec le fait que De Gaulle est très bien accueilli en Normandie, eh bien on ne pourra pas faire sans les Français. Et ce sera impossible de les envoyer en Istrie, en Europe orientale, enfin c'est impossible. Désormais, que ce soit les Britanniques ou les Américains, les deux ont bien conscience, et démonstration est faite en Normandie, qu'au fond, ils ne pourront plus passer des Français, et donc de l'adhésion des Français au projet, si je puis dire.

  • Speaker #1

    Alors vous nous parlez de cette participation des Français, et d'ailleurs vous avez évoqué dès le début de cet entretien le fait que ce débarquement de France était un débarquement franco-français, on pourrait dire à rebours du débarquement de Normandie, où là pour le coup les Français, à commencer par le premier d'entre eux, le général de Gaulle, sont tenus à l'écart de la décision, de l'opération, de Gaulle jusqu'au dernier moment d'ailleurs refusant de prendre la parole pour le soutenir, puis acceptant de s'exprimer à la radio sous la pression de son entourage pour accompagner ce débarquement. Qu'en est-il du débarquement de Provence ? Quelle est la place des Français dans l'organisation logistique, matérielle ? Et puis, qui sont, sans tous les nommer, mais les deux, trois personnages clés qu'on peut retrouver dans votre ouvrage et qui sont les hommes du débarquement de Provence ?

  • Speaker #0

    Sans doute qu'il ne faudrait pas dire que le débarquement en Provence est un débarquement franco-français. Ce serait faux, en fait. C'est faux, pourquoi ? Parce que déjà, cette armée française qui débarque en Provence, elle a été réarmée par les Américains. à partir de la conférence d'Anfa en janvier 1943. Donc de toute façon, c'est du matériel américain. Donc rien que pour ça, ce n'est pas un débarquement franco-français. Ça, c'est le premier élément. Le deuxième élément, malgré tout, c'est que sur les dix divisions qui sont engagées, trois sont américaines, enfin sur les onze avec la division à aéroportée, il y a une majorité, si vous voulez, de divisions françaises, sept. Mais il y a aussi, encore une fois, des divisions américaines, surtout, et quelques unités britanniques. Le général qui commande le front méditerranéen, c'est un général britannique, c'est le général Wilson. Le général qui commande l'opération, alors même que les troupes françaises, en termes d'effectifs, sont plus importantes, c'est le général Patch, qui est un général américain. Pourquoi ? Parce que les alliés ont considéré que les Français n'avaient pas l'expérience suffisante. pour être à la tête des premiers jours du jour J, qui est les opérations de débarquement, les opérations amphibies de la mer vers la terre, sont toujours des opérations extrêmement délicates. Et il a été clairement décidé que les Français n'auraient pas le commandement des troupes au moment du jour J. Et ça, malgré tout, cela montre une forme de subordination des Français au commandement allié. De la même manière, les Français sont... très largement tenues à l'écart des opérations. C'est-à-dire qu'ils ne sont pas du tout dans la boucle et dans la boucle de décision, si je puis dire. Ils sont tenus informés, on écoute avec politesse les suggestions du général de l'âtre de Tassigny, qui est le chef de la première armée française. À cette époque, elle s'appelle armée B. On écoute poliment, mais malgré tout, les décisions sont prises par les alliés et certainement pas par les Français. Mais il est vrai qu'en termes d'effectifs, C'est un débarquement français, à la différence du débarquement en Normandie, où en gros, en Normandie, on a un millier de Français à peu près le jour J. On a beaucoup parlé des 177 hommes du commando Kieffer. Mais en fait, on a oublié effectivement qu'il y avait aussi des Français sous uniforme britannique ou américain. Donc c'est à peu près 1000 hommes. Il faudrait sans doute creuser davantage. Mais malgré tout, c'est 1000 hommes. Voilà, comparé. Aux effectifs de la première armée française, qui atteindront en gros 250 000 hommes, on n'est pas du tout dans le même niveau de proportion.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous pouvez nous dire, justement, pour revenir sur ce point que vous évoquez, comment les Français prennent-ils cette tutelle américaine ? Comment le roi Jean, sur nom de Jean de la Deceisy, comment De Gaulle réagisse à cette mainmise, finalement, des alliés sur le débarquement de Provence ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que les Français réagissent assez mal au fait d'être dans une situation... subalterne, si je puis dire, ils le supportent difficilement, mais malgré le tout, obtiennent un certain nombre de victoires. La première victoire, qui paraît un peu évidente, mais qui est quand même importante, c'est que c'est le général de Gaulle qui choisit quel général français sera à la tête de l'armée de la Libération. Et ça, ce n'est pas si évident, parce que les alliés, les Britanniques et les Américains, auraient préféré le général Juin. Celui qui commandait le corps expéditionnaire français en Italie. Et au fond, ça aurait été relativement logique, puisque l'essentiel des unités engagées en Italie, on va les retrouver en Provence, ça aurait été relativement logique que ce soit le général Juin. Sauf que d'un point de vue politique, le général de Gaulle, qui pourtant est très proche de Juin, il se tutoie, ne peut pas choisir le général Juin. Pourquoi ? Parce qu'il incarne véritablement cette armée d'Afrique, et en particulier cette armée d'Afrique compromise avec Vichy. Juin a attendu un peu trop longtemps avant de se rallier aux alliés au moment de l'opération Torche en novembre 1942. A contrario, le général de l'être de Tassini, dont il ne faut absolument pas faire... un résistant de la première heure, mais malgré tout, le général de Latre de Tassigny a pour lui le fait d'être entré en dissidence à partir de novembre 1942, d'avoir été arrêté par Vichy, d'avoir été jugé par Vichy, de s'être évadé d'une prison de Vichy, d'avoir rejoint Londres, et à partir de là, de s'être mis entièrement à la disposition du général de Gaulle, en se présentant par ailleurs comme, justement, quasiment un représentant de la résistance intérieure, ce qui est très habile d'un point de vue politique. Et donc à partir de là, De Gaulle fait le choix de Latre qui sera sans doute une figure plus acceptable pour la résistance intérieure. Mais encore une fois, il ne s'agit absolument pas d'un résistant de la première heure. Le général de Latre de Tassigny a fait une belle carrière sous Vichy. Il n'a absolument pas à refuser les responsabilités, mais malgré tout, il fait partie des rares... officiers généraux qui sont vraiment entrés en dissidence pour le coup en novembre 1942. Donc voilà, déjà, les Français, c'est-à-dire le général de Gaulle, imposent le choix du chef. Par ailleurs, ce que de Gaulle arrive à imposer, et ce n'était pas gagné, c'est justement que les Français ne soient pas engagés ailleurs qu'en Provence. Or, le CFLN, le Comité français de libération nationale, qui deviendra... À l'été 1944, le gouvernement provisoire de la République française a bien conscience qu'il y a un risque, que ces troupes françaises restent soit en Italie, soit elles aillent justement en Istrie, dans la trouée de Ljubljana, et pourquoi pas à Vienne. Donc déjà ça, c'est une forme de conquête. Mais ça dit la fragilité effectivement de ce quatrième allié dans la coalition.

  • Speaker #2

    Vous avez dit, Claire Miot, que très logiquement les Allemands s'attendaient, préparaient une invasion par la Provence. Même si le dispositif de défense est moins strict qu'en Normandie, le mur de la Méditerranée est beaucoup plus lâche que le mur de l'Atlantique, pourtant les Français et les autres troupes débarquent, et on est assez surpris par la rapidité de la progression et le peu de résistance qu'ils rencontrent. Comment est-ce qu'on explique cela ? Sans revenir sur toute la chronologie de ces 15 jours de libération, est-ce qu'on peut redire les principales étapes de la progression des troupes ?

  • Speaker #0

    Oui, alors effectivement, pour revenir à ce que vous évoquiez, cette défense allemande est relativement faible. Alors pourquoi elle est faible ? Tout simplement parce que les bombardements, la préparation en termes de bombardement des alliés a considérablement affaibli ce mur de la Méditerranée qui déjà présentait un certain nombre de difficultés, de faiblesses. Donc ça, c'est un premier élément. Le deuxième élément, c'est que les unités... qui sont destinées à défendre le littoral méditerranéen côté allemand sont en fait des unités qui présentent un certain nombre de faiblesses, soit des hommes très jeunes, soit au contraire des combattants plus âgés, un certain nombre de troupes étrangères également, dont la loyauté est sujette à discussion côté allemand. Tout cela fait que cette résistance allemande est relativement limitée. Pour autant, ponctuellement, il y a des combats qui sont malgré tout difficiles. Mais il est vrai qu'encore une fois, les Alliés ont la supériorité à la fois en termes aériens et puis également tout simplement sur le terrain pour les raisons que j'ai évoquées. Donc, pour résumer, ça veut dire que dès le soir du 15 août, très rapidement, les Alliés ont atteint ce qu'on appelle la ligne bleue, c'est-à-dire qu'ils ont atteint leurs objectifs. Ils ont réussi véritablement à établir ce qu'on appelle cette tête de pont. là aussi qui fait partie des choses les plus délicates à faire dans une opération amphibie. L'enjeu, c'est d'établir cette fameuse tête de pont, et ça, ils y arrivent. Et donc à partir de là, au moment où la deuxième vague de débarquement a lieu, le 16-17 août 1944, au sein de laquelle on retrouve l'essentiel des forces françaises, eh bien, là aussi, le front est relativement stabilisé. Et en fait, on se rend compte qu'on peut aller plus vite que prévu. On peut aller plus vite que prévu. C'est le choix que fait d'ailleurs le général de l'être de Tassigny. Il revenait aux Français de prendre Toulon et Marseille. Or, il s'agit des deux villes qui seront défendues, puisque dès le 16 août 1944, Hitler ordonne à ses troupes stationnées dans le sud de la France la retraite. Cet ordre, en fait, les troupes vont le recevoir plus tard. Mais toujours est-il que très vite, Hitler a conscience du fait qu'il ne pourra pas tenir les deux fronts. Donc, ordre de retraite. à l'exception des troupes qui tiendront Toulon et Marseille, parce que pour le coup, Hitler a bien compris que ces deux ports étaient essentiels pour le front européen. Et donc, malgré tout, ce sont les Français qui vont devoir libérer Toulon et Marseille, et ils ont bien conscience, le général de l'âtre de Tassigny a bien conscience du fait qu'il s'agira de batailles acharnées. D'où l'idée pour de l'âtre d'aller le plus vite possible, justement pour éviter... que la défense allemande se réorganise, etc. Et finalement, il réussit à convaincre le général Patch de récupérer une partie de ses troupes qu'il lui avait confiées, bref, de lancer l'opération sur Toulon et sur Marseille au même moment, plus vite que prévu. Et donc, à partir du 19 août 1944, donc on est au fond à débarquement plus de deux jours pour les troupes françaises, puisque l'essentiel de ces troupes françaises ne débarquent que le 17 août. de Latre de Tasigny lance les hostilités vers Toulon et vers Marseille.

  • Speaker #1

    Pour rester dans cette chronologie, le 20 août suivant, Patch, dont vous évoquiez le nom, qui est donc l'officier américain, engage les combats à l'Est, la remontée vers la trouée du Rhône. Toulon tombe le 26, Marseille le 28 août. Donc on a finalement une libération de la Provence assez rapide dans l'espace de deux semaines. Comment réagit la population ? Vous évoquiez tout à l'heure le rôle des résistants français, des FFI. Il y a aussi dans cette période des insurrections, des grèves générales. des manifestations spontanées de Français qui veulent accueillir et aider à libérer ces villes. Quelle est finalement l'attitude des Français de métropole et de Provence face à ce débarquement ?

  • Speaker #0

    Ce qui est sûr, c'est que depuis le débarquement en Normandie, la population est en état d'alerte. La population française et d'ailleurs les troupes allemandes. Donc, depuis juin 1944, effectivement, on sent un certain nombre d'éléments au sein de la population française. Vous avez de très nombreux... résistants ou futurs résistants qui font leur montée au maquis, c'est-à-dire qu'ils vont quitter les centres-villes pour rejoindre le massif de la Sainte-Baume, par exemple, le massif de la Sainte-Victoire, les monts du Luberon, pour, au fond, préparer quelque chose. Alors, quoi ? On ne sait pas encore, mais en tout cas, de préparer ce débarquement que l'on sent, que l'on pressent. Par ailleurs, dans les villes, un certain nombre d'appels... à la mobilisation, à la grève générale ont lieu. C'est le cas à Marseille. En fait, à Marseille, il y a des mouvements sociaux depuis le printemps 1944. Ces mouvements, ces grèves, elles ont été interrompues par les bombardements alliés qui sont extrêmement importants en mai 1944. Mais au fond, la mobilisation de la population n'a jamais véritablement faibli. Toute la question, pour la résistance intérieure, c'est la question de l'insurrection. Sachant... que le général de Gaulle, depuis 1942, appelait à une insurrection. Mais il l'appelait à une insurrection presque symbolique, dans cette idée qu'au fond, la France doit être libérée par les Français. Symbolique pour de Gaulle, qui craint en fait que trop prématurée, l'insurrection n'entraîne des représailles très importantes contre la population. Et de fait, l'histoire lui donne raison, le verre-corps, c'est exactement cette histoire-là. Donc, en fait, de Gaulle... n'est pas favorable à une véritable insurrection. Parce qu'il redoute des représailles et puis parce qu'il redoute aussi une prise de pouvoir du Parti communiste. Parti communiste qui est très important à Marseille en particulier. Et donc il y a une vraie inquiétude de la part de De Gaulle d'une part et des cadres de l'armée régulière dont tous ne sont pas communistes, c'est le moins qu'on puisse dire, vis-à-vis au fond d'une commune, d'une nouvelle commune. Cette inquiétude existe aussi pour Paris. De Gaulle aurait dit à Leclerc je ne veux pas d'une nouvelle commune, foncez vers Paris L'a-t-il dit exactement ? Nul ne le sait, mais ce n'est pas impossible qu'il l'ait fait en tout cas. Ce que je ne sais pas non plus, et à quoi il est difficile au fond de répondre, c'est quelle est la part de réelle peur du rouge, pour dire les choses. De Gaulle met beaucoup en scène dans ses mémoires de guerre le péril communiste. Le fait que Marseille était à deux doigts de basculer dans la dictature communiste, je reprends les termes du général, on sait qu'il s'agit aussi par là de justifier sa légitimité. Mais il n'est pas impossible malgré tout que le corps des officiers ait profondément travaillé par un anticommunisme que l'on retrouve d'ailleurs dans l'entre-deux-guerres, enfin c'est vraiment pas nouveau, et par une véritable inquiétude face à cette insurrection. De fait, à Marseille, cette insurrection est lancée dès le 19 août 1944 par un appel à la grève générale. Pour autant, la résistance intérieure à Marseille, y compris la résistance communiste, est divisée sur cette question-là. Parce qu'elle a bien conscience, une partie de cette résistance a bien conscience, que face à des troupes solidement retranchées au cœur même de la ville, les garnisons sont au cœur même de la ville, Il y a des batteries installées sur les îles du Frioul au large de Marseille. Enfin, voilà, ils ne sont pas fous, ils se rendent bien compte que le rapport de force n'est pas très favorable à la résistance intérieure. Et donc une partie même de la résistance intérieure est divisée sur cette question de l'insurrection. Mais les choses, évidemment avec le débarquement en Provence, les choses s'accélèrent. Appel à la grève générale le 19 août, deux jours plus tard la préfecture est prise, les autorités de Vichy se rendent sans effusion de sang. Le comité départemental de la Libération s'installe à la préfecture. Raymond Aubrac arrive, commissaire de la République. Et donc à partir de là, la ville se couvre de barricades. Sauf que la population est extrêmement vulnérable. De son côté, Delattre... ordonne, ordonnerait au général Gualard de Montsaber qui se dirige vers Marseille de stopper l'avancée. Justement parce qu'il attend de voir ce qui se passe dans Marseille. Il redoute encore une fois une insurrection, des troubles, etc. Et puis finalement, comme des résistants passent les lignes et viennent voir l'armée régulière en disant en fait on a besoin de vous et bien finalement... Le général de Montsaber lance l'offensive et les premières troupes de l'armée régulière entrent dans les faubourgs de Marseille le 23 août au soir, il me semble, ou le 24 au matin, le 23. Et donc s'en suit quelques cinq jours de combats acharnés dans la ville jusqu'à la libération de la ville le 28 août. On a une logique un peu similaire à Toulon où les résistants de l'intérieur préparent là aussi le terrain, c'est-à-dire vont harceler. les troupes ennemies dans la ville et vont désorganiser complètement la défense. En revanche, on n'a pas une insurrection au sens de participation massive de la population civile au combat à Toulon. C'est plutôt l'affaire des résistants de l'intérieur. On n'a pas ces images de barricades telles qu'on peut les avoir dans Marseille et que le livre montre bien. Il y a des très belles photos montrant des barricades qui ressemblent beaucoup à celles qu'on a pu voir à Paris à la même époque. Toulon, c'est une aide non négligeable, il faut bien le dire, de la résistance intérieure à l'armée régulière.

  • Speaker #1

    Et c'est un cas vraiment particulier à Marseille et Toulon. On découvre dans le livre qu'à Nice, par exemple, où les armées américaines se sont également arrêtées, je ne parle pas de votre contrôle, mais aux portes de Nice et où il y a eu une insurrection populaire, là, les Allemands ont fait retraite puisqu'ils n'avaient pas l'ordre, contrairement à Marseille et Toulon, de tenir la ville. Ils partent en retraite et la ville est ensuite libérée. par sa population avec l'appui des Américains quelques jours plus tard.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. En réalité, du côté de l'Est de la côte méditerranéenne, en fait, ce que montrent les historiens et les historiennes, c'est que les Alliés n'ont pas vraiment de plan pour cette partie-là. Ce n'est pas très clair de ce qu'on va faire. Ce n'est pas très clair si on va pousser jusque vers les Alpes, jusque vers la frontière italienne. Et c'est à partir du 20 août, justement, que le général Patch ordonne... à ces troupes de progresser également en direction de Nice. Mais en réalité, elles ne doivent pas aller jusqu'à Nice. Elles doivent s'arrêter sur les rives du fleuve Le Var. Et au fond, pendant ce temps-là, a lieu cette insurrection à Nice dont on a effectivement des très jolies photographies. À ce moment-là, de toute façon, les troupes allemandes se retirent, comme elles le feront d'ailleurs à Lyon au début du mois de septembre. Donc il n'y a pas de véritable combat à Nice. une insurrection assurément.

  • Speaker #1

    Et on découvre d'ailleurs dans le livre, pour filer ce que vous nous racontez, sur cette désorganisation du front Est en Provence, que Patch décide d'avancer parce qu'il croit au début à la possibilité d'une contre-offensive et il tient une espagne de ligne de défense sur sa droite. Et finalement, c'est apprenant que les Allemands sont en retraite, qu'il décide de pousser son avantage et qu'encouragé par ses officiers suvalternes, il va de plus en plus loin. Mais on a un petit peu l'impression que c'est au jour à jour. Et au vu des positions allemandes qui évoluent, que le front se dessine et que la trouée se fait ensuite à partir du 20 août vers Lyon ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. C'est-à-dire que pour l'Est, il n'y a pas véritablement de plan. Il s'agit surtout d'éviter que des troupes allemandes arrivent en renfort de l'Italie, même de cette région. En revanche, effectivement, il a été prévu très vite une progression vers la vallée du Rhône. Ça, c'est effectivement les choses qui ont été prévues de cette manière-là. En revanche, il y a vraiment une forme d'improvisation. pour la libération de Nice et pour la progression vers les Alpes.

  • Speaker #2

    Vous avez dit que cette progression, Clermieux, elle se fait assez rapidement. On peut donner quelques dates. Les Allemands évacuent Lyon le 2 septembre, Dijon est libéré le 11, et le 12, Delattre fait la jonction avec Leclerc. Donc ça va quand même assez vite. Comment se fait ensuite l'administration de la zone libérée ? Est-ce que les troupes régulières qui ont progressé, elles sont quand même restées pour administrer la zone ? Est-ce que ce sont... les civils et la résistance intérieure qui ont pris le contrôle. Et en fait, est-ce qu'il y a une rivalité entre les deux ? Parce qu'on sent parfois poindre un peu une tension. Après la libération de ces villes, il y a des cérémonies, des scènes d'allégresse, des parades. Mais après, une fois la victoire obtenue, comment se fait l'administration au quotidien et la rivalité éventuelle entre les troupes régulières et les forces de résistance ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, au fond, toute la question, c'est celle de qu'est-ce qui se passe à libération plus deux heures ? Et c'est une question qui est très importante, c'est-à-dire que là aussi, que ce soit les alliés ou les Français de l'extérieur, c'est-à-dire le GPRF, le gouvernement provisoire de la République française, toute la question est de savoir s'il va y avoir des insurrections, une prise de pouvoir des communistes, des troubles, etc. En fait, ce dont se rendent compte très rapidement les Américains, c'est que ça se passe bien. C'est-à-dire qu'à part quelques cas évidemment plus problématiques, eh bien, les comités départementaux de libération ou les comités locaux de libération prennent, je dirais presque tranquillement, le pouvoir, administrent. Et au fond, les militaires n'ont pas à s'ingérer dans les affaires publiques. Les militaires américains, certainement, mais aussi les Français. C'est-à-dire qu'encore une fois... Ce que montrent les sources, c'est que De Gaulle avait anticipé des éventuels débordements et avait prévu que des troupes régulières fassent des opérations de maintien de l'ordre. Sauf que ce ne sera pas le cas, à part, encore une fois, dans des cas très particuliers. En fait, le rétablissement de la légalité républicaine, le rétablissement de l'ordre, se fait relativement bien et relativement facilement. Par exemple, le général Brosset à Lyon donne très vite le pouvoir aux civils. Le général de Montsaber, qui est le commandant d'armes de Marseille, là aussi donne très rapidement le pouvoir à Raymond Aubrac, tout en disant que quand même c'est un petit peu le chaos. Mais en fait, quand on lit les carnets du général de Montsaber, on se rend compte qu'il n'est pas inquiet pour l'ordre public. Il y a effectivement quelques débordements que j'ai évoqués, ces règlements de comptes, ces exactions. Mais on peut dire qu'au fond, les militaires n'auront pas de fonction politique, tout simplement, un, parce qu'ils ne le veulent pas, et deux, parce qu'en fait, la question ne se pose pas, grosso modo. Encore une fois, mis à part quelques exceptions.

  • Speaker #1

    Une dernière question, Clermion. On a suivi avec vous tout au long de cette émission, finalement, les conditions de préparation, le débarquement, sa suite. On a évoqué un petit peu le sujet de la mémoire. C'est aujourd'hui le 80e anniversaire de ce débarquement. Vous avez rappelé d'ailleurs... l'importance qu'avait donnée le président Hollande dans son temps au moment du 70e anniversaire ? Est-ce qu'il y a des choses particulières qui sont prévues cette année ? Vous pouvez nous parler et parler aux éditeurs. Et puis, quelle est la place de ce débarquement dans toutes les grandes commémorations qui sont organisées ? Il y a une commission nationale qui suit ce 80e anniversaire. Il y a un musée, le musée du Mont-Faron, si je ne m'abuse, qui est dédié à ce débarquement. Quel est l'environnement mémoriel et vers quoi on peut inviter les auditeurs qui s'intéresseraient ? En plus de leur commander de lire votre lire, vers quel site, vers quel musée on peut les orienter en vue de ce 80e anniversaire ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, le lieu de mémoire du débarquement en Provence, c'est le mémorial du Mont-Faron, qui a été inauguré en 1964 par le général de Gaulle. C'est refait récemment, justement, dans la continuité du 70e anniversaire du débarquement en Provence. Donc c'est vraiment un des lieux. de mémoire de ce débarquement en Provence. Mais il est vrai que, contrairement à la Normandie, les lieux de mémoire sont beaucoup plus discrets en Provence. Vous avez ça et là un certain nombre de plaques, plus ou moins discrètes. Je pense notamment à cette plaque en hommage aux commandos qui ont pris pied au Cap-Nègre aux premières heures du 15 août 1944, ces commandos français. Voilà, vous avez une plaque au Cap-Nègre, je pense à une stèle en hommage au tirailleur algérien à Pierre Feuduvar, je pense à un certain nombre de nécropoles, notamment la nécropole de Luyne, je pense à la nécropole également de Draguignan. Mais c'est vrai que cette mémoire, elle est beaucoup plus discrète qu'en Normandie, indéniablement. Concernant les commémorations du 80e anniversaire, je suis dans l'expectative comme vous, c'est-à-dire que la question qu'on peut se poser c'est est-ce que le président de la République au fond s'inscrira dans le chemin qui a été à mon avis tracé par le président Hollande en 2014, c'est-à-dire de faire de la commémoration du débarquement en Provence un moment où on va d'une part célébrer le lien. qui unit la France à ses anciennes colonies. Là, on voit bien que le contexte international rend les choses un tout petit peu difficiles, puisque la France est en train de se désengager d'Afrique, donc à voir. Et l'autre élément qu'avait mis également en place le président Hollande à l'époque, c'était au fond d'appeler les jeunes, en particulier issus de l'immigration nord-africaine et d'Afrique subsaharienne, à être fiers de leur histoire, en exaltant justement... le rôle commis par cette France. Alors les termes sont toujours un peu les mêmes, bigarrés, venant d'horizons très très différents, etc. Pour le coup, on verra si cette trame-là, au fond, elle est suivie par le président Macron. Est-ce que aussi, ce qu'on retrouvait beaucoup avec Hollande en 2014, ce discours aussi sur l'unanimité, ce qui est au fond une thématique très gaullienne. de la Provence comme lieu d'unité entre la population, son armée régulière, mais aussi les FFI. Les défilés militaires que l'on peut voir le 29 août 1944 à Marseille, c'est vraiment pour montrer la fusion entre armée des ombres, armée régulière, population. Et ce que là, cette thématique va apparaître, font la Provence comme lieu de retrouvailles des Français qui étaient divisés jusque-là. On verra, le contexte politique et international rend les choses, à mon avis, un peu ouvertes, alors qu'il est.

  • Speaker #2

    Je précise que nous enregistrons, Clermieux, cet entretien en juillet. Donc c'est pour ça que nous verrons effectivement ce qu'il en sera dans un mois. Merci beaucoup, Clermieux, d'avoir participé à notre émission. Je rappelle le titre de votre livre, Le débarquement de Provence, août 1944, aux éditions Passé Composé. C'est une coédition avec le ministère des Armées. Et je te remercie, Pierre Malenti, d'avoir participé, toi aussi comme présentateur. Et je dis à nos auditrices et nos auditeurs qu'ils te retrouveront très prochainement pour d'autres numéros.

  • Speaker #1

    C'est avec plaisir.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup à vous tous d'avoir écouté ce nouvel entretien, le premier de la quatrième saison de Coineuf en histoire. Et je serai ravi de vous retrouver prochainement pour un nouvel épisode. Merci.

  • Speaker #3

    Bonjour à tous !

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Description

Le Débarquement de Provence, c'est "l'autre" débarquement de l'année 1944. Le 15 août, les troupes alliées, à forte composante française, accostent en Provence et en moins de deux semaines libèrent Toulon, Marseille et la région. L'historienne Claire Miot revient sur les événements et les enjeux de cette séquence décisive, dans un livre enrichi par les photographies du Service cinématographique des armées.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour chères auditrices et chers auditeurs, je suis Rassane Moubarak et je suis très heureux de vous retrouver pour cette nouvelle saison de Quoi de Neuf en histoire. C'est déjà la quatrième saison de ce podcast et c'est toujours avec autant de plaisir que j'accueille des historiennes et des historiens pour parler de leurs derniers livres. L'émission d'aujourd'hui est présentée en duo avec l'historien Pierre Malenti qui est un habitué du podcast. D'abord en tant qu'invité et de plus en plus en tant que chroniqueur, bonjour Pierre.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous, bonjour Hassan.

  • Speaker #0

    Pour cette émission, alors en duo en fait c'est en trio, nous recevons Claire Miot que je te laisse nous présenter.

  • Speaker #1

    Oui bonjour Claire Miot et merci d'être avec nous pour cette première émission de la quatrième saison. Vous êtes une ancienne élève de l'ENS de Cachan, aujourd'hui Paris-Saclay, où vous avez aussi enseigné il y a quelques années. Vous êtes aujourd'hui maître de conférence en histoire contemporaine à Sciences Po Ex. Et puis auteur de plusieurs ouvrages. Un premier livre qui avait été assez remarqué par la critique en 2021, chez Perrin, la première armée française. Et puis en 2022, vous étiez co-directrice d'un ouvrage sur Laissez-C'est le feu et L'arrêt des combats un thème original et un ouvrage qui avait lui aussi été assez remarqué et qui a été publié aux presses du Septentrion. Et nous vous recevons aujourd'hui pour un troisième livre dont Rassad va nous dire quelques mots.

  • Speaker #0

    Oui, donc à mon tour de vous saluer, Claire.

  • Speaker #2

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Vous publiez aujourd'hui un ouvrage intitulé Le débarquement de Provence août 1944, aux éditions Passé Composé. dont nous fêtons en ce moment le 80e anniversaire. C'est en effet le 15 août 1944 qu'à 8h du matin, des troupes américaines, britanniques et françaises débarquent dans le sud de la France. Ce débarquement est beaucoup moins connu que celui de Normandie et pourtant il est lui aussi stratégique. Comment, pour commencer, vous expliquer cet oubli relatif de cet événement ?

  • Speaker #2

    Alors... Je pense qu'il y a plusieurs raisons à cet oubli. La première raison, c'est que malgré tout, même si ce débarquement est stratégique, il n'a pas du tout la même ampleur que celui de Normandie. Le débarquement de Normandie, c'est à peu près 130 000 hommes. Le jour J, 30 000, 35 000, tout dépend comment on compte, en Provence le 15 août. Donc on n'est déjà pas tout à fait dans les mêmes proportions. En plus, au moment où ce débarquement a lieu, le 15 août 1944, au fond, l'issue de la bataille... de France et plus généralement de la bataille en Europe, ne fait plus garde-doute, en fait, à moyen ou long terme. Et donc, à partir de là, la dimension, justement, décisive de ce débarquement Provence paraît quand même secondaire par rapport à celle de Normandie. Et puis, de toute façon, dans l'esprit des planificateurs, ce débarquement, on y reviendra, il a été pensé comme un appui à Overlord. Il n'a pas son autonomie propre. Donc ça, c'est une première raison. Ce n'est pas la même ampleur. Tout simplement, c'est un débarquement très important, mais il n'a jamais eu la même ampleur que celui de Normandie. Deuxième argument, deuxième raison, malgré tout, le débarquement en Normandie ouvre la voie à la libération de Paris. Et ça, c'est tout un symbole que n'a pas le débarquement en Provence, même si ce débarquement en Provence ouvre la voie, bien sûr, à la libération de Toulon et Marseille, qui sont deux villes très importantes, en fait, pour les Alliés. Mais du point de vue... Des Français, à l'échelle française, c'est malgré tout pas le même symbole. Donc ça, ça peut expliquer un relatif oubli. Et puis, c'est un débarquement franco-français, même si les Américains sont très présents, on l'a dit. C'est une opération sous commandement américain. Il y a malgré tout trois divisions américaines, plus la division aéroportée. Donc les alliés sont présents, mais de manière plus secondaire. Et donc cette mémoire du débarquement en Provence ne peut pas être... internationalisée, comme c'est le cas de la mémoire du débarquement en Normandie, où on voit bien qu'il y a un véritable tourisme mémoriel en Normandie, qui est celui d'Américains, de Britanniques et aussi bien sûr de Français. Autre élément pour comprendre ce relatif oubli du débarquement en Provence, il est cette fois à comprendre du point de vue de l'histoire franco-française. En fait, ce débarquement, dans un premier temps, il n'est pas du tout oublié. Il est même célébré. Et en particulier, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les troupes coloniales, qui constituent une partie non négligeable des effectifs, sont en fait célébrées à la libération. Et elles sont célébrées parce qu'à ce moment-là, il y a un consensus dans l'opinion publique française selon lequel la puissance de la France passe par son empire. Donc il est faux de dire qu'on a oublié les troupes coloniales en 1944-1945. En revanche... Et là où les choses changent, c'est au moment des guerres de décolonisation. Pourquoi ? Parce que la mémoire de ce débarquement vient percuter une guerre qui ne dit pas son nom, qui est la guerre d'Algérie, et au sein de laquelle un certain nombre d'anciens de la première armée française, cette armée qui débarque en Provence, vont avoir un rôle, disons, compliqué à célébrer, c'est le moins que l'on puisse dire. Je pense notamment, c'est le cas le plus emblématique, au général Salan, ce général putschiste. à la tête de l'OAS, l'Organisation de l'Armée Secrète, qui est donc une organisation terroriste, qui lutte pour le maintien de l'Algérie sous domination française. Ce général Salan, il a été le colonel Salan à la tête d'un régiment de tirailleurs sénégalais qui a libéré Toulon. Difficile malgré tout de célébrer le général, le colonel Salan. Qu'est-ce que l'on fait exactement ? Et difficile également de célébrer la place de ces soldats coloniaux. qui ont libéré une grande partie de la métropole au moment des décolonisations et après les décolonisations. Pour autant, j'ai malgré tout le sentiment que c'est un peu en train de changer. Depuis les années, disons, 2000. Alors, un premier jalon, c'est le film Indigène, qui sort en 2006, et qui va, au fond, cristalliser un véritable débat public sur la question des vétérans de l'ancien empire français. La question notamment de la cristallisation des pensions des anciens combattants de l'Empire colonial français, qui existait déjà avant le film, est portée effectivement par ce film-là et par l'opinion publique, au point que le président Chirac, à l'époque, est obligé de prendre position et de dire oui, on va faire quelque chose Donc ça, à mon avis, c'est un premier jalon. Et le deuxième jalon, je le vois plutôt dans les années 2010, et en particulier au moment du 70e anniversaire du débarquement en Provence, où le président Hollande, à l'époque, marque véritablement le coup. Les commémorations prennent une ampleur importante et le président va effectivement célébrer, au fond, la dette de sang qui unit la France à l'Afrique. Alors évidemment, il y a un contexte politique qui est très particulier, qui est celui de l'opération Barkhane. Mais malgré tout... À ce moment-là, on peut dire que la mémoire du débarquement en Provence rentre véritablement dans un cycle commémoratif national d'ampleur plus importante que précédemment.

  • Speaker #1

    À vous écouter, Claire Millon, on se rend compte finalement qu'il y a une question de l'image dans cette mémoire du débarquement, avec une transformation du souvenir à travers les films, et vous évoquez notamment le rôle du film indigène dans cette mémoire du débarquement. Et justement, vous écrivez aujourd'hui, vous publiez à la fois une histoire du débarquement de Provence, mais... Vous avez aussi tenu à le mettre en images, et c'est une des forces de ce livre, c'est aussi une des raisons pour lesquelles on était heureux de vous recevoir, c'est que vous avez choisi de sortir des photographies pour certaines inédites, pour beaucoup méconnues, des fonds de l'établissement de communication et de production audiovisuelle, l'ECPAD, qui fait un important travail de communication sur ces documents, notamment sur les réseaux sociaux, et vous racontez dans le livre comment ces photos d'époque ont aussi été prises par des hommes, dans le débarquement il y a ces soldats, mais aussi ces photographes, vous évoquez le service cinématographique des armées. Le SCA du lieutenant Albert Plessis, qui est lui-même blessé pendant ses combats de Provence, est-ce que vous pouvez nous dire d'où vient cette idée qu'à côté des combattants du débarquement, il faut aussi des photographes, des documentaristes du débarquement ? Pourquoi ce choix d'avoir des hommes qui vont sauvegarder une mémoire photographique du débarquement ? Et quelle est l'histoire de ces hommes ?

  • Speaker #2

    Alors il y a plusieurs questions dans votre question. La première question, c'est effectivement à propos du format un peu original du livre. Alors ça, c'est une suggestion de Nicolas Grappaien, de Passé Composé, qui est venu me voir en me disant, il y a un fond extraordinaire de photographie qui émane justement du service cinématographique des armées. Il faut en faire quelque chose. Alors pas tant pour faire un livre de photos, mais en tout cas pour raconter cette histoire à partir des photographies. C'est un projet qui m'a évidemment séduite parce qu'il ne s'agissait pas de raconter une énième fois le débarquement et la bataille de Provence, mais bien de partir de ces photographies, ce qu'elles montrent, ce qu'elles ne montrent pas, pour raconter ce débarquement en Provence. Alors du coup, ces photographies montrent beaucoup de choses, mais il y a certaines choses qu'elles ne montrent pas. Ce qu'elles montrent, et ça me permettra d'ailleurs de répondre à la deuxième partie de la question, ce qu'elles montrent beaucoup, c'est des scènes de libération. C'est des scènes de communion nationale entre cette armée, en particulier française, débarquée, mais qui vient de l'extérieur d'une part, et la population civile d'autre part, et puis les FFI, les forces françaises de l'intérieur. Donc énormément de photographies qui documentent, qui mettent en scène cette union nationale. Alors ce n'est pas du tout un hasard, puisque ces photographies, elles sont principalement prises par justement ces hommes du SCA. qui sont des militaires, qui sont des photographes, ils sont les deux à la fois, qui suivent l'armée, qui sont engagés et qui doivent documenter véritablement cette bataille de Provence. Mais les instructions sont assez claires, c'est-à-dire qu'il s'agit, et on le sent vraiment bien en fait dans ces reportages, d'exalter justement l'unité retrouvée quatre ans après l'abîme et surtout quelques années après cette division. profonde qu'a connue la France. D'où, au fond, ces photos de liesse, de joie, qui montrent, comme je le disais, la joie, et on voit assez peu de photos montrant la face sombre de la libération, qui pourtant est documentée par ailleurs. Je pense, bien sûr, à l'épuration extra-légale, je pense au règlement de compte, ou encore aux tontes de femmes qui frappent ces soldats qui arrivent en France. Ce que ces photographies ne montrent pas, ou en tout cas peu, ce sont les combats eux-mêmes qui ont été certes de moindre importance qu'en Normandie. La bataille des Haies en Normandie a été terrible. La bataille de Provence à part quelques combats sur lesquels on reviendra peut-être, Toulon et Marseille, se passent relativement bien.

  • Speaker #0

    Mais c'est tout simplement lié au fait qu'il est très difficile malgré tout de prendre en photo une action sur le vif. Donc ça c'est des choses qu'on retrouve de manière assez classique dans les photographies de guerre. En fait si vous regardez en détail on a très très peu de photos prises sur le vif. Parce que justement on est sur le vif dans l'action et qu'il y a un danger imminent. Et c'est pas forcément le moment où on va sortir l'appareil photo ou la caméra. Ce service cinématographique des armées, en fait, il a été créé pendant la Grande Guerre. Ce n'est pas la première fois que l'armée cherche à documenter véritablement ces combats. Ce service, il est créé pendant la Grande Guerre pour ces raisons-là. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est évidemment réactivé, mais il va être divisé entre d'une part Vichy et d'autre part la France libre. Et donc ce SCA en 1944, il est le fruit de... à l'image de l'armée finalement, de la fusion justement de ces services anciennement vichistes d'une part et de services de la France libre.

  • Speaker #1

    Ce qui est aussi intéressant dans votre ouvrage, c'est que vous avez non seulement des photographies françaises, mais pas que. Vous y publiez un certain nombre de photographies prises par les Allemands. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous avez trouvé ces photos ? Et puis illustre-t-elle un autre débarquement de Provence, un autre regard ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, l'avantage d'avoir recours à ce fonds de l'ECPAD, c'est qu'on a accès à ces photoreportages de l'armée française, on a accès aussi à des fonds privés, et en particulier, je pense notamment au fonds ISHAC, qui est un civil, qui n'a pas l'uniforme, mais qui suit les armées françaises et adhère véritablement à la cause, d'ailleurs, ça se voit. Et puis, on a accès... Ce qu'on appelle les fonds allemands. Alors de quoi s'agit-il ? Il s'agit en fait de photographies, de centaines voire de milliers de photographies qui ont été saisies par les Alliés en 1945. Et ces photographies, elles ont été en fait prises par les compagnies de propagande allemandes. Donc ce sont des photographies de propagande. Il faut le dire d'emblée, très nettement, très clairement.

  • Speaker #2

    qui ont été saisies alors qu'elles étaient en France ou en Allemagne ?

  • Speaker #0

    Elles ont été saisies, je crois. Alors ça, c'est une vraie question. Il faudrait demander à le CPAD. C'est une prise de guerre. Donc, en fait, ils ne sont pas toujours très à l'aise avec ça. Je crois en 1945. Mais honnêtement, il faudrait vérifier. C'est une bonne question. Mais voilà, c'est des photographies de propagande. Et on le voit très bien d'ailleurs. C'est extrêmement posé. L'idée étant de montrer la puissance de l'Allemagne nazie. Alors... Alors, est-ce qu'elle montre un autre débarquement ? En fait, elle montre peu le débarquement, voire pas le débarquement. Ce que montrent ces photographies, il y en a beaucoup, c'est la construction du mur de la Méditerranée. Ça, beaucoup. Les Allemands vont documenter, autant qu'ils vont mettre en scène, j'ai envie de dire les deux à la fois, la construction de ce mur de la Méditerranée à partir de novembre 1942, date à laquelle la Wehrmacht envahit la zone sud et donc à partir de là ils vont fortifier le littoral de la riviera parce qu'ils ont tout à fait conscience du fait que la menace peut venir de la méditerranée, ils en ont parfaitement conscience. De la même manière à partir de 1943 ils vont prendre le relais sur l'ancienne zone d'occupation italienne et fortifier aussi ce littoral. Et donc on a ce paradoxe entre ce que j'ai essayé de montrer entre des photographies qui montre une forme de puissance allemande d'une part, et la réalité des faits qui est que ce mur de la Méditerranée est sans commune mesure avec le mur de l'Atlantique. C'est-à-dire qu'il y a des points très solidement fortifiés, c'est le cas de Marseille, c'est le cas des Calanques en particulier, je pense également à la région autour de Hyères, mais il y a des trous dans la raquette, dirait-on aujourd'hui, et c'est d'ailleurs une des raisons qui expliquent le succès du débarquement en Provence. pas le même mur, malgré ce que veulent nous montrer ces photos de propagande.

  • Speaker #2

    Je voudrais vous poser une question, Clermont, sur le contexte géopolitique, parce que vous avez dit que ce combat était plutôt un théâtre secondaire, un théâtre d'opération secondaire, et qu'on savait que la bataille serait jouée à moyen ou à long terme. En ce mois d'août 1944, donc Paris n'est pas encore libérée, est-ce que vous pouvez nous rappeler où se situe le front de Normandie, à quelle distance est-on de Paris ? Et parallèlement à l'Est, les Soviétiques, eux aussi, ont entamé depuis plusieurs mois une contre-offensive. Où se situe le front à l'Est ?

  • Speaker #0

    Alors, au moment du débarquement en Provence, le 15 août, du côté du front normand, après plusieurs semaines d'enlisement, les alliés réussissent à percer ce qu'on appelle la poche de falaise. Donc, ils sont pour le coup à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Ça, c'est pour le front Ouest. Pour le front Est... L'opération Bagration, qui a été lancée le 22 juin 1944, est un succès également. C'est-à-dire qu'en août 1944, les Soviétiques sont aux portes de Varsovie, donc ont largement avancé également. D'où cette idée, encore une fois, qu'à l'échelle de l'Europe, à l'échelle de cette guerre mondiale, le débarquement en Provence a sa place très importante, mais qui reste malgré tout secondaire.

  • Speaker #2

    D'autant plus que les Anglais, eux, ne soutiennent pas forcément un tel débarquement. Et on le voit d'ailleurs dans l'acronyme de cette opération, qui au départ est Anvil et qui est transformée en Dragoon, parce qu'en anglais, Dragoon, ça veut dire contraindre, forcer. Et c'est vrai qu'on a un peu forcé la main de Churchill pour accepter de débarquer en Provence.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Peut-être faut-il revenir très rapidement sur la genèse de cette opération Anvil qui deviendra Anvil-Dragoon. En fait... Elle est décidée en 1943, à l'été 1943, et pensée tout de suite comme étant le pendant méditerranéen à l'opération Overlord. À ce stade, les Britanniques ne sont en fait pas très favorables à une opération directe contre le Reich, donc Overlord. Au contraire, depuis 1941, les Britanniques défendent une stratégie méditerranéenne, c'est-à-dire indirecte. C'est-à-dire qu'ils défendent l'idée qu'il ne faut pas frapper. Le Reich, directement, c'est impossible, c'est trop difficile, mais plutôt opérer là où il est le plus faible, c'est-à-dire dans la zone méditerranéenne. Dans un premier temps, les Britanniques l'emportent dans le rapport de force. Et donc, cela explique le fait que les Alliés débarquent, par exemple, en Afrique du Nord, en novembre 1942, c'est l'opération Torch. Cela explique également que l'on décide de l'opération de débarquement en Sicile, en 1943, et ensuite donc de la campagne italienne. Donc à partir de là, c'est plutôt cette stratégie périphérique qui l'emporte et Overlord, c'est secondaire. Et si Overlord est secondaire, et bien Anvil est secondaire. Sauf qu'à partir de 1942-43, les Américains montent en puissance dans l'Alliance et surtout s'engagent auprès des Soviétiques à ouvrir ce second front dont les Soviétiques ont tant besoin. Et donc petit à petit, discussion, compromis, finalement... les Britanniques comme les Américains s'engagent auprès des Soviétiques pour lancer l'opération Overlord et donc Hanville. Sauf que, problème, entre-temps, les Alliés s'enlisent en Italie en 1943-44. Et donc l'opération, elle est repoussée, elle est même décalée. C'est-à-dire qu'au départ, Overlord et Hanville devaient avoir lieu exactement au même moment. Sauf que là, on voit bien qu'il y a un décalage de plus de deux mois. Et ça, c'est tout simplement parce que... Face aux difficultés en Italie, on est obligé perpétuellement de revoir les plans. Face à ces difficultés en Italie, les Britanniques continuent à pousser leur pion et dire, en fait, renonçons à Anneville. Overlord, c'est impossible d'y renoncer. Renonçons à Anneville et exploitons plutôt l'offensive en Italie et en particulier en Istrie et vers Ljubljana, et donc en fait vers l'Europe centrale et orientale. Et ça, cette option qui est avancée par Churchill au début de l'été 1944, elle va être très vite repoussée. Repoussée par les Américains, repoussée par les Français qui n'acceptent pas l'idée de ne pas être envoyés en France. Et puis en fait, repoussée aussi par une partie des Britanniques et en particulier, pas tant par l'opinion publique, qui ceci dit est de plus en plus francophile, mais par une partie de l'entourage de Churchill qui prend conscience du fait que désormais... Avec le débarquement en Normandie, avec le fait que De Gaulle est très bien accueilli en Normandie, eh bien on ne pourra pas faire sans les Français. Et ce sera impossible de les envoyer en Istrie, en Europe orientale, enfin c'est impossible. Désormais, que ce soit les Britanniques ou les Américains, les deux ont bien conscience, et démonstration est faite en Normandie, qu'au fond, ils ne pourront plus passer des Français, et donc de l'adhésion des Français au projet, si je puis dire.

  • Speaker #1

    Alors vous nous parlez de cette participation des Français, et d'ailleurs vous avez évoqué dès le début de cet entretien le fait que ce débarquement de France était un débarquement franco-français, on pourrait dire à rebours du débarquement de Normandie, où là pour le coup les Français, à commencer par le premier d'entre eux, le général de Gaulle, sont tenus à l'écart de la décision, de l'opération, de Gaulle jusqu'au dernier moment d'ailleurs refusant de prendre la parole pour le soutenir, puis acceptant de s'exprimer à la radio sous la pression de son entourage pour accompagner ce débarquement. Qu'en est-il du débarquement de Provence ? Quelle est la place des Français dans l'organisation logistique, matérielle ? Et puis, qui sont, sans tous les nommer, mais les deux, trois personnages clés qu'on peut retrouver dans votre ouvrage et qui sont les hommes du débarquement de Provence ?

  • Speaker #0

    Sans doute qu'il ne faudrait pas dire que le débarquement en Provence est un débarquement franco-français. Ce serait faux, en fait. C'est faux, pourquoi ? Parce que déjà, cette armée française qui débarque en Provence, elle a été réarmée par les Américains. à partir de la conférence d'Anfa en janvier 1943. Donc de toute façon, c'est du matériel américain. Donc rien que pour ça, ce n'est pas un débarquement franco-français. Ça, c'est le premier élément. Le deuxième élément, malgré tout, c'est que sur les dix divisions qui sont engagées, trois sont américaines, enfin sur les onze avec la division à aéroportée, il y a une majorité, si vous voulez, de divisions françaises, sept. Mais il y a aussi, encore une fois, des divisions américaines, surtout, et quelques unités britanniques. Le général qui commande le front méditerranéen, c'est un général britannique, c'est le général Wilson. Le général qui commande l'opération, alors même que les troupes françaises, en termes d'effectifs, sont plus importantes, c'est le général Patch, qui est un général américain. Pourquoi ? Parce que les alliés ont considéré que les Français n'avaient pas l'expérience suffisante. pour être à la tête des premiers jours du jour J, qui est les opérations de débarquement, les opérations amphibies de la mer vers la terre, sont toujours des opérations extrêmement délicates. Et il a été clairement décidé que les Français n'auraient pas le commandement des troupes au moment du jour J. Et ça, malgré tout, cela montre une forme de subordination des Français au commandement allié. De la même manière, les Français sont... très largement tenues à l'écart des opérations. C'est-à-dire qu'ils ne sont pas du tout dans la boucle et dans la boucle de décision, si je puis dire. Ils sont tenus informés, on écoute avec politesse les suggestions du général de l'âtre de Tassigny, qui est le chef de la première armée française. À cette époque, elle s'appelle armée B. On écoute poliment, mais malgré tout, les décisions sont prises par les alliés et certainement pas par les Français. Mais il est vrai qu'en termes d'effectifs, C'est un débarquement français, à la différence du débarquement en Normandie, où en gros, en Normandie, on a un millier de Français à peu près le jour J. On a beaucoup parlé des 177 hommes du commando Kieffer. Mais en fait, on a oublié effectivement qu'il y avait aussi des Français sous uniforme britannique ou américain. Donc c'est à peu près 1000 hommes. Il faudrait sans doute creuser davantage. Mais malgré tout, c'est 1000 hommes. Voilà, comparé. Aux effectifs de la première armée française, qui atteindront en gros 250 000 hommes, on n'est pas du tout dans le même niveau de proportion.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous pouvez nous dire, justement, pour revenir sur ce point que vous évoquez, comment les Français prennent-ils cette tutelle américaine ? Comment le roi Jean, sur nom de Jean de la Deceisy, comment De Gaulle réagisse à cette mainmise, finalement, des alliés sur le débarquement de Provence ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que les Français réagissent assez mal au fait d'être dans une situation... subalterne, si je puis dire, ils le supportent difficilement, mais malgré le tout, obtiennent un certain nombre de victoires. La première victoire, qui paraît un peu évidente, mais qui est quand même importante, c'est que c'est le général de Gaulle qui choisit quel général français sera à la tête de l'armée de la Libération. Et ça, ce n'est pas si évident, parce que les alliés, les Britanniques et les Américains, auraient préféré le général Juin. Celui qui commandait le corps expéditionnaire français en Italie. Et au fond, ça aurait été relativement logique, puisque l'essentiel des unités engagées en Italie, on va les retrouver en Provence, ça aurait été relativement logique que ce soit le général Juin. Sauf que d'un point de vue politique, le général de Gaulle, qui pourtant est très proche de Juin, il se tutoie, ne peut pas choisir le général Juin. Pourquoi ? Parce qu'il incarne véritablement cette armée d'Afrique, et en particulier cette armée d'Afrique compromise avec Vichy. Juin a attendu un peu trop longtemps avant de se rallier aux alliés au moment de l'opération Torche en novembre 1942. A contrario, le général de l'être de Tassini, dont il ne faut absolument pas faire... un résistant de la première heure, mais malgré tout, le général de Latre de Tassigny a pour lui le fait d'être entré en dissidence à partir de novembre 1942, d'avoir été arrêté par Vichy, d'avoir été jugé par Vichy, de s'être évadé d'une prison de Vichy, d'avoir rejoint Londres, et à partir de là, de s'être mis entièrement à la disposition du général de Gaulle, en se présentant par ailleurs comme, justement, quasiment un représentant de la résistance intérieure, ce qui est très habile d'un point de vue politique. Et donc à partir de là, De Gaulle fait le choix de Latre qui sera sans doute une figure plus acceptable pour la résistance intérieure. Mais encore une fois, il ne s'agit absolument pas d'un résistant de la première heure. Le général de Latre de Tassigny a fait une belle carrière sous Vichy. Il n'a absolument pas à refuser les responsabilités, mais malgré tout, il fait partie des rares... officiers généraux qui sont vraiment entrés en dissidence pour le coup en novembre 1942. Donc voilà, déjà, les Français, c'est-à-dire le général de Gaulle, imposent le choix du chef. Par ailleurs, ce que de Gaulle arrive à imposer, et ce n'était pas gagné, c'est justement que les Français ne soient pas engagés ailleurs qu'en Provence. Or, le CFLN, le Comité français de libération nationale, qui deviendra... À l'été 1944, le gouvernement provisoire de la République française a bien conscience qu'il y a un risque, que ces troupes françaises restent soit en Italie, soit elles aillent justement en Istrie, dans la trouée de Ljubljana, et pourquoi pas à Vienne. Donc déjà ça, c'est une forme de conquête. Mais ça dit la fragilité effectivement de ce quatrième allié dans la coalition.

  • Speaker #2

    Vous avez dit, Claire Miot, que très logiquement les Allemands s'attendaient, préparaient une invasion par la Provence. Même si le dispositif de défense est moins strict qu'en Normandie, le mur de la Méditerranée est beaucoup plus lâche que le mur de l'Atlantique, pourtant les Français et les autres troupes débarquent, et on est assez surpris par la rapidité de la progression et le peu de résistance qu'ils rencontrent. Comment est-ce qu'on explique cela ? Sans revenir sur toute la chronologie de ces 15 jours de libération, est-ce qu'on peut redire les principales étapes de la progression des troupes ?

  • Speaker #0

    Oui, alors effectivement, pour revenir à ce que vous évoquiez, cette défense allemande est relativement faible. Alors pourquoi elle est faible ? Tout simplement parce que les bombardements, la préparation en termes de bombardement des alliés a considérablement affaibli ce mur de la Méditerranée qui déjà présentait un certain nombre de difficultés, de faiblesses. Donc ça, c'est un premier élément. Le deuxième élément, c'est que les unités... qui sont destinées à défendre le littoral méditerranéen côté allemand sont en fait des unités qui présentent un certain nombre de faiblesses, soit des hommes très jeunes, soit au contraire des combattants plus âgés, un certain nombre de troupes étrangères également, dont la loyauté est sujette à discussion côté allemand. Tout cela fait que cette résistance allemande est relativement limitée. Pour autant, ponctuellement, il y a des combats qui sont malgré tout difficiles. Mais il est vrai qu'encore une fois, les Alliés ont la supériorité à la fois en termes aériens et puis également tout simplement sur le terrain pour les raisons que j'ai évoquées. Donc, pour résumer, ça veut dire que dès le soir du 15 août, très rapidement, les Alliés ont atteint ce qu'on appelle la ligne bleue, c'est-à-dire qu'ils ont atteint leurs objectifs. Ils ont réussi véritablement à établir ce qu'on appelle cette tête de pont. là aussi qui fait partie des choses les plus délicates à faire dans une opération amphibie. L'enjeu, c'est d'établir cette fameuse tête de pont, et ça, ils y arrivent. Et donc à partir de là, au moment où la deuxième vague de débarquement a lieu, le 16-17 août 1944, au sein de laquelle on retrouve l'essentiel des forces françaises, eh bien, là aussi, le front est relativement stabilisé. Et en fait, on se rend compte qu'on peut aller plus vite que prévu. On peut aller plus vite que prévu. C'est le choix que fait d'ailleurs le général de l'être de Tassigny. Il revenait aux Français de prendre Toulon et Marseille. Or, il s'agit des deux villes qui seront défendues, puisque dès le 16 août 1944, Hitler ordonne à ses troupes stationnées dans le sud de la France la retraite. Cet ordre, en fait, les troupes vont le recevoir plus tard. Mais toujours est-il que très vite, Hitler a conscience du fait qu'il ne pourra pas tenir les deux fronts. Donc, ordre de retraite. à l'exception des troupes qui tiendront Toulon et Marseille, parce que pour le coup, Hitler a bien compris que ces deux ports étaient essentiels pour le front européen. Et donc, malgré tout, ce sont les Français qui vont devoir libérer Toulon et Marseille, et ils ont bien conscience, le général de l'âtre de Tassigny a bien conscience du fait qu'il s'agira de batailles acharnées. D'où l'idée pour de l'âtre d'aller le plus vite possible, justement pour éviter... que la défense allemande se réorganise, etc. Et finalement, il réussit à convaincre le général Patch de récupérer une partie de ses troupes qu'il lui avait confiées, bref, de lancer l'opération sur Toulon et sur Marseille au même moment, plus vite que prévu. Et donc, à partir du 19 août 1944, donc on est au fond à débarquement plus de deux jours pour les troupes françaises, puisque l'essentiel de ces troupes françaises ne débarquent que le 17 août. de Latre de Tasigny lance les hostilités vers Toulon et vers Marseille.

  • Speaker #1

    Pour rester dans cette chronologie, le 20 août suivant, Patch, dont vous évoquiez le nom, qui est donc l'officier américain, engage les combats à l'Est, la remontée vers la trouée du Rhône. Toulon tombe le 26, Marseille le 28 août. Donc on a finalement une libération de la Provence assez rapide dans l'espace de deux semaines. Comment réagit la population ? Vous évoquiez tout à l'heure le rôle des résistants français, des FFI. Il y a aussi dans cette période des insurrections, des grèves générales. des manifestations spontanées de Français qui veulent accueillir et aider à libérer ces villes. Quelle est finalement l'attitude des Français de métropole et de Provence face à ce débarquement ?

  • Speaker #0

    Ce qui est sûr, c'est que depuis le débarquement en Normandie, la population est en état d'alerte. La population française et d'ailleurs les troupes allemandes. Donc, depuis juin 1944, effectivement, on sent un certain nombre d'éléments au sein de la population française. Vous avez de très nombreux... résistants ou futurs résistants qui font leur montée au maquis, c'est-à-dire qu'ils vont quitter les centres-villes pour rejoindre le massif de la Sainte-Baume, par exemple, le massif de la Sainte-Victoire, les monts du Luberon, pour, au fond, préparer quelque chose. Alors, quoi ? On ne sait pas encore, mais en tout cas, de préparer ce débarquement que l'on sent, que l'on pressent. Par ailleurs, dans les villes, un certain nombre d'appels... à la mobilisation, à la grève générale ont lieu. C'est le cas à Marseille. En fait, à Marseille, il y a des mouvements sociaux depuis le printemps 1944. Ces mouvements, ces grèves, elles ont été interrompues par les bombardements alliés qui sont extrêmement importants en mai 1944. Mais au fond, la mobilisation de la population n'a jamais véritablement faibli. Toute la question, pour la résistance intérieure, c'est la question de l'insurrection. Sachant... que le général de Gaulle, depuis 1942, appelait à une insurrection. Mais il l'appelait à une insurrection presque symbolique, dans cette idée qu'au fond, la France doit être libérée par les Français. Symbolique pour de Gaulle, qui craint en fait que trop prématurée, l'insurrection n'entraîne des représailles très importantes contre la population. Et de fait, l'histoire lui donne raison, le verre-corps, c'est exactement cette histoire-là. Donc, en fait, de Gaulle... n'est pas favorable à une véritable insurrection. Parce qu'il redoute des représailles et puis parce qu'il redoute aussi une prise de pouvoir du Parti communiste. Parti communiste qui est très important à Marseille en particulier. Et donc il y a une vraie inquiétude de la part de De Gaulle d'une part et des cadres de l'armée régulière dont tous ne sont pas communistes, c'est le moins qu'on puisse dire, vis-à-vis au fond d'une commune, d'une nouvelle commune. Cette inquiétude existe aussi pour Paris. De Gaulle aurait dit à Leclerc je ne veux pas d'une nouvelle commune, foncez vers Paris L'a-t-il dit exactement ? Nul ne le sait, mais ce n'est pas impossible qu'il l'ait fait en tout cas. Ce que je ne sais pas non plus, et à quoi il est difficile au fond de répondre, c'est quelle est la part de réelle peur du rouge, pour dire les choses. De Gaulle met beaucoup en scène dans ses mémoires de guerre le péril communiste. Le fait que Marseille était à deux doigts de basculer dans la dictature communiste, je reprends les termes du général, on sait qu'il s'agit aussi par là de justifier sa légitimité. Mais il n'est pas impossible malgré tout que le corps des officiers ait profondément travaillé par un anticommunisme que l'on retrouve d'ailleurs dans l'entre-deux-guerres, enfin c'est vraiment pas nouveau, et par une véritable inquiétude face à cette insurrection. De fait, à Marseille, cette insurrection est lancée dès le 19 août 1944 par un appel à la grève générale. Pour autant, la résistance intérieure à Marseille, y compris la résistance communiste, est divisée sur cette question-là. Parce qu'elle a bien conscience, une partie de cette résistance a bien conscience, que face à des troupes solidement retranchées au cœur même de la ville, les garnisons sont au cœur même de la ville, Il y a des batteries installées sur les îles du Frioul au large de Marseille. Enfin, voilà, ils ne sont pas fous, ils se rendent bien compte que le rapport de force n'est pas très favorable à la résistance intérieure. Et donc une partie même de la résistance intérieure est divisée sur cette question de l'insurrection. Mais les choses, évidemment avec le débarquement en Provence, les choses s'accélèrent. Appel à la grève générale le 19 août, deux jours plus tard la préfecture est prise, les autorités de Vichy se rendent sans effusion de sang. Le comité départemental de la Libération s'installe à la préfecture. Raymond Aubrac arrive, commissaire de la République. Et donc à partir de là, la ville se couvre de barricades. Sauf que la population est extrêmement vulnérable. De son côté, Delattre... ordonne, ordonnerait au général Gualard de Montsaber qui se dirige vers Marseille de stopper l'avancée. Justement parce qu'il attend de voir ce qui se passe dans Marseille. Il redoute encore une fois une insurrection, des troubles, etc. Et puis finalement, comme des résistants passent les lignes et viennent voir l'armée régulière en disant en fait on a besoin de vous et bien finalement... Le général de Montsaber lance l'offensive et les premières troupes de l'armée régulière entrent dans les faubourgs de Marseille le 23 août au soir, il me semble, ou le 24 au matin, le 23. Et donc s'en suit quelques cinq jours de combats acharnés dans la ville jusqu'à la libération de la ville le 28 août. On a une logique un peu similaire à Toulon où les résistants de l'intérieur préparent là aussi le terrain, c'est-à-dire vont harceler. les troupes ennemies dans la ville et vont désorganiser complètement la défense. En revanche, on n'a pas une insurrection au sens de participation massive de la population civile au combat à Toulon. C'est plutôt l'affaire des résistants de l'intérieur. On n'a pas ces images de barricades telles qu'on peut les avoir dans Marseille et que le livre montre bien. Il y a des très belles photos montrant des barricades qui ressemblent beaucoup à celles qu'on a pu voir à Paris à la même époque. Toulon, c'est une aide non négligeable, il faut bien le dire, de la résistance intérieure à l'armée régulière.

  • Speaker #1

    Et c'est un cas vraiment particulier à Marseille et Toulon. On découvre dans le livre qu'à Nice, par exemple, où les armées américaines se sont également arrêtées, je ne parle pas de votre contrôle, mais aux portes de Nice et où il y a eu une insurrection populaire, là, les Allemands ont fait retraite puisqu'ils n'avaient pas l'ordre, contrairement à Marseille et Toulon, de tenir la ville. Ils partent en retraite et la ville est ensuite libérée. par sa population avec l'appui des Américains quelques jours plus tard.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. En réalité, du côté de l'Est de la côte méditerranéenne, en fait, ce que montrent les historiens et les historiennes, c'est que les Alliés n'ont pas vraiment de plan pour cette partie-là. Ce n'est pas très clair de ce qu'on va faire. Ce n'est pas très clair si on va pousser jusque vers les Alpes, jusque vers la frontière italienne. Et c'est à partir du 20 août, justement, que le général Patch ordonne... à ces troupes de progresser également en direction de Nice. Mais en réalité, elles ne doivent pas aller jusqu'à Nice. Elles doivent s'arrêter sur les rives du fleuve Le Var. Et au fond, pendant ce temps-là, a lieu cette insurrection à Nice dont on a effectivement des très jolies photographies. À ce moment-là, de toute façon, les troupes allemandes se retirent, comme elles le feront d'ailleurs à Lyon au début du mois de septembre. Donc il n'y a pas de véritable combat à Nice. une insurrection assurément.

  • Speaker #1

    Et on découvre d'ailleurs dans le livre, pour filer ce que vous nous racontez, sur cette désorganisation du front Est en Provence, que Patch décide d'avancer parce qu'il croit au début à la possibilité d'une contre-offensive et il tient une espagne de ligne de défense sur sa droite. Et finalement, c'est apprenant que les Allemands sont en retraite, qu'il décide de pousser son avantage et qu'encouragé par ses officiers suvalternes, il va de plus en plus loin. Mais on a un petit peu l'impression que c'est au jour à jour. Et au vu des positions allemandes qui évoluent, que le front se dessine et que la trouée se fait ensuite à partir du 20 août vers Lyon ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. C'est-à-dire que pour l'Est, il n'y a pas véritablement de plan. Il s'agit surtout d'éviter que des troupes allemandes arrivent en renfort de l'Italie, même de cette région. En revanche, effectivement, il a été prévu très vite une progression vers la vallée du Rhône. Ça, c'est effectivement les choses qui ont été prévues de cette manière-là. En revanche, il y a vraiment une forme d'improvisation. pour la libération de Nice et pour la progression vers les Alpes.

  • Speaker #2

    Vous avez dit que cette progression, Clermieux, elle se fait assez rapidement. On peut donner quelques dates. Les Allemands évacuent Lyon le 2 septembre, Dijon est libéré le 11, et le 12, Delattre fait la jonction avec Leclerc. Donc ça va quand même assez vite. Comment se fait ensuite l'administration de la zone libérée ? Est-ce que les troupes régulières qui ont progressé, elles sont quand même restées pour administrer la zone ? Est-ce que ce sont... les civils et la résistance intérieure qui ont pris le contrôle. Et en fait, est-ce qu'il y a une rivalité entre les deux ? Parce qu'on sent parfois poindre un peu une tension. Après la libération de ces villes, il y a des cérémonies, des scènes d'allégresse, des parades. Mais après, une fois la victoire obtenue, comment se fait l'administration au quotidien et la rivalité éventuelle entre les troupes régulières et les forces de résistance ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, au fond, toute la question, c'est celle de qu'est-ce qui se passe à libération plus deux heures ? Et c'est une question qui est très importante, c'est-à-dire que là aussi, que ce soit les alliés ou les Français de l'extérieur, c'est-à-dire le GPRF, le gouvernement provisoire de la République française, toute la question est de savoir s'il va y avoir des insurrections, une prise de pouvoir des communistes, des troubles, etc. En fait, ce dont se rendent compte très rapidement les Américains, c'est que ça se passe bien. C'est-à-dire qu'à part quelques cas évidemment plus problématiques, eh bien, les comités départementaux de libération ou les comités locaux de libération prennent, je dirais presque tranquillement, le pouvoir, administrent. Et au fond, les militaires n'ont pas à s'ingérer dans les affaires publiques. Les militaires américains, certainement, mais aussi les Français. C'est-à-dire qu'encore une fois... Ce que montrent les sources, c'est que De Gaulle avait anticipé des éventuels débordements et avait prévu que des troupes régulières fassent des opérations de maintien de l'ordre. Sauf que ce ne sera pas le cas, à part, encore une fois, dans des cas très particuliers. En fait, le rétablissement de la légalité républicaine, le rétablissement de l'ordre, se fait relativement bien et relativement facilement. Par exemple, le général Brosset à Lyon donne très vite le pouvoir aux civils. Le général de Montsaber, qui est le commandant d'armes de Marseille, là aussi donne très rapidement le pouvoir à Raymond Aubrac, tout en disant que quand même c'est un petit peu le chaos. Mais en fait, quand on lit les carnets du général de Montsaber, on se rend compte qu'il n'est pas inquiet pour l'ordre public. Il y a effectivement quelques débordements que j'ai évoqués, ces règlements de comptes, ces exactions. Mais on peut dire qu'au fond, les militaires n'auront pas de fonction politique, tout simplement, un, parce qu'ils ne le veulent pas, et deux, parce qu'en fait, la question ne se pose pas, grosso modo. Encore une fois, mis à part quelques exceptions.

  • Speaker #1

    Une dernière question, Clermion. On a suivi avec vous tout au long de cette émission, finalement, les conditions de préparation, le débarquement, sa suite. On a évoqué un petit peu le sujet de la mémoire. C'est aujourd'hui le 80e anniversaire de ce débarquement. Vous avez rappelé d'ailleurs... l'importance qu'avait donnée le président Hollande dans son temps au moment du 70e anniversaire ? Est-ce qu'il y a des choses particulières qui sont prévues cette année ? Vous pouvez nous parler et parler aux éditeurs. Et puis, quelle est la place de ce débarquement dans toutes les grandes commémorations qui sont organisées ? Il y a une commission nationale qui suit ce 80e anniversaire. Il y a un musée, le musée du Mont-Faron, si je ne m'abuse, qui est dédié à ce débarquement. Quel est l'environnement mémoriel et vers quoi on peut inviter les auditeurs qui s'intéresseraient ? En plus de leur commander de lire votre lire, vers quel site, vers quel musée on peut les orienter en vue de ce 80e anniversaire ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, le lieu de mémoire du débarquement en Provence, c'est le mémorial du Mont-Faron, qui a été inauguré en 1964 par le général de Gaulle. C'est refait récemment, justement, dans la continuité du 70e anniversaire du débarquement en Provence. Donc c'est vraiment un des lieux. de mémoire de ce débarquement en Provence. Mais il est vrai que, contrairement à la Normandie, les lieux de mémoire sont beaucoup plus discrets en Provence. Vous avez ça et là un certain nombre de plaques, plus ou moins discrètes. Je pense notamment à cette plaque en hommage aux commandos qui ont pris pied au Cap-Nègre aux premières heures du 15 août 1944, ces commandos français. Voilà, vous avez une plaque au Cap-Nègre, je pense à une stèle en hommage au tirailleur algérien à Pierre Feuduvar, je pense à un certain nombre de nécropoles, notamment la nécropole de Luyne, je pense à la nécropole également de Draguignan. Mais c'est vrai que cette mémoire, elle est beaucoup plus discrète qu'en Normandie, indéniablement. Concernant les commémorations du 80e anniversaire, je suis dans l'expectative comme vous, c'est-à-dire que la question qu'on peut se poser c'est est-ce que le président de la République au fond s'inscrira dans le chemin qui a été à mon avis tracé par le président Hollande en 2014, c'est-à-dire de faire de la commémoration du débarquement en Provence un moment où on va d'une part célébrer le lien. qui unit la France à ses anciennes colonies. Là, on voit bien que le contexte international rend les choses un tout petit peu difficiles, puisque la France est en train de se désengager d'Afrique, donc à voir. Et l'autre élément qu'avait mis également en place le président Hollande à l'époque, c'était au fond d'appeler les jeunes, en particulier issus de l'immigration nord-africaine et d'Afrique subsaharienne, à être fiers de leur histoire, en exaltant justement... le rôle commis par cette France. Alors les termes sont toujours un peu les mêmes, bigarrés, venant d'horizons très très différents, etc. Pour le coup, on verra si cette trame-là, au fond, elle est suivie par le président Macron. Est-ce que aussi, ce qu'on retrouvait beaucoup avec Hollande en 2014, ce discours aussi sur l'unanimité, ce qui est au fond une thématique très gaullienne. de la Provence comme lieu d'unité entre la population, son armée régulière, mais aussi les FFI. Les défilés militaires que l'on peut voir le 29 août 1944 à Marseille, c'est vraiment pour montrer la fusion entre armée des ombres, armée régulière, population. Et ce que là, cette thématique va apparaître, font la Provence comme lieu de retrouvailles des Français qui étaient divisés jusque-là. On verra, le contexte politique et international rend les choses, à mon avis, un peu ouvertes, alors qu'il est.

  • Speaker #2

    Je précise que nous enregistrons, Clermieux, cet entretien en juillet. Donc c'est pour ça que nous verrons effectivement ce qu'il en sera dans un mois. Merci beaucoup, Clermieux, d'avoir participé à notre émission. Je rappelle le titre de votre livre, Le débarquement de Provence, août 1944, aux éditions Passé Composé. C'est une coédition avec le ministère des Armées. Et je te remercie, Pierre Malenti, d'avoir participé, toi aussi comme présentateur. Et je dis à nos auditrices et nos auditeurs qu'ils te retrouveront très prochainement pour d'autres numéros.

  • Speaker #1

    C'est avec plaisir.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup à vous tous d'avoir écouté ce nouvel entretien, le premier de la quatrième saison de Coineuf en histoire. Et je serai ravi de vous retrouver prochainement pour un nouvel épisode. Merci.

  • Speaker #3

    Bonjour à tous !

Description

Le Débarquement de Provence, c'est "l'autre" débarquement de l'année 1944. Le 15 août, les troupes alliées, à forte composante française, accostent en Provence et en moins de deux semaines libèrent Toulon, Marseille et la région. L'historienne Claire Miot revient sur les événements et les enjeux de cette séquence décisive, dans un livre enrichi par les photographies du Service cinématographique des armées.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour chères auditrices et chers auditeurs, je suis Rassane Moubarak et je suis très heureux de vous retrouver pour cette nouvelle saison de Quoi de Neuf en histoire. C'est déjà la quatrième saison de ce podcast et c'est toujours avec autant de plaisir que j'accueille des historiennes et des historiens pour parler de leurs derniers livres. L'émission d'aujourd'hui est présentée en duo avec l'historien Pierre Malenti qui est un habitué du podcast. D'abord en tant qu'invité et de plus en plus en tant que chroniqueur, bonjour Pierre.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous, bonjour Hassan.

  • Speaker #0

    Pour cette émission, alors en duo en fait c'est en trio, nous recevons Claire Miot que je te laisse nous présenter.

  • Speaker #1

    Oui bonjour Claire Miot et merci d'être avec nous pour cette première émission de la quatrième saison. Vous êtes une ancienne élève de l'ENS de Cachan, aujourd'hui Paris-Saclay, où vous avez aussi enseigné il y a quelques années. Vous êtes aujourd'hui maître de conférence en histoire contemporaine à Sciences Po Ex. Et puis auteur de plusieurs ouvrages. Un premier livre qui avait été assez remarqué par la critique en 2021, chez Perrin, la première armée française. Et puis en 2022, vous étiez co-directrice d'un ouvrage sur Laissez-C'est le feu et L'arrêt des combats un thème original et un ouvrage qui avait lui aussi été assez remarqué et qui a été publié aux presses du Septentrion. Et nous vous recevons aujourd'hui pour un troisième livre dont Rassad va nous dire quelques mots.

  • Speaker #0

    Oui, donc à mon tour de vous saluer, Claire.

  • Speaker #2

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Vous publiez aujourd'hui un ouvrage intitulé Le débarquement de Provence août 1944, aux éditions Passé Composé. dont nous fêtons en ce moment le 80e anniversaire. C'est en effet le 15 août 1944 qu'à 8h du matin, des troupes américaines, britanniques et françaises débarquent dans le sud de la France. Ce débarquement est beaucoup moins connu que celui de Normandie et pourtant il est lui aussi stratégique. Comment, pour commencer, vous expliquer cet oubli relatif de cet événement ?

  • Speaker #2

    Alors... Je pense qu'il y a plusieurs raisons à cet oubli. La première raison, c'est que malgré tout, même si ce débarquement est stratégique, il n'a pas du tout la même ampleur que celui de Normandie. Le débarquement de Normandie, c'est à peu près 130 000 hommes. Le jour J, 30 000, 35 000, tout dépend comment on compte, en Provence le 15 août. Donc on n'est déjà pas tout à fait dans les mêmes proportions. En plus, au moment où ce débarquement a lieu, le 15 août 1944, au fond, l'issue de la bataille... de France et plus généralement de la bataille en Europe, ne fait plus garde-doute, en fait, à moyen ou long terme. Et donc, à partir de là, la dimension, justement, décisive de ce débarquement Provence paraît quand même secondaire par rapport à celle de Normandie. Et puis, de toute façon, dans l'esprit des planificateurs, ce débarquement, on y reviendra, il a été pensé comme un appui à Overlord. Il n'a pas son autonomie propre. Donc ça, c'est une première raison. Ce n'est pas la même ampleur. Tout simplement, c'est un débarquement très important, mais il n'a jamais eu la même ampleur que celui de Normandie. Deuxième argument, deuxième raison, malgré tout, le débarquement en Normandie ouvre la voie à la libération de Paris. Et ça, c'est tout un symbole que n'a pas le débarquement en Provence, même si ce débarquement en Provence ouvre la voie, bien sûr, à la libération de Toulon et Marseille, qui sont deux villes très importantes, en fait, pour les Alliés. Mais du point de vue... Des Français, à l'échelle française, c'est malgré tout pas le même symbole. Donc ça, ça peut expliquer un relatif oubli. Et puis, c'est un débarquement franco-français, même si les Américains sont très présents, on l'a dit. C'est une opération sous commandement américain. Il y a malgré tout trois divisions américaines, plus la division aéroportée. Donc les alliés sont présents, mais de manière plus secondaire. Et donc cette mémoire du débarquement en Provence ne peut pas être... internationalisée, comme c'est le cas de la mémoire du débarquement en Normandie, où on voit bien qu'il y a un véritable tourisme mémoriel en Normandie, qui est celui d'Américains, de Britanniques et aussi bien sûr de Français. Autre élément pour comprendre ce relatif oubli du débarquement en Provence, il est cette fois à comprendre du point de vue de l'histoire franco-française. En fait, ce débarquement, dans un premier temps, il n'est pas du tout oublié. Il est même célébré. Et en particulier, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les troupes coloniales, qui constituent une partie non négligeable des effectifs, sont en fait célébrées à la libération. Et elles sont célébrées parce qu'à ce moment-là, il y a un consensus dans l'opinion publique française selon lequel la puissance de la France passe par son empire. Donc il est faux de dire qu'on a oublié les troupes coloniales en 1944-1945. En revanche... Et là où les choses changent, c'est au moment des guerres de décolonisation. Pourquoi ? Parce que la mémoire de ce débarquement vient percuter une guerre qui ne dit pas son nom, qui est la guerre d'Algérie, et au sein de laquelle un certain nombre d'anciens de la première armée française, cette armée qui débarque en Provence, vont avoir un rôle, disons, compliqué à célébrer, c'est le moins que l'on puisse dire. Je pense notamment, c'est le cas le plus emblématique, au général Salan, ce général putschiste. à la tête de l'OAS, l'Organisation de l'Armée Secrète, qui est donc une organisation terroriste, qui lutte pour le maintien de l'Algérie sous domination française. Ce général Salan, il a été le colonel Salan à la tête d'un régiment de tirailleurs sénégalais qui a libéré Toulon. Difficile malgré tout de célébrer le général, le colonel Salan. Qu'est-ce que l'on fait exactement ? Et difficile également de célébrer la place de ces soldats coloniaux. qui ont libéré une grande partie de la métropole au moment des décolonisations et après les décolonisations. Pour autant, j'ai malgré tout le sentiment que c'est un peu en train de changer. Depuis les années, disons, 2000. Alors, un premier jalon, c'est le film Indigène, qui sort en 2006, et qui va, au fond, cristalliser un véritable débat public sur la question des vétérans de l'ancien empire français. La question notamment de la cristallisation des pensions des anciens combattants de l'Empire colonial français, qui existait déjà avant le film, est portée effectivement par ce film-là et par l'opinion publique, au point que le président Chirac, à l'époque, est obligé de prendre position et de dire oui, on va faire quelque chose Donc ça, à mon avis, c'est un premier jalon. Et le deuxième jalon, je le vois plutôt dans les années 2010, et en particulier au moment du 70e anniversaire du débarquement en Provence, où le président Hollande, à l'époque, marque véritablement le coup. Les commémorations prennent une ampleur importante et le président va effectivement célébrer, au fond, la dette de sang qui unit la France à l'Afrique. Alors évidemment, il y a un contexte politique qui est très particulier, qui est celui de l'opération Barkhane. Mais malgré tout... À ce moment-là, on peut dire que la mémoire du débarquement en Provence rentre véritablement dans un cycle commémoratif national d'ampleur plus importante que précédemment.

  • Speaker #1

    À vous écouter, Claire Millon, on se rend compte finalement qu'il y a une question de l'image dans cette mémoire du débarquement, avec une transformation du souvenir à travers les films, et vous évoquez notamment le rôle du film indigène dans cette mémoire du débarquement. Et justement, vous écrivez aujourd'hui, vous publiez à la fois une histoire du débarquement de Provence, mais... Vous avez aussi tenu à le mettre en images, et c'est une des forces de ce livre, c'est aussi une des raisons pour lesquelles on était heureux de vous recevoir, c'est que vous avez choisi de sortir des photographies pour certaines inédites, pour beaucoup méconnues, des fonds de l'établissement de communication et de production audiovisuelle, l'ECPAD, qui fait un important travail de communication sur ces documents, notamment sur les réseaux sociaux, et vous racontez dans le livre comment ces photos d'époque ont aussi été prises par des hommes, dans le débarquement il y a ces soldats, mais aussi ces photographes, vous évoquez le service cinématographique des armées. Le SCA du lieutenant Albert Plessis, qui est lui-même blessé pendant ses combats de Provence, est-ce que vous pouvez nous dire d'où vient cette idée qu'à côté des combattants du débarquement, il faut aussi des photographes, des documentaristes du débarquement ? Pourquoi ce choix d'avoir des hommes qui vont sauvegarder une mémoire photographique du débarquement ? Et quelle est l'histoire de ces hommes ?

  • Speaker #2

    Alors il y a plusieurs questions dans votre question. La première question, c'est effectivement à propos du format un peu original du livre. Alors ça, c'est une suggestion de Nicolas Grappaien, de Passé Composé, qui est venu me voir en me disant, il y a un fond extraordinaire de photographie qui émane justement du service cinématographique des armées. Il faut en faire quelque chose. Alors pas tant pour faire un livre de photos, mais en tout cas pour raconter cette histoire à partir des photographies. C'est un projet qui m'a évidemment séduite parce qu'il ne s'agissait pas de raconter une énième fois le débarquement et la bataille de Provence, mais bien de partir de ces photographies, ce qu'elles montrent, ce qu'elles ne montrent pas, pour raconter ce débarquement en Provence. Alors du coup, ces photographies montrent beaucoup de choses, mais il y a certaines choses qu'elles ne montrent pas. Ce qu'elles montrent, et ça me permettra d'ailleurs de répondre à la deuxième partie de la question, ce qu'elles montrent beaucoup, c'est des scènes de libération. C'est des scènes de communion nationale entre cette armée, en particulier française, débarquée, mais qui vient de l'extérieur d'une part, et la population civile d'autre part, et puis les FFI, les forces françaises de l'intérieur. Donc énormément de photographies qui documentent, qui mettent en scène cette union nationale. Alors ce n'est pas du tout un hasard, puisque ces photographies, elles sont principalement prises par justement ces hommes du SCA. qui sont des militaires, qui sont des photographes, ils sont les deux à la fois, qui suivent l'armée, qui sont engagés et qui doivent documenter véritablement cette bataille de Provence. Mais les instructions sont assez claires, c'est-à-dire qu'il s'agit, et on le sent vraiment bien en fait dans ces reportages, d'exalter justement l'unité retrouvée quatre ans après l'abîme et surtout quelques années après cette division. profonde qu'a connue la France. D'où, au fond, ces photos de liesse, de joie, qui montrent, comme je le disais, la joie, et on voit assez peu de photos montrant la face sombre de la libération, qui pourtant est documentée par ailleurs. Je pense, bien sûr, à l'épuration extra-légale, je pense au règlement de compte, ou encore aux tontes de femmes qui frappent ces soldats qui arrivent en France. Ce que ces photographies ne montrent pas, ou en tout cas peu, ce sont les combats eux-mêmes qui ont été certes de moindre importance qu'en Normandie. La bataille des Haies en Normandie a été terrible. La bataille de Provence à part quelques combats sur lesquels on reviendra peut-être, Toulon et Marseille, se passent relativement bien.

  • Speaker #0

    Mais c'est tout simplement lié au fait qu'il est très difficile malgré tout de prendre en photo une action sur le vif. Donc ça c'est des choses qu'on retrouve de manière assez classique dans les photographies de guerre. En fait si vous regardez en détail on a très très peu de photos prises sur le vif. Parce que justement on est sur le vif dans l'action et qu'il y a un danger imminent. Et c'est pas forcément le moment où on va sortir l'appareil photo ou la caméra. Ce service cinématographique des armées, en fait, il a été créé pendant la Grande Guerre. Ce n'est pas la première fois que l'armée cherche à documenter véritablement ces combats. Ce service, il est créé pendant la Grande Guerre pour ces raisons-là. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est évidemment réactivé, mais il va être divisé entre d'une part Vichy et d'autre part la France libre. Et donc ce SCA en 1944, il est le fruit de... à l'image de l'armée finalement, de la fusion justement de ces services anciennement vichistes d'une part et de services de la France libre.

  • Speaker #1

    Ce qui est aussi intéressant dans votre ouvrage, c'est que vous avez non seulement des photographies françaises, mais pas que. Vous y publiez un certain nombre de photographies prises par les Allemands. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous avez trouvé ces photos ? Et puis illustre-t-elle un autre débarquement de Provence, un autre regard ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, l'avantage d'avoir recours à ce fonds de l'ECPAD, c'est qu'on a accès à ces photoreportages de l'armée française, on a accès aussi à des fonds privés, et en particulier, je pense notamment au fonds ISHAC, qui est un civil, qui n'a pas l'uniforme, mais qui suit les armées françaises et adhère véritablement à la cause, d'ailleurs, ça se voit. Et puis, on a accès... Ce qu'on appelle les fonds allemands. Alors de quoi s'agit-il ? Il s'agit en fait de photographies, de centaines voire de milliers de photographies qui ont été saisies par les Alliés en 1945. Et ces photographies, elles ont été en fait prises par les compagnies de propagande allemandes. Donc ce sont des photographies de propagande. Il faut le dire d'emblée, très nettement, très clairement.

  • Speaker #2

    qui ont été saisies alors qu'elles étaient en France ou en Allemagne ?

  • Speaker #0

    Elles ont été saisies, je crois. Alors ça, c'est une vraie question. Il faudrait demander à le CPAD. C'est une prise de guerre. Donc, en fait, ils ne sont pas toujours très à l'aise avec ça. Je crois en 1945. Mais honnêtement, il faudrait vérifier. C'est une bonne question. Mais voilà, c'est des photographies de propagande. Et on le voit très bien d'ailleurs. C'est extrêmement posé. L'idée étant de montrer la puissance de l'Allemagne nazie. Alors... Alors, est-ce qu'elle montre un autre débarquement ? En fait, elle montre peu le débarquement, voire pas le débarquement. Ce que montrent ces photographies, il y en a beaucoup, c'est la construction du mur de la Méditerranée. Ça, beaucoup. Les Allemands vont documenter, autant qu'ils vont mettre en scène, j'ai envie de dire les deux à la fois, la construction de ce mur de la Méditerranée à partir de novembre 1942, date à laquelle la Wehrmacht envahit la zone sud et donc à partir de là ils vont fortifier le littoral de la riviera parce qu'ils ont tout à fait conscience du fait que la menace peut venir de la méditerranée, ils en ont parfaitement conscience. De la même manière à partir de 1943 ils vont prendre le relais sur l'ancienne zone d'occupation italienne et fortifier aussi ce littoral. Et donc on a ce paradoxe entre ce que j'ai essayé de montrer entre des photographies qui montre une forme de puissance allemande d'une part, et la réalité des faits qui est que ce mur de la Méditerranée est sans commune mesure avec le mur de l'Atlantique. C'est-à-dire qu'il y a des points très solidement fortifiés, c'est le cas de Marseille, c'est le cas des Calanques en particulier, je pense également à la région autour de Hyères, mais il y a des trous dans la raquette, dirait-on aujourd'hui, et c'est d'ailleurs une des raisons qui expliquent le succès du débarquement en Provence. pas le même mur, malgré ce que veulent nous montrer ces photos de propagande.

  • Speaker #2

    Je voudrais vous poser une question, Clermont, sur le contexte géopolitique, parce que vous avez dit que ce combat était plutôt un théâtre secondaire, un théâtre d'opération secondaire, et qu'on savait que la bataille serait jouée à moyen ou à long terme. En ce mois d'août 1944, donc Paris n'est pas encore libérée, est-ce que vous pouvez nous rappeler où se situe le front de Normandie, à quelle distance est-on de Paris ? Et parallèlement à l'Est, les Soviétiques, eux aussi, ont entamé depuis plusieurs mois une contre-offensive. Où se situe le front à l'Est ?

  • Speaker #0

    Alors, au moment du débarquement en Provence, le 15 août, du côté du front normand, après plusieurs semaines d'enlisement, les alliés réussissent à percer ce qu'on appelle la poche de falaise. Donc, ils sont pour le coup à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Ça, c'est pour le front Ouest. Pour le front Est... L'opération Bagration, qui a été lancée le 22 juin 1944, est un succès également. C'est-à-dire qu'en août 1944, les Soviétiques sont aux portes de Varsovie, donc ont largement avancé également. D'où cette idée, encore une fois, qu'à l'échelle de l'Europe, à l'échelle de cette guerre mondiale, le débarquement en Provence a sa place très importante, mais qui reste malgré tout secondaire.

  • Speaker #2

    D'autant plus que les Anglais, eux, ne soutiennent pas forcément un tel débarquement. Et on le voit d'ailleurs dans l'acronyme de cette opération, qui au départ est Anvil et qui est transformée en Dragoon, parce qu'en anglais, Dragoon, ça veut dire contraindre, forcer. Et c'est vrai qu'on a un peu forcé la main de Churchill pour accepter de débarquer en Provence.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Peut-être faut-il revenir très rapidement sur la genèse de cette opération Anvil qui deviendra Anvil-Dragoon. En fait... Elle est décidée en 1943, à l'été 1943, et pensée tout de suite comme étant le pendant méditerranéen à l'opération Overlord. À ce stade, les Britanniques ne sont en fait pas très favorables à une opération directe contre le Reich, donc Overlord. Au contraire, depuis 1941, les Britanniques défendent une stratégie méditerranéenne, c'est-à-dire indirecte. C'est-à-dire qu'ils défendent l'idée qu'il ne faut pas frapper. Le Reich, directement, c'est impossible, c'est trop difficile, mais plutôt opérer là où il est le plus faible, c'est-à-dire dans la zone méditerranéenne. Dans un premier temps, les Britanniques l'emportent dans le rapport de force. Et donc, cela explique le fait que les Alliés débarquent, par exemple, en Afrique du Nord, en novembre 1942, c'est l'opération Torch. Cela explique également que l'on décide de l'opération de débarquement en Sicile, en 1943, et ensuite donc de la campagne italienne. Donc à partir de là, c'est plutôt cette stratégie périphérique qui l'emporte et Overlord, c'est secondaire. Et si Overlord est secondaire, et bien Anvil est secondaire. Sauf qu'à partir de 1942-43, les Américains montent en puissance dans l'Alliance et surtout s'engagent auprès des Soviétiques à ouvrir ce second front dont les Soviétiques ont tant besoin. Et donc petit à petit, discussion, compromis, finalement... les Britanniques comme les Américains s'engagent auprès des Soviétiques pour lancer l'opération Overlord et donc Hanville. Sauf que, problème, entre-temps, les Alliés s'enlisent en Italie en 1943-44. Et donc l'opération, elle est repoussée, elle est même décalée. C'est-à-dire qu'au départ, Overlord et Hanville devaient avoir lieu exactement au même moment. Sauf que là, on voit bien qu'il y a un décalage de plus de deux mois. Et ça, c'est tout simplement parce que... Face aux difficultés en Italie, on est obligé perpétuellement de revoir les plans. Face à ces difficultés en Italie, les Britanniques continuent à pousser leur pion et dire, en fait, renonçons à Anneville. Overlord, c'est impossible d'y renoncer. Renonçons à Anneville et exploitons plutôt l'offensive en Italie et en particulier en Istrie et vers Ljubljana, et donc en fait vers l'Europe centrale et orientale. Et ça, cette option qui est avancée par Churchill au début de l'été 1944, elle va être très vite repoussée. Repoussée par les Américains, repoussée par les Français qui n'acceptent pas l'idée de ne pas être envoyés en France. Et puis en fait, repoussée aussi par une partie des Britanniques et en particulier, pas tant par l'opinion publique, qui ceci dit est de plus en plus francophile, mais par une partie de l'entourage de Churchill qui prend conscience du fait que désormais... Avec le débarquement en Normandie, avec le fait que De Gaulle est très bien accueilli en Normandie, eh bien on ne pourra pas faire sans les Français. Et ce sera impossible de les envoyer en Istrie, en Europe orientale, enfin c'est impossible. Désormais, que ce soit les Britanniques ou les Américains, les deux ont bien conscience, et démonstration est faite en Normandie, qu'au fond, ils ne pourront plus passer des Français, et donc de l'adhésion des Français au projet, si je puis dire.

  • Speaker #1

    Alors vous nous parlez de cette participation des Français, et d'ailleurs vous avez évoqué dès le début de cet entretien le fait que ce débarquement de France était un débarquement franco-français, on pourrait dire à rebours du débarquement de Normandie, où là pour le coup les Français, à commencer par le premier d'entre eux, le général de Gaulle, sont tenus à l'écart de la décision, de l'opération, de Gaulle jusqu'au dernier moment d'ailleurs refusant de prendre la parole pour le soutenir, puis acceptant de s'exprimer à la radio sous la pression de son entourage pour accompagner ce débarquement. Qu'en est-il du débarquement de Provence ? Quelle est la place des Français dans l'organisation logistique, matérielle ? Et puis, qui sont, sans tous les nommer, mais les deux, trois personnages clés qu'on peut retrouver dans votre ouvrage et qui sont les hommes du débarquement de Provence ?

  • Speaker #0

    Sans doute qu'il ne faudrait pas dire que le débarquement en Provence est un débarquement franco-français. Ce serait faux, en fait. C'est faux, pourquoi ? Parce que déjà, cette armée française qui débarque en Provence, elle a été réarmée par les Américains. à partir de la conférence d'Anfa en janvier 1943. Donc de toute façon, c'est du matériel américain. Donc rien que pour ça, ce n'est pas un débarquement franco-français. Ça, c'est le premier élément. Le deuxième élément, malgré tout, c'est que sur les dix divisions qui sont engagées, trois sont américaines, enfin sur les onze avec la division à aéroportée, il y a une majorité, si vous voulez, de divisions françaises, sept. Mais il y a aussi, encore une fois, des divisions américaines, surtout, et quelques unités britanniques. Le général qui commande le front méditerranéen, c'est un général britannique, c'est le général Wilson. Le général qui commande l'opération, alors même que les troupes françaises, en termes d'effectifs, sont plus importantes, c'est le général Patch, qui est un général américain. Pourquoi ? Parce que les alliés ont considéré que les Français n'avaient pas l'expérience suffisante. pour être à la tête des premiers jours du jour J, qui est les opérations de débarquement, les opérations amphibies de la mer vers la terre, sont toujours des opérations extrêmement délicates. Et il a été clairement décidé que les Français n'auraient pas le commandement des troupes au moment du jour J. Et ça, malgré tout, cela montre une forme de subordination des Français au commandement allié. De la même manière, les Français sont... très largement tenues à l'écart des opérations. C'est-à-dire qu'ils ne sont pas du tout dans la boucle et dans la boucle de décision, si je puis dire. Ils sont tenus informés, on écoute avec politesse les suggestions du général de l'âtre de Tassigny, qui est le chef de la première armée française. À cette époque, elle s'appelle armée B. On écoute poliment, mais malgré tout, les décisions sont prises par les alliés et certainement pas par les Français. Mais il est vrai qu'en termes d'effectifs, C'est un débarquement français, à la différence du débarquement en Normandie, où en gros, en Normandie, on a un millier de Français à peu près le jour J. On a beaucoup parlé des 177 hommes du commando Kieffer. Mais en fait, on a oublié effectivement qu'il y avait aussi des Français sous uniforme britannique ou américain. Donc c'est à peu près 1000 hommes. Il faudrait sans doute creuser davantage. Mais malgré tout, c'est 1000 hommes. Voilà, comparé. Aux effectifs de la première armée française, qui atteindront en gros 250 000 hommes, on n'est pas du tout dans le même niveau de proportion.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous pouvez nous dire, justement, pour revenir sur ce point que vous évoquez, comment les Français prennent-ils cette tutelle américaine ? Comment le roi Jean, sur nom de Jean de la Deceisy, comment De Gaulle réagisse à cette mainmise, finalement, des alliés sur le débarquement de Provence ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que les Français réagissent assez mal au fait d'être dans une situation... subalterne, si je puis dire, ils le supportent difficilement, mais malgré le tout, obtiennent un certain nombre de victoires. La première victoire, qui paraît un peu évidente, mais qui est quand même importante, c'est que c'est le général de Gaulle qui choisit quel général français sera à la tête de l'armée de la Libération. Et ça, ce n'est pas si évident, parce que les alliés, les Britanniques et les Américains, auraient préféré le général Juin. Celui qui commandait le corps expéditionnaire français en Italie. Et au fond, ça aurait été relativement logique, puisque l'essentiel des unités engagées en Italie, on va les retrouver en Provence, ça aurait été relativement logique que ce soit le général Juin. Sauf que d'un point de vue politique, le général de Gaulle, qui pourtant est très proche de Juin, il se tutoie, ne peut pas choisir le général Juin. Pourquoi ? Parce qu'il incarne véritablement cette armée d'Afrique, et en particulier cette armée d'Afrique compromise avec Vichy. Juin a attendu un peu trop longtemps avant de se rallier aux alliés au moment de l'opération Torche en novembre 1942. A contrario, le général de l'être de Tassini, dont il ne faut absolument pas faire... un résistant de la première heure, mais malgré tout, le général de Latre de Tassigny a pour lui le fait d'être entré en dissidence à partir de novembre 1942, d'avoir été arrêté par Vichy, d'avoir été jugé par Vichy, de s'être évadé d'une prison de Vichy, d'avoir rejoint Londres, et à partir de là, de s'être mis entièrement à la disposition du général de Gaulle, en se présentant par ailleurs comme, justement, quasiment un représentant de la résistance intérieure, ce qui est très habile d'un point de vue politique. Et donc à partir de là, De Gaulle fait le choix de Latre qui sera sans doute une figure plus acceptable pour la résistance intérieure. Mais encore une fois, il ne s'agit absolument pas d'un résistant de la première heure. Le général de Latre de Tassigny a fait une belle carrière sous Vichy. Il n'a absolument pas à refuser les responsabilités, mais malgré tout, il fait partie des rares... officiers généraux qui sont vraiment entrés en dissidence pour le coup en novembre 1942. Donc voilà, déjà, les Français, c'est-à-dire le général de Gaulle, imposent le choix du chef. Par ailleurs, ce que de Gaulle arrive à imposer, et ce n'était pas gagné, c'est justement que les Français ne soient pas engagés ailleurs qu'en Provence. Or, le CFLN, le Comité français de libération nationale, qui deviendra... À l'été 1944, le gouvernement provisoire de la République française a bien conscience qu'il y a un risque, que ces troupes françaises restent soit en Italie, soit elles aillent justement en Istrie, dans la trouée de Ljubljana, et pourquoi pas à Vienne. Donc déjà ça, c'est une forme de conquête. Mais ça dit la fragilité effectivement de ce quatrième allié dans la coalition.

  • Speaker #2

    Vous avez dit, Claire Miot, que très logiquement les Allemands s'attendaient, préparaient une invasion par la Provence. Même si le dispositif de défense est moins strict qu'en Normandie, le mur de la Méditerranée est beaucoup plus lâche que le mur de l'Atlantique, pourtant les Français et les autres troupes débarquent, et on est assez surpris par la rapidité de la progression et le peu de résistance qu'ils rencontrent. Comment est-ce qu'on explique cela ? Sans revenir sur toute la chronologie de ces 15 jours de libération, est-ce qu'on peut redire les principales étapes de la progression des troupes ?

  • Speaker #0

    Oui, alors effectivement, pour revenir à ce que vous évoquiez, cette défense allemande est relativement faible. Alors pourquoi elle est faible ? Tout simplement parce que les bombardements, la préparation en termes de bombardement des alliés a considérablement affaibli ce mur de la Méditerranée qui déjà présentait un certain nombre de difficultés, de faiblesses. Donc ça, c'est un premier élément. Le deuxième élément, c'est que les unités... qui sont destinées à défendre le littoral méditerranéen côté allemand sont en fait des unités qui présentent un certain nombre de faiblesses, soit des hommes très jeunes, soit au contraire des combattants plus âgés, un certain nombre de troupes étrangères également, dont la loyauté est sujette à discussion côté allemand. Tout cela fait que cette résistance allemande est relativement limitée. Pour autant, ponctuellement, il y a des combats qui sont malgré tout difficiles. Mais il est vrai qu'encore une fois, les Alliés ont la supériorité à la fois en termes aériens et puis également tout simplement sur le terrain pour les raisons que j'ai évoquées. Donc, pour résumer, ça veut dire que dès le soir du 15 août, très rapidement, les Alliés ont atteint ce qu'on appelle la ligne bleue, c'est-à-dire qu'ils ont atteint leurs objectifs. Ils ont réussi véritablement à établir ce qu'on appelle cette tête de pont. là aussi qui fait partie des choses les plus délicates à faire dans une opération amphibie. L'enjeu, c'est d'établir cette fameuse tête de pont, et ça, ils y arrivent. Et donc à partir de là, au moment où la deuxième vague de débarquement a lieu, le 16-17 août 1944, au sein de laquelle on retrouve l'essentiel des forces françaises, eh bien, là aussi, le front est relativement stabilisé. Et en fait, on se rend compte qu'on peut aller plus vite que prévu. On peut aller plus vite que prévu. C'est le choix que fait d'ailleurs le général de l'être de Tassigny. Il revenait aux Français de prendre Toulon et Marseille. Or, il s'agit des deux villes qui seront défendues, puisque dès le 16 août 1944, Hitler ordonne à ses troupes stationnées dans le sud de la France la retraite. Cet ordre, en fait, les troupes vont le recevoir plus tard. Mais toujours est-il que très vite, Hitler a conscience du fait qu'il ne pourra pas tenir les deux fronts. Donc, ordre de retraite. à l'exception des troupes qui tiendront Toulon et Marseille, parce que pour le coup, Hitler a bien compris que ces deux ports étaient essentiels pour le front européen. Et donc, malgré tout, ce sont les Français qui vont devoir libérer Toulon et Marseille, et ils ont bien conscience, le général de l'âtre de Tassigny a bien conscience du fait qu'il s'agira de batailles acharnées. D'où l'idée pour de l'âtre d'aller le plus vite possible, justement pour éviter... que la défense allemande se réorganise, etc. Et finalement, il réussit à convaincre le général Patch de récupérer une partie de ses troupes qu'il lui avait confiées, bref, de lancer l'opération sur Toulon et sur Marseille au même moment, plus vite que prévu. Et donc, à partir du 19 août 1944, donc on est au fond à débarquement plus de deux jours pour les troupes françaises, puisque l'essentiel de ces troupes françaises ne débarquent que le 17 août. de Latre de Tasigny lance les hostilités vers Toulon et vers Marseille.

  • Speaker #1

    Pour rester dans cette chronologie, le 20 août suivant, Patch, dont vous évoquiez le nom, qui est donc l'officier américain, engage les combats à l'Est, la remontée vers la trouée du Rhône. Toulon tombe le 26, Marseille le 28 août. Donc on a finalement une libération de la Provence assez rapide dans l'espace de deux semaines. Comment réagit la population ? Vous évoquiez tout à l'heure le rôle des résistants français, des FFI. Il y a aussi dans cette période des insurrections, des grèves générales. des manifestations spontanées de Français qui veulent accueillir et aider à libérer ces villes. Quelle est finalement l'attitude des Français de métropole et de Provence face à ce débarquement ?

  • Speaker #0

    Ce qui est sûr, c'est que depuis le débarquement en Normandie, la population est en état d'alerte. La population française et d'ailleurs les troupes allemandes. Donc, depuis juin 1944, effectivement, on sent un certain nombre d'éléments au sein de la population française. Vous avez de très nombreux... résistants ou futurs résistants qui font leur montée au maquis, c'est-à-dire qu'ils vont quitter les centres-villes pour rejoindre le massif de la Sainte-Baume, par exemple, le massif de la Sainte-Victoire, les monts du Luberon, pour, au fond, préparer quelque chose. Alors, quoi ? On ne sait pas encore, mais en tout cas, de préparer ce débarquement que l'on sent, que l'on pressent. Par ailleurs, dans les villes, un certain nombre d'appels... à la mobilisation, à la grève générale ont lieu. C'est le cas à Marseille. En fait, à Marseille, il y a des mouvements sociaux depuis le printemps 1944. Ces mouvements, ces grèves, elles ont été interrompues par les bombardements alliés qui sont extrêmement importants en mai 1944. Mais au fond, la mobilisation de la population n'a jamais véritablement faibli. Toute la question, pour la résistance intérieure, c'est la question de l'insurrection. Sachant... que le général de Gaulle, depuis 1942, appelait à une insurrection. Mais il l'appelait à une insurrection presque symbolique, dans cette idée qu'au fond, la France doit être libérée par les Français. Symbolique pour de Gaulle, qui craint en fait que trop prématurée, l'insurrection n'entraîne des représailles très importantes contre la population. Et de fait, l'histoire lui donne raison, le verre-corps, c'est exactement cette histoire-là. Donc, en fait, de Gaulle... n'est pas favorable à une véritable insurrection. Parce qu'il redoute des représailles et puis parce qu'il redoute aussi une prise de pouvoir du Parti communiste. Parti communiste qui est très important à Marseille en particulier. Et donc il y a une vraie inquiétude de la part de De Gaulle d'une part et des cadres de l'armée régulière dont tous ne sont pas communistes, c'est le moins qu'on puisse dire, vis-à-vis au fond d'une commune, d'une nouvelle commune. Cette inquiétude existe aussi pour Paris. De Gaulle aurait dit à Leclerc je ne veux pas d'une nouvelle commune, foncez vers Paris L'a-t-il dit exactement ? Nul ne le sait, mais ce n'est pas impossible qu'il l'ait fait en tout cas. Ce que je ne sais pas non plus, et à quoi il est difficile au fond de répondre, c'est quelle est la part de réelle peur du rouge, pour dire les choses. De Gaulle met beaucoup en scène dans ses mémoires de guerre le péril communiste. Le fait que Marseille était à deux doigts de basculer dans la dictature communiste, je reprends les termes du général, on sait qu'il s'agit aussi par là de justifier sa légitimité. Mais il n'est pas impossible malgré tout que le corps des officiers ait profondément travaillé par un anticommunisme que l'on retrouve d'ailleurs dans l'entre-deux-guerres, enfin c'est vraiment pas nouveau, et par une véritable inquiétude face à cette insurrection. De fait, à Marseille, cette insurrection est lancée dès le 19 août 1944 par un appel à la grève générale. Pour autant, la résistance intérieure à Marseille, y compris la résistance communiste, est divisée sur cette question-là. Parce qu'elle a bien conscience, une partie de cette résistance a bien conscience, que face à des troupes solidement retranchées au cœur même de la ville, les garnisons sont au cœur même de la ville, Il y a des batteries installées sur les îles du Frioul au large de Marseille. Enfin, voilà, ils ne sont pas fous, ils se rendent bien compte que le rapport de force n'est pas très favorable à la résistance intérieure. Et donc une partie même de la résistance intérieure est divisée sur cette question de l'insurrection. Mais les choses, évidemment avec le débarquement en Provence, les choses s'accélèrent. Appel à la grève générale le 19 août, deux jours plus tard la préfecture est prise, les autorités de Vichy se rendent sans effusion de sang. Le comité départemental de la Libération s'installe à la préfecture. Raymond Aubrac arrive, commissaire de la République. Et donc à partir de là, la ville se couvre de barricades. Sauf que la population est extrêmement vulnérable. De son côté, Delattre... ordonne, ordonnerait au général Gualard de Montsaber qui se dirige vers Marseille de stopper l'avancée. Justement parce qu'il attend de voir ce qui se passe dans Marseille. Il redoute encore une fois une insurrection, des troubles, etc. Et puis finalement, comme des résistants passent les lignes et viennent voir l'armée régulière en disant en fait on a besoin de vous et bien finalement... Le général de Montsaber lance l'offensive et les premières troupes de l'armée régulière entrent dans les faubourgs de Marseille le 23 août au soir, il me semble, ou le 24 au matin, le 23. Et donc s'en suit quelques cinq jours de combats acharnés dans la ville jusqu'à la libération de la ville le 28 août. On a une logique un peu similaire à Toulon où les résistants de l'intérieur préparent là aussi le terrain, c'est-à-dire vont harceler. les troupes ennemies dans la ville et vont désorganiser complètement la défense. En revanche, on n'a pas une insurrection au sens de participation massive de la population civile au combat à Toulon. C'est plutôt l'affaire des résistants de l'intérieur. On n'a pas ces images de barricades telles qu'on peut les avoir dans Marseille et que le livre montre bien. Il y a des très belles photos montrant des barricades qui ressemblent beaucoup à celles qu'on a pu voir à Paris à la même époque. Toulon, c'est une aide non négligeable, il faut bien le dire, de la résistance intérieure à l'armée régulière.

  • Speaker #1

    Et c'est un cas vraiment particulier à Marseille et Toulon. On découvre dans le livre qu'à Nice, par exemple, où les armées américaines se sont également arrêtées, je ne parle pas de votre contrôle, mais aux portes de Nice et où il y a eu une insurrection populaire, là, les Allemands ont fait retraite puisqu'ils n'avaient pas l'ordre, contrairement à Marseille et Toulon, de tenir la ville. Ils partent en retraite et la ville est ensuite libérée. par sa population avec l'appui des Américains quelques jours plus tard.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. En réalité, du côté de l'Est de la côte méditerranéenne, en fait, ce que montrent les historiens et les historiennes, c'est que les Alliés n'ont pas vraiment de plan pour cette partie-là. Ce n'est pas très clair de ce qu'on va faire. Ce n'est pas très clair si on va pousser jusque vers les Alpes, jusque vers la frontière italienne. Et c'est à partir du 20 août, justement, que le général Patch ordonne... à ces troupes de progresser également en direction de Nice. Mais en réalité, elles ne doivent pas aller jusqu'à Nice. Elles doivent s'arrêter sur les rives du fleuve Le Var. Et au fond, pendant ce temps-là, a lieu cette insurrection à Nice dont on a effectivement des très jolies photographies. À ce moment-là, de toute façon, les troupes allemandes se retirent, comme elles le feront d'ailleurs à Lyon au début du mois de septembre. Donc il n'y a pas de véritable combat à Nice. une insurrection assurément.

  • Speaker #1

    Et on découvre d'ailleurs dans le livre, pour filer ce que vous nous racontez, sur cette désorganisation du front Est en Provence, que Patch décide d'avancer parce qu'il croit au début à la possibilité d'une contre-offensive et il tient une espagne de ligne de défense sur sa droite. Et finalement, c'est apprenant que les Allemands sont en retraite, qu'il décide de pousser son avantage et qu'encouragé par ses officiers suvalternes, il va de plus en plus loin. Mais on a un petit peu l'impression que c'est au jour à jour. Et au vu des positions allemandes qui évoluent, que le front se dessine et que la trouée se fait ensuite à partir du 20 août vers Lyon ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. C'est-à-dire que pour l'Est, il n'y a pas véritablement de plan. Il s'agit surtout d'éviter que des troupes allemandes arrivent en renfort de l'Italie, même de cette région. En revanche, effectivement, il a été prévu très vite une progression vers la vallée du Rhône. Ça, c'est effectivement les choses qui ont été prévues de cette manière-là. En revanche, il y a vraiment une forme d'improvisation. pour la libération de Nice et pour la progression vers les Alpes.

  • Speaker #2

    Vous avez dit que cette progression, Clermieux, elle se fait assez rapidement. On peut donner quelques dates. Les Allemands évacuent Lyon le 2 septembre, Dijon est libéré le 11, et le 12, Delattre fait la jonction avec Leclerc. Donc ça va quand même assez vite. Comment se fait ensuite l'administration de la zone libérée ? Est-ce que les troupes régulières qui ont progressé, elles sont quand même restées pour administrer la zone ? Est-ce que ce sont... les civils et la résistance intérieure qui ont pris le contrôle. Et en fait, est-ce qu'il y a une rivalité entre les deux ? Parce qu'on sent parfois poindre un peu une tension. Après la libération de ces villes, il y a des cérémonies, des scènes d'allégresse, des parades. Mais après, une fois la victoire obtenue, comment se fait l'administration au quotidien et la rivalité éventuelle entre les troupes régulières et les forces de résistance ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, au fond, toute la question, c'est celle de qu'est-ce qui se passe à libération plus deux heures ? Et c'est une question qui est très importante, c'est-à-dire que là aussi, que ce soit les alliés ou les Français de l'extérieur, c'est-à-dire le GPRF, le gouvernement provisoire de la République française, toute la question est de savoir s'il va y avoir des insurrections, une prise de pouvoir des communistes, des troubles, etc. En fait, ce dont se rendent compte très rapidement les Américains, c'est que ça se passe bien. C'est-à-dire qu'à part quelques cas évidemment plus problématiques, eh bien, les comités départementaux de libération ou les comités locaux de libération prennent, je dirais presque tranquillement, le pouvoir, administrent. Et au fond, les militaires n'ont pas à s'ingérer dans les affaires publiques. Les militaires américains, certainement, mais aussi les Français. C'est-à-dire qu'encore une fois... Ce que montrent les sources, c'est que De Gaulle avait anticipé des éventuels débordements et avait prévu que des troupes régulières fassent des opérations de maintien de l'ordre. Sauf que ce ne sera pas le cas, à part, encore une fois, dans des cas très particuliers. En fait, le rétablissement de la légalité républicaine, le rétablissement de l'ordre, se fait relativement bien et relativement facilement. Par exemple, le général Brosset à Lyon donne très vite le pouvoir aux civils. Le général de Montsaber, qui est le commandant d'armes de Marseille, là aussi donne très rapidement le pouvoir à Raymond Aubrac, tout en disant que quand même c'est un petit peu le chaos. Mais en fait, quand on lit les carnets du général de Montsaber, on se rend compte qu'il n'est pas inquiet pour l'ordre public. Il y a effectivement quelques débordements que j'ai évoqués, ces règlements de comptes, ces exactions. Mais on peut dire qu'au fond, les militaires n'auront pas de fonction politique, tout simplement, un, parce qu'ils ne le veulent pas, et deux, parce qu'en fait, la question ne se pose pas, grosso modo. Encore une fois, mis à part quelques exceptions.

  • Speaker #1

    Une dernière question, Clermion. On a suivi avec vous tout au long de cette émission, finalement, les conditions de préparation, le débarquement, sa suite. On a évoqué un petit peu le sujet de la mémoire. C'est aujourd'hui le 80e anniversaire de ce débarquement. Vous avez rappelé d'ailleurs... l'importance qu'avait donnée le président Hollande dans son temps au moment du 70e anniversaire ? Est-ce qu'il y a des choses particulières qui sont prévues cette année ? Vous pouvez nous parler et parler aux éditeurs. Et puis, quelle est la place de ce débarquement dans toutes les grandes commémorations qui sont organisées ? Il y a une commission nationale qui suit ce 80e anniversaire. Il y a un musée, le musée du Mont-Faron, si je ne m'abuse, qui est dédié à ce débarquement. Quel est l'environnement mémoriel et vers quoi on peut inviter les auditeurs qui s'intéresseraient ? En plus de leur commander de lire votre lire, vers quel site, vers quel musée on peut les orienter en vue de ce 80e anniversaire ?

  • Speaker #0

    Alors effectivement, le lieu de mémoire du débarquement en Provence, c'est le mémorial du Mont-Faron, qui a été inauguré en 1964 par le général de Gaulle. C'est refait récemment, justement, dans la continuité du 70e anniversaire du débarquement en Provence. Donc c'est vraiment un des lieux. de mémoire de ce débarquement en Provence. Mais il est vrai que, contrairement à la Normandie, les lieux de mémoire sont beaucoup plus discrets en Provence. Vous avez ça et là un certain nombre de plaques, plus ou moins discrètes. Je pense notamment à cette plaque en hommage aux commandos qui ont pris pied au Cap-Nègre aux premières heures du 15 août 1944, ces commandos français. Voilà, vous avez une plaque au Cap-Nègre, je pense à une stèle en hommage au tirailleur algérien à Pierre Feuduvar, je pense à un certain nombre de nécropoles, notamment la nécropole de Luyne, je pense à la nécropole également de Draguignan. Mais c'est vrai que cette mémoire, elle est beaucoup plus discrète qu'en Normandie, indéniablement. Concernant les commémorations du 80e anniversaire, je suis dans l'expectative comme vous, c'est-à-dire que la question qu'on peut se poser c'est est-ce que le président de la République au fond s'inscrira dans le chemin qui a été à mon avis tracé par le président Hollande en 2014, c'est-à-dire de faire de la commémoration du débarquement en Provence un moment où on va d'une part célébrer le lien. qui unit la France à ses anciennes colonies. Là, on voit bien que le contexte international rend les choses un tout petit peu difficiles, puisque la France est en train de se désengager d'Afrique, donc à voir. Et l'autre élément qu'avait mis également en place le président Hollande à l'époque, c'était au fond d'appeler les jeunes, en particulier issus de l'immigration nord-africaine et d'Afrique subsaharienne, à être fiers de leur histoire, en exaltant justement... le rôle commis par cette France. Alors les termes sont toujours un peu les mêmes, bigarrés, venant d'horizons très très différents, etc. Pour le coup, on verra si cette trame-là, au fond, elle est suivie par le président Macron. Est-ce que aussi, ce qu'on retrouvait beaucoup avec Hollande en 2014, ce discours aussi sur l'unanimité, ce qui est au fond une thématique très gaullienne. de la Provence comme lieu d'unité entre la population, son armée régulière, mais aussi les FFI. Les défilés militaires que l'on peut voir le 29 août 1944 à Marseille, c'est vraiment pour montrer la fusion entre armée des ombres, armée régulière, population. Et ce que là, cette thématique va apparaître, font la Provence comme lieu de retrouvailles des Français qui étaient divisés jusque-là. On verra, le contexte politique et international rend les choses, à mon avis, un peu ouvertes, alors qu'il est.

  • Speaker #2

    Je précise que nous enregistrons, Clermieux, cet entretien en juillet. Donc c'est pour ça que nous verrons effectivement ce qu'il en sera dans un mois. Merci beaucoup, Clermieux, d'avoir participé à notre émission. Je rappelle le titre de votre livre, Le débarquement de Provence, août 1944, aux éditions Passé Composé. C'est une coédition avec le ministère des Armées. Et je te remercie, Pierre Malenti, d'avoir participé, toi aussi comme présentateur. Et je dis à nos auditrices et nos auditeurs qu'ils te retrouveront très prochainement pour d'autres numéros.

  • Speaker #1

    C'est avec plaisir.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup à vous tous d'avoir écouté ce nouvel entretien, le premier de la quatrième saison de Coineuf en histoire. Et je serai ravi de vous retrouver prochainement pour un nouvel épisode. Merci.

  • Speaker #3

    Bonjour à tous !

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