Speaker #0Regards sur la poésie française du XVIe siècle jusqu'à nos jours. Qu'est-ce que la poésie ? On m'a souvent posé cette question et je n'ai jamais trouvé de réponse satisfaisante. Il existe des centaines de livres consacrés à la poésie, à la littérature. Les plus grands éditeurs, Gallimard, Nathan, Hachette, Segers, Bordas et bien d'autres, ont imprimé des... anthologies, des langues et littératures, des littératures du XVIe, du XVIIe, XVIIIe, XIXe siècle, etc., où ont été soigneusement choisis certains grands textes, bien sûr, des plus grands auteurs, évidemment, sur lesquels professeurs et élèves de toutes les écoles, de six ans à l'université, bâtiront, sans pouvoir en discuter le bien fondé, leur culture littéraire. C'est ce que le jeune Rimbaud dénonçait déjà en 1871 à 16 ans, lorsqu'il reprochait à Isambard, son professeur et ami qui venait d'accepter un poste d'enseignant à l'université, d'avoir regagné l'ornière du râtelier universitaire. C'est ainsi que, de génération en génération, ont été transmises les mêmes comptines, les mêmes chansonnettes, les mêmes poèmes. et qui ont été oubliés ou ignorés, hélas, bien d'autres chefs-d'œuvre, rejetés et mis de côté trop longtemps, pour causes plus ou moins idéologiques ou politiques, suivant les époques, au gré de critiques éclairées, et même, disait volontiers Rimbaud, selon la volonté de milliers d'imbéciles, des académiciens en tête. En fait, on ne se posait pas de questions. Comme de coutume, Les institutions officielles et pédagogiques faisaient le tri et imposaient leur choix d'auteurs et de textes sans discussion. Soyons justes. Depuis quelques années, il nous est possible de redécouvrir des trésors cachés et avec les nouveaux moyens de communication qui se multiplient aujourd'hui à longueur d'année, de les partager le plus simplement du monde avec nos proches. Je ne me suis pas privé de ce plaisir. Ainsi, poussé avant tout par un fort penchant éclectique et la conviction d'offrir des mets variés et de qualité, faciles à digérer, me fie en volonté à une sage recommandation de Montaigne, « Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux » . Pour être le plus clair possible, j'ai tout simplement suivi l'ordre chronologique que l'on est habitué à trouver dans tout manuel de littérature française. dans la prestigieuse collection Gallimard, par exemple. Je me suis donc permis d'enregistrer une petite anthologie personnelle de ce qu'on peut considérer comme de la grande poésie francophone. Mais, n'en déplaise à ceux qui, comme Valéry ou Yves Bonnefoy, ont exprimé leur agacement pour une telle initiative, qu'ils estimaient plus ou moins prétentieuse, sous prétexte que le texte écrit par le poète était sacré, et qu'il ne supportait aucune interprétation, je tiens avant tout à attirer votre attention sur deux ou trois points majeurs. Pour illustrer ces commentaires, je me suis permis de dire des poèmes. D'abord, par respect de la tradition, à la manière de l'Iliade et l'Odyssée, la poésie a depuis ses origines, dans l'Antiquité pour ce qui concerne le monde méditerranéen, au XIIe et XIIIe siècle chez nous, La poésie a été écrite, puis chantée par les Trouverts et les Troberits, la seule femme connue dont on n'a retrouvé qu'un seul chant s'appeler Azalaïs. Poésie chantée, donc, en langue d'Oc pour ces Troberits et ces Trouverts des régions du Sud et en langue d'Oil pour les Troubadours et Trouveresses des régions du Nord de l'Europe. Elles et ils propageaient ainsi de château en château. Par ce premier média, avec accompagnement musical des instruments de l'époque, vielles, harpes, cornemuses, aubois et bien d'autres instruments, les valeurs de la société courtoise, bien connue sous le nom de finamore. L'amour courtois, ou finamore en occitan, est une expression désignant au Moyen-Âge la façon d'aimer avec courtoisie, respect. respect et honnêteté, ça ou son partenaire, dans le but commun d'atteindre la joie. Joy, en occitan, est le bonheur. Deuxième raison de dire, la lecture ou le dit que les diseurs, on les appelle aussi les passeurs, font de chaque texte, ne se veut être qu'un moyen pour attiser le désir d'aller à la découverte des auteurs et des œuvres, entendre Valéry ou Bonnefoy lire de façon totalement attirante. platones, inexpressives, les plus beaux poèmes et la meilleure façon de dégoûter à jamais de la poésie. Et enfin, on sait que toute lecture est plurielle, que chacun y trouve et exprime le monde qu'il souhaite ou qu'il craint, qu'il accepte ou qu'il rejette, nos goûts évoluant tout au long de notre vie, tant il est vrai qu'on ne se baigne jamais dans le même fleuve. Alors je revendique simplement. le droit et le plaisir de profiter de cette possibilité. Le lecteur et l'auditeur auront toujours la possibilité de préférer le silence. Malgré tout, j'ai dû, pour faire au plus court, laisser de côté la littérature médiévale qui a si largement nourri et marqué de son empreinte du XVe jusqu'à nos jours toute la poésie française. Songeons ! à Charles d'Orléans, Christine de Pizan, Ruth Boeuf et François Villon. De même, un siècle plus tard, toute la littérature de la Renaissance, l'époque de Marguerite d'Angoulême. Marguerite d'Angoulême, sœur de François Ier, a réuni autour d'elle toutes celles et ceux qui contribueront au rayonnement des grands mythes humanistes de cette période. Première humaniste, première féministe aussi. Elle a postulé Merci. l'égalité des talents de l'homme et de la femme. Elle a su aider et protéger celles et ceux dont les noms et les heures nous sont restés en mémoire. Clément Marot, Maurice Sèvres, et bien sûr Pernette Duguillet, Élisène Lecrenne et Louise Labbé, nées en 1526. Dans le prolongement de cet humanisme bouillonnant qu'elle illustre parfaitement, et avant d'ouvrir largement la... porte officielle du XVIe siècle, écoutons-la chanter l'amour et la vie dans ce très beau poème. Du mignard lutte pour tes grâces chanter, Tant que l'esprit se voudra contenter De ne vouloir rien, fort que toi comprendre, Je ne souhaite encore point mourir. Mais quand mes yeux je sentirai ta rire, Ma voix cassée et ma main puissante, Et mon esprit en ce mortel séjour Ne pouvant plus montrer signe d'amante, « Rire et la mort, noircir, mon plus clair jour. » Le XVIe siècle, de Ronsard et de Dubelet, a hérité de cette voix de toute cette culture de cour, où le sentiment, l'émotion, la galanterie priment avant tout. Voici un exemple plus connu de ce qui a toujours été considéré jusqu'à nos jours comme de la poésie lyrique. Ce lyrisme, né au Moyen-Âge, nous alléguait la métrique, encore utilisée de nos jours, et surtout ce don des images qui est la marque des grands poètes, de Rudeboeuf à Villon à Ronsard, Baudelaire à Pauliner, Éluard ou Saint-Jaune-Perse, et bien d'autres. Voici comme on voit sur la branche de Ronsard, deuxième moitié du XVIe siècle. Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose, en sa belle jeunesse. En sa première fleur, rendre le ciel jaloux de sa vive couleur, Quand l'aube de ses pleurs au point du jour la rose, La grâce dans sa feuille et l'amour se repose, Embaumant les jardins et les arbres d'odeur, Mais battue de pluie ou d'excessive ardeur, Languissante, elle meurt, feuille à feuille d'éclose. Ainsi en ta première et jeune nouveauté, Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté, La parque tatuée, et cendres tu reposes. Pour obsèques reçoit mes larmes et mes pleurs, Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs, Afin que, vif et mort, ton corps ne soit que rose. Et aussi ce sonnet dans lequel s'inscrit déjà le style de Guillaume Apollinaire. Marie qui voudrait votre beau nom tourner. Marie qui voudrait votre beau nom tourner, il trouverait aimer. Aimez-moi donc, Marie. Faites cela vers moi dont votre nom vous prie. Votre amour ne se peut en meilleur lieu donner. S'il vous plaît pour jamais un plaisir démené, aimez-moi, nous prendrons les plaisirs de la vie pendus l'un l'autre au col, et jamais nulle envie d'aimer en d'autres lieux ne nous pourra mener. Si, faut-il bien aimer au monde quelque chose ? Celui qui n'aime point, celui-là se propose une vie d'incite, et ses jours veut passer sans goûter la douceur. Des douceurs, la meilleure. Hé ! qu'est-il rien de douce en Vénus ? Lasse, à l'heure que je n'aimerai point, Puis-je trépasser ? On arrive donc au XVIIe siècle. C'est l'époque du roi Soleil, Auquel aucun écrivain ou musicien et tout autre artiste, Architecte, sculpteur ou jardinier paysagiste, Ne devait déplaire s'il voulait vivre de son art. Les mécènes, tout comme le roi, avaient leur caprice. De cette époque, dite classique, on a à peine retenu les noms de malherbes, Ménard, Racan, Théophile, Tristan ou Saint-Amant, tous reconnus pourtant comme d'extraordinaires maîtriciens, formalistes, c'est vrai, mais tellement corsetés et ennuyeux que nous n'arrivons plus à nous y intéresser. Les poètes du XVIIe... Non c'est ce que raide en ergotant sur la longueur des vers, la fameuse métrique, ou la valeur des rimes. Il faut se faire une raison. Tout comme en architecture, les modes passent et il ne reste que les règles qui ont permis de bâtir les grands monuments, qui, seuls, ont résisté au temps. La poésie dont on se souvient, à compter du milieu du XVIIe, c'est celle de Corneille et de Racine. Les plus beaux textes lyriques de Racine étant réservés à ses grandes héroïnes, Phèdre, Hermione, voici la tirade du Cid de Corneille. Nous partîmes cinq cents, mais par un pont à Anfort nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. Tant à nous voir marcher avec un tel visage, les plus épouvantés reprenaient de courage. J'en cache les deux tiers aussitôt qu'arrivés dans le fond des vaisseaux qui leur furent trouvés. Le reste, dont le nombre augmentait à toute heure, brûlant d'impatience autour de moi demeure, se couche contre terre et sans faire aucun bruit, passe une bonne part d'une si belle nuit. Par mon commandement, la garde en fait de même et, se tenant cachée, aide à mon stratagème. Et je fais hardiment d'avoir reçu de vous l'ordre qu'on me voit suivre et que je donne à tous. Cette obscure clarté qui tombe des étoiles, enfin, avec le flux, nous fait voir trente voiles. L'onde s'enfle dessous et d'un commun effort les morts et la mer montent jusque aux ports. On les laisse passer. Tout leur paraît tranquille, point de soldats au port, point au mur de la ville. Notre profond silence abusant leurs esprits, ils n'osent plus douter de nous avoir surpris. Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent et courent se livrer aux mains qui les attendent. Nous nous levons alors, et tous en même temps, poussons jusque au ciel, mille cris éclatants. Les nôtres, à ces cris, de nos vaisseaux répondent. Ils paraissent armés, les morts se confondent, l'épouvante les prend à demi-descendus. Avant que de combattre, ils s'estiment perdus. Ils couraient au piège et rencontrent la guerre. Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang avant qu'aucun résiste ou reprenne son rang. Évidemment, il est tout à fait impossible de quitter cette grande époque sans citer La Fontaine qui a su parfaitement jouer avec les règles et toutes les variations élaborées par les ergoteurs cités précédemment, pour nous régaler de ces fables fidèles miroirs de la société de son époque. derrière les habits ou les masques, il est bien sûr question de Louis XIV, de la haute noblesse, des grands, qui ayant sur eux un pouvoir absolu, Vivaient aux dépens des petites gens sans défense, des paysans, artisans, petits bourgeois. Voici le loup et l'agneau, le Jean de La Fontaine. La raison du plus fort est toujours la meilleure. Nous l'allons montrer tout à l'heure. Un agneau se désaltérait dans le courant du nom de cure. Un loup survient à Jeun qui cherchait aventure. et que la fin en ces lieux a tiré. « Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? » dit cet animal plein de rage. « Tu seras châtié de ta témérité. » « Si, répond l'agneau, que votre majesté ne se mette pas en colère, mais plutôt qu'elle considère que je me vats désaltérant dans le courant plus de vingt pas au-dessous d'elle, et que, par conséquent, En aucune façon je ne puis troubler sa boisson. « Tu la troubles, repris cette bête cruelle, et je sais que de moi tu médis l'an passé. » « Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? » reprit l'agneau. Je t'aide encore ma mère. « Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. » « Je n'en ai point. » « C'est donc quelqu'un des tiens, car vous ne m'épargnez guère, vous, vos bergers, vos chiens. » On me l'a dit, il faut que je me venge. Là-dessus, au fond des forêts, le loup l'emporte et puis le mange, sans autre forme de procès. La Fontaine est certainement celui qui a trouvé le vocabulaire le plus riche et le plus varié du siècle et en même temps une invention rythmique harmonieuse grâce au maniement des figures, des allitérations. Les enjambements déjà, les apostrophes, combinés à une métrique variée dont le mouvement crée l'univers poétique, comme dans Le Coche et la Mouche. Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, et de tous les côtés au soleil exposé, six forts chevaux tiraient un coche. Femmes, moines, vieillards, tout était descendu. L'attelage suait, soufflait et rendut. Une mouche survient et des chevaux s'approchent, prétend les animer par son bourdonnement, pique l'un, pique l'autre et pense à tout moment qu'elle fait aller la machine, s'assier sur le timon, sur le nez du cocher. Aussitôt que le char chemine et qu'elle voit les gens marcher, elle s'en attribue uniquement la gloire. Va ! Viens, fais-l'empresser, il semble que ce soit un sergent de bataille allant en chaque endroit faire avancer ses gens et hâter la victoire. La mouche, en ce commun besoin, se plaint qu'elle agit seule et qu'elle a tout le soin, qu'aucun aide aux chevaux à se tirer d'affaire. Le moine disait son prévière, il prenait bien son temps. Une femme chantait, c'était bien des chansons qu'alors il s'agissait. Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles et fait sans sottise pareil. Après bien du travail, le coche arrive au haut. « Respirons maintenant, » dit la Mouche aussitôt. « J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine. Ça, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine. » Ainsi, certaines gens, faisant les empressés, s'introduisent dans les affaires, ils font partout les nécessaires, et partout un portain devrait être chassé. Ils se moquent des empressés et de tous ceux qui pensent être indispensables, alors qu'ils ne sont qu'agaçants et inutiles. Extraordinaire comédie humaine, en partie héritée de la littérature mère dont est issue notre langue. La littérature latine de Virgile, de Phèdre, d'Ovide ou des contes grecs d'Ésope qui lui inspira entre autres le Héron. Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où... Le héron au long bec en manchait d'un long coup. Il côtoyait une rivière. L'onde était transparente ainsi qu'au plus beau jour. Macomère la carpe y faisait mille tours avec le brochet, son compère. Le héron en eut fait aisément son profit. Tout s'approchait du bord. L'oiseau n'avait qu'à prendre. Mais il crut mieux faire d'attendre qu'il eût un peu plus d'appétit. Il vivait de régime et mangeait à ses heures. Après quelques moments, l'appétit vint. L'oiseau, s'approchant du bord, vit sur l'eau des tanches qui sortaient du fond de ses demeures. Le mai ne lui plut pas, il s'attendait à mieux, et montrait un goût dédaigneux comme le rat du bonheur as. « Moi, détanche, dit-il, moi, héron, que je fasse une si pauvre chair, et pour qui me prend-on ? » La tanche rebutée, il trouva du goujon. « Du goujon ? C'est bien là le dîner d'un héron. J'ouvrirai pour si peu le bec, ô Dieu ne plaise ! » Il l'ouvrit pour bien moins, tout à la de façon qu'il ne vit plus aucun poisson. La fin le prit, il fut tout heureux et tout aise de rencontrer un limaçon. « Ne soyons pas si difficiles, les plus accommodants, ce sont les plus habiles. On hasarde de perdre en voulant trop gagner. Gardez-vous de rien dédaigner. »