- Speaker #0
Bienvenue dans Science NUM, le podcast de Télécom Sud Paris, grande école d'ingénieurs du numérique et qui fait partie de l'Institut Polytechnique de Paris. Je suis Annick Dechenet. Dans ce podcast, je reçois des chercheurs et des chercheuses pour qu'ils nous exposent leurs travaux et leurs découvertes. L'idée est de partager avec toutes et tous les savoirs qui sont produits dans les laboratoires de recherche. Aujourd'hui, mon invité est Sofiane Bellassène, il est expert en électronique et en photonique. Bonjour Sofiane.
- Speaker #1
Bonjour Annick.
- Speaker #0
Alors pour commencer, on aimerait mieux vous connaître, vous et votre parcours en quelques mots.
- Speaker #1
Je suis docteur en physique spécialisé dans les technologies de laser et les composantes électroniques. J'ai d'abord travaillé au CNRS sur les cellules photovoltaïques et bétavoltaïques. Avant de partir aux Etats-Unis pour me spécialiser dans les lasers à cascade quantique, surtout pour les applications en terahertz, puis je continue en Irlande dans un laboratoire spécialisé et axé sur la tomographie par cohérence optique, où j'ai été amené à développer des lasers à multisection.
- Speaker #0
D'accord. Et ensuite ?
- Speaker #1
Je suis passé dans l'industrie, chez Almaï Technologies, où j'ai été responsable d'une équipe de recherche et développement sur les lasers à haute puissance et des lasers rapides pour des applications variées, je peux citer les télécoms. DataCom, Lelida et même des systèmes d'intelligence artificielle.
- Speaker #0
Et depuis 2024, vous êtes maître de conférence à Télécom Sud Paris et c'est pour ça qu'on vous invite aujourd'hui. Alors, sur quoi travaillez-vous actuellement ?
- Speaker #1
Aujourd'hui, je travaille essentiellement sur une technologie qui vise à combiner deux univers bien distincts. L'un, d'un côté, c'est des matériaux très performants pour générer de la lumière et la manipuler. Et de l'autre, c'est la microélectronique basée sur le silicium qui est déjà présent dans les puces électroniques qu'on peut trouver dans les ordinateurs ou les téléphones portables. Et donc l'idée c'est de profiter à la fois de la puissance optique de ces matériaux spéciaux et de la fiabilité industrielle du silicium qui est déjà bien établie depuis 50 ans. Et ce mélange permet donc de créer des composants hybrides capables de générer, moduler. et détecter cette lumière avec une efficacité impressionnante. Donc concrètement, ces avancées serviront aux télécoms du futur à booster les applications de l'intelligence artificielle, mais aussi à ouvrir la voie à la photonique quantique, un domaine qui est en plein essor et qui pourrait transformer notre manière de communiquer et de traiter l'information.
- Speaker #0
Vous pouvez nous donner un exemple ?
- Speaker #1
Je pourrais parler de l'intelligence artificielle sur laquelle j'ai travaillé. Pour l'intelligence artificielle, on a besoin d'un calcul énorme et d'une consommation d'énergie importante. Donc actuellement, avec l'énergie qu'il y a sur le marché, avec les processeurs les plus puissants, ces processeurs-là montrent des limites. Ils consomment beaucoup d'énergie et ont tendance à ralentir quand la densité d'information devient importante. C'est là où la photonique va changer la donne. Au lieu de transporter des données avec des électrons ou des signaux électriques, Comme de l'électronique classique, on utilise la lumière. Le résultat se traduira par des calculs beaucoup plus vite parce qu'on va travailler à la vitesse de la lumière tout en consommant moins d'énergie. Donc le défi c'est que ici le silicium c'est un semi-conducteur à gap indirect. Donc c'est un matériau qu'on utilise essentiellement dans nos puces électroniques mais qui n'est pas fait pour générer de la lumière. Donc la solution consiste à intégrer des matériaux spéciaux dont j'ai parlé tout à l'heure. appelés 3-5, qui sont capables d'émettre de la lumière très efficacement. En combinant ces demandes, on obtient donc des puces hybrides, beaucoup plus rapides, avec moins de latence, et surtout adaptées aux besoins de l'intelligence artificielle en termes de vitesse et de consommation énergétique.
- Speaker #0
Ok, et vous pouvez nous rappeler comment se fait le traitement des données à l'heure actuelle ?
- Speaker #1
Le traitement de données actuellement est basé essentiellement sur l'électronique. On peut citer les processeurs comme les CPU. qui sont utilisés dans nos ordinateurs, les GPU qui sont spécialisés plutôt dans les vidéos et les images, ou encore les TPU créés par Google pour l'intelligence artificielle. Tous ces processeurs fonctionnent avec des transistors qui manipulent des signaux électriques. C'est une technologie assez mature, assez performante, mais elle atteint ses limites. Pourquoi ? Parce que les volumes de données explosent, notamment avec l'IA, et les data centers ou les clouds. Résultat, la vitesse de traitement ralentit, la consommation d'énergie grimpe en flèche. Donc pour donner une idée, dans un centre de données, une grande partie de l'électricité sert simplement à faire circuler l'information d'un composant à l'autre, pas seulement à faire des calculs. C'est là où la photonique entre en jeu, en utilisant la lumière à la place des signaux électriques, on peut transmettre et traiter les données beaucoup plus vite, avec moins d'énergie, moins de pertes, et donc une meilleure efficacité énergétique.
- Speaker #0
Sofiane Bellassène, est-ce que vous développez ces travaux avec le monde industriel ?
- Speaker #1
Oui, absolument, je travaille en lien étroit avec les industriels. L'idée, c'est de ne pas rester uniquement dans le domaine de la recherche fondamentale, mais de faire en sorte que les développements réalisés dans nos laboratoires puissent trouver des applications bien concrètes dans l'industrie. On collabore donc avec des entreprises pour adapter nos technologies à leurs besoins, que ce soit en termes de fiabilité, en termes de coût ou de performance. Ces échanges sont importants pour les deux partenaires, pour l'académicien. C'est important parce que ça lui permet de rester connecté aux enjeux du marché et à l'industriel de bénéficier toujours de l'innovation de pointe pour rester compétitif sur le marché.
- Speaker #0
Vous pouvez nous citer un ou deux exemples de produits que vous avez développés avec eux ?
- Speaker #1
Je peux citer deux exemples de technologies qu'on a développées et qui sont aujourd'hui intégrées par les industriels. Le premier, c'est des lasers optiques de haute puissance qu'on appelle rétroaction distribuée. Ces lasers ont été conçus pour répondre aux besoins spécifiques des systèmes d'intelligence artificielle qui nécessitent des composants très rapides et très stables pour le traitement optique des données. Et ces lasers sont aujourd'hui intégrés dans ces systèmes avancés pour des applications d'IA. Pour le deuxième exemple, ça sera plutôt sur les data coms ou centres de données. On a développé des modules pour la transmission de données à haute vitesse. Donc les spécifications sont assez dures et difficiles. Donc j'ai travaillé sur ces composants clés qui ont ensuite été intégrés dans ces transceivers-là. Et l'objectif, c'est toujours d'augmenter la vitesse de transmission et de réduire la consommation d'énergie parce qu'avec les data centers... la consommation va être de plus en plus importante. Et ça, ça a été utilisé par les géants du cloud et les grandes infrastructures numériques.
- Speaker #0
Ok. Qu'est-ce qui fait l'originalité de vos travaux ?
- Speaker #1
C'est une approche vraiment multidisciplinaire qui vient de mon background et de mon expérience précédente. Un objectif clair, c'est de créer un pont entre plusieurs technologies de pointe. Donc plutôt que de rester enfermé dans une seule spécialité, on travaille à l'intersection de plusieurs domaines pour inventer des solutions nouvelles. Et concrètement, ça veut dire qu'on va collaborer avec différents experts, des physiciens, des ingénieurs en électronique, en photonique, en matériaux. On a des informaticiens, des spécialistes d'architecture de calcul, surtout pour les applications IA. Donc ça nous permet de développer des plateformes compatibles avec la microélectronique actuelle, basée sur le silicium, et donc d'optimiser au mieux les performances des dispositifs. Donc là, actuellement, je travaille sur l'intégration des composants. 3,5 qui sont un générateur de lumière d'excellence directement sur des plateformes en silicium. Et cette hybridisation permet de combiner le meilleur des demandes et les performances optiques avancées des matériaux 3,5 et la compabilité avec les procédés industriels du silicium. Et ce qui est original, c'est que ces travaux ne se limitent pas à un seul domaine. Ils trouvent des applications dans différents domaines, comme la télécommunication, l'intelligence artificielle ou la photonique quantique.
- Speaker #0
Et si la vitesse de calcul croît aussi vite ? Qu'est-ce qu'il en sera des processeurs dans 20 ou 30 ans ?
- Speaker #1
Aujourd'hui, la puissance de calcul continue d'augmenter grâce à l'intelligence artificielle ou à des puces spécialisées comme les GPU. Mais on commence à toucher les limites physiques comme l'échauffement, la densité des transistors, parce qu'on augmente la puissance de calcul et donc nécessairement la consommation d'énergie. On imagine déjà des architectures hybrides qui combinent l'électronique et la photonique. Pour échanger ces données-là, la vitesse de la lumière. Au lieu d'utiliser les signaux électriques, on va utiliser les photons. On parle aussi de processeurs quantiques pour des applications assez spécifiques ou encore de puces neuromorphiques inspirées du fonctionnement du cerveau. Sans oublier l'intégration 3D, on va empiler plusieurs circuits pour gagner en compacité, en performance. Mais dans tout ce que je dis actuellement, la lumière va jouer un rôle central dans tous ces développements dans les 20-30 ans.
- Speaker #0
Et est-ce qu'on a les moyens de développer davantage la technologie photonique quantique ?
- Speaker #1
Si on parle de la France, la France a tous les moyens, elle a toutes les bases pour jouer un rôle clé dans la photonique quantique. On a d'excellents laboratoires, une expertise scientifique, un plan quantique a été lancé en 2021, ce qui traduit une volonté politique forte. Mais il faut être lucide, si on prend les États-Unis et la Chine, ils mettent beaucoup plus de moyens, ils ont un écosystème industriel très avancé. Et un autre défi aussi, c'est la formation. Il faudra d'ici 2030 former aux alentours de 10 000 ingénieurs et spécialistes sur la technologie quantique, alors qu'aujourd'hui ces compétences se font de plus en plus rares. Bref, la France a les cerveaux, les idées, les infrastructures, mais pour passer du potentiel au leadership, il faudra investir davantage, former plus de talents et renforcer les liens entre le monde de la recherche et l'industrie.
- Speaker #0
On comprend qu'il y a un gap technologique. C'est important entre le monde actuel et le monde à venir avec la technologie quantique. Qu'est-ce qu'on va y gagner ?
- Speaker #1
C'est un vrai saut, c'est un changement de monde. L'écart entre ce qu'on a aujourd'hui et ce qu'on aura dans le futur, c'est très prometteur et immense. Donc concrètement ce que ça va changer, je peux vous citer trois exemples. D'abord la puissance de calcul, jamais vue. Les ordinateurs quantiques pourront résoudre dans quelques heures des problèmes assez complexes que les supercalculateurs d'aujourd'hui mettraient des années et même des siècles. à traiter et ça ouvrirait des perspectives pour la chimie, pour la modélisation de molécules, pour la pharmacie, pour la logistique ou encore la sécurité informatique. Le deuxième exemple que je pourrais citer aussi, c'est la communication quantique. Ce sont des systèmes hyper ultra sécurisés où toute tentative d'espionnage sera détectée immédiatement. Un atout énorme dans le monde actuel où la cybersécurité est critique. Et dernier point, c'est les capteurs quantiques. Ce sont des systèmes qui permettront d'atteindre des mesures très inédites. E-TWILL en imagerie médicale, navigation sans GPS, et aussi qui permettrait de détecter des phénomènes physiques assez complexes qu'on ne pourra pas faire actuellement avec les supercalculateurs. Donc en bref, l'évolution quantique qu'on aura dans le futur, c'est un peu l'équivalent de la découverte de l'électricité et de l'Internet. Donc ça a un impact important dans notre vie.
- Speaker #0
Merci Sofiane Bellassène d'avoir accepté de partager vos recherches et de nous avoir permis de mieux comprendre vos travaux. Je vous rappelle que Science Nume est un podcast soutenu par le Carnot, Télécom et Société Numérique. Si vous êtes intéressé par la recherche dans le domaine du numérique, retrouvez les épisodes précédents sur vos plateformes d'écoute préférées. A bientôt !