- Speaker #0
Bienvenue dans Science NUM, le podcast de Télécom Sud Paris, grande école publique d'ingénieurs du numérique qui fait partie de l'Institut Polytechnique de Paris. Je suis Annick Dechenet. Dans ce podcast, je reçois des chercheurs pour qu'ils nous éclairent sur ce qu'est la recherche dans le domaine du numérique, qu'est-ce qu'on cherche, qu'est-ce qu'on trouve dans les laboratoires. Aujourd'hui, mon invité est Sholom Shertman, il est expert en optimisation d'intelligence artificielle. Bonjour. Bonjour. On aimerait mieux vous connaître, vous et votre parcours.
- Speaker #1
Brièvement, après le lycée, j'ai fait une prépa scientifique. C'est là où j'ai découvert que les maths me plaisaient assez. Après, je suis rentré dans une école d'ingénieurs, l'ENSAE, donc c'est une école spécialisée en statistiques. Puis j'avais décidé de faire une thèse en mathématiques appliquées, en optimisation, qui est mon domaine de recherche. Et puis, après une année postdoctorale, j'ai rejoint Télécom Sud Paris, et donc je suis enseignant ici et chercheur depuis deux ans et demi.
- Speaker #0
Alors, en quoi consistent vos travaux de recherche ?
- Speaker #1
Alors, mon domaine, c'est... Ce qu'on appelle l'optimisation, et plus particulièrement l'optimisation pour le machine learning ou l'intelligence artificielle, ou ce qu'on appelle apprentissage automatique. Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui ont entendu, en ce moment c'est très à la mode, l'importance de l'intelligence artificielle dans la vie, au moins par exemple par chat GPT ou par plein d'autres choses. Qu'est-ce que je fais ? C'est que, par exemple, sur votre téléphone, vous avez un logiciel qui reconnaît votre visage. Ça, c'est fait par une intelligence artificielle, c'est-à-dire qu'il y a un modèle mathématique derrière. Et ce modèle mathématique, il a plein de paramètres. Il faut ajuster bien les paramètres pour que votre téléphone... reconnaissent bien qui vous êtes. Pour le faire, on lance un algorithme d'optimisation, donc c'est une procédure pour essayer de trouver les bons paramètres qui le font. Alors il y a des algorithmes qui marchent bien en pratique. Moi, mon domaine de recherche, il essaie de les étudier de manière théorique, c'est-à-dire d'essayer de comprendre pourquoi mathématiquement ces algorithmes fonctionnent bien.
- Speaker #0
Concrètement, à quoi ressemblent vos journées ?
- Speaker #1
Alors, ça dépend. Déjà, j'enseigne à la Télécommission de Paris, donc si j'ai des cours, je vais enseigner à des élèves. Sinon, en termes de recherche, ça dépend du jour au jour, mais en général, j'ai des problèmes de recherche ou des idées que j'ai. Et donc souvent, j'ai un papier, un crayon, mon ordinateur. où je lis des papiers, et j'essaie de réfléchir aux questions que je peux me poser, et puis essayer de répondre à ces questions si j'y arrive.
- Speaker #0
Ça veut dire que vous travaillez seul ?
- Speaker #1
Ça dépend des questions. Alors je pense que par rapport à certains chercheurs, je suis plutôt quelqu'un qui travaille seul, mais j'ai aussi des collaborations, ça peut être mes amis qui habitent à Paris. J'ai aussi des collaborateurs qui sont à Toulouse, donc des collaborateurs dans leur domaine mondialement reconnu, et j'ai aussi quelques contacts à l'international, aux Etats-Unis ou en Autriche.
- Speaker #0
Comment naissent les idées alors ?
- Speaker #1
Ça fait un petit moment que je fais de la recherche, donc finalement j'ai pas mal de questions que je me pose, et la plupart des questions on n'arrive pas à y répondre. Donc en fait je ne suis pas à manque d'idées. Il y a une phrase d'un physicien célèbre du XXe siècle, Richard Feynman, qui disait que finalement la recherche c'est très simple, il suffit d'avoir 10 questions ou 10 problèmes, et forcément sur un de ces problèmes vous aurez une idée.
- Speaker #0
Vous avez un exemple en tête ?
- Speaker #1
Le problème typique c'est vraiment que j'étudie des algorithmes, donc encore une fois des algorithmes qui sont motivés par ce qui se passe en machine learning, donc par exemple... un algorithme qui permet d'entraîner en quelque sorte votre téléphone à reconnaître votre visage. Et le problème typique, c'est qu'il y a des algorithmes très célèbres, peu importe comment ils s'appellent, mais ils marchent très très bien en pratique, c'est-à-dire que votre téléphone arrive à bien reconnaître qui vous êtes, et pourtant on n'arrive pas à comprendre mathématiquement pourquoi cet algorithme-là marche. Le but de ma recherche, c'est à mon humble niveau d'essayer de comprendre un peu plus les propriétés de cet algorithme, d'essayer de montrer que dans certains cas, il va bien marcher, dans certains cas, il ne va pas marcher.
- Speaker #0
Mais comment vous expliquer que parfois ça marche, sans que l'on comprenne pourquoi ça marche ?
- Speaker #1
Parce qu'il se trouve que le problème qu'est en train de résoudre, par exemple, votre téléphone, en essayant de reconnaître votre visage, il se trouve que si on l'écrit mathématiquement, ça va être un problème très difficile, que si on le regarde du point de vue purement mathématique, purement théorique. Alors, avec nos connaissances actuelles, en fait, l'algorithme ne devrait pas trouver les bons paramètres pour bien reconnaître votre visage. Pourtant, on voit bien qu'en pratique, ça marche. Ce qui est dur, c'est parce qu'on ne sait pas pourquoi. Avec nos connaissances actuelles, ça ne devrait pas marcher. Et typiquement, les réseaux de neurones, par exemple, s'étaient introduits... déjà dans les années 80, et une partie de la communauté ne croyait pas au fait que ça allait marcher, parce que quand on regarde le problème mathématique, dans tout le problème théorique, il est très très difficile. Mais maintenant, on voit bien que ça marche, et ce qui est difficile, c'est qu'on ne sait pas.
- Speaker #0
C'est compliqué, d'accord. Et du coup, quelle est l'originalité de vos travaux ?
- Speaker #1
L'originalité relative, disons, de mon approche, c'est-à-dire qu'il y a certains cas dans lesquels on sait que les algorithmes d'optimisation marchent très bien. Ce sont des cas. disons plus simples. Et moi, je travaille justement plutôt sur les problèmes qui apparaissent plus compliqués, donc dans lesquels c'est très dur en principe de trouver des paramètres qui vont résoudre le problème. Et du coup, je travaille sur des problèmes, bon, tout est relatif bien sûr, mais d'une certaine manière, sur des algorithmes d'optimisation ou sur des modèles plus difficiles par rapport à ceux qui étaient par exemple connus dans les années 70-80.
- Speaker #0
Justement, comment on appelle le type de recherche que vous faites ? Parfois, on parle de recherche fondamentale et de recherche appliquée. Où vous situez-vous ?
- Speaker #1
En mathématiques, très grossièrement, on peut en mathématiques générales diviser... en deux, deux thématiques. Donc il y a les mathématiques théoriques. Les mathématiques théoriques essaient de répondre à des questions... Ils regardent les maths comme un langage et donc ils essaient de répondre à des questions qui sont logiques du point de vue de ce langage. Mais ils n'ont pas forcément un problème très concret derrière qu'ils essaient de résoudre. Puis il y a les mathématiques appliquées. Donc moi je me place plutôt dans le cas des mathématiques appliquées. C'est à dire qu'on essaie de résoudre des problèmes qui ont des applications pratiques. Après, moi, personnellement, je subdivise encore une fois, je suis dans la partie théorique des mathématiques appliquées. C'est-à-dire que quand je crée un papier, je ne propose pas forcément un nouvel algorithme, mais j'essaie de comprendre un algorithme qui est pratique, donc qui est utilisé dans la vie de tous les jours.
- Speaker #0
Et comment valorisez-vous vos résultats de recherche ?
- Speaker #1
C'est une vaste question, mais comme je fais des mathématiques appliquées... L'espoir, c'est que même si je fais la partie théorique, donc j'essaie juste de comprendre comment ça marche, je ne propose pas forcément de nouvelles méthodes. Notre espoir, c'est que d'un côté, c'est juste qu'on a envie de comprendre pourquoi ça marche, pourquoi ça ne marche pas. Et d'un autre côté, notre espoir, c'est que si on arrive à mieux comprendre, on pourra proposer de meilleurs algorithmes, ou des algorithmes peut-être moins coûteux, ou d'essayer de savoir à l'avance dans quel cas ça va marcher, dans quel cas ça ne va pas marcher. Donc ça pourra guider la pratique dans le meilleur des cas.
- Speaker #0
Est-ce que votre vie de chercheur, on pourrait la résumer de la façon suivante ? Vous cherchez, vous trouvez, vous cherchez, vous trouvez ?
- Speaker #1
Alors non, en général, je pense que tout chercheur, en tout cas moi très clairement, la plupart des idées qu'on a ne sont pas bonnes, en tout cas ne sont pas bonnes dans le sens qu'on ne va pas aboutir à quelque chose de nouveau, à quelque chose de juste. C'est plutôt on se trompe pendant 99% des cas, mais c'est en se trompant qu'on arrive à trouver la bonne voie. C'est un peu comme, il y avait un mathématien qui faisait le parallèle, c'est comme si on essaye de trouver un chemin dans une chambre noire, donc il n'y a pas de lumière, et donc au tout début, on ne fait que se cogner, là il y a une table et il y a une chaise, petit à petit, on se cogne, on se cogne, et petit à petit, on commence à comprendre que là, ça c'est une chaise, ça c'est un micro, ça c'est une autre personne, et donc à force, en se cognant, pendant peut-être 99 fois, on s'est cogné, et la centième fois, on trouve enfin la porte. C'est souvent le travail de chercheur, à part que si on a beaucoup de chance, on est très intelligent, ou il se passe quelque chose, souvent c'est... incrémentale, c'est-à-dire qu'on répond... J'ai pas répondu à des questions qui changent complètement notre perception du monde, mais j'ai répondu à quelques questions.
- Speaker #0
Et si on se projette, quels sont vos axes de recherche pour l'avenir ?
- Speaker #1
Alors, je pense que dans l'avenir, je vais continuer dans l'enseignement des activités d'optimisation pour les machines learning, et puis je suis assez ouvert à d'autres thématiques, c'est en général parler mathématiques, juste, je pense, en étant curieux, en essayant de voir ce que font les autres chercheurs, ou ce qui se passe. dans la vie de tous les jours. Petit à petit, on est guidé, on sait qu'au fil de la carrière, on change souvent d'un sujet en un. Donc je ne sais pas à l'avance, mais je suis tout à fait ouvert au fait que je pourrais changer de thématique.
- Speaker #0
Merci, Sholom Chertman, d'avoir accepté de partager vos recherches avec nous et nous avoir permis de mieux comprendre vos travaux. Je vous rappelle que Science Nume est un podcast soutenu par le Carnot Télécom et Société Numérique. Si vous êtes intéressé par la recherche dans le domaine du numérique, je vous invite à retrouver les épisodes... précédents sur vos plateformes d'écoute préférées. A bientôt !