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EP.4 - Agnès Fabre - Ecrans et école: Mais que fait l'éducation nationale ?!

EP.4 - Agnès Fabre - Ecrans et école: Mais que fait l'éducation nationale ?!

57min |04/07/2024
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EP.4 - Agnès Fabre - Ecrans et école: Mais que fait l'éducation nationale ?!

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Description

Dans cette épisode je rencontre Agnès Fabre, professeure de lettres en collège et lycée et fondatrice du collectif Education Numérique Raisonnée.

Le combat d'Agnès: remettre les écrans à leur place dans l'éducation.

Son appel c'est celui du corps enseignant qui assiste presque impuissant à l'omniprésence des écrans dans les classes et qui perd le contrôle

Elle nous explique la stratégie (presque inexistante) de l'éducation nationale sur le sujet du numérique et a confusion entre l'apprentissage du numérique et l'utilisation des outils digitaux à l'école.

Elle nous partage aussi sa vision du rôle de l'école et de ce que devrait être la bonne place pour le numérique: une matière "numérique", vous seriez pour?

Bonne écoute,


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    On passe 60% de notre temps libre sur nos écrans. Ils sont omniprésents et se sont imposés dans nos vies sans mode d'emploi. Leur impact est colossal sur notre travail, notre santé, notre bien social ou notre rapport au monde. Je m'appelle Ludovic Simon et dans le podcast Screen Break, je vous propose de rencontrer avec moi des entrepreneurs, des auteurs ou des scientifiques qui agissent concrètement pour nous aider à retrouver un rapport plus sain à nos écrans. Bonjour Agnès.

  • Speaker #1

    Bonjour Ludovic.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de venir au micro de Screen Break aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Merci de m'inviter, je suis très contente de pouvoir vous rencontrer et de pouvoir parler un peu du collectif Éducation Numérique Raisonnée.

  • Speaker #0

    Génial, alors on a récemment, on enregistre là ce podcast le 17 mai, qui est la semaine du buzz pour toi, puisque je crois que tout LinkedIn t'a découvert très récemment via un post qui a permis de faire connaître l'Éducation Numérique Raisonnée, donc on va en reparler aussi cette semaine. Nous, on t'avait aussi un petit peu déjà vu, parce qu'une de tes missions, c'est de faire signer cet appel, certainement à l'éducation nationale, on va parler de ça aujourd'hui, pour faire entendre raison à ceux qui décident de la façon dont on doit éduquer nos enfants à l'école. Avant qu'on parle de tous ces sujets et qu'on rentre vraiment à fond sur le sujet des écrans à l'école, est-ce que tu pourrais te présenter à nous ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. Alors j'ai 38 ans, j'ai 4 enfants et je suis professeure de lettres de classique, donc j'enseigne le français et le latin au collège et au lycée. Je n'ai pas toujours été prof et ça me semble encore un peu étonnant aujourd'hui, même si ça fait 7 ans, de dire que je suis prof. J'ai passé plus de temps en entreprise. J'ai un parcours un peu hybride parce que j'ai commencé par faire une prépa littéraire, une épocagne et une cagne. Et puis à 20 ans, je ne voulais pas être prof. Je suis une famille de profs. Ma mère l'était, ma grand-mère aussi. Et j'avais envie de voir le monde professionnel, de découvrir autre chose, de sortir de l'école. Donc j'ai passé les concours des écoles de commerce, j'ai intégré l'ESSEC. Et j'ai travaillé en marketing plusieurs années, j'ai eu différentes expériences en entreprise, jusqu'au jour où, et c'est là où ma vie personnelle et ma vie professionnelle sont liées, quand j'ai eu ma deuxième enfant, j'ai eu envie de trouver un autre sens dans mon métier. Donc j'ai passé le concours de l'enseignement. Pourquoi l'enseignement ? En fait, j'aimais ce que je faisais, mais à partir du moment où j'ai eu des enfants, j'ai voulu trouver un intérêt supérieur pour les quitter, pour travailler pour une cause qui me semblait plus profonde.

  • Speaker #0

    D'accord. Donc, au final, aussi, ton... L'héritage...

  • Speaker #1

    Et on est toujours rattrapés par son ADN, probablement.

  • Speaker #0

    T'es complètement rattrapée, mais pour la bonne cause. Reconversion, professeur de lettres, aujourd'hui c'est ton métier à plein temps. Et en parallèle de ça, tu as aussi créé une association, c'est ça ? L'éducation numérique raisonnée ?

  • Speaker #1

    Alors c'est un collectif.

  • Speaker #0

    Un collectif.

  • Speaker #1

    C'est mignon, il y a des personnels de direction, c'est plus souple qu'une association. On ne sait pas encore très bien quelle suite on va donner à ce mouvement. Notre collectif s'est créé en janvier, donc il y a quelques mois. Au départ, on était quatre, et puis on est devenu une vingtaine de membres vraiment représentatifs de la communauté éducative. On exerce dans le primaire, dans le collège, dans l'enseignement, enfin au collège et au lycée, et dans l'enseignement supérieur. Ce qui est intéressant, c'est qu'on est partout en France. On enseigne dans le public et dans le privé, dans des milieux à la fois très défavorisés, ruraux, et d'autres qui sont beaucoup plus favorisés. Et on est tous réunis par le même constat, quels que soient les milieux d'enseignement qui sont les nôtres, qui est l'emprise du numérique sur nos élèves, la manière dont ils sont ravagés par l'omniprésence des écrans, essentiellement dans l'usage récréatif. et qui créent des dégâts qu'on subit, nous, dans notre enseignement, quand on récupère nos élèves en classe.

  • Speaker #0

    Alors, ça, donc là, tu parles de l'usage des écrans pour les enfants, mais pas forcément dans le cadre de l'école. Enfin, ça peut être le téléphone que tu as à l'école, mais là, tu parles de l'usage récréatif aussi à la maison.

  • Speaker #1

    Bien sûr, on distingue l'usage récréatif, tout ce que font les enfants et les ados, les jeux vidéo, les réseaux sociaux. tout ce qu'ils font pour se divertir sur leurs écrans, qui peut être, comme tu l'as dit aussi, à l'école, entre deux pauses. Et l'usage éducatif, c'est la manière dont l'école prolonge l'exposition aux écrans des élèves sur des ordinateurs ou des tablettes, des applications éducatives.

  • Speaker #0

    D'accord, donc... La mission de l'éducation numérique raisonnée du collectif, elle est d'agir sur le récréatif en dehors de l'école et sur l'éducatif, c'est-à-dire l'utilisation des écrans à l'école.

  • Speaker #1

    Exactement, les deux. En fait, on fait la distinction, c'est important de la faire, mais pour nous, les deux sont liés. Et ce qu'on remarque quand on a vu le rapport de la commission Macron sur les écrans, les dégâts du numérique récréatif ont été extrêmement bien pointés. et on rejoint ce constat qu'on faisait sur le terrain avec nos élèves, des élèves qui sont fatigués, il y a un vrai enjeu de sommeil, qui sont plus sédentaires, qui sont en grande difficulté pour tout ce qui est de la santé mentale, qui sont isolés, qui ont du mal à se parler. En revanche, il y a un trou dans ce rapport sur la question du numérique éducatif. Or, pour nous, il est essentiel de réunir les deux, puisqu'on sait que les écrans qu'on distribue aux élèves à l'école présentent toujours un risque de glissement vers le numérique récréatif. C'est-à-dire qu'on sait qu'on a donné plein de bonnes intentions, mais ils vont finir par faire autre chose. Et les remontées qu'on a des parents, c'est qu'on les place dans une situation impossible, en leur donnant des injonctions contradictoires, en leur disant attention, limitez le temps d'écran de vos enfants mais en parallèle, on les oblige à se reconnecter à la maison, puisqu'ils doivent se connecter pour avoir accès à leurs agendas sur les ENT, pour avoir accès aux manuels numériques, pour pouvoir faire leur travail à la maison. Comment contrôler ce temps d'écran qui est devenu incontrôlable ?

  • Speaker #0

    Pour moi, dans le rapport de la commission écran, il y a un élément qui va dans le bon sens, qui est encore un peu différent de ce dont on se parle là, c'est plutôt... La position des écrans dans le cadre de l'école, pas forcément les écrans qui sont mis à disposition des élèves, mais les écrans qui peuvent être utilisés par du personnel de l'école et qui peuvent interférer dans les interactions entre eux et les élèves. Dans le rapport, notamment on parle de la toute petite enfance et des crèches et des maternelles, où un des enjeux c'est de dire zéro écran avant trois ans, ce qui veut dire aussi que dans les crèches et les maternelles, il faut enlever tout. rapport qui peut être un moment interféré par un écran entre quelqu'un du personnel éducatif et un enfant, est-ce que ça veut dire que... Ça doit être la même chose dans le secondaire, au collège, au lycée. On doit enlever complètement tout type d'écran, que ce soit pour le personnel, pour ne pas interférer dans les relations qu'ils vont avoir avec les étudiants, pour les étudiants dans leur éducation, ou même juste le fait qu'il y ait des éléments de l'éducation qui se passent en ligne, par exemple aller voir ses notes. Parcoursup, ce genre de choses, est-ce qu'il faut tout enlever ?

  • Speaker #1

    C'est une bonne question. En fait, on est évidemment mesuré et nuancé. Il y a plusieurs choses dans ce que tu dis. D'abord, plus l'enfant est jeune, plus il est évident qu'il a besoin de contact humain et que les écrans s'interposent entre l'adulte et lui-même. Et vient nuire à la relation, à ce qu'on appelle la notion d'attachement. Et puis tout ce dont l'enfant a besoin pour observer, manipuler. construire, apprendre, faire ses expériences, etc. Donc il y a une certaine progressivité. Plus l'enfant grandit, mûrit, l'adolescent, moins l'écran est nocif en lui-même pour son développement. Pour autant... Alors il y a plusieurs choses. Nous, je tiens à le préciser, on n'est pas contre le numérique. Moi je pense que le numérique c'est un excellent outil professionnel. J'utilise le numérique pour faire mes cours, j'utilise des ressources en ligne, tout ce que je produis et écris évidemment à l'ordinateur. Je projette des ressources audio pour mes élèves, ça m'arrive de montrer des petites scènes, par exemple en français, des petites scènes d'adaptation au théâtre. qui sont projetés. Et heureusement qu'on a ces outils pour nous enseignants avec un vidéoprojecteur dans chaque classe. Ce qui pose problème, c'est les écrans individuels. Et les écrans individuels, ils sont au service de l'élève, mais ils les isolent dans cette dynamique d'interaction, de synergie de classe. et ils viennent justement capter leur attention avec un phénomène d'addiction qu'on connaît, qui est la source du problème de glissement vers le récréatif. On ne maîtrise pas ce qu'il fait derrière sa tablette. Et quand il en porte à la maison, c'est pire, parce qu'il y a encore moins de contrôle. On n'est pas pour enlever les écrans des salles de classe. Alors nous, notre position, elle est nuancée. C'est-à-dire qu'on considère que ce n'est pas en mettant des tablettes entre les mains des élèves qu'on en fait des acteurs éclairés du numérique. On a en fait des consommateurs passifs qui vont faire des applications souvent assez ludiques, des quiz en ligne, etc. Mais on considère que toute cette logique du numérique au service de l'éducation est un leurre, en fait, rend des choses qui peuvent paraître rébarbatives plus amusantes. plus intuitives. Elles font taire les élèves aussi. Les classes sont plus silencieuses quand ils ont des tablettes parce qu'elles capent leur attention. Mais je suis, à titre personnel, pas du tout convaincue de la plus-value pédagogique. Et cette intuition, ce ressenti de terrain, il est confirmé par l'absence d'études significatives indépendantes à ce sujet.

  • Speaker #0

    C'est un point intéressant. Tu viens de faire bugger mon cerveau. Donc tu dis que... Ce que je comprends, c'est que là, il y a... Un sentiment qui vient du corps éducatif, qui est qu'en effet, ces écrans ne sont pas forcément une bonne chose dans l'apprentissage, dans les interactions sociales. Et parce qu'il n'y a pas d'études indépendantes qui le prouvent, ça veut dire que vous avez raison. En gros, ma question derrière, c'est, est-ce qu'il y a quand même un peu des chiffres, des choses qui vont dans le sens du message que vous portez et qui pourraient prouver qu'en effet... En enlevant les écrans, on serait plus performant à l'école. On apprendrait mieux, on suivrait mieux. Sans aucun doute, on aurait peut-être des meilleures interactions sociales entre nous. Est-ce qu'il y a des choses qui le prouvent ou qui commencent à aller dans ce sens-là ?

  • Speaker #1

    Oui, alors déjà plusieurs choses. J'aurais peut-être dû commencer par ça. En fait, ce qui m'a frappée, moi, quand j'ai commencé à enseigner, c'est cette injonction qu'on avait de la part de notre hiérarchie à l'éducation nationale d'intégrer le numérique à notre pratique pédagogique. C'est-à-dire que le numérique, aujourd'hui, est érigé comme un dogme pédagogique. comme si c'était une fin en soi d'utiliser le numérique pour enseigner. Ça m'a toujours énormément étonnée, surtout venant du monde de l'entreprise, où de fait, j'utilisais des tableurs Excel, je faisais des présentations PowerPoint à longueur de journée. Je voyais l'utilité pour mes réunions en interne et pour mes clients. Pour l'enseignement, quand j'enseigne le français, je ne vois pas l'intérêt en soi d'utiliser le numérique. Donc c'est une première chose, cette injonction très forte, mais qui n'était pas corroborée par des chiffres. Je me suis penchée sur... Et ça,

  • Speaker #0

    juste, si on revient sur ce point-là, avant de continuer sur ce qui a démarré ta mission, à quoi ça ressemble, l'évolution du numérique dans les écoles, là, depuis ces 20 dernières années, on va dire ? Tu vois, si je prends un exemple, moi, je me souviens, quand j'étais en sixième, on avait une salle avec des ordinateurs, un écran tout noir, je ne me souviens plus trop ce qu'on faisait dessus, mais on nous apprenait à faire des trucs dessus, quoi. Mais vraiment je crois que je ne sais même plus quoi. Je pense qu'il devait y avoir des jeux ludiques, on faisait ça en primaire quoi. Après moi j'ai un petit frère qui a une douzaine d'années de moins que moi, et lui quand il est arrivé en sixième on lui a donné un ordinateur. C'était le Val-de-Marne qui donnait des ordinateurs en sixième. Je crois qu'ils ont arrêté ça quand même, il y a quelques années, mais pendant encore très longtemps on donnait des ordinateurs aux enfants, dans certaines régions en tout cas. Comment ça a évolué ? On en est où aujourd'hui ? On donne encore des ordinateurs aux enfants quand ils arrivent au collège ou pas ?

  • Speaker #1

    C'est une situation qui est difficile à expliquer parce que l'équipement numérique est confié aux collectivités territoriales. Pour le primaire, c'est les communes qui sont responsables, certaines équipes de tablettes, les écoles primaires. Pour le collège, c'est le département, et au lycée, c'est la région. Donc en fait, c'est différent partout en France, dans le public et dans le privé. Donc il n'y a pas d'harmonie, mais c'est un vrai sujet, il me semble, d'harmoniser ces pratiques et d'avoir une direction claire de savoir où on va. La première chose, c'est cette grande disparité qui est liée aux conditions d'organisation pratiques, la responsabilité des collectivités territoriales et puis les établissements qui font ce qu'ils peuvent. Souvent avec beaucoup de bonne volonté et beaucoup de... d'incertitude sur ce qui est bon ou non pour les élèves. Je peux donner l'exemple précis de mon établissement. Les élèves sont équipés de tablettes à partir de la cinquième. Donc, ils ont chacun une tablette individuelle.

  • Speaker #0

    Donc, ça existe encore. On le fait encore.

  • Speaker #1

    On le fait encore. On le fait de plus en plus. De plus en plus parce qu'en fait, ce qui va avec, c'est la question des manuels scolaires. Ça doit te sembler loin, mais pour faire tes exercices de maths, ou pour lire tes textes en français, ou pour faire tes cartes en histoire-géographie, maintenant, de plus en plus d'éditeurs scolaires, enfin tous les éditeurs scolaires, proposent des versions numériques des manuels, et de plus en plus, les collectivités territoriales ne financent que la version numérique. C'est-à-dire que, par exemple, dans mon établissement, les élèves n'ont plus accès au manuel papier, mais pour avoir accès au manuel scolaire, ils doivent avoir cette version numérique. Or, qui dit version numérique, dit nécessairement un écran individuel, une tablette ou un ordinateur. Donc en fait, libre à moi d'utiliser ou non la tablette, j'ai cette liberté pédagogique, mais cette liberté est contrainte si je veux pouvoir avoir accès aux manuels scolaires, que mes élèves puissent avoir une référence de cette manière-là, ils sont obligés de se connecter. Donc en fait, on est pris dans une sorte de cercle un peu vicieux, qui se voulait vertueux à la base, mais qui se retrouve vicieux du point de vue de la surexposition des enfants aux écrans, où d'un côté on nous dit qu'on a des manuels numériques, donc il faut des tablettes. Et d'un autre côté, on nous dit, on a les tablettes, utilisons les manuels numériques.

  • Speaker #0

    Yes, wow. Et attends, et ça c'est... Ça vient d'où le fait qu'aujourd'hui, on est obligé quasiment de passer par le numérique pour les manuels scolaires ? C'est dû à quoi ?

  • Speaker #1

    Alors, il faut se pencher dans le document Stratégie du numérique pour l'éducation 2023-2027.

  • Speaker #0

    Il est devant tes yeux.

  • Speaker #1

    Il est devant moi, je l'ai bien étudié. Je vais aller vite. Il a été en gros publié par notre précédent ministre, ni celui d'avant, ni celui d'encore avant, par PAP-NVI en 2023. C'est à quel petit moment ? Il y a plusieurs éléments qui sont intéressants. D'abord, il y a tout un point sur les manuels scolaires numériques qui indique qu'au collège, le manuel scolaire peut être complété par sa version numérique. C'est dans un petit encart. Mais c'est quelque chose qui est très peu dit parce que souvent, les collectivités financent exclusivement la version numérique. Si on s'appuie sur le document qui vient de l'Éducation nationale, on voit qu'il n'est pas respecté. Compléter, ça veut dire qu'il faut garder une version papier. Ce n'est plus le cas aujourd'hui dans beaucoup d'établissements. Au lycée, il indique qu'il peut être remplacé par sa version numérique en concertation avec les collectivités territoriales. Et bien sûr, les collectivités s'engouffrent dans ce sujet, sûrement avec de bonnes intentions, mais aussi peut-être pour des logiques financières. Et l'Île-de-France, à ce titre, a communiqué récemment sur sa nouvelle plateforme numérique qui donnait un accès exclusif au manuel scolaire.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut... T'as peut-être pas fini, je te laisse terminer.

  • Speaker #1

    L'autre élément qui est intéressant dans ce document, c'est l'équipement individuel type pour les élèves. C'est tout ce qui est tablettes et ordinateurs par élève. J'adore ce document parce qu'il présente comme objectif de définir à la rentrée 2024 un référentiel pour l'équipement individuel en fonction des usages. Or, ce qu'on constate, c'est que la majorité des établissements scolaires sont déjà équipés sans avoir eu ce référentiel type qui serait censé venir de l'éducation nationale. Donc, en fait, qui... Qui fait la politique éducative aujourd'hui en France ? C'est une vraie question. Si c'est les collectivités territoriales qui n'ont aucune compétence pédagogique. Le deuxième élément qui m'intéresse beaucoup dans ce petit paragraphe, définir un équipement individuel type, c'est que l'orientation qui est donnée, c'est de privilégier les équipements individuels par rapport aux équipements mobiles. Les équipements mobiles, c'est dire que vous avez un lot de tablettes ou d'ordinateurs dans un établissement, et les enseignants les utilisent ponctuellement, etc. L'enfant repart avec son ordinateur ou sa tablette. Dans ce paragraphe, l'orientation stratégique d'éducation nationale donne sa préférence pour le collège et le lycée aux équipements individuels et le justifie par une étude précise qui vient de la... qui vient de l'éducation nationale, qui atteste qu'un élève qui dispose d'un équipement individuel développe plus facilement son aisance et ses compétences numériques. Mais on parle d'aisance et de compétences numériques, on ne parle pas de tout le reste, c'est-à-dire les apprentissages traditionnels et les compétences socio-cognitives. Or, pardon, je termine juste, mais j'ai été fouillée dans cette enquête Hélène, qui est l'unique référentielle pour justifier cette politique éducative sur le numérique. Et cette enquête est vraiment très intéressante. Je ne sais pas si beaucoup de personnes l'ont lue. Merci.

  • Speaker #0

    Je suis très heureux que tu l'aies lu pour nous, en tout cas, parce que moi, je ne l'ai pas lu.

  • Speaker #1

    Voilà, une piste de lecture pour la suite. Cette enquête est elle-même très mesurée, très nuancée. C'est-à-dire que dans la conclusion, on voit... typiquement que les effets des classes mobiles, les classes mobiles et l'eau mobile des tablettes, ont des effets faibles, voire négatifs, sur les apprentissages traditionnels en français et en maths. Or, beaucoup de collectivités territoriales équipent de classes mobiles. Des effets négatifs. Ensuite, un peu plus loin, je choisis, évidemment il y a des effets positifs qui sont démontrés. En ce qui concerne les compétences socio-cognitives, c'est-à-dire la collaboration, la créativité, les équipements individuels et partagés n'ont qu'un impact faible, voire nul. Cette enquête elle-même, qui sert de support pour justifier la stratégie numérique de l'éducation nationale, montre en fait une très pauvreté de l'intérêt d'équiper individuellement tous ces élèves et tout l'argent qui est mobilisé par les pouvoirs publics pour une stratégie qui semble menée à la dérive.

  • Speaker #0

    Ça paraît incroyable. Donc si j'essaie de résumer... C'est la professeure de lettres qui me dira si mon résumé de texte est bon. On met des écrans, qu'ils soient mobiles ou individuels, dans nos classes, nos écoles. On est plutôt brouillon sur la façon dont on le gère à différents moments de la vie scolaire, parce que c'est différentes collectivités qui le gèrent. Et en plus, tout ce qu'on fait de façon brouillon... justifié par un rapport qui lui-même explique qu'en fait, il n'y a pas un impact positif, voire il y a un impact plutôt négatif des écrans sur l'éducation et sur les rapports sociaux qu'entretiennent les enfants entre eux. au sein de l'école quand on met des écrans à leur disposition ?

  • Speaker #1

    C'est ça. Alors c'est un peu plus mesuré parce que ce rapport montre quelques impacts positifs, mais qui sont déjà assez faibles.

  • Speaker #0

    On peut les donner, les impacts positifs, quand même, histoire de...

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. J'ai la conclusion sous les yeux. Les tablettes individuelles ont des effets positifs sur les résultats scolaires des collégiens, allant de 9 à 25 d'écart-type, ce qui n'est pas non plus énorme. Les classes mobiles ont des effets nuls, donc déjà, il faut... Je pense qu'il y a un problème de logique, en fait. Si l'outil est bon en soi, pourquoi, lorsqu'il est partagé, il n'a pas d'effet, alors que quand il est individuel, il en a un ? Ça me semble étonnant. Et ensuite, la question des compétences socio-cognitives, elle est vraiment importante, parce qu'il y a un enjeu de nos élèves, qui n'est pas simplement de former des cerveaux, mais aussi des citoyens qui vont vivre ensemble. Et si l'impact de ces outils atténue leur capacité à collaborer, à travailler ensemble et à être créatifs, On a des sérieux problèmes pour la suite. L'impression qui se dégage de ce projet numérique de l'éducation nationale, même si la conseillère qu'on a rencontrée cette semaine nous a dit qu'elle en était très fière, c'est qu'il a été déployé de manière assez non coordonnée et en s'appuyant sur des chiffres scientifiques qui demandent à être remis en question et qui interpellent en tout cas. Et de fait, les établissements scolaires sont assez seuls par rapport à cette question du numérique. Nous, ce qu'on constate, parce qu'on recueille énormément de témoignages grâce à notre collectif, c'est qu'il y a beaucoup d'intimidations personnelles qui guident des choix stratégiques. Par exemple, dans mon établissement scolaire, Le choix d'équiper tous les élèves de tablettes a été fait par notre précédent directeur, juste avant qu'il parte à la retraite, parce qu'il se sentait lui-même dépassé par le numérique, il n'arrivait pas à écrire des mails, et donc il s'est dit que c'était très important que les élèves soient habitués au numérique dès le départ. Mais c'est quand même étonnant de se dire que des générations d'élèves vont être marquées par ce choix-là, pour des raisons qui sont...

  • Speaker #0

    C'est assez incroyable de se dire que c'est à ce point-là atomisé que... Chaque directeur d'établissement peut prendre la décision qu'il veut par rapport à ce sujet, sans être éclairé d'aucune façon sur l'impact que sa décision va avoir, à la fois sur les enfants, et puis aussi quand même financièrement. Ça coûte beaucoup d'argent d'équiper des générations d'étudiants, d'ordinateurs, de tablettes. J'ai un souvenir qui date maintenant un peu, mais je me souviens d'un scandale qu'il y avait eu avec Microsoft, je pense à la fin des années 2000. qui avait signé avec l'éducation nationale pour justement mettre des ordinateurs et des tablettes un peu partout, quasiment gratuitement, je crois que c'était ça le deal, et que l'éducation nationale en France avait foncé, en ne se rendant pas compte qu'ils allaient faire une génération de dépendants à Microsoft. C'était un super deal à l'époque, je pense qu'on n'en est plus là aujourd'hui, j'espère en tout cas. Je trouve ça assez incroyable ce que tu nous dis, c'est que... En fait, tiens. En t'écoutant, j'ai l'impression qu'il n'y a aucune réflexion stratégique, aucun pas de recul qui est pris sur le sujet.

  • Speaker #1

    En fait, il y a des enjeux financiers qui sont énormes, certainement. Mon but n'est pas de diaboliser les entreprises qui font de l'argent, ni d'avoir un caractère complotiste. Je pense que chacun a sa place. Il y a des entreprises qui vendent du matériel informatique, il y a des entreprises de la tech qui font leur business sur cette question-là éducative. Et à leur place, je ferais pareil. La première réaction de la directrice de Canopée après la sortie du rapport, c'était de dire Il faut réguler l'usage des écrans dans la vie des jeunes, mais l'école peut être le lieu d'une exception culturelle J'ai beaucoup aimé cette phrase. Et toute la tech s'encouffre dans ce sujet-là, justement sur la distinction dont on a parlé tout à l'heure entre l'usage récréatif et l'usage éducatif. Oui, le récréatif est très mauvais, les réseaux sociaux, mais l'éducatif est en fait la porte de salut. Ils sont dans leur rôle, en fait, ils vendent ce qu'ils font. Et moi, pour avoir fait du marketing, je trouve ça très bien. Ce qui m'interroge, c'est la manière dont nous, à l'éducation nationale, on devient en fait les crétins utiles de toute une industrie et que nous, on n'a pas cette place qui devrait être la nôtre d'exercer un esprit critique indispensable, un principe de précaution quand on n'a pas des... comment dire, justement, ces études indépendantes qui prouvent le bénéfice du numérique éducatif, qu'on n'ait pas ce rapport, en fait, mesuré, distant, que notre collectif invite à adopter, voilà, sans diaboliser personne. Mais prenons le temps de la réflexion, puisque notre enjeu, le nôtre, il n'est pas financier. Il est d'élever nos élèves, leur apporter un esprit critique et de les former le mieux possible, les rendre plus humains, en fait, tout simplement. et on n'élève pas des consommateurs, comme tu l'as dit, aptes à consommer.

  • Speaker #0

    Il y a des enjeux différents entre les enfants et les entreprises qui peuvent interagir avec les enfants. Justement, pour ne pas être le crétin utile de cette économie qui marche indépendamment de notre volonté, l'éducation numérique raisonnée... Vous vous êtes donné une mission. Est-ce que tu peux nous résumer la mission en une phrase ? Et puis cette mission est accompagnée d'une lettre et d'un appel. J'aimerais qu'on parle de ça, que tu nous expliques un petit peu déjà cette lettre, ce qu'elle dit, l'appel que vous lancez, l'objectif qu'il y a derrière, où est-ce qu'on en est aujourd'hui, et puis comment on peut rejoindre éventuellement ce mouvement. Qui peut le rejoindre aussi ? On va parler de tout ça si tu veux bien.

  • Speaker #1

    Alors notre objectif c'est de, je dirais d'abord de reconnecter nos élèves au monde réel. Notre impression c'est qu'on est devenu complètement sous l'emprise d'un numérique qui rend les interactions virtuelles et qui isole nos élèves. Donc le point... On a deux points principaux. D'abord, à l'école, justement, de réguler cet usage du numérique. On considère que les manuels scolaires doivent être en version papier. Il n'y a aucun intérêt à lire sur un écran. Au contraire, les études prouvent qu'on comprend mieux un texte complexe du papier que sur un écran. On demande aussi à revenir... C'est des choses toutes simples et toutes bêtes. Mais quand on n'a pas été dans une salle de classe, on a du mal à imaginer. Mes élèves, ils n'ont plus d'agenda. Je leur dis, vous allez noter ceci pour la semaine prochaine. En fait, ils font autre chose, ils rangent leurs affaires. Parce qu'ils me disent, vous allez le mettre sur l'ENT, madame. L'ENT, c'est la surface, l'interface sur laquelle on note les devoirs, le cahier texte en ligne.

  • Speaker #0

    On n'a plus de cahier texte.

  • Speaker #1

    On n'a plus de cahier texte, parce qu'en fait, tout sera mis en ligne. C'est vachement pratique. Sauf qu'en fait, ça veut dire qu'en fait, ils sont passifs, ils ne se posent pas de questions pour savoir s'ils ont compris leurs devoirs. Et de toute façon, ils vont se reconnecter à la maison pour savoir ce qu'il faut faire pour le lendemain. Notre point principal, il est simple, il est de demander pour les élèves un droit à la déconnexion, c'est-à-dire que l'école s'engage à ce que les élèves puissent travailler à la maison sans écran. pour simplifier aussi le travail des parents, de contrôler, de savoir que là, tu es en train de faire tes devoirs, donc tu n'as pas besoin de ta tablette.

  • Speaker #0

    C'est vrai qu'on ne sait pas ce qui se passe sinon derrière un écran.

  • Speaker #1

    On ne sait pas ce qui se passe. Alors, il y a évidemment des outils de régulation, mais ça ne marche jamais. Et puis aussi, et c'est un point qui est vraiment important, et que je tiens à titre personnel, mais qui devrait être en fait un sujet national, mais pour encourager la lecture. C'est-à-dire que plus on rend l'écran incontournable dans les apprentissages, plus de fait on ringardise le livre. On a des familles dans des milieux plus défavorisés pour qui les seuls livres qui sont présents à la maison sont les manuels scolaires. Si l'école n'a plus ce rôle de familiariser les enfants et les adolescents à l'objet physique du livre, à la lecture, qui le fera ? Or, on sait bien, on peut rétorquer, oui, mais on peut lire sur du numérique. De fait, il est prouvé qu'on ne lit pas de la même manière. Je reviens toujours à cette idée de texte complexe. On lit avec une impression de comprendre sur un écran qui n'est pas la même pour du livre sur le papier. Le premier point, c'est un droit à la déconnexion pour préserver le travail à la maison sans écran. Le deuxième point, c'est d'englober l'école dans une campagne de prévention, de sensibilisation sur les risques du numérique récréatif. Aujourd'hui, dans les programmes scolaires, on n'a absolument rien sur les enjeux du numérique. C'est très, très pauvre. Alors, il est important d'expliquer aux élèves toute cette question de l'économie de l'attention, les dangers pour leur santé physique, mentale, enfin tout ce qu'on sait aujourd'hui et dont on parle de plus en plus. Et on considère que l'école a un rôle de co-éducation avec les parents, de prévenir sur ces sujets-là. On va en fait assez loin dans notre réflexion et concrètement on aimerait bien que l'école propose aux parents de signer une charte en même temps que le règlement intérieur où les parents s'engageraient à respecter un cadre de vie hygiénique, sain par rapport aux écrans. Et je pense notamment à la règle des quatre pas de Sabine Duflo que tu connais peut-être. Pas d'écran le soir avant de se coucher, pas d'écran à table, pas d'écran le matin. et pas d'écran dans la chambre à coucher. C'est des choses très simples dont ont besoin les parents, et on le voit aussi dans les témoignages qu'on recueille, qu'il y a une détresse parentale, les parents qui ne savent pas comment gérer ces tensions avec les enfants, et parfois qui n'ont pas conscience du problème.

  • Speaker #0

    Or, ce qui se passe à la maison a un impact évident sur nous, sur la qualité de l'apprentissage des enfants qui arrivent fatigués, qui n'ont pas la concentration qui leur permet de retenir ce qu'on leur dit en classe. Donc ça, le deuxième point, c'est la sensibilisation sur les dangers des écrans. Et enfin, le dernier point dont on a peu parlé, mais qui est important pour nous, c'est de renforcer la formation aux sciences numériques en donnant un créneau horaire dédié à ces questions-là. Et c'est pour ça que quand tu me disais, est-ce qu'il faut enlever les écrans des écoles ? Ben non, puisque l'école a aussi pour mission de former les élèves au numérique. Et ça, c'est extrêmement important. Je pense qu'un des meilleurs cours que j'ai eus à l'ESSEC, c'était le cours de... d'apprentissage, d'Excel en fait, de bien gérer toutes les fonctionnalités, etc. Et de voir comment gagner du temps avec l'outil. Mais notre idée, c'est de remettre le numérique à sa place d'outil et non pas comme une fin en soi.

  • Speaker #1

    D'accord, donc ce serait plutôt un cours de numérique avec une heure ou deux dans la semaine où en effet, on va apprendre à utiliser les numériques.

  • Speaker #0

    À manipuler, à comprendre les enjeux, etc. Aujourd'hui, l'enseignement... Au média et à l'information est dispatché dans plein de matières, mais il vient polluer en fait les apprentissages des autres matières. Moi en français j'ai... En quatrième, j'avais cinq heures par semaine. J'ai besoin de ce temps pour faire travailler la lecture, l'écriture à mes élèves. Ce temps qu'on libérait des matières traditionnelles, il doit être en effet réuni, regroupé pour une matière qui serait enseignée par un professeur spécialisé. Moi, je n'ai pas forcément les compétences nécessaires. Et ce point-là qui est le nôtre et qu'on défend, c'est un point qu'on retrouve dans le document du Conseil supérieur des programmes de 2022. qui invite à dégager, justement, à créer une matière spécifique sur ces points-là.

  • Speaker #1

    Il me semblait qu'il y avait déjà des cours, peut-être que ça dépend des écoles, peut-être que ça dépend des parcours, mais il n'y a pas déjà des cours de sensibilisation au numérique dans les écoles ? Ça n'existe pas encore, ça ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, ce qui a été introduit, c'est la plateforme PIX, qui est un moyen d'auto-évaluation des élèves. Mais en fait, ils ont une certaine autonomie pour le faire. Donc c'est bien, c'est un bon départ. Mais ce qu'on constate, c'est qu'au collège, l'autonomie, ça ne fonctionne pas. Ils ont besoin d'être accompagnés par un enseignant qualifié. et aussi qu'ils puissent leur apprendre, leur expliquer. Et ça, c'est aussi un point qu'on retrouve dans le Conseil supérieur des programmes de 2022.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc, en effet, je comprends bien les trois enjeux. Il y en a un des trois enjeux qui est le second dont tu as parlé, qui, pour moi, fait un peu écho à certaines conclusions du rapport de la commission Écran. La sensibilisation, c'est un gros point du rapport qui... On préconise globalement de mieux éduquer un peu tout le monde dans le système éducatif, les enfants, les parents, etc. J'aimerais bien plus globalement avoir... J'imagine que tu le connais ce rapport, que tu l'as peut-être même lu. Oui. J'aimerais bien avoir ton avis sur les conclusions globalement de ce rapport en perspective de la mission que vous donnez avec l'éducation numérique raisonnée. Est-ce que ce rapport va dans le bon sens ? Qu'est-ce qu'on peut en espérer ? Est-ce que demain on peut espérer une législation, voire des mesures coercitives ? Pour les écoles qui ne joueraient pas le jeu du numérique... Est-ce que c'est satisfaisant ? Est-ce qu'on va dans le bon sens ? Qu'est-ce que tu en penses ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'on va dans le bon sens, bien sûr. En gros, les recommandations phares qui sortent du rapport, elles sont indexées sur l'âge des enfants. Donc, pas d'écran avant 3 ans, ça me semble évidemment nécessaire. Et puis ensuite, il y a toute la question de l'accès aux smartphones. Donc, pas de téléphone avant 11 ans, pas de smartphone avant 13 ans, mais toujours sans accès aux réseaux sociaux. Et puis, ils vont presque plus loin que ce qu'on avait imaginé, c'est-à-dire pas de réseaux sociaux avant 18 ans. Tout ça, c'est très bien. Ce qu'on attend maintenant, c'est des mesures concrètes, fermes, etc. Je pense que le risque de ce genre de recommandation, c'est qu'on remette toute la pression aux parents, alors qu'on sait qu'il y a une pression sociale énorme pour les parents sur la question du numérique. les parents qui équipent leurs enfants de smartphones, c'est beaucoup parce que leurs enfants leur disent mais tout le monde en a un Donc c'est compliqué de lutter contre la pression sociale avec de simples recommandations. C'est pour ça qu'on pense qu'on a besoin d'être accompagnés par les pouvoirs publics. Il faut une législation ferme. Et puis il faut aussi un soutien de l'école qui doit avoir ce même discours clair. En attendant cette législation, on soutient l'initiative des pactes locaux de parents. Je ne sais pas si tu en as entendu parler.

  • Speaker #1

    Tu peux nous en dire plus.

  • Speaker #0

    C'est un peu à l'image de ce qui se fait dans les pays voisins européens. De plus en plus des pactes locaux au niveau départemental, c'est des pétitions en ligne sur change.org de parents qui s'engagent à équiper leurs enfants de smartphones après 15 ans, à l'arrivée au lycée. Pour nous, c'est une première démarche, par l'enjeu collectif, de se dire qu'on va résister à cette pression du numérique qui est subie pour beaucoup de parents.

  • Speaker #1

    On peut imaginer ça d'ailleurs dans les associations de parents d'élèves.

  • Speaker #0

    Exactement, de relayer ce genre d'appels, etc.

  • Speaker #1

    C'est ça, de se dire, nous dans notre école, est-ce qu'on est tous d'accord pour dire qu'on ne met pas de smartphone à nos enfants avant 13-14 ans ? C'est des choses qui existent, j'imagine ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, ça n'existe pas, non. Je pense que, évidemment, c'est le... dans le sens qu'on souhaite aller.

  • Speaker #1

    Parce que tu parlais tout à l'heure de chartes potentiellement à signer, on pourrait imaginer qu'on fasse signer demain, de façon un peu obligatoire, une charte sur le...

  • Speaker #0

    Je m'engage à ne pas équiper mon enfant de smartphone avant tel âge. Oui, ça fait partie des pistes qu'on... qu'on propose et qu'on soutient.

  • Speaker #1

    Je serais curieux de savoir comment ça serait accueilli par les parents.

  • Speaker #0

    Alors, ce qu'il faut savoir, c'est qu'en fait, le problème, il n'est pas seulement des enfants. Pour les parents, c'est très rassurant de savoir que leurs enfants sont équipés de smartphones parce qu'ils peuvent les joindre à tout moment. Et je ne sais pas si tu as entendu parler du livre Anxious Generation de Jonathan Haidt. qui m'a vraiment énormément intéressée et qui montre que le problème de santé mentale de la jeune génération, on est après 95, la génération Z, vient de ce décalage entre la sous-protection dans le monde virtuel, qu'on commence à découvrir maintenant et dont on a conscience, et la surprotection dans le monde réel, qui est le problème des parents, qui sont incapables de lâcher leurs enfants. Et en ce sens, moi, en tant que mère de famille, je m'y retrouve complètement. C'est vraiment très difficile dans un monde qui est dangereux, qui nous est présenté comme tel, d'accepter qu'on va perdre le contact avec nos enfants, qu'on va les laisser aller seuls dans la rue, qu'ils vont pouvoir aller à l'air de jeu seuls. On le voit d'ailleurs avec les airs de jeu qui sont toutes élastiques, où les enfants ne peuvent plus se faire de mal. Mais il y a sûrement un changement de mentalité qui doit s'opérer aussi sur ce sujet-là. d'apprendre à lâcher prise et de redonner une certaine liberté à nos enfants en confiance avec notre monde actuel. En tout cas, on sent la naïveté qui peut être la nôtre de croire les protéger en les équipant d'objets qui leur donnent accès à des choses qui leur font mieux.

  • Speaker #1

    Il y a un chiffre d'ailleurs qui est assez frappant sur ce sujet, je trouve. Parce que dans ce que tu dis, en effet, nous on est surprotecteurs aujourd'hui et on ne veut pas lâcher nos enfants physiquement alors que... On est incapable de savoir où est-ce qu'ils vont et quelle violence ils ont devant les yeux sur leur téléphone. Et en parallèle de ça, je regardais une étude récemment qui disait qu'un enfant de 10 ans, aujourd'hui, en moyenne, il a un périmètre autour de ses parents pour lequel il est libre de faire ce qu'il veut de 800 mètres, alors qu'il y a 60 ans c'était 10 kilomètres.

  • Speaker #0

    J'ai vu la même étude.

  • Speaker #1

    Je trouve ça assez incroyable parce qu'on est surprotecteur aujourd'hui, géographiquement, physiquement, on a peur de ce qui se passe dans la vie réelle. On est incapable de comprendre même toutes les violences ou toutes les choses qui peuvent avoir un impact encore pire que ce qui pourrait se passer dans le monde réel sur les téléphones. En effet, cette asymétrie est assez incroyable. On est au niveau zéro de notre capacité à agir sur le monde. sur la vie numérique de nos enfants.

  • Speaker #0

    Je pense qu'on a une vraie responsabilité en tant qu'adultes, que des générations d'enfants ont été sacrifiées par notre naïveté sur le numérique. On n'a pas compris ce qui se passait, on n'a pas compris à quel point on les mettait en danger. Et le propos de notre collectif aujourd'hui, c'est de dire attention à la naïveté qu'on a eue sur le numérique récréatif, n'ayons pas la même avec cet enthousiasme BA qu'on retrouve sur le numérique éducatif, qui serait censé sauver l'éducation, sauver l'enseignement. Et je pense qu'il y a un vrai enjeu aujourd'hui de prise de conscience qui n'est pas encore collective.

  • Speaker #1

    Oui, alors, un set appel, c'est trois points sur lesquels... Vous avez envie de travailler et de proposer des choses. Vous avez un objectif de nombre de signatures. Est-ce qu'il faut d'ailleurs un nombre de signatures minimum pour être vu par Emmanuel Macron ?

  • Speaker #0

    Tu peux lui demander. Tu lui demanderas, tu me diras.

  • Speaker #1

    On essaiera de le taguer dans le post qu'on fera quand on parlera de ce podcast.

  • Speaker #0

    Non, je n'ai pas d'objectif. En fait, cet appel, c'est une manière de rendre... d'avoir un retour sur ce qu'on fait, sur notre action. et puis d'engager un peu la société civile et le monde enseignant. Notre objectif, c'était d'abord de porter la voix d'une partie des enseignants qu'on ne sentait pas écoutés, pas consultés par tout ce projet numérique. qui nous a été imposée d'en haut, en fait, sans attention à nos besoins précis, à notre manière d'enseigner, etc. Quand on parle en salle des profs, on se rend compte qu'on est très nombreux à penser, en fait, que cette injonction d'intégrer le numérique n'a pas de sens, que nos élèves ont besoin d'être plus familiarisés aux livres, d'écrire à la main, etc. La première idée, c'était de porter cette voix, de donner la parole aux enseignants, mais aussi d'engager la société civile, les parents d'élèves, que tout le monde se sente concerné, parce que nos élèves d'aujourd'hui, ce seront la société de demain, les futurs électeurs, mais aussi les futurs médecins, etc. Ce qu'on pense vraiment, c'est qu'il y a une dérive dans cette omniprésence du numérique dans l'éducation, qui est de gommer tout sens de l'effort. Et ça, c'est extrêmement inquiétant pour la suite. Ce que nous disent déjà un peu les entreprises, d'ailleurs, quand ils remarquent les nouveaux collaborateurs. Il y a quelque chose de très séduisant dans le numérique, qui est le plaisir instantané que peut nous donner une application. Je l'ai testé, j'ai fait un quiz en ligne à la demande de mes élèves. Il y a plein d'images dans tous les sens, c'est très stimulant. Il y a plein de couleurs, c'est ludique. Je me demande ce que retiennent les élèves. Est-ce qu'ils ont mieux retenu la leçon en particulier ? C'est une vraie question pour laquelle on n'a pas de chiffre précis. Mais indépendamment de ça, les activités qu'on peut faire par le NUMEC ne sont pas les mêmes que celles qu'on fait avec un papier et un crayon. Quand on demande aux élèves de réfléchir sur un temps long, de fournir un effort un peu complexe, ils ont besoin de cette page blanche de pouvoir réfléchir. Et moi je l'ai constaté individuellement, à mon échelle. J'enseigne en première le français. Un des grands exercices principaux, c'est la dissertation. J'interdis la tablette à mon cours. Et quand la première fois que j'ai donné un sujet de dissertation, ils ont dû chercher leurs idées par eux-mêmes sur une plage blanche, c'était la panique. Parce qu'en fait, ils n'ont pas l'habitude de chercher par eux-mêmes. Ils ont l'habitude de tout le temps aller vérifier l'information sur Internet. de tout le temps trouver une béquille qui leur empêche de produire une réflexion personnelle. Et ça, je trouve que c'est extrêmement inquiétant, parce qu'en fait, ça vient saper leur confiance en eux. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas capables de le faire, c'est qu'ils pensent qu'ils ne sont pas capables, que ce sera toujours mieux ce qu'ils vont trouver sur Internet. Et ça, c'est accentué par l'intelligence artificielle. La réponse qu'il va leur apporter numériquement sera supérieure à ce qu'ils pourront produire eux-mêmes. Et par cette absence de confiance en eux, en fait, il est en train de se produire ce qu'il redoute. C'est-à-dire qu'en fait, quand on ne s'entraîne pas à réfléchir par soi-même, on ne sait plus réfléchir.

  • Speaker #1

    Bien sûr. J'ai quand même une question là-dessus que je me pose à titre personnel sur l'évolution de... des besoins cognitifs qu'on a nous en tant qu'être humain. Donc avant qu'on ait Google dans notre vie globalement, il fallait savoir comment chercher pour être efficace. Après on a eu Google, il fallait savoir quoi demander à Google pour que ça marche. Aujourd'hui on a l'IA qui commence à arriver pour tout le monde et l'enjeu est plutôt de savoir bien briefer une intelligence artificielle pour qu'elle nous réponde exactement ce dont on a besoin. A priori, ça fait quand même... Moi, j'ai toujours connu dans ma vie les moteurs de recherche quasiment. J'ai pas le sentiment aujourd'hui d'avoir besoin de savoir aller chercher de l'information en bibliothèque et de me creuser la tête de savoir comment je vais devoir m'y prendre pour trouver telle information qu'il me faut, etc. J'ai besoin de savoir comment je parle à Google. Est-ce que dans le futur, on a vraiment besoin de savoir réfléchir comme... on l'apprenait sur les 100 dernières années dans l'école de Jules Ferry. Est-ce que notre façon de réfléchir n'évolue pas aussi avec la technologie ? Et dans ce cas-là, il faut peut-être juste savoir bien l'utiliser.

  • Speaker #0

    C'est une vraie question. Je n'ai pas les réponses à toutes ces questions. En revanche, ce que je pense, c'est que le numérique amplifie les inégalités. C'est-à-dire que la différence, on aura toujours besoin de personnes qui maîtriseront la technologie, qui sauront réfléchir. Et donc, plus vous déléguez à d'autres, que ce soit une intelligence artificielle simplement d'autres, cette faculté de raisonner, d'exercer un esprit critique et de réfléchir par vous-même, plus vous vous rendez impuissant, plus vous vous mettez à l'écart du monde de demain. Je n'ai pas les réponses à toutes les questions, honnêtement, mais je suis personnellement assez inquiète de la tournure que prennent les choses et surtout du manque de recul critique de cette transformation massive qui est en train de se produire. Quand je vois sur le site de l'Académie de Paris, à la page d'intelligence artificielle, comment utiliser l'intelligence artificielle en enseignement ? Il y a un exemple qui est donné, qui est mis en valeur d'une enseignante en première, qui montre à ses élèves comment utiliser l'intelligence artificielle pour faire une dissertation. Elle explique que jusqu'à maintenant, les élèves posaient la question, le sujet de dissertation à Chachipiti, et ils avaient une réponse, mais ils n'avaient pas les citations. Or, maintenant, avec un nouveau logiciel qui permet de dialoguer avec l'œuvre, l'œuvre peut proposer des citations, et c'est très bien, parce qu'en fait, elle propose directement la page à laquelle il faut aller pour pouvoir vérifier la citation. Et donc en fait, ce qu'on est en train de proposer, c'est justement ce que tu dis, c'est d'arrêter de réfléchir par soi-même, arrêter de lire l'œuvre, ça n'a plus d'intérêt, simplement de maîtriser l'outil, de savoir comment cliquer, quelle page vérifier, etc. Or ce que je pense, j'ai vraiment cette conviction, c'est que le but de l'apprentissage n'est pas le même que celui du professionnel. Dans l'apprentissage, dans l'enseignement, on doit privilégier justement tout ce qui est le tâtonnement, l'erreur, la recherche. le fait de se tromper, le fait d'essayer de ne pas arriver. En fait, moi, ça m'est complètement égal. Le résultat, un élève qui me donne une dissertation parfaite, ça n'a aucun intérêt en soi, la fin, la dissertation, personne ne va la lire autre que le prof, personne ne va l'encadrer. Ce qui est intéressant, c'est tout le chemin qu'il a pratiqué, qui a été un peu difficile, un peu long, qui lui a permis d'y parvenir. Il me semble qu'on est en train de confondre l'objectif du numérique, qui permet d'explorer des potentialités incroyables sur le plan professionnel, de manière très positive, et la fonction de l'apprentissage, qui est incompatible avec cette facilité, cette instantanéité. On est en train de confondre l'objectif pour le cheminement. Ce qui m'intéresse avec mes élèves... C'est justement leur cheminement, leur pensée personnelle et qui en fait se suit de manière humaine. Et ce qui rend aussi l'intérêt de notre métier, la spécificité de chacun avec tout son parcours, sa personnalité qui lui est propre.

  • Speaker #1

    Au final, un des enjeux, j'ai le sentiment qu'un des enjeux... Pour lesquels on est en train de perdre un petit peu le fil, c'est comment on redonne envie, où on remet un peu de sens et d'envie chez les enfants, dans le chemin de l'école en fait, dans toute cette phase d'apprentissage qui nous emmène un jour à faire une belle dissertation, sans qu'on ait besoin de passer par un chapitre.

  • Speaker #0

    Je pense qu'on se trompe d'objectif, c'est-à-dire qu'on devrait employer tous nos moyens pour redonner le goût des enfants à la lecture. Et quand on voit les chiffres du Centre national du livre, ils sont effrayants. 19 minutes par jour consacrées à la lecture pour les 16-19 ans. Entre 10 fois plus de temps sur les écrans, en dehors de ce qui est demandé pour l'école. Et ça, je ne comprends pas que ce soit un pas dans tous nos politiciens, qu'on n'en parle pas de ça. On a des élèves, des enfants qui ne lisent plus. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on n'a plus de patrimoine culturel commun. C'est-à-dire que le vivre ensemble de notre société de demain, il va se créer sur quoi ? On parle beaucoup... Le problème des enfants, c'est qu'ils ne savent pas utiliser les réseaux sociaux. Ils manquent d'esprit critique. On va leur apprendre à vérifier les informations. Mais qui mieux que la lecture peut enseigner l'esprit critique ? C'est parce que vous aurez lu un certain nombre d'auteurs, vous serez confrontés à des nuances de pensée, de raisonnement, que vous allez améliorer votre esprit critique et prendre de la distance par rapport à ce qui est dit dans les emoticons, avec les emoticons sur les réseaux sociaux. Donc...

  • Speaker #1

    Je crois que quand même, le Figaro, on a parlé de ces 19 minutes de lecture. Pour moi, j'ai le sentiment aussi que c'est aussi un peu la... C'est pas que la faute des écrans et des téléphones personnels, c'est aussi le fait que nous, en tant que parents, on lit aussi beaucoup moins et que les enfants font aussi ce que les parents font. Donc si les parents sont sur Instagram toute la soirée, il n'y a pas de raison que les enfants n'y soient pas. Et c'est juste quelque chose que je voulais ajouter à notre conversation, qui est que... Il ne s'agit pas que de regarder les enfants, il s'agit aussi de regarder nous-mêmes, notre façon d'être à la maison, de travailler, d'interagir, quand on est entre nous, quand on est au resto, quand on est face à ces écrans, comment on agit nous, et c'est aussi un point qui est important. Et pour moi la lecture elle est symptomatique aussi de ça, elle n'est pas uniquement le fait des écrans, même si les écrans sont... Une réponse alternative.

  • Speaker #0

    Ce qui vaut pour les enfants vaut aussi pour nous. C'est-à-dire que moi, je suis sûre que je lis beaucoup moins depuis que j'ai un smartphone, parce que je passe beaucoup de temps à scroller sur mon smartphone alors que je devrais passer le temps à lire. Et je suis professeure de français et je suis hyper engagée dans la question. Donc oui, c'est une question qui nous concerne tous. Mais souvent, les enfants nous invitent à nous remettre en question. Donc je pense que tout ce questionnement qu'on a sur l'éducation, sur l'orientation qu'on veut donner, comment on veut faire grandir nos enfants, en qu'est-ce qui compte. par ricochet, ça nous invite nous-mêmes à nous remettre en question. Et moi, en tout cas, à titre personnel, il participe très fortement.

  • Speaker #1

    Dans les dernières questions que j'avais pour toi, c'était un peu justement de savoir toi, en tant que professeur de lettres, qui j'imagine, alors moi, l'idée que je me fais des professeurs de lettres, c'est des gens qui rentrent chez eux avec leur grande bibliothèque derrière eux et qui ouvrent trois bouquins en faisant des notes partout, etc. qui n'ont pas d'ordinateur.

  • Speaker #0

    Pas du tout dans ce fil-là malheureusement, mais j'aimerais bien.

  • Speaker #1

    Très cliché. Et aussi en tant que mère de quatre enfants, ça c'est très important pour nous. Tu vois, toutes les personnes qui viennent à ce podcast nous racontent un petit peu comment elles gèrent les écrans. Alors, il n'y a pas en général une règle absolue qu'il faut suivre, mais parfois il y a des exemples. Il y a peut-être des gens qui vont écouter ce podcast, on espère, et qui vont se dire Ah bah tiens, attends, je me reconnais pas mal dans le profil d'Agnès, ça va voir comment elle gère ça. Est-ce que tu as mis des choses en place, soit pour toi, soit pour les enfants, à la maison ?

  • Speaker #0

    Alors pour mes enfants, on va commencer par ça. Moi j'ai toujours été très sensible à la question des écrans. Donc le pas d'écran avant 6 ans, je l'ai appliqué sans vraiment de difficulté, parce que j'ai toujours été convaincue que ce serait pire.

  • Speaker #1

    Tous les écrans ?

  • Speaker #0

    Tous les écrans. Pas de télé ? On n'a pas de télé chez nous. Ouais, non, on leur a pas de montrer de dessin animé. J'ai l'impression que quand je dis ça, les gens me disent Mais comment t'as fait ? En fait, je pense que c'est plus simple, que ce soit un principe de base. En fait, ils y pensent même pas, mes enfants, ils me le réclament pas. Je pense que c'est plus compliqué quand on est dans un entre-deux où c'est une négociation un peu permanente. Ils savent qu'ils vivent pas avec. Alors mes deux aînés, 7 et 8 ans, on leur montre de temps en temps des films. On essaie d'en faire un moment sympa, où on est avec eux, où l'écran n'est pas un baby-sitter. Ça ne veut pas dire que je suis une super maman, je ne suis pas tout le temps disponible pour mes enfants, au contraire, pas assez. Mais ça veut dire que j'accepte que mes enfants s'ennuient. Je pense que c'est un vrai sujet, que mes enfants ne sont pas tout le temps occupés. Et grâce à ça, je pense en partie, mes deux aînés adorent lire, ils lisent beaucoup. C'est aussi une question de personnalité. Je ne m'en glorifie pas et j'en suis heureuse pour eux. Mon troisième, il écrit sur les murs, ça arrive souvent, il fait plein de bêtises, mais tout le temps. Mais en fait, on l'accepte. Et c'est vrai que ce serait plus facile de le mettre devant un dessin animé, mais ça fait partie des convictions que j'ai très fortes et je suis contente d'avoir tenu là-dessus.

  • Speaker #1

    Tu sens une différence entre tes enfants et les autres enfants ? Non. Quand tu es avec des amis ?

  • Speaker #0

    J'aimerais pouvoir dire ça, et ce serait d'ailleurs très prétentieux, mais en fait, c'est l'avantage d'avoir plusieurs enfants, c'est que je découvre qu'ils ont des personnalités très différentes. Mes deux aînés, c'est des petits intellos, ils lisent très bien, ils s'expriment très très bien. Je pourrais me dire, en fait, bah oui, génial, j'ai réussi. C'est facile. J'ai réussi, c'est facile. Mon petit troisième qui a trois ans, que j'adore, il parle toujours à peine. Il a le profil de ceux qu'on dit il a été surexposé aux écrans Sauf qu'en fait, non, il n'a jamais regardé un dessin animé. Donc la vérité est plus fine et heureusement. La vérité est plus fine et je ne peux pas dire que je vois de différence. Et à nouveau, je fais la part des choses entre la personnalité de l'enfant. Je ne donne de leçons à personne en fait. Ce que je dis, c'est que j'assume, j'ai été claire avec ce choix pour éducatif et j'ai la chance que mon mari partage les mêmes convictions. Ça a rendu les choses plus simples et j'assume les loupés. En fait, le nouveau, l'écriture sur les murs, les inondations dans la salle de bain. Pour moi, je n'étais pas dispo parce que c'est vrai que je ne suis pas toujours dispo pour m'en occuper.

  • Speaker #1

    L'apologie de l'ennui, c'est un vrai sujet, ça ?

  • Speaker #0

    J'adore cette idée. Je pense que c'est hyper important pour la créativité et même pour nous. Et alors, c'est là où moi, pour être honnête, il y a la faille. C'est que j'ai du mal à m'appliquer à moi-même ce que j'applique à mes enfants.

  • Speaker #1

    Alors, c'est la deuxième partie de cette réponse.

  • Speaker #0

    Et cette question de l'ennui, je pense que c'est un vrai sujet aussi chez les adultes. C'est-à-dire que j'ai du mal à être inoccupée ou tout le temps, je vais vérifier sur mon smartphone si je ne peux pas être utile. Parce que je suis tout le temps débordée entre les enfants et le travail, etc. Mais c'est une discipline que j'aimerais avoir et que je vise, c'est de prendre du recul et accepter d'avoir des moments libres, gratuits. Donc oui, j'ai essayé. Alors je suis très consciente du problème pour moi, même si je ne l'ai pas résolu. J'ai essayé plein de choses. Je me suis racheté un téléphone neuf touches, mais j'ai tenu une semaine, je n'y arrive pas.

  • Speaker #1

    Ah, intéressant ça.

  • Speaker #0

    Je me suis acheté une petite prison à téléphone. On s'est beaucoup moqué de moi là-dessus. Un petit boîtier où on range son téléphone et on le verrouille. Et puis plus récemment, grâce à Julien, j'ai enlevé les notifications intempestives. Donc non, je travaille sur le sujet. Mais c'est un vrai sujet en fait, comment se libérer.

  • Speaker #1

    Attends, juste revenons sur le téléphone à touche là. Incroyable, t'as testé, qu'est-ce qui fait que ça n'a pas tenu ? C'est trop compliqué d'écrire des SMS ?

  • Speaker #0

    Trop compliqué d'écrire des SMS, le son était mauvais. Mais voilà, je sais qu'en ce moment, il y a une entreprise de phone, je pense que vous êtes au courant, qui est en train de préparer un téléphone.

  • Speaker #1

    On a reçu Maëlys Kanzler sur ce podcast il y a... Alors, on se parlait il y a quelques semaines, je pense que le podcast sortira avant celui-ci.

  • Speaker #0

    Je pense que je vais en acheter quand il sera disponible, ça m'intéresse.

  • Speaker #1

    On va faire une super pub.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est précieux qu'on arrive à distinguer l'utile du superflu. Clairement, le smartphone, c'est un piège énorme.

  • Speaker #1

    Règle très claire pour les enfants. Des essais plus ou moins fructueux pour toi, même si la prise de confiance est là. Et en effet, ce n'est pas évident. Est-ce que d'ailleurs, en tant que prof, vous êtes sollicité digitalement par... Je ne sais pas, vous avez des interactions avec le ministère de l'Éducation, je ne sais même pas comment ça se passe. Est-ce que votre employeur vous sollicite beaucoup numériquement aussi ? Est-ce que vous êtes sur Slack, sur Teams, j'en sais rien, sur d'autres choses comme ça, entre profs ? Je te dis ça, ça ne se fait plus à 2000 kilomètres de...

  • Speaker #0

    Non, pas vraiment. Sûrement des collègues qui le sont, mais moi, ce n'est pas mon cas, en fait. Non, très peu.

  • Speaker #1

    Pas besoin d'appliquer ton droit à la déconnexion dans le cadre de ton travail.

  • Speaker #0

    Non, mais d'ailleurs, c'est ce que j'aime dans mon travail. C'est aussi une des raisons pour lesquelles j'ai voulu quitter l'entreprise. J'en avais assez d'être tout le temps devant un écran. Et ce que j'aime dans la salle de classe, c'est d'être... d'être debout, d'être dans l'interaction avec mes élèves, ce côté humain qu'on trouve assez peu dans les différents métiers. Et j'avoue que quand les tablettes ont fait irruption dans les salles de classe, ça m'a fortement contrariée aussi pour ça.

  • Speaker #1

    Je comprends. Génial. J'ai fait le tour de nos questions et merci beaucoup Agnès. C'était très intéressant, très fourni, très détaillé. Moi, je suis très heureux d'être rentré dans ces documents-là de l'éducation nationale qui me sont totalement étrangers. C'est des sujets dont on n'avait pas encore parlé dans le cadre de Screen Break. Et tu as réussi à nous donner une bonne vision. Moi, ma vision que j'ai en sortant de ce podcast à chaud, je me dis, OK, ce sujet des écrans dans le cadre de l'éducation, c'est un bordel. C'est pas vraiment géré de façon centralisée. C'est, on va dire, impulsé par... est soutenue par des idées qui elles-mêmes ne soutiennent pas l'idée. Et donc, il est temps d'agir en tout cas, ou d'essayer de faire porter une voix pour raisonner tout ça. Et donc, ça, c'est ton message qu'on essaierait de partager avec Screenbreak.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Merci Agnès. A bientôt. Salut.

Description

Dans cette épisode je rencontre Agnès Fabre, professeure de lettres en collège et lycée et fondatrice du collectif Education Numérique Raisonnée.

Le combat d'Agnès: remettre les écrans à leur place dans l'éducation.

Son appel c'est celui du corps enseignant qui assiste presque impuissant à l'omniprésence des écrans dans les classes et qui perd le contrôle

Elle nous explique la stratégie (presque inexistante) de l'éducation nationale sur le sujet du numérique et a confusion entre l'apprentissage du numérique et l'utilisation des outils digitaux à l'école.

Elle nous partage aussi sa vision du rôle de l'école et de ce que devrait être la bonne place pour le numérique: une matière "numérique", vous seriez pour?

Bonne écoute,


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    On passe 60% de notre temps libre sur nos écrans. Ils sont omniprésents et se sont imposés dans nos vies sans mode d'emploi. Leur impact est colossal sur notre travail, notre santé, notre bien social ou notre rapport au monde. Je m'appelle Ludovic Simon et dans le podcast Screen Break, je vous propose de rencontrer avec moi des entrepreneurs, des auteurs ou des scientifiques qui agissent concrètement pour nous aider à retrouver un rapport plus sain à nos écrans. Bonjour Agnès.

  • Speaker #1

    Bonjour Ludovic.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de venir au micro de Screen Break aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Merci de m'inviter, je suis très contente de pouvoir vous rencontrer et de pouvoir parler un peu du collectif Éducation Numérique Raisonnée.

  • Speaker #0

    Génial, alors on a récemment, on enregistre là ce podcast le 17 mai, qui est la semaine du buzz pour toi, puisque je crois que tout LinkedIn t'a découvert très récemment via un post qui a permis de faire connaître l'Éducation Numérique Raisonnée, donc on va en reparler aussi cette semaine. Nous, on t'avait aussi un petit peu déjà vu, parce qu'une de tes missions, c'est de faire signer cet appel, certainement à l'éducation nationale, on va parler de ça aujourd'hui, pour faire entendre raison à ceux qui décident de la façon dont on doit éduquer nos enfants à l'école. Avant qu'on parle de tous ces sujets et qu'on rentre vraiment à fond sur le sujet des écrans à l'école, est-ce que tu pourrais te présenter à nous ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. Alors j'ai 38 ans, j'ai 4 enfants et je suis professeure de lettres de classique, donc j'enseigne le français et le latin au collège et au lycée. Je n'ai pas toujours été prof et ça me semble encore un peu étonnant aujourd'hui, même si ça fait 7 ans, de dire que je suis prof. J'ai passé plus de temps en entreprise. J'ai un parcours un peu hybride parce que j'ai commencé par faire une prépa littéraire, une épocagne et une cagne. Et puis à 20 ans, je ne voulais pas être prof. Je suis une famille de profs. Ma mère l'était, ma grand-mère aussi. Et j'avais envie de voir le monde professionnel, de découvrir autre chose, de sortir de l'école. Donc j'ai passé les concours des écoles de commerce, j'ai intégré l'ESSEC. Et j'ai travaillé en marketing plusieurs années, j'ai eu différentes expériences en entreprise, jusqu'au jour où, et c'est là où ma vie personnelle et ma vie professionnelle sont liées, quand j'ai eu ma deuxième enfant, j'ai eu envie de trouver un autre sens dans mon métier. Donc j'ai passé le concours de l'enseignement. Pourquoi l'enseignement ? En fait, j'aimais ce que je faisais, mais à partir du moment où j'ai eu des enfants, j'ai voulu trouver un intérêt supérieur pour les quitter, pour travailler pour une cause qui me semblait plus profonde.

  • Speaker #0

    D'accord. Donc, au final, aussi, ton... L'héritage...

  • Speaker #1

    Et on est toujours rattrapés par son ADN, probablement.

  • Speaker #0

    T'es complètement rattrapée, mais pour la bonne cause. Reconversion, professeur de lettres, aujourd'hui c'est ton métier à plein temps. Et en parallèle de ça, tu as aussi créé une association, c'est ça ? L'éducation numérique raisonnée ?

  • Speaker #1

    Alors c'est un collectif.

  • Speaker #0

    Un collectif.

  • Speaker #1

    C'est mignon, il y a des personnels de direction, c'est plus souple qu'une association. On ne sait pas encore très bien quelle suite on va donner à ce mouvement. Notre collectif s'est créé en janvier, donc il y a quelques mois. Au départ, on était quatre, et puis on est devenu une vingtaine de membres vraiment représentatifs de la communauté éducative. On exerce dans le primaire, dans le collège, dans l'enseignement, enfin au collège et au lycée, et dans l'enseignement supérieur. Ce qui est intéressant, c'est qu'on est partout en France. On enseigne dans le public et dans le privé, dans des milieux à la fois très défavorisés, ruraux, et d'autres qui sont beaucoup plus favorisés. Et on est tous réunis par le même constat, quels que soient les milieux d'enseignement qui sont les nôtres, qui est l'emprise du numérique sur nos élèves, la manière dont ils sont ravagés par l'omniprésence des écrans, essentiellement dans l'usage récréatif. et qui créent des dégâts qu'on subit, nous, dans notre enseignement, quand on récupère nos élèves en classe.

  • Speaker #0

    Alors, ça, donc là, tu parles de l'usage des écrans pour les enfants, mais pas forcément dans le cadre de l'école. Enfin, ça peut être le téléphone que tu as à l'école, mais là, tu parles de l'usage récréatif aussi à la maison.

  • Speaker #1

    Bien sûr, on distingue l'usage récréatif, tout ce que font les enfants et les ados, les jeux vidéo, les réseaux sociaux. tout ce qu'ils font pour se divertir sur leurs écrans, qui peut être, comme tu l'as dit aussi, à l'école, entre deux pauses. Et l'usage éducatif, c'est la manière dont l'école prolonge l'exposition aux écrans des élèves sur des ordinateurs ou des tablettes, des applications éducatives.

  • Speaker #0

    D'accord, donc... La mission de l'éducation numérique raisonnée du collectif, elle est d'agir sur le récréatif en dehors de l'école et sur l'éducatif, c'est-à-dire l'utilisation des écrans à l'école.

  • Speaker #1

    Exactement, les deux. En fait, on fait la distinction, c'est important de la faire, mais pour nous, les deux sont liés. Et ce qu'on remarque quand on a vu le rapport de la commission Macron sur les écrans, les dégâts du numérique récréatif ont été extrêmement bien pointés. et on rejoint ce constat qu'on faisait sur le terrain avec nos élèves, des élèves qui sont fatigués, il y a un vrai enjeu de sommeil, qui sont plus sédentaires, qui sont en grande difficulté pour tout ce qui est de la santé mentale, qui sont isolés, qui ont du mal à se parler. En revanche, il y a un trou dans ce rapport sur la question du numérique éducatif. Or, pour nous, il est essentiel de réunir les deux, puisqu'on sait que les écrans qu'on distribue aux élèves à l'école présentent toujours un risque de glissement vers le numérique récréatif. C'est-à-dire qu'on sait qu'on a donné plein de bonnes intentions, mais ils vont finir par faire autre chose. Et les remontées qu'on a des parents, c'est qu'on les place dans une situation impossible, en leur donnant des injonctions contradictoires, en leur disant attention, limitez le temps d'écran de vos enfants mais en parallèle, on les oblige à se reconnecter à la maison, puisqu'ils doivent se connecter pour avoir accès à leurs agendas sur les ENT, pour avoir accès aux manuels numériques, pour pouvoir faire leur travail à la maison. Comment contrôler ce temps d'écran qui est devenu incontrôlable ?

  • Speaker #0

    Pour moi, dans le rapport de la commission écran, il y a un élément qui va dans le bon sens, qui est encore un peu différent de ce dont on se parle là, c'est plutôt... La position des écrans dans le cadre de l'école, pas forcément les écrans qui sont mis à disposition des élèves, mais les écrans qui peuvent être utilisés par du personnel de l'école et qui peuvent interférer dans les interactions entre eux et les élèves. Dans le rapport, notamment on parle de la toute petite enfance et des crèches et des maternelles, où un des enjeux c'est de dire zéro écran avant trois ans, ce qui veut dire aussi que dans les crèches et les maternelles, il faut enlever tout. rapport qui peut être un moment interféré par un écran entre quelqu'un du personnel éducatif et un enfant, est-ce que ça veut dire que... Ça doit être la même chose dans le secondaire, au collège, au lycée. On doit enlever complètement tout type d'écran, que ce soit pour le personnel, pour ne pas interférer dans les relations qu'ils vont avoir avec les étudiants, pour les étudiants dans leur éducation, ou même juste le fait qu'il y ait des éléments de l'éducation qui se passent en ligne, par exemple aller voir ses notes. Parcoursup, ce genre de choses, est-ce qu'il faut tout enlever ?

  • Speaker #1

    C'est une bonne question. En fait, on est évidemment mesuré et nuancé. Il y a plusieurs choses dans ce que tu dis. D'abord, plus l'enfant est jeune, plus il est évident qu'il a besoin de contact humain et que les écrans s'interposent entre l'adulte et lui-même. Et vient nuire à la relation, à ce qu'on appelle la notion d'attachement. Et puis tout ce dont l'enfant a besoin pour observer, manipuler. construire, apprendre, faire ses expériences, etc. Donc il y a une certaine progressivité. Plus l'enfant grandit, mûrit, l'adolescent, moins l'écran est nocif en lui-même pour son développement. Pour autant... Alors il y a plusieurs choses. Nous, je tiens à le préciser, on n'est pas contre le numérique. Moi je pense que le numérique c'est un excellent outil professionnel. J'utilise le numérique pour faire mes cours, j'utilise des ressources en ligne, tout ce que je produis et écris évidemment à l'ordinateur. Je projette des ressources audio pour mes élèves, ça m'arrive de montrer des petites scènes, par exemple en français, des petites scènes d'adaptation au théâtre. qui sont projetés. Et heureusement qu'on a ces outils pour nous enseignants avec un vidéoprojecteur dans chaque classe. Ce qui pose problème, c'est les écrans individuels. Et les écrans individuels, ils sont au service de l'élève, mais ils les isolent dans cette dynamique d'interaction, de synergie de classe. et ils viennent justement capter leur attention avec un phénomène d'addiction qu'on connaît, qui est la source du problème de glissement vers le récréatif. On ne maîtrise pas ce qu'il fait derrière sa tablette. Et quand il en porte à la maison, c'est pire, parce qu'il y a encore moins de contrôle. On n'est pas pour enlever les écrans des salles de classe. Alors nous, notre position, elle est nuancée. C'est-à-dire qu'on considère que ce n'est pas en mettant des tablettes entre les mains des élèves qu'on en fait des acteurs éclairés du numérique. On a en fait des consommateurs passifs qui vont faire des applications souvent assez ludiques, des quiz en ligne, etc. Mais on considère que toute cette logique du numérique au service de l'éducation est un leurre, en fait, rend des choses qui peuvent paraître rébarbatives plus amusantes. plus intuitives. Elles font taire les élèves aussi. Les classes sont plus silencieuses quand ils ont des tablettes parce qu'elles capent leur attention. Mais je suis, à titre personnel, pas du tout convaincue de la plus-value pédagogique. Et cette intuition, ce ressenti de terrain, il est confirmé par l'absence d'études significatives indépendantes à ce sujet.

  • Speaker #0

    C'est un point intéressant. Tu viens de faire bugger mon cerveau. Donc tu dis que... Ce que je comprends, c'est que là, il y a... Un sentiment qui vient du corps éducatif, qui est qu'en effet, ces écrans ne sont pas forcément une bonne chose dans l'apprentissage, dans les interactions sociales. Et parce qu'il n'y a pas d'études indépendantes qui le prouvent, ça veut dire que vous avez raison. En gros, ma question derrière, c'est, est-ce qu'il y a quand même un peu des chiffres, des choses qui vont dans le sens du message que vous portez et qui pourraient prouver qu'en effet... En enlevant les écrans, on serait plus performant à l'école. On apprendrait mieux, on suivrait mieux. Sans aucun doute, on aurait peut-être des meilleures interactions sociales entre nous. Est-ce qu'il y a des choses qui le prouvent ou qui commencent à aller dans ce sens-là ?

  • Speaker #1

    Oui, alors déjà plusieurs choses. J'aurais peut-être dû commencer par ça. En fait, ce qui m'a frappée, moi, quand j'ai commencé à enseigner, c'est cette injonction qu'on avait de la part de notre hiérarchie à l'éducation nationale d'intégrer le numérique à notre pratique pédagogique. C'est-à-dire que le numérique, aujourd'hui, est érigé comme un dogme pédagogique. comme si c'était une fin en soi d'utiliser le numérique pour enseigner. Ça m'a toujours énormément étonnée, surtout venant du monde de l'entreprise, où de fait, j'utilisais des tableurs Excel, je faisais des présentations PowerPoint à longueur de journée. Je voyais l'utilité pour mes réunions en interne et pour mes clients. Pour l'enseignement, quand j'enseigne le français, je ne vois pas l'intérêt en soi d'utiliser le numérique. Donc c'est une première chose, cette injonction très forte, mais qui n'était pas corroborée par des chiffres. Je me suis penchée sur... Et ça,

  • Speaker #0

    juste, si on revient sur ce point-là, avant de continuer sur ce qui a démarré ta mission, à quoi ça ressemble, l'évolution du numérique dans les écoles, là, depuis ces 20 dernières années, on va dire ? Tu vois, si je prends un exemple, moi, je me souviens, quand j'étais en sixième, on avait une salle avec des ordinateurs, un écran tout noir, je ne me souviens plus trop ce qu'on faisait dessus, mais on nous apprenait à faire des trucs dessus, quoi. Mais vraiment je crois que je ne sais même plus quoi. Je pense qu'il devait y avoir des jeux ludiques, on faisait ça en primaire quoi. Après moi j'ai un petit frère qui a une douzaine d'années de moins que moi, et lui quand il est arrivé en sixième on lui a donné un ordinateur. C'était le Val-de-Marne qui donnait des ordinateurs en sixième. Je crois qu'ils ont arrêté ça quand même, il y a quelques années, mais pendant encore très longtemps on donnait des ordinateurs aux enfants, dans certaines régions en tout cas. Comment ça a évolué ? On en est où aujourd'hui ? On donne encore des ordinateurs aux enfants quand ils arrivent au collège ou pas ?

  • Speaker #1

    C'est une situation qui est difficile à expliquer parce que l'équipement numérique est confié aux collectivités territoriales. Pour le primaire, c'est les communes qui sont responsables, certaines équipes de tablettes, les écoles primaires. Pour le collège, c'est le département, et au lycée, c'est la région. Donc en fait, c'est différent partout en France, dans le public et dans le privé. Donc il n'y a pas d'harmonie, mais c'est un vrai sujet, il me semble, d'harmoniser ces pratiques et d'avoir une direction claire de savoir où on va. La première chose, c'est cette grande disparité qui est liée aux conditions d'organisation pratiques, la responsabilité des collectivités territoriales et puis les établissements qui font ce qu'ils peuvent. Souvent avec beaucoup de bonne volonté et beaucoup de... d'incertitude sur ce qui est bon ou non pour les élèves. Je peux donner l'exemple précis de mon établissement. Les élèves sont équipés de tablettes à partir de la cinquième. Donc, ils ont chacun une tablette individuelle.

  • Speaker #0

    Donc, ça existe encore. On le fait encore.

  • Speaker #1

    On le fait encore. On le fait de plus en plus. De plus en plus parce qu'en fait, ce qui va avec, c'est la question des manuels scolaires. Ça doit te sembler loin, mais pour faire tes exercices de maths, ou pour lire tes textes en français, ou pour faire tes cartes en histoire-géographie, maintenant, de plus en plus d'éditeurs scolaires, enfin tous les éditeurs scolaires, proposent des versions numériques des manuels, et de plus en plus, les collectivités territoriales ne financent que la version numérique. C'est-à-dire que, par exemple, dans mon établissement, les élèves n'ont plus accès au manuel papier, mais pour avoir accès au manuel scolaire, ils doivent avoir cette version numérique. Or, qui dit version numérique, dit nécessairement un écran individuel, une tablette ou un ordinateur. Donc en fait, libre à moi d'utiliser ou non la tablette, j'ai cette liberté pédagogique, mais cette liberté est contrainte si je veux pouvoir avoir accès aux manuels scolaires, que mes élèves puissent avoir une référence de cette manière-là, ils sont obligés de se connecter. Donc en fait, on est pris dans une sorte de cercle un peu vicieux, qui se voulait vertueux à la base, mais qui se retrouve vicieux du point de vue de la surexposition des enfants aux écrans, où d'un côté on nous dit qu'on a des manuels numériques, donc il faut des tablettes. Et d'un autre côté, on nous dit, on a les tablettes, utilisons les manuels numériques.

  • Speaker #0

    Yes, wow. Et attends, et ça c'est... Ça vient d'où le fait qu'aujourd'hui, on est obligé quasiment de passer par le numérique pour les manuels scolaires ? C'est dû à quoi ?

  • Speaker #1

    Alors, il faut se pencher dans le document Stratégie du numérique pour l'éducation 2023-2027.

  • Speaker #0

    Il est devant tes yeux.

  • Speaker #1

    Il est devant moi, je l'ai bien étudié. Je vais aller vite. Il a été en gros publié par notre précédent ministre, ni celui d'avant, ni celui d'encore avant, par PAP-NVI en 2023. C'est à quel petit moment ? Il y a plusieurs éléments qui sont intéressants. D'abord, il y a tout un point sur les manuels scolaires numériques qui indique qu'au collège, le manuel scolaire peut être complété par sa version numérique. C'est dans un petit encart. Mais c'est quelque chose qui est très peu dit parce que souvent, les collectivités financent exclusivement la version numérique. Si on s'appuie sur le document qui vient de l'Éducation nationale, on voit qu'il n'est pas respecté. Compléter, ça veut dire qu'il faut garder une version papier. Ce n'est plus le cas aujourd'hui dans beaucoup d'établissements. Au lycée, il indique qu'il peut être remplacé par sa version numérique en concertation avec les collectivités territoriales. Et bien sûr, les collectivités s'engouffrent dans ce sujet, sûrement avec de bonnes intentions, mais aussi peut-être pour des logiques financières. Et l'Île-de-France, à ce titre, a communiqué récemment sur sa nouvelle plateforme numérique qui donnait un accès exclusif au manuel scolaire.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut... T'as peut-être pas fini, je te laisse terminer.

  • Speaker #1

    L'autre élément qui est intéressant dans ce document, c'est l'équipement individuel type pour les élèves. C'est tout ce qui est tablettes et ordinateurs par élève. J'adore ce document parce qu'il présente comme objectif de définir à la rentrée 2024 un référentiel pour l'équipement individuel en fonction des usages. Or, ce qu'on constate, c'est que la majorité des établissements scolaires sont déjà équipés sans avoir eu ce référentiel type qui serait censé venir de l'éducation nationale. Donc, en fait, qui... Qui fait la politique éducative aujourd'hui en France ? C'est une vraie question. Si c'est les collectivités territoriales qui n'ont aucune compétence pédagogique. Le deuxième élément qui m'intéresse beaucoup dans ce petit paragraphe, définir un équipement individuel type, c'est que l'orientation qui est donnée, c'est de privilégier les équipements individuels par rapport aux équipements mobiles. Les équipements mobiles, c'est dire que vous avez un lot de tablettes ou d'ordinateurs dans un établissement, et les enseignants les utilisent ponctuellement, etc. L'enfant repart avec son ordinateur ou sa tablette. Dans ce paragraphe, l'orientation stratégique d'éducation nationale donne sa préférence pour le collège et le lycée aux équipements individuels et le justifie par une étude précise qui vient de la... qui vient de l'éducation nationale, qui atteste qu'un élève qui dispose d'un équipement individuel développe plus facilement son aisance et ses compétences numériques. Mais on parle d'aisance et de compétences numériques, on ne parle pas de tout le reste, c'est-à-dire les apprentissages traditionnels et les compétences socio-cognitives. Or, pardon, je termine juste, mais j'ai été fouillée dans cette enquête Hélène, qui est l'unique référentielle pour justifier cette politique éducative sur le numérique. Et cette enquête est vraiment très intéressante. Je ne sais pas si beaucoup de personnes l'ont lue. Merci.

  • Speaker #0

    Je suis très heureux que tu l'aies lu pour nous, en tout cas, parce que moi, je ne l'ai pas lu.

  • Speaker #1

    Voilà, une piste de lecture pour la suite. Cette enquête est elle-même très mesurée, très nuancée. C'est-à-dire que dans la conclusion, on voit... typiquement que les effets des classes mobiles, les classes mobiles et l'eau mobile des tablettes, ont des effets faibles, voire négatifs, sur les apprentissages traditionnels en français et en maths. Or, beaucoup de collectivités territoriales équipent de classes mobiles. Des effets négatifs. Ensuite, un peu plus loin, je choisis, évidemment il y a des effets positifs qui sont démontrés. En ce qui concerne les compétences socio-cognitives, c'est-à-dire la collaboration, la créativité, les équipements individuels et partagés n'ont qu'un impact faible, voire nul. Cette enquête elle-même, qui sert de support pour justifier la stratégie numérique de l'éducation nationale, montre en fait une très pauvreté de l'intérêt d'équiper individuellement tous ces élèves et tout l'argent qui est mobilisé par les pouvoirs publics pour une stratégie qui semble menée à la dérive.

  • Speaker #0

    Ça paraît incroyable. Donc si j'essaie de résumer... C'est la professeure de lettres qui me dira si mon résumé de texte est bon. On met des écrans, qu'ils soient mobiles ou individuels, dans nos classes, nos écoles. On est plutôt brouillon sur la façon dont on le gère à différents moments de la vie scolaire, parce que c'est différentes collectivités qui le gèrent. Et en plus, tout ce qu'on fait de façon brouillon... justifié par un rapport qui lui-même explique qu'en fait, il n'y a pas un impact positif, voire il y a un impact plutôt négatif des écrans sur l'éducation et sur les rapports sociaux qu'entretiennent les enfants entre eux. au sein de l'école quand on met des écrans à leur disposition ?

  • Speaker #1

    C'est ça. Alors c'est un peu plus mesuré parce que ce rapport montre quelques impacts positifs, mais qui sont déjà assez faibles.

  • Speaker #0

    On peut les donner, les impacts positifs, quand même, histoire de...

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. J'ai la conclusion sous les yeux. Les tablettes individuelles ont des effets positifs sur les résultats scolaires des collégiens, allant de 9 à 25 d'écart-type, ce qui n'est pas non plus énorme. Les classes mobiles ont des effets nuls, donc déjà, il faut... Je pense qu'il y a un problème de logique, en fait. Si l'outil est bon en soi, pourquoi, lorsqu'il est partagé, il n'a pas d'effet, alors que quand il est individuel, il en a un ? Ça me semble étonnant. Et ensuite, la question des compétences socio-cognitives, elle est vraiment importante, parce qu'il y a un enjeu de nos élèves, qui n'est pas simplement de former des cerveaux, mais aussi des citoyens qui vont vivre ensemble. Et si l'impact de ces outils atténue leur capacité à collaborer, à travailler ensemble et à être créatifs, On a des sérieux problèmes pour la suite. L'impression qui se dégage de ce projet numérique de l'éducation nationale, même si la conseillère qu'on a rencontrée cette semaine nous a dit qu'elle en était très fière, c'est qu'il a été déployé de manière assez non coordonnée et en s'appuyant sur des chiffres scientifiques qui demandent à être remis en question et qui interpellent en tout cas. Et de fait, les établissements scolaires sont assez seuls par rapport à cette question du numérique. Nous, ce qu'on constate, parce qu'on recueille énormément de témoignages grâce à notre collectif, c'est qu'il y a beaucoup d'intimidations personnelles qui guident des choix stratégiques. Par exemple, dans mon établissement scolaire, Le choix d'équiper tous les élèves de tablettes a été fait par notre précédent directeur, juste avant qu'il parte à la retraite, parce qu'il se sentait lui-même dépassé par le numérique, il n'arrivait pas à écrire des mails, et donc il s'est dit que c'était très important que les élèves soient habitués au numérique dès le départ. Mais c'est quand même étonnant de se dire que des générations d'élèves vont être marquées par ce choix-là, pour des raisons qui sont...

  • Speaker #0

    C'est assez incroyable de se dire que c'est à ce point-là atomisé que... Chaque directeur d'établissement peut prendre la décision qu'il veut par rapport à ce sujet, sans être éclairé d'aucune façon sur l'impact que sa décision va avoir, à la fois sur les enfants, et puis aussi quand même financièrement. Ça coûte beaucoup d'argent d'équiper des générations d'étudiants, d'ordinateurs, de tablettes. J'ai un souvenir qui date maintenant un peu, mais je me souviens d'un scandale qu'il y avait eu avec Microsoft, je pense à la fin des années 2000. qui avait signé avec l'éducation nationale pour justement mettre des ordinateurs et des tablettes un peu partout, quasiment gratuitement, je crois que c'était ça le deal, et que l'éducation nationale en France avait foncé, en ne se rendant pas compte qu'ils allaient faire une génération de dépendants à Microsoft. C'était un super deal à l'époque, je pense qu'on n'en est plus là aujourd'hui, j'espère en tout cas. Je trouve ça assez incroyable ce que tu nous dis, c'est que... En fait, tiens. En t'écoutant, j'ai l'impression qu'il n'y a aucune réflexion stratégique, aucun pas de recul qui est pris sur le sujet.

  • Speaker #1

    En fait, il y a des enjeux financiers qui sont énormes, certainement. Mon but n'est pas de diaboliser les entreprises qui font de l'argent, ni d'avoir un caractère complotiste. Je pense que chacun a sa place. Il y a des entreprises qui vendent du matériel informatique, il y a des entreprises de la tech qui font leur business sur cette question-là éducative. Et à leur place, je ferais pareil. La première réaction de la directrice de Canopée après la sortie du rapport, c'était de dire Il faut réguler l'usage des écrans dans la vie des jeunes, mais l'école peut être le lieu d'une exception culturelle J'ai beaucoup aimé cette phrase. Et toute la tech s'encouffre dans ce sujet-là, justement sur la distinction dont on a parlé tout à l'heure entre l'usage récréatif et l'usage éducatif. Oui, le récréatif est très mauvais, les réseaux sociaux, mais l'éducatif est en fait la porte de salut. Ils sont dans leur rôle, en fait, ils vendent ce qu'ils font. Et moi, pour avoir fait du marketing, je trouve ça très bien. Ce qui m'interroge, c'est la manière dont nous, à l'éducation nationale, on devient en fait les crétins utiles de toute une industrie et que nous, on n'a pas cette place qui devrait être la nôtre d'exercer un esprit critique indispensable, un principe de précaution quand on n'a pas des... comment dire, justement, ces études indépendantes qui prouvent le bénéfice du numérique éducatif, qu'on n'ait pas ce rapport, en fait, mesuré, distant, que notre collectif invite à adopter, voilà, sans diaboliser personne. Mais prenons le temps de la réflexion, puisque notre enjeu, le nôtre, il n'est pas financier. Il est d'élever nos élèves, leur apporter un esprit critique et de les former le mieux possible, les rendre plus humains, en fait, tout simplement. et on n'élève pas des consommateurs, comme tu l'as dit, aptes à consommer.

  • Speaker #0

    Il y a des enjeux différents entre les enfants et les entreprises qui peuvent interagir avec les enfants. Justement, pour ne pas être le crétin utile de cette économie qui marche indépendamment de notre volonté, l'éducation numérique raisonnée... Vous vous êtes donné une mission. Est-ce que tu peux nous résumer la mission en une phrase ? Et puis cette mission est accompagnée d'une lettre et d'un appel. J'aimerais qu'on parle de ça, que tu nous expliques un petit peu déjà cette lettre, ce qu'elle dit, l'appel que vous lancez, l'objectif qu'il y a derrière, où est-ce qu'on en est aujourd'hui, et puis comment on peut rejoindre éventuellement ce mouvement. Qui peut le rejoindre aussi ? On va parler de tout ça si tu veux bien.

  • Speaker #1

    Alors notre objectif c'est de, je dirais d'abord de reconnecter nos élèves au monde réel. Notre impression c'est qu'on est devenu complètement sous l'emprise d'un numérique qui rend les interactions virtuelles et qui isole nos élèves. Donc le point... On a deux points principaux. D'abord, à l'école, justement, de réguler cet usage du numérique. On considère que les manuels scolaires doivent être en version papier. Il n'y a aucun intérêt à lire sur un écran. Au contraire, les études prouvent qu'on comprend mieux un texte complexe du papier que sur un écran. On demande aussi à revenir... C'est des choses toutes simples et toutes bêtes. Mais quand on n'a pas été dans une salle de classe, on a du mal à imaginer. Mes élèves, ils n'ont plus d'agenda. Je leur dis, vous allez noter ceci pour la semaine prochaine. En fait, ils font autre chose, ils rangent leurs affaires. Parce qu'ils me disent, vous allez le mettre sur l'ENT, madame. L'ENT, c'est la surface, l'interface sur laquelle on note les devoirs, le cahier texte en ligne.

  • Speaker #0

    On n'a plus de cahier texte.

  • Speaker #1

    On n'a plus de cahier texte, parce qu'en fait, tout sera mis en ligne. C'est vachement pratique. Sauf qu'en fait, ça veut dire qu'en fait, ils sont passifs, ils ne se posent pas de questions pour savoir s'ils ont compris leurs devoirs. Et de toute façon, ils vont se reconnecter à la maison pour savoir ce qu'il faut faire pour le lendemain. Notre point principal, il est simple, il est de demander pour les élèves un droit à la déconnexion, c'est-à-dire que l'école s'engage à ce que les élèves puissent travailler à la maison sans écran. pour simplifier aussi le travail des parents, de contrôler, de savoir que là, tu es en train de faire tes devoirs, donc tu n'as pas besoin de ta tablette.

  • Speaker #0

    C'est vrai qu'on ne sait pas ce qui se passe sinon derrière un écran.

  • Speaker #1

    On ne sait pas ce qui se passe. Alors, il y a évidemment des outils de régulation, mais ça ne marche jamais. Et puis aussi, et c'est un point qui est vraiment important, et que je tiens à titre personnel, mais qui devrait être en fait un sujet national, mais pour encourager la lecture. C'est-à-dire que plus on rend l'écran incontournable dans les apprentissages, plus de fait on ringardise le livre. On a des familles dans des milieux plus défavorisés pour qui les seuls livres qui sont présents à la maison sont les manuels scolaires. Si l'école n'a plus ce rôle de familiariser les enfants et les adolescents à l'objet physique du livre, à la lecture, qui le fera ? Or, on sait bien, on peut rétorquer, oui, mais on peut lire sur du numérique. De fait, il est prouvé qu'on ne lit pas de la même manière. Je reviens toujours à cette idée de texte complexe. On lit avec une impression de comprendre sur un écran qui n'est pas la même pour du livre sur le papier. Le premier point, c'est un droit à la déconnexion pour préserver le travail à la maison sans écran. Le deuxième point, c'est d'englober l'école dans une campagne de prévention, de sensibilisation sur les risques du numérique récréatif. Aujourd'hui, dans les programmes scolaires, on n'a absolument rien sur les enjeux du numérique. C'est très, très pauvre. Alors, il est important d'expliquer aux élèves toute cette question de l'économie de l'attention, les dangers pour leur santé physique, mentale, enfin tout ce qu'on sait aujourd'hui et dont on parle de plus en plus. Et on considère que l'école a un rôle de co-éducation avec les parents, de prévenir sur ces sujets-là. On va en fait assez loin dans notre réflexion et concrètement on aimerait bien que l'école propose aux parents de signer une charte en même temps que le règlement intérieur où les parents s'engageraient à respecter un cadre de vie hygiénique, sain par rapport aux écrans. Et je pense notamment à la règle des quatre pas de Sabine Duflo que tu connais peut-être. Pas d'écran le soir avant de se coucher, pas d'écran à table, pas d'écran le matin. et pas d'écran dans la chambre à coucher. C'est des choses très simples dont ont besoin les parents, et on le voit aussi dans les témoignages qu'on recueille, qu'il y a une détresse parentale, les parents qui ne savent pas comment gérer ces tensions avec les enfants, et parfois qui n'ont pas conscience du problème.

  • Speaker #0

    Or, ce qui se passe à la maison a un impact évident sur nous, sur la qualité de l'apprentissage des enfants qui arrivent fatigués, qui n'ont pas la concentration qui leur permet de retenir ce qu'on leur dit en classe. Donc ça, le deuxième point, c'est la sensibilisation sur les dangers des écrans. Et enfin, le dernier point dont on a peu parlé, mais qui est important pour nous, c'est de renforcer la formation aux sciences numériques en donnant un créneau horaire dédié à ces questions-là. Et c'est pour ça que quand tu me disais, est-ce qu'il faut enlever les écrans des écoles ? Ben non, puisque l'école a aussi pour mission de former les élèves au numérique. Et ça, c'est extrêmement important. Je pense qu'un des meilleurs cours que j'ai eus à l'ESSEC, c'était le cours de... d'apprentissage, d'Excel en fait, de bien gérer toutes les fonctionnalités, etc. Et de voir comment gagner du temps avec l'outil. Mais notre idée, c'est de remettre le numérique à sa place d'outil et non pas comme une fin en soi.

  • Speaker #1

    D'accord, donc ce serait plutôt un cours de numérique avec une heure ou deux dans la semaine où en effet, on va apprendre à utiliser les numériques.

  • Speaker #0

    À manipuler, à comprendre les enjeux, etc. Aujourd'hui, l'enseignement... Au média et à l'information est dispatché dans plein de matières, mais il vient polluer en fait les apprentissages des autres matières. Moi en français j'ai... En quatrième, j'avais cinq heures par semaine. J'ai besoin de ce temps pour faire travailler la lecture, l'écriture à mes élèves. Ce temps qu'on libérait des matières traditionnelles, il doit être en effet réuni, regroupé pour une matière qui serait enseignée par un professeur spécialisé. Moi, je n'ai pas forcément les compétences nécessaires. Et ce point-là qui est le nôtre et qu'on défend, c'est un point qu'on retrouve dans le document du Conseil supérieur des programmes de 2022. qui invite à dégager, justement, à créer une matière spécifique sur ces points-là.

  • Speaker #1

    Il me semblait qu'il y avait déjà des cours, peut-être que ça dépend des écoles, peut-être que ça dépend des parcours, mais il n'y a pas déjà des cours de sensibilisation au numérique dans les écoles ? Ça n'existe pas encore, ça ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, ce qui a été introduit, c'est la plateforme PIX, qui est un moyen d'auto-évaluation des élèves. Mais en fait, ils ont une certaine autonomie pour le faire. Donc c'est bien, c'est un bon départ. Mais ce qu'on constate, c'est qu'au collège, l'autonomie, ça ne fonctionne pas. Ils ont besoin d'être accompagnés par un enseignant qualifié. et aussi qu'ils puissent leur apprendre, leur expliquer. Et ça, c'est aussi un point qu'on retrouve dans le Conseil supérieur des programmes de 2022.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc, en effet, je comprends bien les trois enjeux. Il y en a un des trois enjeux qui est le second dont tu as parlé, qui, pour moi, fait un peu écho à certaines conclusions du rapport de la commission Écran. La sensibilisation, c'est un gros point du rapport qui... On préconise globalement de mieux éduquer un peu tout le monde dans le système éducatif, les enfants, les parents, etc. J'aimerais bien plus globalement avoir... J'imagine que tu le connais ce rapport, que tu l'as peut-être même lu. Oui. J'aimerais bien avoir ton avis sur les conclusions globalement de ce rapport en perspective de la mission que vous donnez avec l'éducation numérique raisonnée. Est-ce que ce rapport va dans le bon sens ? Qu'est-ce qu'on peut en espérer ? Est-ce que demain on peut espérer une législation, voire des mesures coercitives ? Pour les écoles qui ne joueraient pas le jeu du numérique... Est-ce que c'est satisfaisant ? Est-ce qu'on va dans le bon sens ? Qu'est-ce que tu en penses ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'on va dans le bon sens, bien sûr. En gros, les recommandations phares qui sortent du rapport, elles sont indexées sur l'âge des enfants. Donc, pas d'écran avant 3 ans, ça me semble évidemment nécessaire. Et puis ensuite, il y a toute la question de l'accès aux smartphones. Donc, pas de téléphone avant 11 ans, pas de smartphone avant 13 ans, mais toujours sans accès aux réseaux sociaux. Et puis, ils vont presque plus loin que ce qu'on avait imaginé, c'est-à-dire pas de réseaux sociaux avant 18 ans. Tout ça, c'est très bien. Ce qu'on attend maintenant, c'est des mesures concrètes, fermes, etc. Je pense que le risque de ce genre de recommandation, c'est qu'on remette toute la pression aux parents, alors qu'on sait qu'il y a une pression sociale énorme pour les parents sur la question du numérique. les parents qui équipent leurs enfants de smartphones, c'est beaucoup parce que leurs enfants leur disent mais tout le monde en a un Donc c'est compliqué de lutter contre la pression sociale avec de simples recommandations. C'est pour ça qu'on pense qu'on a besoin d'être accompagnés par les pouvoirs publics. Il faut une législation ferme. Et puis il faut aussi un soutien de l'école qui doit avoir ce même discours clair. En attendant cette législation, on soutient l'initiative des pactes locaux de parents. Je ne sais pas si tu en as entendu parler.

  • Speaker #1

    Tu peux nous en dire plus.

  • Speaker #0

    C'est un peu à l'image de ce qui se fait dans les pays voisins européens. De plus en plus des pactes locaux au niveau départemental, c'est des pétitions en ligne sur change.org de parents qui s'engagent à équiper leurs enfants de smartphones après 15 ans, à l'arrivée au lycée. Pour nous, c'est une première démarche, par l'enjeu collectif, de se dire qu'on va résister à cette pression du numérique qui est subie pour beaucoup de parents.

  • Speaker #1

    On peut imaginer ça d'ailleurs dans les associations de parents d'élèves.

  • Speaker #0

    Exactement, de relayer ce genre d'appels, etc.

  • Speaker #1

    C'est ça, de se dire, nous dans notre école, est-ce qu'on est tous d'accord pour dire qu'on ne met pas de smartphone à nos enfants avant 13-14 ans ? C'est des choses qui existent, j'imagine ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, ça n'existe pas, non. Je pense que, évidemment, c'est le... dans le sens qu'on souhaite aller.

  • Speaker #1

    Parce que tu parlais tout à l'heure de chartes potentiellement à signer, on pourrait imaginer qu'on fasse signer demain, de façon un peu obligatoire, une charte sur le...

  • Speaker #0

    Je m'engage à ne pas équiper mon enfant de smartphone avant tel âge. Oui, ça fait partie des pistes qu'on... qu'on propose et qu'on soutient.

  • Speaker #1

    Je serais curieux de savoir comment ça serait accueilli par les parents.

  • Speaker #0

    Alors, ce qu'il faut savoir, c'est qu'en fait, le problème, il n'est pas seulement des enfants. Pour les parents, c'est très rassurant de savoir que leurs enfants sont équipés de smartphones parce qu'ils peuvent les joindre à tout moment. Et je ne sais pas si tu as entendu parler du livre Anxious Generation de Jonathan Haidt. qui m'a vraiment énormément intéressée et qui montre que le problème de santé mentale de la jeune génération, on est après 95, la génération Z, vient de ce décalage entre la sous-protection dans le monde virtuel, qu'on commence à découvrir maintenant et dont on a conscience, et la surprotection dans le monde réel, qui est le problème des parents, qui sont incapables de lâcher leurs enfants. Et en ce sens, moi, en tant que mère de famille, je m'y retrouve complètement. C'est vraiment très difficile dans un monde qui est dangereux, qui nous est présenté comme tel, d'accepter qu'on va perdre le contact avec nos enfants, qu'on va les laisser aller seuls dans la rue, qu'ils vont pouvoir aller à l'air de jeu seuls. On le voit d'ailleurs avec les airs de jeu qui sont toutes élastiques, où les enfants ne peuvent plus se faire de mal. Mais il y a sûrement un changement de mentalité qui doit s'opérer aussi sur ce sujet-là. d'apprendre à lâcher prise et de redonner une certaine liberté à nos enfants en confiance avec notre monde actuel. En tout cas, on sent la naïveté qui peut être la nôtre de croire les protéger en les équipant d'objets qui leur donnent accès à des choses qui leur font mieux.

  • Speaker #1

    Il y a un chiffre d'ailleurs qui est assez frappant sur ce sujet, je trouve. Parce que dans ce que tu dis, en effet, nous on est surprotecteurs aujourd'hui et on ne veut pas lâcher nos enfants physiquement alors que... On est incapable de savoir où est-ce qu'ils vont et quelle violence ils ont devant les yeux sur leur téléphone. Et en parallèle de ça, je regardais une étude récemment qui disait qu'un enfant de 10 ans, aujourd'hui, en moyenne, il a un périmètre autour de ses parents pour lequel il est libre de faire ce qu'il veut de 800 mètres, alors qu'il y a 60 ans c'était 10 kilomètres.

  • Speaker #0

    J'ai vu la même étude.

  • Speaker #1

    Je trouve ça assez incroyable parce qu'on est surprotecteur aujourd'hui, géographiquement, physiquement, on a peur de ce qui se passe dans la vie réelle. On est incapable de comprendre même toutes les violences ou toutes les choses qui peuvent avoir un impact encore pire que ce qui pourrait se passer dans le monde réel sur les téléphones. En effet, cette asymétrie est assez incroyable. On est au niveau zéro de notre capacité à agir sur le monde. sur la vie numérique de nos enfants.

  • Speaker #0

    Je pense qu'on a une vraie responsabilité en tant qu'adultes, que des générations d'enfants ont été sacrifiées par notre naïveté sur le numérique. On n'a pas compris ce qui se passait, on n'a pas compris à quel point on les mettait en danger. Et le propos de notre collectif aujourd'hui, c'est de dire attention à la naïveté qu'on a eue sur le numérique récréatif, n'ayons pas la même avec cet enthousiasme BA qu'on retrouve sur le numérique éducatif, qui serait censé sauver l'éducation, sauver l'enseignement. Et je pense qu'il y a un vrai enjeu aujourd'hui de prise de conscience qui n'est pas encore collective.

  • Speaker #1

    Oui, alors, un set appel, c'est trois points sur lesquels... Vous avez envie de travailler et de proposer des choses. Vous avez un objectif de nombre de signatures. Est-ce qu'il faut d'ailleurs un nombre de signatures minimum pour être vu par Emmanuel Macron ?

  • Speaker #0

    Tu peux lui demander. Tu lui demanderas, tu me diras.

  • Speaker #1

    On essaiera de le taguer dans le post qu'on fera quand on parlera de ce podcast.

  • Speaker #0

    Non, je n'ai pas d'objectif. En fait, cet appel, c'est une manière de rendre... d'avoir un retour sur ce qu'on fait, sur notre action. et puis d'engager un peu la société civile et le monde enseignant. Notre objectif, c'était d'abord de porter la voix d'une partie des enseignants qu'on ne sentait pas écoutés, pas consultés par tout ce projet numérique. qui nous a été imposée d'en haut, en fait, sans attention à nos besoins précis, à notre manière d'enseigner, etc. Quand on parle en salle des profs, on se rend compte qu'on est très nombreux à penser, en fait, que cette injonction d'intégrer le numérique n'a pas de sens, que nos élèves ont besoin d'être plus familiarisés aux livres, d'écrire à la main, etc. La première idée, c'était de porter cette voix, de donner la parole aux enseignants, mais aussi d'engager la société civile, les parents d'élèves, que tout le monde se sente concerné, parce que nos élèves d'aujourd'hui, ce seront la société de demain, les futurs électeurs, mais aussi les futurs médecins, etc. Ce qu'on pense vraiment, c'est qu'il y a une dérive dans cette omniprésence du numérique dans l'éducation, qui est de gommer tout sens de l'effort. Et ça, c'est extrêmement inquiétant pour la suite. Ce que nous disent déjà un peu les entreprises, d'ailleurs, quand ils remarquent les nouveaux collaborateurs. Il y a quelque chose de très séduisant dans le numérique, qui est le plaisir instantané que peut nous donner une application. Je l'ai testé, j'ai fait un quiz en ligne à la demande de mes élèves. Il y a plein d'images dans tous les sens, c'est très stimulant. Il y a plein de couleurs, c'est ludique. Je me demande ce que retiennent les élèves. Est-ce qu'ils ont mieux retenu la leçon en particulier ? C'est une vraie question pour laquelle on n'a pas de chiffre précis. Mais indépendamment de ça, les activités qu'on peut faire par le NUMEC ne sont pas les mêmes que celles qu'on fait avec un papier et un crayon. Quand on demande aux élèves de réfléchir sur un temps long, de fournir un effort un peu complexe, ils ont besoin de cette page blanche de pouvoir réfléchir. Et moi je l'ai constaté individuellement, à mon échelle. J'enseigne en première le français. Un des grands exercices principaux, c'est la dissertation. J'interdis la tablette à mon cours. Et quand la première fois que j'ai donné un sujet de dissertation, ils ont dû chercher leurs idées par eux-mêmes sur une plage blanche, c'était la panique. Parce qu'en fait, ils n'ont pas l'habitude de chercher par eux-mêmes. Ils ont l'habitude de tout le temps aller vérifier l'information sur Internet. de tout le temps trouver une béquille qui leur empêche de produire une réflexion personnelle. Et ça, je trouve que c'est extrêmement inquiétant, parce qu'en fait, ça vient saper leur confiance en eux. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas capables de le faire, c'est qu'ils pensent qu'ils ne sont pas capables, que ce sera toujours mieux ce qu'ils vont trouver sur Internet. Et ça, c'est accentué par l'intelligence artificielle. La réponse qu'il va leur apporter numériquement sera supérieure à ce qu'ils pourront produire eux-mêmes. Et par cette absence de confiance en eux, en fait, il est en train de se produire ce qu'il redoute. C'est-à-dire qu'en fait, quand on ne s'entraîne pas à réfléchir par soi-même, on ne sait plus réfléchir.

  • Speaker #1

    Bien sûr. J'ai quand même une question là-dessus que je me pose à titre personnel sur l'évolution de... des besoins cognitifs qu'on a nous en tant qu'être humain. Donc avant qu'on ait Google dans notre vie globalement, il fallait savoir comment chercher pour être efficace. Après on a eu Google, il fallait savoir quoi demander à Google pour que ça marche. Aujourd'hui on a l'IA qui commence à arriver pour tout le monde et l'enjeu est plutôt de savoir bien briefer une intelligence artificielle pour qu'elle nous réponde exactement ce dont on a besoin. A priori, ça fait quand même... Moi, j'ai toujours connu dans ma vie les moteurs de recherche quasiment. J'ai pas le sentiment aujourd'hui d'avoir besoin de savoir aller chercher de l'information en bibliothèque et de me creuser la tête de savoir comment je vais devoir m'y prendre pour trouver telle information qu'il me faut, etc. J'ai besoin de savoir comment je parle à Google. Est-ce que dans le futur, on a vraiment besoin de savoir réfléchir comme... on l'apprenait sur les 100 dernières années dans l'école de Jules Ferry. Est-ce que notre façon de réfléchir n'évolue pas aussi avec la technologie ? Et dans ce cas-là, il faut peut-être juste savoir bien l'utiliser.

  • Speaker #0

    C'est une vraie question. Je n'ai pas les réponses à toutes ces questions. En revanche, ce que je pense, c'est que le numérique amplifie les inégalités. C'est-à-dire que la différence, on aura toujours besoin de personnes qui maîtriseront la technologie, qui sauront réfléchir. Et donc, plus vous déléguez à d'autres, que ce soit une intelligence artificielle simplement d'autres, cette faculté de raisonner, d'exercer un esprit critique et de réfléchir par vous-même, plus vous vous rendez impuissant, plus vous vous mettez à l'écart du monde de demain. Je n'ai pas les réponses à toutes les questions, honnêtement, mais je suis personnellement assez inquiète de la tournure que prennent les choses et surtout du manque de recul critique de cette transformation massive qui est en train de se produire. Quand je vois sur le site de l'Académie de Paris, à la page d'intelligence artificielle, comment utiliser l'intelligence artificielle en enseignement ? Il y a un exemple qui est donné, qui est mis en valeur d'une enseignante en première, qui montre à ses élèves comment utiliser l'intelligence artificielle pour faire une dissertation. Elle explique que jusqu'à maintenant, les élèves posaient la question, le sujet de dissertation à Chachipiti, et ils avaient une réponse, mais ils n'avaient pas les citations. Or, maintenant, avec un nouveau logiciel qui permet de dialoguer avec l'œuvre, l'œuvre peut proposer des citations, et c'est très bien, parce qu'en fait, elle propose directement la page à laquelle il faut aller pour pouvoir vérifier la citation. Et donc en fait, ce qu'on est en train de proposer, c'est justement ce que tu dis, c'est d'arrêter de réfléchir par soi-même, arrêter de lire l'œuvre, ça n'a plus d'intérêt, simplement de maîtriser l'outil, de savoir comment cliquer, quelle page vérifier, etc. Or ce que je pense, j'ai vraiment cette conviction, c'est que le but de l'apprentissage n'est pas le même que celui du professionnel. Dans l'apprentissage, dans l'enseignement, on doit privilégier justement tout ce qui est le tâtonnement, l'erreur, la recherche. le fait de se tromper, le fait d'essayer de ne pas arriver. En fait, moi, ça m'est complètement égal. Le résultat, un élève qui me donne une dissertation parfaite, ça n'a aucun intérêt en soi, la fin, la dissertation, personne ne va la lire autre que le prof, personne ne va l'encadrer. Ce qui est intéressant, c'est tout le chemin qu'il a pratiqué, qui a été un peu difficile, un peu long, qui lui a permis d'y parvenir. Il me semble qu'on est en train de confondre l'objectif du numérique, qui permet d'explorer des potentialités incroyables sur le plan professionnel, de manière très positive, et la fonction de l'apprentissage, qui est incompatible avec cette facilité, cette instantanéité. On est en train de confondre l'objectif pour le cheminement. Ce qui m'intéresse avec mes élèves... C'est justement leur cheminement, leur pensée personnelle et qui en fait se suit de manière humaine. Et ce qui rend aussi l'intérêt de notre métier, la spécificité de chacun avec tout son parcours, sa personnalité qui lui est propre.

  • Speaker #1

    Au final, un des enjeux, j'ai le sentiment qu'un des enjeux... Pour lesquels on est en train de perdre un petit peu le fil, c'est comment on redonne envie, où on remet un peu de sens et d'envie chez les enfants, dans le chemin de l'école en fait, dans toute cette phase d'apprentissage qui nous emmène un jour à faire une belle dissertation, sans qu'on ait besoin de passer par un chapitre.

  • Speaker #0

    Je pense qu'on se trompe d'objectif, c'est-à-dire qu'on devrait employer tous nos moyens pour redonner le goût des enfants à la lecture. Et quand on voit les chiffres du Centre national du livre, ils sont effrayants. 19 minutes par jour consacrées à la lecture pour les 16-19 ans. Entre 10 fois plus de temps sur les écrans, en dehors de ce qui est demandé pour l'école. Et ça, je ne comprends pas que ce soit un pas dans tous nos politiciens, qu'on n'en parle pas de ça. On a des élèves, des enfants qui ne lisent plus. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on n'a plus de patrimoine culturel commun. C'est-à-dire que le vivre ensemble de notre société de demain, il va se créer sur quoi ? On parle beaucoup... Le problème des enfants, c'est qu'ils ne savent pas utiliser les réseaux sociaux. Ils manquent d'esprit critique. On va leur apprendre à vérifier les informations. Mais qui mieux que la lecture peut enseigner l'esprit critique ? C'est parce que vous aurez lu un certain nombre d'auteurs, vous serez confrontés à des nuances de pensée, de raisonnement, que vous allez améliorer votre esprit critique et prendre de la distance par rapport à ce qui est dit dans les emoticons, avec les emoticons sur les réseaux sociaux. Donc...

  • Speaker #1

    Je crois que quand même, le Figaro, on a parlé de ces 19 minutes de lecture. Pour moi, j'ai le sentiment aussi que c'est aussi un peu la... C'est pas que la faute des écrans et des téléphones personnels, c'est aussi le fait que nous, en tant que parents, on lit aussi beaucoup moins et que les enfants font aussi ce que les parents font. Donc si les parents sont sur Instagram toute la soirée, il n'y a pas de raison que les enfants n'y soient pas. Et c'est juste quelque chose que je voulais ajouter à notre conversation, qui est que... Il ne s'agit pas que de regarder les enfants, il s'agit aussi de regarder nous-mêmes, notre façon d'être à la maison, de travailler, d'interagir, quand on est entre nous, quand on est au resto, quand on est face à ces écrans, comment on agit nous, et c'est aussi un point qui est important. Et pour moi la lecture elle est symptomatique aussi de ça, elle n'est pas uniquement le fait des écrans, même si les écrans sont... Une réponse alternative.

  • Speaker #0

    Ce qui vaut pour les enfants vaut aussi pour nous. C'est-à-dire que moi, je suis sûre que je lis beaucoup moins depuis que j'ai un smartphone, parce que je passe beaucoup de temps à scroller sur mon smartphone alors que je devrais passer le temps à lire. Et je suis professeure de français et je suis hyper engagée dans la question. Donc oui, c'est une question qui nous concerne tous. Mais souvent, les enfants nous invitent à nous remettre en question. Donc je pense que tout ce questionnement qu'on a sur l'éducation, sur l'orientation qu'on veut donner, comment on veut faire grandir nos enfants, en qu'est-ce qui compte. par ricochet, ça nous invite nous-mêmes à nous remettre en question. Et moi, en tout cas, à titre personnel, il participe très fortement.

  • Speaker #1

    Dans les dernières questions que j'avais pour toi, c'était un peu justement de savoir toi, en tant que professeur de lettres, qui j'imagine, alors moi, l'idée que je me fais des professeurs de lettres, c'est des gens qui rentrent chez eux avec leur grande bibliothèque derrière eux et qui ouvrent trois bouquins en faisant des notes partout, etc. qui n'ont pas d'ordinateur.

  • Speaker #0

    Pas du tout dans ce fil-là malheureusement, mais j'aimerais bien.

  • Speaker #1

    Très cliché. Et aussi en tant que mère de quatre enfants, ça c'est très important pour nous. Tu vois, toutes les personnes qui viennent à ce podcast nous racontent un petit peu comment elles gèrent les écrans. Alors, il n'y a pas en général une règle absolue qu'il faut suivre, mais parfois il y a des exemples. Il y a peut-être des gens qui vont écouter ce podcast, on espère, et qui vont se dire Ah bah tiens, attends, je me reconnais pas mal dans le profil d'Agnès, ça va voir comment elle gère ça. Est-ce que tu as mis des choses en place, soit pour toi, soit pour les enfants, à la maison ?

  • Speaker #0

    Alors pour mes enfants, on va commencer par ça. Moi j'ai toujours été très sensible à la question des écrans. Donc le pas d'écran avant 6 ans, je l'ai appliqué sans vraiment de difficulté, parce que j'ai toujours été convaincue que ce serait pire.

  • Speaker #1

    Tous les écrans ?

  • Speaker #0

    Tous les écrans. Pas de télé ? On n'a pas de télé chez nous. Ouais, non, on leur a pas de montrer de dessin animé. J'ai l'impression que quand je dis ça, les gens me disent Mais comment t'as fait ? En fait, je pense que c'est plus simple, que ce soit un principe de base. En fait, ils y pensent même pas, mes enfants, ils me le réclament pas. Je pense que c'est plus compliqué quand on est dans un entre-deux où c'est une négociation un peu permanente. Ils savent qu'ils vivent pas avec. Alors mes deux aînés, 7 et 8 ans, on leur montre de temps en temps des films. On essaie d'en faire un moment sympa, où on est avec eux, où l'écran n'est pas un baby-sitter. Ça ne veut pas dire que je suis une super maman, je ne suis pas tout le temps disponible pour mes enfants, au contraire, pas assez. Mais ça veut dire que j'accepte que mes enfants s'ennuient. Je pense que c'est un vrai sujet, que mes enfants ne sont pas tout le temps occupés. Et grâce à ça, je pense en partie, mes deux aînés adorent lire, ils lisent beaucoup. C'est aussi une question de personnalité. Je ne m'en glorifie pas et j'en suis heureuse pour eux. Mon troisième, il écrit sur les murs, ça arrive souvent, il fait plein de bêtises, mais tout le temps. Mais en fait, on l'accepte. Et c'est vrai que ce serait plus facile de le mettre devant un dessin animé, mais ça fait partie des convictions que j'ai très fortes et je suis contente d'avoir tenu là-dessus.

  • Speaker #1

    Tu sens une différence entre tes enfants et les autres enfants ? Non. Quand tu es avec des amis ?

  • Speaker #0

    J'aimerais pouvoir dire ça, et ce serait d'ailleurs très prétentieux, mais en fait, c'est l'avantage d'avoir plusieurs enfants, c'est que je découvre qu'ils ont des personnalités très différentes. Mes deux aînés, c'est des petits intellos, ils lisent très bien, ils s'expriment très très bien. Je pourrais me dire, en fait, bah oui, génial, j'ai réussi. C'est facile. J'ai réussi, c'est facile. Mon petit troisième qui a trois ans, que j'adore, il parle toujours à peine. Il a le profil de ceux qu'on dit il a été surexposé aux écrans Sauf qu'en fait, non, il n'a jamais regardé un dessin animé. Donc la vérité est plus fine et heureusement. La vérité est plus fine et je ne peux pas dire que je vois de différence. Et à nouveau, je fais la part des choses entre la personnalité de l'enfant. Je ne donne de leçons à personne en fait. Ce que je dis, c'est que j'assume, j'ai été claire avec ce choix pour éducatif et j'ai la chance que mon mari partage les mêmes convictions. Ça a rendu les choses plus simples et j'assume les loupés. En fait, le nouveau, l'écriture sur les murs, les inondations dans la salle de bain. Pour moi, je n'étais pas dispo parce que c'est vrai que je ne suis pas toujours dispo pour m'en occuper.

  • Speaker #1

    L'apologie de l'ennui, c'est un vrai sujet, ça ?

  • Speaker #0

    J'adore cette idée. Je pense que c'est hyper important pour la créativité et même pour nous. Et alors, c'est là où moi, pour être honnête, il y a la faille. C'est que j'ai du mal à m'appliquer à moi-même ce que j'applique à mes enfants.

  • Speaker #1

    Alors, c'est la deuxième partie de cette réponse.

  • Speaker #0

    Et cette question de l'ennui, je pense que c'est un vrai sujet aussi chez les adultes. C'est-à-dire que j'ai du mal à être inoccupée ou tout le temps, je vais vérifier sur mon smartphone si je ne peux pas être utile. Parce que je suis tout le temps débordée entre les enfants et le travail, etc. Mais c'est une discipline que j'aimerais avoir et que je vise, c'est de prendre du recul et accepter d'avoir des moments libres, gratuits. Donc oui, j'ai essayé. Alors je suis très consciente du problème pour moi, même si je ne l'ai pas résolu. J'ai essayé plein de choses. Je me suis racheté un téléphone neuf touches, mais j'ai tenu une semaine, je n'y arrive pas.

  • Speaker #1

    Ah, intéressant ça.

  • Speaker #0

    Je me suis acheté une petite prison à téléphone. On s'est beaucoup moqué de moi là-dessus. Un petit boîtier où on range son téléphone et on le verrouille. Et puis plus récemment, grâce à Julien, j'ai enlevé les notifications intempestives. Donc non, je travaille sur le sujet. Mais c'est un vrai sujet en fait, comment se libérer.

  • Speaker #1

    Attends, juste revenons sur le téléphone à touche là. Incroyable, t'as testé, qu'est-ce qui fait que ça n'a pas tenu ? C'est trop compliqué d'écrire des SMS ?

  • Speaker #0

    Trop compliqué d'écrire des SMS, le son était mauvais. Mais voilà, je sais qu'en ce moment, il y a une entreprise de phone, je pense que vous êtes au courant, qui est en train de préparer un téléphone.

  • Speaker #1

    On a reçu Maëlys Kanzler sur ce podcast il y a... Alors, on se parlait il y a quelques semaines, je pense que le podcast sortira avant celui-ci.

  • Speaker #0

    Je pense que je vais en acheter quand il sera disponible, ça m'intéresse.

  • Speaker #1

    On va faire une super pub.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est précieux qu'on arrive à distinguer l'utile du superflu. Clairement, le smartphone, c'est un piège énorme.

  • Speaker #1

    Règle très claire pour les enfants. Des essais plus ou moins fructueux pour toi, même si la prise de confiance est là. Et en effet, ce n'est pas évident. Est-ce que d'ailleurs, en tant que prof, vous êtes sollicité digitalement par... Je ne sais pas, vous avez des interactions avec le ministère de l'Éducation, je ne sais même pas comment ça se passe. Est-ce que votre employeur vous sollicite beaucoup numériquement aussi ? Est-ce que vous êtes sur Slack, sur Teams, j'en sais rien, sur d'autres choses comme ça, entre profs ? Je te dis ça, ça ne se fait plus à 2000 kilomètres de...

  • Speaker #0

    Non, pas vraiment. Sûrement des collègues qui le sont, mais moi, ce n'est pas mon cas, en fait. Non, très peu.

  • Speaker #1

    Pas besoin d'appliquer ton droit à la déconnexion dans le cadre de ton travail.

  • Speaker #0

    Non, mais d'ailleurs, c'est ce que j'aime dans mon travail. C'est aussi une des raisons pour lesquelles j'ai voulu quitter l'entreprise. J'en avais assez d'être tout le temps devant un écran. Et ce que j'aime dans la salle de classe, c'est d'être... d'être debout, d'être dans l'interaction avec mes élèves, ce côté humain qu'on trouve assez peu dans les différents métiers. Et j'avoue que quand les tablettes ont fait irruption dans les salles de classe, ça m'a fortement contrariée aussi pour ça.

  • Speaker #1

    Je comprends. Génial. J'ai fait le tour de nos questions et merci beaucoup Agnès. C'était très intéressant, très fourni, très détaillé. Moi, je suis très heureux d'être rentré dans ces documents-là de l'éducation nationale qui me sont totalement étrangers. C'est des sujets dont on n'avait pas encore parlé dans le cadre de Screen Break. Et tu as réussi à nous donner une bonne vision. Moi, ma vision que j'ai en sortant de ce podcast à chaud, je me dis, OK, ce sujet des écrans dans le cadre de l'éducation, c'est un bordel. C'est pas vraiment géré de façon centralisée. C'est, on va dire, impulsé par... est soutenue par des idées qui elles-mêmes ne soutiennent pas l'idée. Et donc, il est temps d'agir en tout cas, ou d'essayer de faire porter une voix pour raisonner tout ça. Et donc, ça, c'est ton message qu'on essaierait de partager avec Screenbreak.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Merci Agnès. A bientôt. Salut.

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Description

Dans cette épisode je rencontre Agnès Fabre, professeure de lettres en collège et lycée et fondatrice du collectif Education Numérique Raisonnée.

Le combat d'Agnès: remettre les écrans à leur place dans l'éducation.

Son appel c'est celui du corps enseignant qui assiste presque impuissant à l'omniprésence des écrans dans les classes et qui perd le contrôle

Elle nous explique la stratégie (presque inexistante) de l'éducation nationale sur le sujet du numérique et a confusion entre l'apprentissage du numérique et l'utilisation des outils digitaux à l'école.

Elle nous partage aussi sa vision du rôle de l'école et de ce que devrait être la bonne place pour le numérique: une matière "numérique", vous seriez pour?

Bonne écoute,


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    On passe 60% de notre temps libre sur nos écrans. Ils sont omniprésents et se sont imposés dans nos vies sans mode d'emploi. Leur impact est colossal sur notre travail, notre santé, notre bien social ou notre rapport au monde. Je m'appelle Ludovic Simon et dans le podcast Screen Break, je vous propose de rencontrer avec moi des entrepreneurs, des auteurs ou des scientifiques qui agissent concrètement pour nous aider à retrouver un rapport plus sain à nos écrans. Bonjour Agnès.

  • Speaker #1

    Bonjour Ludovic.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de venir au micro de Screen Break aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Merci de m'inviter, je suis très contente de pouvoir vous rencontrer et de pouvoir parler un peu du collectif Éducation Numérique Raisonnée.

  • Speaker #0

    Génial, alors on a récemment, on enregistre là ce podcast le 17 mai, qui est la semaine du buzz pour toi, puisque je crois que tout LinkedIn t'a découvert très récemment via un post qui a permis de faire connaître l'Éducation Numérique Raisonnée, donc on va en reparler aussi cette semaine. Nous, on t'avait aussi un petit peu déjà vu, parce qu'une de tes missions, c'est de faire signer cet appel, certainement à l'éducation nationale, on va parler de ça aujourd'hui, pour faire entendre raison à ceux qui décident de la façon dont on doit éduquer nos enfants à l'école. Avant qu'on parle de tous ces sujets et qu'on rentre vraiment à fond sur le sujet des écrans à l'école, est-ce que tu pourrais te présenter à nous ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. Alors j'ai 38 ans, j'ai 4 enfants et je suis professeure de lettres de classique, donc j'enseigne le français et le latin au collège et au lycée. Je n'ai pas toujours été prof et ça me semble encore un peu étonnant aujourd'hui, même si ça fait 7 ans, de dire que je suis prof. J'ai passé plus de temps en entreprise. J'ai un parcours un peu hybride parce que j'ai commencé par faire une prépa littéraire, une épocagne et une cagne. Et puis à 20 ans, je ne voulais pas être prof. Je suis une famille de profs. Ma mère l'était, ma grand-mère aussi. Et j'avais envie de voir le monde professionnel, de découvrir autre chose, de sortir de l'école. Donc j'ai passé les concours des écoles de commerce, j'ai intégré l'ESSEC. Et j'ai travaillé en marketing plusieurs années, j'ai eu différentes expériences en entreprise, jusqu'au jour où, et c'est là où ma vie personnelle et ma vie professionnelle sont liées, quand j'ai eu ma deuxième enfant, j'ai eu envie de trouver un autre sens dans mon métier. Donc j'ai passé le concours de l'enseignement. Pourquoi l'enseignement ? En fait, j'aimais ce que je faisais, mais à partir du moment où j'ai eu des enfants, j'ai voulu trouver un intérêt supérieur pour les quitter, pour travailler pour une cause qui me semblait plus profonde.

  • Speaker #0

    D'accord. Donc, au final, aussi, ton... L'héritage...

  • Speaker #1

    Et on est toujours rattrapés par son ADN, probablement.

  • Speaker #0

    T'es complètement rattrapée, mais pour la bonne cause. Reconversion, professeur de lettres, aujourd'hui c'est ton métier à plein temps. Et en parallèle de ça, tu as aussi créé une association, c'est ça ? L'éducation numérique raisonnée ?

  • Speaker #1

    Alors c'est un collectif.

  • Speaker #0

    Un collectif.

  • Speaker #1

    C'est mignon, il y a des personnels de direction, c'est plus souple qu'une association. On ne sait pas encore très bien quelle suite on va donner à ce mouvement. Notre collectif s'est créé en janvier, donc il y a quelques mois. Au départ, on était quatre, et puis on est devenu une vingtaine de membres vraiment représentatifs de la communauté éducative. On exerce dans le primaire, dans le collège, dans l'enseignement, enfin au collège et au lycée, et dans l'enseignement supérieur. Ce qui est intéressant, c'est qu'on est partout en France. On enseigne dans le public et dans le privé, dans des milieux à la fois très défavorisés, ruraux, et d'autres qui sont beaucoup plus favorisés. Et on est tous réunis par le même constat, quels que soient les milieux d'enseignement qui sont les nôtres, qui est l'emprise du numérique sur nos élèves, la manière dont ils sont ravagés par l'omniprésence des écrans, essentiellement dans l'usage récréatif. et qui créent des dégâts qu'on subit, nous, dans notre enseignement, quand on récupère nos élèves en classe.

  • Speaker #0

    Alors, ça, donc là, tu parles de l'usage des écrans pour les enfants, mais pas forcément dans le cadre de l'école. Enfin, ça peut être le téléphone que tu as à l'école, mais là, tu parles de l'usage récréatif aussi à la maison.

  • Speaker #1

    Bien sûr, on distingue l'usage récréatif, tout ce que font les enfants et les ados, les jeux vidéo, les réseaux sociaux. tout ce qu'ils font pour se divertir sur leurs écrans, qui peut être, comme tu l'as dit aussi, à l'école, entre deux pauses. Et l'usage éducatif, c'est la manière dont l'école prolonge l'exposition aux écrans des élèves sur des ordinateurs ou des tablettes, des applications éducatives.

  • Speaker #0

    D'accord, donc... La mission de l'éducation numérique raisonnée du collectif, elle est d'agir sur le récréatif en dehors de l'école et sur l'éducatif, c'est-à-dire l'utilisation des écrans à l'école.

  • Speaker #1

    Exactement, les deux. En fait, on fait la distinction, c'est important de la faire, mais pour nous, les deux sont liés. Et ce qu'on remarque quand on a vu le rapport de la commission Macron sur les écrans, les dégâts du numérique récréatif ont été extrêmement bien pointés. et on rejoint ce constat qu'on faisait sur le terrain avec nos élèves, des élèves qui sont fatigués, il y a un vrai enjeu de sommeil, qui sont plus sédentaires, qui sont en grande difficulté pour tout ce qui est de la santé mentale, qui sont isolés, qui ont du mal à se parler. En revanche, il y a un trou dans ce rapport sur la question du numérique éducatif. Or, pour nous, il est essentiel de réunir les deux, puisqu'on sait que les écrans qu'on distribue aux élèves à l'école présentent toujours un risque de glissement vers le numérique récréatif. C'est-à-dire qu'on sait qu'on a donné plein de bonnes intentions, mais ils vont finir par faire autre chose. Et les remontées qu'on a des parents, c'est qu'on les place dans une situation impossible, en leur donnant des injonctions contradictoires, en leur disant attention, limitez le temps d'écran de vos enfants mais en parallèle, on les oblige à se reconnecter à la maison, puisqu'ils doivent se connecter pour avoir accès à leurs agendas sur les ENT, pour avoir accès aux manuels numériques, pour pouvoir faire leur travail à la maison. Comment contrôler ce temps d'écran qui est devenu incontrôlable ?

  • Speaker #0

    Pour moi, dans le rapport de la commission écran, il y a un élément qui va dans le bon sens, qui est encore un peu différent de ce dont on se parle là, c'est plutôt... La position des écrans dans le cadre de l'école, pas forcément les écrans qui sont mis à disposition des élèves, mais les écrans qui peuvent être utilisés par du personnel de l'école et qui peuvent interférer dans les interactions entre eux et les élèves. Dans le rapport, notamment on parle de la toute petite enfance et des crèches et des maternelles, où un des enjeux c'est de dire zéro écran avant trois ans, ce qui veut dire aussi que dans les crèches et les maternelles, il faut enlever tout. rapport qui peut être un moment interféré par un écran entre quelqu'un du personnel éducatif et un enfant, est-ce que ça veut dire que... Ça doit être la même chose dans le secondaire, au collège, au lycée. On doit enlever complètement tout type d'écran, que ce soit pour le personnel, pour ne pas interférer dans les relations qu'ils vont avoir avec les étudiants, pour les étudiants dans leur éducation, ou même juste le fait qu'il y ait des éléments de l'éducation qui se passent en ligne, par exemple aller voir ses notes. Parcoursup, ce genre de choses, est-ce qu'il faut tout enlever ?

  • Speaker #1

    C'est une bonne question. En fait, on est évidemment mesuré et nuancé. Il y a plusieurs choses dans ce que tu dis. D'abord, plus l'enfant est jeune, plus il est évident qu'il a besoin de contact humain et que les écrans s'interposent entre l'adulte et lui-même. Et vient nuire à la relation, à ce qu'on appelle la notion d'attachement. Et puis tout ce dont l'enfant a besoin pour observer, manipuler. construire, apprendre, faire ses expériences, etc. Donc il y a une certaine progressivité. Plus l'enfant grandit, mûrit, l'adolescent, moins l'écran est nocif en lui-même pour son développement. Pour autant... Alors il y a plusieurs choses. Nous, je tiens à le préciser, on n'est pas contre le numérique. Moi je pense que le numérique c'est un excellent outil professionnel. J'utilise le numérique pour faire mes cours, j'utilise des ressources en ligne, tout ce que je produis et écris évidemment à l'ordinateur. Je projette des ressources audio pour mes élèves, ça m'arrive de montrer des petites scènes, par exemple en français, des petites scènes d'adaptation au théâtre. qui sont projetés. Et heureusement qu'on a ces outils pour nous enseignants avec un vidéoprojecteur dans chaque classe. Ce qui pose problème, c'est les écrans individuels. Et les écrans individuels, ils sont au service de l'élève, mais ils les isolent dans cette dynamique d'interaction, de synergie de classe. et ils viennent justement capter leur attention avec un phénomène d'addiction qu'on connaît, qui est la source du problème de glissement vers le récréatif. On ne maîtrise pas ce qu'il fait derrière sa tablette. Et quand il en porte à la maison, c'est pire, parce qu'il y a encore moins de contrôle. On n'est pas pour enlever les écrans des salles de classe. Alors nous, notre position, elle est nuancée. C'est-à-dire qu'on considère que ce n'est pas en mettant des tablettes entre les mains des élèves qu'on en fait des acteurs éclairés du numérique. On a en fait des consommateurs passifs qui vont faire des applications souvent assez ludiques, des quiz en ligne, etc. Mais on considère que toute cette logique du numérique au service de l'éducation est un leurre, en fait, rend des choses qui peuvent paraître rébarbatives plus amusantes. plus intuitives. Elles font taire les élèves aussi. Les classes sont plus silencieuses quand ils ont des tablettes parce qu'elles capent leur attention. Mais je suis, à titre personnel, pas du tout convaincue de la plus-value pédagogique. Et cette intuition, ce ressenti de terrain, il est confirmé par l'absence d'études significatives indépendantes à ce sujet.

  • Speaker #0

    C'est un point intéressant. Tu viens de faire bugger mon cerveau. Donc tu dis que... Ce que je comprends, c'est que là, il y a... Un sentiment qui vient du corps éducatif, qui est qu'en effet, ces écrans ne sont pas forcément une bonne chose dans l'apprentissage, dans les interactions sociales. Et parce qu'il n'y a pas d'études indépendantes qui le prouvent, ça veut dire que vous avez raison. En gros, ma question derrière, c'est, est-ce qu'il y a quand même un peu des chiffres, des choses qui vont dans le sens du message que vous portez et qui pourraient prouver qu'en effet... En enlevant les écrans, on serait plus performant à l'école. On apprendrait mieux, on suivrait mieux. Sans aucun doute, on aurait peut-être des meilleures interactions sociales entre nous. Est-ce qu'il y a des choses qui le prouvent ou qui commencent à aller dans ce sens-là ?

  • Speaker #1

    Oui, alors déjà plusieurs choses. J'aurais peut-être dû commencer par ça. En fait, ce qui m'a frappée, moi, quand j'ai commencé à enseigner, c'est cette injonction qu'on avait de la part de notre hiérarchie à l'éducation nationale d'intégrer le numérique à notre pratique pédagogique. C'est-à-dire que le numérique, aujourd'hui, est érigé comme un dogme pédagogique. comme si c'était une fin en soi d'utiliser le numérique pour enseigner. Ça m'a toujours énormément étonnée, surtout venant du monde de l'entreprise, où de fait, j'utilisais des tableurs Excel, je faisais des présentations PowerPoint à longueur de journée. Je voyais l'utilité pour mes réunions en interne et pour mes clients. Pour l'enseignement, quand j'enseigne le français, je ne vois pas l'intérêt en soi d'utiliser le numérique. Donc c'est une première chose, cette injonction très forte, mais qui n'était pas corroborée par des chiffres. Je me suis penchée sur... Et ça,

  • Speaker #0

    juste, si on revient sur ce point-là, avant de continuer sur ce qui a démarré ta mission, à quoi ça ressemble, l'évolution du numérique dans les écoles, là, depuis ces 20 dernières années, on va dire ? Tu vois, si je prends un exemple, moi, je me souviens, quand j'étais en sixième, on avait une salle avec des ordinateurs, un écran tout noir, je ne me souviens plus trop ce qu'on faisait dessus, mais on nous apprenait à faire des trucs dessus, quoi. Mais vraiment je crois que je ne sais même plus quoi. Je pense qu'il devait y avoir des jeux ludiques, on faisait ça en primaire quoi. Après moi j'ai un petit frère qui a une douzaine d'années de moins que moi, et lui quand il est arrivé en sixième on lui a donné un ordinateur. C'était le Val-de-Marne qui donnait des ordinateurs en sixième. Je crois qu'ils ont arrêté ça quand même, il y a quelques années, mais pendant encore très longtemps on donnait des ordinateurs aux enfants, dans certaines régions en tout cas. Comment ça a évolué ? On en est où aujourd'hui ? On donne encore des ordinateurs aux enfants quand ils arrivent au collège ou pas ?

  • Speaker #1

    C'est une situation qui est difficile à expliquer parce que l'équipement numérique est confié aux collectivités territoriales. Pour le primaire, c'est les communes qui sont responsables, certaines équipes de tablettes, les écoles primaires. Pour le collège, c'est le département, et au lycée, c'est la région. Donc en fait, c'est différent partout en France, dans le public et dans le privé. Donc il n'y a pas d'harmonie, mais c'est un vrai sujet, il me semble, d'harmoniser ces pratiques et d'avoir une direction claire de savoir où on va. La première chose, c'est cette grande disparité qui est liée aux conditions d'organisation pratiques, la responsabilité des collectivités territoriales et puis les établissements qui font ce qu'ils peuvent. Souvent avec beaucoup de bonne volonté et beaucoup de... d'incertitude sur ce qui est bon ou non pour les élèves. Je peux donner l'exemple précis de mon établissement. Les élèves sont équipés de tablettes à partir de la cinquième. Donc, ils ont chacun une tablette individuelle.

  • Speaker #0

    Donc, ça existe encore. On le fait encore.

  • Speaker #1

    On le fait encore. On le fait de plus en plus. De plus en plus parce qu'en fait, ce qui va avec, c'est la question des manuels scolaires. Ça doit te sembler loin, mais pour faire tes exercices de maths, ou pour lire tes textes en français, ou pour faire tes cartes en histoire-géographie, maintenant, de plus en plus d'éditeurs scolaires, enfin tous les éditeurs scolaires, proposent des versions numériques des manuels, et de plus en plus, les collectivités territoriales ne financent que la version numérique. C'est-à-dire que, par exemple, dans mon établissement, les élèves n'ont plus accès au manuel papier, mais pour avoir accès au manuel scolaire, ils doivent avoir cette version numérique. Or, qui dit version numérique, dit nécessairement un écran individuel, une tablette ou un ordinateur. Donc en fait, libre à moi d'utiliser ou non la tablette, j'ai cette liberté pédagogique, mais cette liberté est contrainte si je veux pouvoir avoir accès aux manuels scolaires, que mes élèves puissent avoir une référence de cette manière-là, ils sont obligés de se connecter. Donc en fait, on est pris dans une sorte de cercle un peu vicieux, qui se voulait vertueux à la base, mais qui se retrouve vicieux du point de vue de la surexposition des enfants aux écrans, où d'un côté on nous dit qu'on a des manuels numériques, donc il faut des tablettes. Et d'un autre côté, on nous dit, on a les tablettes, utilisons les manuels numériques.

  • Speaker #0

    Yes, wow. Et attends, et ça c'est... Ça vient d'où le fait qu'aujourd'hui, on est obligé quasiment de passer par le numérique pour les manuels scolaires ? C'est dû à quoi ?

  • Speaker #1

    Alors, il faut se pencher dans le document Stratégie du numérique pour l'éducation 2023-2027.

  • Speaker #0

    Il est devant tes yeux.

  • Speaker #1

    Il est devant moi, je l'ai bien étudié. Je vais aller vite. Il a été en gros publié par notre précédent ministre, ni celui d'avant, ni celui d'encore avant, par PAP-NVI en 2023. C'est à quel petit moment ? Il y a plusieurs éléments qui sont intéressants. D'abord, il y a tout un point sur les manuels scolaires numériques qui indique qu'au collège, le manuel scolaire peut être complété par sa version numérique. C'est dans un petit encart. Mais c'est quelque chose qui est très peu dit parce que souvent, les collectivités financent exclusivement la version numérique. Si on s'appuie sur le document qui vient de l'Éducation nationale, on voit qu'il n'est pas respecté. Compléter, ça veut dire qu'il faut garder une version papier. Ce n'est plus le cas aujourd'hui dans beaucoup d'établissements. Au lycée, il indique qu'il peut être remplacé par sa version numérique en concertation avec les collectivités territoriales. Et bien sûr, les collectivités s'engouffrent dans ce sujet, sûrement avec de bonnes intentions, mais aussi peut-être pour des logiques financières. Et l'Île-de-France, à ce titre, a communiqué récemment sur sa nouvelle plateforme numérique qui donnait un accès exclusif au manuel scolaire.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut... T'as peut-être pas fini, je te laisse terminer.

  • Speaker #1

    L'autre élément qui est intéressant dans ce document, c'est l'équipement individuel type pour les élèves. C'est tout ce qui est tablettes et ordinateurs par élève. J'adore ce document parce qu'il présente comme objectif de définir à la rentrée 2024 un référentiel pour l'équipement individuel en fonction des usages. Or, ce qu'on constate, c'est que la majorité des établissements scolaires sont déjà équipés sans avoir eu ce référentiel type qui serait censé venir de l'éducation nationale. Donc, en fait, qui... Qui fait la politique éducative aujourd'hui en France ? C'est une vraie question. Si c'est les collectivités territoriales qui n'ont aucune compétence pédagogique. Le deuxième élément qui m'intéresse beaucoup dans ce petit paragraphe, définir un équipement individuel type, c'est que l'orientation qui est donnée, c'est de privilégier les équipements individuels par rapport aux équipements mobiles. Les équipements mobiles, c'est dire que vous avez un lot de tablettes ou d'ordinateurs dans un établissement, et les enseignants les utilisent ponctuellement, etc. L'enfant repart avec son ordinateur ou sa tablette. Dans ce paragraphe, l'orientation stratégique d'éducation nationale donne sa préférence pour le collège et le lycée aux équipements individuels et le justifie par une étude précise qui vient de la... qui vient de l'éducation nationale, qui atteste qu'un élève qui dispose d'un équipement individuel développe plus facilement son aisance et ses compétences numériques. Mais on parle d'aisance et de compétences numériques, on ne parle pas de tout le reste, c'est-à-dire les apprentissages traditionnels et les compétences socio-cognitives. Or, pardon, je termine juste, mais j'ai été fouillée dans cette enquête Hélène, qui est l'unique référentielle pour justifier cette politique éducative sur le numérique. Et cette enquête est vraiment très intéressante. Je ne sais pas si beaucoup de personnes l'ont lue. Merci.

  • Speaker #0

    Je suis très heureux que tu l'aies lu pour nous, en tout cas, parce que moi, je ne l'ai pas lu.

  • Speaker #1

    Voilà, une piste de lecture pour la suite. Cette enquête est elle-même très mesurée, très nuancée. C'est-à-dire que dans la conclusion, on voit... typiquement que les effets des classes mobiles, les classes mobiles et l'eau mobile des tablettes, ont des effets faibles, voire négatifs, sur les apprentissages traditionnels en français et en maths. Or, beaucoup de collectivités territoriales équipent de classes mobiles. Des effets négatifs. Ensuite, un peu plus loin, je choisis, évidemment il y a des effets positifs qui sont démontrés. En ce qui concerne les compétences socio-cognitives, c'est-à-dire la collaboration, la créativité, les équipements individuels et partagés n'ont qu'un impact faible, voire nul. Cette enquête elle-même, qui sert de support pour justifier la stratégie numérique de l'éducation nationale, montre en fait une très pauvreté de l'intérêt d'équiper individuellement tous ces élèves et tout l'argent qui est mobilisé par les pouvoirs publics pour une stratégie qui semble menée à la dérive.

  • Speaker #0

    Ça paraît incroyable. Donc si j'essaie de résumer... C'est la professeure de lettres qui me dira si mon résumé de texte est bon. On met des écrans, qu'ils soient mobiles ou individuels, dans nos classes, nos écoles. On est plutôt brouillon sur la façon dont on le gère à différents moments de la vie scolaire, parce que c'est différentes collectivités qui le gèrent. Et en plus, tout ce qu'on fait de façon brouillon... justifié par un rapport qui lui-même explique qu'en fait, il n'y a pas un impact positif, voire il y a un impact plutôt négatif des écrans sur l'éducation et sur les rapports sociaux qu'entretiennent les enfants entre eux. au sein de l'école quand on met des écrans à leur disposition ?

  • Speaker #1

    C'est ça. Alors c'est un peu plus mesuré parce que ce rapport montre quelques impacts positifs, mais qui sont déjà assez faibles.

  • Speaker #0

    On peut les donner, les impacts positifs, quand même, histoire de...

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. J'ai la conclusion sous les yeux. Les tablettes individuelles ont des effets positifs sur les résultats scolaires des collégiens, allant de 9 à 25 d'écart-type, ce qui n'est pas non plus énorme. Les classes mobiles ont des effets nuls, donc déjà, il faut... Je pense qu'il y a un problème de logique, en fait. Si l'outil est bon en soi, pourquoi, lorsqu'il est partagé, il n'a pas d'effet, alors que quand il est individuel, il en a un ? Ça me semble étonnant. Et ensuite, la question des compétences socio-cognitives, elle est vraiment importante, parce qu'il y a un enjeu de nos élèves, qui n'est pas simplement de former des cerveaux, mais aussi des citoyens qui vont vivre ensemble. Et si l'impact de ces outils atténue leur capacité à collaborer, à travailler ensemble et à être créatifs, On a des sérieux problèmes pour la suite. L'impression qui se dégage de ce projet numérique de l'éducation nationale, même si la conseillère qu'on a rencontrée cette semaine nous a dit qu'elle en était très fière, c'est qu'il a été déployé de manière assez non coordonnée et en s'appuyant sur des chiffres scientifiques qui demandent à être remis en question et qui interpellent en tout cas. Et de fait, les établissements scolaires sont assez seuls par rapport à cette question du numérique. Nous, ce qu'on constate, parce qu'on recueille énormément de témoignages grâce à notre collectif, c'est qu'il y a beaucoup d'intimidations personnelles qui guident des choix stratégiques. Par exemple, dans mon établissement scolaire, Le choix d'équiper tous les élèves de tablettes a été fait par notre précédent directeur, juste avant qu'il parte à la retraite, parce qu'il se sentait lui-même dépassé par le numérique, il n'arrivait pas à écrire des mails, et donc il s'est dit que c'était très important que les élèves soient habitués au numérique dès le départ. Mais c'est quand même étonnant de se dire que des générations d'élèves vont être marquées par ce choix-là, pour des raisons qui sont...

  • Speaker #0

    C'est assez incroyable de se dire que c'est à ce point-là atomisé que... Chaque directeur d'établissement peut prendre la décision qu'il veut par rapport à ce sujet, sans être éclairé d'aucune façon sur l'impact que sa décision va avoir, à la fois sur les enfants, et puis aussi quand même financièrement. Ça coûte beaucoup d'argent d'équiper des générations d'étudiants, d'ordinateurs, de tablettes. J'ai un souvenir qui date maintenant un peu, mais je me souviens d'un scandale qu'il y avait eu avec Microsoft, je pense à la fin des années 2000. qui avait signé avec l'éducation nationale pour justement mettre des ordinateurs et des tablettes un peu partout, quasiment gratuitement, je crois que c'était ça le deal, et que l'éducation nationale en France avait foncé, en ne se rendant pas compte qu'ils allaient faire une génération de dépendants à Microsoft. C'était un super deal à l'époque, je pense qu'on n'en est plus là aujourd'hui, j'espère en tout cas. Je trouve ça assez incroyable ce que tu nous dis, c'est que... En fait, tiens. En t'écoutant, j'ai l'impression qu'il n'y a aucune réflexion stratégique, aucun pas de recul qui est pris sur le sujet.

  • Speaker #1

    En fait, il y a des enjeux financiers qui sont énormes, certainement. Mon but n'est pas de diaboliser les entreprises qui font de l'argent, ni d'avoir un caractère complotiste. Je pense que chacun a sa place. Il y a des entreprises qui vendent du matériel informatique, il y a des entreprises de la tech qui font leur business sur cette question-là éducative. Et à leur place, je ferais pareil. La première réaction de la directrice de Canopée après la sortie du rapport, c'était de dire Il faut réguler l'usage des écrans dans la vie des jeunes, mais l'école peut être le lieu d'une exception culturelle J'ai beaucoup aimé cette phrase. Et toute la tech s'encouffre dans ce sujet-là, justement sur la distinction dont on a parlé tout à l'heure entre l'usage récréatif et l'usage éducatif. Oui, le récréatif est très mauvais, les réseaux sociaux, mais l'éducatif est en fait la porte de salut. Ils sont dans leur rôle, en fait, ils vendent ce qu'ils font. Et moi, pour avoir fait du marketing, je trouve ça très bien. Ce qui m'interroge, c'est la manière dont nous, à l'éducation nationale, on devient en fait les crétins utiles de toute une industrie et que nous, on n'a pas cette place qui devrait être la nôtre d'exercer un esprit critique indispensable, un principe de précaution quand on n'a pas des... comment dire, justement, ces études indépendantes qui prouvent le bénéfice du numérique éducatif, qu'on n'ait pas ce rapport, en fait, mesuré, distant, que notre collectif invite à adopter, voilà, sans diaboliser personne. Mais prenons le temps de la réflexion, puisque notre enjeu, le nôtre, il n'est pas financier. Il est d'élever nos élèves, leur apporter un esprit critique et de les former le mieux possible, les rendre plus humains, en fait, tout simplement. et on n'élève pas des consommateurs, comme tu l'as dit, aptes à consommer.

  • Speaker #0

    Il y a des enjeux différents entre les enfants et les entreprises qui peuvent interagir avec les enfants. Justement, pour ne pas être le crétin utile de cette économie qui marche indépendamment de notre volonté, l'éducation numérique raisonnée... Vous vous êtes donné une mission. Est-ce que tu peux nous résumer la mission en une phrase ? Et puis cette mission est accompagnée d'une lettre et d'un appel. J'aimerais qu'on parle de ça, que tu nous expliques un petit peu déjà cette lettre, ce qu'elle dit, l'appel que vous lancez, l'objectif qu'il y a derrière, où est-ce qu'on en est aujourd'hui, et puis comment on peut rejoindre éventuellement ce mouvement. Qui peut le rejoindre aussi ? On va parler de tout ça si tu veux bien.

  • Speaker #1

    Alors notre objectif c'est de, je dirais d'abord de reconnecter nos élèves au monde réel. Notre impression c'est qu'on est devenu complètement sous l'emprise d'un numérique qui rend les interactions virtuelles et qui isole nos élèves. Donc le point... On a deux points principaux. D'abord, à l'école, justement, de réguler cet usage du numérique. On considère que les manuels scolaires doivent être en version papier. Il n'y a aucun intérêt à lire sur un écran. Au contraire, les études prouvent qu'on comprend mieux un texte complexe du papier que sur un écran. On demande aussi à revenir... C'est des choses toutes simples et toutes bêtes. Mais quand on n'a pas été dans une salle de classe, on a du mal à imaginer. Mes élèves, ils n'ont plus d'agenda. Je leur dis, vous allez noter ceci pour la semaine prochaine. En fait, ils font autre chose, ils rangent leurs affaires. Parce qu'ils me disent, vous allez le mettre sur l'ENT, madame. L'ENT, c'est la surface, l'interface sur laquelle on note les devoirs, le cahier texte en ligne.

  • Speaker #0

    On n'a plus de cahier texte.

  • Speaker #1

    On n'a plus de cahier texte, parce qu'en fait, tout sera mis en ligne. C'est vachement pratique. Sauf qu'en fait, ça veut dire qu'en fait, ils sont passifs, ils ne se posent pas de questions pour savoir s'ils ont compris leurs devoirs. Et de toute façon, ils vont se reconnecter à la maison pour savoir ce qu'il faut faire pour le lendemain. Notre point principal, il est simple, il est de demander pour les élèves un droit à la déconnexion, c'est-à-dire que l'école s'engage à ce que les élèves puissent travailler à la maison sans écran. pour simplifier aussi le travail des parents, de contrôler, de savoir que là, tu es en train de faire tes devoirs, donc tu n'as pas besoin de ta tablette.

  • Speaker #0

    C'est vrai qu'on ne sait pas ce qui se passe sinon derrière un écran.

  • Speaker #1

    On ne sait pas ce qui se passe. Alors, il y a évidemment des outils de régulation, mais ça ne marche jamais. Et puis aussi, et c'est un point qui est vraiment important, et que je tiens à titre personnel, mais qui devrait être en fait un sujet national, mais pour encourager la lecture. C'est-à-dire que plus on rend l'écran incontournable dans les apprentissages, plus de fait on ringardise le livre. On a des familles dans des milieux plus défavorisés pour qui les seuls livres qui sont présents à la maison sont les manuels scolaires. Si l'école n'a plus ce rôle de familiariser les enfants et les adolescents à l'objet physique du livre, à la lecture, qui le fera ? Or, on sait bien, on peut rétorquer, oui, mais on peut lire sur du numérique. De fait, il est prouvé qu'on ne lit pas de la même manière. Je reviens toujours à cette idée de texte complexe. On lit avec une impression de comprendre sur un écran qui n'est pas la même pour du livre sur le papier. Le premier point, c'est un droit à la déconnexion pour préserver le travail à la maison sans écran. Le deuxième point, c'est d'englober l'école dans une campagne de prévention, de sensibilisation sur les risques du numérique récréatif. Aujourd'hui, dans les programmes scolaires, on n'a absolument rien sur les enjeux du numérique. C'est très, très pauvre. Alors, il est important d'expliquer aux élèves toute cette question de l'économie de l'attention, les dangers pour leur santé physique, mentale, enfin tout ce qu'on sait aujourd'hui et dont on parle de plus en plus. Et on considère que l'école a un rôle de co-éducation avec les parents, de prévenir sur ces sujets-là. On va en fait assez loin dans notre réflexion et concrètement on aimerait bien que l'école propose aux parents de signer une charte en même temps que le règlement intérieur où les parents s'engageraient à respecter un cadre de vie hygiénique, sain par rapport aux écrans. Et je pense notamment à la règle des quatre pas de Sabine Duflo que tu connais peut-être. Pas d'écran le soir avant de se coucher, pas d'écran à table, pas d'écran le matin. et pas d'écran dans la chambre à coucher. C'est des choses très simples dont ont besoin les parents, et on le voit aussi dans les témoignages qu'on recueille, qu'il y a une détresse parentale, les parents qui ne savent pas comment gérer ces tensions avec les enfants, et parfois qui n'ont pas conscience du problème.

  • Speaker #0

    Or, ce qui se passe à la maison a un impact évident sur nous, sur la qualité de l'apprentissage des enfants qui arrivent fatigués, qui n'ont pas la concentration qui leur permet de retenir ce qu'on leur dit en classe. Donc ça, le deuxième point, c'est la sensibilisation sur les dangers des écrans. Et enfin, le dernier point dont on a peu parlé, mais qui est important pour nous, c'est de renforcer la formation aux sciences numériques en donnant un créneau horaire dédié à ces questions-là. Et c'est pour ça que quand tu me disais, est-ce qu'il faut enlever les écrans des écoles ? Ben non, puisque l'école a aussi pour mission de former les élèves au numérique. Et ça, c'est extrêmement important. Je pense qu'un des meilleurs cours que j'ai eus à l'ESSEC, c'était le cours de... d'apprentissage, d'Excel en fait, de bien gérer toutes les fonctionnalités, etc. Et de voir comment gagner du temps avec l'outil. Mais notre idée, c'est de remettre le numérique à sa place d'outil et non pas comme une fin en soi.

  • Speaker #1

    D'accord, donc ce serait plutôt un cours de numérique avec une heure ou deux dans la semaine où en effet, on va apprendre à utiliser les numériques.

  • Speaker #0

    À manipuler, à comprendre les enjeux, etc. Aujourd'hui, l'enseignement... Au média et à l'information est dispatché dans plein de matières, mais il vient polluer en fait les apprentissages des autres matières. Moi en français j'ai... En quatrième, j'avais cinq heures par semaine. J'ai besoin de ce temps pour faire travailler la lecture, l'écriture à mes élèves. Ce temps qu'on libérait des matières traditionnelles, il doit être en effet réuni, regroupé pour une matière qui serait enseignée par un professeur spécialisé. Moi, je n'ai pas forcément les compétences nécessaires. Et ce point-là qui est le nôtre et qu'on défend, c'est un point qu'on retrouve dans le document du Conseil supérieur des programmes de 2022. qui invite à dégager, justement, à créer une matière spécifique sur ces points-là.

  • Speaker #1

    Il me semblait qu'il y avait déjà des cours, peut-être que ça dépend des écoles, peut-être que ça dépend des parcours, mais il n'y a pas déjà des cours de sensibilisation au numérique dans les écoles ? Ça n'existe pas encore, ça ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, ce qui a été introduit, c'est la plateforme PIX, qui est un moyen d'auto-évaluation des élèves. Mais en fait, ils ont une certaine autonomie pour le faire. Donc c'est bien, c'est un bon départ. Mais ce qu'on constate, c'est qu'au collège, l'autonomie, ça ne fonctionne pas. Ils ont besoin d'être accompagnés par un enseignant qualifié. et aussi qu'ils puissent leur apprendre, leur expliquer. Et ça, c'est aussi un point qu'on retrouve dans le Conseil supérieur des programmes de 2022.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc, en effet, je comprends bien les trois enjeux. Il y en a un des trois enjeux qui est le second dont tu as parlé, qui, pour moi, fait un peu écho à certaines conclusions du rapport de la commission Écran. La sensibilisation, c'est un gros point du rapport qui... On préconise globalement de mieux éduquer un peu tout le monde dans le système éducatif, les enfants, les parents, etc. J'aimerais bien plus globalement avoir... J'imagine que tu le connais ce rapport, que tu l'as peut-être même lu. Oui. J'aimerais bien avoir ton avis sur les conclusions globalement de ce rapport en perspective de la mission que vous donnez avec l'éducation numérique raisonnée. Est-ce que ce rapport va dans le bon sens ? Qu'est-ce qu'on peut en espérer ? Est-ce que demain on peut espérer une législation, voire des mesures coercitives ? Pour les écoles qui ne joueraient pas le jeu du numérique... Est-ce que c'est satisfaisant ? Est-ce qu'on va dans le bon sens ? Qu'est-ce que tu en penses ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'on va dans le bon sens, bien sûr. En gros, les recommandations phares qui sortent du rapport, elles sont indexées sur l'âge des enfants. Donc, pas d'écran avant 3 ans, ça me semble évidemment nécessaire. Et puis ensuite, il y a toute la question de l'accès aux smartphones. Donc, pas de téléphone avant 11 ans, pas de smartphone avant 13 ans, mais toujours sans accès aux réseaux sociaux. Et puis, ils vont presque plus loin que ce qu'on avait imaginé, c'est-à-dire pas de réseaux sociaux avant 18 ans. Tout ça, c'est très bien. Ce qu'on attend maintenant, c'est des mesures concrètes, fermes, etc. Je pense que le risque de ce genre de recommandation, c'est qu'on remette toute la pression aux parents, alors qu'on sait qu'il y a une pression sociale énorme pour les parents sur la question du numérique. les parents qui équipent leurs enfants de smartphones, c'est beaucoup parce que leurs enfants leur disent mais tout le monde en a un Donc c'est compliqué de lutter contre la pression sociale avec de simples recommandations. C'est pour ça qu'on pense qu'on a besoin d'être accompagnés par les pouvoirs publics. Il faut une législation ferme. Et puis il faut aussi un soutien de l'école qui doit avoir ce même discours clair. En attendant cette législation, on soutient l'initiative des pactes locaux de parents. Je ne sais pas si tu en as entendu parler.

  • Speaker #1

    Tu peux nous en dire plus.

  • Speaker #0

    C'est un peu à l'image de ce qui se fait dans les pays voisins européens. De plus en plus des pactes locaux au niveau départemental, c'est des pétitions en ligne sur change.org de parents qui s'engagent à équiper leurs enfants de smartphones après 15 ans, à l'arrivée au lycée. Pour nous, c'est une première démarche, par l'enjeu collectif, de se dire qu'on va résister à cette pression du numérique qui est subie pour beaucoup de parents.

  • Speaker #1

    On peut imaginer ça d'ailleurs dans les associations de parents d'élèves.

  • Speaker #0

    Exactement, de relayer ce genre d'appels, etc.

  • Speaker #1

    C'est ça, de se dire, nous dans notre école, est-ce qu'on est tous d'accord pour dire qu'on ne met pas de smartphone à nos enfants avant 13-14 ans ? C'est des choses qui existent, j'imagine ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, ça n'existe pas, non. Je pense que, évidemment, c'est le... dans le sens qu'on souhaite aller.

  • Speaker #1

    Parce que tu parlais tout à l'heure de chartes potentiellement à signer, on pourrait imaginer qu'on fasse signer demain, de façon un peu obligatoire, une charte sur le...

  • Speaker #0

    Je m'engage à ne pas équiper mon enfant de smartphone avant tel âge. Oui, ça fait partie des pistes qu'on... qu'on propose et qu'on soutient.

  • Speaker #1

    Je serais curieux de savoir comment ça serait accueilli par les parents.

  • Speaker #0

    Alors, ce qu'il faut savoir, c'est qu'en fait, le problème, il n'est pas seulement des enfants. Pour les parents, c'est très rassurant de savoir que leurs enfants sont équipés de smartphones parce qu'ils peuvent les joindre à tout moment. Et je ne sais pas si tu as entendu parler du livre Anxious Generation de Jonathan Haidt. qui m'a vraiment énormément intéressée et qui montre que le problème de santé mentale de la jeune génération, on est après 95, la génération Z, vient de ce décalage entre la sous-protection dans le monde virtuel, qu'on commence à découvrir maintenant et dont on a conscience, et la surprotection dans le monde réel, qui est le problème des parents, qui sont incapables de lâcher leurs enfants. Et en ce sens, moi, en tant que mère de famille, je m'y retrouve complètement. C'est vraiment très difficile dans un monde qui est dangereux, qui nous est présenté comme tel, d'accepter qu'on va perdre le contact avec nos enfants, qu'on va les laisser aller seuls dans la rue, qu'ils vont pouvoir aller à l'air de jeu seuls. On le voit d'ailleurs avec les airs de jeu qui sont toutes élastiques, où les enfants ne peuvent plus se faire de mal. Mais il y a sûrement un changement de mentalité qui doit s'opérer aussi sur ce sujet-là. d'apprendre à lâcher prise et de redonner une certaine liberté à nos enfants en confiance avec notre monde actuel. En tout cas, on sent la naïveté qui peut être la nôtre de croire les protéger en les équipant d'objets qui leur donnent accès à des choses qui leur font mieux.

  • Speaker #1

    Il y a un chiffre d'ailleurs qui est assez frappant sur ce sujet, je trouve. Parce que dans ce que tu dis, en effet, nous on est surprotecteurs aujourd'hui et on ne veut pas lâcher nos enfants physiquement alors que... On est incapable de savoir où est-ce qu'ils vont et quelle violence ils ont devant les yeux sur leur téléphone. Et en parallèle de ça, je regardais une étude récemment qui disait qu'un enfant de 10 ans, aujourd'hui, en moyenne, il a un périmètre autour de ses parents pour lequel il est libre de faire ce qu'il veut de 800 mètres, alors qu'il y a 60 ans c'était 10 kilomètres.

  • Speaker #0

    J'ai vu la même étude.

  • Speaker #1

    Je trouve ça assez incroyable parce qu'on est surprotecteur aujourd'hui, géographiquement, physiquement, on a peur de ce qui se passe dans la vie réelle. On est incapable de comprendre même toutes les violences ou toutes les choses qui peuvent avoir un impact encore pire que ce qui pourrait se passer dans le monde réel sur les téléphones. En effet, cette asymétrie est assez incroyable. On est au niveau zéro de notre capacité à agir sur le monde. sur la vie numérique de nos enfants.

  • Speaker #0

    Je pense qu'on a une vraie responsabilité en tant qu'adultes, que des générations d'enfants ont été sacrifiées par notre naïveté sur le numérique. On n'a pas compris ce qui se passait, on n'a pas compris à quel point on les mettait en danger. Et le propos de notre collectif aujourd'hui, c'est de dire attention à la naïveté qu'on a eue sur le numérique récréatif, n'ayons pas la même avec cet enthousiasme BA qu'on retrouve sur le numérique éducatif, qui serait censé sauver l'éducation, sauver l'enseignement. Et je pense qu'il y a un vrai enjeu aujourd'hui de prise de conscience qui n'est pas encore collective.

  • Speaker #1

    Oui, alors, un set appel, c'est trois points sur lesquels... Vous avez envie de travailler et de proposer des choses. Vous avez un objectif de nombre de signatures. Est-ce qu'il faut d'ailleurs un nombre de signatures minimum pour être vu par Emmanuel Macron ?

  • Speaker #0

    Tu peux lui demander. Tu lui demanderas, tu me diras.

  • Speaker #1

    On essaiera de le taguer dans le post qu'on fera quand on parlera de ce podcast.

  • Speaker #0

    Non, je n'ai pas d'objectif. En fait, cet appel, c'est une manière de rendre... d'avoir un retour sur ce qu'on fait, sur notre action. et puis d'engager un peu la société civile et le monde enseignant. Notre objectif, c'était d'abord de porter la voix d'une partie des enseignants qu'on ne sentait pas écoutés, pas consultés par tout ce projet numérique. qui nous a été imposée d'en haut, en fait, sans attention à nos besoins précis, à notre manière d'enseigner, etc. Quand on parle en salle des profs, on se rend compte qu'on est très nombreux à penser, en fait, que cette injonction d'intégrer le numérique n'a pas de sens, que nos élèves ont besoin d'être plus familiarisés aux livres, d'écrire à la main, etc. La première idée, c'était de porter cette voix, de donner la parole aux enseignants, mais aussi d'engager la société civile, les parents d'élèves, que tout le monde se sente concerné, parce que nos élèves d'aujourd'hui, ce seront la société de demain, les futurs électeurs, mais aussi les futurs médecins, etc. Ce qu'on pense vraiment, c'est qu'il y a une dérive dans cette omniprésence du numérique dans l'éducation, qui est de gommer tout sens de l'effort. Et ça, c'est extrêmement inquiétant pour la suite. Ce que nous disent déjà un peu les entreprises, d'ailleurs, quand ils remarquent les nouveaux collaborateurs. Il y a quelque chose de très séduisant dans le numérique, qui est le plaisir instantané que peut nous donner une application. Je l'ai testé, j'ai fait un quiz en ligne à la demande de mes élèves. Il y a plein d'images dans tous les sens, c'est très stimulant. Il y a plein de couleurs, c'est ludique. Je me demande ce que retiennent les élèves. Est-ce qu'ils ont mieux retenu la leçon en particulier ? C'est une vraie question pour laquelle on n'a pas de chiffre précis. Mais indépendamment de ça, les activités qu'on peut faire par le NUMEC ne sont pas les mêmes que celles qu'on fait avec un papier et un crayon. Quand on demande aux élèves de réfléchir sur un temps long, de fournir un effort un peu complexe, ils ont besoin de cette page blanche de pouvoir réfléchir. Et moi je l'ai constaté individuellement, à mon échelle. J'enseigne en première le français. Un des grands exercices principaux, c'est la dissertation. J'interdis la tablette à mon cours. Et quand la première fois que j'ai donné un sujet de dissertation, ils ont dû chercher leurs idées par eux-mêmes sur une plage blanche, c'était la panique. Parce qu'en fait, ils n'ont pas l'habitude de chercher par eux-mêmes. Ils ont l'habitude de tout le temps aller vérifier l'information sur Internet. de tout le temps trouver une béquille qui leur empêche de produire une réflexion personnelle. Et ça, je trouve que c'est extrêmement inquiétant, parce qu'en fait, ça vient saper leur confiance en eux. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas capables de le faire, c'est qu'ils pensent qu'ils ne sont pas capables, que ce sera toujours mieux ce qu'ils vont trouver sur Internet. Et ça, c'est accentué par l'intelligence artificielle. La réponse qu'il va leur apporter numériquement sera supérieure à ce qu'ils pourront produire eux-mêmes. Et par cette absence de confiance en eux, en fait, il est en train de se produire ce qu'il redoute. C'est-à-dire qu'en fait, quand on ne s'entraîne pas à réfléchir par soi-même, on ne sait plus réfléchir.

  • Speaker #1

    Bien sûr. J'ai quand même une question là-dessus que je me pose à titre personnel sur l'évolution de... des besoins cognitifs qu'on a nous en tant qu'être humain. Donc avant qu'on ait Google dans notre vie globalement, il fallait savoir comment chercher pour être efficace. Après on a eu Google, il fallait savoir quoi demander à Google pour que ça marche. Aujourd'hui on a l'IA qui commence à arriver pour tout le monde et l'enjeu est plutôt de savoir bien briefer une intelligence artificielle pour qu'elle nous réponde exactement ce dont on a besoin. A priori, ça fait quand même... Moi, j'ai toujours connu dans ma vie les moteurs de recherche quasiment. J'ai pas le sentiment aujourd'hui d'avoir besoin de savoir aller chercher de l'information en bibliothèque et de me creuser la tête de savoir comment je vais devoir m'y prendre pour trouver telle information qu'il me faut, etc. J'ai besoin de savoir comment je parle à Google. Est-ce que dans le futur, on a vraiment besoin de savoir réfléchir comme... on l'apprenait sur les 100 dernières années dans l'école de Jules Ferry. Est-ce que notre façon de réfléchir n'évolue pas aussi avec la technologie ? Et dans ce cas-là, il faut peut-être juste savoir bien l'utiliser.

  • Speaker #0

    C'est une vraie question. Je n'ai pas les réponses à toutes ces questions. En revanche, ce que je pense, c'est que le numérique amplifie les inégalités. C'est-à-dire que la différence, on aura toujours besoin de personnes qui maîtriseront la technologie, qui sauront réfléchir. Et donc, plus vous déléguez à d'autres, que ce soit une intelligence artificielle simplement d'autres, cette faculté de raisonner, d'exercer un esprit critique et de réfléchir par vous-même, plus vous vous rendez impuissant, plus vous vous mettez à l'écart du monde de demain. Je n'ai pas les réponses à toutes les questions, honnêtement, mais je suis personnellement assez inquiète de la tournure que prennent les choses et surtout du manque de recul critique de cette transformation massive qui est en train de se produire. Quand je vois sur le site de l'Académie de Paris, à la page d'intelligence artificielle, comment utiliser l'intelligence artificielle en enseignement ? Il y a un exemple qui est donné, qui est mis en valeur d'une enseignante en première, qui montre à ses élèves comment utiliser l'intelligence artificielle pour faire une dissertation. Elle explique que jusqu'à maintenant, les élèves posaient la question, le sujet de dissertation à Chachipiti, et ils avaient une réponse, mais ils n'avaient pas les citations. Or, maintenant, avec un nouveau logiciel qui permet de dialoguer avec l'œuvre, l'œuvre peut proposer des citations, et c'est très bien, parce qu'en fait, elle propose directement la page à laquelle il faut aller pour pouvoir vérifier la citation. Et donc en fait, ce qu'on est en train de proposer, c'est justement ce que tu dis, c'est d'arrêter de réfléchir par soi-même, arrêter de lire l'œuvre, ça n'a plus d'intérêt, simplement de maîtriser l'outil, de savoir comment cliquer, quelle page vérifier, etc. Or ce que je pense, j'ai vraiment cette conviction, c'est que le but de l'apprentissage n'est pas le même que celui du professionnel. Dans l'apprentissage, dans l'enseignement, on doit privilégier justement tout ce qui est le tâtonnement, l'erreur, la recherche. le fait de se tromper, le fait d'essayer de ne pas arriver. En fait, moi, ça m'est complètement égal. Le résultat, un élève qui me donne une dissertation parfaite, ça n'a aucun intérêt en soi, la fin, la dissertation, personne ne va la lire autre que le prof, personne ne va l'encadrer. Ce qui est intéressant, c'est tout le chemin qu'il a pratiqué, qui a été un peu difficile, un peu long, qui lui a permis d'y parvenir. Il me semble qu'on est en train de confondre l'objectif du numérique, qui permet d'explorer des potentialités incroyables sur le plan professionnel, de manière très positive, et la fonction de l'apprentissage, qui est incompatible avec cette facilité, cette instantanéité. On est en train de confondre l'objectif pour le cheminement. Ce qui m'intéresse avec mes élèves... C'est justement leur cheminement, leur pensée personnelle et qui en fait se suit de manière humaine. Et ce qui rend aussi l'intérêt de notre métier, la spécificité de chacun avec tout son parcours, sa personnalité qui lui est propre.

  • Speaker #1

    Au final, un des enjeux, j'ai le sentiment qu'un des enjeux... Pour lesquels on est en train de perdre un petit peu le fil, c'est comment on redonne envie, où on remet un peu de sens et d'envie chez les enfants, dans le chemin de l'école en fait, dans toute cette phase d'apprentissage qui nous emmène un jour à faire une belle dissertation, sans qu'on ait besoin de passer par un chapitre.

  • Speaker #0

    Je pense qu'on se trompe d'objectif, c'est-à-dire qu'on devrait employer tous nos moyens pour redonner le goût des enfants à la lecture. Et quand on voit les chiffres du Centre national du livre, ils sont effrayants. 19 minutes par jour consacrées à la lecture pour les 16-19 ans. Entre 10 fois plus de temps sur les écrans, en dehors de ce qui est demandé pour l'école. Et ça, je ne comprends pas que ce soit un pas dans tous nos politiciens, qu'on n'en parle pas de ça. On a des élèves, des enfants qui ne lisent plus. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on n'a plus de patrimoine culturel commun. C'est-à-dire que le vivre ensemble de notre société de demain, il va se créer sur quoi ? On parle beaucoup... Le problème des enfants, c'est qu'ils ne savent pas utiliser les réseaux sociaux. Ils manquent d'esprit critique. On va leur apprendre à vérifier les informations. Mais qui mieux que la lecture peut enseigner l'esprit critique ? C'est parce que vous aurez lu un certain nombre d'auteurs, vous serez confrontés à des nuances de pensée, de raisonnement, que vous allez améliorer votre esprit critique et prendre de la distance par rapport à ce qui est dit dans les emoticons, avec les emoticons sur les réseaux sociaux. Donc...

  • Speaker #1

    Je crois que quand même, le Figaro, on a parlé de ces 19 minutes de lecture. Pour moi, j'ai le sentiment aussi que c'est aussi un peu la... C'est pas que la faute des écrans et des téléphones personnels, c'est aussi le fait que nous, en tant que parents, on lit aussi beaucoup moins et que les enfants font aussi ce que les parents font. Donc si les parents sont sur Instagram toute la soirée, il n'y a pas de raison que les enfants n'y soient pas. Et c'est juste quelque chose que je voulais ajouter à notre conversation, qui est que... Il ne s'agit pas que de regarder les enfants, il s'agit aussi de regarder nous-mêmes, notre façon d'être à la maison, de travailler, d'interagir, quand on est entre nous, quand on est au resto, quand on est face à ces écrans, comment on agit nous, et c'est aussi un point qui est important. Et pour moi la lecture elle est symptomatique aussi de ça, elle n'est pas uniquement le fait des écrans, même si les écrans sont... Une réponse alternative.

  • Speaker #0

    Ce qui vaut pour les enfants vaut aussi pour nous. C'est-à-dire que moi, je suis sûre que je lis beaucoup moins depuis que j'ai un smartphone, parce que je passe beaucoup de temps à scroller sur mon smartphone alors que je devrais passer le temps à lire. Et je suis professeure de français et je suis hyper engagée dans la question. Donc oui, c'est une question qui nous concerne tous. Mais souvent, les enfants nous invitent à nous remettre en question. Donc je pense que tout ce questionnement qu'on a sur l'éducation, sur l'orientation qu'on veut donner, comment on veut faire grandir nos enfants, en qu'est-ce qui compte. par ricochet, ça nous invite nous-mêmes à nous remettre en question. Et moi, en tout cas, à titre personnel, il participe très fortement.

  • Speaker #1

    Dans les dernières questions que j'avais pour toi, c'était un peu justement de savoir toi, en tant que professeur de lettres, qui j'imagine, alors moi, l'idée que je me fais des professeurs de lettres, c'est des gens qui rentrent chez eux avec leur grande bibliothèque derrière eux et qui ouvrent trois bouquins en faisant des notes partout, etc. qui n'ont pas d'ordinateur.

  • Speaker #0

    Pas du tout dans ce fil-là malheureusement, mais j'aimerais bien.

  • Speaker #1

    Très cliché. Et aussi en tant que mère de quatre enfants, ça c'est très important pour nous. Tu vois, toutes les personnes qui viennent à ce podcast nous racontent un petit peu comment elles gèrent les écrans. Alors, il n'y a pas en général une règle absolue qu'il faut suivre, mais parfois il y a des exemples. Il y a peut-être des gens qui vont écouter ce podcast, on espère, et qui vont se dire Ah bah tiens, attends, je me reconnais pas mal dans le profil d'Agnès, ça va voir comment elle gère ça. Est-ce que tu as mis des choses en place, soit pour toi, soit pour les enfants, à la maison ?

  • Speaker #0

    Alors pour mes enfants, on va commencer par ça. Moi j'ai toujours été très sensible à la question des écrans. Donc le pas d'écran avant 6 ans, je l'ai appliqué sans vraiment de difficulté, parce que j'ai toujours été convaincue que ce serait pire.

  • Speaker #1

    Tous les écrans ?

  • Speaker #0

    Tous les écrans. Pas de télé ? On n'a pas de télé chez nous. Ouais, non, on leur a pas de montrer de dessin animé. J'ai l'impression que quand je dis ça, les gens me disent Mais comment t'as fait ? En fait, je pense que c'est plus simple, que ce soit un principe de base. En fait, ils y pensent même pas, mes enfants, ils me le réclament pas. Je pense que c'est plus compliqué quand on est dans un entre-deux où c'est une négociation un peu permanente. Ils savent qu'ils vivent pas avec. Alors mes deux aînés, 7 et 8 ans, on leur montre de temps en temps des films. On essaie d'en faire un moment sympa, où on est avec eux, où l'écran n'est pas un baby-sitter. Ça ne veut pas dire que je suis une super maman, je ne suis pas tout le temps disponible pour mes enfants, au contraire, pas assez. Mais ça veut dire que j'accepte que mes enfants s'ennuient. Je pense que c'est un vrai sujet, que mes enfants ne sont pas tout le temps occupés. Et grâce à ça, je pense en partie, mes deux aînés adorent lire, ils lisent beaucoup. C'est aussi une question de personnalité. Je ne m'en glorifie pas et j'en suis heureuse pour eux. Mon troisième, il écrit sur les murs, ça arrive souvent, il fait plein de bêtises, mais tout le temps. Mais en fait, on l'accepte. Et c'est vrai que ce serait plus facile de le mettre devant un dessin animé, mais ça fait partie des convictions que j'ai très fortes et je suis contente d'avoir tenu là-dessus.

  • Speaker #1

    Tu sens une différence entre tes enfants et les autres enfants ? Non. Quand tu es avec des amis ?

  • Speaker #0

    J'aimerais pouvoir dire ça, et ce serait d'ailleurs très prétentieux, mais en fait, c'est l'avantage d'avoir plusieurs enfants, c'est que je découvre qu'ils ont des personnalités très différentes. Mes deux aînés, c'est des petits intellos, ils lisent très bien, ils s'expriment très très bien. Je pourrais me dire, en fait, bah oui, génial, j'ai réussi. C'est facile. J'ai réussi, c'est facile. Mon petit troisième qui a trois ans, que j'adore, il parle toujours à peine. Il a le profil de ceux qu'on dit il a été surexposé aux écrans Sauf qu'en fait, non, il n'a jamais regardé un dessin animé. Donc la vérité est plus fine et heureusement. La vérité est plus fine et je ne peux pas dire que je vois de différence. Et à nouveau, je fais la part des choses entre la personnalité de l'enfant. Je ne donne de leçons à personne en fait. Ce que je dis, c'est que j'assume, j'ai été claire avec ce choix pour éducatif et j'ai la chance que mon mari partage les mêmes convictions. Ça a rendu les choses plus simples et j'assume les loupés. En fait, le nouveau, l'écriture sur les murs, les inondations dans la salle de bain. Pour moi, je n'étais pas dispo parce que c'est vrai que je ne suis pas toujours dispo pour m'en occuper.

  • Speaker #1

    L'apologie de l'ennui, c'est un vrai sujet, ça ?

  • Speaker #0

    J'adore cette idée. Je pense que c'est hyper important pour la créativité et même pour nous. Et alors, c'est là où moi, pour être honnête, il y a la faille. C'est que j'ai du mal à m'appliquer à moi-même ce que j'applique à mes enfants.

  • Speaker #1

    Alors, c'est la deuxième partie de cette réponse.

  • Speaker #0

    Et cette question de l'ennui, je pense que c'est un vrai sujet aussi chez les adultes. C'est-à-dire que j'ai du mal à être inoccupée ou tout le temps, je vais vérifier sur mon smartphone si je ne peux pas être utile. Parce que je suis tout le temps débordée entre les enfants et le travail, etc. Mais c'est une discipline que j'aimerais avoir et que je vise, c'est de prendre du recul et accepter d'avoir des moments libres, gratuits. Donc oui, j'ai essayé. Alors je suis très consciente du problème pour moi, même si je ne l'ai pas résolu. J'ai essayé plein de choses. Je me suis racheté un téléphone neuf touches, mais j'ai tenu une semaine, je n'y arrive pas.

  • Speaker #1

    Ah, intéressant ça.

  • Speaker #0

    Je me suis acheté une petite prison à téléphone. On s'est beaucoup moqué de moi là-dessus. Un petit boîtier où on range son téléphone et on le verrouille. Et puis plus récemment, grâce à Julien, j'ai enlevé les notifications intempestives. Donc non, je travaille sur le sujet. Mais c'est un vrai sujet en fait, comment se libérer.

  • Speaker #1

    Attends, juste revenons sur le téléphone à touche là. Incroyable, t'as testé, qu'est-ce qui fait que ça n'a pas tenu ? C'est trop compliqué d'écrire des SMS ?

  • Speaker #0

    Trop compliqué d'écrire des SMS, le son était mauvais. Mais voilà, je sais qu'en ce moment, il y a une entreprise de phone, je pense que vous êtes au courant, qui est en train de préparer un téléphone.

  • Speaker #1

    On a reçu Maëlys Kanzler sur ce podcast il y a... Alors, on se parlait il y a quelques semaines, je pense que le podcast sortira avant celui-ci.

  • Speaker #0

    Je pense que je vais en acheter quand il sera disponible, ça m'intéresse.

  • Speaker #1

    On va faire une super pub.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est précieux qu'on arrive à distinguer l'utile du superflu. Clairement, le smartphone, c'est un piège énorme.

  • Speaker #1

    Règle très claire pour les enfants. Des essais plus ou moins fructueux pour toi, même si la prise de confiance est là. Et en effet, ce n'est pas évident. Est-ce que d'ailleurs, en tant que prof, vous êtes sollicité digitalement par... Je ne sais pas, vous avez des interactions avec le ministère de l'Éducation, je ne sais même pas comment ça se passe. Est-ce que votre employeur vous sollicite beaucoup numériquement aussi ? Est-ce que vous êtes sur Slack, sur Teams, j'en sais rien, sur d'autres choses comme ça, entre profs ? Je te dis ça, ça ne se fait plus à 2000 kilomètres de...

  • Speaker #0

    Non, pas vraiment. Sûrement des collègues qui le sont, mais moi, ce n'est pas mon cas, en fait. Non, très peu.

  • Speaker #1

    Pas besoin d'appliquer ton droit à la déconnexion dans le cadre de ton travail.

  • Speaker #0

    Non, mais d'ailleurs, c'est ce que j'aime dans mon travail. C'est aussi une des raisons pour lesquelles j'ai voulu quitter l'entreprise. J'en avais assez d'être tout le temps devant un écran. Et ce que j'aime dans la salle de classe, c'est d'être... d'être debout, d'être dans l'interaction avec mes élèves, ce côté humain qu'on trouve assez peu dans les différents métiers. Et j'avoue que quand les tablettes ont fait irruption dans les salles de classe, ça m'a fortement contrariée aussi pour ça.

  • Speaker #1

    Je comprends. Génial. J'ai fait le tour de nos questions et merci beaucoup Agnès. C'était très intéressant, très fourni, très détaillé. Moi, je suis très heureux d'être rentré dans ces documents-là de l'éducation nationale qui me sont totalement étrangers. C'est des sujets dont on n'avait pas encore parlé dans le cadre de Screen Break. Et tu as réussi à nous donner une bonne vision. Moi, ma vision que j'ai en sortant de ce podcast à chaud, je me dis, OK, ce sujet des écrans dans le cadre de l'éducation, c'est un bordel. C'est pas vraiment géré de façon centralisée. C'est, on va dire, impulsé par... est soutenue par des idées qui elles-mêmes ne soutiennent pas l'idée. Et donc, il est temps d'agir en tout cas, ou d'essayer de faire porter une voix pour raisonner tout ça. Et donc, ça, c'est ton message qu'on essaierait de partager avec Screenbreak.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Merci Agnès. A bientôt. Salut.

Description

Dans cette épisode je rencontre Agnès Fabre, professeure de lettres en collège et lycée et fondatrice du collectif Education Numérique Raisonnée.

Le combat d'Agnès: remettre les écrans à leur place dans l'éducation.

Son appel c'est celui du corps enseignant qui assiste presque impuissant à l'omniprésence des écrans dans les classes et qui perd le contrôle

Elle nous explique la stratégie (presque inexistante) de l'éducation nationale sur le sujet du numérique et a confusion entre l'apprentissage du numérique et l'utilisation des outils digitaux à l'école.

Elle nous partage aussi sa vision du rôle de l'école et de ce que devrait être la bonne place pour le numérique: une matière "numérique", vous seriez pour?

Bonne écoute,


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    On passe 60% de notre temps libre sur nos écrans. Ils sont omniprésents et se sont imposés dans nos vies sans mode d'emploi. Leur impact est colossal sur notre travail, notre santé, notre bien social ou notre rapport au monde. Je m'appelle Ludovic Simon et dans le podcast Screen Break, je vous propose de rencontrer avec moi des entrepreneurs, des auteurs ou des scientifiques qui agissent concrètement pour nous aider à retrouver un rapport plus sain à nos écrans. Bonjour Agnès.

  • Speaker #1

    Bonjour Ludovic.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de venir au micro de Screen Break aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Merci de m'inviter, je suis très contente de pouvoir vous rencontrer et de pouvoir parler un peu du collectif Éducation Numérique Raisonnée.

  • Speaker #0

    Génial, alors on a récemment, on enregistre là ce podcast le 17 mai, qui est la semaine du buzz pour toi, puisque je crois que tout LinkedIn t'a découvert très récemment via un post qui a permis de faire connaître l'Éducation Numérique Raisonnée, donc on va en reparler aussi cette semaine. Nous, on t'avait aussi un petit peu déjà vu, parce qu'une de tes missions, c'est de faire signer cet appel, certainement à l'éducation nationale, on va parler de ça aujourd'hui, pour faire entendre raison à ceux qui décident de la façon dont on doit éduquer nos enfants à l'école. Avant qu'on parle de tous ces sujets et qu'on rentre vraiment à fond sur le sujet des écrans à l'école, est-ce que tu pourrais te présenter à nous ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. Alors j'ai 38 ans, j'ai 4 enfants et je suis professeure de lettres de classique, donc j'enseigne le français et le latin au collège et au lycée. Je n'ai pas toujours été prof et ça me semble encore un peu étonnant aujourd'hui, même si ça fait 7 ans, de dire que je suis prof. J'ai passé plus de temps en entreprise. J'ai un parcours un peu hybride parce que j'ai commencé par faire une prépa littéraire, une épocagne et une cagne. Et puis à 20 ans, je ne voulais pas être prof. Je suis une famille de profs. Ma mère l'était, ma grand-mère aussi. Et j'avais envie de voir le monde professionnel, de découvrir autre chose, de sortir de l'école. Donc j'ai passé les concours des écoles de commerce, j'ai intégré l'ESSEC. Et j'ai travaillé en marketing plusieurs années, j'ai eu différentes expériences en entreprise, jusqu'au jour où, et c'est là où ma vie personnelle et ma vie professionnelle sont liées, quand j'ai eu ma deuxième enfant, j'ai eu envie de trouver un autre sens dans mon métier. Donc j'ai passé le concours de l'enseignement. Pourquoi l'enseignement ? En fait, j'aimais ce que je faisais, mais à partir du moment où j'ai eu des enfants, j'ai voulu trouver un intérêt supérieur pour les quitter, pour travailler pour une cause qui me semblait plus profonde.

  • Speaker #0

    D'accord. Donc, au final, aussi, ton... L'héritage...

  • Speaker #1

    Et on est toujours rattrapés par son ADN, probablement.

  • Speaker #0

    T'es complètement rattrapée, mais pour la bonne cause. Reconversion, professeur de lettres, aujourd'hui c'est ton métier à plein temps. Et en parallèle de ça, tu as aussi créé une association, c'est ça ? L'éducation numérique raisonnée ?

  • Speaker #1

    Alors c'est un collectif.

  • Speaker #0

    Un collectif.

  • Speaker #1

    C'est mignon, il y a des personnels de direction, c'est plus souple qu'une association. On ne sait pas encore très bien quelle suite on va donner à ce mouvement. Notre collectif s'est créé en janvier, donc il y a quelques mois. Au départ, on était quatre, et puis on est devenu une vingtaine de membres vraiment représentatifs de la communauté éducative. On exerce dans le primaire, dans le collège, dans l'enseignement, enfin au collège et au lycée, et dans l'enseignement supérieur. Ce qui est intéressant, c'est qu'on est partout en France. On enseigne dans le public et dans le privé, dans des milieux à la fois très défavorisés, ruraux, et d'autres qui sont beaucoup plus favorisés. Et on est tous réunis par le même constat, quels que soient les milieux d'enseignement qui sont les nôtres, qui est l'emprise du numérique sur nos élèves, la manière dont ils sont ravagés par l'omniprésence des écrans, essentiellement dans l'usage récréatif. et qui créent des dégâts qu'on subit, nous, dans notre enseignement, quand on récupère nos élèves en classe.

  • Speaker #0

    Alors, ça, donc là, tu parles de l'usage des écrans pour les enfants, mais pas forcément dans le cadre de l'école. Enfin, ça peut être le téléphone que tu as à l'école, mais là, tu parles de l'usage récréatif aussi à la maison.

  • Speaker #1

    Bien sûr, on distingue l'usage récréatif, tout ce que font les enfants et les ados, les jeux vidéo, les réseaux sociaux. tout ce qu'ils font pour se divertir sur leurs écrans, qui peut être, comme tu l'as dit aussi, à l'école, entre deux pauses. Et l'usage éducatif, c'est la manière dont l'école prolonge l'exposition aux écrans des élèves sur des ordinateurs ou des tablettes, des applications éducatives.

  • Speaker #0

    D'accord, donc... La mission de l'éducation numérique raisonnée du collectif, elle est d'agir sur le récréatif en dehors de l'école et sur l'éducatif, c'est-à-dire l'utilisation des écrans à l'école.

  • Speaker #1

    Exactement, les deux. En fait, on fait la distinction, c'est important de la faire, mais pour nous, les deux sont liés. Et ce qu'on remarque quand on a vu le rapport de la commission Macron sur les écrans, les dégâts du numérique récréatif ont été extrêmement bien pointés. et on rejoint ce constat qu'on faisait sur le terrain avec nos élèves, des élèves qui sont fatigués, il y a un vrai enjeu de sommeil, qui sont plus sédentaires, qui sont en grande difficulté pour tout ce qui est de la santé mentale, qui sont isolés, qui ont du mal à se parler. En revanche, il y a un trou dans ce rapport sur la question du numérique éducatif. Or, pour nous, il est essentiel de réunir les deux, puisqu'on sait que les écrans qu'on distribue aux élèves à l'école présentent toujours un risque de glissement vers le numérique récréatif. C'est-à-dire qu'on sait qu'on a donné plein de bonnes intentions, mais ils vont finir par faire autre chose. Et les remontées qu'on a des parents, c'est qu'on les place dans une situation impossible, en leur donnant des injonctions contradictoires, en leur disant attention, limitez le temps d'écran de vos enfants mais en parallèle, on les oblige à se reconnecter à la maison, puisqu'ils doivent se connecter pour avoir accès à leurs agendas sur les ENT, pour avoir accès aux manuels numériques, pour pouvoir faire leur travail à la maison. Comment contrôler ce temps d'écran qui est devenu incontrôlable ?

  • Speaker #0

    Pour moi, dans le rapport de la commission écran, il y a un élément qui va dans le bon sens, qui est encore un peu différent de ce dont on se parle là, c'est plutôt... La position des écrans dans le cadre de l'école, pas forcément les écrans qui sont mis à disposition des élèves, mais les écrans qui peuvent être utilisés par du personnel de l'école et qui peuvent interférer dans les interactions entre eux et les élèves. Dans le rapport, notamment on parle de la toute petite enfance et des crèches et des maternelles, où un des enjeux c'est de dire zéro écran avant trois ans, ce qui veut dire aussi que dans les crèches et les maternelles, il faut enlever tout. rapport qui peut être un moment interféré par un écran entre quelqu'un du personnel éducatif et un enfant, est-ce que ça veut dire que... Ça doit être la même chose dans le secondaire, au collège, au lycée. On doit enlever complètement tout type d'écran, que ce soit pour le personnel, pour ne pas interférer dans les relations qu'ils vont avoir avec les étudiants, pour les étudiants dans leur éducation, ou même juste le fait qu'il y ait des éléments de l'éducation qui se passent en ligne, par exemple aller voir ses notes. Parcoursup, ce genre de choses, est-ce qu'il faut tout enlever ?

  • Speaker #1

    C'est une bonne question. En fait, on est évidemment mesuré et nuancé. Il y a plusieurs choses dans ce que tu dis. D'abord, plus l'enfant est jeune, plus il est évident qu'il a besoin de contact humain et que les écrans s'interposent entre l'adulte et lui-même. Et vient nuire à la relation, à ce qu'on appelle la notion d'attachement. Et puis tout ce dont l'enfant a besoin pour observer, manipuler. construire, apprendre, faire ses expériences, etc. Donc il y a une certaine progressivité. Plus l'enfant grandit, mûrit, l'adolescent, moins l'écran est nocif en lui-même pour son développement. Pour autant... Alors il y a plusieurs choses. Nous, je tiens à le préciser, on n'est pas contre le numérique. Moi je pense que le numérique c'est un excellent outil professionnel. J'utilise le numérique pour faire mes cours, j'utilise des ressources en ligne, tout ce que je produis et écris évidemment à l'ordinateur. Je projette des ressources audio pour mes élèves, ça m'arrive de montrer des petites scènes, par exemple en français, des petites scènes d'adaptation au théâtre. qui sont projetés. Et heureusement qu'on a ces outils pour nous enseignants avec un vidéoprojecteur dans chaque classe. Ce qui pose problème, c'est les écrans individuels. Et les écrans individuels, ils sont au service de l'élève, mais ils les isolent dans cette dynamique d'interaction, de synergie de classe. et ils viennent justement capter leur attention avec un phénomène d'addiction qu'on connaît, qui est la source du problème de glissement vers le récréatif. On ne maîtrise pas ce qu'il fait derrière sa tablette. Et quand il en porte à la maison, c'est pire, parce qu'il y a encore moins de contrôle. On n'est pas pour enlever les écrans des salles de classe. Alors nous, notre position, elle est nuancée. C'est-à-dire qu'on considère que ce n'est pas en mettant des tablettes entre les mains des élèves qu'on en fait des acteurs éclairés du numérique. On a en fait des consommateurs passifs qui vont faire des applications souvent assez ludiques, des quiz en ligne, etc. Mais on considère que toute cette logique du numérique au service de l'éducation est un leurre, en fait, rend des choses qui peuvent paraître rébarbatives plus amusantes. plus intuitives. Elles font taire les élèves aussi. Les classes sont plus silencieuses quand ils ont des tablettes parce qu'elles capent leur attention. Mais je suis, à titre personnel, pas du tout convaincue de la plus-value pédagogique. Et cette intuition, ce ressenti de terrain, il est confirmé par l'absence d'études significatives indépendantes à ce sujet.

  • Speaker #0

    C'est un point intéressant. Tu viens de faire bugger mon cerveau. Donc tu dis que... Ce que je comprends, c'est que là, il y a... Un sentiment qui vient du corps éducatif, qui est qu'en effet, ces écrans ne sont pas forcément une bonne chose dans l'apprentissage, dans les interactions sociales. Et parce qu'il n'y a pas d'études indépendantes qui le prouvent, ça veut dire que vous avez raison. En gros, ma question derrière, c'est, est-ce qu'il y a quand même un peu des chiffres, des choses qui vont dans le sens du message que vous portez et qui pourraient prouver qu'en effet... En enlevant les écrans, on serait plus performant à l'école. On apprendrait mieux, on suivrait mieux. Sans aucun doute, on aurait peut-être des meilleures interactions sociales entre nous. Est-ce qu'il y a des choses qui le prouvent ou qui commencent à aller dans ce sens-là ?

  • Speaker #1

    Oui, alors déjà plusieurs choses. J'aurais peut-être dû commencer par ça. En fait, ce qui m'a frappée, moi, quand j'ai commencé à enseigner, c'est cette injonction qu'on avait de la part de notre hiérarchie à l'éducation nationale d'intégrer le numérique à notre pratique pédagogique. C'est-à-dire que le numérique, aujourd'hui, est érigé comme un dogme pédagogique. comme si c'était une fin en soi d'utiliser le numérique pour enseigner. Ça m'a toujours énormément étonnée, surtout venant du monde de l'entreprise, où de fait, j'utilisais des tableurs Excel, je faisais des présentations PowerPoint à longueur de journée. Je voyais l'utilité pour mes réunions en interne et pour mes clients. Pour l'enseignement, quand j'enseigne le français, je ne vois pas l'intérêt en soi d'utiliser le numérique. Donc c'est une première chose, cette injonction très forte, mais qui n'était pas corroborée par des chiffres. Je me suis penchée sur... Et ça,

  • Speaker #0

    juste, si on revient sur ce point-là, avant de continuer sur ce qui a démarré ta mission, à quoi ça ressemble, l'évolution du numérique dans les écoles, là, depuis ces 20 dernières années, on va dire ? Tu vois, si je prends un exemple, moi, je me souviens, quand j'étais en sixième, on avait une salle avec des ordinateurs, un écran tout noir, je ne me souviens plus trop ce qu'on faisait dessus, mais on nous apprenait à faire des trucs dessus, quoi. Mais vraiment je crois que je ne sais même plus quoi. Je pense qu'il devait y avoir des jeux ludiques, on faisait ça en primaire quoi. Après moi j'ai un petit frère qui a une douzaine d'années de moins que moi, et lui quand il est arrivé en sixième on lui a donné un ordinateur. C'était le Val-de-Marne qui donnait des ordinateurs en sixième. Je crois qu'ils ont arrêté ça quand même, il y a quelques années, mais pendant encore très longtemps on donnait des ordinateurs aux enfants, dans certaines régions en tout cas. Comment ça a évolué ? On en est où aujourd'hui ? On donne encore des ordinateurs aux enfants quand ils arrivent au collège ou pas ?

  • Speaker #1

    C'est une situation qui est difficile à expliquer parce que l'équipement numérique est confié aux collectivités territoriales. Pour le primaire, c'est les communes qui sont responsables, certaines équipes de tablettes, les écoles primaires. Pour le collège, c'est le département, et au lycée, c'est la région. Donc en fait, c'est différent partout en France, dans le public et dans le privé. Donc il n'y a pas d'harmonie, mais c'est un vrai sujet, il me semble, d'harmoniser ces pratiques et d'avoir une direction claire de savoir où on va. La première chose, c'est cette grande disparité qui est liée aux conditions d'organisation pratiques, la responsabilité des collectivités territoriales et puis les établissements qui font ce qu'ils peuvent. Souvent avec beaucoup de bonne volonté et beaucoup de... d'incertitude sur ce qui est bon ou non pour les élèves. Je peux donner l'exemple précis de mon établissement. Les élèves sont équipés de tablettes à partir de la cinquième. Donc, ils ont chacun une tablette individuelle.

  • Speaker #0

    Donc, ça existe encore. On le fait encore.

  • Speaker #1

    On le fait encore. On le fait de plus en plus. De plus en plus parce qu'en fait, ce qui va avec, c'est la question des manuels scolaires. Ça doit te sembler loin, mais pour faire tes exercices de maths, ou pour lire tes textes en français, ou pour faire tes cartes en histoire-géographie, maintenant, de plus en plus d'éditeurs scolaires, enfin tous les éditeurs scolaires, proposent des versions numériques des manuels, et de plus en plus, les collectivités territoriales ne financent que la version numérique. C'est-à-dire que, par exemple, dans mon établissement, les élèves n'ont plus accès au manuel papier, mais pour avoir accès au manuel scolaire, ils doivent avoir cette version numérique. Or, qui dit version numérique, dit nécessairement un écran individuel, une tablette ou un ordinateur. Donc en fait, libre à moi d'utiliser ou non la tablette, j'ai cette liberté pédagogique, mais cette liberté est contrainte si je veux pouvoir avoir accès aux manuels scolaires, que mes élèves puissent avoir une référence de cette manière-là, ils sont obligés de se connecter. Donc en fait, on est pris dans une sorte de cercle un peu vicieux, qui se voulait vertueux à la base, mais qui se retrouve vicieux du point de vue de la surexposition des enfants aux écrans, où d'un côté on nous dit qu'on a des manuels numériques, donc il faut des tablettes. Et d'un autre côté, on nous dit, on a les tablettes, utilisons les manuels numériques.

  • Speaker #0

    Yes, wow. Et attends, et ça c'est... Ça vient d'où le fait qu'aujourd'hui, on est obligé quasiment de passer par le numérique pour les manuels scolaires ? C'est dû à quoi ?

  • Speaker #1

    Alors, il faut se pencher dans le document Stratégie du numérique pour l'éducation 2023-2027.

  • Speaker #0

    Il est devant tes yeux.

  • Speaker #1

    Il est devant moi, je l'ai bien étudié. Je vais aller vite. Il a été en gros publié par notre précédent ministre, ni celui d'avant, ni celui d'encore avant, par PAP-NVI en 2023. C'est à quel petit moment ? Il y a plusieurs éléments qui sont intéressants. D'abord, il y a tout un point sur les manuels scolaires numériques qui indique qu'au collège, le manuel scolaire peut être complété par sa version numérique. C'est dans un petit encart. Mais c'est quelque chose qui est très peu dit parce que souvent, les collectivités financent exclusivement la version numérique. Si on s'appuie sur le document qui vient de l'Éducation nationale, on voit qu'il n'est pas respecté. Compléter, ça veut dire qu'il faut garder une version papier. Ce n'est plus le cas aujourd'hui dans beaucoup d'établissements. Au lycée, il indique qu'il peut être remplacé par sa version numérique en concertation avec les collectivités territoriales. Et bien sûr, les collectivités s'engouffrent dans ce sujet, sûrement avec de bonnes intentions, mais aussi peut-être pour des logiques financières. Et l'Île-de-France, à ce titre, a communiqué récemment sur sa nouvelle plateforme numérique qui donnait un accès exclusif au manuel scolaire.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut... T'as peut-être pas fini, je te laisse terminer.

  • Speaker #1

    L'autre élément qui est intéressant dans ce document, c'est l'équipement individuel type pour les élèves. C'est tout ce qui est tablettes et ordinateurs par élève. J'adore ce document parce qu'il présente comme objectif de définir à la rentrée 2024 un référentiel pour l'équipement individuel en fonction des usages. Or, ce qu'on constate, c'est que la majorité des établissements scolaires sont déjà équipés sans avoir eu ce référentiel type qui serait censé venir de l'éducation nationale. Donc, en fait, qui... Qui fait la politique éducative aujourd'hui en France ? C'est une vraie question. Si c'est les collectivités territoriales qui n'ont aucune compétence pédagogique. Le deuxième élément qui m'intéresse beaucoup dans ce petit paragraphe, définir un équipement individuel type, c'est que l'orientation qui est donnée, c'est de privilégier les équipements individuels par rapport aux équipements mobiles. Les équipements mobiles, c'est dire que vous avez un lot de tablettes ou d'ordinateurs dans un établissement, et les enseignants les utilisent ponctuellement, etc. L'enfant repart avec son ordinateur ou sa tablette. Dans ce paragraphe, l'orientation stratégique d'éducation nationale donne sa préférence pour le collège et le lycée aux équipements individuels et le justifie par une étude précise qui vient de la... qui vient de l'éducation nationale, qui atteste qu'un élève qui dispose d'un équipement individuel développe plus facilement son aisance et ses compétences numériques. Mais on parle d'aisance et de compétences numériques, on ne parle pas de tout le reste, c'est-à-dire les apprentissages traditionnels et les compétences socio-cognitives. Or, pardon, je termine juste, mais j'ai été fouillée dans cette enquête Hélène, qui est l'unique référentielle pour justifier cette politique éducative sur le numérique. Et cette enquête est vraiment très intéressante. Je ne sais pas si beaucoup de personnes l'ont lue. Merci.

  • Speaker #0

    Je suis très heureux que tu l'aies lu pour nous, en tout cas, parce que moi, je ne l'ai pas lu.

  • Speaker #1

    Voilà, une piste de lecture pour la suite. Cette enquête est elle-même très mesurée, très nuancée. C'est-à-dire que dans la conclusion, on voit... typiquement que les effets des classes mobiles, les classes mobiles et l'eau mobile des tablettes, ont des effets faibles, voire négatifs, sur les apprentissages traditionnels en français et en maths. Or, beaucoup de collectivités territoriales équipent de classes mobiles. Des effets négatifs. Ensuite, un peu plus loin, je choisis, évidemment il y a des effets positifs qui sont démontrés. En ce qui concerne les compétences socio-cognitives, c'est-à-dire la collaboration, la créativité, les équipements individuels et partagés n'ont qu'un impact faible, voire nul. Cette enquête elle-même, qui sert de support pour justifier la stratégie numérique de l'éducation nationale, montre en fait une très pauvreté de l'intérêt d'équiper individuellement tous ces élèves et tout l'argent qui est mobilisé par les pouvoirs publics pour une stratégie qui semble menée à la dérive.

  • Speaker #0

    Ça paraît incroyable. Donc si j'essaie de résumer... C'est la professeure de lettres qui me dira si mon résumé de texte est bon. On met des écrans, qu'ils soient mobiles ou individuels, dans nos classes, nos écoles. On est plutôt brouillon sur la façon dont on le gère à différents moments de la vie scolaire, parce que c'est différentes collectivités qui le gèrent. Et en plus, tout ce qu'on fait de façon brouillon... justifié par un rapport qui lui-même explique qu'en fait, il n'y a pas un impact positif, voire il y a un impact plutôt négatif des écrans sur l'éducation et sur les rapports sociaux qu'entretiennent les enfants entre eux. au sein de l'école quand on met des écrans à leur disposition ?

  • Speaker #1

    C'est ça. Alors c'est un peu plus mesuré parce que ce rapport montre quelques impacts positifs, mais qui sont déjà assez faibles.

  • Speaker #0

    On peut les donner, les impacts positifs, quand même, histoire de...

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr. J'ai la conclusion sous les yeux. Les tablettes individuelles ont des effets positifs sur les résultats scolaires des collégiens, allant de 9 à 25 d'écart-type, ce qui n'est pas non plus énorme. Les classes mobiles ont des effets nuls, donc déjà, il faut... Je pense qu'il y a un problème de logique, en fait. Si l'outil est bon en soi, pourquoi, lorsqu'il est partagé, il n'a pas d'effet, alors que quand il est individuel, il en a un ? Ça me semble étonnant. Et ensuite, la question des compétences socio-cognitives, elle est vraiment importante, parce qu'il y a un enjeu de nos élèves, qui n'est pas simplement de former des cerveaux, mais aussi des citoyens qui vont vivre ensemble. Et si l'impact de ces outils atténue leur capacité à collaborer, à travailler ensemble et à être créatifs, On a des sérieux problèmes pour la suite. L'impression qui se dégage de ce projet numérique de l'éducation nationale, même si la conseillère qu'on a rencontrée cette semaine nous a dit qu'elle en était très fière, c'est qu'il a été déployé de manière assez non coordonnée et en s'appuyant sur des chiffres scientifiques qui demandent à être remis en question et qui interpellent en tout cas. Et de fait, les établissements scolaires sont assez seuls par rapport à cette question du numérique. Nous, ce qu'on constate, parce qu'on recueille énormément de témoignages grâce à notre collectif, c'est qu'il y a beaucoup d'intimidations personnelles qui guident des choix stratégiques. Par exemple, dans mon établissement scolaire, Le choix d'équiper tous les élèves de tablettes a été fait par notre précédent directeur, juste avant qu'il parte à la retraite, parce qu'il se sentait lui-même dépassé par le numérique, il n'arrivait pas à écrire des mails, et donc il s'est dit que c'était très important que les élèves soient habitués au numérique dès le départ. Mais c'est quand même étonnant de se dire que des générations d'élèves vont être marquées par ce choix-là, pour des raisons qui sont...

  • Speaker #0

    C'est assez incroyable de se dire que c'est à ce point-là atomisé que... Chaque directeur d'établissement peut prendre la décision qu'il veut par rapport à ce sujet, sans être éclairé d'aucune façon sur l'impact que sa décision va avoir, à la fois sur les enfants, et puis aussi quand même financièrement. Ça coûte beaucoup d'argent d'équiper des générations d'étudiants, d'ordinateurs, de tablettes. J'ai un souvenir qui date maintenant un peu, mais je me souviens d'un scandale qu'il y avait eu avec Microsoft, je pense à la fin des années 2000. qui avait signé avec l'éducation nationale pour justement mettre des ordinateurs et des tablettes un peu partout, quasiment gratuitement, je crois que c'était ça le deal, et que l'éducation nationale en France avait foncé, en ne se rendant pas compte qu'ils allaient faire une génération de dépendants à Microsoft. C'était un super deal à l'époque, je pense qu'on n'en est plus là aujourd'hui, j'espère en tout cas. Je trouve ça assez incroyable ce que tu nous dis, c'est que... En fait, tiens. En t'écoutant, j'ai l'impression qu'il n'y a aucune réflexion stratégique, aucun pas de recul qui est pris sur le sujet.

  • Speaker #1

    En fait, il y a des enjeux financiers qui sont énormes, certainement. Mon but n'est pas de diaboliser les entreprises qui font de l'argent, ni d'avoir un caractère complotiste. Je pense que chacun a sa place. Il y a des entreprises qui vendent du matériel informatique, il y a des entreprises de la tech qui font leur business sur cette question-là éducative. Et à leur place, je ferais pareil. La première réaction de la directrice de Canopée après la sortie du rapport, c'était de dire Il faut réguler l'usage des écrans dans la vie des jeunes, mais l'école peut être le lieu d'une exception culturelle J'ai beaucoup aimé cette phrase. Et toute la tech s'encouffre dans ce sujet-là, justement sur la distinction dont on a parlé tout à l'heure entre l'usage récréatif et l'usage éducatif. Oui, le récréatif est très mauvais, les réseaux sociaux, mais l'éducatif est en fait la porte de salut. Ils sont dans leur rôle, en fait, ils vendent ce qu'ils font. Et moi, pour avoir fait du marketing, je trouve ça très bien. Ce qui m'interroge, c'est la manière dont nous, à l'éducation nationale, on devient en fait les crétins utiles de toute une industrie et que nous, on n'a pas cette place qui devrait être la nôtre d'exercer un esprit critique indispensable, un principe de précaution quand on n'a pas des... comment dire, justement, ces études indépendantes qui prouvent le bénéfice du numérique éducatif, qu'on n'ait pas ce rapport, en fait, mesuré, distant, que notre collectif invite à adopter, voilà, sans diaboliser personne. Mais prenons le temps de la réflexion, puisque notre enjeu, le nôtre, il n'est pas financier. Il est d'élever nos élèves, leur apporter un esprit critique et de les former le mieux possible, les rendre plus humains, en fait, tout simplement. et on n'élève pas des consommateurs, comme tu l'as dit, aptes à consommer.

  • Speaker #0

    Il y a des enjeux différents entre les enfants et les entreprises qui peuvent interagir avec les enfants. Justement, pour ne pas être le crétin utile de cette économie qui marche indépendamment de notre volonté, l'éducation numérique raisonnée... Vous vous êtes donné une mission. Est-ce que tu peux nous résumer la mission en une phrase ? Et puis cette mission est accompagnée d'une lettre et d'un appel. J'aimerais qu'on parle de ça, que tu nous expliques un petit peu déjà cette lettre, ce qu'elle dit, l'appel que vous lancez, l'objectif qu'il y a derrière, où est-ce qu'on en est aujourd'hui, et puis comment on peut rejoindre éventuellement ce mouvement. Qui peut le rejoindre aussi ? On va parler de tout ça si tu veux bien.

  • Speaker #1

    Alors notre objectif c'est de, je dirais d'abord de reconnecter nos élèves au monde réel. Notre impression c'est qu'on est devenu complètement sous l'emprise d'un numérique qui rend les interactions virtuelles et qui isole nos élèves. Donc le point... On a deux points principaux. D'abord, à l'école, justement, de réguler cet usage du numérique. On considère que les manuels scolaires doivent être en version papier. Il n'y a aucun intérêt à lire sur un écran. Au contraire, les études prouvent qu'on comprend mieux un texte complexe du papier que sur un écran. On demande aussi à revenir... C'est des choses toutes simples et toutes bêtes. Mais quand on n'a pas été dans une salle de classe, on a du mal à imaginer. Mes élèves, ils n'ont plus d'agenda. Je leur dis, vous allez noter ceci pour la semaine prochaine. En fait, ils font autre chose, ils rangent leurs affaires. Parce qu'ils me disent, vous allez le mettre sur l'ENT, madame. L'ENT, c'est la surface, l'interface sur laquelle on note les devoirs, le cahier texte en ligne.

  • Speaker #0

    On n'a plus de cahier texte.

  • Speaker #1

    On n'a plus de cahier texte, parce qu'en fait, tout sera mis en ligne. C'est vachement pratique. Sauf qu'en fait, ça veut dire qu'en fait, ils sont passifs, ils ne se posent pas de questions pour savoir s'ils ont compris leurs devoirs. Et de toute façon, ils vont se reconnecter à la maison pour savoir ce qu'il faut faire pour le lendemain. Notre point principal, il est simple, il est de demander pour les élèves un droit à la déconnexion, c'est-à-dire que l'école s'engage à ce que les élèves puissent travailler à la maison sans écran. pour simplifier aussi le travail des parents, de contrôler, de savoir que là, tu es en train de faire tes devoirs, donc tu n'as pas besoin de ta tablette.

  • Speaker #0

    C'est vrai qu'on ne sait pas ce qui se passe sinon derrière un écran.

  • Speaker #1

    On ne sait pas ce qui se passe. Alors, il y a évidemment des outils de régulation, mais ça ne marche jamais. Et puis aussi, et c'est un point qui est vraiment important, et que je tiens à titre personnel, mais qui devrait être en fait un sujet national, mais pour encourager la lecture. C'est-à-dire que plus on rend l'écran incontournable dans les apprentissages, plus de fait on ringardise le livre. On a des familles dans des milieux plus défavorisés pour qui les seuls livres qui sont présents à la maison sont les manuels scolaires. Si l'école n'a plus ce rôle de familiariser les enfants et les adolescents à l'objet physique du livre, à la lecture, qui le fera ? Or, on sait bien, on peut rétorquer, oui, mais on peut lire sur du numérique. De fait, il est prouvé qu'on ne lit pas de la même manière. Je reviens toujours à cette idée de texte complexe. On lit avec une impression de comprendre sur un écran qui n'est pas la même pour du livre sur le papier. Le premier point, c'est un droit à la déconnexion pour préserver le travail à la maison sans écran. Le deuxième point, c'est d'englober l'école dans une campagne de prévention, de sensibilisation sur les risques du numérique récréatif. Aujourd'hui, dans les programmes scolaires, on n'a absolument rien sur les enjeux du numérique. C'est très, très pauvre. Alors, il est important d'expliquer aux élèves toute cette question de l'économie de l'attention, les dangers pour leur santé physique, mentale, enfin tout ce qu'on sait aujourd'hui et dont on parle de plus en plus. Et on considère que l'école a un rôle de co-éducation avec les parents, de prévenir sur ces sujets-là. On va en fait assez loin dans notre réflexion et concrètement on aimerait bien que l'école propose aux parents de signer une charte en même temps que le règlement intérieur où les parents s'engageraient à respecter un cadre de vie hygiénique, sain par rapport aux écrans. Et je pense notamment à la règle des quatre pas de Sabine Duflo que tu connais peut-être. Pas d'écran le soir avant de se coucher, pas d'écran à table, pas d'écran le matin. et pas d'écran dans la chambre à coucher. C'est des choses très simples dont ont besoin les parents, et on le voit aussi dans les témoignages qu'on recueille, qu'il y a une détresse parentale, les parents qui ne savent pas comment gérer ces tensions avec les enfants, et parfois qui n'ont pas conscience du problème.

  • Speaker #0

    Or, ce qui se passe à la maison a un impact évident sur nous, sur la qualité de l'apprentissage des enfants qui arrivent fatigués, qui n'ont pas la concentration qui leur permet de retenir ce qu'on leur dit en classe. Donc ça, le deuxième point, c'est la sensibilisation sur les dangers des écrans. Et enfin, le dernier point dont on a peu parlé, mais qui est important pour nous, c'est de renforcer la formation aux sciences numériques en donnant un créneau horaire dédié à ces questions-là. Et c'est pour ça que quand tu me disais, est-ce qu'il faut enlever les écrans des écoles ? Ben non, puisque l'école a aussi pour mission de former les élèves au numérique. Et ça, c'est extrêmement important. Je pense qu'un des meilleurs cours que j'ai eus à l'ESSEC, c'était le cours de... d'apprentissage, d'Excel en fait, de bien gérer toutes les fonctionnalités, etc. Et de voir comment gagner du temps avec l'outil. Mais notre idée, c'est de remettre le numérique à sa place d'outil et non pas comme une fin en soi.

  • Speaker #1

    D'accord, donc ce serait plutôt un cours de numérique avec une heure ou deux dans la semaine où en effet, on va apprendre à utiliser les numériques.

  • Speaker #0

    À manipuler, à comprendre les enjeux, etc. Aujourd'hui, l'enseignement... Au média et à l'information est dispatché dans plein de matières, mais il vient polluer en fait les apprentissages des autres matières. Moi en français j'ai... En quatrième, j'avais cinq heures par semaine. J'ai besoin de ce temps pour faire travailler la lecture, l'écriture à mes élèves. Ce temps qu'on libérait des matières traditionnelles, il doit être en effet réuni, regroupé pour une matière qui serait enseignée par un professeur spécialisé. Moi, je n'ai pas forcément les compétences nécessaires. Et ce point-là qui est le nôtre et qu'on défend, c'est un point qu'on retrouve dans le document du Conseil supérieur des programmes de 2022. qui invite à dégager, justement, à créer une matière spécifique sur ces points-là.

  • Speaker #1

    Il me semblait qu'il y avait déjà des cours, peut-être que ça dépend des écoles, peut-être que ça dépend des parcours, mais il n'y a pas déjà des cours de sensibilisation au numérique dans les écoles ? Ça n'existe pas encore, ça ?

  • Speaker #0

    Alors en fait, ce qui a été introduit, c'est la plateforme PIX, qui est un moyen d'auto-évaluation des élèves. Mais en fait, ils ont une certaine autonomie pour le faire. Donc c'est bien, c'est un bon départ. Mais ce qu'on constate, c'est qu'au collège, l'autonomie, ça ne fonctionne pas. Ils ont besoin d'être accompagnés par un enseignant qualifié. et aussi qu'ils puissent leur apprendre, leur expliquer. Et ça, c'est aussi un point qu'on retrouve dans le Conseil supérieur des programmes de 2022.

  • Speaker #1

    D'accord. Donc, en effet, je comprends bien les trois enjeux. Il y en a un des trois enjeux qui est le second dont tu as parlé, qui, pour moi, fait un peu écho à certaines conclusions du rapport de la commission Écran. La sensibilisation, c'est un gros point du rapport qui... On préconise globalement de mieux éduquer un peu tout le monde dans le système éducatif, les enfants, les parents, etc. J'aimerais bien plus globalement avoir... J'imagine que tu le connais ce rapport, que tu l'as peut-être même lu. Oui. J'aimerais bien avoir ton avis sur les conclusions globalement de ce rapport en perspective de la mission que vous donnez avec l'éducation numérique raisonnée. Est-ce que ce rapport va dans le bon sens ? Qu'est-ce qu'on peut en espérer ? Est-ce que demain on peut espérer une législation, voire des mesures coercitives ? Pour les écoles qui ne joueraient pas le jeu du numérique... Est-ce que c'est satisfaisant ? Est-ce qu'on va dans le bon sens ? Qu'est-ce que tu en penses ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'on va dans le bon sens, bien sûr. En gros, les recommandations phares qui sortent du rapport, elles sont indexées sur l'âge des enfants. Donc, pas d'écran avant 3 ans, ça me semble évidemment nécessaire. Et puis ensuite, il y a toute la question de l'accès aux smartphones. Donc, pas de téléphone avant 11 ans, pas de smartphone avant 13 ans, mais toujours sans accès aux réseaux sociaux. Et puis, ils vont presque plus loin que ce qu'on avait imaginé, c'est-à-dire pas de réseaux sociaux avant 18 ans. Tout ça, c'est très bien. Ce qu'on attend maintenant, c'est des mesures concrètes, fermes, etc. Je pense que le risque de ce genre de recommandation, c'est qu'on remette toute la pression aux parents, alors qu'on sait qu'il y a une pression sociale énorme pour les parents sur la question du numérique. les parents qui équipent leurs enfants de smartphones, c'est beaucoup parce que leurs enfants leur disent mais tout le monde en a un Donc c'est compliqué de lutter contre la pression sociale avec de simples recommandations. C'est pour ça qu'on pense qu'on a besoin d'être accompagnés par les pouvoirs publics. Il faut une législation ferme. Et puis il faut aussi un soutien de l'école qui doit avoir ce même discours clair. En attendant cette législation, on soutient l'initiative des pactes locaux de parents. Je ne sais pas si tu en as entendu parler.

  • Speaker #1

    Tu peux nous en dire plus.

  • Speaker #0

    C'est un peu à l'image de ce qui se fait dans les pays voisins européens. De plus en plus des pactes locaux au niveau départemental, c'est des pétitions en ligne sur change.org de parents qui s'engagent à équiper leurs enfants de smartphones après 15 ans, à l'arrivée au lycée. Pour nous, c'est une première démarche, par l'enjeu collectif, de se dire qu'on va résister à cette pression du numérique qui est subie pour beaucoup de parents.

  • Speaker #1

    On peut imaginer ça d'ailleurs dans les associations de parents d'élèves.

  • Speaker #0

    Exactement, de relayer ce genre d'appels, etc.

  • Speaker #1

    C'est ça, de se dire, nous dans notre école, est-ce qu'on est tous d'accord pour dire qu'on ne met pas de smartphone à nos enfants avant 13-14 ans ? C'est des choses qui existent, j'imagine ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, ça n'existe pas, non. Je pense que, évidemment, c'est le... dans le sens qu'on souhaite aller.

  • Speaker #1

    Parce que tu parlais tout à l'heure de chartes potentiellement à signer, on pourrait imaginer qu'on fasse signer demain, de façon un peu obligatoire, une charte sur le...

  • Speaker #0

    Je m'engage à ne pas équiper mon enfant de smartphone avant tel âge. Oui, ça fait partie des pistes qu'on... qu'on propose et qu'on soutient.

  • Speaker #1

    Je serais curieux de savoir comment ça serait accueilli par les parents.

  • Speaker #0

    Alors, ce qu'il faut savoir, c'est qu'en fait, le problème, il n'est pas seulement des enfants. Pour les parents, c'est très rassurant de savoir que leurs enfants sont équipés de smartphones parce qu'ils peuvent les joindre à tout moment. Et je ne sais pas si tu as entendu parler du livre Anxious Generation de Jonathan Haidt. qui m'a vraiment énormément intéressée et qui montre que le problème de santé mentale de la jeune génération, on est après 95, la génération Z, vient de ce décalage entre la sous-protection dans le monde virtuel, qu'on commence à découvrir maintenant et dont on a conscience, et la surprotection dans le monde réel, qui est le problème des parents, qui sont incapables de lâcher leurs enfants. Et en ce sens, moi, en tant que mère de famille, je m'y retrouve complètement. C'est vraiment très difficile dans un monde qui est dangereux, qui nous est présenté comme tel, d'accepter qu'on va perdre le contact avec nos enfants, qu'on va les laisser aller seuls dans la rue, qu'ils vont pouvoir aller à l'air de jeu seuls. On le voit d'ailleurs avec les airs de jeu qui sont toutes élastiques, où les enfants ne peuvent plus se faire de mal. Mais il y a sûrement un changement de mentalité qui doit s'opérer aussi sur ce sujet-là. d'apprendre à lâcher prise et de redonner une certaine liberté à nos enfants en confiance avec notre monde actuel. En tout cas, on sent la naïveté qui peut être la nôtre de croire les protéger en les équipant d'objets qui leur donnent accès à des choses qui leur font mieux.

  • Speaker #1

    Il y a un chiffre d'ailleurs qui est assez frappant sur ce sujet, je trouve. Parce que dans ce que tu dis, en effet, nous on est surprotecteurs aujourd'hui et on ne veut pas lâcher nos enfants physiquement alors que... On est incapable de savoir où est-ce qu'ils vont et quelle violence ils ont devant les yeux sur leur téléphone. Et en parallèle de ça, je regardais une étude récemment qui disait qu'un enfant de 10 ans, aujourd'hui, en moyenne, il a un périmètre autour de ses parents pour lequel il est libre de faire ce qu'il veut de 800 mètres, alors qu'il y a 60 ans c'était 10 kilomètres.

  • Speaker #0

    J'ai vu la même étude.

  • Speaker #1

    Je trouve ça assez incroyable parce qu'on est surprotecteur aujourd'hui, géographiquement, physiquement, on a peur de ce qui se passe dans la vie réelle. On est incapable de comprendre même toutes les violences ou toutes les choses qui peuvent avoir un impact encore pire que ce qui pourrait se passer dans le monde réel sur les téléphones. En effet, cette asymétrie est assez incroyable. On est au niveau zéro de notre capacité à agir sur le monde. sur la vie numérique de nos enfants.

  • Speaker #0

    Je pense qu'on a une vraie responsabilité en tant qu'adultes, que des générations d'enfants ont été sacrifiées par notre naïveté sur le numérique. On n'a pas compris ce qui se passait, on n'a pas compris à quel point on les mettait en danger. Et le propos de notre collectif aujourd'hui, c'est de dire attention à la naïveté qu'on a eue sur le numérique récréatif, n'ayons pas la même avec cet enthousiasme BA qu'on retrouve sur le numérique éducatif, qui serait censé sauver l'éducation, sauver l'enseignement. Et je pense qu'il y a un vrai enjeu aujourd'hui de prise de conscience qui n'est pas encore collective.

  • Speaker #1

    Oui, alors, un set appel, c'est trois points sur lesquels... Vous avez envie de travailler et de proposer des choses. Vous avez un objectif de nombre de signatures. Est-ce qu'il faut d'ailleurs un nombre de signatures minimum pour être vu par Emmanuel Macron ?

  • Speaker #0

    Tu peux lui demander. Tu lui demanderas, tu me diras.

  • Speaker #1

    On essaiera de le taguer dans le post qu'on fera quand on parlera de ce podcast.

  • Speaker #0

    Non, je n'ai pas d'objectif. En fait, cet appel, c'est une manière de rendre... d'avoir un retour sur ce qu'on fait, sur notre action. et puis d'engager un peu la société civile et le monde enseignant. Notre objectif, c'était d'abord de porter la voix d'une partie des enseignants qu'on ne sentait pas écoutés, pas consultés par tout ce projet numérique. qui nous a été imposée d'en haut, en fait, sans attention à nos besoins précis, à notre manière d'enseigner, etc. Quand on parle en salle des profs, on se rend compte qu'on est très nombreux à penser, en fait, que cette injonction d'intégrer le numérique n'a pas de sens, que nos élèves ont besoin d'être plus familiarisés aux livres, d'écrire à la main, etc. La première idée, c'était de porter cette voix, de donner la parole aux enseignants, mais aussi d'engager la société civile, les parents d'élèves, que tout le monde se sente concerné, parce que nos élèves d'aujourd'hui, ce seront la société de demain, les futurs électeurs, mais aussi les futurs médecins, etc. Ce qu'on pense vraiment, c'est qu'il y a une dérive dans cette omniprésence du numérique dans l'éducation, qui est de gommer tout sens de l'effort. Et ça, c'est extrêmement inquiétant pour la suite. Ce que nous disent déjà un peu les entreprises, d'ailleurs, quand ils remarquent les nouveaux collaborateurs. Il y a quelque chose de très séduisant dans le numérique, qui est le plaisir instantané que peut nous donner une application. Je l'ai testé, j'ai fait un quiz en ligne à la demande de mes élèves. Il y a plein d'images dans tous les sens, c'est très stimulant. Il y a plein de couleurs, c'est ludique. Je me demande ce que retiennent les élèves. Est-ce qu'ils ont mieux retenu la leçon en particulier ? C'est une vraie question pour laquelle on n'a pas de chiffre précis. Mais indépendamment de ça, les activités qu'on peut faire par le NUMEC ne sont pas les mêmes que celles qu'on fait avec un papier et un crayon. Quand on demande aux élèves de réfléchir sur un temps long, de fournir un effort un peu complexe, ils ont besoin de cette page blanche de pouvoir réfléchir. Et moi je l'ai constaté individuellement, à mon échelle. J'enseigne en première le français. Un des grands exercices principaux, c'est la dissertation. J'interdis la tablette à mon cours. Et quand la première fois que j'ai donné un sujet de dissertation, ils ont dû chercher leurs idées par eux-mêmes sur une plage blanche, c'était la panique. Parce qu'en fait, ils n'ont pas l'habitude de chercher par eux-mêmes. Ils ont l'habitude de tout le temps aller vérifier l'information sur Internet. de tout le temps trouver une béquille qui leur empêche de produire une réflexion personnelle. Et ça, je trouve que c'est extrêmement inquiétant, parce qu'en fait, ça vient saper leur confiance en eux. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas capables de le faire, c'est qu'ils pensent qu'ils ne sont pas capables, que ce sera toujours mieux ce qu'ils vont trouver sur Internet. Et ça, c'est accentué par l'intelligence artificielle. La réponse qu'il va leur apporter numériquement sera supérieure à ce qu'ils pourront produire eux-mêmes. Et par cette absence de confiance en eux, en fait, il est en train de se produire ce qu'il redoute. C'est-à-dire qu'en fait, quand on ne s'entraîne pas à réfléchir par soi-même, on ne sait plus réfléchir.

  • Speaker #1

    Bien sûr. J'ai quand même une question là-dessus que je me pose à titre personnel sur l'évolution de... des besoins cognitifs qu'on a nous en tant qu'être humain. Donc avant qu'on ait Google dans notre vie globalement, il fallait savoir comment chercher pour être efficace. Après on a eu Google, il fallait savoir quoi demander à Google pour que ça marche. Aujourd'hui on a l'IA qui commence à arriver pour tout le monde et l'enjeu est plutôt de savoir bien briefer une intelligence artificielle pour qu'elle nous réponde exactement ce dont on a besoin. A priori, ça fait quand même... Moi, j'ai toujours connu dans ma vie les moteurs de recherche quasiment. J'ai pas le sentiment aujourd'hui d'avoir besoin de savoir aller chercher de l'information en bibliothèque et de me creuser la tête de savoir comment je vais devoir m'y prendre pour trouver telle information qu'il me faut, etc. J'ai besoin de savoir comment je parle à Google. Est-ce que dans le futur, on a vraiment besoin de savoir réfléchir comme... on l'apprenait sur les 100 dernières années dans l'école de Jules Ferry. Est-ce que notre façon de réfléchir n'évolue pas aussi avec la technologie ? Et dans ce cas-là, il faut peut-être juste savoir bien l'utiliser.

  • Speaker #0

    C'est une vraie question. Je n'ai pas les réponses à toutes ces questions. En revanche, ce que je pense, c'est que le numérique amplifie les inégalités. C'est-à-dire que la différence, on aura toujours besoin de personnes qui maîtriseront la technologie, qui sauront réfléchir. Et donc, plus vous déléguez à d'autres, que ce soit une intelligence artificielle simplement d'autres, cette faculté de raisonner, d'exercer un esprit critique et de réfléchir par vous-même, plus vous vous rendez impuissant, plus vous vous mettez à l'écart du monde de demain. Je n'ai pas les réponses à toutes les questions, honnêtement, mais je suis personnellement assez inquiète de la tournure que prennent les choses et surtout du manque de recul critique de cette transformation massive qui est en train de se produire. Quand je vois sur le site de l'Académie de Paris, à la page d'intelligence artificielle, comment utiliser l'intelligence artificielle en enseignement ? Il y a un exemple qui est donné, qui est mis en valeur d'une enseignante en première, qui montre à ses élèves comment utiliser l'intelligence artificielle pour faire une dissertation. Elle explique que jusqu'à maintenant, les élèves posaient la question, le sujet de dissertation à Chachipiti, et ils avaient une réponse, mais ils n'avaient pas les citations. Or, maintenant, avec un nouveau logiciel qui permet de dialoguer avec l'œuvre, l'œuvre peut proposer des citations, et c'est très bien, parce qu'en fait, elle propose directement la page à laquelle il faut aller pour pouvoir vérifier la citation. Et donc en fait, ce qu'on est en train de proposer, c'est justement ce que tu dis, c'est d'arrêter de réfléchir par soi-même, arrêter de lire l'œuvre, ça n'a plus d'intérêt, simplement de maîtriser l'outil, de savoir comment cliquer, quelle page vérifier, etc. Or ce que je pense, j'ai vraiment cette conviction, c'est que le but de l'apprentissage n'est pas le même que celui du professionnel. Dans l'apprentissage, dans l'enseignement, on doit privilégier justement tout ce qui est le tâtonnement, l'erreur, la recherche. le fait de se tromper, le fait d'essayer de ne pas arriver. En fait, moi, ça m'est complètement égal. Le résultat, un élève qui me donne une dissertation parfaite, ça n'a aucun intérêt en soi, la fin, la dissertation, personne ne va la lire autre que le prof, personne ne va l'encadrer. Ce qui est intéressant, c'est tout le chemin qu'il a pratiqué, qui a été un peu difficile, un peu long, qui lui a permis d'y parvenir. Il me semble qu'on est en train de confondre l'objectif du numérique, qui permet d'explorer des potentialités incroyables sur le plan professionnel, de manière très positive, et la fonction de l'apprentissage, qui est incompatible avec cette facilité, cette instantanéité. On est en train de confondre l'objectif pour le cheminement. Ce qui m'intéresse avec mes élèves... C'est justement leur cheminement, leur pensée personnelle et qui en fait se suit de manière humaine. Et ce qui rend aussi l'intérêt de notre métier, la spécificité de chacun avec tout son parcours, sa personnalité qui lui est propre.

  • Speaker #1

    Au final, un des enjeux, j'ai le sentiment qu'un des enjeux... Pour lesquels on est en train de perdre un petit peu le fil, c'est comment on redonne envie, où on remet un peu de sens et d'envie chez les enfants, dans le chemin de l'école en fait, dans toute cette phase d'apprentissage qui nous emmène un jour à faire une belle dissertation, sans qu'on ait besoin de passer par un chapitre.

  • Speaker #0

    Je pense qu'on se trompe d'objectif, c'est-à-dire qu'on devrait employer tous nos moyens pour redonner le goût des enfants à la lecture. Et quand on voit les chiffres du Centre national du livre, ils sont effrayants. 19 minutes par jour consacrées à la lecture pour les 16-19 ans. Entre 10 fois plus de temps sur les écrans, en dehors de ce qui est demandé pour l'école. Et ça, je ne comprends pas que ce soit un pas dans tous nos politiciens, qu'on n'en parle pas de ça. On a des élèves, des enfants qui ne lisent plus. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on n'a plus de patrimoine culturel commun. C'est-à-dire que le vivre ensemble de notre société de demain, il va se créer sur quoi ? On parle beaucoup... Le problème des enfants, c'est qu'ils ne savent pas utiliser les réseaux sociaux. Ils manquent d'esprit critique. On va leur apprendre à vérifier les informations. Mais qui mieux que la lecture peut enseigner l'esprit critique ? C'est parce que vous aurez lu un certain nombre d'auteurs, vous serez confrontés à des nuances de pensée, de raisonnement, que vous allez améliorer votre esprit critique et prendre de la distance par rapport à ce qui est dit dans les emoticons, avec les emoticons sur les réseaux sociaux. Donc...

  • Speaker #1

    Je crois que quand même, le Figaro, on a parlé de ces 19 minutes de lecture. Pour moi, j'ai le sentiment aussi que c'est aussi un peu la... C'est pas que la faute des écrans et des téléphones personnels, c'est aussi le fait que nous, en tant que parents, on lit aussi beaucoup moins et que les enfants font aussi ce que les parents font. Donc si les parents sont sur Instagram toute la soirée, il n'y a pas de raison que les enfants n'y soient pas. Et c'est juste quelque chose que je voulais ajouter à notre conversation, qui est que... Il ne s'agit pas que de regarder les enfants, il s'agit aussi de regarder nous-mêmes, notre façon d'être à la maison, de travailler, d'interagir, quand on est entre nous, quand on est au resto, quand on est face à ces écrans, comment on agit nous, et c'est aussi un point qui est important. Et pour moi la lecture elle est symptomatique aussi de ça, elle n'est pas uniquement le fait des écrans, même si les écrans sont... Une réponse alternative.

  • Speaker #0

    Ce qui vaut pour les enfants vaut aussi pour nous. C'est-à-dire que moi, je suis sûre que je lis beaucoup moins depuis que j'ai un smartphone, parce que je passe beaucoup de temps à scroller sur mon smartphone alors que je devrais passer le temps à lire. Et je suis professeure de français et je suis hyper engagée dans la question. Donc oui, c'est une question qui nous concerne tous. Mais souvent, les enfants nous invitent à nous remettre en question. Donc je pense que tout ce questionnement qu'on a sur l'éducation, sur l'orientation qu'on veut donner, comment on veut faire grandir nos enfants, en qu'est-ce qui compte. par ricochet, ça nous invite nous-mêmes à nous remettre en question. Et moi, en tout cas, à titre personnel, il participe très fortement.

  • Speaker #1

    Dans les dernières questions que j'avais pour toi, c'était un peu justement de savoir toi, en tant que professeur de lettres, qui j'imagine, alors moi, l'idée que je me fais des professeurs de lettres, c'est des gens qui rentrent chez eux avec leur grande bibliothèque derrière eux et qui ouvrent trois bouquins en faisant des notes partout, etc. qui n'ont pas d'ordinateur.

  • Speaker #0

    Pas du tout dans ce fil-là malheureusement, mais j'aimerais bien.

  • Speaker #1

    Très cliché. Et aussi en tant que mère de quatre enfants, ça c'est très important pour nous. Tu vois, toutes les personnes qui viennent à ce podcast nous racontent un petit peu comment elles gèrent les écrans. Alors, il n'y a pas en général une règle absolue qu'il faut suivre, mais parfois il y a des exemples. Il y a peut-être des gens qui vont écouter ce podcast, on espère, et qui vont se dire Ah bah tiens, attends, je me reconnais pas mal dans le profil d'Agnès, ça va voir comment elle gère ça. Est-ce que tu as mis des choses en place, soit pour toi, soit pour les enfants, à la maison ?

  • Speaker #0

    Alors pour mes enfants, on va commencer par ça. Moi j'ai toujours été très sensible à la question des écrans. Donc le pas d'écran avant 6 ans, je l'ai appliqué sans vraiment de difficulté, parce que j'ai toujours été convaincue que ce serait pire.

  • Speaker #1

    Tous les écrans ?

  • Speaker #0

    Tous les écrans. Pas de télé ? On n'a pas de télé chez nous. Ouais, non, on leur a pas de montrer de dessin animé. J'ai l'impression que quand je dis ça, les gens me disent Mais comment t'as fait ? En fait, je pense que c'est plus simple, que ce soit un principe de base. En fait, ils y pensent même pas, mes enfants, ils me le réclament pas. Je pense que c'est plus compliqué quand on est dans un entre-deux où c'est une négociation un peu permanente. Ils savent qu'ils vivent pas avec. Alors mes deux aînés, 7 et 8 ans, on leur montre de temps en temps des films. On essaie d'en faire un moment sympa, où on est avec eux, où l'écran n'est pas un baby-sitter. Ça ne veut pas dire que je suis une super maman, je ne suis pas tout le temps disponible pour mes enfants, au contraire, pas assez. Mais ça veut dire que j'accepte que mes enfants s'ennuient. Je pense que c'est un vrai sujet, que mes enfants ne sont pas tout le temps occupés. Et grâce à ça, je pense en partie, mes deux aînés adorent lire, ils lisent beaucoup. C'est aussi une question de personnalité. Je ne m'en glorifie pas et j'en suis heureuse pour eux. Mon troisième, il écrit sur les murs, ça arrive souvent, il fait plein de bêtises, mais tout le temps. Mais en fait, on l'accepte. Et c'est vrai que ce serait plus facile de le mettre devant un dessin animé, mais ça fait partie des convictions que j'ai très fortes et je suis contente d'avoir tenu là-dessus.

  • Speaker #1

    Tu sens une différence entre tes enfants et les autres enfants ? Non. Quand tu es avec des amis ?

  • Speaker #0

    J'aimerais pouvoir dire ça, et ce serait d'ailleurs très prétentieux, mais en fait, c'est l'avantage d'avoir plusieurs enfants, c'est que je découvre qu'ils ont des personnalités très différentes. Mes deux aînés, c'est des petits intellos, ils lisent très bien, ils s'expriment très très bien. Je pourrais me dire, en fait, bah oui, génial, j'ai réussi. C'est facile. J'ai réussi, c'est facile. Mon petit troisième qui a trois ans, que j'adore, il parle toujours à peine. Il a le profil de ceux qu'on dit il a été surexposé aux écrans Sauf qu'en fait, non, il n'a jamais regardé un dessin animé. Donc la vérité est plus fine et heureusement. La vérité est plus fine et je ne peux pas dire que je vois de différence. Et à nouveau, je fais la part des choses entre la personnalité de l'enfant. Je ne donne de leçons à personne en fait. Ce que je dis, c'est que j'assume, j'ai été claire avec ce choix pour éducatif et j'ai la chance que mon mari partage les mêmes convictions. Ça a rendu les choses plus simples et j'assume les loupés. En fait, le nouveau, l'écriture sur les murs, les inondations dans la salle de bain. Pour moi, je n'étais pas dispo parce que c'est vrai que je ne suis pas toujours dispo pour m'en occuper.

  • Speaker #1

    L'apologie de l'ennui, c'est un vrai sujet, ça ?

  • Speaker #0

    J'adore cette idée. Je pense que c'est hyper important pour la créativité et même pour nous. Et alors, c'est là où moi, pour être honnête, il y a la faille. C'est que j'ai du mal à m'appliquer à moi-même ce que j'applique à mes enfants.

  • Speaker #1

    Alors, c'est la deuxième partie de cette réponse.

  • Speaker #0

    Et cette question de l'ennui, je pense que c'est un vrai sujet aussi chez les adultes. C'est-à-dire que j'ai du mal à être inoccupée ou tout le temps, je vais vérifier sur mon smartphone si je ne peux pas être utile. Parce que je suis tout le temps débordée entre les enfants et le travail, etc. Mais c'est une discipline que j'aimerais avoir et que je vise, c'est de prendre du recul et accepter d'avoir des moments libres, gratuits. Donc oui, j'ai essayé. Alors je suis très consciente du problème pour moi, même si je ne l'ai pas résolu. J'ai essayé plein de choses. Je me suis racheté un téléphone neuf touches, mais j'ai tenu une semaine, je n'y arrive pas.

  • Speaker #1

    Ah, intéressant ça.

  • Speaker #0

    Je me suis acheté une petite prison à téléphone. On s'est beaucoup moqué de moi là-dessus. Un petit boîtier où on range son téléphone et on le verrouille. Et puis plus récemment, grâce à Julien, j'ai enlevé les notifications intempestives. Donc non, je travaille sur le sujet. Mais c'est un vrai sujet en fait, comment se libérer.

  • Speaker #1

    Attends, juste revenons sur le téléphone à touche là. Incroyable, t'as testé, qu'est-ce qui fait que ça n'a pas tenu ? C'est trop compliqué d'écrire des SMS ?

  • Speaker #0

    Trop compliqué d'écrire des SMS, le son était mauvais. Mais voilà, je sais qu'en ce moment, il y a une entreprise de phone, je pense que vous êtes au courant, qui est en train de préparer un téléphone.

  • Speaker #1

    On a reçu Maëlys Kanzler sur ce podcast il y a... Alors, on se parlait il y a quelques semaines, je pense que le podcast sortira avant celui-ci.

  • Speaker #0

    Je pense que je vais en acheter quand il sera disponible, ça m'intéresse.

  • Speaker #1

    On va faire une super pub.

  • Speaker #0

    Je pense que c'est précieux qu'on arrive à distinguer l'utile du superflu. Clairement, le smartphone, c'est un piège énorme.

  • Speaker #1

    Règle très claire pour les enfants. Des essais plus ou moins fructueux pour toi, même si la prise de confiance est là. Et en effet, ce n'est pas évident. Est-ce que d'ailleurs, en tant que prof, vous êtes sollicité digitalement par... Je ne sais pas, vous avez des interactions avec le ministère de l'Éducation, je ne sais même pas comment ça se passe. Est-ce que votre employeur vous sollicite beaucoup numériquement aussi ? Est-ce que vous êtes sur Slack, sur Teams, j'en sais rien, sur d'autres choses comme ça, entre profs ? Je te dis ça, ça ne se fait plus à 2000 kilomètres de...

  • Speaker #0

    Non, pas vraiment. Sûrement des collègues qui le sont, mais moi, ce n'est pas mon cas, en fait. Non, très peu.

  • Speaker #1

    Pas besoin d'appliquer ton droit à la déconnexion dans le cadre de ton travail.

  • Speaker #0

    Non, mais d'ailleurs, c'est ce que j'aime dans mon travail. C'est aussi une des raisons pour lesquelles j'ai voulu quitter l'entreprise. J'en avais assez d'être tout le temps devant un écran. Et ce que j'aime dans la salle de classe, c'est d'être... d'être debout, d'être dans l'interaction avec mes élèves, ce côté humain qu'on trouve assez peu dans les différents métiers. Et j'avoue que quand les tablettes ont fait irruption dans les salles de classe, ça m'a fortement contrariée aussi pour ça.

  • Speaker #1

    Je comprends. Génial. J'ai fait le tour de nos questions et merci beaucoup Agnès. C'était très intéressant, très fourni, très détaillé. Moi, je suis très heureux d'être rentré dans ces documents-là de l'éducation nationale qui me sont totalement étrangers. C'est des sujets dont on n'avait pas encore parlé dans le cadre de Screen Break. Et tu as réussi à nous donner une bonne vision. Moi, ma vision que j'ai en sortant de ce podcast à chaud, je me dis, OK, ce sujet des écrans dans le cadre de l'éducation, c'est un bordel. C'est pas vraiment géré de façon centralisée. C'est, on va dire, impulsé par... est soutenue par des idées qui elles-mêmes ne soutiennent pas l'idée. Et donc, il est temps d'agir en tout cas, ou d'essayer de faire porter une voix pour raisonner tout ça. Et donc, ça, c'est ton message qu'on essaierait de partager avec Screenbreak.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Merci Agnès. A bientôt. Salut.

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