Speaker #1Le traité d'escrime du maître d'armes strasbourgeois Joachim Meyer Nous sommes à Strasbourg en l'an de Grasse 1571. L'homme qui tousse et respire difficilement est Joachim Meyer. Il est âgé de 34 ans. Il est gravement malade. Alité depuis plusieurs jours, il sent que sa fin est proche. Rapprochons-nous pour entendre ses paroles. Je n'aurais pas dû entreprendre ce voyage. Traverser le Saint-Empire germanique de Strasbourg jusqu'à Jverine, deux cents lieues en plein hiver, quelle folie ! Je n'avais pas le choix. Je devais me rendre auprès du duc de Mecklenburg pour devenir son maître d'armes et lui proposer mon traité d'escrime. Il aurait acheté un bon prix. L'argent, toujours l'argent. Je cours après pour rembourser mes dettes. Ce traité d'escrime m'a ruiné, mais il est aussi ma plus grande fierté. Tous ceux qui l'ont eu entre les mains veulent posséder la description approfondie de l'art de l'escrime. C'est ainsi que j'ai appelé mon traité. J'y ai mis tout mon savoir sur l'art de l'escrime, si difficile à coucher sur le papier, et mon talent d'instructeur. Tout mon savoir de maître d'armes. Retournons quelques temps en arrière. Voici Joachim Meyer dans la salle d'armes. Il débute une leçon d'escrime. Bien messieurs, je vous demande un peu d'attention. Vous êtes jeunes et plein de fougue. C'est une grande qualité pour combattre, mais celle-ci doit être canalisée au service de la technique. Sans technique, la fougue est peu de chose. Pour progresser dans le maniement des armes, il faut d'abord connaître votre arme. Elle est le prolongement de votre bras. Peu à peu, elle fera partie de vous. Voici l'épée longue, l'arme traditionnelle de nous autres, esprimeurs du Saint-Empire. Prenons le temps de l'observer. Elle est partagée en deux. Il y a la lame d'une part et la poignée d'autre part. Ici, la poignée. À quoi sert-elle ? Elle est utile pour vous ruer sur l'adversaire. Lutter. Projetez votre arme. Ensuite, la lame. Elle se compose de plusieurs parties. De la garde au milieu, c'est le fort de l'épée. Du milieu à la pointe, c'est le faible. Le fort est la partie la plus large de la lame. Il est utile pour entailler, faire les rotations, presser et autres actions réalisées avec force. Enfin, au bout de la lame, le faible. Il sert pour les touches rapides, pour lancer l'épée à la manière d'une fronde. L'épée a deux tranchants. Celui qui se trouve face à l'adversaire est le vrai ou long tranchant ? Celui qui se trouve vers soi est le faux ou court tranchant. Dans son traité d'escrime, Joachim Meyer aborde le maniement de nombreuses armes, comme le du sac, porté à une main avec une lame incurvée. L'épée italienne, qu'on appelle rapière, la dague, un long poignard, mais aussi la lutte à main nue. et la halbarde, une grande lance médiévale. Parmi ses armes, l'épée longue est une place toute particulière. C'est avec elle que Joachim Meyer commence son livre et introduit le lecteur aux bases de l'esprit. L'épée longue se tient à deux mains. Elle mesure 1,30 m environ et pèse 1,4 kg. Écoutons les explications du maître d'armes à ses élèves. Messieurs, passons aux déplacements. Tenez vos épées en garde. Je vais vous donner quelques règles générales de déplacement, puis nous pratiquerons. Il y a trois types de déplacement. Ceux vers l'avant et l'arrière, ceux sur les côtés, et les feintes de marche. Les déplacements vers l'avant se font en effectuant des fentes, suivies d'un regroupement des pieds pour pouvoir refaire à nouveau une fente, comme ceci. Entraînez-vous, trois fentes en avant, puis trois fentes en arrière. Pourquoi Joachim Meyer, maître d'armes à Strasbourg, a-t-il rédigé un traité d'escrime ? Avant lui, dans le Saint-Empire romain germanique, plusieurs maîtres d'armes ont transmis leur savoir de l'art de l'escrime grâce aux livres. L'invention de l'imprimerie au milieu du XVe siècle a rendu possible cette diffusion de la connaissance. Joachim Meyer est le continuateur de cette tradition. Pour le jeune homme, c'est aussi une manière de prouver sa maîtrise du maniement de l'épée et la qualité de son enseignement. L'enjeu est plus qu'un simple manuel. C'est un rêve de reconnaissance et de légitimité pour le jeune artisan coutelier suisse. Joachim Meyer cherche à enseigner l'escrime de manière rationnelle et didactique. Dans son traité, il associe les illustrations et les explications en employant une terminologie précise. Les illustrations informent le lecteur des positions du pied grâce au tracé du dallage, mais aussi là où l'assaillant doit toucher son adversaire. Sans doute Joachim Meyer a servi de modèle aux escrimeurs représentés. Retournons dans la salle d'armes. Chaque coup doit avoir son propre pas. Si tu marches trop tôt ou trop tard, alors c'en est fini de ton action. Tu s'abordes toi-même ton coup. Apprends à faire les pas correctement afin que ton adversaire ne puisse pas lancer ses coups comme il l'entend. Ainsi, tu lui voles du terrain. Toi, viens en face de moi. Je vais faire une démonstration d'un assaut. Place-toi là, à trois pas. Dans l'assaut, tu dois agir comme si tu souhaitais faire un large et grand pas. Mais en réalité, maintiens tes pieds proches l'un de l'autre. Comme ceci. Je recommence. En garde. Inversement, lorsque ton adversaire pense que tu vas l'approcher doucement, alors va rapidement sur lui avec deux grands pas. Et assaille-le. Tellement de choses dépendent des pas et du déplacement dans les combats. Sans oublier la surprise. Allez, pratiquez ! Ça ne me suffit pas ces salles d'armes, je veux plus. Plus de reconnaissance. Que toutes les cours d'Europe connaissent mon nom, ma technique. que tous les gentilhommes s'en inspirent. Le nom de Joachim Meyer, maître d'armes devant l'éternel, ne disparaîtra jamais. A partir du XVIe siècle, grâce à la diffusion plus large des traités d'escrime et au développement de la pédagogie, l'enseignement du maniement de l'épée est au cœur de l'éducation du gentilhomme européen. Les maîtres d'armes qui enseignent les scrims organisent et structurent leur métier partout en Europe. Leur métier est bien différent si leur élève est issu de la grande noblesse ou un bourgeois et des privilèges accordés par les gouvernements. Lorsqu'ils théorisent leur discipline et publient leur enseignement, les maîtres d'armes aspirent à un statut plus noble, leur permettant de s'extraire de leurs modestes conditions d'artisan. Au-delà de l'enseignement des gestes, Des parades et de bottes prétendues secrètes, ce sont aussi des valeurs et une culture que les maîtres transmettent à leurs disciples. Retournons auprès de Joachim Meyer au soir de sa vie. Je ne sais pas si j'ai eu beaucoup de disciples, mais j'ai eu des élèves bien nés. Que j'ai aimé les scrims, cet art noble et chevaleresque. qui exige dextérité, réflexion, technique et forme physique, concentration et courage, une activité qui élève l'âme humaine. Mon traité est là pour le prouver. Du texte à l'image, de la pratique à la théorie et vice-versa, je me suis appliqué à être le plus clair possible. Faites-en bon usage. Et surtout, n'oubliez pas que la pratique est plus importante que la théorie. adieu hélas pour joachim meyer les choses ne se sont pas déroulées comme il l'espérait il a consacré sa vie à transmettre son savoir à diffuser son art mais il s'est éteint sans le sou en portant avec lui ce rêve de reconnaissance qui ne s'est jamais réalisé À Strasbourg, Joachim Meyer fut maître d'armes, organisateur de tournois. Aujourd'hui, il nous reste quelques écrits et surtout sa description approfondie de l'art de l'escrime, conservée précieusement dans la bibliothèque humaniste de Celesta. Il y décrit avec précision, patience et intelligence son art, et organise le contenu en faisant dialoguer texte et images de manière didactique. Son traité a marqué son époque et fortement influencé les auteurs qui lui ont succédé. Il fut plagié, preuve de sa réussite. Ainsi, le lecteur d'hier ou d'aujourd'hui peut employer son livre comme aide-mémoire, après avoir dûment suivi les leçons d'un maître. Malgré sa disparition précoce, Joachim Meyer compte parmi les derniers représentants de la longue tradition germanique de l'art de l'escrime qui débute au XIVe siècle. Après lui, la tradition de l'escrime germanique disparaît peu à peu au profit de l'école italienne, qui introduit une épée redoutable d'efficacité, la rapière, qui deviendra l'épée des mousquetaires.