- Speaker #0
Bonjour à tous, bienvenue dans le premier épisode de Murmure, le podcast officiel de la Société Française de Médecine d'Urgence, animé par la Commission Jeune. Je suis Nicolas Segon, je suis médecin urgentiste à Grenoble et membre de la Commission Jeune, et j'ai le plaisir d'animer ce premier épisode de Murmure. Le but de ce podcast, c'est de tenir informé la communauté des médecins urgentistes francophones des dernières avancées et des dernières actualités dans le domaine de la médecine d'urgence. Pour ce premier épisode, nous allons discuter d'arrêt cardiaque et plus particulièrement des différentes voies d'abord lors de la réanimation cardiopulmonaire. Pour discuter de ce sujet passionnant, nous avons le plaisir aujourd'hui d'inviter le professeur Guillaume Debati, qui est professeur de médecine d'urgence au CHU de Grenoble. Il est aussi président du bord d'arrêt cardiaque de la SFMU. Le professeur Debati est l'un des experts français sur l'arrêt cardiaque et va participer aux futures recommandations européennes de l'ERC, European Resuscitation Council, de 2025. Bonjour professeur Debati et bienvenue.
- Speaker #1
Merci, merci de l'invitation à participer à ce premier podcast. C'est avec beaucoup de plaisir et un grand honneur que je... que je répondrai aux questions sur ces études intéressantes qui sont parues cette année.
- Speaker #0
Et oui, donc en effet, 2024 a été une année importante dans la recherche sur l'arrêt cardiaque, puisqu'il y a eu trois études contrôlées randomisées, menées dans trois pays différents, sur les différentes voies d'abord lors de la réanimation cardiopulmonaire, et qui sont sorties dans trois grands journaux prestigieux de médecine. Et donc vient ma première question. Quel est l'état des connaissances actuelles sur les voies d'abord dans l'arrêt cardiaque ? Et que nous disent les recommandations actuelles ?
- Speaker #1
Les dernières recommandations de 2020 privilégiaient la voie intraveineuse. Elles disaient globalement de faire deux tentatives de pose de voie intraveineuse et puis en cas d'échec de passer à la voie intraosseuse. Mais c'est vrai que la question, il y a de nombreux centres dans le monde des EMS, notamment dans les pays anglo-saxons, qui avaient déjà changé un peu leurs pratiques et qui étaient passés à l'intra-hausseuse en première intention. Donc c'est de là qu'est venue l'idée de ces études qui sont parues, d'essayer de comparer ces deux voies pour voir est-ce qu'il y en a une qui est meilleure que l'autre et est-ce qu'il faut changer nos pratiques.
- Speaker #0
Ok, très bien. Du coup, est-ce que vous pourriez nous présenter ces trois études ?
- Speaker #1
Donc oui, trois grosses études randomisées qui concernaient trois pays différents, donc l'Angleterre, le Danemark et Taïwan. Donc si on regarde ces différentes études, elles ont inclus beaucoup de patients. Si on regarde l'étude anglaise, c'est plus de 6000 patients, l'étude danoise, 1479 patients inclus, et l'étude taïwanaise, 1700 patients inclus. Donc trois grosses études qui ont toutes... essayer de comparer la voie intraosseuse versus la voie intraveineuse en première intention.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai que c'est vraiment très intéressant qu'on ait trois grandes études comme ça qui sortent en même temps. Et donc du coup, est-ce que vous pourriez nous résumer les différents objectifs de ces études ? Est-ce qu'elles sont vraiment comparables entre elles ? Et est-ce qu'on les a pris les mêmes critères de jugement principaux et secondaires ?
- Speaker #1
Elles ont toutes leurs particularités et leurs différences, et justement elles permettent de répondre à différentes questions, et je pense qu'elles pourront apporter pour les prochaines recommandations vraiment une réponse qui me sera plus claire à ce qu'on doit faire en pratique. Donc si on les prend une par une, on peut commencer par l'étude anglaise, donc quasi la totalité du pays, à part l'Écosse, qui n'a pas participé pour des raisons législatives. Donc on voit que c'est vraiment très représentatif de la pratique anglaise. Et pour eux, le critère principal de jugement, c'était la survie à 30 jours. Et c'était une étude randomisée un pour un, c'est-à-dire que les patients étaient randomisés individuellement. Entre eux, je reçois l'intraosseuse en premier ou je reçois l'intraveineuse en premier. Et donc la survie à 30 jours comme critère principal de jugement dans cette étude. La deuxième étude des Danois, là aussi impressionnant, l'ensemble du pays a participé. tous les services, tous les IMS du Danemark ont participé, donc je vous ai dit, près de 1500 patients inclus, et là, ils ont pris comme critère principal de jugement la reprise d'activité circulatoire spontanée, donc l'ARAX, et donc une réponse un petit peu différente, c'est effectivement, est-ce que d'utiliser notamment l'adrénaline, puisque c'est quand même ça qu'on injecte le plus en intra-osseux ou en intra-veineux en première intention, permet d'améliorer cette reprise d'activité circulatoire. Et puis la dernière, l'équitude taïwanaise, qui est un petit peu différente en termes de design. Là, ce n'est pas de la randomisation un pour un, c'est de la randomisation en cluster. Ils ont quatre centres de secours qui ont participé et chacun basculait de façon randomisée. Il faisait 15 jours de l'intra-osseuse, 15 jours de l'intra-veineux. Et de là, 1 700 patients inclus et leur critère principal de jugement, c'était la survie à la sortie de l'hôpital. Donc encore un critère un tout petit peu différent, même si ça se rapproche beaucoup de l'étude anglaise qui avait la survie à 30 jours comme critère principal de jugement.
- Speaker #0
Ok, merci pour toutes ces précisions. Est-ce qu'elles ont des limites, ces études ? Et si oui, lesquelles ?
- Speaker #1
Alors, oui, forcément, elles ont des limites. Alors, la première, l'étude anglaise, la plus grosse limite, c'est qu'ils ont calculé leur effectif pour essayer de montrer une amélioration dans la survie avec la voie intraosseuse. Ils avaient prévu d'inclure 14 000 patients, donc un effectif énorme. Et ils ont dû arrêter avant la fin du fait d'un manque de financement pour poursuivre l'étude. Je pense à un peu de lenteur dans le recrutement et puis plus à cette finance pour continuer. Et donc, ils ont décidé d'arrêter à 6 000 patients, ce qui est quand même une des plus grosses études sur l'arrêt cardiaque qui a lieu. Donc, on peut déjà en tirer quand même des effectifs. Mais c'est toujours important de savoir, quand on n'a pas atteint sa cible, est-ce que les résultats auraient été différents ? L'étude danoise, la limite principale, c'est qu'elle s'intéresse à la RAX. C'est finalement toujours dans l'arrêt cardiaque. Ce qui va nous intéresser le plus, c'est la survie. Mais encore une fois, c'est un critère intermédiaire qui est important. Pour espérer avoir une survie, il faut avoir une reprise d'activité circulatoire. et finalement c'est ce qu'on demande à l'adrénaline comme médicament, donc c'est une limite mais qui se compense un petit peu par l'objectif de l'intervention et puis l'équitude taiwanais qui est publiée dans le BMJ elle a les plus grosses limites, c'est que le cluster temporel c'est forcément moins puissant qu'une randomisation tir au sort un patient sur deux Et puis ils avouent d'eux-mêmes qu'ils se sont un peu trompés des fois dans les clusters, qu'il y a eu des décalages. Et donc ça apporte forcément quelques limites à l'étude, mais avec beaucoup de patients. Et puis l'autre limite sur l'étude taïwanais, c'est qu'ils ne faisaient pas du tout d'intraosseuse avant. Donc c'est contrairement aux Danois et aux Anglais, dans lesquels c'était déjà les pratiques, eux, ils ont implémenté l'intraosseuse pour l'étude, avec des formations spécifiques. Donc chaque fois qu'on implémente quelque chose de nouveau, on a en plus l'apprentissage de la technique par rapport à quelque chose qui est déjà sur le coin. Donc c'est peut-être celle qui s'éloigne le plus de notre pratique à nous, où on utilise l'intra-hausseuse déjà depuis de nombreuses années.
- Speaker #0
Merci pour ces précisions. Donc là, on a vu les différents critères de jugement, les limites, et maintenant, on aimerait savoir quels sont les principaux résultats de ces études. Est-ce que vous pourriez nous synthétiser les résultats étude par étude ?
- Speaker #1
Oui, donc l'étude anglaise qui est finalement la plus grosse, et donc si on s'intéresse à la survie à 30 jours, il ne retrouvait pas de différence significative en termes de survie à 30 jours, avec 4,5% de survie dans le groupe intra-rosseuse et 5,1% dans le groupe intra-veineux. On va voir, ces trois études ont des résultats qui sont assez similaires avec absence de différence significative sur leur critère de jugement principal. Ce qui est intéressant et dans ce qu'on peut analyser d'autres dans ces études, c'est quel était finalement le délai. Puisque c'était ça le rationnel, c'est est-ce qu'on gagne du temps quand on fait de l'intraosseuse ? Est-ce que l'adrénaline arrive plus vite ? Et en fait, on se rend compte, et ça va être le résultat dans les trois études, qu'il n'y a pas de différence de délai à la première injection. Quand on regarde l'étude anglaise, entre l'appel et la première injection, il y avait 24 minutes dans les deux groupes. Aucune différence, donc l'intraosseuse finalement ne va pas plus vite. Et pour l'arrivée des premiers secours, donc leur Advanced Life Support, leur IMS, et la première injection, ils mettaient 15 minutes, et c'était pareil dans les deux groupes. Un des autres éléments importants, c'est la réussite, le succès. Et là, il y a quand même une grosse différence entre les deux. l'intraosseuse, quand on regarde le premier ou le deuxième essai, est-ce que le premier accès vasculaire, on arrive effectivement à mettre une intraosseuse, c'est 94,4% des cas où on arrive à mettre l'intraosseuse. A l'inverse, l'intraveineuse, 64,6% des cas de succès au bout de deux tentatives. Et donc effectivement, dans le protocole, quand il ratait, il repassait à l'autre technique, quand c'était de l'intraveineuse, il switchait de stratégie. Et forcément, ils n'ont plus se switcher avec l'intraveineuse qu'avec l'intraosseuse. Mais au total, malgré cette différence de réussite sur cette voie d'abord, pas de différence sur la survie. Et par contre, un des éléments qui est intéressant dans cette étude anglaise, c'est en critères secondaires, avec toutes les limites de l'analyse de ces critères secondaires, c'est que sur la reprise d'activités circulatoires spontanées, on fait mieux avec l'intraveineux qu'avec l'intraosseux. 36% avec l'intraosseuse et 39% avec l'intraveineuse. Ça fait 14% en analyse ajustée de plus de réussite de Rax avec l'intraveineuse. Donc ça, c'est l'étude anglaise. Si on regarde les Danois, leur critère principal de jugement, c'était la reprise d'activité circulatoire spontanée. Encore une fois, pas de différence. 30% pour l'intraosseuse, 29% pour l'intraveineuse. Et pour la survie, pareil, 12% de survie pour l'intraosseuse et 10% pour l'intraveineuse. Pas de différence significative. Et vraiment de façon intéressante, à même taux de réussite que chez les Anglais, 92%... Premier essai de réussite pour l'intra-rosseuse. Et 66% pour l'intra-VNE, qui monte à 81% avec la deuxième tentative. Ce qui est intéressant chez les Danois, c'est qu'ils ont été plus rapides. Alors, je ne sais pas s'il y avait une compétition entre les Danois et les Anglais. En tout cas, entre l'arrêt cardiaque et la première dose, ils avaient 15 minutes dans les deux groupes. Mais encore une fois, pas plus vite pour l'intra-rosseuse. Et entre l'arrivée sur place et l'injection, 6 minutes. Et donc... Plus vite, quasiment deux fois plus vite que les anglais. Mais malgré ça, pas de différence sur les racks ou sur la survie. Et puis la dernière étude à Taïwan, où là encore, pas de différence sur la survie. 10,16 versus 10,3 pour l'intravéneux. Et peut-être une petite tendance sur les reprises d'activité circulatoire, avec 31% versus 33% pour l'intravéneux. Eux aussi, ils ont mis 16 minutes entre l'arrivée et la première injection, donc quand même un délai assez long pour arriver à injecter ce premier médicament. Et surtout, pas de différence non plus entre l'intraosseuse et l'intraveineuse.
- Speaker #0
Merci. Donc si on doit en retenir une petite synthèse, c'est qu'au final, il n'y a pas beaucoup de différence en termes de survie, alors que quand même... On a un taux de succès à la première pose de la voie intraveineuse qui est aux alentours de 65% versus 95% pour l'intraosseuse et du coup ça reste quand même des résultats qui sont très intéressants. Mais je pense qu'il y en a beaucoup d'entre nous qui se posent la question concernant la voie intraosseuse, quel abord privilégié entre l'abord huméral et tibial ? Est-ce que ces études ont évalué ces deux sous-groupes ? pour la voie intraosseuse ?
- Speaker #1
Alors oui, les Danois ont vraiment essayé de répondre à cette question. Ils ont randomisé les patients du groupe intraosseuse avec un pour un, c'est-à-dire qu'il y avait un sur deux qui avait soit en numéral, soit en tibial. Et donc, en termes de résultats, aucune différence entre les deux. Donc c'est vrai que ça apporte quand même une réponse intéressante par rapport à nos pratiques où il y avait des études observationnelles qui imaginaient que la voie numérale serait peut-être plus intéressante. Dans une étude randomisée, aucune différence sur les RACs, que ce soit en numéral ou en tibial. Et il y a un autre élément intéressant, ils ont quelques patients qui ont pu avoir un scanner avec leur voie intraosseuse, il y a 32 patients, et ils retrouvent que pour l'accès numéral, il y a près de la moitié des patients qui avaient le cathéter qui était tordu, et seulement 71% de patients qui avaient un accès efficace en numéral, comparé à 100% en tibial. Donc c'est un petit sous-groupe, mais ça questionne vraiment sur la pratique de la voie humérale dans cette situation.
- Speaker #0
D'accord, oui, donc c'est vrai que ça donne envie de faire un petit peu plus de tibial que d'humérale, bien qu'il n'y ait pas beaucoup de différence en termes de survie au final. L'autre question, c'est qu'est-ce qu'on doit tirer du coup de ces trois études ? Pour notre pratique clinique, qu'est-ce que vous nous recommandez ? Est-ce qu'on continue à faire de l'IV et puis de l'intraos ? Est-ce qu'on commence par l'intraos ? Qu'est-ce qu'on préconise ?
- Speaker #1
Alors là, je ne vais pas être original, je vais me baser sur ce qu'a travaillé l'ILCOR. Donc l'ILCOR, c'est l'International Liaison Committee on Resuscitation. C'est un groupe scientifique qui fait l'analyse de la science pour que les groupes comme l'ERC ou comme l'AHA produisent les recommandations. Et donc l'ILCOR, après l'intégration de ces résultats dans l'analyse, reste sur un positionnement de « il faut mieux commencer par la voie intraveineuse et si on a deux échecs d'intraveineuse, continuer avec une voie intraosseuse » . Voilà, donc ça est essentiellement sur les résultats, sur le sous-groupe des patients avec reprise d'activité circulatoire, parce qu'on voit bien que sur les critères principaux de jugement, il n'y avait rien qui sortait sur la survie entre les deux. Ce que ça dit aussi, c'est que ça rassure et que si jamais on a soit des difficultés à la voie intraveineuse prévisible, soit des conditions particulières, on peut penser aux accidents, à des pratiques comme le secours en montagne ou autre, et bien là on voit que peut-être que d'aller directement à la trahosseuse, c'est peut-être la stratégie la plus adaptée plutôt que d'avoir des échecs de voie intraveineuse.
- Speaker #0
Très bien, merci professeur Debati pour la synthèse de ces trois études. Maintenant j'aimerais bien qu'on discute un petit peu de l'année 2025, puisque cette nouvelle année est une grande année pour l'arrêt cardiaque. Il va y avoir les nouvelles recommandations de l'ERC. Vous qui êtes dans le groupe qui va rédiger ces recommandations, qu'est-ce que vous pouvez nous dire à l'heure actuelle ? Est-ce qu'il va y avoir beaucoup de nouveautés ? Et quels vont être les grands événements pour pouvoir se tenir informés de ces nouvelles recommandations ?
- Speaker #1
Alors tous les groupes sont déjà dans la rédaction, on est vraiment en train de travailler dessus. Elles seront ouvertes, alors la première étape ça sera l'ouverture aux commentaires publics. Et ça, ça devrait être au mois de juin, c'est-à-dire que les recommandations paraissent dans une version non finalisée et ouvertes aux commentaires. Vous serez invités. connectant sur le site de l'ERC à pouvoir donner vos commentaires sur les recommandations. Ensuite elles seront présentées au congrès de l'European Resuscitation Council qui sera à Rotterdam au mois d'octobre avec une publication simultanée dans Resuscitation et Circulation pour la version américaine et du côté français on travaille et on va présenter des choses donc on va... Sortir un résumé en français des éléments les plus marquants de ces recommandations. Et puis probablement qu'au premier semestre courant mars ou avril, on aura une manifestation en partenariat avec le CFRC et l'European Resuscitation Council pour présenter en français ces recommandations et les changements importants. Et vraiment, je vous invite à venir à cette manifestation française qui va s'organiser début 2026.
- Speaker #0
Très bien. Merci beaucoup professeur Debaty au nom de la Commission Jeune et de la Société Française de Médecine d'Urgence. Je vous remercie pour votre participation à ce premier podcast de la SFMU. Merci à nos auditeurs de nous avoir écoutés pour ce premier épisode. Si vous avez des suggestions, des idées de sujets, n'hésitez pas à les transmettre aux différents membres de la Commission Jeune. A bientôt dans Murmure, le podcast de la Médecine d'Urgence.