- Speaker #0
podcast dans lequel on diffuse cet échange s'intitule Memory Lane Secret de scène et de studio qui documente quelques souvenirs de concerts, de festivals et qui surtout finalement documente la réalité de la vie d'artiste du studio jusqu'à la scène donc l'idée c'est de pouvoir comprendre un peu plus tout ce qui est complicated et qu'on puisse apprendre à mieux te connaître aussi parce que j'ai beaucoup entendu parler de toi j'étais déjà vu aussi sur scène je crois que c'était en 2018 à Jazzavienne pour le Disney Loves Jazz. Il y avait Benon Closot dans le casting, tu étais aussi dedans. Il y avait Hugh Coleman aussi. Tout à fait, tout à fait. Donc un très très beau monde et j'ai pu te voir sur différentes scènes ensuite plus tard et paf, nous voici en 2025 avec ton nouvel album du coup en 8 ans de Deka. Est-ce compliqué ? J'ai dit...
- Speaker #1
J'ai dit... entièrement composé et co-écrit par moi-même et Olly Rockberger. Le processus de l'enregistrement de l'album a été fait en trois jours. Les musiciens qui sont sur l'album, c'est les musiciens qui étaient présents pendant ces trois jours d'enregistrement. Comment est-ce que je fais et comment est-ce que j'ai fait l'enregistrement de cet album-là ? C'est que je suis arrivée en studio. avec Michael King, Marvin Sewell qui est le guitariste de l'album, Dave Jones qui est le batteur de l'album, Michael Olatouja qui est le bassiste de l'album, et Lakeisha Benjamin qui est la saxophoniste, Leo Croker qui est le trompettiste, et Corey Wilcox qui est le tromboniste, et Troy Miller qui est le réalisateur. On est tous en studio.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Donc en fait, comment j'arrive ? J'arrive avec des pianos voix. ou des guitares voix qui ont été entièrement complétées et abouties. C'est des morceaux que les musiciens n'ont jamais entendus. Donc, le truc, c'est que comment est-ce qu'on est arrivé à des différentes sonorités de chacun de ces morceaux qui sont assez distincts, mais joués par les mêmes personnes en trois jours, c'est par des discussions. Donc, à Can Be Happy, déjà en piano voix, le tempo était suggéré. La ligne de basse était suggérée. Les accords, on les a changés en studio même. Avec une suggestion de Troy Miller, les accords de base étaient un peu inspirés de Hit the Road Jack à la base. D'accord. Donc le truc, c'est en laissant les musiciens s'approprier le titre. réinterpréter à leur manière eux ils entendent c'est à dire Daru il joue la rythmique lui il entend Michael Olotunja répond aux accords que Troy Miller qui est multi-instrumentiste comme la plupart des musiciens qui étaient là il répond en réponse donc en fait ce morceau s'est construit comme ça et c'est pas comme si on s'assoit et qu'on définit où le titre va aller. Le titre et chacun des morceaux, comme ils ont été enregistrés dans une très courte période, c'est des propositions et le chemin naturel de la chanson. Donc, ce n'est pas comme si je suis arrivé et que j'ai dicté tout. Il y avait le tempo, il y avait la vibe. Après, c'est... Daru il dit moi j'entends ça, il me propose plusieurs choses, c'est la construction, elle se fait par petites pièces et par propositions et aussi juste par magie. Il n'y a pas d'intention à part de faire de la bonne musique, on ne se met pas de limite de genre ni quoi que ce soit. on se décidait qui allait faire un solo, est-ce qu'on allait faire un solo d'orgue, est-ce qu'on allait faire un solo de trombone et tout, et le réalisateur dit « Ah, ce serait bien un solo de slide guitar » parce qu'on est sœurs, il dit que ça fait une contre-texture par rapport à l'ambiance un peu nu-soul que le morceau a pris. Après, moi j'ai pris ce qu'on a enregistré, et moi je suis allée. On registrait les voix. Donc les musiciens, ils n'ont jamais entendu les chœurs. Donc en fait, ce n'est pas une intention. Je ne fais pas de la musique avec une intention particulière que cette chanson va sonner comme ça. Je fais de la musique avec l'intention de raconter la mélodie et les paroles qui sont la musique de base. Que cette chanson soit jouée en piano voix ou... avec des cuivres ou avec un orchestre symphonique, ce que j'ai déjà fait aussi. Peu importe. L'intention de la chanson, c'est la mélodie de raconter l'histoire de comment je me suis retrouvée à faire du dating intense comme un boulot. Et c'est juste inspiré de ma vie de femme et de personnes qui habitent dans des grandes villes. Et voilà, donc l'intention réelle, c'est juste de faire sourire parce que Merci. Le dating, c'est un peu fou.
- Speaker #0
Clairement, clairement. Ok, je comprends, je comprends. Oui, clair. Ça pourrait peut-être paraître confus au début, l'accumulation de références de la traque. Peut-être que tu pourrais te demander où est-ce que je voulais en venir. Je n'avais pas forcément de... C'était vraiment une bulle d'introduction pour parler de l'écoute, si tu veux, de l'album et essayer de comprendre vraiment... L'histoire que tu racontes du coup à partir de ce que les musiciens t'ont proposé pendant ces séances d'enregistrement. Donc hyper intéressant ce processus-là. Avant d'aller du coup dans ces journées d'enregistrement avec eux, comment s'est faite la sélection des musiciens ? Pourquoi est-ce que tu as voulu travailler par exemple avec Théo Coquer ou le guitariste Marvin Sewell ? Qu'est-ce que selon toi ces personnes-là, plus qu'un autre cuivre ou un autre batteur, pouvaient apporter en termes d'inspiration et en termes de couleur musicale.
- Speaker #1
Alors, le début de pourquoi je suis rentrée aux États-Unis enregistrer cet album part d'une phrase que la grande batteur et compositrice Terry Lynn Carrington m'a dit il y a des années. Elle m'a dit, j'étais en tournée avec elle. et Aloe Black à travers l'Europe elle m'a dit pour ton prochain album il faut que tu rentres à la maison je suis américaine, j'ai grandi en France musicalement j'ai toujours été anglaise quelque part dans le sens que ça fait depuis mon deuxième album que je bosse quasiment qu'avec des musiciens anglais et en fait Terry c'est un de mes mentors et elle Merci. Il m'a dit, il faut que tu rentres à la maison pour le prochain album. Je dis, mais ça va, à Londres, il y a des super musiciens et tout. Il a dit, il faut que tu rentres chez toi. Et j'ai fait, OK, d'accord. Donc, même si Troy Miller, le réalisateur de l'album, et Olly Rockberger, eux, ils sont anglais, j'ai toujours voulu travailler avec Troy Miller. Je ne pensais pas qu'il voudrait travailler avec moi. parce que c'est quand même le réalisateur de Laura Mvula, de Jamie Cullum, de Ross Emily Sandé, et que c'est aussi juste un super musicien. Mais lui aussi, il m'a dit la même chose, il faut que tu rentres à la maison. J'ai dit, mais qu'est-ce que vous avez dit ? Il va rentrer à la maison ? Je me sens très bien à Londres, je me sens très bien en France. Et il dit, non, mais il faut que tu bosses avec ta famille. Donc la première personne que j'ai appelée, c'est Lekeesha Benjamin. c'est une amie, c'est ma soeur musicale, mais c'est surtout une amie. Le studio, il t'élite seulement trois jours. Et quand tu essaies de réunir des artistes, même si c'est la famille, entre guillemets, il faut dealer avec les emplois habitants de tout le monde. Donc, j'étais en train de voir ça presque six, sept mois en avance. Donc, pour mettre toutes les chances de mon côté. Comme je suis la productrice du disque, donc c'est une chose que tu dois faire bien en avant. Donc, LaQuisha, LaQuisha, elle a répondu oui et qu'elle était disponible pour les trois jours où le studio était disponible. La deuxième personne que j'ai appelée, c'est Theo Coker. Theo Coker, je le connais depuis presque 15 ans maintenant. C'est ma mère qui le produisait. J'ai dessiné sur le label de ma mère, D.P. Records. C'est elle qui nous a présenté. Et Theo, c'est littéralement... Mon frère. On s'appelle quasiment tous les deux, trois jours. En fait, on est dans la vie de l'un de l'autre depuis que ma mère nous a présenté. Donc, lui, il était disponible ces trois jours. Il était disponible les quatre jours. Voilà. Parce qu'au départ, j'étais quatre jours. J'essayais d'avoir quatre jours, mais en fait, ça tombait les trois jours. Après, qui est-ce que j'ai appelé ? Après, j'ai appelé Daryl Jones parce qu'on s'est rencontrés à Paris, d'ailleurs. On se connaît depuis 15 ans, 15-20 ans aussi. Et on avait un projet ensemble que j'essayais de produire avec son ancien groupe qui est tombé à l'eau. Et on a toujours voulu bosser, enregistrer ensemble. Et donc, je l'ai appelé. Et lui aussi, dans son emploi du temps de fou, il est disponible les trois jours. Après, qui est-ce qu'on a appelé ? J'ai appelé Michael King, le pianiste de l'album. C'est le pianiste de Theo Coker. Et donc, Theo, comme c'était le directeur musical de ma mère pendant cinq ans, il a tourné avec ma mère, Didi Bridgewater. Donc, je connaissais très bien Michael King. Il est absolument incroyable. Il est pianiste, mais aussi batteur. Et donc, lui aussi, il était disponible pour ces trois jours. Après, qui on a appelé ? Après, pour le bassiste, c'est Troy Miller qui a appelé Michael Olutuja, qui est le bassiste d'Angéli Kidjo, entre autres. Et Michael était disponible pendant ces trois jours. Michael Olutuja, il est anglais, en fait. Et lui et Troy Miller jouaient ensemble il y a 25 ans dans leur première bande avec un saxophoniste qui s'appelle Soweto Kinch. Et c'est Michael Olutuja qui a appelé Marvin Sowell. qui est le guitariste, qui était le guitariste que moi j'ai découvert avec Cassandra Wilson, et qui est maintenant en tournée avec Cecile McLaurin-Salvent. Et c'est un très, très grand guitariste de Chicago. Michael King aussi, il est de Chicago. Et lui, il a débarqué avec huit guitares, sans conduire de fond. Ça, je trouve ça, c'est la clé. Theo Croker, c'est lui qui a appelé... C'est lui qui a appelé Corey Wilcox, le tromboniste et le mec qui joue du sous-sophone. Et c'est le fils d'une légende de la trombone qui s'appelle Wyclef Gordon. Donc, le truc, c'est qu'encore une fois, on m'a dit que je devais rentrer chez moi. Et moi, je ne m'imaginais pas faire ça avec autre personne que des gens qui sont quelque part de ma famille musicale. Je pense que c'est très important. Je pense que c'est ça qui donne le son assez particulier à l'album. C'est que, aussi, je laisse et je désire, si on fait appel à des talons comme ça, je veux que leur personnalité s'exprime. C'est pour ça que le son est tellement hybride et mélangé. Parce qu'on est tous des personnes multifacettes. Et souvent, quand on appelle des musiciens au studio, on leur donne une partition, on leur dit c'est ça qu'il faut jouer comme ça. Et en fait, mes albums ne sonnent jamais les uns comme les autres parce que je demande aux musiciens d'être eux-mêmes. Et je leur demande de me proposer des choses. Je leur demande d'improviser autour du titre. C'est pour ça que je pense au « Another Night » que vous aimez bien, qui est mon premier titre. C'est pour ça qu'il y a un aussi long... La partie instrumentale, d'ailleurs, je pense que la partie instrumentale, on l'a écourtée, il durait, je ne sais pas, les mecs, ils ont jamais pendant au moins 15 minutes,
- Speaker #0
s'ils le montent.
- Speaker #1
Et je me rappelle la discussion avec les rédacteurs, avec Troy Miller, ils me disaient, ouais, on va écourter, on ne va pas mettre cette partie-là. J'ai dit, mais non, c'est hyper important de garder ce moment d'improvisation parce que ça laisse à l'auditeur qui découvre le son de cet album. C'était important que ce soit un album où il y avait un morceau d'Oli Rockberger qui chante dessus, parce que c'est avec lui que j'ai fait l'essence même de l'album. Et je trouvais ça important que l'auditeur entende le son de ces musiciens en train de se chercher, en train de se connecter. Et je trouve ça super beau comme moment. Et parfois, la chanteuse a besoin de se taire.
- Speaker #0
Bien sûr. ça me fait écho à d'autres conversations que je peux avoir avec d'autres musiciens qui ont cet esprit de jazz là et qui vont chercher une collaboration une conversation vraiment où on va blender les différentes voix de chaque musicien pour avoir un récit et je comprends pourquoi c'était un choix si important maintenant pour toi cette complicité c'est ça Il y en a parlé. Certainement, ça rend le discours plus facile à exprimer dans l'histoire que tu veux raconter dans It's Complicated.
- Speaker #1
Oui, c'est aussi drôle. C'est beaucoup plus drôle.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Moi, je fais de la musique, tout d'abord pour moi, pour mon expérience. Pour moi, c'était un kiff d'être là, avoir d'aussi grands musiciens. C'est sûr. De trouver la manière d'interpréter des chansons que j'ai composées. De se les approprier, ces mélodies, de savoir qu'elles étaient, ce qu'eux, ils entendaient, de voir leur traduction de ces émotions. Avant chaque morceau, je leur expliquais les paroles, je leur lisais les paroles, je leur expliquais d'où venait le morceau, pourquoi, le backstory. Et eux, ils prenaient ça et ils allaient interpréter. Donc, de voir ces talents incroyables devenir une extension de l'art que moi-même j'ai créé, c'est beau et c'est drôle.
- Speaker #0
Il faut rire en studio avec Théo.
- Speaker #1
Il faut rire dans la vie. C'est important de rigoler. C'est important de rigoler. C'est important de se vanner. C'est important de ne pas se prendre au sérieux. C'est important de trouver de l'humour quasiment dans toute situation. Si on ne fait pas ça, on peut avoir envie de se jeter par une fenêtre.
- Speaker #0
Pour sûr.
- Speaker #1
La vie peut être lourde à porter et chacun a des différents chemins. Donc, je pense que oui, c'est important qu'on prenne notre pied.
- Speaker #0
Ça apporte plus de légèreté, du coup, surtout quand on veut aborder des sujets justement compliqués ou autres. Et c'est aussi quelque chose qui est assez significatif quand on te voit sur la scène ou quand on peut écouter aussi tes émissions. Ce sourire, cette joie, en tout cas, qui... qui est assez communicative, donc je pense que c'est important aussi de le garder. J'avance sur un prochain sujet qui me paraissait assez important, et forcément c'est quelque chose que tu mets toi-même en avant, à savoir le fait de valoriser ton art musical du physique et non plus du digital. J'aimerais pouvoir revenir un petit peu sur tout ton aspect de productrice et aspect indépendant. Tu prends six mois, sept mois à l'avance pour... préparer un enregistrement de trois jours pour ton album. Tu portes beaucoup de détails en termes de rétro-planning. Et je pense que cette discussion peut intéresser ceux qui nous écoutent et qui sont aussi des aspirants musiciens professionnels. Certains lancent leur label indépendant juste pour pouvoir produire leur musique et la financer. Du coup, qu'est-ce que ça t'apprend ? ces dernières années de gérer en tant que productrice ton propre label et produire ta propre musique et voilà, déjà première question qu'est-ce que ça peut t'apprendre ?
- Speaker #1
Alors je suis ma propre productrice depuis 2008, j'ai été signée en label en tant qu'artiste de 96 jusqu'en 2005 donc je connais très bien le business et j'ai pas eu une mauvaise histoire dans les majeurs J'ai carrément passé un très bon moment en majeur. C'est quand même fou. On te débloque de l'argent pour que tu ailles t'amuser. Il faut que tu les rembourses éventuellement. Mais si tu ne les rembourses pas, ils ne te font pas un procès. C'est carrément le meilleur des mondes. Souvent, on entend des histoires vraiment horribles par rapport à l'industrie du disque. C'est une industrie, c'est un business. Il faut rentrer dedans en sachant quel est le business. Déjà d'une. Moi, j'étais élevée dans une famille d'artistes, donc je sais quel est le business. Autour de moi, je n'ai que des artistes. Ça aurait été très étrange que je ne devienne pas artiste moi-même, en fait. Donc, ça, c'est une très grande chose à retenir, c'est un business. Donc, ne rentre pas dedans sans connaître le business. Il y a plein de choses. En ligne, il y a tout sur YouTube. Il y a des livres incroyables qui ont été écrits. Il faut les lire. Il y a les biographies d'artistes. Il faut les lire. Il y a tellement de personnes qui ont déjà fait ce chemin avant nous qu'il est quasiment impossible de se tromper. Et pourtant, les gens, ils continuent à se tromper parce qu'ils oublient. Que c'est un business.
- Speaker #0
C'est un business, bien sûr.
- Speaker #1
Et le business n'est pas quelque chose de mauvais. Je suis américaine, donc moi, l'argent, faire de l'argent, parler de l'argent, ça ne me fait pas du tout peur. C'est carrément la chose sur laquelle notre société est basée. Bien sûr, bien sûr. On vit dans un monde capitaliste, donc de croire que... que des artistes arrivent seulement par la grâce des étoiles et d'un dieu ou des dieux, c'est de la folie.
- Speaker #0
Bien sûr.
- Speaker #1
Donc ça, c'est une très, très grande chose que je dis dans mes masterclass, que quand je demande aux gens qu'est-ce que tu veux faire, quand on me dit que je veux devenir artiste professionnel ou musicien. aux musiciens professionnels, je leur dis, mais est-ce que tu sais ce que c'est un contrat ? Est-ce que tu sais les différents contrats ? Maintenant, en plus, on a l'IA. Mais les gars, mais... Il n'y a vraiment pas de raison. Donc, même si ça peut se tromper, tu vois, les bases sont là, quoi. Tu peux faire lire ton contrat à l'intelligence artificielle qui va te faire les grandes choses. Tu peux poser des questions. Après, c'est important d'avoir un très bon conseil juridique.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Voilà, ça c'est vrai, une fois que tu vas signer un contrat. Mais avant d'arriver à ce contrat, avant d'arriver à ce contrat, il y a beaucoup de chemin.
- Speaker #0
Lesquels ?
- Speaker #1
Le conseil que je peux donner pour les gens qui vont devenir artistes, producteurs, c'est... De ne pas t'attendre que tu vas gagner ta vie avec ton art.
- Speaker #0
Super, on arrive. Autrement dit,
- Speaker #1
garde ton boulot de jour. Oui, c'est compliqué. Oui, c'est dur. Moi, j'ai toujours un boulot de jour et j'ai toujours un boulot de jour maintenant. Après, le boulot de jour que je me suis trouvé est un boulot très funky et qui est en raccord avec ce que je fais. C'est-à-dire, j'ai trois émissions de radio. Donc, j'ai une émission depuis dix ans. sur TSF Jazz. J'ai une émission depuis sept ans en Angleterre sur Jazz FM. Et j'ai une émission depuis un an à New York sur une radio de communauté qui s'appelle East Village Radio.
- Speaker #0
OK, d'accord.
- Speaker #1
Et East Village Radio, on ne me paye pas. Je le fais. TSF Jazz, ça ne paye pas mon loyer. Je le fais. Même Jazz FM, ça ne paye pas mon loyer. La radio, ça ne paye pas beaucoup, sauf si... Tu peux avoir une quotidienne en direct sur Radio France. Là, ça peut payer ton loyer parce que tu deviens employé de l'État et tu es très bien pris en charge. Ça ne paye pas un grand loyer, mais ça peut payer. La radio, ça ne paye pas grand-chose. Mais pourquoi est-ce que je le garde comme métier ? C'est parce que j'adore ça, c'est une passion. C'est une passion que j'ai d'écouter la musique des autres. Après, j'ai bossé dans les médias, être animatrice télé. C'était un boulot de jour. C'est arrivé par stage, je ne voulais pas être à la télé. Je suis arrivée par hasard grâce à une femme qui est devenue maintenant agent de footballeur très en vue. Elle s'appelle Fama Nyang, c'est une des rares agents femmes footballe en France. Elle est d'origine sénégalaise. On s'est rencontrées en 1995 en Suède.
- Speaker #0
C'est ça quand même.
- Speaker #1
La vie, pour tout le monde, c'est qu'une question des rencontres et des passions. On est là pour rencontrer d'autres personnes. Et ces personnes qu'on peut rencontrer, même s'ils ne font pas partie de ton monde, ils peuvent revenir dans ton monde ou avoir une connexion avec quelqu'un que tu as envie de rencontrer.
- Speaker #0
Tout à fait.
- Speaker #1
J'ai toujours été quelqu'un qui allait vers les gens. C'était agaçant pour mes parents. Ils me perdaient tout le temps parce que je partais. Parler à des gens tout le temps, depuis que je suis petite. Donc, j'ai le contact un peu facile. Mais de nos jours, le conseil après de connaître le business, c'est d'accepter que tu ne peux pas le faire seul. Les gens que tu rencontres, demander de l'aide, laisser de l'espace pour que les gens puissent t'aider. Ça, c'est une des choses les plus importantes. Parce qu'avoir du talent... Ce n'est pas spécial. Je viens d'une tribu de talents. Je suis une Noire américaine. Toute ma lignée familiale a du talent. Toute la ville de la Nouvelle-Orléans a du talent. On a du talent. Point à la ligne, c'est notre tribu.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'on en fait de ce talent ?
- Speaker #1
C'est ça le vrai talent en fait.
- Speaker #0
C'est ça ?
- Speaker #1
Et aussi, c'est le vrai désir. Est-ce que tu as envie de chanter devant des gens ? Si tu as envie de chanter devant des gens, il faut que tu travailles sur ton truc, sur sa présence scénique. C'est une vocation, en fait, d'être artiste. C'est pas un... Il faut savoir si tu as envie d'être célèbre ou si tu as envie de faire de l'art. Parce que les deux, souvent, ne vont pas ensemble. Si tu veux faire de l'art, c'est une vocation et c'est un style de vie. Si tu veux être célèbre, tu peux essayer le cours après les trucs de streaming et tout. Mais il faut savoir que c'est juste 1% ou 2% des artistes qui essayent d'être célèbres qui deviennent.
- Speaker #0
Comment est-ce que tu te situes par rapport à ça ? Pardon de te couper.
- Speaker #1
Moi, je veux juste faire de la musique. Ça me garde envie.
- Speaker #0
Bien sûr, c'est ce que tu dis aussi souvent sur le réseau.
- Speaker #1
C'est la musique qui me garde en vie émotionnellement, c'est ma vocation, c'est mon héritage, c'est la culture dont est issu le jazz, parce que souvent on soustrait la culture noire américaine et la culture américaine de la musique. La culture de laquelle je viens, c'est une de nos magies. C'est ce qu'on sait faire. C'est des choses qu'on sait comprendre. C'est des choses qui sont transmises par de l'ADN et par de l'environnement. Je n'ai pas eu à apprendre le jazz. C'est une culture. C'est une culture. Donc, c'est ça que j'essaie d'expliquer. Je ne suis pas en train de dire que personne ne peut le faire, que seulement les Noirs américains peuvent le faire et tout. Pas du tout. Mais souvent, on ne le considère pas comme une culture. Souvent, on ne considère pas comme on peut considérer d'autres cultures, comme on peut considérer la cuisine française. On ne considère pas le jazz, le soul, le funk et ainsi de suite. Je pense qu'il y a un bouquin extrêmement important, si tu lis l'anglais, où il y a au moins une chronologie très importante à regarder. comprendre la musique nord-américaine, c'est la chronologie du docteur Portia K. Maltzby. Elle est toujours vivante. C'est sûr ça.
- Speaker #0
Chronologie.
- Speaker #1
Alors. Oui, parce que les gens disent « Je veux devenir comme Beyoncé, mais pourquoi est-ce que Beyoncé est devenue Beyoncé ? » C'est notre histoire,
- Speaker #0
mais oui.
- Speaker #1
Oui, c'est « African American Music »
- Speaker #0
Ok, super.
- Speaker #1
« Melanie V. Burnham et Portia K. Maltzby » C'est les livres les plus complètes de la chronologie de la musique noire américaine.
- Speaker #0
Du Negro Spiritual jusqu'au hip-hop.
- Speaker #1
Exactement, parce qu'en fait, les trois... Il y a trois grands courants. Il y a le negro spiritual, il y a la musique il y a la musique instrumentale et la musique à parole.
- Speaker #0
Ok, d'accord.
- Speaker #1
C'est trois grands courants. Et de ces trois trucs, alors je vais essayer de trouver, tu peux le trouver en ligne en plus. Oui,
- Speaker #0
je vais faire une recherche là-dessus.
- Speaker #1
Ils ont fait carrément une version interactive. Elle est incroyable.
- Speaker #0
Ça c'est précieux.
- Speaker #1
Mais... En fait, pendant des années, on me reprochait de faire plusieurs genres en même temps dans mes albums. Même mon premier album en 98, il y avait plein de genres différents. Et je ne comprenais pas pourquoi je n'arrivais pas à faire un album dans un même style. Un seul moment où j'ai fait ça dans ma vie, c'est quand j'ai fait mon hommage à Dinah Washington avec le pianiste Raphaël Lemoynier. On a fait un hommage à Dinah Washington, donc c'est un album. trio jazz des œuvres, des chansons que Dinah Washington chantait. Et après, j'ai refait un album, Straight Ahead Jazz, mais c'était un album de chansons de blues fait par un trio jazz et des blues de 1920 jusqu'à 1978. J'ai couvert 60 ans.
- Speaker #0
Ah, c'était ce que tu disais dans une autre interview, 60 ans de blues. Oui, OK.
- Speaker #1
60 ans de blues dans un seul album. Et parce que... J'étais sur ce chemin et sur ce voyage d'essayer de comprendre moi-même ma culture et d'essayer de trouver une manière d'expliquer d'où tout ça vient et que pour moi, je n'ai pas de différence entre Mary J. Blige et Billie Holiday. Donc, c'est reçu.
- Speaker #0
Exactement pareil. C'est du génie. Il n'y a pas de différence pour moi entre Erykah Badu et Ella Fitzgerald.
- Speaker #1
Pour moi,
- Speaker #0
c'est du génie. Point à la ligne.
- Speaker #1
African American Music, merci pour la référence. Très belle référence.
- Speaker #0
C'est hyper important comme rêve.
- Speaker #1
Est-ce que tu dis, c'est quelque chose que nous dans notre média, pour lequel on milite justement, parler de culture néo-so, parce que la néo-so c'est... le premier style musical qui me parle le plus. Mais forcément, je suis obligé de parler de blues, de gospel, de jazz, de hip-hop.
- Speaker #0
Tu ne peux pas parler de Jill Scott sans parler de Victorious Baby.
- Speaker #1
Bien sûr.
- Speaker #0
Tout est lié, en fait. Et c'est le fait qu'on saucissonne la culture nord-américaine. C'est réduire son importance.
- Speaker #1
C'est très français, ça. Est-ce que c'est le cas aussi à Londres ? Est-ce qu'à Londres, on a aussi cette segmentation-là ?
- Speaker #0
Je pense que c'est juste le monde.
- Speaker #1
Ok, d'accord.
- Speaker #0
Je pense que le monde, par rapport à... C'est juste, malheureusement... Enfin, heureusement que le chemin musical noir américain a été documenté. Malheureusement, il n'a été quasiment que documenté par certaines personnes. Donc, il faut lire des livres, en fait.
- Speaker #1
Se documenter, s'éduquer.
- Speaker #0
Il faut vraiment... Il faut s'éduquer. c'est souvent ce que j'explique quand je joue avec des orchestres symphoniques parce que j'en fais pas mal des orchestres symphoniques avec ma musique j'ai mes propres arrangements que j'ai fait faire et ainsi de suite j'explique aux musiciens classiques je dis oui vous pouvez lire et jouer 4 heures de musique extrêmement compliqué vous êtes des athlètes de haut niveau mais par contre Merci. d'apprendre à comment jouer un groove et pourquoi est-ce que certaines choses dont la musique noire américaine sont difficiles à jouer, c'est parce que, d'une, vous n'avez pas l'habitude et de deux, c'est juste par votre héritage. Et il y a une partie de la musique noire américaine qui ne s'apprend pas. C'est comme quelqu'un qui étudie de la musique classique indienne. Si tu ne vas pas vivre en Inde, il y a des éléments que tu ne vas pas comprendre. Parce que de comprendre la différence entre deux groupes de funk qui viennent de deux villes différentes et que ces deux villes ont des sonorités différentes, mais surtout des accents différents. On ne parle pas anglais de la même manière à la Nouvelle-Orléans qu'on parle anglais à Chicago. Donc ça, ça influence la manière dont tu joues.
- Speaker #1
Déjà ça, oui.
- Speaker #0
Ton entourage, ton environnement, tout. Pourquoi est-ce qu'on a des grandes voix, une génie comme Aretha Franklin, qui vient d'un milieu extrêmement modeste, mais qui a changé le monde et qui a vécu des choses absolument... horrible mais qui est passé au-dessus de ça et qui est une grande pianiste. Pourquoi elle était grande pianiste ? Parce que l'église noire américaine. Et pourquoi l'église noire américaine ? Parce que pour ça, il faut comprendre l'esclavage.
- Speaker #1
J'ai une question d'ailleurs par rapport à cet héritage culturel. On a du coup, c'est notre diaspora et notre communauté noire ici en Europe, ici en France.
- Speaker #0
Les apropiens comme disent.
- Speaker #1
Exactement. Il y a quelque chose qui me frappe. Exactement. Un vrai sujet. Il y a quelque chose qui me frappe, c'est que dans le public jazz, je vois un peu dans le public de représentation de la communauté noire qui pourrait s'approprier aussi cette culture-là. D'après toi, d'où est-ce que ça vient ? Pourquoi est-ce que...
- Speaker #0
L'intellectualisation.
- Speaker #1
Ok.
- Speaker #0
Charlotte,
- Speaker #1
j'en peux plus. Long day.
- Speaker #0
Long word Mais c'est l'intellectualisation De La musique Et de la culture En général qui garde Qui Rends pas intéressant Ni sexy Quelque chose qui peut être intéressant et sexy C'est Et aussi le fait que Le jazz est devenu le jazz. Non, en fait, moi je connais encore aujourd'hui des gars, des musiciens et musiciennes, des personnes, des êtres humains qui sont obligés de choisir entre la musique et la rue. je connais des musiciens qui ont des guns parce que leur réalité c'est ça et souvent c'est pour ça que je dis c'est très important de lire les biographies c'est très important parce qu'on glorifie Coltrane on glorifie Ella Fitzgerald on glorifie Quincy Jones on glorifie comme ma mère elle dit Merci. C'est que les négros. C'est chez nous. Le truc, c'est que tu peux être là musicalement brillant, mais ce que tu fais de ta vie de tous les jours, on ne sait pas d'où vient ton argent. Il y a la grande Betty Lovett, elle a une biographie que je conseille à tout le monde, Betty Lovett, et elle, carrément, elle appelle des gens comme David Ruffin, tu vois, de l'époque de Motown, Detroit et tout ça, elle appelait pas mal de musiciens, ou comme James Brown, des producer pimps. Parce qu'en fait, c'était la réalité. Il y avait, même le premier mari d'Aretha Franklin, c'était un pimp. Il avait des meufs et c'était un mac. Et en fait, Desi Gillespie était obligée de se balader avec un une arme blanche parce qu'en fait, quand tu sortais des clubs de jazz, on savait que tu étais payé en cash. Donc, les mecs, ils venaient te braquer.
- Speaker #1
Oui, oui.
- Speaker #0
Les femmes, elles étaient obligées de se marier tout. Déjà d'une, pour sortir de la maison, tu n'avais pas le droit d'avoir ton propre compte bancaire dans les années 30 et 40, 50. Mais de plus, en fait, pourquoi tu te mettais avec un des musiciens du groupe ? Pour avoir de la protection. Parce que les viols, c'était réel. Parce que... Les braquages étaient réels parce que l'alcoolisme, c'était un besoin pour réussir à traverser ce que c'était de vivre comme un noir américain dans un pays où tu n'étais légalement pas considéré comme un être à part entière. Quand on pense à des chansons comme « A change is gonna come » ou des choses comme ça, il faut se rappeler. Il n'y avait pas encore la législation pour le droit de vote des Noirs. Donc, c'est pour ça qu'il faut... C'est culturel. C'est... Les mêmes... Les gangsters étaient les musiciens. Tu vois ? Pas tous.
- Speaker #1
Je vois complètement. Non, mais c'est... C'est...
- Speaker #0
C'est un peu son... sans loi et la communauté noire américaine qui était obligée de vivre ensemble à cause de la ségrégation le seul point qu'on avait de communion c'était les clubs ou l'église,
- Speaker #1
c'est tout il y a un film qui documente très bien et on terminera sur cette parenthèse là qui documente très bien ce que tu dis et justement sur ce Ce que tu as dit sur l'alcoolisme, par exemple, qui était à la fois obligé, mais aussi un fléau.
- Speaker #0
C'est ça.
- Speaker #1
Je ne sais pas si tu as vu ce film The Blues of My Rainy. C'est vraiment le film qui, pour moi, l'excellence a vraiment bien documenté ça. Et après, a terminé sur comment est-ce que, par exemple, le peuple blanc a pu s'approprier le jazz sans forcément connaître cette même souffrance, cette même connaissance-là.
- Speaker #0
C'est la grande phrase de « They want a rhythm but not a blues » .
- Speaker #1
Ah là, tu vois.
- Speaker #0
C'est cette phrase-là. On ne sait pas qui l'a dit, mais elle est tellement vraie.
- Speaker #1
Ou même « The blues with a rhythm » . Mais oui, c'est « The rhythm with no blues » , comme tu dis. En tout cas, c'était pour conclure cette petite parenthèse-là. Oui, pardon,
- Speaker #0
excuse-moi. Je peux partir. Je suis très passionnée par rapport à… Et la raison pour laquelle je suis aussi passionnée d'une, c'est parce que j'ai un certain âge. Je vais bientôt avoir 50 ans dans quelques années.
- Speaker #1
C'est très jeune.
- Speaker #0
Hein ?
- Speaker #1
C'est très jeune, 50 ans.
- Speaker #0
C'est jeune, mais c'est vieux en même temps. Et je suis très heureuse d'avoir des cheveux blancs. Je suis très heureuse d'arriver jusqu'ici. Il y a beaucoup de gens autour de moi. J'en parlais avec mon compagnon qui va avoir 50 ans. Les hommes de sa famille ne vivent pas plus de 60 ans.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Tu vois, on est encore... Aux États-Unis, on vit encore dans des conditions du bled, presque. Bien sûr, bien sûr. On ne peut pas aller à l'hôpital, ne bouffer les dégueulasses. Mon compagnon, il est de l'Ohio, il est de l'État de... Mon père, il est de l'Ohio.
- Speaker #1
OK.
- Speaker #0
Et sa famille, c'est une famille de... C'est une famille de profs, de... Famille de... Blue collar, comme on appelle ça en Russie. D'ouvriers... C'est des gens de tous les jours.
- Speaker #1
Côte bleue, ouais. Ouvriers, employés...
- Speaker #0
Famille ouvrier, employés... Enfin, voilà, c'est des personnes... adorable, hyper gentille, mais dans sa famille, les hommes ne vivent pas plus de 60 ans. Il y a plein d'hommes qui meurent à partir de 52. Mon père, il est mort à 52 ans. C'est quelque chose qui est présent. Si on regarde tous les gens du hip-hop qui sont décédés dans les cinq dernières années, tu regardes leur âge, tu flippes.
- Speaker #1
D'Angelo qui nous a quittés... D'Angelo qui nous a quittés à... À 51 ? 51, oui.
- Speaker #0
Et ce n'est pas parce qu'on n'a pas l'argent, c'est parce qu'on a un système médical ici qui est tellement cassé et on a de l'oppression héréditaire qui continue. Et c'est fou. Il a fallu que je rentre chez moi pour me rendre compte parce que j'étais élevée avec le privilège de la France. C'est drôle, j'ai été élevée en banlieue. J'étais élevée à Gare de l'Egonès. J'étais élevée avec des enfants qui vivaient au fond d'une cité qui n'existe plus, qui a été rasée, mais qui était une plaque tournante pour la drogue et les armes. J'étais élevée avec des gens, à côté des gens, pas avec eux, parce que j'étais dans le côté pavillonnaire. Mais j'étais à l'école et ces personnes sont mes amies, donc j'ai vu leur vie, j'ai fait l'aïd. D'accord, je vois. J'ai participé au truc, voilà. Enfin bref. C'est horrible ce que je vais dire et il y a beaucoup de gens qui ne le comprennent pas et ils pensent que je suis extrêmement privilégiée de dire ça. Je suis privilégiée parce que j'ai vécu de monde. Mais c'est comme si mon amie camerounaise ne prenait pas en compte ce qui se passe au bled. Elle est privilégiée, même si elle habite au fin fond de la cité. Elle est privilégiée. Habiter en France, c'est d'avoir un privilège.
- Speaker #1
C'est un fait, bien sûr.
- Speaker #0
Le monde.
- Speaker #1
C'est un fait.
- Speaker #0
On ne s'en rend pas compte.
- Speaker #1
On contribue malgré nous à ce pays qui est privilégié, qui a aussi ces systèmes qui ont des leviers de pouvoir supérieurs, etc.
- Speaker #0
Ça, c'est le monde. Il y a des choses... il y a des... Il y a des constructions de sociétés qui sont répétées partout. Et la construction de castes, c'est la construction du capitalisme qui fait ça. La France n'est pas différente de notre pays. Mais par contre, la France, tu peux aller voir un docteur. Et ça, c'est une grande différence. Ici, chez moi, on ne peut pas aller voir un docteur. Ma sœur vient de perdre son boulot, elle n'a plus accès au docteur. Donc, quand je pense à ça, il faut remettre ça dans le... Quand tu entends une Jill Scott, ou quand tu entends Monica, ou quand tu entends Brandy, ou quand tu entends... Quand tu entends Jay-Z, quand tu entends Beyoncé, quand tu entends ces personnes-là, leur famille, pourquoi est-ce que... On a toujours autant de drogue et de violence dans la musique noire américaine. C'est parce qu'on vit toujours dans des conditions qui sont inimaginables en fait. Et on fait l'apologie de cette richesse, cette abondance, comme on en fait en Afrique, dans l'Afrique noire. On glamourise ça. C'est pas la réalité, c'est loin d'être la réalité. Les gens ils ont... pas d'argent ici. C'est fou. Moi, je suis hyper privilégiée. Je le sais. Mais je suis aussi hyper privilégiée parce que quand je veux, je peux prendre un avion, rentrer en France, aller au château.
- Speaker #1
Mais tu en as conscience de ça.
- Speaker #0
Simple.
- Speaker #1
En tout cas, contrairement à toute personne qui est privilégiée, tu en as conscience de ça et tu essaies de l'afficher, de le partager. Je vois tout ce que tu partages sur tes réseaux. Là, on va arriver à la fin de notre interview en la mettant sur ton actualité.
- Speaker #0
Donne-nous une leçon, mais j'essaie de dire oh !
- Speaker #1
Tu n'étais pas du tout perçue comme ça. Je te rassure et je suis complètement aligné à ça.
- Speaker #0
La sécurité sociale,
- Speaker #1
les gars. Non, mais c'est hyper important parce qu'en France, les musiciens en plus savent ce privilège-là qu'on a avec l'intermittence, par exemple. Tu vois, alors qu'en Angleterre, tout le monde est plutôt des freelancers, tu vois. Donc, cette vision entrepreneuriale, bon, on est allé sur plein de sujets. J'aurais vraiment voulu qu'on puisse aller en plus en profondeur du music business. Non, on ne t'excuse pas.
- Speaker #0
Tu m'as posé des questions ouvertes.
- Speaker #1
Très ouvertes, très ouvertes. Et c'est intéressant ce que tu partageais. Je ne voulais pas non plus t'interrompre, tu vois. Mais c'est vraiment très intéressant. Peut-être qu'une prochaine fois, on pourra aller davantage sur la musique business. Comment tu peux rendre ton projet artistique rentable avec différents streams de revenus, tu vois.
- Speaker #0
Mon projet artistique n'est pas rentable.
- Speaker #1
C'est ce que tu disais tout à l'heure. C'est pas possible de le faire.
- Speaker #0
Tu peux le faire sur soi. Faire de la musique, c'est très important. Merci de me ramener là-dessus. Faire de la musique, c'est un investissement sur soi. Mon projet n'est pas quelque chose de rentable. Si tu fais de la musique en pensant que tu vas rentabiliser, tu vas te mettre une pression absolument énorme. Il faut mettre de l'argent de côté. Tu es en train de miser sur toi-même et sur ton avenir et sur ton bien-être mental. Je fais un album. D'ailleurs, je suis en train d'essayer de préparer un poste, un réseau social pour expliquer les vraies dépenses que je fais.
- Speaker #1
Là,
- Speaker #0
je suis en train de faire mes demandes de subventions SACEM. Donc, je suis en plein dans le budget.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Si je regarde l'argent que j'ai dépensé depuis 2019, quand j'ai commencé, quand j'ai enregistré l'album, sur cinq ans, c'est carrément fou. Mais le truc, c'est que je vis et je suis une artiste live. Moi, je gagne ma vie par mes concerts. C'est ça qui me permet de pouvoir faire les choses en physique.
- Speaker #1
Donc, c'est encore possible du coup.
- Speaker #0
C'est ça qui me rend la chose possible. C'est aussi quelque chose qui m'a été un peu forcée parce que tous les labels que j'ai approchés ont refusé mon disque.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Mon disque, il est fini. depuis 2022. Je le sors sur mon maintenant. Pourquoi ? Parce que ça prend du temps de sortir un disque en physique. Ça prend de l'argent. Il a fallu que je mette de l'argent de côté. 1000 vinyles de couleur, qui coûtent un peu plus cher que les vinyles noirs. Je suis à peu près autour de 6 à 7 000 euros. Il faut les avoir, les 6-7 000 euros.
- Speaker #1
C'est une somme.
- Speaker #0
C'est une somme. Les CD, c'est autour... Je n'ai pas les chiffres exacts, mais je vais poster les chiffres. Parce que si ça dépend des compagnies, ça dépend de ce que tu peux avoir comme deal. C'est un business.
- Speaker #1
La distribution, oui.
- Speaker #0
Trouver la distribution physique, tout le monde m'a refusé. Il n'y a que Sega, The Season of Mist. qui sont à la base des mecs du métal, ils ont accepté de distribuer physiquement mon album dans les grands magasins, d'avoir la distrib Fenac. C'est grâce à eux. Mais personne ne voulait faire une distrib sèche si je ne mettais pas l'album en streaming. Même eux, ils étaient là. T'es sûr ? Je dis, les gars, il va falloir que vous me suivez là-dessus parce que moi, c'est pas... juste sort mon album et c'est juste la sortie qui est importante. Moi, c'est un travail de vie. Donc, mon album, je le bosse sur un an, deux ans. Mon album, il se vend à mes concerts, il se vend en ligne, il se vend au FNAC. Et c'est pas quelque chose dont je vais m'arrêter de parler. C'est mon projet. C'est ma vie, mon disque. Cet album-là, ce projet-là.
- Speaker #1
Pour le dire. Donc,
- Speaker #0
c'est pas comme si je dis souvent aux artistes qui se produisent eux-mêmes, je dis, vous êtes fous. vous lancez un signal, vous en parlez pendant un mois, et après, vous passez à autre chose. Mais comment je vais agacer les gens qui me suivent avec mon disque ?
- Speaker #1
Bien sûr.
- Speaker #0
Ma famille, si je ne vois pas tout le nom des personnes de ma famille dans mon listing des gens qui ont acheté mon album, mais comment je vais vous harceler ? Tu n'as pas encore acheté mon disque ? Mais comment ça ? C'est un peu... C'est how come ? Je demande rarement quoi que ce soit. Tu vois ? C'est... Et je dis aux gens qui viennent me voir au concert, et c'est pour eux. Au bout d'un moment, je me suis dit, mais en fait, c'est pour eux, je fais ce disque. C'est pour ces gens qui viennent au concert. Je ne leur force pas à acheter. Parce que déjà, c'est assez de boulot d'acheter un billet pour un concert, de s'habiller, peut-être aller dîner. Ça fait une soirée un peu chère, tu vois. Et en plus, il faut que tu achètes un album. C'est pour ça aussi que je vends mes albums au même prix partout.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Mon album, peut-être qu'il est un tout petit peu plus cher à la FNAC. Je pense qu'il est à 23 euros si tu vas l'acheter en magasin. Mais si tu vas l'acheter en magasin, en vrai, c'est moins cher parce que tu n'as pas besoin de payer le transport. Donc, en fait, ce disque, je ne vais pas le rentabiliser. Il faudrait que je vende le point mort pour rembourser l'album, le coût total. de tout ce que j'ai dépensé, je pense que c'est 4000 ventes.
- Speaker #1
D'accord, ok.
- Speaker #0
Je suis à presque 300.
- Speaker #1
300, ça m'est très éduquant.
- Speaker #0
Et ça, c'est sans faire de pub, sans avoir de...
- Speaker #1
Ok, déjà sans pub, c'est...
- Speaker #0
Je n'ai même pas fait de pub en ligne, je n'ai rien fait. Là, c'est juste les audios et les amis.
- Speaker #1
Est-ce qu'il est disponible sur des plateformes en ligne comme Even, par exemple, ou Bandcamp, où la personne peut l'acheter ?
- Speaker #0
L'album.
- Speaker #1
Bandcamp, ok.
- Speaker #0
Il est sur Bandcamp et sur mon site et sur le site de la FNAC et en magasin FNAC. Mais je ne m'attends pas à rembourser. J'espère pouvoir rembourser les prix de fabrication.
- Speaker #1
D'accord. Ok. Coup de revient, quoi.
- Speaker #0
C'est tout. Mais rembourser tout ce que j'ai dépensé ? Mais non, c'est un investissement de vie.
- Speaker #1
Ok. Qui t'amène justement pour… tes émissions en radio qui t'amènent pour plus de scènes, festivals, plus de collaborations, studio featuring, plus de droits, la synchronisation et la joie.
- Speaker #0
La joie et la fierté de finir un projet, c'est dur de terminer. C'est dur. Avoir une idée, c'est facile.
- Speaker #1
Bien sûr.
- Speaker #0
Vous faites un podcast. Entre le temps que vous avez parlé de faire le podcast, de le mettre en route, de le faire régulièrement.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Mais c'est une célébration. C'est clair. Pour moi, c'est une célébration. Donc, c'est ça que j'essaie d'expliquer aux gens qui se lancent dans la musique. C'est déjà d'une, il faut mettre de l'argent de côté. Déjà d'autre, il ne faut pas s'attendre à devenir célèbre. La viralité, ce n'est pas quelque chose que tu peux calculer. Tu peux travailler vert sur les réseaux sociaux.
- Speaker #1
Mais qui sait ?
- Speaker #0
Mais qui sait ? Et les playlists et les plateformes de streaming.
- Speaker #1
Ça tue la valeur de la musique.
- Speaker #0
Non, ce n'est pas que ça tue la valeur de la musique. C'est chouette parce que tu peux découvrir. Moi, j'utilise les plateformes streaming. Je ne suis pas contre les plateformes streaming. C'est juste si tu veux briser le mur du son de ces centaines de milliers de chansons qui sortent tous les jours, il faut que tu payes.
- Speaker #1
C'est une raclette. C'est en ça que je parle de valeur.
- Speaker #0
Placé en plus en haut, les gens, ils payent les streams. Tu peux avoir un million de streams. tu peux les acheter. Si ce n'était pas adaptable, je dirais que c'est super carrément. Mais, comme tout qui est créé par l'être humain et le monde capitaliste, tu peux acheter. Moi, j'ai des amis qui travaillent en majeur. Ils me disent les milliers d'euros qu'ils mettent sur une chanson pour que la chanson ait des millions de vues pour démarrer un artiste.
- Speaker #1
Bien sûr.
- Speaker #0
Après, il y a des chansons qui sont playlistées parce qu'il y a des êtres humains derrière les playlists. Il y a des chansons qui sont playlistées et ça les booste et c'est très organique. Mais c'est rare en réalité.
- Speaker #1
Mais je comprends. Je parlais de valeur par rapport au fait qu'il y ait un nombre incommensurable de morceaux. Et peut-être qu'on peut regagner, on peut valoriser le produit par sa rareté et par le fait que ça peut être une stratégie en tout cas de rendre la chose avec plus de valeur.
- Speaker #0
Oui, ça peut être vu comme ça. En tous les cas, moi, je ne l'ai pas fait de ce point de vue-là. Moi, je l'ai fait parce que c'était suite à l'événement d'autant de refus. et que l'album était terminé depuis longtemps, que je me suis dit, bon, je crois qu'il va falloir que je le sorte toute seule.
- Speaker #1
Make your own way, OK.
- Speaker #0
C'est le cinquième projet que je produis toute seule.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
C'est le premier que je fais seulement en distribuant dans un seul territoire.
- Speaker #1
OK.
- Speaker #0
Et c'est le seul que je sors et que je vends toute seule. Et c'est une toute autre expérience. Et peut-être ça a revalorisé, je pense qu'encore une fois, au départ, je fais de la musique pour moi-même. Donc, en fait, ça revient à ce boucle de quand je reçois ces messages, quand je reçois ces demandes d'interviews de gens que je ne connaissais pas, qui sont passionnés par la musique comme moi. Quand ça me connecte à des êtres humains. Quand j'envoie chaque album, après que je vais raccrocher, je vais aller à la poste, envoyer des vinyles et des CD. Quand je fais ça, quand j'écris les noms des gens avec ma mauvaise écriture, c'est horrible, c'est illisible, il faut que je me concentre. Je suis en train d'envoyer beaucoup plus qu'un album. Dans l'album, il y a l'artwork. Il y a la courbe de l'album qui a été faite par un artiste, un artiste peintre et sculpteur. Il y a le graphisme qui a été fait par un artiste graphiste. Il y a les liner notes qui ont été écrites par une amie à moi qui est celle qui m'a guidée et qui m'a suggéré de reprendre entièrement en main ma vision artistique et me poser la question. Elle m'a posé la question difficile de pourquoi tu fais ça. Je fais ça parce que la musique et l'art, c'est magique. Moi, ça m'a sauvé ma vie. Je sais que je ne suis pas spéciale. Je sais que même si le combinaison d'ADN fait que je suis un être unique, on est tous des êtres uniques, mais en réalité, je ne suis pas spéciale. Donc, s'il y a des chansons qui me donnent la chair de poule, qui me font pleurer, s'il y a des paroles que j'ai envie de lire, J'ai envie de tenir des objets moi-même. Il y a quelqu'un d'autre qui veut être comme ça. Et donc, j'ai fait attention à tout le processus. Donc, quand j'envoie cet album, j'envoie l'amour de ce travail qui a été fait par les musiciens pendant ces trois jours. Les heures que... Je ne peux même pas imaginer le nombre d'heures que Troy Miller a passées sur le disque entre ses différents projets parce qu'il n'a pas pris sa paye normale, Troy Miller, pour bosser avec moi. J'envoie de l'amour. J'envoie de l'espoir, j'envoie de la résilience, j'envoie de la croyance dans le cercle magique et énergétique de nous.
- Speaker #1
Je comprends.
- Speaker #0
Donc, pour être son artiste producteur, si tu ne crois pas dans tout ça, tu vas te faire chier. Et tu vas abandonner.
- Speaker #1
Fax. Merci beaucoup. Merci beaucoup, Tchana. C'est très riche.
- Speaker #0
Merci de votre écoute.
- Speaker #1
Avec plaisir. C'est un super témoignage pour conclure tout ça, pour connecter une prochaine fois avec toi, cette fois-ci en physique, sur la scène. Écoute, en tout cas, on est basé à Lyon.