- Speaker #0
Finalement, régulièrement, en regardant les infos, on est confronté à des résultats qui sont issus de modélisations mathématiques. Je trouve que le Covid, ça parle bien parce que peut-être que là, on mangeait matin, midi et soir. Mais voilà, on nous disait, prévision du nombre de personnes hospitalisées, comment va évoluer la crise Covid, etc. Je pense que c'est important pour le citoyen de se rendre compte que déjà, ce qu'on nous dit, ce n'est pas directement la réalité, mais c'est une modélisation qui nous a donné ce résultat-là. D'avoir conscience que finalement, plusieurs modèles peuvent traiter du même problème et donc du coup, pas forcément nous donner le même résultat. Et ça ne veut pas dire que ça, c'est complètement faux, ça, c'est vrai. Non, finalement, aucun des données est vrai. Après, il y en a peut-être un qui va nous donner plus de réponses proches de la réalité et qui va peut-être plus nous aider. Mais en tout cas, je pense que c'est vraiment important pour les citoyens de demain, en fait, d'être capable de distinguer modèle, de réalité.
- Speaker #1
Bonjour à tous et à toutes, très chers auditeurs et auditrices, et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast Tête à Tête Chercheuse. Je commence comme toujours par vous présenter l'équipe qui sera à mes côtés aujourd'hui. Donc aujourd'hui, on a le plaisir d'être en compagnie de Nina Aguillon, maîtresse de conférences, et d'Aïman Moussa, qui est... également maître de conférence. Et nous sommes tous les trois chercheurs et chercheuses à Sorbonne Université, au laboratoire Jacques-Louis Lyons, qui est partenaire de production de cette nouvelle saison, aux côtés de l'Institut Universitaire de France. Bonjour Nina et Ayman.
- Speaker #2
Bonjour Nathalie.
- Speaker #3
Bonjour Nathalie.
- Speaker #2
Super content d'être là, comme d'habitude.
- Speaker #1
Super, nous aussi, on est ravis que vous nous accompagnez aujourd'hui. Alors, auditeurs et auditrices, je vous renvoie au premier épisode de la saison et vous pourrez aller en savoir plus sur eux. Mais aujourd'hui... C'est sur notre invité qu'on va se focaliser et donc nous avons le plaisir d'accueillir Charlotte Derouet. Bonjour Charlotte, bienvenue dans cet épisode et merci d'avoir accepté notre invitation.
- Speaker #0
Bonjour à toute l'équipe, je suis vraiment ravie d'être parmi vous aujourd'hui et je vous remercie pour votre invitation.
- Speaker #1
Charlotte, tu es maîtresse de conférence en didactique des mathématiques à l'université de Strasbourg, dans le laboratoire interuniversitaire de sciences de l'éducation et la communication. Comme je disais, on est ravis de te recevoir, d'autant plus parce que ça va être l'occasion de se familiariser avec ce que c'est que la didactique des mathématiques. J'avoue que pour le coup, moi-même, je ne suis pas sûre de savoir complètement le définir, de savoir les contours de la discipline, etc. Ça va être l'occasion de clarifier tout ça au cours de l'émission. Mais avant, on va commencer déjà par un premier point. Dans le CV que tu m'as envoyé pour que je prépare l'émission, J'ai vu que tu étais également connectée à l'INSPE de l'Académie de Strasbourg. Apparemment, tu y fais tes enseignements. Est-ce que tu peux expliquer aux auditeurs et aux auditrices qu'est-ce que c'est que des INSPE ?
- Speaker #0
Les INSPE, ce sont les Instituts Nationaux Supérieurs du Professora et de l'Éducation. C'est l'endroit où on forme les futurs enseignants, les professeurs des écoles et les enseignants du second degré pour le collège et le lycée. Avant, ça s'appelait les SP. Avant, ça s'appelait les IUFM. On aime bien changer de nom. Et donc, effectivement, j'enseigne auprès de ce public dans l'Académie de Strasbourg, donc à l'INSPE de Strasbourg.
- Speaker #1
Les gens à qui tu enseignes, ils sont déjà en poste ou ils vont être en poste ? Non. C'est à quel moment de leur carrière ?
- Speaker #0
C'est avant, pendant leur formation initiale.
- Speaker #1
Ok, d'accord. Bon, très bien. Tu vas nous en dire un petit peu plus, j'imagine, quand on attaquera ton métier. On va... commencer par d'abord revenir un petit peu dans le temps et évoquer avec toi ton parcours. Et donc, savoir comment tu es arrivée là où tu es aujourd'hui, d'autant plus que tu as fait des chemins un peu... Voilà, tu es allée à un moment dans le monde professionnel, tu es repartie dans les études. Est-ce que tu peux nous raconter tout ça ?
- Speaker #0
Oui. Alors, peut-être pour commencer au tout début, au collège et au lycée, j'ai toujours adoré les maths. Vraiment, ça me plaisait comme discipline, mais je crois que ce que j'aimais le plus... plus, c'était aider mes copains qui avaient des difficultés en maths et notamment essayer de comprendre ce qu'ils ne comprenaient pas pour essayer de les aider. Donc ça, je pense que finalement, ça explique peut-être pourquoi je suis là aujourd'hui, pourquoi je suis chercheuse en didactique des maths. Et donc après, au lycée, j'ai fait un bac S, donc scientifique, maths, physique, SVT. Et puis, je voulais être prof de maths. C'était clair. Et donc mon prof de terminale m'a soutenue, il m'a dit il faut que tu fasses une prépa, puis comme ça après tu pourras passer la grecque, etc. Donc voilà, j'ai fait ma prépa, mais tout en sachant que je ne voulais pas passer les concours d'ingénieur, d'école d'ingénieur, et que je voulais aller après en licence, en troisième année de licence de maths. Et donc c'est ce que j'ai fait. Deux ans de CPGE, MPSI-MP, et après je suis allée en L3 à l'université de Rennes 1. Faire une licence de maths. Puis après, j'ai fait le M1 de maths fonda. Arène aussi. Et puis ensuite, la prépa à Greg. Et peut-être un point qui est important, c'est qu'en L3, j'ai fait une UE qui était optionnelle, qui s'appelait didactique des maths. Et là, j'avais notamment un prof qui s'appelait Jean Julot, et qui est en fait psychologue, mais qui s'intéressait aux questions d'enseignement, et notamment en résolution de problèmes. Et je me rappelle, il nous avait décortiqué plein de problèmes mathématiques, et on devait essayer de se poser un peu la question de quels sont les processus cognitifs qui sont en jeu pour essayer de résoudre ces problèmes-là. Je me rappelle vraiment de ça, et puis aussi ça m'avait permis d'aller observer dans des classes. Et puis, j'avais pu déjà regarder plein de copies d'élèves, essayer d'analyser les erreurs qu'ils faisaient, essayer de les catégoriser un petit peu avec les outils que j'avais à l'époque. C'était assez intuitif, on va dire. Ce n'était pas avec un cadre théorique, etc. Mais voilà. Donc voilà. Et pour revenir à ça, parce qu'en fait, quand j'ai l'année de prépa à grec, je m'étais dit, parce que c'était une année quand même très difficile, je m'étais dit, bon, si j'ai la grecque du premier coup, Ce qui n'était pas forcément gagné. Je m'étais dit, allez, après, j'aimerais bien me faire un master pour moi. Parce que là, les maths, c'est bon. Je crois que j'étais arrivée au niveau sup. Et j'avais envie, donc je me suis dit, si j'ai la grecque du premier coup, je vais essayer de faire un master en didactique des maths. Et du coup, c'est ce qui s'est passé.
- Speaker #1
C'est-à-dire que tu avais envie de prolonger le plaisir ? Parce que le principe de la grecque, normalement...
- Speaker #0
c'est de l'apprendre et d'aller enseigner mais toi tu t'étais dit je mérite une année de récompense un peu finalement il y avait ce côté j'ai tout donné cette année si je pouvais avoir une année un peu plus light parce que d'être stagiaire prof stagiaire c'est pas forcément une année light et puis il y avait aussi ce côté que j'avais envie de prendre le temps un peu de décortiquer un peu en fait moi ce qui m'intéresse c'est de décortiquer un peu les les notions mathématiques, essayer de comprendre ce qu'il y a derrière, etc. Et du coup, je me suis dit, c'est sûrement dans le master que je vais avoir quelques réponses à ça. Et effectivement, c'était le cas. Donc, c'était un master de recherche en didactique des mathématiques. Donc, il y a tout un aspect autour des cadres théoriques de la didactique.
- Speaker #1
Allons-y, puisqu'on a prononcé le mot plusieurs fois. Allons-y. À ce moment, qu'est-ce que c'est que la didactique des mathématiques ?
- Speaker #0
OK, qu'est-ce que c'est la didactique des maths ? En fait, la didactique, c'est une science qui s'intéresse au processus d'enseignement et d'apprentissage des mathématiques. C'est pour ça qu'on dit didactique des mathématiques, c'est pas didactique tout court. C'est une science qui est à l'intersection avec les maths et avec les sciences humaines et sociales, et puis on va dire principalement les sciences de l'éducation. On va essayer de comprendre ce qui se joue, alors souvent dans des classes, mais ça peut être dans un contexte autre, mais là on va dire... principalement dans les classes, et on va essayer de voir les liens qu'il y a entre les élèves, l'enseignant et le savoir. Donc il y a vraiment une importance, une entrée par le savoir. Et on considère que ce qui va se passer dans la classe de mathématiques, ce n'est pas pareil que ce qui va se passer dans la classe d'histoire. Et même au sein des mathématiques, ce qui va se jouer quand on est en train d'enseigner l'algèbre, ce ne sont pas les mêmes problématiques que quand on est en train d'enseigner la géométrie ou encore les probas, etc.
- Speaker #2
Et donc, tu as des postes aussi de didactique en allemand, en physique, un peu dans toutes les matières ?
- Speaker #0
Oui, il y a des didacticiens de toutes les disciplines. Alors, c'est vrai qu'en maths, on est peut-être la discipline la plus représentée, parce que historiquement, c'est aussi en maths que ça a émergé, que ça s'est développé en France. En fait, c'est une discipline relativement jeune. Ça fait une cinquantaine d'années seulement que ça s'est développé. Et effectivement, c'est né en mathématiques.
- Speaker #1
Ok, d'accord. Donc du coup, on essaye de comprendre les ressorts, en fait, de ce qui se passe quand quelqu'un apprend. ou veut apprendre ou est dans la position en train d'apprendre.
- Speaker #0
Oui, alors c'est vrai que là, je n'ai pas tout dit. C'est que finalement, il y a plusieurs aspects. Déjà, il y a vraiment une part importante du savoir. Donc, on va essayer d'aller décortiquer le savoir, comprendre ce qui se joue, quel est le savoir savant qui est derrière le savoir qui est enseigné et quelle transposition on fait, parce que ce n'est pas exactement pareil, le savoir qui est académique, etc. et puis celui qui va se retrouver dans la classe. Donc déjà, un peu comprendre. Cette transposition qui est à faire, qui est faite dans les programmes, etc. Et puis après, on va essayer aussi, par exemple, on peut aussi regarder historiquement comment est née cette notion. Parce que finalement, des fois, en regardant l'histoire, on peut apprendre des choses sur la classe. Parce que les difficultés qui ont pu arriver dans l'histoire, elles se retrouveront certainement dans la classe aussi. Donc, essayer un peu de comprendre ça. En fait, on va déjà essayer d'avoir un point de vue sur la notion mathématique assez... Et puis après, on va se questionner soit du point de vue de l'élève, essayer de comprendre ses difficultés d'apprentissage, etc., ce qui est en jeu, soit un point de vue plutôt sur l'enseignant, donc en lien avec l'enseignement. On peut même aussi avoir des recherches qui sont plus sur le côté encore formation des enseignants de mathématiques. Donc là, il y a plusieurs entrées.
- Speaker #1
Ok, on comprend mieux du coup. J'ai l'impression pourquoi c'est vraiment, comme tu disais, à l'intersection entre les maths et d'autres sciences. Parce qu'il y a quand même besoin d'avoir un solide bagage mathématique. pour être capable d'analyser la notion ?
- Speaker #0
Exactement. En fait, pour faire un master de didactique des maths, il faut déjà avoir une licence de maths, souvent un M1 de maths. En tout cas, moi, dans ce que j'ai fait, on me demandait d'avoir un M1 de maths parce que, exactement, si on ne connaît pas, si on ne peut pas s'appuyer sur un bagage solide mathématique, on ne peut pas aller trifouiller tout ce qu'il y a derrière, même pour des connaissances du primaire, en fait, si on s'intéresse. aux grandeurs et mesures, en fait, il y a plein de choses derrière. On peut voir ça comme des classes d'équivalence, etc. Donc, on a besoin d'un bagage, d'un recul mathématique beaucoup plus important que de rester...
- Speaker #1
Ça va dans le sens aussi, sans aller jusqu'à la didactique, il y a toujours quelque chose qu'on dit, c'est que quand on enseigne, on a toujours besoin de savoir plus que ce qu'on enseigne, en fait. C'est un peu la même chose, parce que ça t'apporte un certain recul, finalement, sur la notion que tu vas enseigner.
- Speaker #0
Oui, effectivement, il y a toujours besoin d'avoir un... Oui, un recul, j'allais dire un pas d'avance, mais c'est même pas ça. Mais oui, essayer de comprendre finalement aussi où est-ce qu'on veut emmener les élèves, même si ce n'est pas nous, enseignants, cette année-là, qui allons emmener les élèves là. Il faut quand même essayer de penser une continuité. Oui, tout à fait. Et donc...
- Speaker #1
Ok. Et alors, si on revient à ton parcours, tu as eu une initiation à la didactique pendant ton
- Speaker #0
L3.
- Speaker #1
Alors déjà C'était assez proche finalement de ce que tu sais de la didactique ? Non,
- Speaker #0
en fait, je pense que ça m'a fait un peu prendre goût à décortiquer, un peu de prendre le temps de réfléchir à l'enseignement. Mais finalement, avec le recul, c'était un peu loin de ce que je fais maintenant. Parce qu'en didactique, chacun est dans un cadre théorique. On s'appuie sur une façon, on va dire... certaines positions vis-à-vis de l'enseignement, etc. Et là, on n'en était pas là en L3. Mais ça m'a quand même donné ce goût-là. Et je pense que ça m'a permis de découvrir. Et après, d'avoir fait ce que j'ai fait.
- Speaker #1
Ça a semé les graines, en tout cas.
- Speaker #0
Oui, exactement.
- Speaker #3
Est-ce que c'est à ce moment-là que tu as découvert ce que c'était que la didactique et que tu as identifié du coup un possible métier là-dessus ? Ou tu ne voyais plus ça comme une formation qui te serait utile en tant que future enseignante ?
- Speaker #0
Je voulais clairement encore être enseignante. Et même quand j'ai fait le M2, vraiment, je voulais enseigner. C'était juste que j'avais envie de prendre le temps. Parce qu'en fait, quand on est enseignant, on n'a pas le temps. Enfin, on a cours demain, on a trois cours à préparer en parallèle. Même si on s'y prend à l'avance, etc. On n'a pas ce temps d'aller chercher plus loin, de voir les possibles, d'essayer d'analyser. Bon, après... Et du coup, je crois que j'avais besoin de ça, de réfléchir à tout ça. Et après, donc, après le Master 2, j'ai pas tout de suite fait ma thèse. J'ai été... Bon, je voulais, je voulais, puis j'ai pas eu l'occasion, il n'y avait pas de bourse de thèse cette année-là, etc. Donc, de toute façon, je veux être prof, j'y vais. Et puis, du coup, j'ai enseigné, et ça m'a vraiment servi. Enfin, je pense que j'avais un recul que peut-être... tous les enseignants n'ont pas en débutant, ce qui est tout à fait normal. On est peut-être dans le guidon.
- Speaker #1
Ok. Et donc alors, tu es allée enseigner en lycée, c'est ça ? Oui. Pendant deux ans ? Et alors, tu as eu à nouveau une opportunité ?
- Speaker #0
En fait, je suis allée enseigner. Ma première année, j'étais au Mans et puis après, j'ai été mutée comme tout bon jeune prof dans l'académie de Créteil. Et donc, là, comme j'ai fait mon master à Paris 7, Et du coup, finalement, j'ai repris contact avec les chercheurs de Paris 7. J'ai reparlé du fait que ça m'intéresserait de faire une thèse. Et puis, cette année-là, j'ai eu l'opportunité, j'ai obtenu une bourse de thèse. Du coup, il a fallu faire un choix, pour le coup, notamment financier. Parce que, voilà, du coup, je me suis mise en détachement de l'éducation nationale. Mais voilà, en fait, j'avais envie. Je me suis dit, c'est le moment. J'étais encore jeune, j'avais le temps devant moi. Je me suis dit, c'est maintenant ou jamais. Après, il faut savoir que beaucoup de doctorants en didactique des mathématiques sont enseignants en même temps, ou formateurs. En tout cas, il y a beaucoup d'enseignants qui font le master de didactique plus tard, une fois qu'ils ont 10, 15, 20 ans d'expérience, et qui, justement, ils se posent des questions, ils ont envie de creuser un peu des choses, et souvent ils vont faire le master plutôt... plutôt dans un second temps. Et du coup, ils font leur thèse en parallèle de leur vie professionnelle. Alors que moi, là, j'étais trop... Bon, voilà, j'étais jeune enseignante. Je n'avais pas spécialement envie de me refaire des années comme en prépa à Greg. Et donc, voilà, là, je me suis dit, non, je prends cette opportunité de faire ma thèse comme ça.
- Speaker #1
Et alors, tu travailles sur quoi, dans ta thèse ? C'est quoi les enjeux de ta thèse ?
- Speaker #0
Ouais, alors, donc, ma thèse, elle s'appelait... Mouah ! La fonction de densité au carrefour entre probabilité et analyse en terminale S. Et étude de la conception et de la mise en œuvre de tâches d'introduction articulant loi à densité et calcul intégral. Normalement, ça doit un peu quand même vous parler. Finalement, ça ne fait pas trop trop peur. En gros, l'idée, c'était en proba continue avec loi à densité. Enfin, on se retrouve à une proba égale à une intégrale. et finalement Bon, ok, on le fait, c'est comme ça. Alors, soit on a fait la théorie de la mesure, etc. Ok, mais sauf que là, on est au lycée. Et la question, c'est comment arrive ce lien, finalement, entre les deux ? Et puis après, je me suis demandé, est-ce qu'on peut faire en sorte que ce soit les élèves qui construisent ce lien entre les deux ?
- Speaker #1
Les amener à le faire...
- Speaker #0
Exactement. Wow ! En classe. En fait, pour pas que ce soit... On parachute ça, on donne, bon, c'est comme ça. Une fonction de densité, c'est ça. Et puis, voilà, vous calculez des intégrales. Alors, les élèves, ils y arrivent très bien. Mais là, du coup, on ne sait pas pourquoi. Alors, rien que moi, ça m'intéressait, en fait, d'essayer de comprendre d'où ça venait, en fait. Et puis, après, je trouve que c'est important que les élèves arrivent à construire et donnent du sens, en fait, aux notions. Et donc, voilà, c'est ce qui s'est passé. Donc, dans un premier temps, dans ma thèse, il y a eu toute une partie de recherche historique. Alors je suis pas historienne, donc j'ai... pas les méthodes. D'historien, mon but c'est d'essayer de prendre des petits bouts de choses qui pourraient m'aider à comprendre comment ça a émergé historiquement. Est-ce qu'il y a des pistes qui pourraient aider à l'enseignement en fait ? Après, il y avait toute une partie d'analyse de l'existant en fait. Qu'est-ce qu'il y a dans les manuels qui est proposé ? Parce que finalement, le manuel c'est quand même une ressource utilisée beaucoup par les enseignants en tout cas comme appui. J'ai analysé ce qu'il y avait dans les manuels et clairement dans les manuels, il y a toujours des activités d'introduction. Mais en fait, on fait faire un truc joli aux élèves, et puis à la fin, on dit, bon, ben voilà. Donc là, on va appeler ça la fonction de densité, l'intégrale, voilà, ça fait 1, et puis voilà. Donc finalement, ce n'était pas vraiment des activités d'introduction, mais tout ça, ces analyses m'ont permis de me dire, bon, il y a ça comme piste, ça comme piste, ça comme piste, qu'est-ce que j'aimerais mettre en œuvre ? Et donc après, dans ma thèse, j'ai travaillé avec une enseignante en collaboration pour... concevoir une séquence qui permet, normalement, c'était le but, de construire la notion de fonction de densité et puis ce lien entre proba et intégral. Et donc ce qui s'est passé, c'est que j'ai travaillé en collaboration avec une enseignante parce que mon but, ce n'était pas de créer une séquence super cool, mais qui marche que dans la théorie. Le but, c'était que ce soit viable dans une classe de terminale, avec les contraintes horaires, les contraintes de matériel, tout ça. C'est pour ça que j'ai travaillé avec cette enseignante. Et puis ensuite, après, elle l'a expérimenté dans sa classe. Et donc là, moi, j'ai tout enregistré. J'ai pris en photo tout ce qui se passait, les copies des élèves, ce qui se passait au tableau, etc. Et puis après, il y a toute une analyse a posteriori. Il y a une analyse a priori de ce que... Je pense qu'il va se passer, qu'est-ce qui devrait se jouer ? Et puis finalement, il y a l'analyse à postériori de qu'est-ce qui s'est vraiment passé dans la classe. Est-ce que les élèves ont réussi à construire ce sens-là, ce lien entre proba et intégral ou pas ? D'essayer d'analyser ça. Et puis après, ça c'est ce qu'on appelle une ingénierie didactique en fait. Et puis après, on valide. La validation se fait en confrontant finalement l'analyse a priori et l'analyse a posteriori.
- Speaker #1
L'ingénierie didactique, c'est quelle étape de tout ce que tu viens de décrire ?
- Speaker #0
Alors en fait, finalement, c'est l'ensemble de tout. Parce qu'il y a les analyses préalables, que ce soit historique, que ce soit les recherches existantes. Bon, là, il n'y avait pas non plus beaucoup, beaucoup de choses. Que ce soit les analyses de manuel, essayer de comprendre déjà l'existence. Ça, c'est le départ, les analyses préalables. Après, il y a toute la partie de conception. Alors là, c'était co-conçu en plus avec une enseignante. Après, il y a la partie d'expérimentation où ça se passe. Et puis, il y a la partie après où on confronte, où on fait l'analyse à posteriori. Et là, on va valider. Mais ce n'est pas les mêmes façons de faire, par exemple, qu'en psychologie, où on va faire un pré-test, un post-test. Et puis finalement, ce qui se passe au milieu, on ne sait pas. Mais on se dit si ça a marché suivant les résultats. Alors que nous, c'est plutôt en fonction de ce qu'on avait prévu qui allait se passer et ce qui s'est finalement passé. Et donc, on va vraiment regarder au milieu ce qui se passe. C'est là-dedans que va se faire.
- Speaker #1
Mais alors là, on a tous et toutes envie de savoir. Est-ce que ça a marché ? Est-ce que ça a marché ?
- Speaker #0
Alors, c'est quand même cool quand c'est ta thèse. Ça ne marche pas, boum.
- Speaker #1
Bon, c'est sympa, mais ça ne marche pas. Voilà. Allez,
- Speaker #0
un plus. Non, non, c'était vraiment chouette. En plus, une des choses qui était intéressante, je trouve, dans cette séquence, c'est que finalement, en fait, ce qui se faisait dans les manuels et ce que tous les enseignants faisaient, c'est qu'ils faisaient un chapitre d'abord sur le calcul intégral et puis, quelques semaines plus tard, ils allaient enchaîner sur les probas. Et là, en fait, ce qui s'est passé, c'est que l'idée, c'était de faire l'inverse. En fait, c'était de commencer par les probas, c'est-à-dire par des vrais problèmes de probas. Où finalement, il y a un moment, il allait émerger ce besoin d'avoir une courbe. Et donc, au départ, on allait pouvoir calculer les probas parce qu'on a une courbe bien sympathique où finalement, on va devoir juste calculer des aires de triangle, etc. Et puis après, à un moment, va arriver une courbe qui n'est plus aussi jolie. Et puis là, comment on fait pour calculer l'air sous cette courbe-là ? Et puis là, finalement, le calcul intégral arrive comme un outil pour résoudre ces problèmes de recherche.
- Speaker #1
C'est presque une approche de chercheur et chercheuse que tu leur fais faire. On fait travailler sur un problème. Et puis, il y a un outil qui peut émerger pour y répondre.
- Speaker #0
En fait, c'est... C'est un peu ça aussi l'idée en didactique, c'est de faire émerger les besoins d'une nouvelle notion. Et pas que ce soit l'enseignant qui dit, bon bah aujourd'hui on va faire des équations, et puis qu'est-ce que c'est, à quoi ça sert, on ne sait pas. Non, l'idée c'est vraiment de faire émerger dans la classe ce besoin d'un nouvel outil mathématique, pour que là on comprenne pourquoi on en a besoin en fait.
- Speaker #1
Et pour le coup ça répond à la question de la quête de sens, dont on entend beaucoup parler pour les mathématiques souvent. Il y a les gens qui disent ça sert à quoi etc. Bon si tu l'as introduit comme ça là c'est clair. Vous voyez vous étiez bloqué. Et bien il y a ce truc. Donc effectivement c'est une approche qui paraît pertinente.
- Speaker #3
Ça donne très envie d'aller faire ta séquence parce que finalement moi je me rends compte que c'est des choses que j'ai enseigné mais un peu à la...
- Speaker #0
Bon bah voilà vous faites ce calcul.
- Speaker #3
C'est vrai que ça rend très curieuse de se dire finalement par quel bout tu le prends. Enfin c'est quelque chose que je pense qu'on a tous le... Le désir d'essayer de susciter chez nos élèves ou nos étudiants, sans forcément, finalement, en tant qu'experts mathématiciens, avoir toutes les clés pour le faire.
- Speaker #1
Et donc, juste pour finir sur cette partie, alors, tu étais enseignante, et là, tu es passée dans la casquette de chercheuse pendant que tu faisais ta thèse. Comment est-ce que ça s'est passé, ce changement ? Est-ce que déjà, tu te sentais chercheuse à l'époque ?
- Speaker #0
Je me sentais apprentie-chercheuse. J'essayais de tout découvrir, j'avais envie de comprendre tout ce qui se passait déjà, comprendre ce qui se joue dans la communauté, découvrir les chercheurs. Nous, c'est un petit monde, donc finalement, au bout d'un moment, on connaît presque tout le monde. Mais du coup, quand on est en thèse, on avance petit à petit, on essaye de découvrir un peu. Et voilà, on découvre aussi ce que c'est qu'être chercheur, aller à des conférences. préparer des communications, parler devant d'autres personnes, etc. Donc, je dis, apprenti-chercheur, je pense que c'est bien. On essaye, mais petit à petit.
- Speaker #2
Le mode de diffusion, quand tu disais préparer des communications, est-ce que c'est plutôt comme en maths où il y a des revues, etc. ou plutôt comme en informatique, par exemple, c'est souvent dans des conférences, en fait ? Il y a les deux.
- Speaker #0
en fait, on a quand même relativement... On a des conférences et du coup, souvent, on va proposer un papier avant de le publier dans une revue. Mais en vrai, il n'y a pas non plus de... Ce n'est pas obligatoire. Mais c'est vrai que souvent, quand on n'est qu'au début, c'est bien de confronter à la communauté. Mais après, sinon, il y a les revues de recherche. Là où on publie, puis où il y a tout le process habituel. Mais après, c'est vrai qu'on a aussi tout un aspect, que je disais, de revues qu'on appelle des revues d'interface, où là, c'est des revues où les chercheurs peuvent écrire, mais où le public, ça peut être un public d'enseignants, de formateurs, de chercheurs aussi. Mais du coup, on a cet entre-deux, en fait.
- Speaker #2
Oui, on n'a pas vraiment d'analogue. On a des trucs de diffusion, mais ça ne répond pas exactement à ça. Non,
- Speaker #1
non, effectivement.
- Speaker #3
Il semble qu'il y ait vraiment un souci du public très prononcé de réfléchir jusqu'à l'impact de vos recherches et comment elles se traduisent réellement dans une salle de classe. Peut-être beaucoup plus que ce qu'on a nous. On se dit, si on a une application, c'est cool.
- Speaker #0
Mais là,
- Speaker #3
on a l'impression quand même que c'est beaucoup plus suivi. De la théorie, la conceptualisation, jusqu'à une tradition effective dans les classes ou peut-être même dans les manuels, je ne sais pas. Est-ce que vous êtes sollicité par des maisons d'édition ?
- Speaker #0
Alors, on peut être sollicité à titre individuel, mais pas vraiment en tant que chercheur en didactique des mathématiques. Après, il y a une problématique aussi avec les manuels, c'est qu'il faut que ça réponde à un certain cadre, etc. En fait, tout ce qui se joue dans la séquence, dans ma thèse, il faut. expliquer les choses. En fait, il ne suffit pas de donner l'activité et puis débrouillez-vous. Et en fait, dans les manuels, il n'y a pas cette place-là pour écrire à l'enseignant, lui expliquer.
- Speaker #3
Il n'y a pas de manuel du professeur, jamais.
- Speaker #0
Eh bien, il y en a dans le premier degré, il n'y en a pas dans le second degré.
- Speaker #2
Il y a des formations. Du coup, c'est plus la formation à... Alors, le nouveau nom de l'IUFM que j'ai déjà oublié. InSpec. ça c'est le terreau
- Speaker #0
Oui, mais du coup, ça serait plus... Alors, il y a la formation initiale, mais en fait, ça serait plutôt en formation continue. Et le problème, quand même, c'est que la formation continue est faible. Oui,
- Speaker #2
ce n'est pas valorisé dans l'éducation nationale.
- Speaker #0
Il n'y en a pas beaucoup, les enseignants, pas beaucoup de formation continue. Mais effectivement, ça serait carrément le lieu. Ça serait clairement le lieu, là.
- Speaker #1
Et alors, là, c'était pendant ta thèse, mais quand même, à la base, tu étais enseignante. Ensuite, tu as dit, je veux continuer en thèse. ... Et pourquoi tu as continué finalement dans la recherche ? Parce que tu aurais très bien pu ensuite repartir dans l'enseignement.
- Speaker #0
Après, je me suis posé la question, mais finalement, ça me plaisait vraiment le côté recherche et aussi le côté j'avais envie de former les enseignants. En vrai, si j'avais vraiment pu faire tout ce que je voulais, j'aurais voulu être à la fois prof du second degré, formatrice. Et chercheuse. Bon, sauf que là, ça ne passe plus. Il y a 24 heures dans une journée. Donc là, voilà, ça ne passait pas. Mais non, oui, ça me plaisait, en fait. Tout simplement, je crois que je ne veux pas arrêter. Et en fait, j'ai toujours le plaisir d'aller dans les classes parce que je vais travailler avec des enseignants. Du coup, je vais aller dans leur classe, je vais filmer. Donc, j'ai quand même cette partie-là.
- Speaker #1
Mais comment tu as fait ? Du coup, tu es passée quand même par l'étape... postdoc ?
- Speaker #0
Alors, j'ai fait un ATER.
- Speaker #1
En didactique des maths ?
- Speaker #0
Il y en a un petit peu, mais pas énormément. Et puis, en plus, comme je le disais, il y a beaucoup de doctorants qui sont de toute façon salariés. Ah oui,
- Speaker #1
d'accord.
- Speaker #0
Du coup, il n'y a pas beaucoup du vie. Donc, on pourrait se dire que oui, il y a la possibilité. Mais c'est vrai qu'il n'y en a pas beaucoup.
- Speaker #2
En moyenne, les gens, après la thèse, il leur faut deux, trois ans. Comment ça se passe ?
- Speaker #0
Moi, du coup, j'ai fait un an d'ATER. Et après... Donc, ATER,
- Speaker #1
c'est des CDD d'enseignement à la fac.
- Speaker #0
Voilà, c'est ça. Et donc, du coup, j'étais à l'INSPE de Paris. Donc déjà, j'ai pu aussi découvrir le côté de qu'est-ce que c'est qu'être formateur à l'INSPE, etc. Donc là, j'ai appris beaucoup de choses. Et puis, c'est ça aussi qui m'a fait dire oui, j'ai envie de faire ça. J'ai envie de former les enseignants. Et après, directement l'année d'après, j'ai obtenu mon poste à l'Université de Strasbourg.
- Speaker #1
Et donc, tu as passé les concours dès la première année et c'est un marché. Oui. Ok, super. Eh bien, écoute, parfait. On va pouvoir parler de ton métier actuel maintenant, ton poste à Strasbourg. Alors, peut-être on va faire les choses dans cet ordre-là. D'abord, quels sont tes intérêts actuels ? C'est-à-dire, là, on sait ce sur quoi tu as travaillé pendant ta thèse. Quelles sont les questions qui t'intéressent ? Et après, j'aimerais bien que tu structures aussi ta réponse avec, mais du coup, concrètement, au quotidien, tu fais quoi ? Parce que c'est la question que je pose à chaque fois. Quand je la pose à mes collègues chercheurs, chercheuses en mathématiques, j'ai une petite idée de ce qu'ils vont me répondre. Mais là, j'avoue que je suis curieuse de savoir, est-ce qu'il y a des points communs, des grosses différences ?
- Speaker #0
On t'écoute. On est toutes oui.
- Speaker #1
Alors, mes recherches actuelles, moi, je m'intéresse spécifiquement à la didactique des probabilités et de la statistique. Ah,
- Speaker #0
t'es restée focalisée en proba. Alors, juste petite question avant que tu répondes. Est-ce que déjà, à la base, avant, t'avais un goût prononcé pour les probas quand t'étudiais les maths ou alors, vraiment, juste pas du tout ? C'est ta recherche qui t'a...
- Speaker #1
Ouais, non, pas spécialement. Je pense que, j'aimais bien, mais bon, voilà, non, pas...
- Speaker #0
Pas plus que ça, quoi.
- Speaker #1
ouais non pas plus que ça je pense que En plus, à la base, ma thèse, ça devait pas être sur ce sujet. Et je sais même plus comment, de fil en aiguille, je suis partie sur ce sujet.
- Speaker #2
Limite, ça pourrait être l'inverse. Si il y a un sujet où tu sens que c'est compliqué, que t'as du mal à comprendre, du point de vue didactique, limite, tu serais encore plus curieux.
- Speaker #0
C'est vrai, c'est vrai.
- Speaker #1
Ouais, finalement, je sais pas expliquer comment c'est arrivé, mais maintenant, par contre, je veux plus changer. Après, il y a d'autres thèmes qui m'intéressent. Et puis parfois, les collaborations font que je pars sur d'autres thèmes. Mais c'est vrai que maintenant, je crois que je suis bien ancrée en proba et en stats. Ok,
- Speaker #0
donc oui, pardon, tu disais que...
- Speaker #1
Donc, je m'intéresse à plusieurs choses. Là, je ne sais pas pour le coup si c'est pareil en maths ou pas. Mais moi, je suis sur plein de projets en même temps. Et notamment, il y a plein de, entre guillemets, petits projets dans le sens où ils ne sont pas financés. Mais voilà, c'est des choses qui m'intéressent et que je creuse. Et du coup, alors en proba, je m'intéresse beaucoup à la modélisation en probabilité. Alors, j'en parlerai normalement un petit peu tout à l'heure. Et notamment aussi, je suis allée voir dans plein de classes pour essayer de comparer un petit peu les pratiques enseignantes. Alors, en probabilité, le thème, c'était, je leur demandais juste que la séance porte sur le lancé 2D. Et après, voilà, j'étais libre. Et en fait, j'ai vu une dizaine d'enseignants de... de la quatrième jusqu'en L2. Et du coup, je n'ai pas fini du tout mes analyses, mais l'idée, c'est de voir un peu, est-ce qu'il y a des régularités ? Est-ce qu'il y a des différences dans les pratiques, que ce soit à un niveau donné ou que ce soit justement dans la continuité des apprentissages ? Donc ça, c'est une partie. Après, sur mes questionnements plutôt en statistique, je travaille avec des collègues sur la compréhension qu'ont les étudiants au début de l'université. tout ce qui est indicateur statistique. Moyenne, médiane, écart-type, écart interquartile. Donc ça, c'est des notions finalement que les élèves étudient à partir de la cinquième jusqu'à la seconde, essentiellement. Et là, du coup, ils sont tout au début de l'université, dans des filières qui vont utiliser la stat, et le but, c'est d'essayer de voir où ils en sont, de la compréhension de ces notions. Et éventuellement, identifier leurs difficultés. Effectivement, ils ont des difficultés. On peut voir que finalement, la moyenne, alors calculer une moyenne, utiliser la formule, ça, OK. Mais en fait, essayer vraiment de comprendre ce qu'il y a derrière, on appuie sur des propriétés de la moyenne, c'est beaucoup plus compliqué. Alors l'idée, ce n'est pas de dire, les élèves, vraiment, ça ne va pas, etc. Non, c'est plus de... En identifiant cette difficulté-là, se dire finalement, est-ce qu'il n'y aurait pas des leviers, des choses à mettre en place dans les classes pour que ça évolue ? Et notamment aussi dans l'enseignement supérieur, en fait.
- Speaker #0
Et est-ce que tu as été dans tes thématiques plus actuelles jusqu'à l'étape, comme dans ta thèse, où tu as mis en place des séquences qui répondaient à des questions ?
- Speaker #1
Alors, pour l'instant, je n'ai pas refait exactement ça. Alors, j'ai fait... Par rapport à la séquence de ma thèse, je l'ai retravaillée avec des enseignants, parce que maintenant, ce n'est plus au programme de SPEMAT, mais par contre, c'est en maths complémentaire. Mais les étudiants de maths complémentaire, ce n'est pas exactement les mêmes étudiants qui étaient en terminale S, donc on a remodulé un peu ça. Et après, sinon, là, je travaille en collaboration avec des enseignants aussi. Et là, on va essayer de construire finalement toute une progressivité de l'enseignement des probas, de la cinquième jusqu'à la terminale. Ça, c'est l'objectif. Pour l'instant, on commence, on travaille ensemble.
- Speaker #0
Et tu dis que tu travailles beaucoup en collaboration avec des enseignants, etc. D'abord, j'ai deux questions. La première, c'est comment tu les trouves ? Et puis la deuxième, c'est est-ce que tu travailles en collaboration avec d'autres chercheurs et chercheuses en didactique également ?
- Speaker #1
Oui. Alors, avec les enseignants, comment je les trouve ? Alors... Alors il y a ce qui s'appelle les instituts de recherche sur l'enseignement des mathématiques, donc les IREM, il y en a dans beaucoup d'universités en France. Et du coup, c'est des lieux finalement qui sont dans l'université, mais qui sont vraiment des lieux d'un... de rencontre entre les enseignants du second degré, éventuellement du premier degré, et puis les chercheurs, que ce soit les chercheurs en maths ou les chercheurs en didactique des maths, etc. Et donc, souvent, on travaille par groupe, etc. Et donc, les enseignants qui sont là, c'est des enseignants volontaires qui ont envie de réfléchir à leur enseignement, etc. Donc là, c'est vrai que ce soit dans ma thèse ou maintenant à Strasbourg, c'est au sein des IRM que je rencontre les enseignants. et puis après je les... Je les embrigade. Mais finalement, c'est aussi une question de rencontre et de confiance mutuelle, en fait.
- Speaker #0
Oui, parce que tu vas dans leur classe, tu vas les observer, enseigner, etc. Donc, c'est quand même...
- Speaker #1
Alors oui, et puis il y a aussi le fait de pouvoir discuter en totale confiance, parce que finalement... Le chercheur en didactique, il n'a pas plus de connaissances que... Enfin, c'est juste qu'on a des connaissances différentes, mais du coup, il faut que chacun accepte ce que l'autre lui apporte. Et du coup, oui, je pense qu'il y a toute une partie de confiance mutuelle qui doit être là pour que ça fonctionne, en fait, déjà rien que le travail ensemble. Et pour la collaboration avec les chercheurs, alors lui, bien sûr, je travaille en collaboration avec des chercheurs. Alors, c'est vrai que... À Strasbourg, on est seulement deux chercheuses en didactique des mathématiques. Alors, ce qui est bien, c'est qu'on travaille toutes les deux sur la didactique des probas et stats. Donc là, on arrive bien à travailler ensemble et on va dire en présentiel. Et par contre, sinon, c'est énormément de collaboration et notamment beaucoup de travail en visio. Donc, si on parle de mes journées, c'est vrai que quand c'est mes journées, on va dire plus recherche, c'est pas mal de visio. et puis euh Quoi d'autre ? Après, il y a aussi toute partie de travail, de revue de littérature, donc lire des articles, essayer de faire le point sur le thème qui, à ce moment-là, m'intéresse pour progresser. Ça, c'est la partie recherche. Après, enseignant-chercheur, il y a aussi toute la partie enseignement. Donc ça, ça prend aussi... C'est pour ça, en fait, je trouve que cette question, elle est difficile parce qu'il n'y a pas vraiment de journée qui se ressemble exactement...
- Speaker #2
C'est sûr.
- Speaker #0
T'inquiète pas, c'est la réponse type de tout le monde.
- Speaker #1
Alors, le mat.
- Speaker #2
Est-ce que tu croises de temps en temps des chercheurs ou des chercheuses en maths qui enseignent et qui se posent des questions qui résonnent avec une partie de toi, tes activités de recherche ?
- Speaker #1
Mon lien avec les chercheurs en maths, c'est un peu ça la question. Finalement, il y a deux aspects. Parce qu'il y a le côté... Alors là... J'ai la chance d'être en délégation CNRS au second semestre. Et du coup, je vais travailler avec les collègues de l'équipe de probabilité de l'IRMA à l'université de Strasbourg. Et donc, du coup, j'ai déjà commencé à aller avec eux à des séminaires, etc. Et discuter avec eux. Et du coup, je sens qu'ils sont intéressés par ce que je pourrais leur apporter. En tout cas, je sens qu'il y a une envie de discuter. en tout cas c'est de l'enseignement. Pour l'instant, on n'a pas encore été... Mais par exemple, il y a aussi des collègues qui m'ont ouvert leur amphi en licence. Donc déjà aussi, il y a ce côté-là. C'est un pas. Et après, par contre, il y a aussi moi, en tant que chercheuse, ça m'intéresse de connaître les pratiques des chercheurs. Parce que finalement, en didactique, on peut aussi s'intéresser aux pratiques du chercheur pour après essayer de voir comment transposer ces pratiques de chercheurs. dans la classe.
- Speaker #2
C'est un vecteur d'enseignement naturel, en fait. Et alors, là, tu as parlé de séminaires, mais du coup, est-ce qu'il y a de la didactique aussi pour les chercheurs entre eux ? Est-ce que c'est un sujet de comment on s'explique les idées entre nous ? Est-ce qu'il y a un domaine de la didactique des mathématiques qui s'intéresserait à la manière dont les mathématiciens et mathématiciennes s'apprennent les maths entre eux ? Ah, oui, oui, oui.
- Speaker #1
Eh bien, ma connaissance, je ne connais pas de travaux là-dessus, ça veut pas dire que ça n'existe pas. C'est vrai que, déjà, rien que les travaux en didactique des mathématiques sur l'enseignement supérieur, déjà, c'est relativement récent, c'est une dizaine d'années, donc c'est quand même relativement récent. Alors, sur ces pratiques entre chercheurs, là, en tout cas, je ne connais pas comme ça de travaux. Ça ne veut pas dire que ça n'existe pas.
- Speaker #0
C'est une question pertinente. Ce serait intéressant aussi de voir les mécanismes à l'œuvre. Et puis, on aurait tout intérêt à comprendre ce que ça pourrait améliorer nous-mêmes, notre progression de la recherche, en fait.
- Speaker #3
Du coup, tout ce que tu nous décris, ça a l'air vraiment super varié, avec plein d'aspects différents. Et je serais curieuse de savoir quelle est la partie que tu préfères.
- Speaker #1
Alors, ce que je préfère, je crois que vraiment le lien avec les enseignants, je crois que c'est quand même... ce que je préfère. Enfin, dans le sens où, oui, je l'ai déjà dit tout à l'heure, mais vraiment, ça m'a... En tout cas, c'est important pour moi qu'après, ils puissent y avoir ce contact avec eux et puis que ça puisse diffuser dans les classes et que ça serve finalement à l'apprentissage des élèves. Donc ça, je crois que c'est ce que j'aime bien. J'aime bien aussi aller dans les classes, mettre ma caméra et filmer, etc. Bon, même si ça demande plein d'organisation, il ne faut pas se louper et que ce jour-là, il ne faut pas que la caméra ait plus de batterie, etc. et Après, j'aime plein d'aspects du métier, en fait, parce que je crois que ce que j'aime aussi, c'est que c'est varié.
- Speaker #0
Une réponse qui revient aussi souvent.
- Speaker #3
Et est-ce que tu as l'impression que ta partie enseignement et ta partie recherche sont vraiment liées entre elles, que tu arrives à transmettre des idées qui te viennent de la recherche aux futurs enseignants que tu formes ?
- Speaker #1
Alors, clairement, toutes mes formations sont appuyées sur la recherche en didactique des mathématiques. Après, ce n'est pas forcément ma recherche à moi. Mais, clairement, j'ai ce souci-là. Et d'ailleurs, ça fait partie de l'objectif des INSP, c'est de former les enseignants en appui sur la recherche. Donc ça, c'est vraiment, moi, ça guide toutes mes formations. Mais ce n'est pas, comme je disais tout à l'heure, il faut transposer cette recherche. Le but, ce n'est pas d'en faire des futurs chercheurs. Le but, c'est qu'ils puissent se poser des questions, prendre du recul, se poser la question est-ce que cette ressource, elle est pertinente par rapport à mon objectif d'enseignement ? Et puis aussi anticiper les difficultés des élèves, pour savoir réagir sur le moment, etc. Tout ça. C'est plutôt leur donner un regard didactique, mais appuyer clairement sur des recherches en didactique.
- Speaker #0
Merci beaucoup. On a eu un aperçu très précis de la vie de didacticienne. C'est vraiment super chouette de pouvoir mettre des faits, des actions sur ce mot. Donc, on va pouvoir passer maintenant aux cartes blanches. On va commencer avec la tienne, Ayman. De quoi as-tu envie de nous parler aujourd'hui ?
- Speaker #2
Alors... Ma carte blanche, j'aimerais la consacrer à un film qui est sorti l'année dernière et qui s'appelle Le théorème de Marguerite, réalisé par Anna Novion. Alors avant de rentrer dans le vif du sujet, j'ai quelques avertissements à vous donner. Au risque de vous surprendre, je ne suis pas un critique cinéma, je donne juste mon avis en tant que mathématicien concernant un film qui aborde le sujet. Je vous préviens également que je vais probablement spoiler un petit peu quelques séquences de ce film. Il y a quelque chose dont je me suis aperçu en préparant le podcast, c'est que j'ai essentiellement arrêté d'aller voir des films qui traitent de mathématicien ou mathématicienne. Ma première expérience sur le sujet, c'est un film d'Aronofsky qui s'appelle Pi. C'est un film en noir et blanc, très Télérama compatible, un peu film d'auteur, mais le souvenir que j'en ai est quand même bien, bien éloigné de ma réalité de mathématicien. Ensuite, j'ai vu Wu Lanting, Un homme d'exception, là on est plus sur du divertissement. puis à partir du moment où j'ai commencé à étudier des maths en gros, je crois que j'ai lâché l'affaire et j'ai arrêté d'aller voir des films sur le sujet Alors, qu'est-ce qui m'a amené à aller voir le théorème de Marguerite ? Eh bien, il est sorti en 2023 Et en fait, moi j'avais commencé à en entendre parler l'année d'avant, en 2022 Parce qu'il se trouve qu'il a été tourné au département de mathématiques et applications de l'ENS Au moment où j'étais en convention là-bas C'est-à-dire que j'y faisais une partie de mes enseignements C'était dans les locaux ? C'était vraiment dans les locaux du DMA Donc une partie du film, pas tout le film, mais une partie du film Des collègues ont été mis à contribution des doctorants du département pour l'écriture des formules. Et Ariane Mézard, qui était aussi à l'ENS à ce moment-là, qui est mathématicienne, elle a même participé activement à la conception de ce film. Donc tout cela a attiré ma curiosité. Donc je suis allé le voir et là je vous fais mon retour. Alors la première chose à dire, c'est qu'il y a derrière ce film un effort de réalisme. Il a été tourné dans les locaux d'un vrai département de mathématiques. Les formules qui apparaissent à l'écran, écrites à la craie blanche sur un tableau noir, sont de vraies formules de mathématiques. La réalisatrice a pris pour conseillère une... mathématicienne. Il y a un effort de réalisme dont acte. Cependant, tout effort aussi louable soit-il n'est pas nécessairement synonyme de réussite, loin sans faux. Il se trouve que le film souffre de plusieurs séquences totalement invraisemblables. Alors, je vous ai fait une petite sélection. Alors, dans l'une des scènes clés, d'ailleurs présentes dans la bande-annonce, on voit Marguerite au tableau exposant ses résultats de thèse à un séminaire. La thèse de Marguerite porte sur une conjecture vieille de près de trois siècles, la conjecture de Goldbar. Une personne de l'auditoire lui fait alors remarquer, pendant son exposé, une erreur. Là-dessus, le directeur de thèse de Marguerite se lève de sa chaise et confirme le problème, puis annonce que cela invalide tout son raisonnement.
- Speaker #0
Il est sympa le directeur !
- Speaker #2
Tu n'as pas tout vu ! Dans une séquence qui suit, on le voit alors au bureau avec Marguerite et il l'invite à aller se trouver un autre sujet de thèse et un autre encadrant. En sous-titres, on pourrait presque lire « Franchement Marguerite, là t'as merdé, va voir ailleurs » . Bon, par où commencer ? Tout d'abord, le sujet de thèse. Un sujet comme celui-ci, s'il est proposé, relève de la mise en danger de la vie d'autrui. Enfin, plus sérieusement, même chez nos collègues les plus énervés mathématiquement, j'ai du mal à imaginer qu'on puisse donner un sujet pareil. On parle d'une conjecture vieille de plus de 300 ans. Mais bon, admettons.
- Speaker #0
Mais il a vu le potentiel de Marguerite, c'est tout.
- Speaker #2
Peut-être ! Ensuite si une erreur est identifiée pendant un séminaire alors pour le coup ça c'est pas très agréable mais ça peut arriver ok c'est un moment désagréable mais ça existe Sur un résultat qui représente deux ou trois années de travail, il est très peu probable que tout, absolument tout, s'effondre. C'est une vision très unidimensionnelle de la construction mathématique, bien loin de la pratique réelle. Et puis enfin, c'est quoi cette attitude du directeur, sérieusement ? Peut-être qu'il en existe, ou qu'il a existé des encadrants de ce type qui sauteraient du bateau alors qu'ils sont capitaines, mais franchement, pour moi, ça n'a rien de représentatif. Peut-être que ça dépend du domaine, mais en tous les cas, dans le mien, c'est loin d'être la norme. Toujours à propos d'un vraisemblance, la scène la plus loufoque de ce film se déroule à la fin, durant une conférence internationale, à Lausanne. À ce moment-là du film, Marguerite s'était totalement exfiltrée de la sphère mathématique, donc elle n'avait pas prévu d'aller à la conférence, mais sur un coup de tête, elle décide d'y aller pour rejoindre Lucas, son copain collaborateur, car elle vient de débloquer toute seule la dernière étape de la preuve de la conjecture de Goldbar. Chouette. Donc, bim, Marguerite prend sa voiture, elle trace à Lausanne Bon, perso, j'aurais peut-être juste fait un zoom avec Lucas pour en parler, mais ok, les maths, c'est plus sympa en vrai. De fait, Lucas l'accueille à son arrivée à la conférence et ils rentrent ensemble dans un amphithéâtre du bâtiment où Marguerite commence à gratter au tableau la fin de la preuve de la conjecture. Jusque là, ok. Là où la dinguerie commence, c'est quand un chercheur qui passe par là observe Marguerite à l'œuvre au tableau et va alpaker des collègues dans le couloir en mode... Hé, y'a un truc de ouf, y'a une meuf qui est en train de démontrer Goldbar en direct, venez on va voir, ça arrive quand même pas tous les jours ! Là-dessus, l'amphi se remplit peu à peu de mathématiciens et mathématiciennes divers et variés, on entend des murmures d'admiration, on voit des hochements de tête, et ça se termine en un tonnerre d'applaudissements quand Marguerite appose le petit carré qui matérialise la fin de la preuve. Là-dessus, l'amphi se transforme carrément en conférence de presse et Marguerite est inondée de questions. Bon, déjà. On ne peut pas attraper comme ça une preuve au vol en passant d'une conjecture qui est vieille de trois siècles. Enfin, ce n'est quand même pas la même chose que d'enchaîner 50 pompes à la suite. Et puis, ça prend du temps à expliquer, à comprendre. Et puis franchement, des mathématiciens établis qui prendraient le temps... temps d'écouter à une conférence internationale une doctorante en train de parler à un doctorant, seul dans un amphi, sans les interrompre et en terminant par des applaudissements, là c'est une dinguerie.
- Speaker #0
Comment ça, ça t'est pas arrivé pendant ta thèse ?
- Speaker #2
Bah écoute, non. Il faut croire que j'étais un échec fini.
- Speaker #3
Je comprends pas que ton directeur t'ait pas viré. Non,
- Speaker #2
il aurait dû. Alors, comme je me suis lancé dans les critiques, je vais poursuivre par une dernière et puis je garde les aspects positifs que j'ai retenus pour la fin. Alors, ma dernière critique, concerne ce choix de l'excellence, de l'excentricité, voire de l'anomalie, en tous les cas, le choix d'un écart à la normalité, pour parler de la pratique des mathématiques. Ce n'est pas un défaut qui est propre au théorème de Marguerite. Si je reprends les films que j'évoquais plus tôt, donc dans Pi, on a droit par exemple à un mathématicien reclus, qui est capable de faire de tête des calculs à 13 chiffres, qu'une petite fille vérifie ensuite avec une calculatrice. Entre parenthèses, ne vous étonnez pas après ça qu'à la fin d'un repas avec vos potes, on vous glisse l'addition pour faire la division sous prétexte que vous avez une thèse en maths. Bref. Dans Will & Ting, Matt Damon joue un personnage qui n'est pas du tout asocial, heureusement, mais possède des facultés intellectuelles totalement hors normes. Et dans Un homme d'exception, le titre dit tout. C'est un biopic qui parle de la vie de John Nash, l'un des mathématiciens les plus marquants du siècle dernier, et manque de peau, le mec souffrait aussi d'une maladie mentale. Bon là je suis prêt à parier que dans la tête des gens il y a quand même un lien qui se fait malheureusement. Et dans le théorème de Marguerite alors ? Marguerite c'est une élève exceptionnelle de l'école normale supérieure, elle n'est pas vraiment dégourdie socialement, Et quand elle décide de quitter sa thèse et l'ENS suite à son erreur au séminaire, elle va vite dans le 13e arrondissement et gagne sa vie en jouant au Mahjong, un jeu de société chinoise où elle est forcément très très forte car elle compte très très vite, Marguerite. Mouais. Alors, que les choses soient claires, je ne suis pas contre l'idée d'un film qui se concentrerait sur une mathématicienne ou un mathématicien exceptionnel, qu'il soit fictif ou non d'ailleurs. A ce titre-là, j'attends toujours le biopic sur Grotendieck, je renvoie au premier épisode de la saison de ce podcast pour en savoir plus sur ce personnage, Mais je déplore simplement que cela soit toujours ce prisme de l'exception qui domine, en général saupoudré de capacités calculatoires. C'est dommage parce que la pratique normale des mathématiques, la nôtre par exemple pour les gens qui sont autour de cette table, mais en gros celle de l'écrasante majorité des mathématiciens et mathématiciennes, elle offrirait déjà à elle seule, je pense, la matière à une œuvre littéraire ou cinématographique. Et ça donnerait un peu plus une idée de ce à quoi ressemble notre métier. Notre pratique est avant tout humaine, et elle renferme tout ce qu'il faut de drame, de surprise, de solidarité mais aussi de bassesse et de lâcheté, pour qu'on puisse en extraire une œuvre intéressante et représentative. La déception face à une preuve qui ne fonctionne pas, par exemple. Les collaborations déséquilibrées, une équipe d'une autre université qui finalise un résultat avant vous. La générosité de certains collègues qui fournissent 10 idées à la minute sans rien demander. A l'inverse, l'égoïsme de certains qui, eux, cherchent à s'approprier toutes les idées possibles. La sensation de ne rien comprendre du tout, et ces moments fabuleux où, au contraire, tout s'éclaire. L'impossibilité parfois de savoir se relire soi-même. Pour vérifier une preuve parce qu'on a tellement envie que ça marche qu'on voit plus les erreurs. Tout ça quoi. Tout ce qui compose notre vie de mathématicienne et mathématicien. Alors, pour donner un peu plus de corps à mon propos, je vais prendre l'exemple de la série Hippocrate, dont la saison 3 vient de sortir. C'est une série qui traite de la vie de médecin en France et qui a été pensée et portée par Thomas Lilti, lui-même médecin. Je ne prétends pas que la vie des mathématiciens offre autant de matière filmique que celle des médecins, mais tout de même. Ce que l'on voit dans les films qui parlent de mathématiques, ce serait un peu comme si dans Hippocrate, on se concentrait exclusivement sur le major du concours de médecine. qui choisirait la chirurgie cardiaque comme spécialité, qui aurait des doigts de fait absolument hors de commun, capable d'enchaîner des opérations à cœur ouvert de plus de 12 heures sans jamais faillir, et que toute la série reposait sur l'exceptionnalité de ce personnage. On passerait un peu à côté de quelque chose là. Et bien là, c'est l'impression que j'ai pour les films de maths. Bon, j'en ai fini avec les critiques, et je vais terminer par quelques points positifs quand même. Alors, d'abord, le personnage central est féminin. Je rappelle que les femmes sont largement sous-représentées dans les sciences en général et en maths en particulier. Il y a des marqueurs flagrants de ce fait, le plus honteux est peut-être la première médaille FIT féminine qui date de 2014, alors qu'on en décerne depuis le front populaire. A ce titre, et une fois le parti pris de prendre un personnage aux dons exceptionnels dans le film, je trouve le choix féminin pertinent car en mettant ainsi sur le devant de la scène une mathématicienne, ça se démarque complètement de la plupart des films sur le sujet. Bon après on peut pas forcément attaquer tous les stéréotypes à la fois. En termes de personnes racisées, dans le théorème de Marguerite, les Asiatiques, on les trouve dans le 13e arrondissement, à jeu au Mahjong, et la seule renoie du film, ben elle danse. Je me reprends, j'avais dit que j'arrêtais les critiques. J'ai apprécié le personnage de Lucas, qui est aussi, lui, un jeune mathématicien de haut niveau, mais beaucoup plus social et extraverti que Marguerite. En fait, Lucas est un brillant mathématicien, et il a un comportement normal. Il joue dans une fanfare, il est à l'aise socialement, ça fait du bien à voir. Un point sur lequel je trouve le film est particulièrement juste concerne les moments de joie. ... partagés entre Lucas et Marguerite quand ils avancent dans leurs preuves. L'excitation de ces moments se ressent très bien à l'écran je trouve et je l'avais jamais vu auparavant. Il y a une dernière caractéristique de notre métier qui est portée à l'écran et que j'avais pas vu non plus au cinéma, qu'on pourrait appeler ainsi l'ascenseur émotionnel des preuves foireuses. Je m'explique. C'est la fin de la journée, vous allez vous coucher avec le sentiment du travail bien fait parce qu'aujourd'hui vous avez réussi à venir à bout d'une démonstration, et puis bam voilà vous vous réveillez le lendemain matin foudroyé par une crainte qui se transforme en doute d'autres qui se matérialisent en contre-exemple et contre-exemple qui invalident tout ce que vous aviez dit la veille. Ça, c'est un lot commun pour nous et il est très bien rendu à nouveau à l'écran. Enfin, du point de vue cinématographique pur, j'ai beaucoup aimé la bande-son du film et plus encore sa photographie. Il y a une progression de la lumière magnifique qui commence plutôt sombre avec Marguerite pas confiante en elle et des images très belles à la fin du film, notamment cette séquence qui tourne à la conférence de presse. Elle est baignée de lumière et elle est très belle à regarder. Et si je ne suis pas convaincu de l'écriture des personnages, qui sont portés par des acteurs convaincants Tout spécialement Jean-Pierre Daroussin et Léon. Au final, le théorème de Marguerite est surtout un film sur une jeune fille pas très bien dans sa peau, qui a pris un peu de retard dans sa construction personnelle à cause d'un cursus scolaire très exigeant et cloisonnant. Et bon, il se trouve qu'elle est brillante en maths et que son directeur de thèse est une semi-ordure. Mais je ne dirais pas que c'est le cœur du sujet finalement. Bref, même si j'ai un peu spoilé, allez le voir pour vous en faire une idée.
- Speaker #0
Merci beaucoup Ayman ! Je pense que tu nous as donné envie, malgré le fait que tu as donné beaucoup de critiques négatives, parce qu'on a envie d'aller voir si c'est si terrible que ça.
- Speaker #2
Il faut s'en faire une idée.
- Speaker #0
Bon, super.
- Speaker #3
La description de ces amphis, on a envie d'avoir ça quand on fait cours. C'est tout à fait représentatif de nos promotions. Et Bailly, qui nous applaudit à la fin.
- Speaker #0
Tout à fait.
- Speaker #2
Par des chercheurs confirmés, en plus. En plus.
- Speaker #0
Merci beaucoup encore. On va passer à la carte blanche de notre invité, alors. Charlotte, de quoi as-tu envie de parler ?
- Speaker #1
Alors moi, j'ai envie de parler de la modélisation mathématique et notamment la question de est-ce que ça a sa place ou non dans les classes. Alors quand je parle dans les classes, je parle à la fois de l'école primaire jusqu'à dans l'enseignement supérieur. Et puis je veux aussi me poser la question, est-ce que c'est souhaitable finalement de faire de la modélisation mathématique dans les classes, dans l'enseignement ? Et puis quel intérêt ça pourrait avoir en fait ? Et est-ce qu'on a besoin de connaissances particulières pour faire de la modélisation mathématique ? A vrai dire, mon but, ce n'est pas de répondre vraiment point par point à toutes ces questions, mais plus de lancer finalement une discussion avec vous. Donc si on regarde dans l'enseignement primaire et secondaire, on entend de plus en plus parler de modélisation en mathématiques. Alors je sais pas... Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais dans les programmes scolaires, à partir du CP, on voit apparaître six compétences mathématiques qui sont calculées, raisonnées, cherchées, représentées, communiquées et modélisées. Donc ça, elles apparaissent dans les programmes du CP jusqu'en terminale.
- Speaker #2
Modélisées dès le CP.
- Speaker #1
Eh ouais ! Dès le CP. Alors justement, j'ai pris mes petites notes pour voir ce qu'il y a écrit dans le programme. Par exemple, au cycle 2, donc CP, CE1, CE2, pour modéliser, il y a écrit « Utiliser des outils mathématiques pour résoudre des problèmes concrets, notamment des problèmes portant sur des grandeurs et leurs mesures. » Il y a aussi « Réaliser que certains problèmes relèvent de situations additives, d'autres de situations multiplicatives, de partage, de groupement, puis après plus Plus on avance, on va avoir des problèmes liés à la proportionnalité qui vont apparaître dans les programmes. Ou encore, par exemple, au cycle 4, donc 5e, 4e, 3e, traduire en langage mathématique une situation réelle, notamment par exemple géométrique. Et après, un peu plus tard, apparaît aussi la question de valider ou invalider un modèle, comparer une situation à un modèle connu. On voit qu'a priori, cette compétence modélisée faisant partie des programmes, elle a tout à fait sa place dans les classes. Déjà, je vais me poser la question, qu'est-ce que c'est que la modélisation ? Qu'est-ce que c'est qu'un modèle ? Je vais m'appuyer sur des définitions qu'on peut utiliser en didactique des maths. Un modèle, on peut voir ça comme une simplification de la réalité, qui va s'appuyer sur des hypothèses simplificatrices. que l'on a fait auparavant. Pour construire un modèle, on va utiliser certains paramètres de la situation réelle, mais pas tous. On va en négliger certains autres. Par exemple, typiquement, en physique, on va négliger les frottements de notre skieur qui descend, bien évidemment.
- Speaker #3
Avant qu'il ne tombe.
- Speaker #1
Voilà. Et finalement, ça pourrait définir le modèle. Et la modélisation, ça va être tout un processus. Il y a à la fois ce processus de construction de ce modèle, donc on va finalement faire des simplifications sur la réalité pour arriver à finalement un modèle mathématique. Puis là, après, il va y avoir tout un travail de traitement mathématique où là, on peut dire qu'on est dans le monde des maths, on fait nos maths, on va arriver à un certain résultat. Et puis ce résultat, il va falloir après l'interpréter, déjà au regard des hypothèses simplificatrices qu'on a faites au départ. Et puis après, le but, c'est d'essayer souvent de prédire des choses sur le réel ou de prévoir l'évolution de certains phénomènes, etc. Là... Je parle de la modélisation de façon large. Bien évidemment, je suppose que d'autres invités ont parlé de leurs problématiques personnelles. Donc, les exemples après qui sont donnés dans le programme, notamment on voit au cycle 2, ça va être finalement, oui, on parle de problèmes concrets, mais est-ce que finalement, ce n'est pas déjà des problèmes mathématiques, ou en tout cas déjà proches des mathématiques ? Alors ça, il faudrait aller vérifier plus. plus finement, mais j'ai quand même ce sentiment que finalement, des vrais problèmes de modélisation apparaissent assez peu dans les classes. Alors, je pense qu'il y a des raisons à ça qui pourraient expliquer. Alors, je vais après en parler un peu plus tard. Mais du coup, est-ce que ça aurait un intérêt quand même d'en faire ? Je pense que oui, et pour plusieurs raisons. Alors déjà, parce que les concepts mathématiques, donc effectivement, il y a un aspect qui va être objet, donc c'est-à-dire qu'on fait aussi des maths. Pour faire des maths, on construit ces objets qui ont une existence en soi, pour elles-mêmes, etc. Mais aussi, les maths, c'est un aspect outil, outil pour résoudre des problèmes mathématiques déjà, mais aussi outil pour résoudre des problèmes liés à la réalité, liés à d'autres disciplines. Et quand même, les maths sont là aussi au service des autres disciplines. Je pense que beaucoup de nos élèves... que ce soit dans l'enseignement secondaire, mais aussi finalement dans l'enseignement supérieur, ne vont pas devenir mathématiciens. Et finalement, est-ce que ce n'est pas important aussi de les former à ces questions-là de modélisation ? On parlait tout à l'heure du fait, finalement, pourquoi on fait des maths ? À quoi ça sert cette question qui vient ? Peut-être que des problèmes de modélisation permettraient déjà de leur donner des réponses à cette question. Et par exemple, je pense à des élèves qui sont dans des filières, par exemple, marketing, qui vont avoir besoin de mathématiques, et notamment de construire des enquêtes statistiques, etc. Donc tout ça, pour moi, ça peut avoir un intérêt pour les élèves. Donc à la fois pour leur formation, on va dire, personnelle, professionnelle, mais après il y a aussi sur le versant, je pense, formation du citoyen.
- Speaker #0
Parce que finalement, régulièrement, en regardant les infos, on est confronté à des résultats qui sont issus de modélisations mathématiques. Moi, je trouve que le Covid, ça parle bien, parce que peut-être que là, on mangeait matin, midi et soir, mais on nous disait, prévision du nombre de personnes hospitalisées, comment va évoluer la crise Covid, etc. Tout ça, il faut bien comprendre que ce n'était pas la réalité. On nous disait, c'était en faisant des hypothèses de ça, on va simplifier ça comme ça, ça comme ça. Alors du coup, bon, ce modèle-là, il va me dire, donnez tel résultat. Donc, je prédis que ça va être ça. Et puis finalement, ce n'était pas exactement pareil ce qui allait se passer. Donc, on va finalement revoir les hypothèses qu'on a faites. Peut-être se dire, ah non, là, c'était peut-être un peu trop fort. Je vais réajuster, etc. Et donc, il y a tout ce processus qui se fait. Et je pense que c'est important pour le citoyen de se rendre compte que déjà, ce qu'on nous dit, ce n'est pas directement la réalité, mais c'est une modélisation qui nous a donné ce résultat-là. D'avoir conscience que finalement, plusieurs modèles peuvent traiter du même problème et donc du coup, pas forcément nous donner le même résultat. Et ça ne veut pas dire que ça, c'est complètement faux, ça, c'est vrai. Non, finalement, aucun des données est vrai. Après, il y en a peut-être un qui va nous donner plus de réponses proches de la réalité et qui va peut-être plus nous aider. En tout cas, je pense que c'est vraiment important pour le citoyen de demain, en fait. Rien que pour regarder les informations. Et donc finalement, ce qui va avec ça, c'est d'être capable de distinguer modèle de réalité. Et pas prendre, finalement, des choses qui relèvent vraiment du modèle pour du réel. Moi, je m'intéresse beaucoup à ces questions-là en probabilité. Et donc en pro-bas, en fait, s'il y a bien un chapitre... Quand on ouvre les manuels où on parle de contexte réel, c'est les probas. Tous les exos, il y a un contexte, machin, machin. Et en fait, en analysant ça, il y a un moment, je me suis dit, mais en fait, quand on parle de notre dé, on lance notre dé, proba un sixième, de tomber sur la phase 5. Mais finalement, est-ce que ça, c'est tous les dés ? Qu'est-ce que c'est que ça ? Non, en fait, c'est un modèle. On va créer un modèle. Et bon, voilà. Qu'est-ce qu'il y a derrière ? On suppose que notre dé, c'est un cube parfait. Et donc voilà, ça paraît logique, vu la symétrie, d'associer la même proba à chacun. Et donc, vu qu'il y a six faces, une proba à un sixième. Mais finalement, on pourrait très bien imaginer un autre modèle. Oui, mais les dés, déjà, il y a des creux. Il y a certaines faces où il y a un creux, une constellation, et il y en a d'autres où il y a six. Donc on pourrait très bien imaginer un autre modèle qui prenne en compte le fait que ce ne sont pas exactement les mêmes faces. Et donc finalement, l'idée, c'est pas d'aller chipoter, d'aller chercher des modèles compliqués pour le dé. Mais c'est déjà d'avoir conscience que même avec le dé, déjà, on fait une simplification. Et que quand on parle du lancer de dé, quand on est en probabilité, on n'est pas dans notre dé réel. Et que là, OK, on a fait des simplifications.
- Speaker #1
C'est déjà un cadre idéalisé, quoi.
- Speaker #0
Exactement. Et d'avoir conscience qu'en fait, la plupart des exercices en pro-bas, en fait, c'est déjà un monde idéalisé. Et alors certainement que... les enseignants peuvent en avoir conscience, mais les élèves, est-ce que ça leur est explicité, ça, à un moment donné ou pas ? Et puis finalement, s'ils arrivent après à faire des problèmes de modélisation, est-ce qu'ils vont se rendre compte que même avec le D, finalement, ils faisaient des simplifications ? Est-ce qu'ils vont s'octroyer le droit de faire des simplifications sur d'autres problèmes plus complexes, etc. ? Je pense qu'il y a toutes ces questions-là qui seraient intéressantes de travailler en classe, même sur des petites choses. Par exemple... En terminale, on parle de la loi binomiale. Et puis, on va dire, ah oui, on va tirer. On va prendre un échantillon, par exemple, sur des pièces et on va voir si elles sont défectueuses, etc. Et puis souvent, on va dire, oui, ça, c'est comme une remise. Enfin, comme on tire au sort avec remise. Dans la réalité, on ne le fait pas avec remise. Si on a pris un truc, on ne va pas le reprendre de même. Mais alors, du coup, il y a toutes ces questions de, est-ce que ça, on ne pourrait pas se poser la question ? Pourquoi on a le droit quand même de considérer que ça avec remise ? Pourquoi ça nous intéresse de considérer que ça avec remise ? Qu'est-ce que ça va nous arranger pour après nos calculs ? En fait, ça ne pose pas de problème si on a un stock hyper grand, de considérer avec ou sans remise, ça ne change pas nos résultats. Par contre, ça nous arrange grandement pour faire notre traitement mathématique derrière. Donc voilà, chaque point, c'est des petits points qui sont intéressants d'aborder dans l'enseignement et aussi dans l'enseignement supérieur et aussi dans les filières mathématiques. parce que je me suis un peu posé la question en préparant ça je me suis dit mais en fait moi dans tout mon cursus j'ai jamais fait de modélisation je me suis juste retrouvée en agrègue à avoir l'option en modélisation et là finalement il faut arriver l'équivalent du M2 pour la première fois de sa vie se poser des questions sur la modélisation sachant que je sais pas si c'est la meilleure année pour se poser ce type de questions donc du coup pourquoi si c'est à l'agrègue c'est que c'est soi-disant peut-être important mais du coup pourquoi si c'est important ça n'arrive pas avant Et pareil, je pense que beaucoup de doctorants qui font des maths appliquées se trouvent dans des situations où ils abordent de la modélisation. Et donc, pourquoi finalement, ça ne devrait être qu'en thèse qu'on découvre tout ça ? Et ça va avec le dernier point qui est, est-ce qu'on a besoin de connaissances particulières autres que purement mathématiques pour faire de la modélisation ? Je pense que oui. Parce que finalement... il y a une partie mathématique donc on a besoin des concepts mathématiques après pour faire tout le traitement mathématique mais en fait je pense qu'il y a d'autres éléments qui sont importants déjà suivant le contexte dans lequel on est en train de travailler on travaille sur le réel mais ça va être en lien certainement avec une autre discipline donc après on peut imaginer dans les classes de faire des cas simples on n'a pas besoin de connaissances en biologie etc voilà mais en tout cas il y a éventuellement ces connaissances d'autres disciplines mais après il y a aussi tout un toute une façon de penser qui est différente. En maths, quand on est vraiment dans un problème de maths, a priori, il ne va y avoir qu'une réponse correcte à la fin. Là, il faut bien comprendre que, suivant les choix qu'on va faire à un moment donné, on ne va pas arriver au même résultat. Et ça, pour moi, ça s'apprend. Il faut que les élèves en aient conscience, qu'on mette des mots là-dessus. Et aussi... On doit faire des choix, faire des choix qui ne sont pas dans l'énoncé. C'est nous qui devons décider. Ça n'arrive jamais en mathématiques. On ne doit apprendre que ce qui est dans l'énoncé. On n'a pas le droit de rajouter des choses comme ça. Donc, finalement, on voit que le contrat, il est différent entre ce que l'enseignant attend d'habitude et ce que là, il pourrait attendre. Donc, tout ça, je pense que c'est des choses qui s'apprennent, comprendre tout ce processus. Et puis après, il y a toute la partie de validation, invalidation d'un modèle. Est-ce qu'on peut invalider un modèle ? Toutes ces questions-là, je pense qu'elles sont importantes et qu'elles traitent finalement d'autre chose que simplement des connaissances mathématiques.
- Speaker #2
Tout à fait.
- Speaker #1
C'est intéressant ce que tu dis parce que dans mon cursus, la première année à Cachan à l'époque, à l'ENS Cachan, il y avait un cours de modélisation. Et c'était un insuccès auprès de la promo, terrible. Mais en fait, on arrivait de prépa habillés d'epsilone de partout là et on nous demandait de comprendre des trucs que moi j'ai compris après. mais tu vois en quatrième année ou après en thèse Mais c'est exactement ce que tu dis là. En fait, on avait été très bien formaté au concept d'un énoncé théorique, une preuve, petit carré, c'est la fin là. Ça, tu vois, c'est bien, mais ce qu'on peut faire avec... Et c'est vraiment un truc qui pourrait se corriger au niveau de la formation parce que tu vois, en Angleterre, par exemple, ils ont une manière, par exemple, pour les gens qui font de la mécanique des fluides, y compris du côté des maths, ils ont une partie de leur cursus où ils ont... Oui, ils font de la mécanique des fluides aussi, mais liée avec... Ce que ça représente vraiment. Ils ont vraiment une manière assez différente d'appréhender. Et je trouve que tu as mis un doigt sur un truc que je n'avais jamais remarqué, qui est que les probas, en fait, elles sont toujours introduites comme ça. C'est vrai. Ça ne viendrait pas à l'idée. Pourtant, c'est le cas de tout le reste du domaine, de dire soit une tribu et machin, et de commencer les probas comme ça au lycée ou au collège.
- Speaker #2
Je pense qu'il y a aussi des aspects très culturels dans ce que tu décris. parce que Par exemple, les livres d'enseignement des mathématiques aux Etats-Unis sont beaucoup plus fréquemment motivés systématiquement par des choses réelles. Il y a par exemple un bouquin de Lay qui s'appelle Linear Algebra. Et chaque début de chapitre sur vraiment de l'algebra linéaire de début d'études supérieures est vraiment introduit par un aspect pratique et pas du tout un aspect pratique. artificielle. C'est-à-dire que ce n'est pas du tout je suis allée au marché pour mes trois choux et mes trois patates, j'ai payé tant d'euros, et pour quatre choux et deux patates, j'ai payé tant qu'elle ait pris du chou ou d'une patate. Ce qui n'arrive jamais dans la vraie vie. Et c'est assez intéressant de voir ce renversement et cette espèce de choix, en fait, de communauté, de mettre les mathématiques et la modélisation en relation, à quel niveau, pour qui, et je pense qu'effectivement c'est quelque chose qu'on... qu'on fait sans doute plutôt bien dans les écoles primaires où il y a quand même des aspects de manipulation et de choses comme ça. Et puis après, qui part complètement. Et c'est vrai qu'il y a beaucoup de mathématiciens qui sont un peu dégoûtés à l'idée de devoir faire un modèle.
- Speaker #0
En tout cas, tu as raison, c'est tout à fait culturel. Et par exemple, aux Pays-Bas, ils ont vraiment ce côté-là... dans l'enseignement primaire et secondaire, vraiment de proposer tout le temps des situations réelles où les élèves sont vraiment en train de rechercher des choses. C'est vraiment des aspects qui sont différents culturellement. Il y a vraiment un impact là-dessus, ça c'est sûr. Et clairement même en France, de toute façon, dans l'enseignement secondaire, les programmes influencent. Donc c'est sûr qu'il y a quand même un aspect lié au pays. Oui, oui,
- Speaker #2
bien sûr.
- Speaker #3
Super, tu viens d'éclairer, en plus c'est quand même une grosse partie de nos métiers aussi, on fait des maths appliquées, tu viens d'éclairer la modélisation d'une nouvelle lumière, donc merci beaucoup pour cette carte blanche. Donc avant qu'on se quitte, qu'est-ce que tu souhaites recommander, un peu de nourriture culturelle pour nos auditeurs et auditrices ?
- Speaker #0
Alors moi du coup ça ne va pas être, je ne sais pas si on peut appeler ça culturel, mais en tout cas j'avais envie de parler d'un jeu qui s'appelle Turing Machine. Je ne sais pas si vous connaissez, en tout cas, c'est un jeu à la fois qui peut se jouer soit en individuel, soit en équipe, en collaboration ou au contraire en adversité et qui fait travailler, je trouve, les aspects logiques. En fait, les propositions logiques, on doit décrypter un code à trois chiffres et tout ça en posant des questions à notre machine.
- Speaker #3
Mais c'est sous quelle forme le jeu ? C'est un jeu de société ?
- Speaker #0
Oui, c'est un jeu de société. Mais alors après, il y a beaucoup de codes possibles et il y en a qui sont sur une application. On choisit une carte et puis après on nous dit lesquels positionner. Et donc du coup, on a des choses à interroger. Par exemple, il peut y avoir une carte où on va tester si le deuxième chiffre de notre code, il est strictement inférieur à 4, égal à 4, supérieur à 4. Et donc, du coup, on va tester, on va avoir notre réponse, si oui ou non. Et puis du coup, après, suivant les réponses, on a des indications sur ce code-là, etc. En tout cas, moi, en y jouant, je me suis posé plein de questions. Je me suis dit, ah ouais, comment on peut l'utiliser dans les classes, etc. Je pense vraiment que c'est intéressant pour travailler tout ce qui est logique mathématique.
- Speaker #3
Super, très bien. Est-ce que quelqu'un autour de la table a une autre recommandation ?
- Speaker #2
Moi, je peux vous conseiller quelque chose qui rejoint un peu le jeu, mais cette fois-ci, un jeu qu'on fait en personne, en se déplaçant. Et je voudrais vous recommander la Fête de la science, qui est un événement national qui a lieu chaque année en octobre sur des thèmes. Et dans les sciences, il y a les mathématiques, donc il y a des choses proposées autour des mathématiques. Donc par exemple, dans le Tarn-et-Garonne à Beaumont-de-Lomagne, il était possible de faire un SkyBI mathématique et océan d'action pour combiner la science des données... et la prise de décision pour voir comment réduire nos empreintes carbone. Ça donne vachement envie d'y aller. Et il y en a à tous les endroits, un peu sur tous les campus. Et puis, ce qui est vachement sympa, c'est que vous allez forcément tomber sur des trucs imprévus, des sciences que vous ne saviez pas qu'elles existaient, et en ressortir amusées et enrichies. Et puis, je ne le conseille pas seulement pour le public, ou vous pouvez vraiment, en tant que public, allez-y. C'est vraiment fait pour vous. Il n'y a aucun doute à avoir. mais je le conseille aussi pour... les enseignants et les enseignantes qui peuvent amener des classes à la fête de la science. Il y a toujours des actions prévues. Et aussi, si vous êtes chercheur, chercheuse, y compris doctorant ou doctorante, vous pouvez participer à l'animation de ces ateliers. Il faut savoir qu'il y a des ateliers qui viennent clés en main. Moi, j'en ai fait un cette année sur la théorie des nœuds. Je n'y connaissais rien. J'avais une petite fiche, tout était expliqué. Et je pouvais, après une lecture de, je ne sais pas, peut-être une demi-heure, animer un atelier avec des lycéens et le grand public. Et en fait, c'est vachement agréable parce que déjà, vous allez vous amuser, vous allez découvrir des trucs sous une forme différente, beaucoup plus ludique que tous ces moments où vous cherchez à démontrer quelque chose et ça prend beaucoup de temps. Et puis, vous allez avoir cette interaction avec des gens qui viennent juste en curieux pour se faire plaisir. Et alors moi, je vous conseille vraiment mon moment préféré dans ces moments-là, c'est les parents et les grands-parents qui amènent des enfants qui sont petits. Et les enfants qui sont petits, ils réagissent très diversement, mais parfois, c'est juste pas leur truc, ils s'ennuient un peu. Et vous allez voir derrière les adultes qui essayent de se tenir sages et discrets, et puis tout d'un coup, ils s'allument quelque chose dans leur regard. Ils ont compris. Et ça, c'est vraiment un plaisir d'assister à ça chez des gens qui sont très divers et qui vont souvent vous dire « Ah, moi, les maths, j'aimais pas ça » . Et en fait, on se rend compte que si ils aiment ça, c'est juste un mauvais souvenir et que la curiosité mathématique, elle est présente chez tout le monde et on peut la raviver, quel que soit votre âge et quel que soit votre niveau scolaire.
- Speaker #3
Eh bien, superbe ! De belles recommandations ludiques aujourd'hui. Voilà de quoi amuser nos auditeurs et auditrices. Parfait, ça nous permet de finir tranquillement cette émission. Mais avant de se quitter, on va faire la traditionnelle question de fin. Charlotte, qu'est-ce que tu souhaites accomplir ?
- Speaker #0
C'est une question vraiment super compliquée. Je me suis torturée pour essayer de réfléchir. Je crois que je vais donner un truc à accomplir, mais plus pour la communauté didactique des maths. J'espère qu'on va réussir à continuer à... irriguer les formations des enseignants et notamment peut-être, et là c'est peut-être un peu utopique ou en tout cas plus de challenge aussi irriguer la formation des enseignants du supérieur et ça je pense que ça serait vraiment une belle un bel accomplissement,
- Speaker #3
une belle réussite exactement alors j'aime bien parce que les souhaits des invités à chaque fois on a tous à gagner à ce qui se réalise là pour le coup si t'arrives à irriguer Le supérieur, on est aussi concerné, ça nous aidera. Donc évidemment, c'est tout ce qu'on te souhaite. Merci beaucoup, Charlotte, d'être venue.
- Speaker #2
Merci, Charlotte.
- Speaker #3
C'était vraiment très chouette.
- Speaker #0
Merci beaucoup à vous.
- Speaker #3
Et puis évidemment, bien sûr, comme toujours, merci à mes acolytes du jour. Aujourd'hui, Nina et Ayman.
- Speaker #1
Merci à toi, Nathalie.
- Speaker #2
Merci, Nathalie.
- Speaker #3
Et enfin, merci également à vous, auditeurs et auditrices, d'être restés jusqu'au bout. Si ça vous a plu, n'hésitez pas à aller mettre 5 étoiles sur Apple Podcasts ou Spotify, même si vous nous écoutez traditionnellement par d'autres canaux. ça prend très peu de temps, mais ça aide énormément avec les algorithmes. Et n'hésitez pas également à vous rendre sur la chaîne YouTube du podcast pour aller liker et commenter. Vous trouverez les liens pour vous y rendre dans la description de l'épisode. Comme toujours, c'était un plaisir. À bientôt dans le prochain épisode.