Speaker #0Le 22 octobre 1895, sur la place de Rennes, les passants ont assisté à une scène surréaliste, témoin du plongeon d'un train de l'étage de la gare. Un accident hors norme au bilan miraculeux. Laissez-moi vous raconter l'histoire de l'accident ferroviaire de la gare Montparnasse. Bienvenue à bord, vous écoutez Train de nuit. Ce jour-là, le train 56... express de Grandville à Paris comporte une locomotive, un tender qui est un wagon qui transporte l'eau et les combustibles pour la locomotive, deux fourgons qui sont des wagons qui transportent les bagages, un wagon poste, une dizaine de wagons de voyageurs et un autre fourgon. À ce moment-là, le train a pris du retard et les conducteurs décident d'accélérer à partir de la gare de Versailles. Ils freinent avant la pente qui descend vers Paris, comme le demande le règlement, et ralentit. Mais 800 mètres avant le terminus, le frein ne répond plus. Le mécanicien tente plusieurs manipulations pour ralentir la machine, mais en vain, puisqu'elle ralentit que de quelques kilomètres heure. Le train continue sa course à toute allure, entre en gare voie 6 et défonce l'heurtoir, traverse la façade de la gare, s'avance sur la terrasse et brise le parapet. Il finit sa course 10 mètres plus bas, la locomotive à la verticale, le nez enfoncé dans le sol recouvert de débris. Le choc a stoppé toutes les horloges de la gare. Il est 4h pile, le train s'est enfin arrêté. Mais comment un tel accident a pu arriver ? On apprend d'après l'enquête que c'est une défaillance technique au niveau des freins couplée à des erreurs humaines qui ont causé l'accident. Cependant, on se questionne. Pourquoi le train tout entier n'a pas suivi le chemin de la locomotive ? L'hypothèse avancée est que la verticalité de la locomotive a agi comme un heurtoir pour le reste du train. Ceci couplé au déclenchement des freins à air de tous les autres wagons, à partir du wagon 3, qui se sont mis en marche grâce à la chute de la locomotive. Et à ce propos, c'est en partie grâce à cela que le nombre de victimes est minime, car aussi incroyable que cela puisse paraître, on déplore une seule victime. Aucune personne à bord du train n'a été gravement blessée. Mais vous allez voir, bien d'autres circonstances surprenantes ont permis d'éviter une hécatombe. D'abord, le chauffeur et le mécanicien ont survécu à cet accident suite à une scène digne d'un film d'action. Chacun de leur côté, sur la plateforme, tenant d'une main la rampe, ils ont été propulsés ou ont sauté avant la chute du train. Malgré cette chute violente, le chauffeur s'en est sorti uniquement avec une luxation du poignet. Bien qu'on peut aisément imaginer tout de même le traumatisme que cet événement ait pu engendrer chez eux. Quant aux voyageurs et au personnel, présents dans la gare, personne n'a été blessé malgré les importants dégâts matériels engendrés par les multiples éclats du heurtoir. Devant la gare, une rame de tramway avec une trentaine de voyageurs à bord, stationnés à l'endroit exact de la chute de la locomotive. Par miracle, les chevaux qui tiraient la rame ont pris peur en entendant le bruit de la collision du train contre le heurtoir. Ils se sont déplacés malgré les freins et grâce à eux, tous les passagers ont été sauvés. De plus, devant le stationnement pour tramway, il y a des abris qui ont été abîmés pendant le choc. Habituellement, ces abris sont plutôt fréquentés. Mais une fois de plus, par chance à ce moment-là, il n'y avait personne. Comme vous le voyez, il y a eu un enchaînement de circonstances heureuses qui ont mené à ce bilan miraculeux. Malgré cela, une personne a perdu la vie lors de cet accident. Penchons-nous maintenant sur son histoire. Les informations sont plutôt variables la concernant, ce qui est plutôt... consternant étant donné qu'il est question de l'unique victime de cet accident. Il s'agit de Marie-Augustine Aguillard, Aguillard ou Aquillard, née le 17 février 1857. Au moment des faits, elle a 37 ans et mariée, mère de deux jeunes enfants et couturière de profession. Ce jour-là, elle remplace son mari au poste de vendeur de journaux devant la gare. Malheureusement, elle était placée à l'endroit de la chute de la locomotive. Elle meurt tragiquement, écrasée par les débris. Le mécanicien et le conducteur ont été poursuivis pour homicide par imprudence pour la mort de la victime. Le mécanicien a écopé de deux mois de prison avec sursis et une amende. Le conducteur, quant à lui, a uniquement écopé d'une amende. C'est le 25 octobre, à 9h du matin, que Marie-Augustine sera inhumée au cimetière de Montrouge. Les jours qui ont suivi l'accident ont été très animés autour de la place. En effet, imaginez l'aventure... qu'a dû être de débarrasser ce train. Cette aventure commence avec une cinquantaine d'ouvriers qui essaient de tirer la locomotive à l'aide d'une chaîne. La foule semble amusée du spectacle et crie en chœur Tombera, tombera pas mais la locomotive ne bouge pas. Puis, 15 chevaux sont appelés et pas plus de résultats. Finalement, un vérin permet de faire tomber la locomotive sur le côté, puis, grâce à deux autres vérins, de la soulever et de la poser sur un chariot tiré par 25 chevaux. Pendant la chute, la locomotive s'est détachée du tender et celui-ci sera enlevé grâce à deux grues. A partir de l'accident, jusqu'à l'enlèvement de la locomotive, les restaurants et cafés alentours ont vu leur activité exploser. C'est également le cas des tramways, qui profitent d'une fréquentation exceptionnelle. De nombreux curieux ont tenté d'approcher la locomotive en usant de divers stratagèmes, mais ont été rapidement repérés par les agents de sécurité. Comme on peut s'en douter, cet accident spectaculaire a marqué les esprits, au point qu'on en retrouve des références dans diverses œuvres à travers le globe. On retrouve par exemple une réplique de l'accident sur la façade de l'entrée du musée Mundo à Vapor au Brésil. Dans le monde de la BD, il semble que cet événement ait inspiré Jacques Tardy pour l'une des aventures extraordinaires d'Adèle Blansec, mais aussi Spirou et Fantasio et même Man Ray dans le recueil de poèmes Les mains libres. Pour ce qui est de la musique, on retrouve pas moins de trois groupes qui ont utilisé la photo de l'accident comme image pour leur pochette de disque. Le cinéma non plus n'est pas en reste avec notamment le film Hugo Cabré de Scorsese où l'on peut carrément voir une reconstitution de l'accident. Après cette affaire, qui aurait pu imaginer que près de 40 ans plus tard, la ligne de Grandville-Paris ferait à nouveau l'objet d'un incident ? À 19h15, quelques kilomètres après la gare de Vire, dans le département du Calvados, un autorail venant de Grandville, lancé à 80 km heure, percute un poteau de 15 cm de diamètre placé en travers de la voie. L'autorail déraille 20 mètres plus loin. parcourant encore 200 mètres en dehors des voies. Heureusement, il ne se renverse pas grâce à un autre autorail qui lui est accouplé. Cette fois encore, la chance est au rendez-vous, car aucun membre du personnel ou passager n'a été blessé dans l'accident. On ne déplore donc aucune victime. Cet incident, qui aurait pu être grave, se révèle être criminel. L'adjudant Tanguy et les gendarmes Gauthier, Fautrel et Offray arrivent sur les lieux et sont rejoints plus tard dans la soirée. par le parquet. Par un malheureux hasard, un témoin a rencontré les criminels quelques minutes avant l'accident. Bernard Roussin, un jeune homme de 17 ans qui venait de quitter son travail à la laiterie de Neuville, rentrait chez lui en longeant la voie. A l'endroit précis où le poteau avait été placé, il croise trois hommes, dont un de taille moyenne portant un béret basque, qui le menace en lui disant Ne repasse pas par là ou je te descends Un homme correspondant à la description faite par le parquet par le témoin, accompagné de deux autres hommes, ont été aperçus par le parquet lui-même à la gare de Vire, montant au dernier moment dans un train en direction de Paris vers minuit. L'article de presse du 11 janvier 1937 du journal l'Ouest éclair émet l'hypothèse d'une vengeance de travailleurs ayant été licenciés d'une entreprise privée chargée d'un service de la voie. Je n'ai trouvé aucune information sur les résultats de l'enquête, ni si les coupables ont été identifiés, retrouvés et jugés. Le voyage à bord du train de nuit touche à sa fin. J'espère que vous l'avez apprécié en ma compagnie. Si c'est le cas, rendez-vous bientôt pour un prochain départ.