- Speaker #0
Bienvenue dans Trajectoire. J'ai toujours aimé raconter des histoires, parce qu'une histoire c'est une trajectoire. Un fil qu'on déroule avec ses lignes brisées, ses virages, ses élans, ses silences. Il y a des débuts qu'on n'a pas choisis, des accidents, des échecs, des moments de lumière qu'on voudrait revivre, et des choix qu'on regrette ou qu'on porte fièrement. Trajectoire, c'est un podcast qui donne la parole à ce qu'on admire, qu'on suit, qu'on croit connaître, mais dont on ne connaît souvent qu'une facette. Je les invite à revenir sur ce qui les a construits. à dire ce qu'ils ne disent pas toujours, l'enfance, les manques, les rencontres, les renoncements, les renaissances. Ici, c'est un espace intime, une voix, un récit, en somme, une trajectoire. Pour ce tout premier épisode, Aurélie Saada nous ouvre les portes de son appartement niché dans le 9e arrondissement de Paris. Un lieu à son image, chaleureux, vibrant, baigné d'art déco et de lumière. On s'installe dans son salon et très vite, je lui pose la question qui me brûle les lèvres. Parle-moi de ton enfance, parce que c'est souvent là, dans les premières années, que tout commence.
- Speaker #1
J'ai grandi dans le 10e arrondissement de Paris, rue de l'hôpital Saint-Louis. Je suis née d'abord rue de la Grange-aux-Belles, puis ensuite, mes premiers souvenirs sont vraiment rue de l'hôpital Saint-Louis. On habitait au 6e étage avec mes parents et ma grand-mère habitait au 3e étage avec un des frères de ma mère qui était encore là. et qu'elle ait passé son bac. Je pense dans les premières années de ma vie, je me souviens d'avoir emmené mon oncle passer son bac, les césauros avec toute la famille. Donc j'ai grandi dans un immeuble un peu moderne, ces immeubles des années 50-60, je crois que mes grands-parents avaient emménagé là et avaient acheté sur plan. On était dans le même immeuble. C'était très sympa. J'avais ma super copine aussi, Bintou, qui était au même étage que ma grand-mère, au troisième étage, la porte d'à côté. Voilà, une ambiance très chaleureuse dans ces immeubles du dixième arrondissement où les cultures se mélangeaient, les générations. Il y avait des jeunes, des vieux. Les enfants se baladaient d'un étage à l'autre, je descendais chez ma grand-mère avec ma copine, Bintou, puis on remontait chez mes parents. Ouais, je crois que j'ai été élevée comme ça, dans une espèce de joyeux bordel où la table est centrale, où on est toujours le bienvenu. On est toujours le bienvenu. Chez mes grands-parents, on était toujours le bienvenu. Chez mes parents, on était toujours le bienvenu. Et j'espère que chez moi, on se sent toujours le bienvenu. C'est très important pour moi. Oui, alors j'ai grandi aussi dans un appartement où la table de cuisine était très grande. Et c'était à la fois un lieu de fête et de discussion profonde. Et ma mère est psychanalyste. Et c'est vrai que la parole était très libre chez moi. Et que c'était un refuge, la cuisine. Pour les copains, pour nous, pour les adultes. comme pour les adolescents que nous étions, on parlait, on apprenait, j'écoutais, j'entendais ces concepts, ces philosophes qui venaient discuter, qui dormaient à la maison, qui dînaient, il y avait quelque chose d'une... assez inédit. J'ai même, il n'y a pas très longtemps, un ami m'a fait l'aveu, il m'a dit Je l'ai perdu de vue pendant des années et je l'ai recroisé parce que, il se trouve, suite à une séance de psychanalyse, on s'est retrouvés à côté. Donc il m'a dit, écoute, j'ai entamé une psychanalyse parce que pour moi, ça correspondait à la liberté. Ce qui se passait chez toi quand on était adolescent, c'était une fenêtre sur la possibilité de quelque chose d'autre. Tout était possible. On pouvait être quelqu'un d'autre. On pouvait sortir de... de nos origines, de là d'où on venait, on pouvait créer en fait. Et je disais c'est marrant et il m'a dit j'associais ça à la psychanalyse dont on parlait beaucoup chez toi autour de cette table. Alors c'est vrai que j'ai grandi avec cette chance-là d'avoir une parole écoutée et que chaque parole puisse être écoutée. Le jeu de la question plus que celui de la réponse. C'était ça qui nous importait, c'était ce qu'on voulait, c'était de débattre, c'était de discuter, c'était de réfléchir, ça m'a jamais lâchée. Voilà, et donc j'ai grandi dans une famille comme ça, juive orientale, pas religieuse, même pas pratiquante, symboliquement pratiquante on va dire. Donc on n'a jamais grandi avec des prières ou quoi, ni des superstitions, mais plus avec... Quelque chose autour de la bouche, de la convivialité, du partage. Mes parents se sont séparés. Alors mon père faisait des allers-retours et il a fait un départ définitif. Quand j'étais assez... Je devais avoir quand même 18 ans, quelque chose comme ça. Ah d'accord. 18-19 ans. J'étais quand même jeune adulte, quoi, on va dire.
- Speaker #0
Donc t'as élevé quand même.
- Speaker #1
Mais en faisant des allers-retours. Mais oui. Mon père était quelqu'un qui... qui jouait beaucoup avec nous quand on était petite, qui était vraiment le meilleur des papas pour des gosses. C'était vraiment... Il avait toujours des jeux, il se déguisait, il aimait... J'ai l'impression que mon père jouait avec nous. Et puis je crois qu'il a un peu perdu pied à l'adolescence. Il y a quelque chose qui a été un peu compliqué pour lui, j'imagine. Il nous a... Enfin moi, en tout cas, j'ai l'impression qu'il ne m'a plus supportée. à partir du moment où j'ai commencé à devenir un peu plus jeune fille, un peu plus femme.
- Speaker #0
Peut-être à t'émanciper un peu aussi.
- Speaker #1
Peut-être un peu. Puis je crois que je n'étais pas totalement naïve et que je voyais bien le jeu qui se passait entre mon père et ma mère. Je crois que j'ai été témoin un peu des mensonges de mon père, de ses jeux d'adultes. J'ai vu ma mère en détresse et j'ai vu mon père pas très fair-play. Peut-être que c'est un âge où on a envie de prendre partie. Je ne sais pas si j'avais envie de prendre partie. En tout cas, je pense que c'est à ce moment-là qu'il m'a lâchée. Est-ce que c'est sa culpabilité vis-à-vis de mon regard ou mon regard qui était dur ? Je n'ai jamais vraiment su, mais on s'est un peu perdu. Mon père et moi, quand j'étais assez jeune, du coup, début de l'adolescence. C'est marrant, j'étais une fille très paradoxale quand même. Maintenant, quand j'y pense, quand je raconte mon histoire, je me dis, tiens, il y avait ça, mais il y avait aussi totalement l'opposé. J'étais une fille plutôt sage et plutôt bonne élève. J'ai intégré un super lycée en seconde. J'avais un an d'avance, donc j'ai passé mon bac à 16 ans. J'étais au lycée Condorcet. Mais en fait, moi, ce qui m'intéressait, c'était vraiment les sorties, les mecs, la musique, la nuit, les bains-douches, le bus palladium, le rock'n'roll. Et le hip-hop. Et en même temps, j'étais une fille plutôt sage. Je n'ai jamais été dans les excès. Je ne buvais pas. Je ne me droguais pas. Je fumais un peu des clopes. Mais j'aimais la danse. J'aimais la nuit. J'aimais les oiseaux de nuit.
- Speaker #0
Puis cette époque-là, c'était...
- Speaker #1
J'aimais les grands. Il y avait quelque chose. Je me souviens de ces nuits à danser. Est-ce que c'était cette époque où le dance floor était vraiment une valeur ? La house music arrivait, il y avait quelque chose, on voulait danser. Mes parents me faisaient hyper confiance, ça a été une chance d'ailleurs. D'abord parce que je crois que je travaillais bien, je me levais le matin, j'allais au lycée et ils n'avaient pas des mots d'absence ou de mauvais comportement, j'avais pas des notes pourries donc c'était c'était Je crois qu'il y avait une espèce de confiance. Et puis, justement, parce qu'ils m'ont fait confiance, j'avais une forme de responsabilité. Très jeune, il fallait que j'assure. Donc, on me disait, tu sors ce soir, mais tu rentres à quelle heure ? Je rentrerai à 4h30 et à 4h. Ma mère me dit toujours, tu disais que tu rentrais à 4h30 et à 4h20. J'ai eu mon bac à 16 ans. Ouais, c'est tout. Ouais, c'est tôt. Je ne me rendais pas compte que c'était tôt. Mais je pense que j'avais une espèce de... J'étais tellement responsable quand j'étais moum. Il y avait quelque chose de sérieux dans ma... Il y avait comme une forme d'équilibre entre la fête et le sérieux. J'ai toujours aimé cet équilibre-là entre une situation un peu risquée et en même temps moi qui étais... plutôt la tête sur les épaules, mais j'ai pas vraiment confiance en moi. Je chante, à l'époque, j'ai une voix un peu particulière, grave, et souvent on me demande de chanter, alors je chante dans des choses... des karaokés, des piano-barres, des reprises. Mais je ne me suis jamais sentie capable d'écrire, assez confiante pour oser écrire. J'ai toujours eu l'impression que mes mots n'étaient pas assez bons, que je n'avais pas confiance en moi, que je n'en étais pas capable en fait. Je pense que j'étais comme une éponge. Je te parle de l'adolescence vraiment. Je pense que j'étais une éponge. Je tombais amoureuse d'un garçon et j'attrapais toute la culture qu'il aimait. Je trouve que les filles d'ailleurs ont souvent quelque chose de ma génération, quelque chose d'assez amusant par rapport aux garçons. C'est qu'elles ont une très grande culture musicale, plus large. Elles sont peut-être moins spécialistes mais elles connaissent plein de choses dans plein de styles différents. Et moi je me suis toujours dit, c'est parce que quand je tombais amoureuse, j'embrassais tout l'univers qui allait avec. Donc si je tombais amoureuse d'un mec qui écoutait que du grunge, j'écoutais que du grunge. Si je tombais amoureuse d'un mec qui écoutait que du rap, j'écoutais que du rap. Et j'étais très amoureuse, du coup vraiment j'écoutais beaucoup. Et c'est assez amusant, donc je ne saurais pas dire si... Si j'avais véritablement des idoles, j'avais des obsessions, mais qui étaient certainement plus liées à ma libido qu'à mes goûts profonds. Je pense que c'est venu plus tard, que mes goûts sont arrivés plus adultes. Moi j'ai démarré ma psychanalyse quand j'avais 20 ans, donc très tôt en fait, je me suis dit « j'ai envie d'y aller là » . Et aussi parce que, comme je te disais, j'étais bonne à l'école. J'étais prise quand je passais une audition, mais profondément, je ne savais pas ce que je voulais. J'ai passé mon bac et j'ai été engagée pour jouer dans une comédie musicale l'été de mon bac. J'avais une copine de ma mère qui était danseuse pour les ballets de Reda. Et Reda mettait en scène une comédie musicale. Et au Bataclan, on m'a dit, « Betty, il faut que tu dises à ta fille qu'elle vient de passer les auditions, c'est sympa. » Et donc, je suis allée passer les auditions. Et j'étais prise. C'était chouette. J'ai eu mon premier boulot d'intermittente. J'avais 16 ans. C'était dingue, sur un spectacle, avec plein de danseurs, avec un chorégraphe, avec des chanteurs qui avaient l'habitude, qui avaient de la bouteille. C'était assez fou. C'était génial, d'ailleurs. je me suis retrouvée dans un dans un milieu assez dingue. C'est les années 90, c'est le milieu de la danse. Jeune, j'ai été confrontée avec moi, en loge, à des gens confrontés au sida, à toute la fantaisie des drag queens, parce que la plupart des gens qui dansaient avec moi ou qui nous maquillaient étaient des... des drag queens emblématiques, iconiques de cette époque-là. En plus, j'étais dans un milieu où il y avait de la profondeur et une forme de légèreté. J'ai toujours aimé cette balance entre quelque chose qui est très sérieux et quelque chose qui jette des paillettes. J'ai toujours aimé ça. D'ailleurs, je crois que dans tout ce que je fais, Il y a de ça. Il y a toujours caché sous les plumes, les paillettes, le grand sourire, quelque chose d'une blessure, quelque chose d'une profondeur. Il y a quelque chose de cet équilibre en tout cas qui est très important pour moi. Mais je pense que c'est né là, ou peut-être même avant. C'est pour ça que j'adore. J'adore Dalida. Je me suis retrouvée sur scène pendant plusieurs mois dans ce spectacle qui s'est arrêté un peu brutalement. Et puis ensuite j'ai été engagée dans un autre spectacle pendant quelques mois. Et puis l'année s'arrête. J'étais en faculté de droit quand j'ai démarré ce spectacle-là. Je me suis un peu arrêtée en me disant « J'ai l'impression que ce n'est pas vraiment mon truc finalement. La faculté de droit, je ne vais pas... » Je suis pas sûre de devenir avocate. Donc j'ai arrêté. Et la rentrée arrivait, je me dis bon il faut que je me trouve une école. J'avais pas du tout envie d'être comédienne mais je savais pas où aller. Et je me suis inscrite à l'école Florent. Par hasard. Pas du tout par désir. Parce que je ne savais pas où aller. Parce que clairement, je n'avais pas de désir à cette époque-là. Je n'avais pas véritablement d'icône. Je n'avais pas d'idole. Je n'avais pas de... Je ne savais pas qui j'étais. Et donc je vais dans ce cours Florent. Et je me souviendrai toujours d'un des premiers exercices qu'on nous donne à faire dans la petite période probatoire au tout début. Le professeur nous demande de monter sur scène. Et il nous dit... Alors, un par un, vous allez monter sur scène et l'exercice, c'est surprenez-vous, surprenez-moi. Et moi, je suis montée sur scène, j'ai fait n'importe quoi. Je ne sais pas, je suis montée sur scène, j'ai fait genre je chante faux alors que je chantais juste, mais personne ne me connaît. Enfin, tout était absurde, ça ne servait à rien. J'ai raté et je me suis interrogée longtemps. Qu'est-ce que j'aurais dû faire ? Et c'est resté longtemps dans ma tête. C'est rester pendant des années cette question. Et se surprendre soi-même, c'est sauter dans le vide. C'est prendre le risque véritablement de perdre pied. C'est abandonner quelque chose de nous. C'est lâcher prise. C'est vraiment, c'est très important dans la création et dans l'expression artistique. Et je ne me rendais pas compte encore. Je n'étais pas prête à ça. J'étais pas prête, je savais pas qui j'étais, je savais pas où je voulais aller. Et donc j'ai pris ces cours. J'ai pris ces cours de théâtre et j'ai découvert les auteurs. J'ai découvert la musicalité des auteurs. J'ai bouffé du théâtre classique, du théâtre contemporain. Je me souviens être bouleversée par des tirades de racines, à me dire mais c'est magnifique ! Mais c'est mieux que des chansons. Pascal Rambert, je me souviens, auteur contemporain. C'est ce qui m'a donné envie d'écrire des textes, de chansons. J'ai tellement aimé son écriture, si poétique, si crue, si particulière, sans ponctuation, tout est vital.
- Speaker #0
Est-ce que tu aimais jouer ?
- Speaker #1
Oui, moi, j'adore qu'on me mate. de manière générale, j'ai pas de problème avec ça. C'est même un dénominateur de mon histoire, qui ne naît pas de nulle part d'ailleurs. J'en ai parlé dans des chansons, j'en ai déjà parlé dans des interviews, mais j'ai une scène de ma petite enfance qui m'a forcée à ça. Et j'en ai beaucoup parlé, alors bon, mais je vais... J'ai été agressée sexuellement par un petit garçon quand j'étais petite fille. J'étais toute petite par un petit garçon assez violent, très violent même d'ailleurs, qui me cachait dans un coin de la cour de l'école maternelle, qui demandait aux autres petits garçons de sa bande, c'était un petit trait tyrannique, de lever les bras et faire une cabane autour de nous deux comme pour nous cacher. dans un coin de la cour et il baissait ma culotte, il mettait sa main sur mon sexe, il me demandait de faire la même chose et il demandait surtout aux autres garçons d'ouvrir les yeux ou de fermer les yeux. Et c'était très dur pour moi parce que je n'ai pas réussi à en parler à mes parents. Parce que quand j'ai essayé d'en parler, je me souviens d'avoir dit à ma mère, « Oh maman, à l'école, il y a un... » J'essaie de prendre mon courage à deux mains, je m'en souviendrai toujours. Dans ce fameux immeuble, en sortant de chez ma grand-mère au troisième étage, en appelant l'ascenseur pour monter au sixième, je dis, « Papa, maman, il faut que je vous dise, à l'école, il y a quelqu'un qui m'embête. » Et je me souviens du visage de ma mère qui me regarde et qui me dit, « Oh chérie, à l'école, il y a quelqu'un qui... » qui t'embête avec un grand sourire tendre d'une maman aimante, mais qui ne se rend pas du tout compte. Et je crois que je n'ai pas du tout eu envie de faire de la peine ou de brutaliser ma mère à ce moment-là. Et je me suis dit, je vais me... démerdée toute seule. Et donc, j'ai encaissé cette année monstrueuse en suppliant la maîtresse de rester en cours pour travailler, pour ne pas aller en récréation. Parfois, j'y arrivais, mais parfois, elle me disait, mais non, il faut que tu ailles en récréation, c'est important la récréation. Et j'étais genre, non, je vous en supplie, j'ai encore du travail. Je pense que mon goût du travail naît aussi un peu de ça. C'est ça qui me sauvait de cette situation. Mais cette scène a marqué quelque chose de mon histoire. Et puis il y en a une autre qui ressemble un peu à ça. Dans ma toute petite enfance encore. Mon père disait, pour dire que quand j'étais petite, il me trouvait jolie. Il disait tout le temps... Ah, t'étais belle, t'étais tellement belle. Avant de t'emmener à l'école, on allait au café et je te posais sur le bar et tous les loups-barres du bar te regardaient et disaient « Ah, la gonzesse, si jamais, si je pouvais, si j'avais, si je... » Et il disait cette phrase tout le temps, mon père. Parfois, il la raccourcissait, mais c'était toujours « Ah, quand t'étais petite et que je te... » posait sur le bar. Et en fait, j'étais belle pour mon père dans mon inconscient parce que j'étais regardée par les loups-barres qui me sexualisaient quand j'étais seule sur le bar. Est-ce que c'était la projection de mon père ? Est-ce que ces loups-barres ont vraiment dit ça ? Est-ce qu'il y avait vraiment des loups-barres dans le bar ? En tout cas, je me suis certainement aussi construite avec cette symbolique là. Et plutôt que d'en faire... d'en être victime, j'ai décidé de monter sur scène avec toutes mes failles et mes douleurs et d'en faire quelque chose de fantastique. Enfin en tout cas pour moi. Je trouve ça formidable l'école Florent. J'adore ce travail, j'adore le travail sur les auteurs, j'adore le travail sur l'abandon, j'adore le travail du jeu. Je m'éclate, je passe le concours de la classe libre, je l'ai, c'est super. Il y a quelque chose qui me plaît profondément. Et puis, à un moment donné, il faut travailler dans ce métier-là. J'ai un agent, je me mets à travailler. Et là, ça ne va pas du tout. Là, tout d'un coup, je n'aime pas du tout ce métier. En plus, je trouve qu'on n'est jamais exactement ce qu'il faut. Je me sentais pas à la hauteur, je me sentais pas assez bonne, je me sentais inutile. J'avais toujours l'impression qu'il fallait pas que je dérange, que tout était plus important sur un tournage que ce que j'avais à y faire. Donc j'essayais de me faire le plus petite possible, rentrer dans un petit trou de souris pour qu'on me voit le moins. Et là, tout d'un coup...
- Speaker #0
T'avais du mal à trouver ta place.
- Speaker #1
Je trouvais pas ma place, mais surtout, ça fait écho, évidemment. à cette scène primaire de mon enfance. En fait, je ne voulais pas qu'on me voit parce que je ne voulais pas qu'on choisisse qui allait me voir et comment on allait me voir. Je ne voulais pas qu'on me subisse. En fait, inconsciemment, je pense que je ne voulais pas subir ça à nouveau. Donc, j'ai arrêté d'être comédienne très rapidement en démarrant ma psychanalyse. Sans savoir que c'était lié à cette scène du début de ma vie, mais après coup, c'est exactement la même chose et je pense que c'est assez évident. Et c'est à ce moment-là que je me suis mise à écrire, à écrire des chansons, à écrire...
- Speaker #0
Pourquoi des chansons alors ? T'aurais pu écrire n'importe quoi, t'aurais pu écrire du théâtre, t'aurais pu écrire un livre. Pourquoi des chansons ?
- Speaker #1
Parce que les chansons, c'est la voix. C'est la voix. Je savais que j'avais une voix grave, une voix particulière. Je savais qu'on m'écoutait quand je chantais. Quand j'étais petite, quand je chantais, je ne sais pas, des reprises de Patricia Cass ou de Whitney Houston, on m'écoutait. Alors, je pense que j'ai certainement choisi ça parce qu'il y avait quelque chose de familier. La musique, c'était comme des bras enveloppants pour moi. Donc j'ai choisi ça, j'ai écrit des chansons et ça a commencé à... Au début j'ai eu du mal à écrire des choses vraiment sincères, mais doucement, doucement, au fur et à mesure, je me suis mise à écrire sur ce qui comptait pour moi. Et à partir du moment où j'ai écrit ce qui comptait pour moi, la première chanson que j'ai écrite qui comptait vraiment pour moi, c'est une chanson qui s'appelle « Je veux un enfant » , que j'ai écrite un peu avant de démarrer Brigitte, et qui parle de... de mon incapacité à tomber enceinte. J'ai mis trois ans et demi avant de tomber enceinte de ma première fille. Et c'était très douloureux. C'était cet échec à répétition, parce que les femmes, tous les 28 jours, on sait bien que quand on veut un enfant, tous les 28 jours, on se rappelle qu'on n'a pas réussi. Et donc j'ai écrit là-dessus, et en écrivant là-dessus, j'ai senti que quelque chose se produisait en moi, j'arrivais à faire de ma détresse quelque chose d'autre. à sublimer. Et c'était plus juste à moi, du coup. C'était ma douleur, mais je la partageais avec d'autres. D'autres la vivaient aussi. C'est même pas qu'une histoire de femme, en plus. Parce que je pense que ne pas réussir à faire un enfant, c'est aussi ne pas réussir. Et ne pas réussir pour les hommes, pour les femmes, pour les jeunes, pour les vieux, pour ceux qu'on veut, pour ceux qu'on ne veut pas. C'est même plus juste une histoire de maternité ou de paternité. C'est la... C'est la violence de se sentir seule, derrière, démunie, incapable, et de ne pas comprendre pourquoi on n'y arrive pas. Et ça a, tout d'un coup, ça a créé quelque chose en moi. Et monter sur scène, en racontant profondément qui j'étais, du fond de mon ventre, tout d'un coup, tout prenait sens.
- Speaker #0
Donc t'as une révélation avec la chanson. Ouais. Vers 25 ans,
- Speaker #1
on va dire.
- Speaker #0
Et là, ça décolle pour toi ? T'as l'impression de t'être trouvée ?
- Speaker #1
Ouais. En fait, j'ai fait de la chanson avant. J'ai fait des albums. Mais où j'étais pas... J'avais pas mis vraiment mon ventre à l'intérieur. Et ils sont un peu superficiels. J'essaye de ressembler à... je sais pas trop quoi, à l'image que, je vais te dire, j'essaye de ressembler à l'image que voulait voir de moi l'homme que j'aimais. Le père de mes enfants, qui est un homme que j'ai aimé très fort, quand il me rencontre, il me dit « Ah, mais attends, tu chantes, attends, mais attends, t'as vraiment une voix super, on va te faire un disque. » On va me faire un disque. Cool, parce que moi je suis incapable de faire un disque ni d'écrire. Donc si lui il est capable, c'est super. Et puis il a voulu me construire comme il imaginait que c'était super. Il m'a même dit, tu peux pas t'appeler Aurélie Sada. Faut que tu changes ton nom. Mes parents, à cette époque-là, avaient un couple d'amis qui avait appelé leur fille Mayanne. Et tout le monde avait trouvé ça magnifique. Donc j'ai dit, Mayanne ? Il a dit, formidable, très bonne idée. Tu vas t'appeler comme ça, c'est super, c'est bien, c'est graphique et tout. Il dit, par contre, Saada, tu ne peux pas garder non plus. Tu ne peux pas t'appeler juste Mayan, parce que ça fait chanteuse de supermarché. Juste un prénom, il faut que tu aies un nom de famille, sinon ce n'est pas chic. Je dis, ok, Saada, il me dit, ça fait vraiment juif du sentier. Je dis, ah bon, Saada, ça veut dire bonheur en arabe quand même, c'est mignon. Mais bon, j'écoutais tout ce qu'il disait. Et puis je ne savais pas où était mon désir à cette époque-là. Donc j'ai été rebaptisée par cet homme. J'ai accepté de jouer le jeu de me défaire de mon nom, même de mon nom. J'ai été capable de mentir à ce point-là parce que je voulais qu'il me trouve super. Ça ne rend pas heureuse de se fondre dans le désir de quelqu'un. Je précise que ce n'est pas du tout un conseil. À suivre, il ne faut pas se fondre dans le désir de quelqu'un, c'est pas bon. Et ça a été très douloureux pour moi, j'ai détesté. J'ai essayé d'obliger tout le monde à m'appeler comme ça, à croire que j'étais celle que je n'étais pas, à prendre une guitare et à me prendre pour une rockeuse alors que je me sentais nulle et incapable, à essayer de faire la fière alors que j'avais... Et puis je n'arrivais pas à réfléchir sans lui, puisque ce n'était pas moi. Heureusement, ça a été un super flop. La première chose que j'ai fait, c'est me défaire du faux nom de famille qui n'avait pas de sens. Et puis ensuite de me défaire de ce faux prénom aussi qui n'avait aucun sens.
- Speaker #0
Là après, c'est les vraies chansons que tu écris,
- Speaker #1
que tu composes. Oui.
- Speaker #0
Toute seule ? Avec ton vrai nom,
- Speaker #1
ton vrai prénom ?
- Speaker #0
Avec mon vrai prénom, mon vrai nom, avec toutes mes limites. Et puis je rencontre à cette époque-là Sylvie, qui est à peu près dans la même galère que moi, qui s'est fait aussi rendre son contrat de disque. Alors on n'a pas le même parcours exactement, mais bon, on est deux. Deux filles en galère, quoi. Pour la première fois de ma vie, il y a quelque chose d'une forme de succès, on va dire, qui démarre. Et c'était incroyable. Surtout d'avoir connu la galère de ne pas savoir qui j'étais, ce que je voulais, d'avoir passé des nuits d'insomnie à me dire non mais peut-être qu'en fait... Je suis une super barmaid. C'est ça qu'il faut que je fasse. Et c'est très bien. Jusque-là, j'ai douté de tout. Et je ne me suis sentie à ma place nulle part. Jusque-là, j'avais l'impression de porter le masque. Jusque-là, j'ai triché. À partir du moment où j'ai démarré Brigitte, je ne trichais plus.
- Speaker #1
Tu étais toujours en couple ou pas ?
- Speaker #0
Ah, non. Au tout, tout début... De Brigitte, si, c'est un peu la fin de notre histoire, mais Brigitte, on s'est séparés un mois et demi, deux mois avant que ne sorte le premier album de Brigitte. Et c'est vrai que le succès a démarré à ce moment-là. Et j'étais dans le... J'étais dans quelque chose de vrai. Je vais te raconter une anecdote. On écrit nos premières chansons et on écrit un titre qui s'appelle « La vengeance d'une louve » . Et je pense riche de toutes ces grandes tirades classiques du théâtre. J'ai ce « prends garde à mon courroux » qui me vient comme ça. Et on écrit avec Sylvie, je dis « prends garde à mon courroux » et ce n'est qu'un avant-goût, c'est la vengeance d'une louve, si tu me cherches, tu me trouves. Et bref, on écrit cette chanson et on s'éclate à écrire cette chanson et on est trop contentes. Et le soir... au moment où on écrit cette chanson j'ai mon mec qui rentre à la maison et je lui je lui joue la chanson et il me regarde et il me dit c'est quoi ça ? regarde mon courroux c'est ridicule, on dirait les visiteurs c'est nul non ? c'est... tu fais ton petit groupe Ça te fait marrer, mais c'est un peu... Bref. Et je me souviens l'avoir regardé et m'être dit, mais quel con ! Quel con ! Et pour la première fois, je me suis dit, ah non mais, mon désir est tellement plus fort que tout ce qu'il pense et tout ce qu'il peut penser de moi. Et j'ai senti que quelque chose s'émancipait enfin. Je ne doutais plus. J'étais décidée. J'avais un désir décidé. J'aimais. Pour la première fois, j'aimais. Avant, je n'aimais rien. Avant, je ne savais pas qui j'étais. Et là, tout d'un coup, prends garde à mon courroux, il ne se naît qu'à l'avant-goût, c'est la vengeance d'une louve, tu me cherches, tu me trouves. C'était... J'avais vraiment envie de le dire. et je pense que c'était la fin de notre histoire plus ou moins à ce moment là On n'avait plus rien à perdre, personne ne voulait de nous, on s'était fait rendre nos contrats, on était seuls, on écrivait des chansons, on les trouvait super, on était heureux et excités de faire ce qu'on faisait. Et c'est marrant parce qu'il y a des gens qui ont dit... Il y avait vraiment beaucoup de mauvaises langues. C'est fou, quand on fait quelque chose d'un peu particulier, singulier, il y a des... Et à cette époque-là, en tout cas avec les femmes, je pense que ça a un peu changé aujourd'hui. Mais à l'époque, en tout cas, dès qu'on sortait un peu des rails... Ah ouais, c'est marketé, c'est je sais pas quoi. Alors qu'on était toutes seules, on faisait tout toutes seules. C'était drôle de nos clips à nos photos, à nos pochettes. Vraiment, on faisait avec... On est... On avait trois balles dans mes vieilles fringues vintage, on chopait des robes, on voulait des robes à paillettes, on prenait dans les vieux trucs de ma mère, enfin c'était de ces vieilles robes de bar mitzvah des années 70, c'était vraiment, c'est juste qu'on dessinait. quelque chose qui ne ressemblait qu'à nous. C'est à une époque, en plus, où les chanteuses, pour se faire respecter, fallait ressembler à des mecs. Fallait être habillée avec un jean et un t-shirt, et on était cool. Et donc, nous, c'est sûr qu'à l'époque, pas une chanteuse ne mettait une tenue à paillettes. C'était vraiment... On se rend compte que les choses ont bien changé, quand même, aujourd'hui. Mais... Mais vraiment, d'ailleurs on se faisait un peu... Bon, il y a des gens qui adoraient évidemment, mais il y avait des journalistes un peu pas cool. Nous on savait qu'on était heureuses de faire ce qu'on faisait et comme on le faisait. On avait envie de porter des robes à paillettes, des trucs sur la tête, des plumes, de faire des clips à Los Angeles, de faire je sais pas quoi, de danser sur scène, de mettre des masques à nos musiciens, de mettre des chèvres sur scène à côté de nous qui portaient les tambourins et les guitares. On faisait ce que... qu'on voulait. Il n'y avait rien qui nous arrêtait. On se disait oui tout le temps à toutes les deux. On était tellement contentes. On se donnait l'une et l'autre un vrai regard de confiance. Un vrai regard de confiance. On surenchérissait sur la fantaisie de l'une et de l'autre. Il y avait « on va faire ça, oh génial ! » « ça aussi, oh génial ! » Rien ne nous arrêtait. On était à deux contre tout. Et avec tout, on avançait. Et je pense que c'est ce qui a été un peu irrésistible dans notre parcours, ce qui a presque même fait de nous un espèce de cas d'école, parce que « Battez-vous » , le premier album, ni « Ma Benz » ni « Battez-vous » n'est entré en radio, ce qui est assez dingue. Sur le premier album, alors que c'est celui qui... On n'est pas entré en radio, et on a été plus que double disque de platine. Ce qui est fou. À une époque où on disait « si tu rentres pas en radio » , on était un cas d'école. C'était vraiment « comment c'est possible que ce truc qui passe pas à la radio marche ? » Et puis y avait pas de streaming à l'époque, fallait les acheter en physique, fallait aller à la FNAC, acheter le disque. On s'est rendu compte que notre audace, notre liberté, notre... Ouais ! Ouais ! Notre goût pour notre liberté. On s'en foutait d'être dans les rails. On faisait ce qu'on voulait. Et ça marchait. C'est tellement génial de faire ce qu'on aime. Un pansement sur mes blessures. Vraiment, sur ma grande blessure. Tout d'un coup, d'avoir accès à ce qu'on veut vraiment. Et de le faire. Et que ça fasse écho. Moi, j'ai toujours mesuré la chance. que j'avais, de vivre ça. Je trouve ça génial. Donc j'étais extrêmement reconnaissante. Je me suis toujours dit, c'est là et tout peut disparaître. C'est là maintenant, c'est comme ça. Mais on vit sur un océan. Les vagues, elles vont, elles viennent. La plage, ce n'est pas toujours la même. Et c'est pas toujours la même vague qui revient. C'est sûr d'ailleurs. Donc je savais qu'en plus il fallait savourer ce bonheur-là. Mais je venais de me faire quitter par le père de mes enfants qui était parti pour une autre femme à l'autre bout de la Terre. Donc j'étais à la fois la plus triste du monde et cet amour du public pour notre travail a été Ma guérison, mon pansement, mon épaule, ces gens-là, ils ne le savent peut-être pas, mais ils ont été vraiment l'épaule sur laquelle je me reposais. Je ne dormais plus la nuit, j'avais peur d'être seule dans mon lit et de ressasser et de ne absolument pas trouver le sommeil parce que... parce que j'étais dans une détresse sentimentale terrible. J'avais perdu l'homme de ma vie. Et je passais mon temps à travailler pour ne pas dormir, ou à danser pour ne pas dormir, ou à m'occuper de mes enfants pour ne pas dormir. Je ne voulais jamais dormir pour ne pas me retrouver seule dans ce lit double. Et donc, c'est vrai que le tourbus, dormir avec Sylvie sur les routes de France, c'était merveilleux.
- Speaker #1
Du coup, tes filles sont arrivées quasiment au début de Brigitte aussi, je pense.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Est-ce que tu as l'impression que la maternité t'a transformée quelque part ? Est-ce que ça a changé quelque chose en toi ?
- Speaker #0
Moi, je trouve que... C'est sûr, d'ailleurs. La maternité, ça m'a donné envie d'être forte. J'ai eu envie que ces petites filles soient fières de moi. Autant le couple m'a empêchée, autant la maternité m'a donné des ailes. Vraiment. Et donc je les ai élevées seules. Aujourd'hui, je ne regrette rien. Parce que si l'histoire ne s'était pas passée comme ça, je... Je n'aurais pas travaillé, je n'aurais pas fait, je n'aurais pas fait Brigitte, je n'aurais pas accompli professionnellement tout ce qui m'a rendu tellement heureuse. Si l'histoire s'était passée autrement.
- Speaker #1
Alors pourquoi, si c'était si merveilleux, ça s'est arrêté avec Brigitte ?
- Speaker #0
Je pense qu'on arrivait au bout de notre histoire. Il y avait quelque chose qui... qui ne marchait plus. Alors, je pense qu'il y a énormément de facteurs. C'est comme une histoire d'amour, quand ça s'arrête. C'était un peu comme une histoire d'amour, d'ailleurs. C'est sûr, même. On se disait souvent qu'elle me voyait plus que son mari. Peut-être qu'il y a eu quelque chose, au fur et à mesure, qui s'est étiolé, qui s'est cassé. J'ai eu l'impression qu'elle ne me supportait plus, mais peut-être que j'étais insupportable aussi. On ne sait pas bien pourquoi les histoires d'amour s'arrêtent, c'est plein de raisons. Mais ce que j'emporterai toujours avec moi, c'est que c'était extraordinaire. Et je ne noircirai jamais. ce tableau-là parce que je l'ai beaucoup trop aimé et je l'aime encore tellement. Ça fait partie des plus beaux souvenirs de ma vie. Donc voilà, je garde intacte l'image. Je suis allée vivre un an en Californie avec mes enfants. Après les... J'ai été très chamboulée par les vagues d'attentats, je n'arrivais plus à avoir de perspective, je n'arrivais plus à voir l'horizon, il fallait que je parte. Et donc j'ai emmené mes enfants vivre en Californie. Aussi parce que j'avais envie qu'elles connectent avec leur père. J'avais envie qu'elles aient un quotidien, un rendez-vous quotidien avec lui et pas le voir juste deux semaines l'été, une semaine à Noël. J'ai vu mes filles, j'ai vu des larmes dans leurs yeux quand elles étaient petites et qu'elles regardaient les papas qui emmenaient leurs copines sur les épaules à l'école le matin. Et j'ai essayé de les prendre sur mes épaules, je les ai prises dans mes bras, sur mes épaules, mais même si je voulais être le papa et la maman, je voyais bien qu'il y avait quelque chose qui manquait. Et je voulais qu'elle... Je voulais qu'elle le vive. Donc j'ai dit, allez, les attentats plus ça, ou ça plus les attentats, je sais pas. Mais j'ai dit, allez, on part. On part s'installer une année au moins, et puis on verra. Et là-bas, j'ai écrit le dernier album de Brigitte et le début de Rose, mon film. Et donc... Je suis rentrée en France, au bout d'un an, un an plus tard, on a tourné, puis j'ai continué à développer le scénario. Et puis je l'ai tourné, on a fini la dernière tournée de Brigitte, Piano Voix, le Covid a démarré deux mois après. Et j'ai tourné mon film pendant le deuxième confinement.
- Speaker #1
Très facilement quand même.
- Speaker #0
Ouais, c'était fou. Mais parce que je crois que quand on a un désir décidé, quand on est sincère dans ce qu'on fait, on est convaincant. Quand on est absolument convaincu, ouais, je suis pas une dingue. J'ai pas des lubies et je fonce. C'est pas ça mon... Mon moteur... Je sais, le premier album de Brigitte, avant de signer avec un label, je me souviens, il m'en a parlé, donc je me souviens de cette phrase que j'ai dite et qui est vraiment dingue. Donc le boss de la maison de disques, il fait un rendez-vous avec nous et qui est un peu intéressé, mais bon... Parfois on fait des rendez-vous et ça n'aboutit pas. J'en ai eu des milliards des rendez-vous avant avec des gens qui n'ont pas abouti. Donc je sais très bien ce que c'est. Même si je fonce et que je suis décidée, ça a mis un certain temps avant que mes... mes projets soient alignés à leur concrétisation. On parlera de psychanalyse si tu veux après, mais il a fallu le temps de la psychanalyse pour tout d'un coup, moi aussi, savoir capter ce qui n'était pas totalement clair chez moi, dans mon désir. Et donc, je me souviens, je fais un rendez-vous avec... Le boss de la maison de disques, après un concert de Brigitte, il dit « C'était bien, c'était intéressant. » Et je le regarde, à un moment donné, on parlait de plein de trucs, et puis je lui dis « Stéphane, on est une très bonne affaire. » Et il m'a regardée, et il a eu ses yeux qui se sont ouverts comme ça, et il m'a dit « J'ai vu ces joues qui devenaient roses. » Et là j'ai su que j'avais dit la phrase qu'il fallait et que c'était dealé. Le contrat était chez nous le lendemain. En fait, je lui ai dit ce dont j'étais sûre. Moi je savais qu'on était une bonne affaire. Je ne mentais pas quand je disais ça. Je n'essayais pas de le convaincre, je le pensais. profondément. On est une bonne affaire. D'ailleurs, ça n'a pas loupé. Il me l'a ressorti, il m'a dit, quand tu m'as dit cette phrase, j'ai été... Mes bras en sont tombés. Aucun, je n'avais jamais entendu aucun artiste dire ça, comme ça, avec un truc aussi net comme ça. Il m'a dit, c'était incroyable. Et je crois que... Quand je suis sûre de mes projets, quand j'en suis sûre, je parle comme ça. Et en fait, on est toujours, entre humains, face au désir de l'un ou de l'autre. Et quand quelqu'un est véritablement convaincu, ça marche. En tout cas, est-ce que le succès est au rendez-vous ? Pas sûr, mais en tout cas, ça se fait.
- Speaker #1
Après, rien ne te fait peur ?
- Speaker #0
J'aime l'action. J'aime l'action, j'aime le défi. Il y a quelque chose dans le risque que j'aime. Je dis souvent cette phrase, je ne sais jamais si c'est le courage ou la peur qui me fait aller voir ailleurs, mais j'ai besoin régulièrement d'aller voir ailleurs. Est-ce que c'est parce que j'ai peur qu'on m'ait oubliée, qu'on m'abandonne ? Est-ce que j'ai besoin de faire peau neuve ? Est-ce que je suis curieuse ? Est-ce que j'ai besoin de me sentir vivante et de me challenger ? Est-ce que peut-être que toutes ces choses-là au fond sont liées ? par quelque chose de plus profond et que ce n'est que la forme, mais que le fond finalement ne change pas. Moi je crois que le fond dans ce que je fais ne change pas. Je parle toujours de choses très intimes, je parle toujours de mon rapport à la maternité, à la féminité, à l'amour, à la famille, à l'amitié, à quelque chose... C'est toujours de ça dont je parle dans tout ce que je fais. Donc en fait, peut-être je change de forme, comme pour ne pas m'ennuyer, pour ne pas ennuyer les autres aussi peut-être. Je ne sais pas. Je ne me spécialise pas. Je n'ai pas de penchant pour la spécialisation. C'est assez marrant. J'aime... L'exploration. Je me dis, on n'a qu'une vie quand même. C'est quand même sympa de faire ça, puis ça, puis ça. Et je le fais avec énormément de... Je m'investis beaucoup dans ce que je fais. Je le fais avec énormément de sérieux et de passion. D'ailleurs, je m'investis dans chaque détail de ce que je fais. Sur Rose, par exemple, mon film, j'ai autant J'ai mis des vêtements personnels dans les costumes, je me suis autant investie dans les costumes que dans les décors où il y a des éléments de chez moi, que dans le son, que dans la musique, que dans le choix de tout, de tout, de tout, de tout. Et j'ose avancer avec mes limites. Aujourd'hui, mes limites ne sont plus une barrière pour moi. D'ailleurs, je pense que chaque artiste avance avec ses limites et c'est ce qui fait sa singularité. C'est pas ses capacités, c'est plutôt ce qui définit notre profil. Ce sont nos limites. Et c'est ce qui fait, je pense que c'est vraiment ce qui fait notre singularité. C'est ce avec quoi on va lutter. J'adore cette phrase qui dit le blues, c'est trois accords et la vérité. Moi, je crois que tout ce que je fais dans ma vie... C'est ça pour moi. Trois accords et la vérité. Après, le succès, c'est une autre histoire. Le succès, c'est le bon moment, la bonne promotion. Il y a trop de facteurs. Ça, c'est autre chose. Mais au moins, fabriquer ça, si on est très honnête avec soi-même, si ce qu'on fait est sincère et vraiment décidé, si on ne triche pas, les choses se font. On démarre plein de projets quand on est artiste. On écrit un truc, puis un autre, puis à un moment donné, il y en a un où on se dit, lui, vraiment, il compte pour moi. C'est pas quelque chose que j'ai envie d'avorter, c'est quelque chose que j'ai envie d'amener plus loin. Et ça, c'est les projets sur lesquels il ne faut plus tricher après. Il ne faut pas laisser de zone de « oh non mais ça ça va, je laisse comme ça, on verra au mix » comme disait. On ne va pas voir au mix. Dès le départ en fait, on soigne chaque détail de ce projet. Il faut les mettre dans tous ses recoins pour pouvoir le défendre totalement, pour pouvoir dire « c'est une très bonne affaire » . Il faut les mettre vraiment. Donc c'est vrai que maintenant... J'ai toujours fait attention à ça, mais c'est vrai que je fais très attention à ça. Après, quand on collabore, moi j'adore collaborer avec d'autres artistes, travailler avec d'autres gens. J'ai aimé travailler seule, j'ai fait. Là, j'étais seule au théâtre, seule pour faire mon film, seule dans mon livre de cuisine. Bon, j'ai fait un album seule aussi. Mais j'adore la collaboration, je trouve qu'on est toujours moins cons quand on est deux. Au moins deux ! Et donc je démarre des collaborations et on n'a pas tous fait le même travail analytique. Et je n'ai pas du tout envie d'être un directeur ou un tyran, quelqu'un qui décide de tout. Ce qui m'intéresse dans la collaboration, c'est la collaboration. Donc on fait aussi avec le questionnement de l'autre, avec les doutes de l'autre. Et ça, ça me plaît aussi parce que ça me fait sortir de mes habitudes, ça me questionne moi-même, ça me met dans un mouvement. Parfois quand je dis non mais moi ça je crois pas, j'ai démarré un nouveau projet avec un autre artiste là, et parfois je dis non non mais ça moi cette phrase elle me va pas, elle est pas assez. Et de le voir, lui, me dire « Non, mais moi, je l'adore ! » Et je sens sa certitude, sa conviction. Et c'est bon aussi de se laisser aller à ça. C'est bon, la collaboration, pour ça. Parce qu'on est riche aussi du désir de l'autre. J'éprouve vraiment un grand plaisir à ça. Puis on se sent fort quand on est deux. On se sent plus beau quand on est deux. On se dit c'est pas grave. Et si tout s'écroule, au moins on est tous les deux. Il y a quelque chose d'assez magique.
- Speaker #1
Aujourd'hui, qu'est-ce qui selon toi te différencie des autres ? Quelle serait ta valeur ajoutée ?
- Speaker #0
Je ne suis pas une spécialiste. Je suis... Je suis curieuse de plein de domaines. Et peut-être que si j'avais une valeur ajoutée ou une particularité, peut-être qu'elle serait liée à cette curiosité et ce désir d'apprendre que j'ai. Moi, je n'ai pas fait d'études. Et peut-être que c'est mon regret. Alors, j'essaye d'apprendre. Et en fait, je me rends compte que c'est pas mal aussi d'apprendre tard des choses. Ça fait de nous des êtres qui ne s'ennuient pas. Et puis, je dirais peut-être ma vraie petite particularité. Je vais avoir l'air de faire la... homo de ça tout le temps, mais bon, que voulez-vous, tant pis, moi, j'en suis, j'y suis si sensible. Je suis... j'ai passé des années et des années en analyse. La psychanalyse, c'est quelque chose d'extrêmement important et précieux, et je sais à quel point ça a été primordial dans mon parcours, dans mes choix, dans ma façon de m'exprimer, dans ma capacité à... à construire ou à reconstruire. Voilà. Et dans mon rapport aux autres. Voilà. Il y a de ça, sûrement, aussi.
- Speaker #1
Est-ce que tu penses qu'aujourd'hui, tu es à ta place, au bon endroit ?
- Speaker #0
Ben, quelque part. Après, je sens qu'il y a des sujets où je vais galérer toujours. encore que ça va et ça vient, tu vois, j'ai choisi de faire quand même des métiers très incertains. Est-ce que financièrement, je m'en sortirais ? Je ne sais pas. Est-ce que je vais réussir à maintenir ma... ma barque comme ça jusqu'au bout ? Je sais pas. Est-ce que j'arriverai toujours à avoir des idées qui me qui me qui me plaisent et dont je peux dire c'est une bonne affaire. Est-ce que ça, je sais pas. En tout cas, je l'aime, ma vie. J'aime mes enfants, le rapport que j'ai à elles, j'aime ma famille, j'aime mon histoire. Elle a été faite de vagues et de maris qui partent et de pères qui disparaissent et de choses comme ça, mais je recommencerai tout de la même manière. Et même aujourd'hui, c'est des gens avec qui... J'ai fait plus que la paix, ce sont des figures importantes de mon histoire, je les aime. Donc j'ai des amis autour de moi que j'adore. Je sais aujourd'hui ne plus me jeter dans la gueule des amitiés dangereuses, j'en ai eu aussi. Je sais aujourd'hui repérer où mes névroses pourraient m'emmener, donc je suis contente. Je me sens certainement plus vulnérable et plus armée, et j'aime bien ça. Mais il y a plein de choses, je ne saurais pas, comme je te disais, le boulot, est-ce que je vais... Réussir à faire des choses qui marchent encore ? Je ne sais pas. Oui, non. Au pire, je trouverai toujours quelque chose à faire. J'ai appris plein de métiers quand même maintenant. Je trouverai bien un qui me rend heureuse et qui fera tourner la baraque.
- Speaker #1
J'en doute pas. Est-ce que pour toi, l'âge, c'est quelque chose avec lequel tu deals difficilement ? Ou quelque chose qui glisse ? L'âge, l'image, tout ça, en tant que femme ?
- Speaker #0
Ben, on ne va pas se tirer les cartes entre gitans. Quand on aime la vie, on n'a pas envie qu'elle s'en aille. Et en fait, je crois que ce qui effraie dans l'âge, c'est d'avancer dans la vie. C'est quand on a conscience du fait d'être mortel et du temps qui reste. que là je fais peur, je crois, enfin en tout cas, c'est pas tant qu'il fait peur, c'est que on veut encore... Moi je veux jouer encore, moi je veux... je veux faire plein de tours de manège encore, j'ai pas envie que ça s'arrête. Bon, j'ai 46 ans aujourd'hui, donc j'ai encore normalement quelques tours de manège si tout se passe bien, mais voilà, on sait pas... La santé, on a envie d'être bien. Moi je vais au sport par exemple tous les jours maintenant, c'est tout nouveau. Ça fait plusieurs mois, mais je fais du sport tous les jours. Je n'ai jamais fait ça dans ma vie. Je me suis toujours dit, c'est cool. De toute façon, moi ma peau, je ne me suis jamais posé la question de ma peau. Elle était accrochée aux muscles et puis voilà. Bon, ce n'est plus exactement la même histoire. Mais en même temps... Aujourd'hui, mes filles ont l'âge des souvenirs dont je me souviens très bien. Elles ont 15 et 16 ans, et moi mes 15 et 16 ans, je m'en souviens vraiment hyper bien. Je me souviens des vêtements que je portais, je me souviens de ce que j'écoutais, je me souviens de ce que je mangeais, je me souviens de ce que je disais. Et elles ont cet âge-là. Et je me dis, waouh, c'est marrant, moi j'ai l'impression que c'était il y a 5 minutes. En fait non, c'est clairement pas il y a 5 minutes, c'était il y a 30 ans. Et en fait, je sais pas si mes yeux ont changé. Je sais pas si mon regard, je sais pas si mon iris, je sais pas si ça regarde autrement, je sais pas si ma façon de sourire a changé. Je crois que c'est la même chose. Je perds et je gagne. Voilà. J'ai gagné des années, j'ai perdu des années.
- Speaker #1
Qu'est-ce que tu aimais qu'on dise de toi avant et qu'est-ce que tu aimes qu'on dise de toi aujourd'hui ?
- Speaker #0
Je crois que j'ai eu besoin, à des moments donnés de ma vie, qu'on dise que j'étais forte. Et puis... Aujourd'hui, je sais pas, peut-être que je suis chouette, que c'est cool de passer du temps avec moi. Je disais il y a pas longtemps, je crois que j'ai... Je me disais, je crois que j'aime mieux qu'on me mate plutôt qu'on me flatte. En tout cas, j'ai eu quelque chose dans mon histoire. Je pense que c'était plus important pour moi. Je fuis toujours un peu quand on me dit, ah, t'es super, c'est super. Ce que vous faites, je ne sais jamais comment me comporter face à ça. Je me sens... Ça ne m'intéresse pas qu'on me dise ça. Je ne comprends pas. Qu'est-ce que je dois faire de ça ? je sais pas où me mettre quand on me dit des des choses très sympas d'ailleurs demain c'est plutôt chouette mais moi j'adore les relations humaines, j'adore être J'adore qu'on m'appelle, j'adore discuter pendant des heures au téléphone avec les copines et les copains. J'adore que mes filles me disent « Ah tu fais quoi maman ? On dit d'ensemble ce soir ? » Je fonds, j'adore être utile. D'ailleurs je pense qu'on a plus besoin d'être utile aux autres que... que d'être aidée soi-même. On a besoin de prendre soin des autres. Donc, ouais, je dirais que je suis chouette, c'est cool.
- Speaker #1
Est-ce qu'aujourd'hui, il te manque quelque chose ?
- Speaker #0
Bah, s'il ne me manquait pas quelque chose, je me donnerais la mort. Manquer, c'est un moteur. Il faut manquer toujours un peu pour avancer. Oui, je dois manquer. Là tout de suite, immédiatement, de faire quelque chose qui m'envole à nouveau, faire quelque chose dont je sois convaincue. Alors je démarre, je démarre des choses. comme des petites graines et des jeunes pousses. Ouais, je pense. Mais c'est super en même temps. C'est de manquer qui fait qu'on avance, qu'on crée, qu'on aime. J'ai manqué d'amour longtemps. J'étais incapable. J'arrivais pas à aimer, ni à être aimée d'ailleurs, je crois. Enfin, pas de mes amis, mes enfants, mais j'avais plus la relation amoureuse. Et puis, il n'y a pas si longtemps, J'ai retrouvé ça. Donc en plus, je sais que quand on manque... et qu'on croit que ça n'arriverait pas, parce que je croyais vraiment que ça n'arriverait pas plus, eh bien, on n'est pas à l'abri de la joie. C'est ce qui est merveilleux dans la pulsion de vie, c'est qu'on plante des choses, et puis parfois, il y a des rendez-vous formidables qui démarrent. Et ça vient toujours quand on ne s'y attend pas, et on a beau nous le dire, on n'y croit pas. Pas, mais quand même. Quand ça arrive, waouh. Waouh. Alors, faire une conclusion. Je ne sais pas, j'ai essayé d'être le plus sincère possible. Alors, j'espère que c'était perceptible. Ce qu'il y a de merveilleux dans les parcours, je crois, et dans chaque parcours, moi, je prends le mien, parce que c'est celui que je connais le mieux, c'est que... C'est que tant qu'on prend des risques et que tant qu'on est dans une forme d'action, que tant qu'on dit oui, tant qu'on s'aventure, tant qu'on travaille, il y a quelque chose de tout est possible. On n'est pas obligé d'être la victime de son histoire. C'est pas toujours facile, évidemment. Et je mesure bien tout ça. Mais une vie, c'est immense, en fait. C'est long et c'est court, mais... Moi, j'ai aimé, et j'aime encore... Explorer, changer, apprendre et comprendre et questionner, recommencer, casser la gueule et redémarrer. Et c'est pas toujours facile, mais c'est pas grave. Parce qu'il y a toujours un endroit, des amis, quelque chose qui nous réconcilie avec... Un piano, un rendez-vous avec une copine, un câlin, quelqu'un qui va nous dire un truc sympa. Et il ne faut pas les laisser tomber ces choses-là.
- Speaker #1
Merci d'avoir écouté cette trajectoire. Si cet épisode vous a touché, n'hésitez pas à le liker, à le commenter, à le partager autour de vous. C'est grâce à vous que ce podcast peut vivre, grandir et continuer à faire entendre ces voix qu'on connaît, mais qu'on découvre autrement ici. Merci.