undefined cover
undefined cover
undefined cover
undefined cover
undefined cover
undefined cover
Réarmement démographique : lire l'air ! cover
Réarmement démographique : lire l'air ! cover
UN MONDE SANS ENFANTS

Réarmement démographique : lire l'air !

Réarmement démographique : lire l'air !

14min |19/02/2024
Play
undefined cover
undefined cover
undefined cover
undefined cover
undefined cover
undefined cover
Réarmement démographique : lire l'air ! cover
Réarmement démographique : lire l'air ! cover
UN MONDE SANS ENFANTS

Réarmement démographique : lire l'air !

Réarmement démographique : lire l'air !

14min |19/02/2024
Play

Description

Début 2024, suite aux mauvais chiffres de la natalité française, Emmanuel Macron parle de la nécessité d’un « réarmement démographique ». S’agit-il de démographie ou de politique ? S’armer pourquoi ? Et surtout, contre qui ? C’est certain, la démographie devient politique. Dans cet épisode, je décrypte ce que Macron a voulu dire. Je l’écoute, je lis entre les lignes et autour : bref, je lis l’air.


Un podcast de David Duhamel produit par MaisonK Prod (Laurent Kouchner)

Musique originale : Ben Molinaro

Graphisme : Anna Toussaint

Merci à Clara Trotabas !


Au fait , et si vous adhériez à notre newsletter ? https://podcast.ausha.co/un-monde-sans-enfants?s=1


Sources :


Extrait de la conférence de presse d'Emmanuel Macron, le 16 janvier 2024.


Extrait du discours de politique générale de Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale, le 30 janvier 2024.


Extrait de l'allocution prononcée par François Mitterrand à l'occasion d'un colloque sur "La France et la pluralité des cultures", le 18 mai 1987, Archives INA.


Extrait du discours de Donald Trump au meeting de Durham, New Hampshire, le 16 décembre 2023, The Sun.


Extrait d'un échange entre Eric Zemmour et la presse au cours d'un déplacement dans le Calvados, le 23 octobre 2021, CNews.


Hervé Le Bras, 2022, Le grand enfumage, éditions de l’aube/Fondation Jean Jaurès


Hervé Le Bras à Médiapart - https://www.mediapart.fr/journal/france/170124/herve-le-bras-le-rearmement-demographique-c-est-grotesque

Et sur C ce soir - https://www.youtube.com/watch?v=WQxf5LUm9QY&t=75s

Paul Morland, 2019, The Human Tide, John Murray Press


Nicholas Eberstadt, The De-Population Bomb - https://www.youtube.com/watch?v=uNdnlrkx-wg&t=3362s



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Janvier 2024, les derniers chiffres de la démographie française tombent. Boum, ils ne sont pas bons. 1,67 enfants par femme. Il faut faire quelque chose. Quel lapin le chef de l'État va-t-il sortir de son chapeau ?

  • Speaker #1

    1. Réarmement démographique.

  • Speaker #0

    Réarmement démographique. Je vous avoue que cette expression dans la bouche d'Emmanuel Macron m'a mis en colère. Et quand il a ajouté

  • Speaker #1

    Pour que la France reste la France j'ai fait un salto.

  • Speaker #0

    Et quand deux semaines après, Gabriel Attal, tout neuf Premier ministre, a dit

  • Speaker #2

    Je refuse avec eux que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre là,

  • Speaker #0

    j'ai hurlé à la lune. Ces trois phrases m'ont directement catapulté sur mon point Godwin. Pour rappel, le point Godwin vient de la loi de Godwin que l'on doit à, vous avez deviné, M. Godwin. L'idée est que, lorsque deux personnes se disputent férocement, l'une d'entre elles va finir par mentionner Hitler ou les nazis, que ça n'est qu'une question de temps. Or, lors d'un désaccord quand vous utilisez Hitler, c'est généralement pour disqualifier la position de votre adversaire et le plus souvent vous obtenez le but opposé, tellement vous semblez de mauvaise foi. À ce stade, on peut estimer que la discussion est morte. Bravo, vous avez atteint le fameux point Godwin. Si je parle moi d'Hitler pour expliquer Macron, je perds automatiquement toute crédibilité. Et c'est là toute la difficulté de cet épisode. Comment expliquer que l'expression réarmement démographique est intimement liée au discours des années 30, dont le discours nazi, sans que vous vous dites ça y est, il a perdu la boule, il a touché les fils, c'est n'importe quoi Eh bien, c'est un travail d'équilibriste que nous devons faire ensemble. Moi, qui vous convainc que je parle en tant qu'historien ou démographe, et non pas polémiste, et vous, qui vous ouvrez à la possibilité que je dise la vérité. Honnêtement, j'étais pas trop sûr de moi. Peut-être ma réaction était irrationnelle, à tout le moins disproportionnée. Alors, pour me rassurer, j'ai demandé à Tchad GPT. Ouais, je sais, c'est paresseux, mais mes étudiants le font tout le temps, alors bon. Je lui demande, et j'ouvre les guillemets parce que c'est important que vous compreniez ce que je lui ai demandé exactement. Historiquement, que signifie l'expression réarmement démographique Et ChatGPT pétait de me répondre

  • Speaker #3

    Le réarmement démographique désigne les efforts visant à influencer ou à manipuler les tendances démographiques au sein d'une population.

  • Speaker #0

    Là, je saute une ligne ou deux. Il continue

  • Speaker #3

    Le terme est le plus souvent associé aux politiques de l'Allemagne nazie dans les années 1930.

  • Speaker #0

    Ah ah ! Bonjour, je suis David Duhamel, professeur d'économie à l'ILERI et enseignant à Sciences Po Paris. Et par ailleurs, je ne crois pas toujours chat-gpt, sauf quand ça m'arrange. Vous le savez, j'enseigne aux étudiants étrangers. Ceux-ci viennent du monde entier, mais tous sont 1. privilégiés, 2. anglophones. Eh ouais, mon cours est en anglais, je frime un peu. J'utilise lors de mon premier cours, qui est une introduction, un livre intitulé La carte des différences culturelles d'Erin Meyer. Dans ce livre, elle explique qu'il existe des langages explicites et des langages implicites. Le plus explicite de tous les langages est l'américain. Aux USA, toute l'information pertinente est contenue dans le message. C'est bien normal, la population américaine étant très diversifiée, il est important d'être compris par tous. A l'inverse, au Japon, qui est une île sans réelle population immigrée, Il y a autant de sens dans ce qui est dit que dans la façon dont c'est dit que dans ce qui n'est pas dit. Au Japon, il faut lire l'air. Lire l'air, c'est un peu comme lire entre les lignes, mais au carré. Et en France ? Eh bien, nous sommes entre les USA et le Japon. Nous disposons de relativement peu de mots et notre langage est riche en contextes. D'où notre usage immodéré de l'ironie et du second degré. Alors je vais où avec cette passionnante tangente linguistique ? Eh bien, j'essaie de comprendre ce que notre président a voulu dire en parlant de réarmement démographique C'est sûr, il ne faut pas lire cette phrase comme un Américain. Elle suggère bien plus qu'elle ne dit. Et ce sont bien ces suggestions qui posent question et problème. Et puis, elle est dite dans un contexte particulier. Bref, pour comprendre, il va nous falloir lire l'air. Emmanuel Macron prend la parole juste après la publication par l'INSEE des chiffres de la démographie française de 2023. Et ils ne sont pas bons. Non seulement le nombre des naissances et la fécondité par femme continuent de descendre, mais ils descendent bien plus vite que prévu. On passe sous la barre des 700 000 naissances. le plus bas depuis 1946, et 1,67 enfants par femme alors qu'on était encore à 2 en 2014. La France demeure dans le top des pays riches, mais en 2023, elle est descendue très vite. Moins 6,6% de naissance. Ça, c'est un rythme coréen ou chinois. Et répété sur plusieurs années, c'est cataclysmique. Mais rien ne dit que ça va être répété sur plusieurs années. Évidemment, toute la presse a relayé ces mauvais résultats, qui au passage, et je le souligne, s'inscrivent assez bien dans le thème général de ce que je vous raconte dans ce podcast. Je ne voudrais pas rater une occasion de me congratuler, vous voyez. C'est donc dans ce contexte que Macron parle de ce désormais fameux réarmement démographique. Comme le déclare Hervé Le Brasse, qui est un peu la star des démographes, ce qu'a dit Macron est pathétique pour un démographe. Alors, pour un démographe, peut-être. Mais parler de réarmement démographique, ça n'est pas faire de la démographie. C'est faire de la politique. Le mot réarmement suppose que nous sommes désarmés et suggère une guerre à venir. Ce vocabulaire belliqueux nous oblige à chercher l'adversaire. Où est l'ennemi ? Qui est l'ennemi ? En 1900, c'était facile. C'était l'Allemagne. Toute la démographie française était hantée par cette évidence. On ne fait pas assez d'enfants par rapport aux Allemands. A l'époque, la France était le pays ayant le taux de fécondité le plus bas du monde, avec 2,8 enfants par femme. Pendant ce temps, les teutones, comme on les appelait alors, en faisaient 5. Mais le monde a bien changé. Aujourd'hui, la France se lamente car son taux de fécondité est de 1,67, mais ça fait 50 ans que l'Allemagne est en dessous. Donc l'ennemi, ça n'est pas l'Allemagne. Nous faudrait-il des bébés pour contrer les Russes ? Leur fécondité est en berne depuis la chute de l'URSS. Les Chinois, peut-être. Ils sont à 1,2 et en chute libre. Ah non, l'ennemi n'est plus un pays, mais une masse. Les pauvres, les immigrés. C'est un clin d'œil évident à l'extrême droite et au tenant de la théorie du grand remplacement. dont je vous parlerai dans un épisode à venir sur l'immigration. En gros, que les Européens de souche, les Blancs, se font remplacer par les non-Blancs. Une théorie que Hervé Le Brasse, toujours lui, qualifie de grand enfumage dans son livre bien nommé Le grand enfumage Il faut faire des petits Français pour que, je cite Macron à nouveau, la France reste la France Là encore, il faut distinguer entre le sens littéral et l'objectif visé. Lisons l'air. Littéralement, ça n'est pas très intéressant. Et je laisse François Mitterrand répondre.

  • Speaker #4

    Nos ancêtres les Gaulois, un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un peu espagnols, de plus en plus portugais, peut-être, qui sait, polonais. Et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes.

  • Speaker #0

    J'avoue que c'est un peu gonflé d'utiliser François Mitterrand, lui qui aussi en son temps a soufflé sur les braises de l'extrême droite. Mais Macron ne fait pas autre chose. Cette phrase pour que la France reste la France est adressée à l'électorat de droite et d'extrême droite. Elle dit en substance Je vous ai compris, vous avez le sentiment que le monde change trop vite et ne ressemble plus à celui de votre enfance, je vais lutter contre ce changement Il parle directement à la nostalgie que chacun d'entre nous peut ressentir, à l'inquiétude aussi. Ajoutons les précisions apportées quelques jours après par Gabriel Attal.

  • Speaker #2

    Je refuse avec eux que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre

  • Speaker #0

    Mais vous savez, ce qui se dilue ? un liquide. Si c'est de l'alcool, c'est pour le rendre moins fort. Si c'est du sang, c'est pour le rendre moins pur. Voilà le sous-texte. Le sang français est en danger, et le danger, c'est les autres. Les étrangers. Trump, cela n'étonnera personne, va un peu plus loin qu'Atal, en déclarant fin 2023 que les immigrés empoisonnent le sang de notre pays C'est bien le métissage qui inquiète Trump. Et oui, Hitler a dit à peu près la même chose mot pour mot, mais j'ai vraiment pas envie de le citer là. Alors, entendons-nous bien. Gabriel Attal n'est pas Donald Trump, et encore moins Adolf Hitler. Déjà, l'école alsacienne n'aurait jamais accepté Hitler. Stanislas ? Non. Non plus. Je ne crois pas que Macron et Attal craignent le métissage et la dilution de la race française, laquelle d'ailleurs n'existe pas. Mais ils chassent sur des terres périlleuses. Ils instrumentalisent une question qui est du ressort de l'intime pour marquer des points sur l'échiquier politique. Ils utilisent la démographie pour faire peur. Car il n'y a rien de plus simple que de blâmer l'étranger et le migrant. Lorsque Macron dit pour que la France reste la France il n'ignore pas que la même phrase était déjà employée par Éric Zemmour lors de sa campagne de 2022.

  • Speaker #2

    Quelle France nous voulons dans 20 ans ? Moi j'ai dit qu'il faut que la France reste la France.

  • Speaker #0

    On remarquera aussi l'emploi généralisé, ces dernières années, du préfixe re- » . Renaissance le parti de Macron. Re-conquête celui de Zemmour. Ré-armement Il y a dans ces mots un appel subliminal à un passé meilleur. On vous caresse le poil dans le sens de la nostalgie. Quand était-ce exactement ce passé meilleur ? Nul ne le sait. Mais c'était immanquablement une époque où la France était plus blanche et plus religieuse qu'aujourd'hui. Une époque aussi où les femmes restaient à leur place. Et c'est là où le réarmement démographique vient télescoper le droit des femmes. Et c'est un peu paradoxal, car dans le même discours, Macron évoque un congé de naissance potentiellement égalitaire entre hommes et femmes. Et ça, c'est une vraie avancée. Une avancée féministe ou égalitaire, et une avancée en matière de politique nataliste intelligente. Plus le coût d'avoir un enfant est partagé entre hommes et femmes, et plus les femmes en feront. Je parle plus longuement de la politisation de la natalité avec Cécile Alduit, professeure de littérature à Stanford et spécialiste des éléments de langage de l'extrême droite, dans l'épisode intitulé Le choix des mots On y évoquera la façon dont les droits des femmes se trouvent ciblés dans toute politique nataliste aux accents martiaux. Au risque de me répéter, le nombre d'enfants par femme doit être celui qu'elle souhaite avoir, pas un de moins et pas un de plus. Il faut aider celles qui en veulent et laisser tranquilles celles qui n'en veulent pas. Or, la baisse de la natalité est parfois prétexte à une critique générationnelle et genrée. J'entends par là l'idée que les jeunes femmes seraient égoïstes, elles refuseraient de sacrifier leur petit intérêt personnel au service de la nation ou de la société. C'est un discours populaire dans les milieux conservateurs américains. Par exemple, Nicholas Eberstadt, de l'American Enterprise Institute, un think tank conservateur, stigmatise la génération Z, les jeunes, à ses yeux totalement égoïstes, et la compare avec la génération du baby boom, la sienne, qui avait su faire les sacrifices nécessaires pour ses enfants. Il parle de la bravoure d'avoir des enfants. Je ne suis pas convaincu. Tous ces boomers qui parlent de sacrifice oublient un peu vite que dans l'immense majorité, c'est leurs épouses qui se sont sacrifiées. Mais bon, ça fait pas deux Hitler non plus. Vous trouvez peut-être que je parle trop d'Hitler, que ce n'est pas honnête de ma part. Et je crois que vous avez raison, on a passé trop de temps sur mon point Godwin. Ce que j'essaye de dire de manière maladroite, c'est que parler de réarmement démographique à des fins électorales, c'est jouer avec le feu. Alors, j'ai bien lu l'air. Et je l'ai surtout senti. Ça pue. C'est la fin de cet épisode consacré au réarmement démographique. Je vous demanderai bien de contribuer au réarmement podcastique, en mettant des étoiles, en partageant. Et moi, je rêve plus à une France douce, où l'on partagerait son podcast, même avec ceux qu'on n'aime pas.

Description

Début 2024, suite aux mauvais chiffres de la natalité française, Emmanuel Macron parle de la nécessité d’un « réarmement démographique ». S’agit-il de démographie ou de politique ? S’armer pourquoi ? Et surtout, contre qui ? C’est certain, la démographie devient politique. Dans cet épisode, je décrypte ce que Macron a voulu dire. Je l’écoute, je lis entre les lignes et autour : bref, je lis l’air.


Un podcast de David Duhamel produit par MaisonK Prod (Laurent Kouchner)

Musique originale : Ben Molinaro

Graphisme : Anna Toussaint

Merci à Clara Trotabas !


Au fait , et si vous adhériez à notre newsletter ? https://podcast.ausha.co/un-monde-sans-enfants?s=1


Sources :


Extrait de la conférence de presse d'Emmanuel Macron, le 16 janvier 2024.


Extrait du discours de politique générale de Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale, le 30 janvier 2024.


Extrait de l'allocution prononcée par François Mitterrand à l'occasion d'un colloque sur "La France et la pluralité des cultures", le 18 mai 1987, Archives INA.


Extrait du discours de Donald Trump au meeting de Durham, New Hampshire, le 16 décembre 2023, The Sun.


Extrait d'un échange entre Eric Zemmour et la presse au cours d'un déplacement dans le Calvados, le 23 octobre 2021, CNews.


Hervé Le Bras, 2022, Le grand enfumage, éditions de l’aube/Fondation Jean Jaurès


Hervé Le Bras à Médiapart - https://www.mediapart.fr/journal/france/170124/herve-le-bras-le-rearmement-demographique-c-est-grotesque

Et sur C ce soir - https://www.youtube.com/watch?v=WQxf5LUm9QY&t=75s

Paul Morland, 2019, The Human Tide, John Murray Press


Nicholas Eberstadt, The De-Population Bomb - https://www.youtube.com/watch?v=uNdnlrkx-wg&t=3362s



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Janvier 2024, les derniers chiffres de la démographie française tombent. Boum, ils ne sont pas bons. 1,67 enfants par femme. Il faut faire quelque chose. Quel lapin le chef de l'État va-t-il sortir de son chapeau ?

  • Speaker #1

    1. Réarmement démographique.

  • Speaker #0

    Réarmement démographique. Je vous avoue que cette expression dans la bouche d'Emmanuel Macron m'a mis en colère. Et quand il a ajouté

  • Speaker #1

    Pour que la France reste la France j'ai fait un salto.

  • Speaker #0

    Et quand deux semaines après, Gabriel Attal, tout neuf Premier ministre, a dit

  • Speaker #2

    Je refuse avec eux que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre là,

  • Speaker #0

    j'ai hurlé à la lune. Ces trois phrases m'ont directement catapulté sur mon point Godwin. Pour rappel, le point Godwin vient de la loi de Godwin que l'on doit à, vous avez deviné, M. Godwin. L'idée est que, lorsque deux personnes se disputent férocement, l'une d'entre elles va finir par mentionner Hitler ou les nazis, que ça n'est qu'une question de temps. Or, lors d'un désaccord quand vous utilisez Hitler, c'est généralement pour disqualifier la position de votre adversaire et le plus souvent vous obtenez le but opposé, tellement vous semblez de mauvaise foi. À ce stade, on peut estimer que la discussion est morte. Bravo, vous avez atteint le fameux point Godwin. Si je parle moi d'Hitler pour expliquer Macron, je perds automatiquement toute crédibilité. Et c'est là toute la difficulté de cet épisode. Comment expliquer que l'expression réarmement démographique est intimement liée au discours des années 30, dont le discours nazi, sans que vous vous dites ça y est, il a perdu la boule, il a touché les fils, c'est n'importe quoi Eh bien, c'est un travail d'équilibriste que nous devons faire ensemble. Moi, qui vous convainc que je parle en tant qu'historien ou démographe, et non pas polémiste, et vous, qui vous ouvrez à la possibilité que je dise la vérité. Honnêtement, j'étais pas trop sûr de moi. Peut-être ma réaction était irrationnelle, à tout le moins disproportionnée. Alors, pour me rassurer, j'ai demandé à Tchad GPT. Ouais, je sais, c'est paresseux, mais mes étudiants le font tout le temps, alors bon. Je lui demande, et j'ouvre les guillemets parce que c'est important que vous compreniez ce que je lui ai demandé exactement. Historiquement, que signifie l'expression réarmement démographique Et ChatGPT pétait de me répondre

  • Speaker #3

    Le réarmement démographique désigne les efforts visant à influencer ou à manipuler les tendances démographiques au sein d'une population.

  • Speaker #0

    Là, je saute une ligne ou deux. Il continue

  • Speaker #3

    Le terme est le plus souvent associé aux politiques de l'Allemagne nazie dans les années 1930.

  • Speaker #0

    Ah ah ! Bonjour, je suis David Duhamel, professeur d'économie à l'ILERI et enseignant à Sciences Po Paris. Et par ailleurs, je ne crois pas toujours chat-gpt, sauf quand ça m'arrange. Vous le savez, j'enseigne aux étudiants étrangers. Ceux-ci viennent du monde entier, mais tous sont 1. privilégiés, 2. anglophones. Eh ouais, mon cours est en anglais, je frime un peu. J'utilise lors de mon premier cours, qui est une introduction, un livre intitulé La carte des différences culturelles d'Erin Meyer. Dans ce livre, elle explique qu'il existe des langages explicites et des langages implicites. Le plus explicite de tous les langages est l'américain. Aux USA, toute l'information pertinente est contenue dans le message. C'est bien normal, la population américaine étant très diversifiée, il est important d'être compris par tous. A l'inverse, au Japon, qui est une île sans réelle population immigrée, Il y a autant de sens dans ce qui est dit que dans la façon dont c'est dit que dans ce qui n'est pas dit. Au Japon, il faut lire l'air. Lire l'air, c'est un peu comme lire entre les lignes, mais au carré. Et en France ? Eh bien, nous sommes entre les USA et le Japon. Nous disposons de relativement peu de mots et notre langage est riche en contextes. D'où notre usage immodéré de l'ironie et du second degré. Alors je vais où avec cette passionnante tangente linguistique ? Eh bien, j'essaie de comprendre ce que notre président a voulu dire en parlant de réarmement démographique C'est sûr, il ne faut pas lire cette phrase comme un Américain. Elle suggère bien plus qu'elle ne dit. Et ce sont bien ces suggestions qui posent question et problème. Et puis, elle est dite dans un contexte particulier. Bref, pour comprendre, il va nous falloir lire l'air. Emmanuel Macron prend la parole juste après la publication par l'INSEE des chiffres de la démographie française de 2023. Et ils ne sont pas bons. Non seulement le nombre des naissances et la fécondité par femme continuent de descendre, mais ils descendent bien plus vite que prévu. On passe sous la barre des 700 000 naissances. le plus bas depuis 1946, et 1,67 enfants par femme alors qu'on était encore à 2 en 2014. La France demeure dans le top des pays riches, mais en 2023, elle est descendue très vite. Moins 6,6% de naissance. Ça, c'est un rythme coréen ou chinois. Et répété sur plusieurs années, c'est cataclysmique. Mais rien ne dit que ça va être répété sur plusieurs années. Évidemment, toute la presse a relayé ces mauvais résultats, qui au passage, et je le souligne, s'inscrivent assez bien dans le thème général de ce que je vous raconte dans ce podcast. Je ne voudrais pas rater une occasion de me congratuler, vous voyez. C'est donc dans ce contexte que Macron parle de ce désormais fameux réarmement démographique. Comme le déclare Hervé Le Brasse, qui est un peu la star des démographes, ce qu'a dit Macron est pathétique pour un démographe. Alors, pour un démographe, peut-être. Mais parler de réarmement démographique, ça n'est pas faire de la démographie. C'est faire de la politique. Le mot réarmement suppose que nous sommes désarmés et suggère une guerre à venir. Ce vocabulaire belliqueux nous oblige à chercher l'adversaire. Où est l'ennemi ? Qui est l'ennemi ? En 1900, c'était facile. C'était l'Allemagne. Toute la démographie française était hantée par cette évidence. On ne fait pas assez d'enfants par rapport aux Allemands. A l'époque, la France était le pays ayant le taux de fécondité le plus bas du monde, avec 2,8 enfants par femme. Pendant ce temps, les teutones, comme on les appelait alors, en faisaient 5. Mais le monde a bien changé. Aujourd'hui, la France se lamente car son taux de fécondité est de 1,67, mais ça fait 50 ans que l'Allemagne est en dessous. Donc l'ennemi, ça n'est pas l'Allemagne. Nous faudrait-il des bébés pour contrer les Russes ? Leur fécondité est en berne depuis la chute de l'URSS. Les Chinois, peut-être. Ils sont à 1,2 et en chute libre. Ah non, l'ennemi n'est plus un pays, mais une masse. Les pauvres, les immigrés. C'est un clin d'œil évident à l'extrême droite et au tenant de la théorie du grand remplacement. dont je vous parlerai dans un épisode à venir sur l'immigration. En gros, que les Européens de souche, les Blancs, se font remplacer par les non-Blancs. Une théorie que Hervé Le Brasse, toujours lui, qualifie de grand enfumage dans son livre bien nommé Le grand enfumage Il faut faire des petits Français pour que, je cite Macron à nouveau, la France reste la France Là encore, il faut distinguer entre le sens littéral et l'objectif visé. Lisons l'air. Littéralement, ça n'est pas très intéressant. Et je laisse François Mitterrand répondre.

  • Speaker #4

    Nos ancêtres les Gaulois, un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un peu espagnols, de plus en plus portugais, peut-être, qui sait, polonais. Et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes.

  • Speaker #0

    J'avoue que c'est un peu gonflé d'utiliser François Mitterrand, lui qui aussi en son temps a soufflé sur les braises de l'extrême droite. Mais Macron ne fait pas autre chose. Cette phrase pour que la France reste la France est adressée à l'électorat de droite et d'extrême droite. Elle dit en substance Je vous ai compris, vous avez le sentiment que le monde change trop vite et ne ressemble plus à celui de votre enfance, je vais lutter contre ce changement Il parle directement à la nostalgie que chacun d'entre nous peut ressentir, à l'inquiétude aussi. Ajoutons les précisions apportées quelques jours après par Gabriel Attal.

  • Speaker #2

    Je refuse avec eux que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre

  • Speaker #0

    Mais vous savez, ce qui se dilue ? un liquide. Si c'est de l'alcool, c'est pour le rendre moins fort. Si c'est du sang, c'est pour le rendre moins pur. Voilà le sous-texte. Le sang français est en danger, et le danger, c'est les autres. Les étrangers. Trump, cela n'étonnera personne, va un peu plus loin qu'Atal, en déclarant fin 2023 que les immigrés empoisonnent le sang de notre pays C'est bien le métissage qui inquiète Trump. Et oui, Hitler a dit à peu près la même chose mot pour mot, mais j'ai vraiment pas envie de le citer là. Alors, entendons-nous bien. Gabriel Attal n'est pas Donald Trump, et encore moins Adolf Hitler. Déjà, l'école alsacienne n'aurait jamais accepté Hitler. Stanislas ? Non. Non plus. Je ne crois pas que Macron et Attal craignent le métissage et la dilution de la race française, laquelle d'ailleurs n'existe pas. Mais ils chassent sur des terres périlleuses. Ils instrumentalisent une question qui est du ressort de l'intime pour marquer des points sur l'échiquier politique. Ils utilisent la démographie pour faire peur. Car il n'y a rien de plus simple que de blâmer l'étranger et le migrant. Lorsque Macron dit pour que la France reste la France il n'ignore pas que la même phrase était déjà employée par Éric Zemmour lors de sa campagne de 2022.

  • Speaker #2

    Quelle France nous voulons dans 20 ans ? Moi j'ai dit qu'il faut que la France reste la France.

  • Speaker #0

    On remarquera aussi l'emploi généralisé, ces dernières années, du préfixe re- » . Renaissance le parti de Macron. Re-conquête celui de Zemmour. Ré-armement Il y a dans ces mots un appel subliminal à un passé meilleur. On vous caresse le poil dans le sens de la nostalgie. Quand était-ce exactement ce passé meilleur ? Nul ne le sait. Mais c'était immanquablement une époque où la France était plus blanche et plus religieuse qu'aujourd'hui. Une époque aussi où les femmes restaient à leur place. Et c'est là où le réarmement démographique vient télescoper le droit des femmes. Et c'est un peu paradoxal, car dans le même discours, Macron évoque un congé de naissance potentiellement égalitaire entre hommes et femmes. Et ça, c'est une vraie avancée. Une avancée féministe ou égalitaire, et une avancée en matière de politique nataliste intelligente. Plus le coût d'avoir un enfant est partagé entre hommes et femmes, et plus les femmes en feront. Je parle plus longuement de la politisation de la natalité avec Cécile Alduit, professeure de littérature à Stanford et spécialiste des éléments de langage de l'extrême droite, dans l'épisode intitulé Le choix des mots On y évoquera la façon dont les droits des femmes se trouvent ciblés dans toute politique nataliste aux accents martiaux. Au risque de me répéter, le nombre d'enfants par femme doit être celui qu'elle souhaite avoir, pas un de moins et pas un de plus. Il faut aider celles qui en veulent et laisser tranquilles celles qui n'en veulent pas. Or, la baisse de la natalité est parfois prétexte à une critique générationnelle et genrée. J'entends par là l'idée que les jeunes femmes seraient égoïstes, elles refuseraient de sacrifier leur petit intérêt personnel au service de la nation ou de la société. C'est un discours populaire dans les milieux conservateurs américains. Par exemple, Nicholas Eberstadt, de l'American Enterprise Institute, un think tank conservateur, stigmatise la génération Z, les jeunes, à ses yeux totalement égoïstes, et la compare avec la génération du baby boom, la sienne, qui avait su faire les sacrifices nécessaires pour ses enfants. Il parle de la bravoure d'avoir des enfants. Je ne suis pas convaincu. Tous ces boomers qui parlent de sacrifice oublient un peu vite que dans l'immense majorité, c'est leurs épouses qui se sont sacrifiées. Mais bon, ça fait pas deux Hitler non plus. Vous trouvez peut-être que je parle trop d'Hitler, que ce n'est pas honnête de ma part. Et je crois que vous avez raison, on a passé trop de temps sur mon point Godwin. Ce que j'essaye de dire de manière maladroite, c'est que parler de réarmement démographique à des fins électorales, c'est jouer avec le feu. Alors, j'ai bien lu l'air. Et je l'ai surtout senti. Ça pue. C'est la fin de cet épisode consacré au réarmement démographique. Je vous demanderai bien de contribuer au réarmement podcastique, en mettant des étoiles, en partageant. Et moi, je rêve plus à une France douce, où l'on partagerait son podcast, même avec ceux qu'on n'aime pas.

Share

Embed

You may also like

Description

Début 2024, suite aux mauvais chiffres de la natalité française, Emmanuel Macron parle de la nécessité d’un « réarmement démographique ». S’agit-il de démographie ou de politique ? S’armer pourquoi ? Et surtout, contre qui ? C’est certain, la démographie devient politique. Dans cet épisode, je décrypte ce que Macron a voulu dire. Je l’écoute, je lis entre les lignes et autour : bref, je lis l’air.


Un podcast de David Duhamel produit par MaisonK Prod (Laurent Kouchner)

Musique originale : Ben Molinaro

Graphisme : Anna Toussaint

Merci à Clara Trotabas !


Au fait , et si vous adhériez à notre newsletter ? https://podcast.ausha.co/un-monde-sans-enfants?s=1


Sources :


Extrait de la conférence de presse d'Emmanuel Macron, le 16 janvier 2024.


Extrait du discours de politique générale de Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale, le 30 janvier 2024.


Extrait de l'allocution prononcée par François Mitterrand à l'occasion d'un colloque sur "La France et la pluralité des cultures", le 18 mai 1987, Archives INA.


Extrait du discours de Donald Trump au meeting de Durham, New Hampshire, le 16 décembre 2023, The Sun.


Extrait d'un échange entre Eric Zemmour et la presse au cours d'un déplacement dans le Calvados, le 23 octobre 2021, CNews.


Hervé Le Bras, 2022, Le grand enfumage, éditions de l’aube/Fondation Jean Jaurès


Hervé Le Bras à Médiapart - https://www.mediapart.fr/journal/france/170124/herve-le-bras-le-rearmement-demographique-c-est-grotesque

Et sur C ce soir - https://www.youtube.com/watch?v=WQxf5LUm9QY&t=75s

Paul Morland, 2019, The Human Tide, John Murray Press


Nicholas Eberstadt, The De-Population Bomb - https://www.youtube.com/watch?v=uNdnlrkx-wg&t=3362s



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Janvier 2024, les derniers chiffres de la démographie française tombent. Boum, ils ne sont pas bons. 1,67 enfants par femme. Il faut faire quelque chose. Quel lapin le chef de l'État va-t-il sortir de son chapeau ?

  • Speaker #1

    1. Réarmement démographique.

  • Speaker #0

    Réarmement démographique. Je vous avoue que cette expression dans la bouche d'Emmanuel Macron m'a mis en colère. Et quand il a ajouté

  • Speaker #1

    Pour que la France reste la France j'ai fait un salto.

  • Speaker #0

    Et quand deux semaines après, Gabriel Attal, tout neuf Premier ministre, a dit

  • Speaker #2

    Je refuse avec eux que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre là,

  • Speaker #0

    j'ai hurlé à la lune. Ces trois phrases m'ont directement catapulté sur mon point Godwin. Pour rappel, le point Godwin vient de la loi de Godwin que l'on doit à, vous avez deviné, M. Godwin. L'idée est que, lorsque deux personnes se disputent férocement, l'une d'entre elles va finir par mentionner Hitler ou les nazis, que ça n'est qu'une question de temps. Or, lors d'un désaccord quand vous utilisez Hitler, c'est généralement pour disqualifier la position de votre adversaire et le plus souvent vous obtenez le but opposé, tellement vous semblez de mauvaise foi. À ce stade, on peut estimer que la discussion est morte. Bravo, vous avez atteint le fameux point Godwin. Si je parle moi d'Hitler pour expliquer Macron, je perds automatiquement toute crédibilité. Et c'est là toute la difficulté de cet épisode. Comment expliquer que l'expression réarmement démographique est intimement liée au discours des années 30, dont le discours nazi, sans que vous vous dites ça y est, il a perdu la boule, il a touché les fils, c'est n'importe quoi Eh bien, c'est un travail d'équilibriste que nous devons faire ensemble. Moi, qui vous convainc que je parle en tant qu'historien ou démographe, et non pas polémiste, et vous, qui vous ouvrez à la possibilité que je dise la vérité. Honnêtement, j'étais pas trop sûr de moi. Peut-être ma réaction était irrationnelle, à tout le moins disproportionnée. Alors, pour me rassurer, j'ai demandé à Tchad GPT. Ouais, je sais, c'est paresseux, mais mes étudiants le font tout le temps, alors bon. Je lui demande, et j'ouvre les guillemets parce que c'est important que vous compreniez ce que je lui ai demandé exactement. Historiquement, que signifie l'expression réarmement démographique Et ChatGPT pétait de me répondre

  • Speaker #3

    Le réarmement démographique désigne les efforts visant à influencer ou à manipuler les tendances démographiques au sein d'une population.

  • Speaker #0

    Là, je saute une ligne ou deux. Il continue

  • Speaker #3

    Le terme est le plus souvent associé aux politiques de l'Allemagne nazie dans les années 1930.

  • Speaker #0

    Ah ah ! Bonjour, je suis David Duhamel, professeur d'économie à l'ILERI et enseignant à Sciences Po Paris. Et par ailleurs, je ne crois pas toujours chat-gpt, sauf quand ça m'arrange. Vous le savez, j'enseigne aux étudiants étrangers. Ceux-ci viennent du monde entier, mais tous sont 1. privilégiés, 2. anglophones. Eh ouais, mon cours est en anglais, je frime un peu. J'utilise lors de mon premier cours, qui est une introduction, un livre intitulé La carte des différences culturelles d'Erin Meyer. Dans ce livre, elle explique qu'il existe des langages explicites et des langages implicites. Le plus explicite de tous les langages est l'américain. Aux USA, toute l'information pertinente est contenue dans le message. C'est bien normal, la population américaine étant très diversifiée, il est important d'être compris par tous. A l'inverse, au Japon, qui est une île sans réelle population immigrée, Il y a autant de sens dans ce qui est dit que dans la façon dont c'est dit que dans ce qui n'est pas dit. Au Japon, il faut lire l'air. Lire l'air, c'est un peu comme lire entre les lignes, mais au carré. Et en France ? Eh bien, nous sommes entre les USA et le Japon. Nous disposons de relativement peu de mots et notre langage est riche en contextes. D'où notre usage immodéré de l'ironie et du second degré. Alors je vais où avec cette passionnante tangente linguistique ? Eh bien, j'essaie de comprendre ce que notre président a voulu dire en parlant de réarmement démographique C'est sûr, il ne faut pas lire cette phrase comme un Américain. Elle suggère bien plus qu'elle ne dit. Et ce sont bien ces suggestions qui posent question et problème. Et puis, elle est dite dans un contexte particulier. Bref, pour comprendre, il va nous falloir lire l'air. Emmanuel Macron prend la parole juste après la publication par l'INSEE des chiffres de la démographie française de 2023. Et ils ne sont pas bons. Non seulement le nombre des naissances et la fécondité par femme continuent de descendre, mais ils descendent bien plus vite que prévu. On passe sous la barre des 700 000 naissances. le plus bas depuis 1946, et 1,67 enfants par femme alors qu'on était encore à 2 en 2014. La France demeure dans le top des pays riches, mais en 2023, elle est descendue très vite. Moins 6,6% de naissance. Ça, c'est un rythme coréen ou chinois. Et répété sur plusieurs années, c'est cataclysmique. Mais rien ne dit que ça va être répété sur plusieurs années. Évidemment, toute la presse a relayé ces mauvais résultats, qui au passage, et je le souligne, s'inscrivent assez bien dans le thème général de ce que je vous raconte dans ce podcast. Je ne voudrais pas rater une occasion de me congratuler, vous voyez. C'est donc dans ce contexte que Macron parle de ce désormais fameux réarmement démographique. Comme le déclare Hervé Le Brasse, qui est un peu la star des démographes, ce qu'a dit Macron est pathétique pour un démographe. Alors, pour un démographe, peut-être. Mais parler de réarmement démographique, ça n'est pas faire de la démographie. C'est faire de la politique. Le mot réarmement suppose que nous sommes désarmés et suggère une guerre à venir. Ce vocabulaire belliqueux nous oblige à chercher l'adversaire. Où est l'ennemi ? Qui est l'ennemi ? En 1900, c'était facile. C'était l'Allemagne. Toute la démographie française était hantée par cette évidence. On ne fait pas assez d'enfants par rapport aux Allemands. A l'époque, la France était le pays ayant le taux de fécondité le plus bas du monde, avec 2,8 enfants par femme. Pendant ce temps, les teutones, comme on les appelait alors, en faisaient 5. Mais le monde a bien changé. Aujourd'hui, la France se lamente car son taux de fécondité est de 1,67, mais ça fait 50 ans que l'Allemagne est en dessous. Donc l'ennemi, ça n'est pas l'Allemagne. Nous faudrait-il des bébés pour contrer les Russes ? Leur fécondité est en berne depuis la chute de l'URSS. Les Chinois, peut-être. Ils sont à 1,2 et en chute libre. Ah non, l'ennemi n'est plus un pays, mais une masse. Les pauvres, les immigrés. C'est un clin d'œil évident à l'extrême droite et au tenant de la théorie du grand remplacement. dont je vous parlerai dans un épisode à venir sur l'immigration. En gros, que les Européens de souche, les Blancs, se font remplacer par les non-Blancs. Une théorie que Hervé Le Brasse, toujours lui, qualifie de grand enfumage dans son livre bien nommé Le grand enfumage Il faut faire des petits Français pour que, je cite Macron à nouveau, la France reste la France Là encore, il faut distinguer entre le sens littéral et l'objectif visé. Lisons l'air. Littéralement, ça n'est pas très intéressant. Et je laisse François Mitterrand répondre.

  • Speaker #4

    Nos ancêtres les Gaulois, un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un peu espagnols, de plus en plus portugais, peut-être, qui sait, polonais. Et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes.

  • Speaker #0

    J'avoue que c'est un peu gonflé d'utiliser François Mitterrand, lui qui aussi en son temps a soufflé sur les braises de l'extrême droite. Mais Macron ne fait pas autre chose. Cette phrase pour que la France reste la France est adressée à l'électorat de droite et d'extrême droite. Elle dit en substance Je vous ai compris, vous avez le sentiment que le monde change trop vite et ne ressemble plus à celui de votre enfance, je vais lutter contre ce changement Il parle directement à la nostalgie que chacun d'entre nous peut ressentir, à l'inquiétude aussi. Ajoutons les précisions apportées quelques jours après par Gabriel Attal.

  • Speaker #2

    Je refuse avec eux que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre

  • Speaker #0

    Mais vous savez, ce qui se dilue ? un liquide. Si c'est de l'alcool, c'est pour le rendre moins fort. Si c'est du sang, c'est pour le rendre moins pur. Voilà le sous-texte. Le sang français est en danger, et le danger, c'est les autres. Les étrangers. Trump, cela n'étonnera personne, va un peu plus loin qu'Atal, en déclarant fin 2023 que les immigrés empoisonnent le sang de notre pays C'est bien le métissage qui inquiète Trump. Et oui, Hitler a dit à peu près la même chose mot pour mot, mais j'ai vraiment pas envie de le citer là. Alors, entendons-nous bien. Gabriel Attal n'est pas Donald Trump, et encore moins Adolf Hitler. Déjà, l'école alsacienne n'aurait jamais accepté Hitler. Stanislas ? Non. Non plus. Je ne crois pas que Macron et Attal craignent le métissage et la dilution de la race française, laquelle d'ailleurs n'existe pas. Mais ils chassent sur des terres périlleuses. Ils instrumentalisent une question qui est du ressort de l'intime pour marquer des points sur l'échiquier politique. Ils utilisent la démographie pour faire peur. Car il n'y a rien de plus simple que de blâmer l'étranger et le migrant. Lorsque Macron dit pour que la France reste la France il n'ignore pas que la même phrase était déjà employée par Éric Zemmour lors de sa campagne de 2022.

  • Speaker #2

    Quelle France nous voulons dans 20 ans ? Moi j'ai dit qu'il faut que la France reste la France.

  • Speaker #0

    On remarquera aussi l'emploi généralisé, ces dernières années, du préfixe re- » . Renaissance le parti de Macron. Re-conquête celui de Zemmour. Ré-armement Il y a dans ces mots un appel subliminal à un passé meilleur. On vous caresse le poil dans le sens de la nostalgie. Quand était-ce exactement ce passé meilleur ? Nul ne le sait. Mais c'était immanquablement une époque où la France était plus blanche et plus religieuse qu'aujourd'hui. Une époque aussi où les femmes restaient à leur place. Et c'est là où le réarmement démographique vient télescoper le droit des femmes. Et c'est un peu paradoxal, car dans le même discours, Macron évoque un congé de naissance potentiellement égalitaire entre hommes et femmes. Et ça, c'est une vraie avancée. Une avancée féministe ou égalitaire, et une avancée en matière de politique nataliste intelligente. Plus le coût d'avoir un enfant est partagé entre hommes et femmes, et plus les femmes en feront. Je parle plus longuement de la politisation de la natalité avec Cécile Alduit, professeure de littérature à Stanford et spécialiste des éléments de langage de l'extrême droite, dans l'épisode intitulé Le choix des mots On y évoquera la façon dont les droits des femmes se trouvent ciblés dans toute politique nataliste aux accents martiaux. Au risque de me répéter, le nombre d'enfants par femme doit être celui qu'elle souhaite avoir, pas un de moins et pas un de plus. Il faut aider celles qui en veulent et laisser tranquilles celles qui n'en veulent pas. Or, la baisse de la natalité est parfois prétexte à une critique générationnelle et genrée. J'entends par là l'idée que les jeunes femmes seraient égoïstes, elles refuseraient de sacrifier leur petit intérêt personnel au service de la nation ou de la société. C'est un discours populaire dans les milieux conservateurs américains. Par exemple, Nicholas Eberstadt, de l'American Enterprise Institute, un think tank conservateur, stigmatise la génération Z, les jeunes, à ses yeux totalement égoïstes, et la compare avec la génération du baby boom, la sienne, qui avait su faire les sacrifices nécessaires pour ses enfants. Il parle de la bravoure d'avoir des enfants. Je ne suis pas convaincu. Tous ces boomers qui parlent de sacrifice oublient un peu vite que dans l'immense majorité, c'est leurs épouses qui se sont sacrifiées. Mais bon, ça fait pas deux Hitler non plus. Vous trouvez peut-être que je parle trop d'Hitler, que ce n'est pas honnête de ma part. Et je crois que vous avez raison, on a passé trop de temps sur mon point Godwin. Ce que j'essaye de dire de manière maladroite, c'est que parler de réarmement démographique à des fins électorales, c'est jouer avec le feu. Alors, j'ai bien lu l'air. Et je l'ai surtout senti. Ça pue. C'est la fin de cet épisode consacré au réarmement démographique. Je vous demanderai bien de contribuer au réarmement podcastique, en mettant des étoiles, en partageant. Et moi, je rêve plus à une France douce, où l'on partagerait son podcast, même avec ceux qu'on n'aime pas.

Description

Début 2024, suite aux mauvais chiffres de la natalité française, Emmanuel Macron parle de la nécessité d’un « réarmement démographique ». S’agit-il de démographie ou de politique ? S’armer pourquoi ? Et surtout, contre qui ? C’est certain, la démographie devient politique. Dans cet épisode, je décrypte ce que Macron a voulu dire. Je l’écoute, je lis entre les lignes et autour : bref, je lis l’air.


Un podcast de David Duhamel produit par MaisonK Prod (Laurent Kouchner)

Musique originale : Ben Molinaro

Graphisme : Anna Toussaint

Merci à Clara Trotabas !


Au fait , et si vous adhériez à notre newsletter ? https://podcast.ausha.co/un-monde-sans-enfants?s=1


Sources :


Extrait de la conférence de presse d'Emmanuel Macron, le 16 janvier 2024.


Extrait du discours de politique générale de Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale, le 30 janvier 2024.


Extrait de l'allocution prononcée par François Mitterrand à l'occasion d'un colloque sur "La France et la pluralité des cultures", le 18 mai 1987, Archives INA.


Extrait du discours de Donald Trump au meeting de Durham, New Hampshire, le 16 décembre 2023, The Sun.


Extrait d'un échange entre Eric Zemmour et la presse au cours d'un déplacement dans le Calvados, le 23 octobre 2021, CNews.


Hervé Le Bras, 2022, Le grand enfumage, éditions de l’aube/Fondation Jean Jaurès


Hervé Le Bras à Médiapart - https://www.mediapart.fr/journal/france/170124/herve-le-bras-le-rearmement-demographique-c-est-grotesque

Et sur C ce soir - https://www.youtube.com/watch?v=WQxf5LUm9QY&t=75s

Paul Morland, 2019, The Human Tide, John Murray Press


Nicholas Eberstadt, The De-Population Bomb - https://www.youtube.com/watch?v=uNdnlrkx-wg&t=3362s



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Janvier 2024, les derniers chiffres de la démographie française tombent. Boum, ils ne sont pas bons. 1,67 enfants par femme. Il faut faire quelque chose. Quel lapin le chef de l'État va-t-il sortir de son chapeau ?

  • Speaker #1

    1. Réarmement démographique.

  • Speaker #0

    Réarmement démographique. Je vous avoue que cette expression dans la bouche d'Emmanuel Macron m'a mis en colère. Et quand il a ajouté

  • Speaker #1

    Pour que la France reste la France j'ai fait un salto.

  • Speaker #0

    Et quand deux semaines après, Gabriel Attal, tout neuf Premier ministre, a dit

  • Speaker #2

    Je refuse avec eux que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre là,

  • Speaker #0

    j'ai hurlé à la lune. Ces trois phrases m'ont directement catapulté sur mon point Godwin. Pour rappel, le point Godwin vient de la loi de Godwin que l'on doit à, vous avez deviné, M. Godwin. L'idée est que, lorsque deux personnes se disputent férocement, l'une d'entre elles va finir par mentionner Hitler ou les nazis, que ça n'est qu'une question de temps. Or, lors d'un désaccord quand vous utilisez Hitler, c'est généralement pour disqualifier la position de votre adversaire et le plus souvent vous obtenez le but opposé, tellement vous semblez de mauvaise foi. À ce stade, on peut estimer que la discussion est morte. Bravo, vous avez atteint le fameux point Godwin. Si je parle moi d'Hitler pour expliquer Macron, je perds automatiquement toute crédibilité. Et c'est là toute la difficulté de cet épisode. Comment expliquer que l'expression réarmement démographique est intimement liée au discours des années 30, dont le discours nazi, sans que vous vous dites ça y est, il a perdu la boule, il a touché les fils, c'est n'importe quoi Eh bien, c'est un travail d'équilibriste que nous devons faire ensemble. Moi, qui vous convainc que je parle en tant qu'historien ou démographe, et non pas polémiste, et vous, qui vous ouvrez à la possibilité que je dise la vérité. Honnêtement, j'étais pas trop sûr de moi. Peut-être ma réaction était irrationnelle, à tout le moins disproportionnée. Alors, pour me rassurer, j'ai demandé à Tchad GPT. Ouais, je sais, c'est paresseux, mais mes étudiants le font tout le temps, alors bon. Je lui demande, et j'ouvre les guillemets parce que c'est important que vous compreniez ce que je lui ai demandé exactement. Historiquement, que signifie l'expression réarmement démographique Et ChatGPT pétait de me répondre

  • Speaker #3

    Le réarmement démographique désigne les efforts visant à influencer ou à manipuler les tendances démographiques au sein d'une population.

  • Speaker #0

    Là, je saute une ligne ou deux. Il continue

  • Speaker #3

    Le terme est le plus souvent associé aux politiques de l'Allemagne nazie dans les années 1930.

  • Speaker #0

    Ah ah ! Bonjour, je suis David Duhamel, professeur d'économie à l'ILERI et enseignant à Sciences Po Paris. Et par ailleurs, je ne crois pas toujours chat-gpt, sauf quand ça m'arrange. Vous le savez, j'enseigne aux étudiants étrangers. Ceux-ci viennent du monde entier, mais tous sont 1. privilégiés, 2. anglophones. Eh ouais, mon cours est en anglais, je frime un peu. J'utilise lors de mon premier cours, qui est une introduction, un livre intitulé La carte des différences culturelles d'Erin Meyer. Dans ce livre, elle explique qu'il existe des langages explicites et des langages implicites. Le plus explicite de tous les langages est l'américain. Aux USA, toute l'information pertinente est contenue dans le message. C'est bien normal, la population américaine étant très diversifiée, il est important d'être compris par tous. A l'inverse, au Japon, qui est une île sans réelle population immigrée, Il y a autant de sens dans ce qui est dit que dans la façon dont c'est dit que dans ce qui n'est pas dit. Au Japon, il faut lire l'air. Lire l'air, c'est un peu comme lire entre les lignes, mais au carré. Et en France ? Eh bien, nous sommes entre les USA et le Japon. Nous disposons de relativement peu de mots et notre langage est riche en contextes. D'où notre usage immodéré de l'ironie et du second degré. Alors je vais où avec cette passionnante tangente linguistique ? Eh bien, j'essaie de comprendre ce que notre président a voulu dire en parlant de réarmement démographique C'est sûr, il ne faut pas lire cette phrase comme un Américain. Elle suggère bien plus qu'elle ne dit. Et ce sont bien ces suggestions qui posent question et problème. Et puis, elle est dite dans un contexte particulier. Bref, pour comprendre, il va nous falloir lire l'air. Emmanuel Macron prend la parole juste après la publication par l'INSEE des chiffres de la démographie française de 2023. Et ils ne sont pas bons. Non seulement le nombre des naissances et la fécondité par femme continuent de descendre, mais ils descendent bien plus vite que prévu. On passe sous la barre des 700 000 naissances. le plus bas depuis 1946, et 1,67 enfants par femme alors qu'on était encore à 2 en 2014. La France demeure dans le top des pays riches, mais en 2023, elle est descendue très vite. Moins 6,6% de naissance. Ça, c'est un rythme coréen ou chinois. Et répété sur plusieurs années, c'est cataclysmique. Mais rien ne dit que ça va être répété sur plusieurs années. Évidemment, toute la presse a relayé ces mauvais résultats, qui au passage, et je le souligne, s'inscrivent assez bien dans le thème général de ce que je vous raconte dans ce podcast. Je ne voudrais pas rater une occasion de me congratuler, vous voyez. C'est donc dans ce contexte que Macron parle de ce désormais fameux réarmement démographique. Comme le déclare Hervé Le Brasse, qui est un peu la star des démographes, ce qu'a dit Macron est pathétique pour un démographe. Alors, pour un démographe, peut-être. Mais parler de réarmement démographique, ça n'est pas faire de la démographie. C'est faire de la politique. Le mot réarmement suppose que nous sommes désarmés et suggère une guerre à venir. Ce vocabulaire belliqueux nous oblige à chercher l'adversaire. Où est l'ennemi ? Qui est l'ennemi ? En 1900, c'était facile. C'était l'Allemagne. Toute la démographie française était hantée par cette évidence. On ne fait pas assez d'enfants par rapport aux Allemands. A l'époque, la France était le pays ayant le taux de fécondité le plus bas du monde, avec 2,8 enfants par femme. Pendant ce temps, les teutones, comme on les appelait alors, en faisaient 5. Mais le monde a bien changé. Aujourd'hui, la France se lamente car son taux de fécondité est de 1,67, mais ça fait 50 ans que l'Allemagne est en dessous. Donc l'ennemi, ça n'est pas l'Allemagne. Nous faudrait-il des bébés pour contrer les Russes ? Leur fécondité est en berne depuis la chute de l'URSS. Les Chinois, peut-être. Ils sont à 1,2 et en chute libre. Ah non, l'ennemi n'est plus un pays, mais une masse. Les pauvres, les immigrés. C'est un clin d'œil évident à l'extrême droite et au tenant de la théorie du grand remplacement. dont je vous parlerai dans un épisode à venir sur l'immigration. En gros, que les Européens de souche, les Blancs, se font remplacer par les non-Blancs. Une théorie que Hervé Le Brasse, toujours lui, qualifie de grand enfumage dans son livre bien nommé Le grand enfumage Il faut faire des petits Français pour que, je cite Macron à nouveau, la France reste la France Là encore, il faut distinguer entre le sens littéral et l'objectif visé. Lisons l'air. Littéralement, ça n'est pas très intéressant. Et je laisse François Mitterrand répondre.

  • Speaker #4

    Nos ancêtres les Gaulois, un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un peu espagnols, de plus en plus portugais, peut-être, qui sait, polonais. Et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes.

  • Speaker #0

    J'avoue que c'est un peu gonflé d'utiliser François Mitterrand, lui qui aussi en son temps a soufflé sur les braises de l'extrême droite. Mais Macron ne fait pas autre chose. Cette phrase pour que la France reste la France est adressée à l'électorat de droite et d'extrême droite. Elle dit en substance Je vous ai compris, vous avez le sentiment que le monde change trop vite et ne ressemble plus à celui de votre enfance, je vais lutter contre ce changement Il parle directement à la nostalgie que chacun d'entre nous peut ressentir, à l'inquiétude aussi. Ajoutons les précisions apportées quelques jours après par Gabriel Attal.

  • Speaker #2

    Je refuse avec eux que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre

  • Speaker #0

    Mais vous savez, ce qui se dilue ? un liquide. Si c'est de l'alcool, c'est pour le rendre moins fort. Si c'est du sang, c'est pour le rendre moins pur. Voilà le sous-texte. Le sang français est en danger, et le danger, c'est les autres. Les étrangers. Trump, cela n'étonnera personne, va un peu plus loin qu'Atal, en déclarant fin 2023 que les immigrés empoisonnent le sang de notre pays C'est bien le métissage qui inquiète Trump. Et oui, Hitler a dit à peu près la même chose mot pour mot, mais j'ai vraiment pas envie de le citer là. Alors, entendons-nous bien. Gabriel Attal n'est pas Donald Trump, et encore moins Adolf Hitler. Déjà, l'école alsacienne n'aurait jamais accepté Hitler. Stanislas ? Non. Non plus. Je ne crois pas que Macron et Attal craignent le métissage et la dilution de la race française, laquelle d'ailleurs n'existe pas. Mais ils chassent sur des terres périlleuses. Ils instrumentalisent une question qui est du ressort de l'intime pour marquer des points sur l'échiquier politique. Ils utilisent la démographie pour faire peur. Car il n'y a rien de plus simple que de blâmer l'étranger et le migrant. Lorsque Macron dit pour que la France reste la France il n'ignore pas que la même phrase était déjà employée par Éric Zemmour lors de sa campagne de 2022.

  • Speaker #2

    Quelle France nous voulons dans 20 ans ? Moi j'ai dit qu'il faut que la France reste la France.

  • Speaker #0

    On remarquera aussi l'emploi généralisé, ces dernières années, du préfixe re- » . Renaissance le parti de Macron. Re-conquête celui de Zemmour. Ré-armement Il y a dans ces mots un appel subliminal à un passé meilleur. On vous caresse le poil dans le sens de la nostalgie. Quand était-ce exactement ce passé meilleur ? Nul ne le sait. Mais c'était immanquablement une époque où la France était plus blanche et plus religieuse qu'aujourd'hui. Une époque aussi où les femmes restaient à leur place. Et c'est là où le réarmement démographique vient télescoper le droit des femmes. Et c'est un peu paradoxal, car dans le même discours, Macron évoque un congé de naissance potentiellement égalitaire entre hommes et femmes. Et ça, c'est une vraie avancée. Une avancée féministe ou égalitaire, et une avancée en matière de politique nataliste intelligente. Plus le coût d'avoir un enfant est partagé entre hommes et femmes, et plus les femmes en feront. Je parle plus longuement de la politisation de la natalité avec Cécile Alduit, professeure de littérature à Stanford et spécialiste des éléments de langage de l'extrême droite, dans l'épisode intitulé Le choix des mots On y évoquera la façon dont les droits des femmes se trouvent ciblés dans toute politique nataliste aux accents martiaux. Au risque de me répéter, le nombre d'enfants par femme doit être celui qu'elle souhaite avoir, pas un de moins et pas un de plus. Il faut aider celles qui en veulent et laisser tranquilles celles qui n'en veulent pas. Or, la baisse de la natalité est parfois prétexte à une critique générationnelle et genrée. J'entends par là l'idée que les jeunes femmes seraient égoïstes, elles refuseraient de sacrifier leur petit intérêt personnel au service de la nation ou de la société. C'est un discours populaire dans les milieux conservateurs américains. Par exemple, Nicholas Eberstadt, de l'American Enterprise Institute, un think tank conservateur, stigmatise la génération Z, les jeunes, à ses yeux totalement égoïstes, et la compare avec la génération du baby boom, la sienne, qui avait su faire les sacrifices nécessaires pour ses enfants. Il parle de la bravoure d'avoir des enfants. Je ne suis pas convaincu. Tous ces boomers qui parlent de sacrifice oublient un peu vite que dans l'immense majorité, c'est leurs épouses qui se sont sacrifiées. Mais bon, ça fait pas deux Hitler non plus. Vous trouvez peut-être que je parle trop d'Hitler, que ce n'est pas honnête de ma part. Et je crois que vous avez raison, on a passé trop de temps sur mon point Godwin. Ce que j'essaye de dire de manière maladroite, c'est que parler de réarmement démographique à des fins électorales, c'est jouer avec le feu. Alors, j'ai bien lu l'air. Et je l'ai surtout senti. Ça pue. C'est la fin de cet épisode consacré au réarmement démographique. Je vous demanderai bien de contribuer au réarmement podcastique, en mettant des étoiles, en partageant. Et moi, je rêve plus à une France douce, où l'on partagerait son podcast, même avec ceux qu'on n'aime pas.

Share

Embed

You may also like

undefined cover
undefined cover