Speaker #0Une année en prépa. Vous connaissez peut-être Tintin, ou du moins vous croyez le connaître. Votre génération a certainement eu accès à l'œuvre d'Hergé à travers les films, à travers les séries télévisées, et peut-être, peut-être avez-vous eu le courage de lire les albums. Eh bien, vous devriez les lire ces albums. Les 24 albums de Tintin sont une mine d'informations, de renseignements sur l'histoire du XXe siècle. Alors évidemment, c'est plutôt de la littérature pour vos parents, voire vos grands-parents, mais Tintin n'a pas pris une ride, Tintin est toujours extrêmement moderne, et ce que je vous propose, c'est tout simplement de faire main basse sur la collection de vos parents ou de vos grands-parents, ou de vous faire offrir pour Noël l'intégrale des 24 albums, pour réviser, tout simplement pour réviser votre programme de premier semestre de prépa ECG, puisque ce premier semestre a été consacré à l'histoire et à la géopolitique du XXe siècle. Il n'y a pas de meilleur guide qu'Hergé, Hergé porte un regard contemporain. sur les années 30, 40, 50, 60. Alors évidemment, on peut le critiquer, et il est critiqué pour sa position très colonialiste et très anticommuniste. Parce que voilà, c'est un Belge catholique qui écrit dans un journal conservateur dans un pays qui se targue d'avoir la possession du Congo. On ne va pas refaire l'histoire. Hergé est un homme des années 30. Il pense et écrit et dessine comme un homme des années 30. Nous allons donc, à partir des années 30 jusqu'aux années 70, traverser les vicissitudes géopolitiques du XXe siècle. à travers l'œuvre d'Hergé, il n'y a pas de meilleure révision. Hergé commence la série des Tintins, donc, en 1929-1930, avec les aventures de Tintin au pays des soviets. L'auteur est jeune, influençable, il écrit pour une revue qui est catholique, qui est colonialiste et qui est farouchement anticommuniste. Et il va donc porter un regard, somme toute, assez superficiel sur... la période soviétique, les années 30, c'est le moment où Staline lance les grandes réformes collectivistes. Dans Tintin au pays des soviets, on retrouve tous les clichés, tous les poncifs qu'on pouvait avoir en Europe occidentale démocratique face à l'Empire soviétique. Maintenant, juste après, peu de temps après, il y a Tintin en Amérique et on retrouve la même posture, diamétralement opposée, parce que voilà, Tintin, c'est un petit Belge, son auteur est un catholique et le voilà projeté dans une Amérique frénétique, celle des années 29-30, celle de la spéculation, celle de la crise économique. Et on va dire que l'auteur n'épargne pas le capitalisme américain, les millionnaires à gros cigares qui ont le dollar facile et qui sont prêts à tout acheter pour spéculer, pour faire de l'argent. Donc voilà, ces deux albums renvoient dos à dos le capitalisme et le communisme dans ce qu'ils peuvent avoir de plus caricaturel. L'auteur est encore jeune, le meilleur est à venir. Ce que nous montre aussi Hergé dans ses premiers albums, en particulier dans Tintin au Congo, c'est le colonialisme. Et là, on a une vision très belge. Une vision d'un Congo sous-développé que le Belge va civiliser. Les clichés, les poncifs sont encore là, on ne se refait pas. On retrouvera le monde colonial dans d'autres albums, dans Les cigares du Pharaon, dans Le crabe aux pinces d'or, avec cette fois-ci une vision peut-être un petit peu plus soft, un petit peu moins donneuse de leçons, où on verra l'Européen plus fasciné par l'Asie et l'Afrique et le Proche-Orient qu'un but de sa superbe et de sa puissance face aux malheureux Noirs du Congo belge. L'autre grande affaire. Dans les années 30, après l'opposition entre capitalisme, communisme et le colonialisme, c'est la montée en puissance des totalitarismes en Europe, mais aussi ailleurs dans le monde. Tout va changer dans l'œuvre d'Hergé à partir de l'album Tintin et le Lotus bleu. C'est l'entrée dans la maturité, l'information est beaucoup plus précise, les documents de travail d'Hergé, en particulier pour décrire la Chine, utiliser les idéogrammes chinois, sont de plus en plus qualitatifs, et on a enfin affaire à un auteur arrivé à maturité. doté d'un sens critique et qui a à cœur de faire une description extrêmement réaliste de la situation géopolitique de l'époque. Avec le Lotus bleu, on a des références très précises aux crises géopolitiques des années 30, à savoir l'incident de Mukden en Manchurie en 1931 et la crispation du Japon à la Société des Nations, le Japon impérialiste essayant de mettre les pieds en Chine. C'est l'arrière-plan de l'album avec le méchant Mitsuhiro Hato qui essaye de s'infiltrer finalement dans le paysage géopolitique chinois. Les albums qui suivront vont eux aussi montrer cette nouvelle dimension géopolitique liée au totalitarisme croissant. On voit ça avec le sceptre d'Otto Kahr, où à aucun moment l'Allemagne nazie n'est citée, mais où on comprend bien que la petite et paisible Sildavie n'est qu'une petite monarchie d'Europe centrale, parlementaire, démocrate. Et le voisin, la Bordurie, est un État agressif qui va essayer de trouver tous les prétextes pour envahir un État souverain et démocratique. ce n'est jamais que le sort qui fut infligé à la Tchécoslovaquie, à la Pologne, puis à la Belgique, envahie par les Allemands avant que ce ne soit le tour de la France. Donc le sept d'octobre nous précipite dans une Europe qui est à la veille de la guerre. Enfin, toujours dans les années 30, Hergé fait l'album L'Oreille cassée, qui fait référence à la guerre du Ausha en 32-35, qui a opposé le Paraguay et la Bolivie. A l'occasion de cet album, Hergé évoque toutes les dictatures bananières, tous les coups d'État, les révolutions d'Amérique latine. autour du personnage du dictateur Alcazar. Ça renvoie à l'idée de militarisation, de dictature, et c'est typique donc des années 30. Pour réviser votre programme, jetez un coup d'œil à l'oreille cassée. Pendant la guerre, RG ne va pas faire d'album très ou trop géopolitique. L'Étoile mystérieuse est un album très critiqué parce que le méchant y est caricaturé sous la forme d'un juif américain. alors que les gentils seraient des Européens, mais comprenez, des Européens un peu à la solde de l'Allemagne. Ce n'est pas le meilleur album de la série. Le secret de la licorne, le trésor d'or à cames le rouge, les sept boules de cristal et le temple du soleil sont apolitiques, au-dessus de la géopolitique, coupés du contexte international. Hergé se réfugie dans les grands espaces océaniques ou dans les montagnes du Pérou. Il ne veut pas entendre parler de l'actualité. Mais l'actualité, elle va revenir dans son œuvre pendant la guerre froide, pendant les années 50. Il va nous montrer la guerre froide avec l'affaire Tournesol en 1956, l'année. de la répression à Budapest, l'année du rapport Khrouchtchev, et on voit entre la Cile d'Avis et la Bordurie, à nouveau, le rideau de fer qui est tombé, et la dictature totalitaire, le moustachisme du leader éclairé Plexiglas. On retrouvera ça aussi avec les Picaros, qui font leur révolution autour d'Alcazar, qui est une espèce de pseudo Che Guevara, finalement. La guerre froide, on la voit aussi dans La conquête spatiale, à travers les deux albums magistraux qui sont Objectif Lune et On a marché sur la Lune, qui sont parus avant la véritable exploration lunaire et avant la véritable conquête spatiale. Ce diptyque renvoie aussi à la passion qu'avait Hergé pour les belles machines, pour la technologie, pour le progrès scientifique, chose que l'on retrouvera dans les bijoux de la Castafiore, par exemple avec la télévision en couleur, chose que l'on retrouvera aussi dans Vol 714 pour Sydney, avec une dimension à la fois aéronautique et un peu surnaturelle autour de la question des ovnis. Enfin, il y a un élément de la géopolitique du XXe siècle qui... se promènent dans les albums d'Hergé de façon un petit peu erratique, c'est la question du Proche et du Moyen-Orient, la question pétrolière. Tintin au pays de l'or noir est commencé avant-guerre, repris par la suite, et nous décrit cet Orient compliqué dont parlait De Gaulle, avec l'émirat du Remède. On retrouve ça aussi dans le Crabot-Pince-d'Or, et également dans Coq en Stock, en 1958, qui nous parle de pétrole, de marchand d'armes, de guerre froide, d'instrumentalisation des conflits aussi bien au Remède qu'en Amérique latine. Il nous parle aussi de l'exil des dirigeants, que ce soit le général Alcazar, ou le fils de l'émir Abdallah mis en sécurité en Europe. Terminons avec la merveille contemplative et humaniste, l'album qui est au-dessus des autres et qui ne parle pas du tout de géopolitique, c'est Tintin au Tibet. Tintin au Tibet, c'est un album esthétique, un album poétique, apolitique, profondément humain. C'est un peu la revanche d'Hergé sur tous ceux qui ont critiqué sa posture un peu faiblement neutre pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est un album... qui nous donne une grande respiration avec des grands espaces et la neige, alors que la plupart des autres albums sont, eux, un petit peu quand même engoncés dans une actualité géopolitique systématiquement dramatique. Voilà, et bien pour Noël, vous savez quoi faire. Révisez votre programme de premier semestre en géopolitique et lire les albums d'Hergé.