- Speaker #0
La grande idée de papa, c'était de respecter l'aspect naturel du site. Il ne fallait pas couper une branche, il ne fallait pas toucher aux lières.
- Speaker #1
Et l'homme rentre comme invité dans leur espace. Et pour ça, il faut bien accepter les règles. Les règles, c'est d'être patient.
- Speaker #0
Il y a un ibis hagedash là qui arrive.
- Speaker #2
Une autre idée du zoo, le podcast du Bioparc de Doué-la-Fontaine. Je vous donne rendez-vous dans cet épisode avec Pierre Gay, directeur du Bioparc pendant 40 ans, aujourd'hui président de la fondation Bioparc Conservation, et avec son fils François, qui a pris la tête de l'entreprise familiale en 2006. Père et fils nous révèlent les secrets du Sanctuaire des okapis, une immense volière de 4000 m² et de 30 m de hauteur, nichée au cœur d'une ancienne carrière de falun abandonné. C'est là que ce zoo pas comme les autres est né en 1961 et qu'il s'est transformé en une carrière végétale luxuriante, évocatrice des forêts tropicales du Congo.
- Speaker #1
Aujourd'hui, on est dans le cœur du Sanctuaire des okapis. C'est une carrière de 4000 m² qui abrite, comme son nom l'indique, l'emblématique animal l'okapi, avec une vingtaine d'autres espèces qui vivent à ses côtés, des espèces d'oiseaux originaires d'Afrique, de la forêt du Congo.
- Speaker #0
Et aussi des primates, le cercopithèque à face de hibou, un singe. C'est un petit singe très rare qui vit dans la même forêt que le'okapi aussi en République Démocratique du Congo et comme on n'a pas de prédateurs, ils se tolèrent tous très très bien. Et bien voilà on a un bel équilibre qui se fait dans ce lieu, des interactions très intéressantes entre les espèces, également entre les individus d'une même espèce parce qu'on a parfois des grandes colonies de cigognes d'Abdim, d'ibis Tantal. Et donc, tout ce beau monde qui cohabite, ça fait partie aussi de l'enrichissement du milieu. Oui, ça créé une ambiance. L'idée, c'était vraiment d'être immergé dans un endroit, dans un fouillis végétal qui évoque une forêt tropicale, même si, évidemment, il fait un peu frais aujourd'hui, d'ailleurs. C'est intéressant cet endroit parce que c'est un endroit que je connais depuis 62 ans et je l'ai connu sauvage, c'est une carrière abandonnée. Quand mon père l'a découverte, j'étais avec lui et c'était envailli de végétation. C'est des carrières qui étaient exploitées, on y faisait de la chaux. Elles ont été exploitées en 1914. Pardon, l'exploitation s'est arrêtée au moment de la guerre de 1914. Et donc ça a été envailli de végétation, ça a été oublié pendant 45 ans. Et puis mon père avait cette idée de créer un zoo et un voisin lui dit tu devrais jeter un coup d'oeil, il y a un endroit fabuleux et on s'est retrouvé dans un espèce de, dans un espèce de d'écosystème 4000 m² et c'est pas immense mais c'est quand même quelque chose avec des lianes, avec des plants d'eau, des grenouilles des chouettes, tout ça vivait tout ça c'était déjà un écosystème naturel et c'est là que papa a commencé son aventure en fait.
- Speaker #2
Oui, donc tu disais qu'au départ, ça a commencé ici avec ton père et ça a beaucoup évolué dans les 60 dernières années. C'était important d'évoluer justement depuis la carrière originelle ?
- Speaker #0
Oui, alors c'est d'abord devenu un zoo qui, assez vite, est devenu une ménagerie. Même si c'est une belle ménagerie, parce que ce n'est pas très grand, et que mon père recueillait des animaux, amenés les lendemains du week-end de chasse ou abandonnés par des particuliers ou des cirques. Et très vite, il a fallu les loger et les mettre dans des enclos qui étaient ce qu'ils étaient, c'est-à-dire pas bien grands. Mais la grande idée de papa, c'était de respecter vraiment l'aspect naturel du site. Il ne fallait pas couper une branche, il ne fallait pas toucher aux lières. Et ça gardait quand même cet esprit de fouillé végétal. À l'époque il n'y avait pas de bambou, il y avait des sureaux et des sureaux qui étaient très vieux, ils avaient 45 ans ils étaient couverts de lichens et c'était magique de voir ces sureaux moi j'adorais ça quand j'étais enfant, de voir ces sureaux qui avaient une vraie histoire avec le lichen. Et donc quelques années après on lui a planté des bambous et quand on a eu avec François cette idée de présenter des okapis on a profité vraiment de cette ambiance qui était là de cette ambiance de fouillis végétal pour évoquer comme on le disait tout à l'heure l'ambiance d'une forêt tropicale et François a pu donner libre cours à son imagination pour faire cette nouvelle présentation. Mais encore une fois, pour moi c'est incroyable d'avoir connu ça sauvage, puis domestiqué entre guillemets, et puis réaménagé pour en faire de nouveau une présentation naturelle. Et on se retrouve aujourd'hui avec vingt et quelques espèces, comme l'a dit François, dans un endroit qui a abrité vingt et quelques enclos, finalement. Maintenant, c'est un seul enclos et tous ces animaux qui vivent en semi-liberté.
- Speaker #1
En fait, Papi a toujours été, comme tu dis, amoureux du site. Et autant les premières présentations animales étaient des cages qui se succédaient, des petits parcs, des petites volières, autant en protégeant la végétation, l'ambiance était déjà très belle. Et c'est bien cette ambiance qui nous a inspirés pour y présenter, dans un grand paysage, l'okapi avec ses espèces qu'il peut croiser dans la nature. Mais le lieu, il n'a jamais été abîmé. C'est vraiment le cœur de l'aventure. Le zoo de Doué a commencé ici et c'est ce qui nous a donné en effet ensuite envie non seulement de continuer ce combat pour la protection des espèces menacées, mais de le penser dans un écosystème qui leur correspond. Ici, ce paysage est forestier et c'était aussi un gros défi de recevoir ces okapis et de leur offrir un environnement aussi diversifié. Tous les parcs à okapi que l'on connaissait depuis des années étaient très ensoleillés.
- Speaker #0
Il y avait deux ou trois palmiers, un arbre, mais aussi parce que l'espèce est très fragile, parce qu'elle est extrêmement menacée. Donc les parcs zoologiques ont tout fait pour la protéger au maximum. Et il y a quelques années, les parcs de ces animaux étaient relativement stériles, parce qu'on arrivait à contrôler complètement l'environnement pour éviter tout risque à l'animal. Et puis l'évolution des zoos et du Bioparc en particulier a fait qu'on a innové, on a expérimenté, on a voulu justement surenchérir et développer cette biodiversité. Et c'est ce qui nous a permis de lui offrir une diversité végétale comme Habitat qui donne tout son sens à notre métier car l'animal ne peut s'y ennuyer, les interactions sont multiples encore une fois avec la diversité de ce milieu et la diversité animale. On a trouvé un nom pompeux aujourd'hui... Dans les classes où les soigneurs animaliers font leur apprentissage, on appelle ça de l'enrichissement. Mais l'enrichissement, il est là déjà d'avance quand ils ont à leur disposition d'autres espèces, des compagnons, quelquefois de bagarre, mais aussi des compagnons de vie quotidienne. Et puis aussi toute cette végétation qui leur permet de se nourrir. Les singes, nos singes, nos cercopithèques à tête de hibou, tous les matins, ils font le tour pour manger les escargots. Ils font le tour et ils vont manger les escargots, les œufs aussi, s'il y en a, donc il faut être prudent vers certaines petites espèces, mais ils font le tour et ils vont manger absolument tous les escargots. Alors ça, c'est un vrai bel enrichissement, puisqu'ils se nourrissent naturellement dans leur écosystème, entre guillemets.
- Speaker #1
Et il faut accepter aussi de ne pas tout contrôler, les animaux peuvent rester qu'à fait une journée, deux journées. Parfois les soigneurs nous disent "ah tiens aujourd'hui j'ai pas vu telle espèce" mais oui ça fait partie du jeu et de nos enjeux justement pour répondre aux besoins de ces animaux et à la question du bien-être animal. On se doit d'offrir des écosystèmes, des environnements qui répondent à leurs besoins et l'Homme rentre comme invité dans leur espace. Et pour ça, il faut bien accepter les règles. Les règles, c'est d'être patient. Quand on vient au Bioparc, on ne coche pas la visibilité de chaque espèce. Si on ne fait que marcher, il faut aussi accepter de venir se poser, écouter et peut-être repasser deux heures plus tard si l'animal dort ou est absent.
- Speaker #0
Et puis, c'est aussi des indices comportementaux. Cette année, on a eu une belle aventure avec nos touracos géants qui ont tenté de se reproduire. Ils ne se sont pas reproduits, mais on ne les voit jamais. Aujourd'hui, on ne les voit pas. Ils sont là, quelque part, à 15 mètres, mais on ne les voit pas. Sauf que pendant deux mois, on les a vus cet été parce que d'un seul coup... le croupion les a démangés, on va dire. Ils ont eu envie de se reproduire. Et on les voyait s'accoupler sur les branches, ils étaient tout près du public. On ne les a jamais vus comme ça. Et pendant deux mois, ils ont été là en permanence. Ils ont couvé. Et c'était étonnant parce que celui des deux adultes qui ne couvaient pas était extrêmement visible. Il était à quelques mètres du nid, perché sur une branche. Les visiteurs les photographiaient même sans matériel de photo comment dire, adaptées. Et ça a été une vraie... On a su exactement quand ils sont accouplés, quand la femelle a pondu, et quand elle a abandonné son nid, parce que les oeufs n'étaient pas féconds, on espère que l'an prochain ils le seront, mais au bout de 28 jours pile, on a revu nos deux oiseaux qui étaient là sur la branche, et puis le lendemain, ils avaient disparu de nouveau.
- Speaker #1
Les comportements changent d'un jour à l'autre, parfois dans la même journée. À chaque saison, ce sont des découvertes et des rencontres différentes. On s'en rend bien compte, on vit ici, mais en fait on apprend tous les jours. Ce qui n'était pas forcément prévisible au départ, mais c'est un vrai plaisir.
- Speaker #2
Et justement, vous qui avez transformé cet espace en 2013, qu'est-ce que vous ressentez aujourd'hui quand vous vous y promenez ?
- Speaker #1
Personnellement, moi de la quiétude. J'aime être là et prendre le temps. Ce que j'apprécie moins, en effet, c'est de devoir accélérer le pas, marcher et ne pas regarder à gauche, en l'air, à droite ou sous mes pieds. Dans cet espace, on a une passerelle qui est surélevée de 2-3 mètres et qui traverse la carrière forestière. Et si on n'est pas attentif à ce qui se passe au-dessus de notre tête ou sous nos pieds, on peut en effet passer à côté de nombreux animaux. Moi, là, c'est la quiétude de venir me poser et en effet écouter et essayer de trouver l'animal invisible, que ce soit pour l'okapi qui a une capacité de camouflage extraordinaire avec son postérieur rayé, comme les espèces qui vivent à ses côtés dans les forêts du Congo, qui sont finalement des espèces assez peu colorées et pas si faciles à voir dans une végétation luxuriante.
- Speaker #0
Il y a un ibis hagedash qui arrive. Il est très brun, il a des reflets verts sur les ailes, mais surtout il est extrêmement bruyant. Il est derrière le tronc d'arbre, il apparaît à gauche.
- Speaker #1
On les entend plus qu'on ne les voit. Donc il faut, quand on rentre dans le sanctuaire de okapis, se poser et écouter, et ensuite essayer de retrouver l'origine du... du chant pour voir l'oiseau concerné.
- Speaker #2
Un peu comme dans la nature.
- Speaker #1
Oui, un peu comme dans la nature. En fait, c'est le défi exactement. Les parcs zoologiques doivent offrir des conditions les plus naturelles possibles pour notre épanouissement à tous et pas celui d'ailleurs uniquement des animaux, mais le nôtre également.
- Speaker #0
Alors moi, j'ai vraiment un sentiment d'accomplissement parce que j'avais à peine 10 ans quand mon père a décidé de créer un zoo. Comme je l'ai déjà dit, C'était un peu frustrant quand je suis devenu adulte de vivre dans un zoo avec un grand Z. Et tout ça, on l'a fait. Je crois qu'encore une fois, François l'a dit, mon père nous a donné cette sensibilité. J'y ai exprimé la mienne, François la sienne, et aujourd'hui, on se retrouve dans un enclos de parcs zoologiques qui est copié dans le monde entier. Je ne vais pas citer de nom, mais je connais des grands parcs zoologiques internationaux qui viennent ici aujourd'hui parce qu'ils veulent avoir le même enclos à Okapi que le nôtre et avec les mêmes espèces dedans. Moi, je ne suis pas jaloux de ça du tout, je suis plutôt content. C'est un vrai sentiment d'accomplissement en se disant qu'on a fait quelque chose d'un peu extraordinaire et si c'est copié, c'est que ça plaît beaucoup, effectivement. Moi, j'allais dire François, quand on l'a fait, J'ai eu la chance d'aller dans les forêts tropicales africaines. Quand on passe une forêt tropicale africaine, on est là pendant des heures à attendre, et qu'un peu de bol, il y a des éléphants de forêt qui passent, ou des singes qui passent dans la canopée là-haut. Et de temps en temps, il y a un oiseau qui traverse la clairière. Et l'oiseau des forêts africaines, c'est le touraco. Globalement, ils sont verts ou violets, mais souvent verts avec les ailes rouges. Et c'est vraiment le souvenir de tous ces gens qui ont vécu, de toutes les personnes qui ont pu visiter une forêt en Afrique, c'est le vol du touraco, parce que c'est extrêmement spectaculaire. Et vraiment c'était ça l'idée il fallait qu'on voit qu'on espère voir un touraco parce que c'est presque le fantôme des forêts africaines. C'est un oiseau comme ça qui est très discret et qu'on voit apparaître de temps en temps, c'est un peu le secret de ce genre de présentation, c'est la surprise de découvrir une espèce comme ça très spectaculaire qui se cache beaucoup. Le choc émotionnel est d'autant plus fort s'il est rare c'est vrai. Je me souviens les premières années, avant qu'on ait les touracos géants, on avait une autre espèce qui s'appelait le touraco de Lady Ross, qui était aussi un gros touraco violet avec les ailes rouges, et les gens étaient comme nous, appuyés sur les barrières, et d'un seul coup, il y a un de ces oiseaux qui venait se poser, parce qu'il avait été élevé à la main, il venait se poser à côté d'eux, et les gens, ils en avaient la mâchoire qui tombe, tellement c'était beau et surprenant de voir cet animal qui arrivait, on ne l'avait pas vu avant, et hop, il venait se poser sur la barrière. Je voulais vous montrer un couple de pigeons qui vient de passer. Ils sont posés par terre parce que ces pigeons on les appelle les pigeons de Guinée, ils sont très communs en Afrique et au début je voulais pas les mettre dans cet endroit, j'avais pas mis dans le plan de collection parce qu'on les voit tellement souvent ils sont tellement fréquents en Afrique que je trouvais ça dommage de présenter une espèce aussi commune. Puis en fait après j'en ai revu je me suis dit "bah non ils sont trop beaux" et ça aussi c'est une surprise pour les visiteurs de voir un pigeon avec l'œil aussi rouge comme ça sanguin. Et alors en regardant là ça me rappelle des souvenirs parce que encore une fois cette carrière je l'ai vue complètement évoluer. Je me rappelle de François tout petit jouant avec un chimpanzé. Un chimpanzé, oui. Je me rappelle d'un marabout qui était là, que papa avait récupéré je ne sais où et qui est arrivé avec une patte cassée, on lui a mis une attelle. Et alors, comme le marabout, c'est un oiseau avec une espèce de poil sur la tête, on dirait qu'il est chauve parce qu'il est vieux, mon père adorait son grand-père, que j'ai connu, et qui s'appelait Pépé Eugène. Et donc, le marabout s'est appelé Pépé Eugène pendant des années. C'est ma vie, forcément, mais c'est drôle de... On la enfouit un peu pour se rappeler les souvenirs. J'en ai vraiment beaucoup ici, mais c'est intéressant.
- Speaker #1
C'est en fait le gros avantage dans un parc comme le nôtre, c'est qu'on fait quand même évoluer les espaces année après année. Et donc, dès qu'on se remémore le passé, c'est un vrai millefeuille. Et en effet, on peut remonter chaque étape de transformation et retrouver des souvenirs à chaque âge de notre vie. Mais le Sanctuaire de okapis, c'est l'accomplissement après 60 années d'évolution. Et en effet, l'équilibre est là, et là on ne veut plus rien toucher on veut juste laisser faire la nature et qu'elle continue de se développer.
- Speaker #0
C'est intéressante de voir parce qu'évidemment il y a des arbres qui poussent, il y a des arbres qui sortent, des noyers avec des noix qui se font semer. Il y a aussi des arbres qui ont disparu. Moi, j'ai vu beaucoup d'arbres disparaître, en particulier dans les années 80, quand il y a eu des grosses gelées. Et alors, quand François a commencé à travailler ici, il a planté des arbres et je me suis dit, tu ne les verras jamais grandir, ces arbres, ce n'est pas possible. Et en fait, je me rends compte que 7-8 ans après, à peine 10 ans après, ils sont déjà énormes et qu'ils vont bientôt toucher le filet. C'est incroyable. Ça va très très vite. Ça, ça me surprend beaucoup aussi, de voir l'évolution de la végétation comme ça. Voilà, ça c'est l'ibis hagedash, c'est un oiseau marronnasse qu'on ne voit pas beaucoup parce qu'il est discret. Il n'intéresse pas beaucoup le public, mais il a un cri incroyable. Ça réveille toute la colonie.
- Speaker #2
Voilà, c'est la fin de cet épisode. Merci de l'avoir écouté jusqu'au bout. Abonnez-vous s'il vous a plu et pour en savoir plus sur le Bioparc, rendez-vous sur www.bioparc-zoo.fr