- Speaker #0
Bonjour à toutes et tous, je suis ravie de vous retrouver pour ce nouvel épisode numéro 66 de notre podcast "Une Pause pour mes Oreilles" et je reçois aujourd'hui Fabienne Maleysson, journaliste à Que Choisir, qui a rédigé un dossier sur la pollution sonore que vous pouvez lire dans le numéro du mois d'octobre 2024 que vous trouverez en kiosque ou sur le site ou sur le site de quechoisir.org. Je rappelle que Que Choisir est une association à but non lucratif. Je vais démarrer cet épisode en demandant à Fabienne Malesson quelles sont les différentes sources de nuisances sonores que vous avez évoquées dans l'article.
- Speaker #1
Eh bien, elles sont nombreuses, à commencer par le bruit des transports. Les riverains des aéroports en savent quelque chose. Ce sont sans doute les personnes qui sont le plus durement touchées, enfin parmi les personnes les plus durement touchées par ce qu'on appelle aujourd'hui d'ailleurs la pollution sonore, parce que l'OMS estime que c'est une pollution au même titre que la pollution atmosphérique et que d'ailleurs c'est le second facteur environnemental provoquant le plus de dommages sanitaires en Europe, derrière la pollution atmosphérique. Alors pour revenir aux sources, il y a le bruit des transports, donc les riverains des aéroports sont vraiment extrêmement touchés, puisque notamment, enfin c'était déjà un problème depuis longtemps, mais avec l'augmentation du trafic, du tourisme notamment, ils sont de plus en plus souvent survolés par des avions, et en particulier la nuit, puisque... comme en a averti récemment l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, on programme davantage de vols que ce que le ciel ne peut accepter. Donc, ça conduit à des reports, des retards, qui conduisent eux-mêmes à des violations du couvre-feu. Or, ce sont les survols de nuit qui ont le plus d'impact sur la santé. Mais bon, il n'y a pas que les avions, il y a aussi les personnes qui habitent à côté d'une voie ferrée, d'une route bruyante, du périphérique à Paris, on en a parlé récemment, de rues bruyantes... Voilà, tout ça ce sont les bruits de transport, avec une mention particulière pour les deux-roues trafiqués dont beaucoup de personnes se plaignent. Il y a eu une expérience intéressante qui a été menée par l'organisme Bruitsparif, qui est l'observatoire du bruit en région parisienne, qui a montré qu'un scooter qui roulerait la nuit de la place de la Bastille à la place de l'Étoile, c'est-à-dire environ 7 km, réveillerait 11 000 personnes. Donc à côté de ces bruits des transports, on a tous les bruits, évidemment, des voisinages, qui soient dus à un voisin particulier qui, on met de la musique trop fort, fait jouer sa perceuse à 7h du matin, ou autre. Mais également des bruits de voisinage qui se multiplient. Actuellement, ce sont les bruits dus aux terrasses, le soir et en début de nuit, parce qu'il y a des autorisations d'exploiter les terrasses qui devaient être temporaires au sortir de la crise du Covid pour un petit peu compenser les pertes pendant le confinement et qui se sont pérennisées. Et donc, les gens qui habitent au-dessus de terrasses subissent du bruit jusqu'à une heure de plus en plus avancée dans la nuit et par de plus en plus d'établissements. Il y a également le bruit au travail. Il y a un actif sur deux qui se plaint du bruit sur son lieu de travail. Alors c'est vrai qu'on pense spontanément au gars sur son marteau-piqueur, par exemple, ou alors à ceux qui déversent les conteneurs de verre dans les camions, ce qui fait un bruit absolument infernal. Et eux, ils sont juste à côté, mais bon, ils sont censés avoir des protections. Mais ça, c'est ce à quoi on pense spontanément. Mais en fait, il y a beaucoup d'autres cas. Il y a beaucoup de gens qui se plaignent dans le secteur du commerce, de la restauration. dans les bureaux en open space aussi, dans le secteur de l'enseignement, de la petite enfance également. Voilà, donc ça fait quand même beaucoup, beaucoup de secteurs concernés. Et en parlant de restauration, d'ailleurs, il y a aussi les bruits de loisirs et le bruit notamment dans les restaurants et bars qui est parfois... utilisée de façon un petit peu cynique par les propriétaires de restaurants, puisqu'il y a des études qui ont montré que quand on met de la musique un petit peu fort, les gens boivent davantage d'alcool d'une part, et d'autre part, finalement, ils ont envie de s'extraire de ce son trop fort, et donc ils partent plus tôt, et ça permet d'optimiser le taux d'occupation. Donc les sources de bruit sont vraiment très polymorphes et sont présentes dans notre vie quotidienne, vraiment du matin au soir.
- Speaker #0
Ça, on l'a tous remarqué. Il n'y a pas de souci là-dessus. Et alors, quelles sont les conséquences qui impactent directement notre audition ?
- Speaker #1
Alors, le fait est que... l'oreille est un organe très fragile. Comme me l'expliquait un chercheur spécialisé, en fait, on a très peu de cellules ciliées, qui sont les cellules sensitives de l'audition. Elles sont 15 000 alors qu'on a 120 millions de photorécepteurs sur l'œil. Donc vraiment, ces pauvres cellules ciliées, elles ne sont pas très nombreuses. Et lorsqu'on entend des bruits trop forts, petit à petit, elles sont détruites. C'est ça qui amène à des problèmes d'audition. Ce même chercheur me disait que notre oreille n'a pas du tout évolué depuis Néandertal. Elle ne s'est pas du tout adaptée à l'environnement sonore qui n'est plus tout à fait le même que quand on avait à entendre que de temps en temps le tonnerre d'un orage ou le cri d'un animal. Et donc les oreilles sont mises à rude épreuve. Et d'ailleurs, Il y a eu des études faites notamment par l'Inserm sur une population représentative, nombreuse, presque 200 000 personnes en France et ils ont montré qu'un quart d'entre elles, à tous âges, même si bien sûr ça s'aggrave avec l'âge, souffraient de surdité légère. Ce qu'on appelle la surdité légère, c'est quand on a un déficit d'environ 20 décibels et ensuite on parle de surdité handicapante. Et là aussi, les chiffres sont assez impressionnants, puisque aux alentours de 60 ans, il y a un tiers des hommes qui souffrent de surdité handicapante et qui devraient donc théoriquement être appareillé, à 60 ans, donc ce n'est quand même pas très vieux. Et puis, à côté des pertes d'audition, il y a des effets collatéraux, on peut dire, du bruit sur nos oreilles qui sont l'hyperacousie. C'est donc le fait d'une l'hypersensibilité au bruit. Donc ça peut être simplement gênant, agaçant, ça peut générer de l'irritabilité. Mais à un niveau un peu plus grave, il y a des gens qui vraiment ne supportent plus le moindre bruit et doivent carrément quitter leur activité professionnelle. Donc c'est vraiment très handicapant. Et bien sûr, les acouphènes qui concernent quand même... une personne sur 7 en Europe, donc c'est une proportion très importante. Et là aussi, c'est pareil, il y a des gens qui arrivent à vivre avec et puis d'autres qui en conçoivent une anxiété vraiment profonde. Et d'ailleurs, moi, j'ai été très étonnée en faisant l'enquête de constater que ça ne concernait pas que des adultes et qu'on a 14% des parents qui ont déjà emmené un enfant de moins de 10 ans chez le médecin parce qu'il se plaignait d'acouphène. C'est vraiment une espèce de marqueur de l'ambiance sonore extrêmement bruyante dans laquelle nous vivons.
- Speaker #0
Il y a aussi, je l'ai lu dans votre article, d'autres menaces pour notre audition. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
- Speaker #1
Des menaces hors appareil auditif, c'est ça ? Tout à fait. À côté des dégâts sur le système auditif. Le bruit engendre d'autres problèmes de santé. Ça a été particulièrement étudié, j'en parlais tout à l'heure, sur des populations qui sont riveraines des aéroports, des voies ferrées, des routes bruyantes, etc. C'est le bruit des transports qui a été particulièrement étudié sur le plan de ce qu'on appelle des effets extra-auditifs du bruit. Et ces effets extra-auditifs sont notamment liés à des difficultés d'endormissement, un sommeil insuffisamment long et insuffisamment reposant puisqu'il y a des réveils nocturnes fréquents. Ça a été vraiment démontré de façon très scientifique en équipant les personnes d'appareils, mesurant ces micro-réveils et mesurant les bruits auxquels leur logement était exposé. Par exemple, quand un avion passe, ça engendre une augmentation du son de 10 dB, et à chaque fois ça engendre un micro-réveil dont la personne n'est pas forcément d'ailleurs consciente. On peut souvent entendre dire je me suis habituée au bruit mais en fait on ne s'habitue pas du tout et le sommeil est beaucoup moins réparateur. Et donc, ces effets sur le sommeil font qu'il y a non seulement de la fatigue, mais ça engendre des effets aussi cardiovasculaires, du stress etc. Et ça engendre, on l'a mis en évidence scientifiquement aussi, de l'hypertension. Ça, c'est l'état de la science actuelle, mais en fait, les chercheurs spécialisés soupçonnent qu'il y ait beaucoup d'autres effets qu'on n'a pas encore... très bien étayés, mais qui sont en relation avec le manque de sommeil et avec les problèmes cardiovasculaires, et qui sont l'obésité, le diabète, etc. Beaucoup de maladies en pleine expansion actuellement. Ce n'est évidemment fort probablement pas un facteur central, mais ça pourrait jouer le rôle de facteur aggravant.
- Speaker #0
Est-ce que vous pouvez aussi nous dire quelques mots sur les conséquences de quelque chose que je n'aime pas du tout et dont j'ai déjà parlé, qui sont les sons compressés.
- Speaker #1
Bien sûr, d'ailleurs, je pense que c'est vraiment quelque chose à prendre en compte actuellement parce qu'on est entouré de sons compressés. Les sons compressés, au départ, ils avaient été inventés, la technique avait été utilisée pour aplanir les différences de niveau entre les instruments des groupes de rock, pour que la guitare soit aussi bien entendue que la batterie, par exemple, etc. Et finalement, on s'est aperçu que ça permet de s'affranchir du bruit de fond. Et donc, pour les professionnels du son, ça a été une technique qui a été vraiment très appréciée et qui a été adoptée de façon assez universelle, que ce soit à la radio, à la télévision, quand vous écoutez une musique enregistrée, quand vous écoutez quelqu'un au téléphone ou via un ordinateur. Il s'agit de sons compressés. Et alors, ces sons compressés, ils ont une caractéristique, c'est que même si on ne s'en aperçoit pas dans un son, quand je vous parle en face à face, il y a des micro-silences complètement imperceptibles qui durent de l'ordre d'un dixième de seconde et qui sont présents dans le son mais qui ne sont pas présents dans les sons compressés. Or, l'audition, c'est une fonction très active qui a un travail très important à accomplir pour recevoir le son, le coder et le décoder en quelque sorte. Et le système auditif a besoin de temps de repos et ces micro-silences semblent jouer le rôle de temps de repos. Et quand il n'y a pas ces micro-silences, ça devient extrêmement fatigant. Un chercheur interrogé me disait que c'est comme si vous souleviez un haltère sans jamais le reposer, en fait c'est épuisant. Et donc, ce chercheur a testé l'hypothèse selon laquelle les sons compressés fatigeraient, voire abîmeraient notre oreille. Il fait le lien avec des hamsters dans des conditions qui correspondent à peu près à ce qui se passe en discothèque, des sons assez forts. Et ces chercheurs se sont aperçus qu'après cette exposition, il y a des muscles de l'oreille moyenne qui ont le réflexe de se contracter quand il y a des sons forts pour diminuer l'énergie sonore qui parvient à l'oreille interne, comme un petit clapet qui se fermerait, comme si on mettait ses mains sur les oreilles, mais ça serait interne à l'oreille. Ce réflexe ne se déclenchait plus que partiellement chez ces hamsters et apparemment c'était quelque chose d'assez impressionnant sur cet effet. Ces chercheurs ont décidé de continuer pour mettre en évidence le fait que les sons compressés seraient vraiment délétères. Ils allient des chercheurs qui sont assez insérés dans la vraie vie, je dirais, et qui sont très avides de discuter avec des gens qui sont souvent soumis aux sons compressés, comme par exemple les professionnels qui font des visioconférences en permanence, etc. Et il me disait qu'il recueille de plus en plus de plaintes de fatigue auditive, intellectuelle et de fatigue générale, d'ailleurs, chez ces personnes. Il y a aussi le cas des interprètes, par exemple, qui sont en permanence avec un casque sur les oreilles, et en plus relativement fort puisqu'ils doivent parler en même temps, et qui se plaignent beaucoup de cette fatigue avec ces sons de plus en plus compressés.
- Speaker #0
Oui, je vous remercie parce que c'est important de faire un point sur ce sujet parce qu'on n'en parle pas souvent. Et à part les personnes qui sont sensibles et qui le remarquent, je pense que c'était intéressant de refaire le point là-dessus. Et puis pour finir, est-ce que vous pouvez aussi nous dire quelques mots sur le manque d'information du grand public sur les seuils concernant le temps d'exposition, le niveau maximal d'exposition, le nombre maximal de décibels, notamment dans les endroits publics. Et puis peut-être aussi un petit point sur le fait que la réglementation n'est pas souvent respectée dans les endroits publics.
- Speaker #1
Oui, alors effectivement, c'est vrai qu'en ce qui concerne les repères, on ne les a pas. Tout le monde sait qu'il faut manger 5 fruits et légumes par jour, ou alors "un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts". Bon là, on a des repères relativement simples à mémoriser. Sur l'écoute, par exemple, ce qu'on voit tous dans les transports en commun, notamment les gens ont tous des écouteurs dans les oreilles. Combien de temps est-ce qu'on peut se permettre de se laisser des écouteurs dans les oreilles dans la journée ? Mystère, il n'y a pas de recommandation officielle. si ce n'est limiter le temps d'écoute, ce qui ne nous avance pas à grand-chose. Parfois, quand on cherche bien, ce qui a été mon cas pour l'enquête, on trouve le seuil de une heure par jour, mais il ne semble pas du tout étayé, c'est vraiment un principe de précaution et c'est vrai qu'en fait le problème c'est que la science est encore assez balbutiante là-dessus et que les effets sur l'audition dépendent probablement de facteurs qui sont imbriqués que ce soit le volume, la durée, la compression dont on parlait à l'instant, est-ce qu'on fait des temps de pause, est-ce qu'on fait ça souvent dans la journée, etc. Donc pour l'instant, il n'y a pas vraiment de repère et ça c'est vraiment dommage. Parce que même les jeunes qui sont très friands souvent d'écoute au casque ou aux écouteurs se demandent ce qu'ils peuvent se permettre et n'ont pas de réponse. J'ai des exemples dans mon entourage. Et en fait, la réponse n'existe pas encore, faute de connaissances scientifiques. On peut retenir, moins on s'expose mieux ça vaut, mais enfin bon, ce n'est pas très aidant non plus, je reconnais. Et je m'interrogeais aussi dans l'article sur les absurdités de la réglementation, parce que par exemple, en concert ou en discothèque, on admet des niveaux sonores extrêmement élevés, 102 décibels, c'est extrêmement élevé, et puis on dit aux gens, portez des bouchons d'oreilles. Donc pourquoi ne pas faire une réglementation qui ne permette pas d'atteindre ces niveaux extrêmement élevés et puis que les gens puissent danser ou écouter le concert tranquillement sans bouchons d'oreilles, ce serait quand même un petit peu plus logique. D'autant que, je ne sais pas si vous avez souvent vu "ici vous trouverez des bouchons d'oreilles" à l'entrée d'un concert, mais moi ça ne m'est pas souvent arrivé alors qu'ils sont censés, les propriétaires des salles de concert, des discothèques, sont censés en fournir aux personnes qui fréquentent ces salles. Et pareil pour l'écoute de musique avec un casque ou des écouteurs. Alors il y a plein de recommandations, en revanche, on en trouve partout, qui disent n'écoutez pas votre casque ou vos écouteurs à plus de la moitié du volume. Mais pourquoi ne pas dire aux fabricants d'appareils qui envoient du son qu'ils limitent le son à la moitié du volume ? Ça serait quand même plus efficace et plus sûr pour la santé publique. Donc voilà, je m'interroge aussi, mais c'est vrai aussi que dans le reste de l'article, je parle de l'indifférence des pouvoirs publics pour cette problématique du son et de la pollution sonore et la personne en général, pas seulement sur les recommandations sur les discothèques mais même sur, par exemple, les permis de construire qui sont donnés dans des endroits extrêmement bruyants, en toute ignorance de la réglementation, etc. Et la directrice de Bruitparif, l'organisme, l'observatoire du bruit en ligne, ça commence à bouger un petit peu. Mais malheureusement, on a 20 ans de retard sur la prise en compte de la pollution atmosphérique. Donc, ce qu'on peut espérer simplement, c'est que l'enjeu pollution atmosphérique, aujourd'hui, t out le monde en a largement pris conscience. On peut espérer qu'avec la pollution sonore, ça va finir par arriver, malheureusement avec retard, mais on va finir par en prendre conscience aussi bien au niveau individuel qu'au niveau des pouvoirs publics.
- Speaker #0
Merci pour toutes ces informations et ces partages. Vous pouvez bien sûr lire le dossier tout entier dans le magazine du mois d'octobre. et surtout prenez soin de votre édition. Donc merci beaucoup Fabienne Maleysson d'avoir partagé ces informations avec nous.
- Speaker #1
Merci à vous.
- Speaker #0
C'était très intéressant à la fois de vous entendre et de vous lire bien sûr. N'oubliez pas de vous abonner au podcast "Une pause pour mes oreilles" pour ne pas manquer les prochains épisodes à venir. Protégez votre audition et retrouvez-nous sur toutes les chaînes de podcasts et sur YouTube. À très bientôt !