- Speaker #0
Chers auditeurs, retour en 2024. À l'époque, on s'interrogeait déjà sur la dette souveraine, sa soutenabilité, les taux d'intérêt et le fameux « quoi qu'il en coûte » budgétaire. Un an plus tard, tout a changé. Enfin, presque. Ces sujets, eux, sont toujours là. Comme quoi, certains thèmes sont vraiment indéracinables.
- Speaker #1
Un peu comme les émissions de gaz à effet de serre.
- Speaker #0
Exactement, Siri. J'invite nos auditeurs à prendre du recul sur ce qui se disait il y a un an et à plonger dans les débats d'aujourd'hui. Bonne écoute.
- Speaker #2
Dans le cadre de notre mandat, la BCE est prête à faire tout ce qu'il faudra pour préserver l'euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant.
- Speaker #0
Cette formule célèbre du président de la BCE, Mario Draghi, a été prononcée en 2012, au plus fort de la crise de la dette souveraine de la zone euro. Elle a marqué le début de la fin de la crise de confiance pour la Grèce, le Portugal, l'Italie et l'Espagne.
- Speaker #3
Et pourquoi ce saut dans le passé ? Tu pars à la recherche du temps perdu ?
- Speaker #0
Mais non, Siri, je ne comptais pas analyser les 2400 pages du roman de Marcel Broust pour méditer sur la persistance de la mémoire. Je pensais à cette déclaration du magazine The Economist qui dit que 2024 est la plus grande année électorale de l'histoire. Imagine un peu, cette année, la moitié de la population mondiale est appelée à se rendre aux urnes. et beaucoup de candidats prônent le quoi qu'il en coûte. Une stratégie largement adoptée par les gouvernements en 2021 pour faire face à la pandémie de Covid.
- Speaker #3
Ça fait presque 4 milliards de votants en une seule année. Comment ça se passe pour l'instant ?
- Speaker #0
Eh bien, j'espère que tu aimes bien les rebondissements, parce qu'à ce niveau-là, on est servi. Entre les élections européennes,
- Speaker #4
plusieurs pays d'Europe, en particulier la France et l'Allemagne, c'est l'illustration d'un désaveu pour les partis au pouvoir au profit du vote extrême.
- Speaker #0
La dissolution surprise de l'Assemblée nationale en France, Merci.
- Speaker #4
Je dissous donc ce soir l'Assemblée nationale.
- Speaker #0
Puis les résultats inattendus du premier et second tour des législatives.
- Speaker #5
À la surprise générale, l'alliance de gauche du Front populaire arrive en tête devant les macronistes et le Rassemblement national.
- Speaker #0
C'est un vrai feuilleton. En Inde et en Afrique du Sud, les deux parties au pouvoir ont perdu leur majorité à la surprise générale. Sans compter que les élections américaines approchent avec leur lot d'incertitudes. Et à ton avis, quels sont les thèmes qui reviennent le plus souvent dans les débats ?
- Speaker #3
Eux, la lutte contre le changement climatique et pour sauver la planète Terre, quoi qu'il en coûte.
- Speaker #0
Hum, pas vraiment. Les partis écologistes ont obtenu des résultats décevants. Non, des préoccupations qui reviennent tout le temps, ce sont l'immigration, l'insécurité et de manière presque unanime, l'inflation et la crise du pouvoir d'achat.
- Speaker #3
Pourtant, il me semble que les gouvernements avaient justement agi, quoi qu'il en coûte, pendant le Covid.
- Speaker #0
Exact, et on a même un chiffre, 25 000 milliards de dollars. C'est le montant qui a été injecté dans l'économie par les gouvernements et les banques centrales pour protéger une grande partie de l'économie mondiale qui était en hibernation forcée pour lutter contre la pandémie et sauver des vies.
- Speaker #3
Oui, je m'en souviens bien, on en a parlé dans les épisodes « Le retour des années folles » et « Les inconnus connus de l'inflation » .
- Speaker #0
C'était l'époque du « revenge spending » . Tu te rends compte ? Ça fait déjà trois ans. Et c'est un peu paradoxal. Parce que si on regarde le monde d'aujourd'hui, qu'est-ce qu'on observe ? On est proche du plein d'emplois. Les salaires sont de plus en plus hauts. On a gagné le combat contre le coronavirus. L'inflation est retombée à des niveaux proches des objectifs des banques centrales. Les marchés actions et les marges d'entreprise frôlent des records historiques. Les spreads de crédit et la volatilité sont au plus bas. Mais ne nous y trompons pas. La solution employée par les gouvernements pour sauver des vies, le fameux « quoi qu'il en coûte » , n'est pas sans conséquences.
- Speaker #3
Ah bon ? C'était pas cadeau ? Il ne suffit pas de faire tourner la planche à billets et l'hélicoptère monétaire pour avoir de l'argent gratuit ?
- Speaker #0
Et non, rien n'est gratuit, il y a toujours un prix à payer. En l'occurrence, une dette souveraine endémique et des déficits budgétaires. C'est ce que j'appelle le péché originel. Bienvenue dans 2050 Investors, le podcast qui décrypte les tendances de l'économie et du marché pour relever les défis de demain. Je suis Koko Agbobloir, responsable mondial de la recherche économique, cross-asset et quantitatif de Société Générale. Dans cet épisode de 2050 Investors, nous allons parler de la viabilité de la dette souveraine et de la manière dont les gouvernements peuvent équilibrer les finances dans un contexte de taux d'intérêt élevé, tout en essayant de répondre aux demandes des électeurs. Anatoly Anenkov, économiste senior pour l'Europe chez Société Générale, nous rejoindra pour analyser la dynamique entre la dette publique et les banques centrales. Il nous expliquera comment les banques centrales peuvent stabiliser la crise de la dette souveraine et reviendra sur l'importance de leur indépendance. Démarrons notre enquête.
- Speaker #3
J'aimerais bien comprendre pourquoi tu qualifies la dette souveraine et les déficits budgétaires de « péché originel » .
- Speaker #0
Eh bien, on est dans une situation assez fascinante. On l'a vu, les gouvernements ont tout fait pour sauver des vies et protéger les moyens de subsistance de leur population à une époque où les taux d'intérêt étaient très bas. On le sait aujourd'hui, tout ça a entraîné une inflation incontrôlée et la guerre en Ukraine a encore empiré les choses. Résultat, les banques centrales ont été obligées d'augmenter les taux d'intérêt de manière agressive pour lutter contre le virus de l'inflation.
- Speaker #3
Ok, jusque-là je te suis, mais je ne vois toujours pas où est le péché.
- Speaker #0
Qu'on se mette d'accord. Sauver des vies et protéger les moyens de subsistance, c'est évidemment une bonne chose. Le problème, c'est l'ampleur et la durée des moyens employés. Pour bien comprendre ça, on peut comparer la gestion des finances publiques à la gestion des finances d'emménage. Imaginez que votre salaire, ce sont les recettes fiscales du gouvernement. Et exactement comme une famille qui dépense de l'argent pour se nourrir, se chauffer, payer l'école des enfants, partir en vacances ou payer son crédit immobilier, un gouvernement, dépense de l'argent pour les soins de santé, les infrastructures, les services sociaux et le paiement des intérêts sur sa dette.
- Speaker #3
Ok, je vois. Et comme les parents dont les enfants réclament plus d'argent de poche, les gouvernements doivent faire face aux électeurs qui réclament de meilleurs services publics et de meilleurs salaires.
- Speaker #0
C'est assez caricatural, mais oui, il y a un peu de ça. Maintenant, imagine une famille qui vit au-dessus de ses moyens. Elle risque de perdre sa voiture ou sa maison. si elle n'arrive plus à rembourser son crédit immobilier parce que les taux ont grimpé en flèche. C'est un vrai problème au Royaume-Uni où les taux sont souvent variables et où les crédits sont refinancés tous les 3 à 5 ans.
- Speaker #3
C'est ce qui s'est passé pendant la crise des subprimes en 2008, quand la valeur des biens immobiliers était devenue inférieure à la valeur des prêts hypothécaires.
- Speaker #0
C'est ça, et c'est pareil. Si un gouvernement dépense trop, il y a un risque que les investisseurs ne lui fassent plus confiance et qu'il lui impose des coûts d'emprunt plus élevés jusqu'à entraîner dans le pire des cas sa faillite. C'est comme la célèbre réplique du parrain. Je vais lui faire une offre qu'il ne pourra pas refuser. Sauf que dans notre cas, ce n'est pas Dan Corleone, mais un justicier obligataire qui parle au gouvernement. Au cas où tu te sens un peu largué, Siri, un justicier obligataire, c'est une expression courante en finance qui désigne tout simplement un trader qui menace devant des obligations pour protester contre les politiques de leur émetteur.
- Speaker #3
J'ai appris un nouveau mot aujourd'hui. C'est ce qui s'est passé en Grèce pendant la crise de la dette de la zone euro.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. Un article d'investopedia.com, titré « Cause et impact de la crise de la zone euro » , résume très bien ce point. La crise de la dette de la zone euro a éclaté fin 2009, lorsque le nouveau gouvernement grec a révélé que ses prédécesseurs avaient falsifié leurs données budgétaires. Le déficit était plus élevé que prévu, ce qui a érodé la confiance des investisseurs et entraîné une hausse des spreads sur les obligations, qui ont atteint des niveaux insoutenables. Les craintes que les positions budgétaires et les niveaux d'endettement de plusieurs pays de la zone euro ne soient plus viables se sont rapidement répandues.
- Speaker #3
La confiance peut être brisée en quelques mois.
- Speaker #0
Absolument. Mais l'article va plus loin. Écoute un peu. En 2010, les prêteurs, de plus en plus méfiants face à ces dettes souveraines démesurées, ont exigé des taux d'intérêt plus élevés de la part de certains États de la zone euro. Dans un contexte de faible croissance économique globale, ces pays qui étaient confrontés à une dette colossale et un déficit élevé se sont retrouvés dans l'incapacité à financer leur déficit budgétaire. Pour enflouer leur caisse, certains d'entre eux ont augmenté les impôts et réduit les dépenses, ce qui a contribué à alimenter des troubles sociaux et abouti à une crise de confiance envers les dirigeants, en particulier en Grèce. Pendant cette crise, plusieurs de ces pays, dont la Grèce, le Portugal et l'Irlande, ont vu leur dette souveraine rétrogradée à la catégorie junk, ou pourrie, par les agences de notation internationales, ce qui a encore davantage aggravé les craintes des investisseurs.
- Speaker #3
C'est la définition même d'un cercle vicieux.
- Speaker #0
Exactement. Mais revenons à ta question de départ. Dans ce contexte, le péché originel, ce sont les dépenses agressives des gouvernements pendant la la pandémie de Covid. À l'époque, Les taux d'intérêt étaient bas, donc c'est vrai qu'emprunter semblait être une bonne idée pour sauver des vies et soutenir les économies.
- Speaker #3
C'est une excellente métaphore. C'est Adam qui mord le fruit défendu. Ce qui semblait être une bonne idée sur le coût a entraîné une augmentation des ratios d'aides PIB et des déficits courants en raison de l'augmentation des coûts du service de la dette.
- Speaker #0
Tu apprends vite. Et comme la morsure d'Adam qui a condamné les générations futures, ces dépenses excessives pourraient se traduire par plus d'impôts ou moins de services pour les contribuables. À mesure que les gouvernements cherchent à équilibrer leurs comptes, dès que la croissance ralentira ou que les taux d'intérêt finiront par augmenter. Et tout ça rend cette année électorale record assez fascinante. La croissance ne s'effondre pas encore, mais elle ralentit. Et malgré des niveaux d'endettement plus élevés, les électeurs votent pour des partis politiques qui promettent plus de dépenses pour répondre à leur longue liste de préoccupations.
- Speaker #3
Toujours plus d'argent de poche, mais il faudra bien rembourser la dette. soit en augmentant les impôts, soit par des coupes budgétaires, soit, dans le pire des cas, par un défaut de paiement.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. C'est ce qui arrive quand on vit au-dessus de ses moyens. Maintenant, on va prendre un peu de recul et revoir quelques fondamentaux. Le bilan de l'État, c'est quoi au juste ? Comme on l'a vu plus tôt dans l'épisode, dans le principe, c'est un peu comme le budget d'un ménage. Les comptes publics, le bilan de l'État, comme tous les bilans comptables, comportent des actifs, comme les réserves de change, et des passifs, comme la dette. Le solde primaire est très important. Il s'agit du solde budgétaire du gouvernement avant le paiement des intérêts sur la dette. Si le solde primaire est positif, ça veut dire que le gouvernement dégage un bénéfice avant intérêt et donc par exemple que les recettes fiscales sont supérieures aux dépenses publiques pour les services sociaux. Si le solde est négatif, ça veut dire qu'il y a un déficit. Et une bonne gestion de ses finances publiques est essentielle pour garder la confiance des marchés obligataires. Si les marchés pensent qu'un gouvernement gère bien ses finances, ils sont plus susceptibles de lui prêter de l'argent à des taux d'intérêt plus bas. Pour reprendre les mots de l'artiste anglais Bob Hope, une banque est un lieu où l'on vous prête de l'argent si vous pouvez prouver que vous n'en avez pas besoin.
- Speaker #3
Ça me rappelle la crise du mini-budget sous le gouvernement de Liz Truss au Royaume-Uni.
- Speaker #0
Oui, c'est un bon exemple. Liz Truss a promis d'augmenter les dépenses à un moment où l'inflation était élevée, alors que la Banque d'Angleterre tentait de freiner la demande excédentaire et l'inflation en augmentant les taux d'intérêt. Toutes ces dépenses auraient aggravé l'inflation et mis les finances publiques dans le rouge. Le gouvernement n'a pas survécu à la chute de la valeur des obligations souveraines britanniques, à la dépréciation de la livre sterling et à la crise de confiance. C'était la panique dans les rues de Londres, panique dans les rues de Birmingham, comme auraient chanté les Smiths.
- Speaker #3
Comme les parents qui doivent gérer les attentes de leurs enfants.
- Speaker #0
Oui, ou plutôt qui doivent gérer leurs propres attentes quand ils prennent des décisions relatives aux dépenses et aux emprunts. Pour éviter la ruine financière, les gouvernements doivent gérer les attentes des électeurs et les politiques fiscales pour éviter la crise économique.
- Speaker #3
Vivre au-dessus de ces moyens, que ce soit pour un ménage ou pour une nation, conduit à un endettement insoutenable et promet des choix difficiles à l'avenir.
- Speaker #0
Pour Cité Proust, le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. L'idée est de trouver un nouveau prisme ou une perspective différente pour s'attaquer à un problème récurrent. Parce que, oui, les défauts de paiement de la dette souveraine se sont produits à plusieurs reprises au cours des siècles.
- Speaker #3
Si je comprends bien, on ne peut faire confiance à aucun gouvernement sur le long terme ?
- Speaker #0
C'est une excellente question. Ça me fait penser à une théorie qu'on appelle la théorie monétaire moderne, ou TMM, qui affirme le contraire de tout ce qu'on vient de se dire au sujet des dépenses budgétaires.
- Speaker #3
Comment c'est possible ?
- Speaker #0
J'ai trouvé un court article sur le site Investopedia qui parle de la TMM. Je cite. La théorie monétaire moderne, TMM, est une hypothèse macroéconomique. Elle affirme que les pays souverains sur le plan monétaire, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon ou le Canada, qui dépensent taxes et empruntes dans une devise qu'ils contrôlent entièrement, ne sont pas limités par les recettes lorsqu'il s'agit de prévoir les dépenses du gouvernement fédéral. En d'autres termes, la théorie monétaire moderne décrète que ces gouvernements ne dépendent pas des impôts ou des emprunts, puisqu'ils peuvent imprimer autant d'argent qu'ils le souhaitent et qu'ils sont les seuls émetteurs de leur monnaie. Leurs budgets ne sont pas comparables à ceux d'un ménage ordinaire et leur politique ne devrait pas être façonnée par la crainte d'une augmentation de la dette publique.
- Speaker #3
C'est intéressant, mais ça ne fonctionne que si l'inflation et les taux d'intérêt restent bas et si vous êtes assez gros pour ne pas faire faillite.
- Speaker #0
Le Japon est un bon cas d'école. Le pays lutte contre la déflation depuis des décennies et il en est aujourd'hui sorti. Mais son ratio dette sur PIB est le plus important de toutes les économies développées. Il s'élève à 217%. Pourtant, aucune crise de la dette à l'horizon. D'après Statista.com, aux États-Unis, ce ratio est de 124%. L'Italie est à 140% et la France à 110%.
- Speaker #3
Qui a dit que la taille ne comptait pas ?
- Speaker #0
Eh oui, quand on est les États-Unis, c'est-à-dire la plus grande économie de la planète, et que votre devise est la première monnaie de réserve mondiale, personne ne s'attend à ce que vous fassiez faillite. C'est un peu comme avoir une carte sortée de prison ou Monopoly. Accueillons maintenant Anatoly Anankov, économiste senior pour l'Europe chez Société Générale. Il va pouvoir nous éclairer davantage sur la problématique de la viabilité de la dette souveraine, sur les solutions envisageables et sur la dynamique complexe entre la dette souveraine et les banques centrales. Bonjour Anatoly, merci de participer à cet épisode.
- Speaker #6
Salut Koukou, merci pour l'invitation.
- Speaker #0
On a plusieurs questions pour toi. D'abord, comment les gouvernements font-ils pour améliorer et assainir leur bilan ? On le sait, réduire drastiquement les dépenses et augmenter les impôts est un pari risqué, parce que ces mesures peuvent déclencher une récession et un malaise social. Est-ce qu'il faut plutôt miser sur la croissance pour combler la dette ? C'est une question qui m'intéresse beaucoup.
- Speaker #6
Oui, c'est une très bonne question. Alors bien sûr, en Europe, on a tous en mémoire les politiques d'austérité adoptées après la crise financière mondiale, qui ont conduit à la crise de la dette souveraine. Je pense qu'aujourd'hui... Beaucoup de gouvernements suivent à raison une approche très prudente, plutôt que de réduire les déficits de manière trop soudaine ou drastique. Mais il est important de souligner que le secteur privé se porte beaucoup mieux financièrement qu'après la crise financière mondiale. Les entreprises ont profité de l'expansion budgétaire décidée pendant la pandémie. Donc, on peut penser en toute logique que nos économies sont beaucoup plus résilientes aujourd'hui Merci. qu'elle ne l'était il y a une dizaine d'années. Mais malgré ça, les budgets devraient être assainis de manière très progressive. Et pour répondre à ta question, oui, un des meilleurs moyens de réduire la dette serait clairement de stimuler la croissance. Mais ce n'est pas si simple. On est un peu pessimiste à ce niveau, parce que la croissance, les réformes structurelles, n'ont pas vraiment été une priorité des gouvernements. Surtout si on regarde ces dernières années. Pourquoi ? Peut-être parce que les marchés du travail sont encore très solides. Ça explique pourquoi les hommes politiques et les responsables de la politique budgétaire n'en voient pas vraiment le besoin. Après, on parle de plus en plus de la faible productivité en Europe et de ses causes. Et l'espoir qu'on peut avoir, c'est qu'avec des choses comme les investissements dans la lutte contre le dérèglement climatique, les investissements dans les technologies d'IA, mais aussi les nouveaux plans de relance européens, qui sont pour le coup très axés sur la croissance, L'espoir est que toutes ces tendances pourraient améliorer les perspectives de croissance, et donc aussi la viabilité de la dette. Il est trop tôt pour dire comment ça va se passer. Mais je peux te dire que c'est quelque chose que les marchés obligataires et les agences de notation suivent de très très près.
- Speaker #0
Très intéressant. Deuxième question. Les banques centrales fixent les taux d'intérêt, toujours dans le cadre de leur mandat ? qui est de maintenir la stabilité des prix. Le problème, c'est qu'augmenter les taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation peut clairement compliquer la gestion des finances publiques. Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi, dans le fond, il est si important de garantir l'indépendance des banques centrales par rapport au gouvernement ? Je pense par exemple à Arthur Burns et à Richard Nixon pendant l'hyperinflation des années
- Speaker #6
70. Oui. Je veux dire, c'est une idée qui revient beaucoup en ce moment. de dire que les banques centrales devront accepter une inflation plus élevée et des taux d'intérêt plus bas, à cause justement de la dette publique qui reste la priorité, on va dire, sur le plan budgétaire. Et c'est vrai qu'une inflation plus élevée, surtout si elle est conjoncturelle, parce qu'elle est due par exemple à un boom des prix de l'énergie, va améliorer la dette publique. C'est mécanique. L'inflation stimule la croissance nominale, qui est le dénominateur des ratios dette sur PIB. Mais il est très important de rappeler que cet effet est limité dans le temps. À plus long terme, Si les banques centrales ne ramènent pas l'inflation au niveau souhaité, les taux d'intérêt à long terme vont augmenter, ce qui réduirait à néant les bénéfices qu'on a observés à court terme. Bref, je pense qu'aujourd'hui, on est toujours dans une situation où la plupart des investisseurs et des prévisionnistes pensent que les banques centrales vont réussir à ramener l'inflation à des niveaux acceptables au cours de l'an prochain. C'est pour ça que les taux d'intérêt à long terme restent relativement modérés, voire bas. Et donc, pour les banques centrales, il est vraiment important de faire ce dernier effort, parce que sinon, une inflation élevée entraînera des taux d'intérêt élevés. Et pour faire cet effort, justement, l'indépendance est primordiale. L'indépendance des banques centrales, c'est ce qui leur permet de prendre des décisions difficiles à court terme, pour obtenir un résultat bénéfique sur le long terme. C'est vraiment pour ça que l'indépendance des banques centrales est gravée dans le marbre depuis le début. Elles seules peuvent prendre des décisions qui sont fondées sur les perspectives d'inflation, plutôt que sur ce que les gouvernements peuvent vouloir à court terme, avec tous les calculs électoralistes qui peuvent parasiter la prise de décision.
- Speaker #0
Oui, c'est un très bon point. Les élections de cette année ont mis en lumière les tensions latentes entre les banques centrales et les gouvernements. Ce qui m'amène à la troisième question. Que penses-tu des principes de la théorie monétaire moderne, la fameuse TMM ?
- Speaker #6
C'est une théorie qui prête à débat. On en parle un peu moins depuis quelques années, probablement parce que l'inflation est revenue. Je pense que l'histoire ne manque pas d'exemples où les objectifs politiques ont pris le dessus sur les bénéfices économiques à long terme. Mais je ne pense pas qu'on puisse ignorer complètement cette théorie à l'avenir. Parce qu'on est confronté à des défis assez extraordinaires, tant sur le plan de la politique budgétaire que de l'investissement. Je pense surtout au dérèglement climatique. Il y a aussi d'autres enjeux, des problématiques politiques. Mais je pense que le grand défi, c'est le changement climatique. Je suis convaincu que les banques centrales pourront aider,
- Speaker #7
d'une manière ou d'une autre.
- Speaker #6
Que ce soit en soutenant la dette, avec des politiques d'assouplissement quantitatif, ou en accordant des prêts plus ciblés, et en les affectant aux investissements verts. Pour moi, c'est vraiment ça le sujet du jour. Et rien de tout ça n'avait été prévu à l'époque de la rédaction du traité, quand le fonctionnement de la BCE a été mis au point. Et la BCE, pour le coup, en termes d'indépendance, elle est vraiment protégée. Et elle prend le lit sur plusieurs questions en matière de dérèglement climatique. On peut vraiment leur accorder ça, ce mérite. C'est un sujet d'avenir qui doit être traité. Donc, plutôt que de retirer l'indépendance des banques centrales, je pense qu'on doit plutôt trouver le moyen de renforcer la coordination des deux décideurs pour que ça profite au maximum, en fin de compte, à l'intérêt général.
- Speaker #0
C'était passionnant, mais on arrive déjà à la fin de cet épisode. Encore une fois, merci d'avoir accepté de nous éclairer, Anatoly. À bientôt.
- Speaker #7
Merci beaucoup.
- Speaker #0
Pour conclure cet épisode, permettez-moi de citer un auteur inconnu. La récession ne sera pas terminée tant que nous n'éduquerons pas une génération qui sait vivre avec ce qu'elle a aujourd'hui et non avec ce qu'elle pense avoir demain.
- Speaker #3
Eh bien, bon courage.
- Speaker #0
Merci d'avoir suivi cet épisode de 2050 Investors. Merci à Anatoly pour sa contribution précieuse. J'espère que cet épisode vous a aidé à mieux comprendre les défis posés par la gestion de la dette souveraine des États. 2050 Investors est disponible sur toutes les plateformes de podcast et de streaming. Si cet épisode vous a plu, mettez-nous plein d'étoiles sur Apple Podcasts. Laissez des commentaires où vous voulez, abonnez-vous et surtout, parlez-en autour de vous.
- Speaker #4
Rendez-vous au prochain épisode.
- Speaker #0
Ce podcast traite des marchés financiers, mais ne recommande aucune décision d'investissement particulière. Si vous n'êtes pas sûr du bien fondé d'une décision d'investissement, veuillez consulter un professionnel.