- Speaker #0
Le prix du pétrole a chuté de 16,5% depuis avril 2024, point le plus haut de l'année. C'est une surprise pour beaucoup alors qu'on s'attendait plutôt à une hausse des prix. Mais cette baisse n'est pas qu'une simple fluctuation de marché. Elle révèle surtout des bouleversements géopolitiques profonds avec les Etats-Unis et la Russie en première ligne. Et ce n'est qu'une partie du puzzle, vous le verrez. Cette dynamique met également en lumière une révolution plus large, celle de l'économie. américaines. Les Etats-Unis consolident leur domination sur le secteur énergétique tandis que l'Europe peine à suivre le rythme et pendant ce temps la Chine, elle, investit massivement dans les énergies renouvelables. Alors que le monde se dirige vers une transition énergétique, une question donc reste ouverte. Comment ces facteurs façonnent-ils l'avenir de l'énergie mondiale et pourquoi malgré ces avancées nous manquons encore d'énergie Nous allons répondre à toutes ces questions dans ce nouveau podcast de la Banque Transatlantique. Et pour en parler, je suis avec Pierre Carpentier, directeur de la gestion chez Dubli Transatlantique Gestion. Bonjour Pierre.
- Speaker #1
Bonjour Marc-Antoine.
- Speaker #0
Alors Pierre, 16,5% de baisse depuis avril 2024, le point le plus haut de l'année. Qu'est-ce qui a pu finalement provoquer une telle chute alors que tout le monde s'attendait plutôt à une hausse Alors effectivement,
- Speaker #1
ça peut paraître assez paradoxal face à l'environnement géopolitique dégradé dans lequel nous vivons depuis maintenant un peu plus d'un an. Mais il y a des tendances profondes qui pèsent négativement sur le prix du baril. La première, c'est que les États-Unis sont aujourd'hui le premier producteur mondial de pétrole, ceci depuis une vingtaine d'années, avec la révolution des pétroles et des gaz de schiste qui ont permis effectivement la mise en production de nouveaux champs et qui ont permis aux États-Unis de venir tout en haut de la place de ce classement des producteurs de pétrole. Le deuxième élément, c'est que face à cette mise en production, on a une baisse donc graduelle des prix qui s'est mise en place et les pays de l'OPEP+, donc le cartel qui encadre la production de pétrole au sein de la planète, ont... ont décidé de réduire la production pour essayer d'endiguer cette baisse des prix. L'Arabie Saoudite a décidé cette année de revenir sur cette décision en abandonnant son prix cible d'équilibre de 100 dollars le baril, puisque ce faisant, donc à savoir de réduire la production, les États avaient perdu des parts de marché à l'échelle de la planète et qu'aujourd'hui elles souhaitent récupérer ou à minima arrêter de perdre davantage de parts de marché, puisque ceci pose un problème de volume. Le dernier point, c'est que, comme vous le savez, le prix du baril évolue fortement en fonction de la perception qu'ont les investisseurs de l'activité économique mondiale, de la tendance de la croissance, et qu'aujourd'hui, le moteur de la croissance mondiale, à savoir la Chine, est à l'arrêt. On attend 5% de croissance environ pour l'économie chinoise en 2024, ce qui est très peu pour ce pays, et effectivement, ceci exerce également des pressions baissières. Signe intéressant de très court terme, vous avez évoqué une baisse de 16,5%, donc entre ce point haut observé début avril et environ le 30 septembre. Juste à la fin du mois septembre début octobre, la Chine a lancé un paquet de mesures de stimulus de l'économie avec un volet monétaire, bancaire et budgétaire. Ces seules mesures ont permis aux barils de rebondir d'environ 5 ou 6%. Au même moment, l'Iran bombardait Israël avec des centaines de missiles. L'impact a été très faible sur le prix de l'or noir. Contrairement à ce que l'on voyait par exemple dans les années 90, si vous vous rappelez notamment de l'invasion du Koweït par Saddam Hussein, le prix de l'or noir avait à ce moment-là explosé.
- Speaker #0
Alors on n'a pas encore évoqué un acteur clé dans ce marché, c'est la Russie. La Russie, on le sait, qui a envahi l'Ukraine. Comment sa stratégie de vente de pétrole influence-t-elle cette baisse des prix
- Speaker #1
Alors effectivement, l'or noir est un enjeu majeur pour la Russie puisque c'est le principal poste qui contribue au budget de l'État et c'était la principale source de recettes à l'exportation avant les mesures de rétorsion prises notamment par les pays occidentaux. Aujourd'hui, la Russie alimente un marché parallèle. avec des États qui sont peu regardants sur l'application des mesures de rétorsion. On peut citer l'Inde, on peut citer la Turquie. Ce sont des pays qui connaissent des taux de croissance importants et qui ont besoin d'un accès à l'énergie. Ils s'approvisionnent donc auprès du pétrole russe qui subit une décote sur les marchés et qui leur permet effectivement de continuer à acquérir ce prix. Ceci permet donc à la Russie d'avoir des contributions positives encore sur le marché et donc de nourrir son budget. Il faut savoir qu'aujourd'hui environ 30% de l'économie russe... est tournée vers l'effort de guerre. Il faut alimenter cet effort. Vladimir Poutine ne souhaite pas se couper de ses recettes.
- Speaker #0
Alors cette baisse du prix du baril, en revanche, est clairement un avantage pour un autre pays. C'est les Etats-Unis qui sortent, eux, renforcés de cette situation. Mais ce n'est pas uniquement une question de prix. En fait, les Etats-Unis sont en train surtout de redéfinir leur position dans l'économie mondiale. On entre dans une nouvelle ère de souveraineté énergétique. Alors... Justement Pierre, les Etats-Unis, comment ils ont réussi à asseoir cette domination
- Speaker #1
Alors d'abord le prix est un enjeu majeur, d'abord pour les ménages et pour les consommateurs. Le prix du baril est un élément dont on parle, le prix du galon plus précisément. La pompe est un élément qui est central dans la campagne électorale américaine. D'ailleurs le prix du pétrole et le prix de l'essence a été un élément majeur également dans la crise des gilets jaunes qu'a connue la France il y a quelques années. L'élément central également c'est que comme nous l'avons indiqué, les Etats-Unis sont donc devenus le premier producteur mondial de pétrole avec la découverte et la mise en production de ces champs, notamment le bassin Permian qui se situe au Texas. Il se trouve qu'aujourd'hui les Etats-Unis sont dans une situation où... Leur appareil industriel était construit d'une telle manière qu'ils devaient, par exemple, regazéifier du gaz naturel liquéfié qu'ils importaient du reste du monde, comme le Qatar ou l'Australie, et qu'aujourd'hui, ce sont eux qui exportent ces produits. Il faut donc refaçonner toutes ces usines. Et aujourd'hui, l'Europe, qui a choisi de diversifier ses approvisionnements en se coupant du gaz russe, s'est tournée notamment vers le Qatar et les États-Unis. Sachez par exemple que l'excédent commercial du Texas vis-à-vis de l'Europe est supérieur à celui de la Californie vis-à-vis de notre continent.
- Speaker #0
Alors justement, l'Europe reste en retrait. Pourquoi Le vieux continent n'arrive pas à suivre ce rythme.
- Speaker #1
La première chose, c'est que l'Europe, d'un point de vue géologique, ne dispose pas de ressources fossiles sur son sol. Nous avons encore un peu de réserves de charbon, notamment en Pologne et en Allemagne, qui entrent d'ailleurs dans la production d'électricité dans ces deux pays. Toutefois, nous sommes à la fin, et les champs pétroliers en mer Noire sont également en dépression. Ça, c'est un élément central. De ce fait, nous devons importer de l'énergie. Pendant des décennies, l'Europe s'est accommodée du gaz russe bon marché offert par Vladimir Poutine. L'industrie allemande a pu prospérer. L'Allemagne a pu vendre effectivement ses biens d'équipement, ses machines-outils, ses véhicules du fait d'une industrie florissante permise par un approvisionnement en énergie à bas coût. Ce chapitre, aujourd'hui, est révolu. L'Europe entame donc une révolution vers les énergies renouvelables à marge forcée. et cherche à diversifier ses approvisionnements en produits gaziers et pétroliers vers d'autres pays. Nous avons évoqué les Etats-Unis, le Qatar, parlons par exemple également de l'Australie. Toujours est-il que l'Europe souhaite fortement faire baisser le poids des énergies fossiles dans son mix énergétique, étant donné les émissions de gaz à effet de serre de cette partie de l'énergie, et souhaite faire augmenter en contrepartie le renouvelable, ce qui passe par des investissements majeurs et massifs. Et donc effectivement l'Europe est un petit peu aujourd'hui au milieu du guet. même si on constate que la part de renouvelables augmente fortement et que l'Europe semble en voie de réaliser et de réussir cette transition.
- Speaker #0
Et pendant ce temps, vous l'avez évoqué il y a quelques instants, un autre acteur avance à grande vitesse, c'est la Chine. Là où les États-Unis dominent le jeu pétrolier, la Chine, elle, fait le pari massif des énergies renouvelables. Alors pourquoi cette stratégie chinoise, Pierre Et est-ce que ça bouleverse les équilibres énergétiques mondiaux
- Speaker #1
Alors on l'a bien noté précédemment, l'énergie est un enjeu de souveraineté. On en a parlé avec les Etats-Unis. La Chine ne dispose pas de ressources pétrolières dans son sol, elle a du charbon, mais comme on l'a indiqué, pollue énormément. Elle a donc décidé d'effectuer cette transition énergétique à marche forcée. Et aujourd'hui, force est de constater que la Chine est le premier producteur d'énergie renouvelable au monde. Sachez par exemple que plus d'un tiers de l'énergie solaire produite dans le monde est produite sur le territoire chinois. A ce niveau... La Chine dispose d'avantages majeurs, notamment la taille du pays, qui permet le déploiement d'infrastructures de production très importantes. Le deuxième élément, c'est que vous savez qu'aujourd'hui, la Chine est le premier producteur mondial de voitures, de véhicules électriques, et que pour alimenter ces véhicules, il faut un système de production basé sur un mix énergétique électrifié et sur lequel le renouvelable est fondamental. Donc vous voyez que la Chine a mis en place un écosystème global. qui en fait fait des énergies vertes et des énergies renouvelables, qui sont ensuite transformées en électricité, un élément majeur. Voilà donc quelle politique a choisi de suivre la Chine pour ne pas avoir à dépendre du reste du monde, et notamment du pétrole américain.
- Speaker #0
Et malgré tous ces investissements, on manque encore d'énergie dans le monde. Simple question,
- Speaker #1
pourquoi Eh bien parce que la consommation d'énergie ne cesse d'augmenter. On parle effectivement d'une réduction... de la composition liée aux énergies fossiles, dans les engagements liés à la réduction des gaz à effet de serre. Mais notre consommation d'énergie augmente, d'abord parce qu'il y a de plus en plus d'individus qui accèdent au statut de la classe moyenne mondiale et qui donc consomment naturellement, en ce sens, beaucoup plus d'énergie. Et puis par ailleurs, sous nos latitudes, dans les pays développés, les développements en cours autour de la révolution de l'intelligence artificielle conduisent à une explosion de la consommation d'énergie et notamment d'électricité. Prenons la consommation et les émissions des grands acteurs de la tech, les GAFAM, Microsoft ou Alphabet. Ces derniers ont connu une explosion de leur émission de gaz à effet de serre ces dernières années du fait de la mise en production de nouveaux data centers. Et donc c'est cet élément qui conduit à ce qu'aujourd'hui nous ayons une très forte augmentation de la demande d'énergie et que cette tendance va s'ancrer pour les dix prochaines années avec des défis majeurs, notamment l'accès aux renouvelables. et surtout l'accès à des réseaux de distribution solides et fiables.
- Speaker #0
Des défis, on l'a compris, de la transition énergétique qui sont donc nombreux. Alors Pierre, vous travaillez chez Dubli Transatlantique Gestion, qui fait partie du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Comment le groupe fait face à ces enjeux et quelles actions concrètes sont mises en place Comme vous le savez,
- Speaker #1
le groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale s'est doté du statut d'entreprise à mission, qui est permis par la loi Pacte, et le groupe a décidé effectivement de prendre des engagements, entre autres environnementaux, extrêmement forts. Dans une banque, nous avons deux manières de réduire les émissions de gaz à effet de serre. La première, c'est de travailler sur nous-mêmes, sur nos bâtiments, sur nos data centers, pour réduire l'empreinte énergétique de notre groupe, de ce que nous produisons nous-mêmes directement dans notre activité. Et puis ensuite, nous activons des leviers par nos métiers. D'abord, en essayant de décarboner le portefeuille de crédit. Nous avons mis en place le groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale. des politiques sectorielles qui encadrent aujourd'hui l'octroi de crédit dans certaines activités jugées critiques en termes d'émissions. On peut citer le transport maritime, on peut citer également le transport aérien, on peut citer le financement du logement. Le deuxième levier que peut activer une banque, c'est au niveau des métiers de la gestion d'actifs. Donc là, je me tourne vers l'épargne et donc vers nos activités au sein de Dubli Transatlantique Gestion. En effet, lorsque nous investissons dans des sociétés, nous pouvons continuer d'investir dans des secteurs qui sont fortement émetteurs, ce qui n'est plus le cas. Le groupe aujourd'hui dans ses métiers de gestion d'actifs déploie des politiques sectorielles. Il y a aujourd'hui depuis maintenant quelques années une politique charbon qui encadre très fortement cette industrie qui se base sur les travaux d'une ONG allemande indépendante. Et puis nous allons dans quelques semaines produire et publier la politique sectorielle liée aux hydrocarbures qui viendra étoffer ce périmètre d'encadrement des émissions du portefeuille et des portefeuilles d'actifs que nous gérons.
- Speaker #0
Un marché de l'énergie, donc, on l'a compris, en pleine mutation entre la baisse des prix du pétrole, la montée en puissance des États-Unis et de la Chine, et les défis de la transition énergétique, les rapports de force sont en train de changer rapidement. Merci beaucoup Pierre pour ces précieuses analyses.
- Speaker #1
Merci à vous, merci de votre écoute.
- Speaker #0
Et on se retrouve très bientôt dans un nouveau podcast à Banque Transatlantique pour explorer cette fois des grands enjeux économiques. A très bientôt.