- Speaker #0
Les élections législatives en France, les élections générales britanniques et les élections présidentielles aux Etats-Unis, l'actualité politique internationale est très dense en 2024. Et évidemment chaque élection a un impact sur l'économie. Les rendez-vous des électeurs dont trois des plus grandes puissances mondiales remettent aussi sur le devant de la scène une thématique on ne peut plus importante. C'est un sujet dont on entendait plus beaucoup parler ces dix dernières années à cause des taux d'intérêt très bas, voire négatifs. Mais aujourd'hui, Aucun expert économique ne peut être indifférent à ce qui s'est passé ou ce qui va se passer dans les urnes. Dans ce contexte, dans quelles conditions la dette publique est-elle soutenable ou non pour les États Quels impacts pour les investisseurs Réponse dans À l'écoute des marchés, un nouveau podcast de la Banque Transatlantique. Et pour évoquer ce sujet, j'accueille Jean-Patrick Mousset, directeur de l'advisory à la Banque Transatlantique. Bonjour Jean-Patrick.
- Speaker #1
Bonjour Marc-Antoine.
- Speaker #0
Alors Jean-Patrick, la soutenabilité de la dette des États, on va le rappeler très rapidement, c'est la capacité d'un pays à rembourser ses dettes sans compromettre sa stabilité économique à long terme. On en parlait moins ces dernières années, mais dès le début de l'année, le FMI avait tiré la sonnette d'alarme par la voix de sa présidente Kristalina Georgieva. Concrètement, où en est-on dans ce contexte actuel
- Speaker #1
Alors effectivement Marc-Antoine, la dette est considérée comme aujourd'hui soutenable si le ratio dette sur PIB du pays qui émet la dette restent sur une trajectoire stable ou voire descendante. Alors ça implique que les États peuvent emprunter dans ce cas avec une prime de risque faible. Depuis la dernière décennie, on a vu des taux faibles, voire négatifs, et ça a permis aux économies des pays développés de maintenir justement stable ce ratio de dette publique sur PIB. Et donc, le débat sur le niveau élevé de la dette publique avait quasiment disparu.
- Speaker #0
On en a parlé dans l'introduction, on n'en parlait plus beaucoup depuis ces dernières années. Pourquoi aujourd'hui le sujet refait surface, Jean-Patrick
- Speaker #1
Effectivement, la soutenabilité de la dette revient d'actualité pour plusieurs raisons. Il y a eu d'abord les forts accroissements des déficits publics pendant le Covid. Il y a eu également le bouclier énergétique en raison de la guerre en Ukraine. Donc tout ça, ça a aggravé les déficits. Et puis, ça se fait dans un contexte où les taux d'intérêt ont fortement augmenté depuis 2022 sous l'impulsion de l'action des banques centrales. Et le tout aujourd'hui dans un contexte de ralentissement de la croissance du PIB. Alors en soi... Si le budget d'un pays est équilibré, ce n'est pas un problème pour les marchés, cette dette. Mais après de nombreuses années d'augmentation des déficits, il devient plus compliqué politiquement de ne pas les laisser déraper. D'autant plus que des facteurs structurels existent, tels que le vieillissement de la population ou les coûts de la transition énergétique. Donc, sauf à ce que les gouvernements des pays émetteurs parviennent à réduire leurs déficits, les investisseurs risquent de s'inquiéter de plus en plus de la soutenabilité de la dette publique. Et parmi les pays les plus vulnérables figurent l'Italie, la France, mais aussi les États-Unis, où je vous le rappelle, à l'automne dernier, les primes de terme, c'est-à-dire la différence entre les taux longs et les taux courts, ont fortement augmenté. Et ça, ça laisse suggérer que la tolérance des investisseurs financiers sur la dette américaine diminuait, alors que ce pays avait historiquement plus de marge de manœuvre.
- Speaker #0
Mais comment pouvons-nous garantir la soutenabilité de cette dette Quels défis cela pose-t-il et quelles stratégies, finalement, on peut envisager pour les surmonter
- Speaker #1
Un pays peut tout à fait faire face à sa dette publique. Déjà premièrement, quand la croissance économique est supérieure au taux d'intérêt, cela augmente les recettes fiscales d'une part, et donc réduit le déficit, et d'autre part, ça va augmenter le PIB, et donc ça va réduire le ratio dette sur PIB. Et aujourd'hui, à l'été 2024, on considère que nous sommes dans une phase de ralentissement de la croissance mondiale, mais nous sommes toujours dans une phase de croissance. Et cette croissance pourrait même s'accélérer par une hausse de la productivité par exemple, et cela contribuerait à réduire le déficit. en augmentant les haussettes budgétaires. Et ça, ce n'est pas un cas d'école. Ce fut le cas aux États-Unis lors du boom Internet de la fin des années 90, et ça pourrait être le cas avec l'intelligence artificielle aujourd'hui.
- Speaker #0
Et on peut aussi réduire les déficits.
- Speaker #1
Alors effectivement, la politique budgétaire peut s'ajuster, soit par une baisse de la dépense publique, soit par une hausse de la fiscalité, ou bien les deux. Mais la question aujourd'hui, c'est de savoir, avec les élections qu'il y a partout dans le monde, si le climat est propice à des coupes budgétaires. Et historiquement, on a bien constaté que les gouvernements n'ont accepté de mener des coupes budgétaires que s'il y avait une pression du marché. Et il faut également faire attention à ces cures d'austérité qui cassent la dynamique de croissance et aggravent la situation en faisant chuter le PIB et donc en augmentant le ratio d'aides sur PIB.
- Speaker #0
Alors, l'inflation, est-ce que ça peut être une stratégie
- Speaker #1
Certes, quand il y a une hausse de l'inflation, mécaniquement, ça va réduire la valeur réelle de la dette. Il y a généralement une mise à taux fixe. Mais attention, cette inflation aussi réduit le pouvoir d'achat du consommateur. Et donc, c'est politiquement difficilement acceptable.
- Speaker #0
Et alors, les États ont-ils d'autres moyens à leur disposition
- Speaker #1
Oui, tout à fait, notamment avec ce qu'on appelle la répression financière. Alors qu'est-ce que la répression financière C'est le fait que les États réservent à des investisseurs publics ou régulés, et donc captifs, comme les banques, les compagnies d'assurance, les caisses de retraite, leurs émissions de dettes souveraines. Et ils émettent à des taux habituellement inférieurs à ceux du marché. Cela permet donc aux États de se financer à des taux moins élevés qu'auprès d'autres investisseurs comme les marchés financiers. Et on considère que... L'assouplissement quantitatif des banques centrales par des achats massifs d'obligations d'État, pendant le Covid notamment, ça a eu un effet similaire.
- Speaker #0
Alors imaginons, Jean-Patrick, si la dette devenait insoutenable, que se passerait-il
- Speaker #1
Alors c'est le défaut, comme ce fut le cas en Grèce lors de la crise de la zone euro, vous vous souvenez, en 2011-2012. Et ça, ce n'est pas vraiment souhaitable si on veut conserver la confiance des investisseurs. Et on sait que les investisseurs ont la mémoire longue.
- Speaker #0
Quels sont les pays aujourd'hui les plus exposés
- Speaker #1
Alors Marc-Antoine, la plupart des grands pays développés ont aujourd'hui besoin de réduire considérablement leur déficit budgétaire. Et pour diverses raisons, la plupart risquent d'avoir du mal à le faire. On peut citer notamment le cas du Japon, les États-Unis, la France, l'Italie, qui ont tous des besoins de réduction de déficit important de l'ordre de 5 à 6% du PIB. Il faut également s'interroger de savoir si ces déficits sont déjà structurellement menacés d'aggravation. Et là, on pense particulièrement aux coûts croissants du vieillissement de la population. qui menacent des pays comme le Japon et l'Italie. Et puis plus généralement, du coup, la transition écologique qui va nécessiter de très forts investissements à financer.
- Speaker #0
Alors vous avez mentionné un niveau de déficit de 5 à 6% du PIB. Concrètement, qu'est-ce que ça représente et est-ce que les déficits finalement ont de l'importance
- Speaker #1
Eh bien Marc-Antoine, ça dépend. Sur les marchés obligataires des pays développés, il y a une sorte d'équilibre précaire. entre d'une part des investisseurs qui ont déjà largement intégré la détérioration de la dette publique et d'autre part des États emprunteurs qui ont jusqu'ici au moins fait preuve d'un intérêt de pure forme pour la discipline budgétaire.
- Speaker #0
Et donc, quelle est la situation budgétaire aujourd'hui ?
- Speaker #1
Alors aujourd'hui, il faut bien prendre en compte qu'il y a eu un fort soutien budgétaire dans la période Covid avec la guerre en Ukraine et qui a été essentiel pour la résilience des économies des pays développés. notamment face à la hausse des taux d'intérêt en 2022 et 2023. Les déficits budgétaires des pays du G7 se sont en conséquence alourdis, et ça de plus de 3% du PIB en moyenne par rapport à 2019. Cela reflète à la fois la hausse des coûts d'intérêt sur le service de la dette publique, mais si on considère le solde budgétaire primaire seulement, c'est-à-dire qui exclut les intérêts de la dette, ces soldes primaires se sont également considérablement détériorés. Et aujourd'hui... à un peu moins de 100% du PIB aux États-Unis et au Royaume-Uni, à 110% du PIB en France et à près de 140% du PIB en Italie, les rassauts de dette publique sont à leur plus haut niveau depuis plusieurs décennies.
- Speaker #0
Mais alors, question logique, n'est-ce pas avant tout une question de perception des marchés ?
- Speaker #1
Effectivement, le maintien de la viabilité budgétaire dans un contexte de lourd fardeau de la dette, c'est essentiellement un jeu de confiance. C'est-à-dire que si les investisseurs sont convaincus qu'un gouvernement est déterminé à faire preuve de discipline budgétaire sur le long terme, alors ils sont prêts à passer outre les hausses de la dette et des déficits s'ils considèrent que c'est que du court terme. Par contre, si l'engagement des gouvernements à réduire les déficits est remis en question, alors là, la confiance est rapidement perdue. Les prix des obligations chutent, les rendements montent en flèche et ça, ça augmente les coûts d'emprunt des gouvernements et ça rend insoutenable la situation budgétaire. On peut se rappeler l'exemple du Royaume-Uni en 2022 qui a montré que les rendements obligataires peuvent s'envoler en cas de dérapage.
- Speaker #0
On a bien compris sur l'aspect international. Faisons un zoom sur la France et la zone euro. Quel impact ?
- Speaker #1
Compte tenu de la nouvelle donne politique en France, ça élargit l'esprit des obligations d'État à court terme, je dirais non seulement en France, mais aussi dans d'autres pays vulnérables de la zone euro. Avec un ratio d'aides sur PIB d'environ 110%, on ne voit pas comment aujourd'hui le déficit revienne en dessous de 3% du PIB dans un avenir proche. Et comme toujours avec la zone euro, les inquiétudes qui concernent un pays, surtout s'il est important comme la France, ça se répercute sur d'autres pays. C'est-à-dire que si la France ne respecte pas le nouveau cadre budgétaire de l'Union européenne, les investisseurs pourraient craindre que d'autres pays ne suivent le mouvement. Et ça, ça augmente les risques de soutenabilité de la dette, donc non seulement en France, mais aussi dans d'autres parties de la zone euro.
- Speaker #0
Et alors Jean-Patrick, on a le sentiment que la France est importante. En quoi elle l'est finalement ?
- Speaker #1
Effectivement, Marc-Antoine, la France est d'une importance cruciale. Non seulement parce qu'elle est... la deuxième économie de la zone euro, mais aussi parce que c'est le quatrième marché obligataire mondial. Et les risques d'une mini-crise budgétaire existent. Et donc les spreads obligataires, les obligations françaises, par rapport aux obligations allemandes pourrait encore s'élargir.
- Speaker #0
Alors parlons d'un pays central dans l'économie mondiale, évidemment les États-Unis. On en parlera d'ailleurs lors d'un prochain podcast. Mais finalement, quels enjeux pour eux
- Speaker #1
Alors les enjeux aujourd'hui sont très élevés aux États-Unis et à la fois pour le monde, compte tenu de l'ampleur des déficits aux États-Unis et de la position centrale des États-Unis dans le système financier mondial. Le gouvernement américain a toujours eu l'habitude de financer ses déficits en émettant du dollar, qui est la monnaie de réserve mondiale. Mais les années 90 ont montré les limites de ce privilège américain. Et la réserve fédérale de New York avait bien montré que les primes de terme, c'est-à-dire la différence entre les taux longs et les taux courts sur les obligations d'État américaines, avaient atteint à leur apogée 380 points de base en mai 92. Et ça a obligé l'administration Clinton, dans les années 90, à se concentrer plutôt sur la consolidation budgétaire. Et ça se fut à une époque où, en pourcentage du PIB, le déficit budgétaire américain était beaucoup moins important que ce qu'il ne l'est aujourd'hui. Donc si les élections américaines de novembre se terminent par un président et un congrès qui veulent à la fois tous les deux maintenir une trajectoire budgétaire actuelle déficitaire, à ce moment-là, les marchés obligataires pourraient leur rappeler l'importance du déficit.
- Speaker #0
Et donc rendez-vous en novembre prochain pour avoir la réponse avec ces élections américaines. Merci beaucoup Jean-Patrick.
- Speaker #1
Merci Marc-Antoine.
- Speaker #0
Et on reparlera d'ailleurs des États-Unis dans un prochain podcast qui sera dédié à l'exceptionnalisme US, car décidément c'est un pays très particulier. À bientôt, au revoir.