- Adèle Mazurek (AM)
Bonjour, aujourd'hui nous accueillons Charlotte Marcillière, doctorante du LATTS, le Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés. Charlotte réalise actuellement une thèse CIFRE en partenariat avec EDF et Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution d'électricité en France. Sa recherche porte sur l'organisation territoriale de la transition vers l'automobilité électrique, un sujet au croisement des politiques publiques, de l'énergie et des mobilités. Bonjour Charlotte.
- Charlotte Marcillière (CM)
Bonjour.
- Adèle Mazurek (AM)
En quelques mots pour commencer, présente-nous ta thèse. Quels sont les grands axes que tu explores dans tes recherches ?
- Charlotte Marcillière (CM)
Mes recherches s'inscrivent à l'intersection entre la science politique et la sociologie. Ce que j'essaie de faire, c'est de comprendre la construction et le fonctionnement de l'action publique à travers un objet de recherche qui est l'étude des politiques de planification du déploiement des infrastructures de recharge pour les véhicules électriques. Et donc à ce stade, je dirais que je m'intéresse en particulier à quatre dimensions.
Je regarde d'abord la construction de la planification publique comme mode d'organisation privilégié pour le déploiement des infrastructures de recharge. Ce que j'essaye de faire, c'est de comprendre quels sont les processus - donc les jeux d'acteurs, les rapports de force et puis les temporalités - qui permettent de faire en sorte que l'élaboration d'exercices stratégiques, donc la rédaction de documents de planification - soit identifiée comme une solution privilégiée aux problèmes du déploiement et du manque d'infrastructures de recharge pour les véhicules électriques, en considérant en particulier que le recours à ces outils de planification, ce n'est pas quelque chose qui est naturel dans la conduite des politiques publiques ou qui va être neutre, mais que c'est bien un choix d'action publique.
- Adèle Mazurek (AM)
Tu parlais de manque d'infrastructures par rapport aux besoins de bornes de recharge...
- Charlotte Marcillière (CM)
Oui, donc quand on s'intéresse au développement de l'automobilité électrique, on va dire que dans les politiques publiques, il y a deux grands axes qui ont été identifiés. Il y a d'une part le développement du parc de véhicules électriques, donc l'augmentation de la demande de véhicules électriques. Et puis, en adéquation avec l'augmentation de cette demande, il faut des infrastructures de recharge. Et pendant assez longtemps, et notamment dans la première phase, on va dire au début des années 2010, une des croyances, on va dire, ou un des facteurs qui limitait vraiment l'acquisition de véhicules électriques par les ménages, c'était effectivement cette question du manque d'infrastructures de recharge. Donc, c'est devenu vraiment un axe de politique publique porté par l'administration et l'État en particulier.
- Adèle Mazurek (AM)
Très bien, merci pour cette précision. Je te laisse continuer sur les grands axes de ta thèse.
- Charlotte Marcillière (CM)
Oui, donc, au-delà effectivement de la construction de la planification comme mode d'organisation privilégié pour le déploiement des infrastructures de recherche, je m'intéresse aussi à la question de l'organisation, notamment de l'organisation administrative qui est associée à ces exercices de planification. Donc ici, ce qui va m'intéresser, c'est de comprendre effectivement comment les acteurs publics, que ce soit l'État central, l'État déconcentré, l'État décentralisé, travaillent pour élaborer ces documents de planification. Et là, ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est qu'il y a différents acteurs publics qui participent justement à la construction de ces instruments de planification et que chacun de ces acteurs publics va avoir des cultures professionnelles, des visions, des méthodes de travail, mais aussi des intérêts, des stratégies qui vont lui être propres. Et donc je m'intéresse à ces jeux d'acteurs et rapports de force justement dans la construction de ces outils de planification. Et puis un autre axe effectivement que je vais aussi explorer, c'est la question du rapport entre les acteurs publics et les acteurs privés autour toujours de ces questions de planification. Je vais m'intéresser à ces rapports entre public et privé, d'une part dans le cadre des négociations qui vont avoir lieu lors de la rédaction des documents de planification, donc des négociations qui peuvent porter sur les objectifs qualitatifs ou quantitatifs de déploiement d'infrastructures de recharge, sur les modalités de financement aussi, par exemple, modalités réglementaires, contractuelles. Et puis je m'intéresse aussi aux rapports entre le public et le privé qui échappent un peu à la planification, puisque des acteurs privés peuvent aussi effectuer des déploiements, des implantations, en dehors de ce qui est prévu dans le cadre des planifications qui sont portées par les acteurs publics. C'est un des autres axes que j'explore.
- Adèle Mazurek (AM)
Très bien, merci. On reviendra un petit peu plus tard sur cette question d'acteurs qui y sont. On parle depuis plusieurs années de la nécessité de décarboner le secteur des transports, qui est à la fois le premier émetteur de gaz à effet de serre en France et le principal consommateur d'énergie. Face à l'urgence environnementale, l'électrification des mobilités et notamment des voitures est souvent présentée comme l'une des solutions incontournables. Quels sont les enjeux majeurs aujourd'hui de cette transition vers l'automobilité électrique ?
- Charlotte Marcillière (CM)
On peut aborder cette question des enjeux à travers la question des objectifs de politique publique. Si on repart un petit peu de l'histoire de l'automobilité électrique, il y a eu plusieurs étapes qui ont un peu marqué le chemin de l'affirmation de cette technologie. Donc effectivement, dès la seconde moitié du XXe siècle, l'État était déjà engagé avec des acteurs industriels comme Renault ou EDF par exemple, sur le développement des véhicules électriques, donc pas exactement les véhicules qu'on connaît aujourd'hui, mais en tout cas, il y avait déjà cette idée-là. Et puis, dans la phase la plus récente, au tournant des années 2008-2009, cette volonté de développer l'automobilité électrique a été réaffirmée dans un contexte qui était fortement marqué par une crise économique, qui était à la fois conjoncturelle et structurelle du secteur automobile à l'échelle française et aussi à l'échelle européenne. Et donc il y avait vraiment un enjeu industriel, donc un enjeu de politique publique industrielle. Et puis, rapidement, ça a été effectivement également rattaché à des enjeux en termes de développement durable, notamment dans le cadre de la loi Grenelle 2, donc en 2010, et puis la loi de transition énergétique pour la croissance verte, donc en 2015. Et puis ensuite, le vocable change un petit peu, ça devient des questions de décarbonation des transports. Et ça, ça a été notamment beaucoup porté dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone. Donc aujourd'hui, je dirais que les enjeux de politique publique, c'est des enjeux à la fois industriels, parce qu'on garde bien sûr cette base-là et puis des enjeux de décarbonation des transports. Donc ça, c'est une première façon, je dirais, d'aborder le sujet. Et puis ensuite, si on s'intéresse effectivement à la question des enjeux de la mise en œuvre de la transition vers l'automobilité électrique, c'est ce que je disais un petit peu plus tôt, il y a vraiment deux leviers qui ont été identifiés dans les politiques publiques, le développement de la demande en véhicules et puis le déploiement des infrastructures de recharge. Et donc moi, je travaille vraiment plutôt sur ce deuxième aspect. Mais, il y a vraiment toujours, dans toutes les politiques de déploiement des infrastructures de recharge, une question de l'adéquation entre parc de véhicules et offre de recharge. Et sur les questions de planification en particulier, si on réduit encore un petit peu plus le scope, je travaille vraiment sur les infrastructures de recharge ouvertes au public, parce qu'il y a aussi des infrastructures à la maison ou en entreprise. On appelle ça des infrastructures privées. Et je dirais que les enjeux sur ces questions de planification, ils sont au nombre de trois, on pourrait dire. Tout d'abord, un enjeu de segmentation, puisque la planification, elle est pensée à différentes échelles. Donc, il y a une planification qui est faite sur le réseau routier national. Donc, ça va être les autoroutes. Il y a une gouvernance un petit peu particulière parce qu'une partie des autoroutes qui sont concédées, gérées par des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Donc, on peut penser à Cofiroute, SANEF, APRR. Voilà, pour en citer quelques-unes. Il y a des dispositifs de planification qui sont pensés à l'échelle du réseau routier national et puis des dispositifs de planification qui sont pensés à l'échelle des territoires. Donc déjà, il y a une question de segmentation et puis de mise en cohérence de ces outils de planification, puisque ce qui porte la planification, c'est la question justement de la définition d'une stratégie de long terme un peu unique qui permet d'être mise en place sur l'ensemble du territoire métropolitain. Et donc la question de la segmentation des espaces constitue un enjeu assez important.
- Adèle Mazurek (AM)
Quand on parle de planification, on parle aussi en termes de temporalité ?
- Charlotte Marcillière (CM)
Oui, bien sûr. Et justement, c'est très lié à ces questions de segmentation, c'est-à-dire que les temporalités ne sont pas les mêmes entre la planification sur le réseau routier national qui est pensée à 2035 et puis la planification dans les territoires qui est pensée à des horizons de temps qui sont dits opérationnels, 3 ans, et un peu plus de long terme, 5 ans.
- Adèle Mazurek (AM)
Une grosse différence entre les deux.
- Charlotte Marcillière (CM)
Oui, effectivement, dans ces questions de segmentation, il y a une question d'alignement des objectifs quantitatifs, qualitatifs aussi ; c'est-à-dire qu'il ne faut pas qu'il y ait des effets de frontière. Par exemple, si deux territoires font des documents de planification, il ne faut pas qu'à la frontière, il n'y ait aucune borne en se disant que c'est le territoire d'à côté qui va les déployer. Et puis, des questions d'alignement temporel aussi complètement. Un autre enjeu sur ces questions de planification, c'est aussi la question de l'intersectorialité, ce que vous rappeliez un petit peu en introduction, mais les politiques publiques de développement de l'automobilité électrique, elles sont vraiment au croisement entre politique routière et politique électrique, du secteur électrique. Et donc c'est des acteurs qui finalement ont assez peu l'habitude de travailler ensemble, qui ont des logiques d'action qui sont aussi assez différentes. Et donc dans ces questions de planification, c'est aussi la construction d'une vision commune entre des secteurs qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble.
- Adèle Mazurek (AM)
Tu te concentres surtout sur les autoroutes pendant ta thèse.
- Charlotte Marcillière (CM)
Oui, c'est une première phase pour les autoroutes et puis après les territoires.
- Adèle Mazurek (AM)
Les territoires. Donc si on parle plus précisément des autoroutes, comment Enedis et les autres acteurs s'organisent-ils pour se déployer et quels défis rencontrent-ils pour garantir un accès réel et efficace à ces infrastructures pour le grand public ?
- Charlotte Marcillière (CM)
Peut-être pour donner quelques éléments de contexte. Donc effectivement, la question du déploiement des infrastructures de recharge sur le réseau routier national, c'est une question qui s'est pas mal affirmée au cours des années 2010. Donc on a eu des premiers projets pilotes un peu en 2014-2015, mais ça restait un peu ponctuel et assez marginal, on va dire. Et puis au tournant des années 2020, avec notamment le fait que les véhicules ont acquis une autonomie bien plus importante, les infrastructures, enfin les technologies ont changé. On a cette question du déploiement sur les réseaux routiers nationaux qui s'est vraiment affirmée et une obligation qui a été mise en œuvre par l'administration centrale de déploiement d'infrastructures de recharge sur l'ensemble des aires de service des autoroutes concédées. Je reviens à mon explication d'avant, c'est les autoroutes qui sont gérées par les sociétés concessionnaires comme, encore une fois, APRR, Cofiroute ou SANEF. Et en fait, les déploiements d'infrastructures de recharge sur le réseau routier national ont la particularité que ce sont des infrastructures qui sont rapides ou ultra rapides qui vont être déployées. Donc elles ont un impact très fort sur le réseau de distribution d'électricité. C'est pour ça qu'Enedis et les sociétés concessionnaires d'autoroutes se sont vraiment mobilisées au tournant des années 2020 pour mettre à l'agenda la question d'une part de l'anticipation des investissements et des travaux à réaliser pour pouvoir justement déployer ces infrastructures de recharge. Et puis aussi de la répartition des coûts entre les différents acteurs, puisque, alors là on rentre un peu dans la spécificité, on va dire, de la gestion du réseau de distribution d'électricité, mais en fait, le premier acteur qui va venir et demander un raccordement pour connecter une borne de recharge au réseau de distribution, va utiliser la capacité d'accueil du réseau jusqu'à ce qu'un certain seuil soit atteint et que ça nécessite un renforcement du réseau. Et là, les travaux de renforcement du réseau sont beaucoup plus coûteux que des simples travaux de raccordement, donc de connexion. Et donc, il y a le risque que, en fait, quand on atteigne le seuil de la capacité maximale d'accueil du réseau, plus personne ne veuille être le prochain acteur à investir. Donc il y a vraiment une question aussi de répartition des coûts entre les différents acteurs, en particulier autour des années 2020, parce qu'on était dans une phase où, à l'échelle européenne, on était en train de rédiger et ensuite d'adopter une réglementation qui s'appelle l'AFIR et qui prévoit le déploiement d'infrastructures de recharge non seulement pour les véhicules légers, donc les véhicules de particuliers, mais aussi pour les poids lourds électriques. Et là, les poids lourds électriques, c'est des infrastructures de recharge qui sont bien plus grosses, bien plus impactante pour le réseau. Et donc il y avait ces enjeux-là vraiment d'anticipation qui étaient très importants. Donc ça rejoint encore une fois la question de la temporalité. Et donc pour répondre un peu à ces enjeux-là, l'État et l'administration en particulier centrale ont mis en place une démarche de planification à partir de fin 2022. Et sur cette question de la planification, il y a une question effectivement de définition d'objectifs, quantitatifs et qualitatifs en termes de localisation, où est-ce qu'on implante des bornes de recharge. Et là, au-delà de ses propres compétences, puisque au sein de l'État central et de la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités, il y a un bureau qui s'occupe spécialement de la prospective et donc qui fait des études de dimensionnement. Mais au-delà de ses compétences propres, l'État s'est vraiment appuyé aussi sur l'expertise d'acteurs privés, notamment Enedis, les sociétés concessionnaires d'autoroutes, et puis des opérateurs de recharge pour justement définir ces objectifs qui sont négociés avec l'écosystème. Donc il y a la question de la définition d'une vision partagée entre l'ensemble des acteurs de l'écosystème. Et puis au-delà de ça, il y a vraiment la question de la concertation aussi sur les modalités de mise en œuvre, donc modalités contractuelles, réglementaires, économiques. Et je dirais que c'est ces deux dimensions-là finalement qui vont être très structurantes dans la capacité de mettre en place un accès effectif aux infrastructures de recherche sur le réseau routier national.
- Adèle Mazurek (AM)
On sent que ça bouge dans ce domaine-là parce que je ne sais pas si nos auditeurs ont pu prendre les autoroutes cet été, mais on voit de plus en plus l'installation de bornes par rapport même à l'été dernier.
- Charlotte Marcillière (CM)
Oui, complètement. Et c'est vrai que la question de l'anticipation, c'est toujours être en avance de phase par rapport au développement du parc de véhicules électriques. Parce que le grand risque, tel que le perçoit l'administration, c'est d'arriver à un moment de saturation où les usagers sont amenés à attendre très longtemps sur les aires d'autoroutes et qui constituerait vraiment aussi un frein à l'adoption future de véhicules électriques par les ménages, parce que si on entend parler dans les médias par exemple d'heures d'attente sur les autoroutes, ça va bloquer aussi le passage à l'électrique d'autres ménages.
- Adèle Mazurek (AM)
Depuis tout à l'heure, on cite beaucoup d'acteurs, publics, privés. Qui sont-ils concrètement et comment se répartissent-ils les rôles dans cette organisation territoriale ?
- Charlotte Marcillière (CM)
Alors il y a vraiment ces deux ensembles d'acteurs qui sont assez différents pour le réseau routier national et pour les territoires. Si on s'intéresse aux territoires particulièrement, d'un point de vue réglementaire, on a la loi Grenelle 2 de 2010 qui a défini la recharge comme un service commercial, c'est-à-dire que ce sont des acteurs privés qui doivent déployer des infrastructures de recharge. Théoriquement, ça veut dire que les collectivités territoriales ne peuvent déployer des infrastructures de recharge qu'en cas d'offres inexistantes, insuffisantes ou inadéquates. Mais dans la pratique, c'est un petit peu plus compliqué que ça. La loi Grenelle 2, elle dit que ce sont les communes qui sont détentrices de la compétence pour le déploiement des infrastructures de recharge. Sauf que cette compétence peut être déléguée à des établissements publics de coopération intercommunale, ce qu'on appelle des EPCI. Et donc, au cours des années 2010, les communes ont beaucoup délégué la compétence pour les infrastructures de recharge à des syndicats départementaux d'énergie qui font partie de ces EPCI et qui ont profité de subventions européennes et françaises pour déployer les premiers réseaux publics d'infrastructures de recharge dans les territoires. Donc ils ont une compétence en termes d'aménagement du territoire. Et puis ensuite, à partir de 2019, l'État avait affirmé un objectif de massification du déploiement des infrastructures de recharge, avec notamment l'objectif de 100 000 bornes, dont on avait beaucoup entendu parler, c'était assez présent dans les médias. La loi d'orientation des mobilités, qui a été adoptée en 2019, a constitué une opportunité pour renforcer le rôle des collectivités territoriales en leur donnant en plus une compétence en termes de planification du déploiement des infrastructures. Elles deviennent un peu chefs de file, elles ont un rôle de coordination et d'organisation. J'évoquais effectivement les syndicats départementaux d'énergie. Ce qu'il faut aussi avoir en tête, c'est qu'en plus des communes, les métropoles ont aussi la compétence pour les infrastructures de recharge. Automatiquement, il n'y a pas de délégation nécessaire. Et si elles ont été assez peu investies finalement au début des années 2010, elles ont vraiment un peu pris la balle au vol, on va dire, à partir de 2021. Notamment parce que la loi Climat Résilience de 2021 prévoit que les territoires où il y a une obligation de mise en place d'une zone à faible émission de mobilité ont aussi l'obligation, enfin les collectivités ont aussi l'obligation de faire un schéma directeur. Et donc les métropoles qui étaient assez absentes finalement au cours des années 2010, s'affirment de plus en plus comme des acteurs de la planification aussi territoriale.
- Adèle Mazurek (AM)
Comment ces métropoles et ces collectivités arrivent à travailler ensemble ?
- Charlotte Marcillière (CM)
Justement, c'est un des vrais sujets parce que finalement, les syndicats d'énergie opèrent souvent à une échelle départementale qui inclut parfois l'échelle métropolitaine. Il y a vraiment un enjeu de coordination entre les syndicats départementaux d'énergie et les métropoles, d'autant plus qu'il y a un risque qui est de plus en plus mis en évidence, notamment par des acteurs type syndicats d'énergie, de ruptures entre territoires urbains qui vont être très attractifs pour des investissements privés et territoires ruraux qui risquent d'être un peu plus délaissés en termes d'investissement. Et puis pour complexifier un petit peu, parce que ce n'était pas assez complexe jusqu'à présent, dans le même temps, fin des années 2010, le marché de la recherche s'est aussi pas mal structuré. Et donc on a eu de plus en plus d'acteurs économiques qui se sont aussi investis dans le déploiement des infrastructures de recharge, avec deux grands types d'acteurs. Je dirais d'une part ce qu'on appelle des « pure players » , c'est des acteurs qui ne font que de la recharge, des entreprises qui se sont construites et créées pour faire de la recharge et puis d'autre part des filiales de grands groupes issus du BTP par exemple, ou de l'énergie, donc TotalEnergies ou Engie par exemple. Et ces acteurs-là font des déploiements d'infrastructures de recharge, mais pas forcément en s'inscrivant dans les logiques de planification qui vont être mises en place par les collectivités. Et donc il y a une gouvernance qui évolue au gré de la structuration du marché. Et donc, il y a eu des tensions un peu qui peuvent apparaître, notamment parce que les collectivités qui ont déployé les premiers réseaux de recharge au cours des années 2010, ce sont des collectivités qui aujourd'hui font face au vieillissement de leur matériel. Et puis, il y a la concurrence des acteurs privés qui arrivent sur le marché et qui ont des offres qui sont très attractives. Et donc, s'il y a certaines collectivités qui sont d'accord pour, entre guillemets, laisser la main aux privés, d'autres collectivités. veulent un peu capitaliser sur les compétences qu'elles ont développées aussi au cours des années 2010 et continuer à proposer des services de recharge et des réseaux publics. Et donc il y a une tension dans certaines zones, une concurrence entre acteurs publics et privés autour justement de ce déploiement d'infrastructures de recharge dans un contexte où en plus les collectivités sont un peu jugées partie parce qu'elles font de la planification et elles font aussi de l'aménagement. Donc elles viennent concurrencer des acteurs dans des logiques de planification qu'elles coordonnent elles-mêmes. Et puis, deuxième point de tension, comme je l'évoquais assez rapidement, c'est que les acteurs privés ne s'inscrivent pas forcément dans les logiques de planification qui sont réalisées par les collectivités territoriales. Et ça, ça peut avoir plusieurs explications, on va dire. D'une part parce que les opérateurs de recharge opèrent souvent une maille qui va être, si ce n'est nationale, à minima plurirégional. Et donc suivre les logiques de planification qui vont être élaborées à une échelle métropolitaine, départementale, ça peut être très chronophage. Et notamment les acteurs type pure player, c'est des petites entités, des petites entreprises qui n'ont pas forcément les capacités de le faire. Et puis d'autre part, autre facteur un peu explicatif, c'est une question un peu de défiance aussi à l'égard de ces collectivités qui sont jugées parties justement, qui font de la planification et de l'aménagement dans le même temps.
- Adèle Mazurek (AM)
Comme tu disais tout à l'heure, c'est très complexe. Et du coup, sur le plan plus méthodologique, quelle a été ta démarche pour essayer de dépatouiller tout ça ?
- Charlotte Marcillière (CM)
Je m'appuie sur des sources de données qui sont principalement qualitatives. Ça va être des entretiens semi-directifs. Semi-directif, ça veut dire que j'ai des questions qui sont préparées. Mais l'objectif, c'est aussi de laisser la place pour des discussions qui sont peut-être un petit peu en dehors de ce que j'avais initialement envisagé, en considérant que les acteurs, finalement, sont plus compétents. En tout cas, ils connaissent mieux le champ opérationnel que ce que moi, je ne le connais. Et donc, leur laisser aussi la place de me faire part de difficultés, enjeux, défis que moi j'aurais peut-être pas identifié. Donc j'ai ces entretiens semi-directifs. En plus je m'appuie pas mal sur de la littérature grise, donc ça va être des rapports institutionnels, des documents officiels et puis parfois des documents, on va dire, je sais pas si c'est confidentiel, mais en tout cas qui sont propres aux organisations, qui sont pas rendus publics et que des enquêtés me transmettent, que je m'engage à pas diffuser. Et puis le dernier point qui est quand même assez important c'est aussi de l'observation non participante chez Enedis au sein du pôle mobilité électrique. Et donc, ça veut dire que je prends part à des réunions d'équipe par exemple, où je prends des notes à la suite d'échanges formels, informels avec des agents de l'entreprise. Et ça, ça me permet de voir aussi comment travaille l'organisation sur ces questions de planification, sachant qu'Enedis est quand même un acteur assez central dans ces logiques de planification. Si ce n'est pas la seule source de données que j'ai, c'est vrai que l'entreprise a quand même un rôle assez important dans la construction de mon accès aux données. Et cette proximité avec le gestionnaire du réseau de distribution d'électricité, c'est vraiment une richesse, je pense, dans ma thèse. Et en même temps, ça a aussi été un petit peu un enjeu et un défi pour moi au début, dans les premières phases de réalisation de la thèse parce qu'il y avait quand même une question de désocialisation, on va dire, de ne pas connaître uniquement les enjeux du gestionnaire de réseau, mais d'être aussi capable de prendre en compte les positionnements, les logiques d'action, les cultures professionnelles d'autres acteurs pour rester dans une posture neutre qui est celle de la recherche.
- Adèle Mazurek (AM)
Alors on arrive bientôt à la fin de ce podcast, j'aurais une dernière question avant de conclure. J'aimerais revenir sur ton parcours académique. Qu'est-ce qui t'a amenée à t'intéresser à ces enjeux de transition énergétique et de politique territoriale ?
- Charlotte Marcillière (CM)
Oui, alors j'ai fait une formation initiale en sciences politiques. Et puis, dans le cadre de mon master, j'ai décidé de m'intéresser plus particulièrement aux politiques urbaines et territoriales. Et j'ai suivi un cours dans le cadre de ce master qui portait spécifiquement sur les enjeux de transition énergétique pour les services publics en réseau, donc eau, électricité. Je trouvais ça assez fascinant parce que c'est des services publics qui ont des infrastructures qui sont assez structurantes et qui sont finalement assez invisibilisées dans l'espace public. Il y avait quelque chose qui m'attirait un peu là-dedans, de comprendre un peu mieux leurs enjeux dans le cadre de la transition énergétique. J'ai décidé de faire mon stage de fin d'études chez Enedis et ça a été prolongé par un contrat pour une durée d'un an. Et dans le cadre de ce stage de fin d'études et de ce contrat, je travaillais notamment sur l'accompagnement aux collectivités dans le cadre de la rédaction de leur schéma directeur pour les infrastructures de recharge. Et donc ça m'a permis de justement voir un peu toute cette complexité et cette tension entre public, privé, planification, déploiement, segmentation entre différentes échelles. Donc je trouvais ça vraiment intéressant. Voilà, et j'ai décidé de construire mon projet de thèse vraiment à partir d'une expérience professionnelle finalement que j'avais pu avoir chez Enedis.
- Adèle Mazurek (AM)
Merci beaucoup Charlotte d'avoir participé à ce podcast. On te souhaite bonne chance pour la suite.
- Charlotte Marcillière (CM)
Merci beaucoup.
- Adèle Mazurek (AM)
Et quant à moi, je vous retrouve le mois prochain pour un nouvel épisode du podcast à la rencontre des doctorants à retrouver sur la revue numérique de l'École nationale des ponts et chaussées.