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Cap Intégrité, le podcast de l'Agence Française Anticorruption

Episode 5 - Enquêtes internes anticorruption

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13min |17/10/2024
Play
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Cap Intégrité, le podcast de l'Agence Française Anticorruption

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13min |17/10/2024
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Description

Aujourd'hui, nous rencontrons Benjamin Clady, adjoint chef du département de l'appui aux acteurs économiques à l’Agence française anticorruption pour parler des enquêtes internes anticorruption.

Dans quels cas faut-il déclencher une enquête ? Comment s’y prendre ? Et quelles suites lui donner ? Benjamin va répondre à toutes les questions concernant cette procédure exigeante qui a son importance.


Pour en savoir plus sur ce sujet, consultez nos guides associés : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/guides-et-fiches-pratiques


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Voix off

    Cap Intégrité, le podcast de l'Agence Française Anticorruption.

  • Gilles Halais

    Bonjour, c'est Gilles Halais. Je suis ravi de vous savoir fidèles à l'écoute de Cap Intégrité, les podcasts dédiés aux professionnels de la conformité anticorruption et à tous ceux qui s'intéressent à la lutte contre la corruption. Aujourd'hui, dans les locaux de l'AFA, je suis attendu par Benjamin Clady, adjoint au chef du département de l'appui aux acteurs économiques, pour parler plus précisément des enquêtes internes anticorruption. Dans quel cas faut-il déclencher une enquête, comment s'y prendre et quelle suite lui donner ? Bonjour Benjamin. (Benjamin Clady) Bonjour Gilles. L'AFA a publié en mars 2023, avec le Parquet National Financier, un guide pratique relatif aux enquêtes internes anticorruption. En premier lieu, Benjamin, pourquoi avoir choisi d'y consacrer un guide spécifique alors que cela n'est pas mentionné dans la Loi Sapin II ?

  • Benjamin Clady

    Question légitime, effectivement. Eh bien, pour plusieurs raisons. D'abord, le fait qu'il n'existe pas de définition officielle de l'enquête interne. La loi ne la définit pas, pas plus que le règlement d'ailleurs. Il nous a donc semblé nécessaire d'expliciter cette pratique de plus en plus utilisée dans le domaine précis de l'anticorruption. Une autre raison tient à la multiplication des occasions dans lesquelles une enquête interne peut être nécessaire ou en tout cas appropriée. Le nombre d'alertes au sein des entreprises a beaucoup augmenté ces dernières années, y compris pour signaler des faits de corruption. Les entreprises assujetties à la Loi Sapin II ont d'ailleurs l'obligation de mettre en place un dispositif d'alerte interne anticorruption. Troisième raison, enfin, le développement de la justice négociée en France, notamment en matière d'anticorruption par le biais des conventions judiciaires d'intérêt public, les fameuses CJIP. Ces CJIP ont renforcé évidemment le besoin de conduire des enquêtes internes, notamment pour coopérer au mieux avec la justice. L'entreprise a en effet tout intérêt à prouver sa bonne foi dans ce cadre et la conduite d'une enquête interne ainsi que la communication de ses résultats à l'autorité judiciaire peuvent en être une bonne démonstration. Le fait que les lignes directrices du parquet national financier du 16 janvier 2023 sur les CJIP abordent explicitement l'enquête interne a été un argument supplémentaire.

  • Gilles Halais

    Si je comprends bien, les enquêtes internes ont donc vocation à faire partie des outils à la disposition des entreprises, mais concrètement, dans quel cas faut-il déclencher une enquête interne anticorruption ?

  • Benjamin Clady

    Dans plusieurs situations, et qui ont tout un point commun, l'entreprise a des raisons de soupçonner que des faits, susceptibles de caractériser des éléments matériels d'une infraction de corruption au sens large, ont été commis par des collaborateurs. Ces soupçons peuvent résulter d'une alerte que l'entreprise aurait reçue, qu'elle soit interne ou externe, sans qu'il soit nécessaire que cette alerte soit issue d'un dispositif d'alerte anticorruption d'ailleurs. Ils peuvent également provenir des résultats d'audit ou de contrôle, que ces contrôles soient internes ou externes. Enfin, l'enquête peut aussi être conduite à la suite d'une information divulguée par la presse ou dans le cadre d'une demande d'information par une autorité de poursuite, française ou étrangère, dans le contexte que l'on connaît bien d'extraterritorialité de certains droits étrangers.

  • Gilles Halais

    Et comment l'entreprise doit-elle s'y prendre pour déclencher une enquête ?

  • Benjamin Clady

    Alors déjà, il est primordial pour l'entreprise d'avoir défini une procédure d'enquête avant que tout soupçon soit porté à sa connaissance. Sinon, elle ne pourra pas déclencher rapidement et conduire de façon appropriée une enquête lorsque c'est nécessaire. Définir une procédure permettra notamment à l'entreprise d'agir en respectant les éventuels délais de prescription en matière sociale ou civile et de s'assurer de la recevabilité des preuves devant les juridictions compétentes si l'entreprise estime nécessaire, à l'issue de son enquête, de judiciariser les faits.

  • Gilles Halais

    Donc pour préserver les éléments de preuve et respecter les délais de prescription, l'entreprise a intérêt à avoir défini sa procédure d'enquête interne en amont. Mais en pratique, que trouve-t-on dans cette procédure, Benjamin ?

  • Benjamin Clady

    L'entreprise doit anticiper et formaliser plusieurs points relatifs à la gouvernance de l'enquête. D'abord, déterminer quels sont les acteurs de l'enquête. L'instance dirigeante peut choisir de confier la décision de conduire ou non une enquête à un comité dédié. Ce comité peut aussi être chargé de prendre la décision sur les suites éventuelles à donner à cette enquête. Le fait de soumettre ces décisions à une instance collégiale est un gage d'objectivité. Ce comité peut notamment inclure les responsables de la fonction juridique, de l'audit interne, de la conformité, des ressources humaines ou encore de la fonction financière, ainsi que toute personne qualifiée dont l'expertise pourrait être nécessaire. Il est essentiel de s'assurer que les membres du comité dédié sont indépendants pour que l'impertialité de la décision de conduire une enquête soit garantie. Il faut donc vérifier qu'ils ne sont pas en situation de conflit d'intérêts. Les membres de ce comité ne participent pas nécessairement à l'enquête, mais désignent les enquêteurs, qui doivent être soumis au même principe d'indépendance, d'impartialité et d'objectivité. Concernant la conduite de l'enquête stricto sensu, l'entreprise, selon ses moyens et les risques de conflit d'intérêts, peut choisir de diligenter l'enquête en interne, de la confier à un tiers ou de constituer une équipe mixte avec des membres de l'entreprise et des tiers. Elle a alors tout intérêt à désigner un référent pour ces tiers au sein de son personnel. Quel que soit le choix de la direction ou du comité, les personnes chargées de l'enquête doivent être soumises à de strictes obligations de confidentialité.

  • Gilles Halais

    Une fois les acteurs de l'enquête choisis, quels autres points doit prévoir la procédure ?

  • Benjamin Clady

    Ils sont assez nombreux, je vais en lister quelques-uns sans que cette liste soit exhaustive. Les critères qui justifient le déclenchement d'une enquête pour commencer, les étapes de cette procédure d'enquête, les modalités de recueil et de conservation des preuves, l'information des salariés évidemment concernant leur droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, les potentiels délais de mise en œuvre des actes d'enquête, Les moyens d'enquête susceptibles d'être utilisés, les obligations de confidentialité des acteurs de l'enquête et celles visant à la protection de l'auteur de l'alerte, des témoins éventuels et des personnes mises en cause. Enfin, et bien qu'en pratique cela puisse s'avérer compliqué, il peut être utile de définir les critères déterminant les suites à donner à une enquête.

  • Gilles Halais

    Et quand la procédure est formalisée ?

  • Benjamin Clady

    Une bonne pratique peut consister à rédiger une charte de l'enquête interne, accessible à tous les membres de l'entreprise, afin de leur expliquer les comportements attendus des enquêteurs et les salariés amenés à y être impliqués. Cette charte peut ainsi rappeler les principes directeurs auxquels sont soumis les enquêteurs, à savoir l'obligation de loyauté, le principe de proportionnalité, qui impose de ne pas utiliser de moyens d'enquête disproportionnés au but recherché, l'impartialité dans la conduite de l'enquête, qui doit être menée évidemment à charge et à décharge, ou encore le principe de discrétion qui doit conduire les enquêteurs à protéger les salariés, par exemple en les interrogeant dans un endroit non exposé au regard des membres de leur équipe.

  • Gilles Halais

    On a donc désigné les acteurs de l'enquête, établi la procédure que l'on a formalisée dans une charte. A présent, je voudrais vous faire écouter le témoignage d'Élise. Elle est assistante commerciale dans une entreprise qui a lancé une enquête interne sur des soupçons de corruption.

  • Élise

    Cette enquête visait des cadeaux de grande valeur offerts par nos commerciaux à plusieurs de nos clients. Ça a généré pas mal de tensions dans la boîte, notamment pour certains de mes collègues à qui on a retiré leur ordinateur professionnel. Franchement, on ne savait pas que c'était possible. Moi, j'ai été convoquée et interrogée sur mon temps de travail. C'était assez impressionnant et c'était la première fois que j'entendais parler d'enquête interne. Je voulais comprendre de quoi il s'agissait et je voulais m'y préparer en fait. Mais en regardant sur mon intranet et même sur internet, j'ai trouvé aucun document qui explique comment ça se déroule, ni même ce que c'est réellement une enquête interne. J'avoue, j'en menais pas large. J'étais vraiment pas à l'aise à l'idée de me présenter à cet entretien sans connaître mes droits et sans savoir comment mes réponses allaient être utilisées.

  • Gilles Halais

    Voilà le témoignage d'Élise. Benjamin, quels sont les actes d'enquête que l'entreprise peut mettre en œuvre et est-ce qu'elle doit les encadrer ?

  • Benjamin Clady

    Avant même de mettre en œuvre un acte d'enquête, une étape préalable est obligatoire. Informer les salariés des moyens d'enquête susceptibles d'être utilisés. Cette information peut se faire au moment de leur prise de fonction, par une précision dans leur contrat ou dans le règlement intérieur qui leur est communiqué. Selon la taille de l'entreprise et s'agissant de dispositions pouvant figurer dans le règlement intérieur, il peut aussi être nécessaire d'informer préalablement les instances représentatives du personnel. La charte d'enquête interne mentionnée précédemment est également un bon moyen de le faire. Concernant les moyens d'enquête maintenant, le principe essentiel ici repose sur la distinction entre contenu professionnel et personnel. L'employeur peut accéder à l'ensemble du matériel professionnel du salarié, documents de travail, mails professionnels, fichiers informatiques, mais il ne peut accéder à aucun contenu personnel, y compris si ce contenu est stocké sur du matériel professionnel, sauf en présence du salarié et après l'avoir dûment appelé. L'entreprise ne peut donc pas accéder à la messagerie électronique personnelle des salariés, aux propos privés qu'ils ont tenus ou à toutes les informations dont le titre ou l'objet précise qu'elles sont personnelles. Bien que les moyens d'enquête plus intrusifs comme la vidéosurveillance soient sans doute moins pertinents dans le cadre d'une enquête interne anticorruption, ils peuvent être justifiés en prouvant que l'atteinte qu'ils portent à la vie privée des salariés est proportionnée au but recherché par l'enquête, notamment compte tenu de la gravité des soupçons.

  • Gilles Halais

    L'entreprise peut donc accéder aux informations professionnelles et uniquement professionnelles des salariés dans le cadre de l'enquête, mais si l'on revient au témoignage d'Élise, les enquêteurs peuvent-ils également interroger directement les collaborateurs de l'entreprise ?

  • Benjamin Clady

    Tout à fait. L'enquête peut se fonder sur des entretiens avec des salariés. Il est conseillé d'encadrer strictement leur déroulement pour s'assurer que les propos seront recevables s'ils venaient à servir de preuves plus tard. On peut citer plusieurs bonnes pratiques à ce titre : par exemple, il peut être utile d'homogénéiser la méthode utilisée lors des entretiens en définissant une trame contenant les questions clés et la liste des documents qui seront présentés à la personne interrogée. Il est aussi recommandé que deux enquêteurs soient présents pour que l'un puisse se consacrer aux questions et le second à la prise de notes. On peut également joindre les notes prises lors de l'entretien au rapport d'enquête interne après qu'elles ont été relues et éventuellement corrigées par la personne entendue. Enfin, je souhaiterais inciter sur un dernier point. En application du principe d'exécution loyale du contrat de travail, le salarié a l'obligation de se présenter aux entretiens durant son temps de travail, sauf à justifier d'un motif légitime d'absence. S'il ne se présente pas ou quitte cet entretien avant la fin, l'employeur peut en tirer toutes les conséquences, y compris disciplinaires.

  • Gilles Halais

    Et est-ce qu'Élise aurait pu imposer de se faire accompagner à cet entretien ?

  • Benjamin Clady

    Alors non, ce droit n'existe pas, même si l'entreprise peut décider de le prévoir. Ces entretiens sont distincts de ce conduit dans le cadre d'une procédure disciplinaire dans laquelle les salariés peuvent être accompagnés par un membre de l'entreprise comme un représentant du personnel, par exemple. En revanche, l'entretien se déroule en principe dans un lieu à l'abri des regards des autres membres du personnel, comme je l'ai déjà dit. Les échanges sont confidentiels et ne portent que sur les tâches professionnelles du salarié interrogé.

  • Gilles Halais

    J'ai une dernière question, Benjamin. Une fois que les entretiens et les actes d'enquête ont été réalisés, si les soupçons de corruption se confirment, quelle est la marche à suivre ?

  • Benjamin Clady

    Il est très fortement recommandé à l'entreprise de rédiger un rapport d'enquête afin de consigner la description des faits à l'origine de l'enquête, la méthode d'enquête choisie, les actes d'investigation réalisés, etc. Il est de bonne pratique d'y distinguer d'une part les éléments factuels, par exemple les témoignages recueillis, et d'autre part les éléments d'analyse juridique opérés par l'entreprise. L'entreprise peut avoir tout intérêt à prendre contact avec les autorités judiciaires compétentes et ce dès que les faits sont suffisamment établis, ce qui peut être le cas avant même la conclusion de l'enquête. Cela permettra d'illustrer la bonne foi de l'entreprise et sa volonté de coopérer avec l'autorité judiciaire, ce qui pourra éventuellement permettre la conclusion d'une CJIP dont on parlait tout à l'heure. Dans cette situation, le fait pour l'entreprise de communiquer aux autorités son rapport d'enquête, notamment les actes et pièces de l'enquête, est un gage de transparence qui pourra être pris en compte lors du calcul de l'amende d'intérêt public. Par ailleurs, il s'agit là d'un point essentiel, quand l'enquête a confirmé des soupçons, il est vivement recommandé de mettre à jour le dispositif de conformité anticorruption de l'entreprise. Car si des manquements ont été commis, cela peut signifier que les procédures en place en interne n'ont pas permis d'empêcher leur commission.

  • Gilles Halais

    Par exemple ?

  • Benjamin Clady

    L'entreprise peut compléter sa cartographie des risques avec le scénario établi par l'enquête s'il n'était pas référencé dans ce document jusqu'alors, ou s'il était déjà référencé, il convient de réévaluer le niveau de risque qu'il présente et de s'assurer que des mesures de remédiation sont faites permettent d'éviter qu'un manquement soit de nouveau commis par le biais d'un scénario similaire. C'est aussi l'occasion d'évaluer l'efficacité de certaines mesures, comme l'évaluation des tiers ou les contrôles comptables anticorruption, en s'intéressant tant à la nécessité de mettre à jour que de renforcer ces procédures.

  • Gilles Halais

    Merci Benjamin pour ces explications très précises. Je renvoie nos auditeurs à la lecture de la documentation de l'AFA et du guide pratique intitulé "Les enquêtes internes anticorruption" rédigé avec le Parquet National Financier. Vous pouvez télécharger tous ces documents sur le site agence-francaise-anticorruption.gouv.fr. Vous pouvez aussi poser directement des questions concrètes aux chargés d'appui aux acteurs économiques de l'AFA en envoyant un mail à l'adresse suivante afa@afa.gouv.fr. Comme toujours, n'hésitez pas à partager et à commenter ce podcast et à très bientôt pour le sixième épisode de Cap Intégrité. Nous parlerons des mesures anticorruption spécifiquement adaptées aux PME et aux petites ETI.

  • Voix off

    Cap Intérité.

Description

Aujourd'hui, nous rencontrons Benjamin Clady, adjoint chef du département de l'appui aux acteurs économiques à l’Agence française anticorruption pour parler des enquêtes internes anticorruption.

Dans quels cas faut-il déclencher une enquête ? Comment s’y prendre ? Et quelles suites lui donner ? Benjamin va répondre à toutes les questions concernant cette procédure exigeante qui a son importance.


Pour en savoir plus sur ce sujet, consultez nos guides associés : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/guides-et-fiches-pratiques


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Voix off

    Cap Intégrité, le podcast de l'Agence Française Anticorruption.

  • Gilles Halais

    Bonjour, c'est Gilles Halais. Je suis ravi de vous savoir fidèles à l'écoute de Cap Intégrité, les podcasts dédiés aux professionnels de la conformité anticorruption et à tous ceux qui s'intéressent à la lutte contre la corruption. Aujourd'hui, dans les locaux de l'AFA, je suis attendu par Benjamin Clady, adjoint au chef du département de l'appui aux acteurs économiques, pour parler plus précisément des enquêtes internes anticorruption. Dans quel cas faut-il déclencher une enquête, comment s'y prendre et quelle suite lui donner ? Bonjour Benjamin. (Benjamin Clady) Bonjour Gilles. L'AFA a publié en mars 2023, avec le Parquet National Financier, un guide pratique relatif aux enquêtes internes anticorruption. En premier lieu, Benjamin, pourquoi avoir choisi d'y consacrer un guide spécifique alors que cela n'est pas mentionné dans la Loi Sapin II ?

  • Benjamin Clady

    Question légitime, effectivement. Eh bien, pour plusieurs raisons. D'abord, le fait qu'il n'existe pas de définition officielle de l'enquête interne. La loi ne la définit pas, pas plus que le règlement d'ailleurs. Il nous a donc semblé nécessaire d'expliciter cette pratique de plus en plus utilisée dans le domaine précis de l'anticorruption. Une autre raison tient à la multiplication des occasions dans lesquelles une enquête interne peut être nécessaire ou en tout cas appropriée. Le nombre d'alertes au sein des entreprises a beaucoup augmenté ces dernières années, y compris pour signaler des faits de corruption. Les entreprises assujetties à la Loi Sapin II ont d'ailleurs l'obligation de mettre en place un dispositif d'alerte interne anticorruption. Troisième raison, enfin, le développement de la justice négociée en France, notamment en matière d'anticorruption par le biais des conventions judiciaires d'intérêt public, les fameuses CJIP. Ces CJIP ont renforcé évidemment le besoin de conduire des enquêtes internes, notamment pour coopérer au mieux avec la justice. L'entreprise a en effet tout intérêt à prouver sa bonne foi dans ce cadre et la conduite d'une enquête interne ainsi que la communication de ses résultats à l'autorité judiciaire peuvent en être une bonne démonstration. Le fait que les lignes directrices du parquet national financier du 16 janvier 2023 sur les CJIP abordent explicitement l'enquête interne a été un argument supplémentaire.

  • Gilles Halais

    Si je comprends bien, les enquêtes internes ont donc vocation à faire partie des outils à la disposition des entreprises, mais concrètement, dans quel cas faut-il déclencher une enquête interne anticorruption ?

  • Benjamin Clady

    Dans plusieurs situations, et qui ont tout un point commun, l'entreprise a des raisons de soupçonner que des faits, susceptibles de caractériser des éléments matériels d'une infraction de corruption au sens large, ont été commis par des collaborateurs. Ces soupçons peuvent résulter d'une alerte que l'entreprise aurait reçue, qu'elle soit interne ou externe, sans qu'il soit nécessaire que cette alerte soit issue d'un dispositif d'alerte anticorruption d'ailleurs. Ils peuvent également provenir des résultats d'audit ou de contrôle, que ces contrôles soient internes ou externes. Enfin, l'enquête peut aussi être conduite à la suite d'une information divulguée par la presse ou dans le cadre d'une demande d'information par une autorité de poursuite, française ou étrangère, dans le contexte que l'on connaît bien d'extraterritorialité de certains droits étrangers.

  • Gilles Halais

    Et comment l'entreprise doit-elle s'y prendre pour déclencher une enquête ?

  • Benjamin Clady

    Alors déjà, il est primordial pour l'entreprise d'avoir défini une procédure d'enquête avant que tout soupçon soit porté à sa connaissance. Sinon, elle ne pourra pas déclencher rapidement et conduire de façon appropriée une enquête lorsque c'est nécessaire. Définir une procédure permettra notamment à l'entreprise d'agir en respectant les éventuels délais de prescription en matière sociale ou civile et de s'assurer de la recevabilité des preuves devant les juridictions compétentes si l'entreprise estime nécessaire, à l'issue de son enquête, de judiciariser les faits.

  • Gilles Halais

    Donc pour préserver les éléments de preuve et respecter les délais de prescription, l'entreprise a intérêt à avoir défini sa procédure d'enquête interne en amont. Mais en pratique, que trouve-t-on dans cette procédure, Benjamin ?

  • Benjamin Clady

    L'entreprise doit anticiper et formaliser plusieurs points relatifs à la gouvernance de l'enquête. D'abord, déterminer quels sont les acteurs de l'enquête. L'instance dirigeante peut choisir de confier la décision de conduire ou non une enquête à un comité dédié. Ce comité peut aussi être chargé de prendre la décision sur les suites éventuelles à donner à cette enquête. Le fait de soumettre ces décisions à une instance collégiale est un gage d'objectivité. Ce comité peut notamment inclure les responsables de la fonction juridique, de l'audit interne, de la conformité, des ressources humaines ou encore de la fonction financière, ainsi que toute personne qualifiée dont l'expertise pourrait être nécessaire. Il est essentiel de s'assurer que les membres du comité dédié sont indépendants pour que l'impertialité de la décision de conduire une enquête soit garantie. Il faut donc vérifier qu'ils ne sont pas en situation de conflit d'intérêts. Les membres de ce comité ne participent pas nécessairement à l'enquête, mais désignent les enquêteurs, qui doivent être soumis au même principe d'indépendance, d'impartialité et d'objectivité. Concernant la conduite de l'enquête stricto sensu, l'entreprise, selon ses moyens et les risques de conflit d'intérêts, peut choisir de diligenter l'enquête en interne, de la confier à un tiers ou de constituer une équipe mixte avec des membres de l'entreprise et des tiers. Elle a alors tout intérêt à désigner un référent pour ces tiers au sein de son personnel. Quel que soit le choix de la direction ou du comité, les personnes chargées de l'enquête doivent être soumises à de strictes obligations de confidentialité.

  • Gilles Halais

    Une fois les acteurs de l'enquête choisis, quels autres points doit prévoir la procédure ?

  • Benjamin Clady

    Ils sont assez nombreux, je vais en lister quelques-uns sans que cette liste soit exhaustive. Les critères qui justifient le déclenchement d'une enquête pour commencer, les étapes de cette procédure d'enquête, les modalités de recueil et de conservation des preuves, l'information des salariés évidemment concernant leur droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, les potentiels délais de mise en œuvre des actes d'enquête, Les moyens d'enquête susceptibles d'être utilisés, les obligations de confidentialité des acteurs de l'enquête et celles visant à la protection de l'auteur de l'alerte, des témoins éventuels et des personnes mises en cause. Enfin, et bien qu'en pratique cela puisse s'avérer compliqué, il peut être utile de définir les critères déterminant les suites à donner à une enquête.

  • Gilles Halais

    Et quand la procédure est formalisée ?

  • Benjamin Clady

    Une bonne pratique peut consister à rédiger une charte de l'enquête interne, accessible à tous les membres de l'entreprise, afin de leur expliquer les comportements attendus des enquêteurs et les salariés amenés à y être impliqués. Cette charte peut ainsi rappeler les principes directeurs auxquels sont soumis les enquêteurs, à savoir l'obligation de loyauté, le principe de proportionnalité, qui impose de ne pas utiliser de moyens d'enquête disproportionnés au but recherché, l'impartialité dans la conduite de l'enquête, qui doit être menée évidemment à charge et à décharge, ou encore le principe de discrétion qui doit conduire les enquêteurs à protéger les salariés, par exemple en les interrogeant dans un endroit non exposé au regard des membres de leur équipe.

  • Gilles Halais

    On a donc désigné les acteurs de l'enquête, établi la procédure que l'on a formalisée dans une charte. A présent, je voudrais vous faire écouter le témoignage d'Élise. Elle est assistante commerciale dans une entreprise qui a lancé une enquête interne sur des soupçons de corruption.

  • Élise

    Cette enquête visait des cadeaux de grande valeur offerts par nos commerciaux à plusieurs de nos clients. Ça a généré pas mal de tensions dans la boîte, notamment pour certains de mes collègues à qui on a retiré leur ordinateur professionnel. Franchement, on ne savait pas que c'était possible. Moi, j'ai été convoquée et interrogée sur mon temps de travail. C'était assez impressionnant et c'était la première fois que j'entendais parler d'enquête interne. Je voulais comprendre de quoi il s'agissait et je voulais m'y préparer en fait. Mais en regardant sur mon intranet et même sur internet, j'ai trouvé aucun document qui explique comment ça se déroule, ni même ce que c'est réellement une enquête interne. J'avoue, j'en menais pas large. J'étais vraiment pas à l'aise à l'idée de me présenter à cet entretien sans connaître mes droits et sans savoir comment mes réponses allaient être utilisées.

  • Gilles Halais

    Voilà le témoignage d'Élise. Benjamin, quels sont les actes d'enquête que l'entreprise peut mettre en œuvre et est-ce qu'elle doit les encadrer ?

  • Benjamin Clady

    Avant même de mettre en œuvre un acte d'enquête, une étape préalable est obligatoire. Informer les salariés des moyens d'enquête susceptibles d'être utilisés. Cette information peut se faire au moment de leur prise de fonction, par une précision dans leur contrat ou dans le règlement intérieur qui leur est communiqué. Selon la taille de l'entreprise et s'agissant de dispositions pouvant figurer dans le règlement intérieur, il peut aussi être nécessaire d'informer préalablement les instances représentatives du personnel. La charte d'enquête interne mentionnée précédemment est également un bon moyen de le faire. Concernant les moyens d'enquête maintenant, le principe essentiel ici repose sur la distinction entre contenu professionnel et personnel. L'employeur peut accéder à l'ensemble du matériel professionnel du salarié, documents de travail, mails professionnels, fichiers informatiques, mais il ne peut accéder à aucun contenu personnel, y compris si ce contenu est stocké sur du matériel professionnel, sauf en présence du salarié et après l'avoir dûment appelé. L'entreprise ne peut donc pas accéder à la messagerie électronique personnelle des salariés, aux propos privés qu'ils ont tenus ou à toutes les informations dont le titre ou l'objet précise qu'elles sont personnelles. Bien que les moyens d'enquête plus intrusifs comme la vidéosurveillance soient sans doute moins pertinents dans le cadre d'une enquête interne anticorruption, ils peuvent être justifiés en prouvant que l'atteinte qu'ils portent à la vie privée des salariés est proportionnée au but recherché par l'enquête, notamment compte tenu de la gravité des soupçons.

  • Gilles Halais

    L'entreprise peut donc accéder aux informations professionnelles et uniquement professionnelles des salariés dans le cadre de l'enquête, mais si l'on revient au témoignage d'Élise, les enquêteurs peuvent-ils également interroger directement les collaborateurs de l'entreprise ?

  • Benjamin Clady

    Tout à fait. L'enquête peut se fonder sur des entretiens avec des salariés. Il est conseillé d'encadrer strictement leur déroulement pour s'assurer que les propos seront recevables s'ils venaient à servir de preuves plus tard. On peut citer plusieurs bonnes pratiques à ce titre : par exemple, il peut être utile d'homogénéiser la méthode utilisée lors des entretiens en définissant une trame contenant les questions clés et la liste des documents qui seront présentés à la personne interrogée. Il est aussi recommandé que deux enquêteurs soient présents pour que l'un puisse se consacrer aux questions et le second à la prise de notes. On peut également joindre les notes prises lors de l'entretien au rapport d'enquête interne après qu'elles ont été relues et éventuellement corrigées par la personne entendue. Enfin, je souhaiterais inciter sur un dernier point. En application du principe d'exécution loyale du contrat de travail, le salarié a l'obligation de se présenter aux entretiens durant son temps de travail, sauf à justifier d'un motif légitime d'absence. S'il ne se présente pas ou quitte cet entretien avant la fin, l'employeur peut en tirer toutes les conséquences, y compris disciplinaires.

  • Gilles Halais

    Et est-ce qu'Élise aurait pu imposer de se faire accompagner à cet entretien ?

  • Benjamin Clady

    Alors non, ce droit n'existe pas, même si l'entreprise peut décider de le prévoir. Ces entretiens sont distincts de ce conduit dans le cadre d'une procédure disciplinaire dans laquelle les salariés peuvent être accompagnés par un membre de l'entreprise comme un représentant du personnel, par exemple. En revanche, l'entretien se déroule en principe dans un lieu à l'abri des regards des autres membres du personnel, comme je l'ai déjà dit. Les échanges sont confidentiels et ne portent que sur les tâches professionnelles du salarié interrogé.

  • Gilles Halais

    J'ai une dernière question, Benjamin. Une fois que les entretiens et les actes d'enquête ont été réalisés, si les soupçons de corruption se confirment, quelle est la marche à suivre ?

  • Benjamin Clady

    Il est très fortement recommandé à l'entreprise de rédiger un rapport d'enquête afin de consigner la description des faits à l'origine de l'enquête, la méthode d'enquête choisie, les actes d'investigation réalisés, etc. Il est de bonne pratique d'y distinguer d'une part les éléments factuels, par exemple les témoignages recueillis, et d'autre part les éléments d'analyse juridique opérés par l'entreprise. L'entreprise peut avoir tout intérêt à prendre contact avec les autorités judiciaires compétentes et ce dès que les faits sont suffisamment établis, ce qui peut être le cas avant même la conclusion de l'enquête. Cela permettra d'illustrer la bonne foi de l'entreprise et sa volonté de coopérer avec l'autorité judiciaire, ce qui pourra éventuellement permettre la conclusion d'une CJIP dont on parlait tout à l'heure. Dans cette situation, le fait pour l'entreprise de communiquer aux autorités son rapport d'enquête, notamment les actes et pièces de l'enquête, est un gage de transparence qui pourra être pris en compte lors du calcul de l'amende d'intérêt public. Par ailleurs, il s'agit là d'un point essentiel, quand l'enquête a confirmé des soupçons, il est vivement recommandé de mettre à jour le dispositif de conformité anticorruption de l'entreprise. Car si des manquements ont été commis, cela peut signifier que les procédures en place en interne n'ont pas permis d'empêcher leur commission.

  • Gilles Halais

    Par exemple ?

  • Benjamin Clady

    L'entreprise peut compléter sa cartographie des risques avec le scénario établi par l'enquête s'il n'était pas référencé dans ce document jusqu'alors, ou s'il était déjà référencé, il convient de réévaluer le niveau de risque qu'il présente et de s'assurer que des mesures de remédiation sont faites permettent d'éviter qu'un manquement soit de nouveau commis par le biais d'un scénario similaire. C'est aussi l'occasion d'évaluer l'efficacité de certaines mesures, comme l'évaluation des tiers ou les contrôles comptables anticorruption, en s'intéressant tant à la nécessité de mettre à jour que de renforcer ces procédures.

  • Gilles Halais

    Merci Benjamin pour ces explications très précises. Je renvoie nos auditeurs à la lecture de la documentation de l'AFA et du guide pratique intitulé "Les enquêtes internes anticorruption" rédigé avec le Parquet National Financier. Vous pouvez télécharger tous ces documents sur le site agence-francaise-anticorruption.gouv.fr. Vous pouvez aussi poser directement des questions concrètes aux chargés d'appui aux acteurs économiques de l'AFA en envoyant un mail à l'adresse suivante afa@afa.gouv.fr. Comme toujours, n'hésitez pas à partager et à commenter ce podcast et à très bientôt pour le sixième épisode de Cap Intégrité. Nous parlerons des mesures anticorruption spécifiquement adaptées aux PME et aux petites ETI.

  • Voix off

    Cap Intérité.

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Description

Aujourd'hui, nous rencontrons Benjamin Clady, adjoint chef du département de l'appui aux acteurs économiques à l’Agence française anticorruption pour parler des enquêtes internes anticorruption.

Dans quels cas faut-il déclencher une enquête ? Comment s’y prendre ? Et quelles suites lui donner ? Benjamin va répondre à toutes les questions concernant cette procédure exigeante qui a son importance.


Pour en savoir plus sur ce sujet, consultez nos guides associés : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/guides-et-fiches-pratiques


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Voix off

    Cap Intégrité, le podcast de l'Agence Française Anticorruption.

  • Gilles Halais

    Bonjour, c'est Gilles Halais. Je suis ravi de vous savoir fidèles à l'écoute de Cap Intégrité, les podcasts dédiés aux professionnels de la conformité anticorruption et à tous ceux qui s'intéressent à la lutte contre la corruption. Aujourd'hui, dans les locaux de l'AFA, je suis attendu par Benjamin Clady, adjoint au chef du département de l'appui aux acteurs économiques, pour parler plus précisément des enquêtes internes anticorruption. Dans quel cas faut-il déclencher une enquête, comment s'y prendre et quelle suite lui donner ? Bonjour Benjamin. (Benjamin Clady) Bonjour Gilles. L'AFA a publié en mars 2023, avec le Parquet National Financier, un guide pratique relatif aux enquêtes internes anticorruption. En premier lieu, Benjamin, pourquoi avoir choisi d'y consacrer un guide spécifique alors que cela n'est pas mentionné dans la Loi Sapin II ?

  • Benjamin Clady

    Question légitime, effectivement. Eh bien, pour plusieurs raisons. D'abord, le fait qu'il n'existe pas de définition officielle de l'enquête interne. La loi ne la définit pas, pas plus que le règlement d'ailleurs. Il nous a donc semblé nécessaire d'expliciter cette pratique de plus en plus utilisée dans le domaine précis de l'anticorruption. Une autre raison tient à la multiplication des occasions dans lesquelles une enquête interne peut être nécessaire ou en tout cas appropriée. Le nombre d'alertes au sein des entreprises a beaucoup augmenté ces dernières années, y compris pour signaler des faits de corruption. Les entreprises assujetties à la Loi Sapin II ont d'ailleurs l'obligation de mettre en place un dispositif d'alerte interne anticorruption. Troisième raison, enfin, le développement de la justice négociée en France, notamment en matière d'anticorruption par le biais des conventions judiciaires d'intérêt public, les fameuses CJIP. Ces CJIP ont renforcé évidemment le besoin de conduire des enquêtes internes, notamment pour coopérer au mieux avec la justice. L'entreprise a en effet tout intérêt à prouver sa bonne foi dans ce cadre et la conduite d'une enquête interne ainsi que la communication de ses résultats à l'autorité judiciaire peuvent en être une bonne démonstration. Le fait que les lignes directrices du parquet national financier du 16 janvier 2023 sur les CJIP abordent explicitement l'enquête interne a été un argument supplémentaire.

  • Gilles Halais

    Si je comprends bien, les enquêtes internes ont donc vocation à faire partie des outils à la disposition des entreprises, mais concrètement, dans quel cas faut-il déclencher une enquête interne anticorruption ?

  • Benjamin Clady

    Dans plusieurs situations, et qui ont tout un point commun, l'entreprise a des raisons de soupçonner que des faits, susceptibles de caractériser des éléments matériels d'une infraction de corruption au sens large, ont été commis par des collaborateurs. Ces soupçons peuvent résulter d'une alerte que l'entreprise aurait reçue, qu'elle soit interne ou externe, sans qu'il soit nécessaire que cette alerte soit issue d'un dispositif d'alerte anticorruption d'ailleurs. Ils peuvent également provenir des résultats d'audit ou de contrôle, que ces contrôles soient internes ou externes. Enfin, l'enquête peut aussi être conduite à la suite d'une information divulguée par la presse ou dans le cadre d'une demande d'information par une autorité de poursuite, française ou étrangère, dans le contexte que l'on connaît bien d'extraterritorialité de certains droits étrangers.

  • Gilles Halais

    Et comment l'entreprise doit-elle s'y prendre pour déclencher une enquête ?

  • Benjamin Clady

    Alors déjà, il est primordial pour l'entreprise d'avoir défini une procédure d'enquête avant que tout soupçon soit porté à sa connaissance. Sinon, elle ne pourra pas déclencher rapidement et conduire de façon appropriée une enquête lorsque c'est nécessaire. Définir une procédure permettra notamment à l'entreprise d'agir en respectant les éventuels délais de prescription en matière sociale ou civile et de s'assurer de la recevabilité des preuves devant les juridictions compétentes si l'entreprise estime nécessaire, à l'issue de son enquête, de judiciariser les faits.

  • Gilles Halais

    Donc pour préserver les éléments de preuve et respecter les délais de prescription, l'entreprise a intérêt à avoir défini sa procédure d'enquête interne en amont. Mais en pratique, que trouve-t-on dans cette procédure, Benjamin ?

  • Benjamin Clady

    L'entreprise doit anticiper et formaliser plusieurs points relatifs à la gouvernance de l'enquête. D'abord, déterminer quels sont les acteurs de l'enquête. L'instance dirigeante peut choisir de confier la décision de conduire ou non une enquête à un comité dédié. Ce comité peut aussi être chargé de prendre la décision sur les suites éventuelles à donner à cette enquête. Le fait de soumettre ces décisions à une instance collégiale est un gage d'objectivité. Ce comité peut notamment inclure les responsables de la fonction juridique, de l'audit interne, de la conformité, des ressources humaines ou encore de la fonction financière, ainsi que toute personne qualifiée dont l'expertise pourrait être nécessaire. Il est essentiel de s'assurer que les membres du comité dédié sont indépendants pour que l'impertialité de la décision de conduire une enquête soit garantie. Il faut donc vérifier qu'ils ne sont pas en situation de conflit d'intérêts. Les membres de ce comité ne participent pas nécessairement à l'enquête, mais désignent les enquêteurs, qui doivent être soumis au même principe d'indépendance, d'impartialité et d'objectivité. Concernant la conduite de l'enquête stricto sensu, l'entreprise, selon ses moyens et les risques de conflit d'intérêts, peut choisir de diligenter l'enquête en interne, de la confier à un tiers ou de constituer une équipe mixte avec des membres de l'entreprise et des tiers. Elle a alors tout intérêt à désigner un référent pour ces tiers au sein de son personnel. Quel que soit le choix de la direction ou du comité, les personnes chargées de l'enquête doivent être soumises à de strictes obligations de confidentialité.

  • Gilles Halais

    Une fois les acteurs de l'enquête choisis, quels autres points doit prévoir la procédure ?

  • Benjamin Clady

    Ils sont assez nombreux, je vais en lister quelques-uns sans que cette liste soit exhaustive. Les critères qui justifient le déclenchement d'une enquête pour commencer, les étapes de cette procédure d'enquête, les modalités de recueil et de conservation des preuves, l'information des salariés évidemment concernant leur droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, les potentiels délais de mise en œuvre des actes d'enquête, Les moyens d'enquête susceptibles d'être utilisés, les obligations de confidentialité des acteurs de l'enquête et celles visant à la protection de l'auteur de l'alerte, des témoins éventuels et des personnes mises en cause. Enfin, et bien qu'en pratique cela puisse s'avérer compliqué, il peut être utile de définir les critères déterminant les suites à donner à une enquête.

  • Gilles Halais

    Et quand la procédure est formalisée ?

  • Benjamin Clady

    Une bonne pratique peut consister à rédiger une charte de l'enquête interne, accessible à tous les membres de l'entreprise, afin de leur expliquer les comportements attendus des enquêteurs et les salariés amenés à y être impliqués. Cette charte peut ainsi rappeler les principes directeurs auxquels sont soumis les enquêteurs, à savoir l'obligation de loyauté, le principe de proportionnalité, qui impose de ne pas utiliser de moyens d'enquête disproportionnés au but recherché, l'impartialité dans la conduite de l'enquête, qui doit être menée évidemment à charge et à décharge, ou encore le principe de discrétion qui doit conduire les enquêteurs à protéger les salariés, par exemple en les interrogeant dans un endroit non exposé au regard des membres de leur équipe.

  • Gilles Halais

    On a donc désigné les acteurs de l'enquête, établi la procédure que l'on a formalisée dans une charte. A présent, je voudrais vous faire écouter le témoignage d'Élise. Elle est assistante commerciale dans une entreprise qui a lancé une enquête interne sur des soupçons de corruption.

  • Élise

    Cette enquête visait des cadeaux de grande valeur offerts par nos commerciaux à plusieurs de nos clients. Ça a généré pas mal de tensions dans la boîte, notamment pour certains de mes collègues à qui on a retiré leur ordinateur professionnel. Franchement, on ne savait pas que c'était possible. Moi, j'ai été convoquée et interrogée sur mon temps de travail. C'était assez impressionnant et c'était la première fois que j'entendais parler d'enquête interne. Je voulais comprendre de quoi il s'agissait et je voulais m'y préparer en fait. Mais en regardant sur mon intranet et même sur internet, j'ai trouvé aucun document qui explique comment ça se déroule, ni même ce que c'est réellement une enquête interne. J'avoue, j'en menais pas large. J'étais vraiment pas à l'aise à l'idée de me présenter à cet entretien sans connaître mes droits et sans savoir comment mes réponses allaient être utilisées.

  • Gilles Halais

    Voilà le témoignage d'Élise. Benjamin, quels sont les actes d'enquête que l'entreprise peut mettre en œuvre et est-ce qu'elle doit les encadrer ?

  • Benjamin Clady

    Avant même de mettre en œuvre un acte d'enquête, une étape préalable est obligatoire. Informer les salariés des moyens d'enquête susceptibles d'être utilisés. Cette information peut se faire au moment de leur prise de fonction, par une précision dans leur contrat ou dans le règlement intérieur qui leur est communiqué. Selon la taille de l'entreprise et s'agissant de dispositions pouvant figurer dans le règlement intérieur, il peut aussi être nécessaire d'informer préalablement les instances représentatives du personnel. La charte d'enquête interne mentionnée précédemment est également un bon moyen de le faire. Concernant les moyens d'enquête maintenant, le principe essentiel ici repose sur la distinction entre contenu professionnel et personnel. L'employeur peut accéder à l'ensemble du matériel professionnel du salarié, documents de travail, mails professionnels, fichiers informatiques, mais il ne peut accéder à aucun contenu personnel, y compris si ce contenu est stocké sur du matériel professionnel, sauf en présence du salarié et après l'avoir dûment appelé. L'entreprise ne peut donc pas accéder à la messagerie électronique personnelle des salariés, aux propos privés qu'ils ont tenus ou à toutes les informations dont le titre ou l'objet précise qu'elles sont personnelles. Bien que les moyens d'enquête plus intrusifs comme la vidéosurveillance soient sans doute moins pertinents dans le cadre d'une enquête interne anticorruption, ils peuvent être justifiés en prouvant que l'atteinte qu'ils portent à la vie privée des salariés est proportionnée au but recherché par l'enquête, notamment compte tenu de la gravité des soupçons.

  • Gilles Halais

    L'entreprise peut donc accéder aux informations professionnelles et uniquement professionnelles des salariés dans le cadre de l'enquête, mais si l'on revient au témoignage d'Élise, les enquêteurs peuvent-ils également interroger directement les collaborateurs de l'entreprise ?

  • Benjamin Clady

    Tout à fait. L'enquête peut se fonder sur des entretiens avec des salariés. Il est conseillé d'encadrer strictement leur déroulement pour s'assurer que les propos seront recevables s'ils venaient à servir de preuves plus tard. On peut citer plusieurs bonnes pratiques à ce titre : par exemple, il peut être utile d'homogénéiser la méthode utilisée lors des entretiens en définissant une trame contenant les questions clés et la liste des documents qui seront présentés à la personne interrogée. Il est aussi recommandé que deux enquêteurs soient présents pour que l'un puisse se consacrer aux questions et le second à la prise de notes. On peut également joindre les notes prises lors de l'entretien au rapport d'enquête interne après qu'elles ont été relues et éventuellement corrigées par la personne entendue. Enfin, je souhaiterais inciter sur un dernier point. En application du principe d'exécution loyale du contrat de travail, le salarié a l'obligation de se présenter aux entretiens durant son temps de travail, sauf à justifier d'un motif légitime d'absence. S'il ne se présente pas ou quitte cet entretien avant la fin, l'employeur peut en tirer toutes les conséquences, y compris disciplinaires.

  • Gilles Halais

    Et est-ce qu'Élise aurait pu imposer de se faire accompagner à cet entretien ?

  • Benjamin Clady

    Alors non, ce droit n'existe pas, même si l'entreprise peut décider de le prévoir. Ces entretiens sont distincts de ce conduit dans le cadre d'une procédure disciplinaire dans laquelle les salariés peuvent être accompagnés par un membre de l'entreprise comme un représentant du personnel, par exemple. En revanche, l'entretien se déroule en principe dans un lieu à l'abri des regards des autres membres du personnel, comme je l'ai déjà dit. Les échanges sont confidentiels et ne portent que sur les tâches professionnelles du salarié interrogé.

  • Gilles Halais

    J'ai une dernière question, Benjamin. Une fois que les entretiens et les actes d'enquête ont été réalisés, si les soupçons de corruption se confirment, quelle est la marche à suivre ?

  • Benjamin Clady

    Il est très fortement recommandé à l'entreprise de rédiger un rapport d'enquête afin de consigner la description des faits à l'origine de l'enquête, la méthode d'enquête choisie, les actes d'investigation réalisés, etc. Il est de bonne pratique d'y distinguer d'une part les éléments factuels, par exemple les témoignages recueillis, et d'autre part les éléments d'analyse juridique opérés par l'entreprise. L'entreprise peut avoir tout intérêt à prendre contact avec les autorités judiciaires compétentes et ce dès que les faits sont suffisamment établis, ce qui peut être le cas avant même la conclusion de l'enquête. Cela permettra d'illustrer la bonne foi de l'entreprise et sa volonté de coopérer avec l'autorité judiciaire, ce qui pourra éventuellement permettre la conclusion d'une CJIP dont on parlait tout à l'heure. Dans cette situation, le fait pour l'entreprise de communiquer aux autorités son rapport d'enquête, notamment les actes et pièces de l'enquête, est un gage de transparence qui pourra être pris en compte lors du calcul de l'amende d'intérêt public. Par ailleurs, il s'agit là d'un point essentiel, quand l'enquête a confirmé des soupçons, il est vivement recommandé de mettre à jour le dispositif de conformité anticorruption de l'entreprise. Car si des manquements ont été commis, cela peut signifier que les procédures en place en interne n'ont pas permis d'empêcher leur commission.

  • Gilles Halais

    Par exemple ?

  • Benjamin Clady

    L'entreprise peut compléter sa cartographie des risques avec le scénario établi par l'enquête s'il n'était pas référencé dans ce document jusqu'alors, ou s'il était déjà référencé, il convient de réévaluer le niveau de risque qu'il présente et de s'assurer que des mesures de remédiation sont faites permettent d'éviter qu'un manquement soit de nouveau commis par le biais d'un scénario similaire. C'est aussi l'occasion d'évaluer l'efficacité de certaines mesures, comme l'évaluation des tiers ou les contrôles comptables anticorruption, en s'intéressant tant à la nécessité de mettre à jour que de renforcer ces procédures.

  • Gilles Halais

    Merci Benjamin pour ces explications très précises. Je renvoie nos auditeurs à la lecture de la documentation de l'AFA et du guide pratique intitulé "Les enquêtes internes anticorruption" rédigé avec le Parquet National Financier. Vous pouvez télécharger tous ces documents sur le site agence-francaise-anticorruption.gouv.fr. Vous pouvez aussi poser directement des questions concrètes aux chargés d'appui aux acteurs économiques de l'AFA en envoyant un mail à l'adresse suivante afa@afa.gouv.fr. Comme toujours, n'hésitez pas à partager et à commenter ce podcast et à très bientôt pour le sixième épisode de Cap Intégrité. Nous parlerons des mesures anticorruption spécifiquement adaptées aux PME et aux petites ETI.

  • Voix off

    Cap Intérité.

Description

Aujourd'hui, nous rencontrons Benjamin Clady, adjoint chef du département de l'appui aux acteurs économiques à l’Agence française anticorruption pour parler des enquêtes internes anticorruption.

Dans quels cas faut-il déclencher une enquête ? Comment s’y prendre ? Et quelles suites lui donner ? Benjamin va répondre à toutes les questions concernant cette procédure exigeante qui a son importance.


Pour en savoir plus sur ce sujet, consultez nos guides associés : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/guides-et-fiches-pratiques


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Voix off

    Cap Intégrité, le podcast de l'Agence Française Anticorruption.

  • Gilles Halais

    Bonjour, c'est Gilles Halais. Je suis ravi de vous savoir fidèles à l'écoute de Cap Intégrité, les podcasts dédiés aux professionnels de la conformité anticorruption et à tous ceux qui s'intéressent à la lutte contre la corruption. Aujourd'hui, dans les locaux de l'AFA, je suis attendu par Benjamin Clady, adjoint au chef du département de l'appui aux acteurs économiques, pour parler plus précisément des enquêtes internes anticorruption. Dans quel cas faut-il déclencher une enquête, comment s'y prendre et quelle suite lui donner ? Bonjour Benjamin. (Benjamin Clady) Bonjour Gilles. L'AFA a publié en mars 2023, avec le Parquet National Financier, un guide pratique relatif aux enquêtes internes anticorruption. En premier lieu, Benjamin, pourquoi avoir choisi d'y consacrer un guide spécifique alors que cela n'est pas mentionné dans la Loi Sapin II ?

  • Benjamin Clady

    Question légitime, effectivement. Eh bien, pour plusieurs raisons. D'abord, le fait qu'il n'existe pas de définition officielle de l'enquête interne. La loi ne la définit pas, pas plus que le règlement d'ailleurs. Il nous a donc semblé nécessaire d'expliciter cette pratique de plus en plus utilisée dans le domaine précis de l'anticorruption. Une autre raison tient à la multiplication des occasions dans lesquelles une enquête interne peut être nécessaire ou en tout cas appropriée. Le nombre d'alertes au sein des entreprises a beaucoup augmenté ces dernières années, y compris pour signaler des faits de corruption. Les entreprises assujetties à la Loi Sapin II ont d'ailleurs l'obligation de mettre en place un dispositif d'alerte interne anticorruption. Troisième raison, enfin, le développement de la justice négociée en France, notamment en matière d'anticorruption par le biais des conventions judiciaires d'intérêt public, les fameuses CJIP. Ces CJIP ont renforcé évidemment le besoin de conduire des enquêtes internes, notamment pour coopérer au mieux avec la justice. L'entreprise a en effet tout intérêt à prouver sa bonne foi dans ce cadre et la conduite d'une enquête interne ainsi que la communication de ses résultats à l'autorité judiciaire peuvent en être une bonne démonstration. Le fait que les lignes directrices du parquet national financier du 16 janvier 2023 sur les CJIP abordent explicitement l'enquête interne a été un argument supplémentaire.

  • Gilles Halais

    Si je comprends bien, les enquêtes internes ont donc vocation à faire partie des outils à la disposition des entreprises, mais concrètement, dans quel cas faut-il déclencher une enquête interne anticorruption ?

  • Benjamin Clady

    Dans plusieurs situations, et qui ont tout un point commun, l'entreprise a des raisons de soupçonner que des faits, susceptibles de caractériser des éléments matériels d'une infraction de corruption au sens large, ont été commis par des collaborateurs. Ces soupçons peuvent résulter d'une alerte que l'entreprise aurait reçue, qu'elle soit interne ou externe, sans qu'il soit nécessaire que cette alerte soit issue d'un dispositif d'alerte anticorruption d'ailleurs. Ils peuvent également provenir des résultats d'audit ou de contrôle, que ces contrôles soient internes ou externes. Enfin, l'enquête peut aussi être conduite à la suite d'une information divulguée par la presse ou dans le cadre d'une demande d'information par une autorité de poursuite, française ou étrangère, dans le contexte que l'on connaît bien d'extraterritorialité de certains droits étrangers.

  • Gilles Halais

    Et comment l'entreprise doit-elle s'y prendre pour déclencher une enquête ?

  • Benjamin Clady

    Alors déjà, il est primordial pour l'entreprise d'avoir défini une procédure d'enquête avant que tout soupçon soit porté à sa connaissance. Sinon, elle ne pourra pas déclencher rapidement et conduire de façon appropriée une enquête lorsque c'est nécessaire. Définir une procédure permettra notamment à l'entreprise d'agir en respectant les éventuels délais de prescription en matière sociale ou civile et de s'assurer de la recevabilité des preuves devant les juridictions compétentes si l'entreprise estime nécessaire, à l'issue de son enquête, de judiciariser les faits.

  • Gilles Halais

    Donc pour préserver les éléments de preuve et respecter les délais de prescription, l'entreprise a intérêt à avoir défini sa procédure d'enquête interne en amont. Mais en pratique, que trouve-t-on dans cette procédure, Benjamin ?

  • Benjamin Clady

    L'entreprise doit anticiper et formaliser plusieurs points relatifs à la gouvernance de l'enquête. D'abord, déterminer quels sont les acteurs de l'enquête. L'instance dirigeante peut choisir de confier la décision de conduire ou non une enquête à un comité dédié. Ce comité peut aussi être chargé de prendre la décision sur les suites éventuelles à donner à cette enquête. Le fait de soumettre ces décisions à une instance collégiale est un gage d'objectivité. Ce comité peut notamment inclure les responsables de la fonction juridique, de l'audit interne, de la conformité, des ressources humaines ou encore de la fonction financière, ainsi que toute personne qualifiée dont l'expertise pourrait être nécessaire. Il est essentiel de s'assurer que les membres du comité dédié sont indépendants pour que l'impertialité de la décision de conduire une enquête soit garantie. Il faut donc vérifier qu'ils ne sont pas en situation de conflit d'intérêts. Les membres de ce comité ne participent pas nécessairement à l'enquête, mais désignent les enquêteurs, qui doivent être soumis au même principe d'indépendance, d'impartialité et d'objectivité. Concernant la conduite de l'enquête stricto sensu, l'entreprise, selon ses moyens et les risques de conflit d'intérêts, peut choisir de diligenter l'enquête en interne, de la confier à un tiers ou de constituer une équipe mixte avec des membres de l'entreprise et des tiers. Elle a alors tout intérêt à désigner un référent pour ces tiers au sein de son personnel. Quel que soit le choix de la direction ou du comité, les personnes chargées de l'enquête doivent être soumises à de strictes obligations de confidentialité.

  • Gilles Halais

    Une fois les acteurs de l'enquête choisis, quels autres points doit prévoir la procédure ?

  • Benjamin Clady

    Ils sont assez nombreux, je vais en lister quelques-uns sans que cette liste soit exhaustive. Les critères qui justifient le déclenchement d'une enquête pour commencer, les étapes de cette procédure d'enquête, les modalités de recueil et de conservation des preuves, l'information des salariés évidemment concernant leur droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, les potentiels délais de mise en œuvre des actes d'enquête, Les moyens d'enquête susceptibles d'être utilisés, les obligations de confidentialité des acteurs de l'enquête et celles visant à la protection de l'auteur de l'alerte, des témoins éventuels et des personnes mises en cause. Enfin, et bien qu'en pratique cela puisse s'avérer compliqué, il peut être utile de définir les critères déterminant les suites à donner à une enquête.

  • Gilles Halais

    Et quand la procédure est formalisée ?

  • Benjamin Clady

    Une bonne pratique peut consister à rédiger une charte de l'enquête interne, accessible à tous les membres de l'entreprise, afin de leur expliquer les comportements attendus des enquêteurs et les salariés amenés à y être impliqués. Cette charte peut ainsi rappeler les principes directeurs auxquels sont soumis les enquêteurs, à savoir l'obligation de loyauté, le principe de proportionnalité, qui impose de ne pas utiliser de moyens d'enquête disproportionnés au but recherché, l'impartialité dans la conduite de l'enquête, qui doit être menée évidemment à charge et à décharge, ou encore le principe de discrétion qui doit conduire les enquêteurs à protéger les salariés, par exemple en les interrogeant dans un endroit non exposé au regard des membres de leur équipe.

  • Gilles Halais

    On a donc désigné les acteurs de l'enquête, établi la procédure que l'on a formalisée dans une charte. A présent, je voudrais vous faire écouter le témoignage d'Élise. Elle est assistante commerciale dans une entreprise qui a lancé une enquête interne sur des soupçons de corruption.

  • Élise

    Cette enquête visait des cadeaux de grande valeur offerts par nos commerciaux à plusieurs de nos clients. Ça a généré pas mal de tensions dans la boîte, notamment pour certains de mes collègues à qui on a retiré leur ordinateur professionnel. Franchement, on ne savait pas que c'était possible. Moi, j'ai été convoquée et interrogée sur mon temps de travail. C'était assez impressionnant et c'était la première fois que j'entendais parler d'enquête interne. Je voulais comprendre de quoi il s'agissait et je voulais m'y préparer en fait. Mais en regardant sur mon intranet et même sur internet, j'ai trouvé aucun document qui explique comment ça se déroule, ni même ce que c'est réellement une enquête interne. J'avoue, j'en menais pas large. J'étais vraiment pas à l'aise à l'idée de me présenter à cet entretien sans connaître mes droits et sans savoir comment mes réponses allaient être utilisées.

  • Gilles Halais

    Voilà le témoignage d'Élise. Benjamin, quels sont les actes d'enquête que l'entreprise peut mettre en œuvre et est-ce qu'elle doit les encadrer ?

  • Benjamin Clady

    Avant même de mettre en œuvre un acte d'enquête, une étape préalable est obligatoire. Informer les salariés des moyens d'enquête susceptibles d'être utilisés. Cette information peut se faire au moment de leur prise de fonction, par une précision dans leur contrat ou dans le règlement intérieur qui leur est communiqué. Selon la taille de l'entreprise et s'agissant de dispositions pouvant figurer dans le règlement intérieur, il peut aussi être nécessaire d'informer préalablement les instances représentatives du personnel. La charte d'enquête interne mentionnée précédemment est également un bon moyen de le faire. Concernant les moyens d'enquête maintenant, le principe essentiel ici repose sur la distinction entre contenu professionnel et personnel. L'employeur peut accéder à l'ensemble du matériel professionnel du salarié, documents de travail, mails professionnels, fichiers informatiques, mais il ne peut accéder à aucun contenu personnel, y compris si ce contenu est stocké sur du matériel professionnel, sauf en présence du salarié et après l'avoir dûment appelé. L'entreprise ne peut donc pas accéder à la messagerie électronique personnelle des salariés, aux propos privés qu'ils ont tenus ou à toutes les informations dont le titre ou l'objet précise qu'elles sont personnelles. Bien que les moyens d'enquête plus intrusifs comme la vidéosurveillance soient sans doute moins pertinents dans le cadre d'une enquête interne anticorruption, ils peuvent être justifiés en prouvant que l'atteinte qu'ils portent à la vie privée des salariés est proportionnée au but recherché par l'enquête, notamment compte tenu de la gravité des soupçons.

  • Gilles Halais

    L'entreprise peut donc accéder aux informations professionnelles et uniquement professionnelles des salariés dans le cadre de l'enquête, mais si l'on revient au témoignage d'Élise, les enquêteurs peuvent-ils également interroger directement les collaborateurs de l'entreprise ?

  • Benjamin Clady

    Tout à fait. L'enquête peut se fonder sur des entretiens avec des salariés. Il est conseillé d'encadrer strictement leur déroulement pour s'assurer que les propos seront recevables s'ils venaient à servir de preuves plus tard. On peut citer plusieurs bonnes pratiques à ce titre : par exemple, il peut être utile d'homogénéiser la méthode utilisée lors des entretiens en définissant une trame contenant les questions clés et la liste des documents qui seront présentés à la personne interrogée. Il est aussi recommandé que deux enquêteurs soient présents pour que l'un puisse se consacrer aux questions et le second à la prise de notes. On peut également joindre les notes prises lors de l'entretien au rapport d'enquête interne après qu'elles ont été relues et éventuellement corrigées par la personne entendue. Enfin, je souhaiterais inciter sur un dernier point. En application du principe d'exécution loyale du contrat de travail, le salarié a l'obligation de se présenter aux entretiens durant son temps de travail, sauf à justifier d'un motif légitime d'absence. S'il ne se présente pas ou quitte cet entretien avant la fin, l'employeur peut en tirer toutes les conséquences, y compris disciplinaires.

  • Gilles Halais

    Et est-ce qu'Élise aurait pu imposer de se faire accompagner à cet entretien ?

  • Benjamin Clady

    Alors non, ce droit n'existe pas, même si l'entreprise peut décider de le prévoir. Ces entretiens sont distincts de ce conduit dans le cadre d'une procédure disciplinaire dans laquelle les salariés peuvent être accompagnés par un membre de l'entreprise comme un représentant du personnel, par exemple. En revanche, l'entretien se déroule en principe dans un lieu à l'abri des regards des autres membres du personnel, comme je l'ai déjà dit. Les échanges sont confidentiels et ne portent que sur les tâches professionnelles du salarié interrogé.

  • Gilles Halais

    J'ai une dernière question, Benjamin. Une fois que les entretiens et les actes d'enquête ont été réalisés, si les soupçons de corruption se confirment, quelle est la marche à suivre ?

  • Benjamin Clady

    Il est très fortement recommandé à l'entreprise de rédiger un rapport d'enquête afin de consigner la description des faits à l'origine de l'enquête, la méthode d'enquête choisie, les actes d'investigation réalisés, etc. Il est de bonne pratique d'y distinguer d'une part les éléments factuels, par exemple les témoignages recueillis, et d'autre part les éléments d'analyse juridique opérés par l'entreprise. L'entreprise peut avoir tout intérêt à prendre contact avec les autorités judiciaires compétentes et ce dès que les faits sont suffisamment établis, ce qui peut être le cas avant même la conclusion de l'enquête. Cela permettra d'illustrer la bonne foi de l'entreprise et sa volonté de coopérer avec l'autorité judiciaire, ce qui pourra éventuellement permettre la conclusion d'une CJIP dont on parlait tout à l'heure. Dans cette situation, le fait pour l'entreprise de communiquer aux autorités son rapport d'enquête, notamment les actes et pièces de l'enquête, est un gage de transparence qui pourra être pris en compte lors du calcul de l'amende d'intérêt public. Par ailleurs, il s'agit là d'un point essentiel, quand l'enquête a confirmé des soupçons, il est vivement recommandé de mettre à jour le dispositif de conformité anticorruption de l'entreprise. Car si des manquements ont été commis, cela peut signifier que les procédures en place en interne n'ont pas permis d'empêcher leur commission.

  • Gilles Halais

    Par exemple ?

  • Benjamin Clady

    L'entreprise peut compléter sa cartographie des risques avec le scénario établi par l'enquête s'il n'était pas référencé dans ce document jusqu'alors, ou s'il était déjà référencé, il convient de réévaluer le niveau de risque qu'il présente et de s'assurer que des mesures de remédiation sont faites permettent d'éviter qu'un manquement soit de nouveau commis par le biais d'un scénario similaire. C'est aussi l'occasion d'évaluer l'efficacité de certaines mesures, comme l'évaluation des tiers ou les contrôles comptables anticorruption, en s'intéressant tant à la nécessité de mettre à jour que de renforcer ces procédures.

  • Gilles Halais

    Merci Benjamin pour ces explications très précises. Je renvoie nos auditeurs à la lecture de la documentation de l'AFA et du guide pratique intitulé "Les enquêtes internes anticorruption" rédigé avec le Parquet National Financier. Vous pouvez télécharger tous ces documents sur le site agence-francaise-anticorruption.gouv.fr. Vous pouvez aussi poser directement des questions concrètes aux chargés d'appui aux acteurs économiques de l'AFA en envoyant un mail à l'adresse suivante afa@afa.gouv.fr. Comme toujours, n'hésitez pas à partager et à commenter ce podcast et à très bientôt pour le sixième épisode de Cap Intégrité. Nous parlerons des mesures anticorruption spécifiquement adaptées aux PME et aux petites ETI.

  • Voix off

    Cap Intérité.

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