- #ETG
Bonjour, vous écoutez Antidote, le podcast qui nourrit la réflexion des professionnels du conflit. Je m'appelle Émilie Thivet-Grivelle, je suis avocate et médiatrice, fondatrice du cabinet ETG Avocats, et chaque mois je vais à la rencontre de professionnels qui apportent un éclairage à nos questions. Comment dépasser ces conflits qui entravent nos vies ? Comment rétablir un dialogue avec cet autre, avec lequel on doit faire ? C'est l'objet de ce podcast que de vous partager mes rencontres et outils de réflexion pour changer de regard sur la conflictualité et l'organiser autrement. Aujourd'hui, je reçois Béatrice Brenner.
- BB
Bonjour Émilie.
- #ETG
Vous avez commencé votre carrière comme avocate, après un doctorat de droit obtenu en 1974, puis devenue magistrate, vous avez siégé dans différentes juridictions, de 1975 à 2008. Vous avez commencé à vous former à la médiation à Montréal, à Anvers et en France entre 1999 et 2002. Vous êtes devenue présidente de chambre des cours d'appel de Grenoble puis de Lyon, où vous êtes considérée comme la pionnière de l'institutionnalisation de la médiation prud'homale devant la cour d'appel. A Grenoble, entre 1996 et 2003, c'est près de 1000 médiations que vous avez ordonnées, avec un taux d'accord de 75 à 80%. Vous êtes une des fondatrices du GEM, qui est le Groupement Européen des Magistrats pour la Médiation, en 2003, dont vous avez été la présidente et êtes toujours la présidente d'honneur. Vous avez également fondé GEM France et la Conférence Internationale de la Médiation pour la Justice, devenue le Conseil International de la Médiation. Alors à titre informatif, le GEM regroupe aujourd'hui 800 juges en Europe. Vous avez été aussi médiatrice du Conseil de l'Europe de 2010 à 2017 et vous avez publié de nombreux ouvrages, dont un des plus récents, la médiation pour tous, médiation et institutions européennes, stress et souffrance au travail. Vous avez dirigé plusieurs ouvrages collectifs. dont Sagesse du monde et médiation, sources philosophiques et sources spirituelles Et vous venez de m'indiquer que vous sortez bientôt un ouvrage, peut-être plus spirituel, dont vous pourrez nous parler dans un instant. Alors déjà, est-ce que je n'ai pas oublié de…
- BB
Non, c'est parfait.
- #ETG
C'est déjà bien riche comme parcours et impressionnant. Alors je suis vraiment très heureuse que vous me receviez pour évoquer votre parcours. Et ma première question sera la suivante. Comment avez-vous été conduite à adopter la médiation dans votre pratique de magistrate et par quel cheminement ?
- BB
Je venais de la cour de cassation où j'étais conseiller référendaire. Et une de mes premières affaires, c'était une affaire très factuelle, avec beaucoup d'émotion, où une salariée avait été licenciée sans l'aide de licenciement. Donc pour un juge, ça va à toute allure à juger l'affaire. Il n'y a même pas à se poser de questions. C'était évident que c'était un licenciement sans causer les sérieuses. Dans son cas, elle, c'était six mois d'emprisonnement. Pardon. Pourquoi pas ? Je venais du correctionnel. C'est six mois de salaire, d'indemnité. Et donc, pas de problème. Un ordinateur aurait sorti un magnifique jugement. Voilà, pas de problème. Et puis, comme elle était dans la pièce, je lui parle. Je lui dis, vous avez entendu ce qu'a dit votre avocat ? Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter ? J'ai toujours aimé faire parler les gens de leur affaire, qu'ils puissent avoir un contact direct avec le juge qui va juger leur affaire. Et là j'ai une fontaine qui me dit, je sais que je vais gagner mon procès parce que l'employeur a violé la loi, je m'en fous, je veux qu'on dise que c'est un salaud. Et moi, cette affaire m'a fait atterrir en me disant, mais moi ça je ne sais pas faire, je ne sais pas dire, ce n'est pas ce qu'on m'a appris, je ne suis pas là pour ça, moi je ne suis pas là pour dire le droit, trancher les litiges, etc. Tout ce qu'on dit sur le rôle du juge, bien que j'en sois bien revenue. Maintenant, pour moi, le juge, c'est contribuer, celui qui contribue à la paix sociale, comment ? En disant le droit, et maintenant, par les modes amiables. Donc, modes amiables et droits sont des moyens, des outils donnés au juge pour qu'il remplisse au mieux sa mission, qui est de contribuer à la paix sociale. Donc, elle est là devant moi, en larmes, en me disant, moi, je sais que je vais remplir mes demandes juridiques, c'est pas ça que je demande. Alors, moi, un peu affolée, je dis, mais qu'est-ce qu'elle demande ? Elle demande des... d'être réhabilité dans le travail qu'elle avait fait, dans l'estime qu'elle avait d'elle. Elle avait été licenciée, mise à la porte, quoi, sans explication. Et elle avait besoin, justement, d'explications. Et j'ai compris l'importance de rétablir la parole en justice. Il n'y a pas longtemps, c'était il y a à peu près 4 mois, alors je suis à la retraite depuis 2008, vous l'avez dit tout à l'heure. J'ai reçu un coup de fil d'un quelqu'un, je ne sais pas qui, qui avait eu mon adresse parce que je suis médiatrice. Donc il avait trouvé mon numéro de téléphone, il m'appelle, il me dit je viens vous dire merci. Je dis oui, oui, oui, vous m'avez jugé et vous m'avez posé les bonnes questions. Alors, vous m'avez permis de parler. Je viens de vous dire merci, j'étais très très content. Alors je dis oui, je suppose que vous avez gagné votre procès. Je n'ai jamais vu un justiciable perdre son procès et aller remercier son justiciable. Ben si justement, il avait perdu. Il me dit non non, j'ai perdu. Mais ce n'est pas grave. Vous m'avez permis de m'exprimer et vous m'avez posé les bonnes questions et j'ai pu parler. Et c'était pour moi très important. Bon, donc on voit l'importance de rétablir la parole. en justice. Et souvent, on confisque la parole au justiciable, on la confie aux avocats, qui va mettre l'homme en équation juridique, et le juge va résoudre cette équation juridique. Voilà, donc, c'est là où j'ai compris l'importance de rétablir le contact avec la personne, avec les justiciables, pour qu'ils puissent s'exprimer et avoir retrouvé la parole.
- #ETG
C'est le retour du justiciable finalement qui vous a... Conduit sur cette prise de conscience ?
- BB
Oui absolument, le retour du justiciable avec la prise d'importance de sa parole. Il doit pouvoir s'exprimer et puis descendre justement dans son ressenti pour savoir pourquoi il souffre, pourquoi il souffre, qu'est-ce qu'on peut lui apporter.
- #ETG
Très bien. Et alors, justement, quand vous avez pris conscience du fait que vous n'étiez pas formé à ça, comme vous l'avez dit, quel a été justement votre parcours de formation pour développer cette pratique de médiation ?
- BB
Eh bien, heureusement, la loi venait de paraître et m'a permis de faire la médiation. C'était la loi de 95 avec le décret de 96. Et tout de suite, le décret est de juillet 96, 22 juillet 96. En septembre 96, il y avait ma première médiation, malheureusement avec des... J'ai nommé un avocat, mais pas formé, mais on a démarré comme ça et j'ai tout de suite fait former tout le monde, tous les médiateurs qui voulaient travailler avec nous. Et moi-même, j'ai été me former au Canada assez rapidement. Et voilà, c'est comme ça qu'après j'ai mis en place. à Grenoble, ce que maintenant on appelle les ZARAS, les audiences de règlement amiable. On va en parler. Ce ne sont pas des perroquets, mais c'est bien des audiences. Mais comme je n'avais pas la loi, je faisais ces audiences de règlement amiable que j'avais appelées la nouvelle conciliation judiciaire. D'accord. Et je les faisais en... en passant par la comparution personnelle des parties dans mon bureau.
- #ETG
Bien sûr, qu'on retrouve dans la formule là.
- BB
Voilà, donc c'était là où je prenais une matinée pour une affaire, et on s'expliquait, les parties pouvaient parler entre elles, et toutes les fois elles partaient en me remerciant. Merci, merci d'avoir pris tout ce temps pour nous écouter.
- #ETG
Bien sûr.
- BB
Et voilà. Et donc, pourquoi ça n'a pas été fait plus tôt ? Ça, c'est la grande phrase. Pourquoi ça n'a pas été fait plus tôt ? Moi, j'étais au niveau de la cour d'appel. Ça fait quatre ans, il y en a beaucoup qui disent, il y en a même un en partant qui m'a dit, il était avec sa femme, c'était une affaire familiale. Et puis, il regarde sa femme, il me dit, il lui dit, tu vois, si tout ça, tu me l'avais dit il y a quatre ans, eh bien, on ne serait pas séparés. Mais maintenant, je ne suis pas libre et je ne peux plus repartir avec toi. Et là... Si vous aviez vu l'air de désolation de sa femme, de son ex-femme, quel gâchis, pourquoi ça n'a pas été fait plus tôt ?
- #ETG
Alors justement, vous avez parlé de l'audience de règlement amiable qui a été introduite très récemment par deux décrets parus en 2023, en mai et en juillet, et une circulaire qui précise les conditions. de fonctionnement de cette audience de règlement amiable, et vous formez, vous intervenez pour la formation des magistrats à cette audience de règlement amiable, quel est l'état d'esprit des magistrats en formation que vous rencontrez aujourd'hui face à ce nouveau mode amiable ? Comment ils se positionnent ? Moi, des retours que j'ai eus, j'ai eu l'impression qu'il y avait une forme de perplexité pour certains, qui sont un peu déstabilisés, qui attendent de voir. Comment vous vous les ressentez en formation ?
- BB
Alors il faut savoir que le GEM, le groupement européen des magistrats pour la médiation dont vous avez parlé tout à l'heure, a été chargé par, missionné par l'ENEM, l'école de la magistrature, pour former les juges qui vont présider les ARA en France.
- #ETG
D'accord.
- BB
Et alors il y a deux jours de formation, donc c'est assez intensif. Le premier jour, ils arrivent, quand ils arrivent, ils savent. Donc, ce n'est pas la peine qu'ils viennent se former puisqu'ils savent. Ils ont fait ça toute leur vie, ils savent.
- #ETG
Classique.
- BB
Et puis, à la fin du premier jour, ils partent, comme vous dites, ils ne savent pas très bien. Le lendemain, débriefing. Alors, qu'est-ce que vous avez appris hier ? Comment vous ressentez cette formation ? Oh là là, mais on est sur une autre planète, mais c'est un autre monde, mais on n'est pas préparé du tout pour ça, mais on ne sait pas faire. Enfin, la panique, le lendemain matin, c'est la panique. Après un jour de formation, c'est la panique. On ne sait pas faire, ce n'est pas notre métier. Alors on leur dit, ne vous inquiétez pas. on va y arriver et on les prend par la main. Alors on leur dit, voilà, vous êtes nommés, qu'est-ce que vous faites ? Alors ça commence, je demande, alors tout de suite le réflexe du juge, je demande aux avocats leur dossier avec les pièces, etc. Ben oui, vous vous dites, mais c'est comme ça que ça fonctionne un juge. On a fait ça toute notre vie. Pourquoi voulez-vous que tout d'un coup on fasse différemment ? Non, on fait comme on nous a appris à faire et comme on a le réflexe de faire. Donc, on regarde le doigt. Alors, on leur dit, oui, le seul problème, c'est que votre audience, elle a lieu dans une semaine. Le temps que vous écriviez aux avocats pour qu'ils vous envoient les dossiers, etc., que vous en preniez connaissance et tout et tout, la semaine, elle est écoulée. Alors, qu'est-ce que vous faites ? Alors, on les prend par la main. Bon, vous téléphonez aux avocats. Quoi ? Téléphoner aux avocats ? Jamais fait ça ? Eh oui, et puis, il n'y a pas de contradictoire. Donc, c'est confidentiel. Confidentiel, mais ce n'est pas possible. Tout a recommencé de A à Z. Ça n'a rien à voir avec l'office du juge. qui tranche les litiges. C'est un juge qui écoute, et il faut leur apprendre l'écoute active, ne pas mettre leur grain de sel, et leur apprendre... Par exemple, hier, il y avait des groupes de juges qui se formaient à l'école de la magistrature, aux Zara, présider Zara. C'était assez significatif. Alors, monsieur, monsieur, vous avez fait ceci, vous avez fait cela, vous n'auriez pas dû, madame, etc. Et moi... Après, en débriefing, j'ai dit, mais c'est tellement simple. Madame vient de dire ça. C'est tellement simple de dire, Madame dit que, Madame ressent que. Et faites... Parlez madame, elles viennent vous le dire, pourquoi vous le reprenez à votre compte ? Vous n'êtes plus indépendant si vous le reprenez à votre compte. Donc c'est beaucoup plus simple si vous dites, voilà, j'entends que madame soulève ce point, qu'est-ce que vous en pensez ? Et du coup c'est madame, c'est plus vous. Mais ça pour un juge c'est très difficile.
- #ETG
C'est une déconstruction.
- BB
C'est une déconstruction, voilà.
- #ETG
C'est le mot à la mode mais là c'est très vrai.
- BB
Ah ben voilà c'est la déconstruction. Mais les avocats c'est pareil.
- #ETG
Ah oui mais moi j'ai eu ce sentiment là. Quand je dis avocat pratique et avocat amiable, c'est une déconstruction pour envisager son exercice professionnel autrement, de façon beaucoup plus riche et profonde.
- BB
Et c'est là où on apprend beaucoup sur soi d'abord, en tant que médiateur, avec l'écoute active, où on apprend à ne pas donner de conseils, à ne pas juger, à ne pas bombarder les gens de questions. Et ça s'est passé où et comment et pourquoi. Et la personne, elle ne peut pas parler. Elle est bombardée de questions. Elle est devant un juge. Du coup, elle se tait. Voilà, c'est l'inquisition et on ne parle plus. Donc, se sentir libre de parler, parler sans être jugé, ça... C'est très difficile à obtenir.
- #ETG
Alors justement, sur quoi vous insistez dans cette formation que vous donnez à ces magistrats ? Et quelles sont les qualités attendues à votre avis du juge, on va l'appeler le juge Lara ?
- BB
Le juge Larrat, il doit être une écoute, une écoute active. Il doit écouter les personnes avec empathie et permettre à chacun de se mettre à la place de l'autre. Vous savez, on voit, il y a une image qui est très parlante, c'est deux personnes qui sont devant un 6. Alors il y en a un qui est devant la boucle du 6 et l'autre qui est de l'autre côté. Donc il y en a un qui voit le 9 et l'autre qui voit le 6. Et on amène celui qui voit 9 à voir 6, regarder avec les yeux de l'autre et inversement. Donc, ah oui, je comprends de ton point de vue. Qu'est-ce que c'est qu'un point de vue ? C'est la vue d'un point. Donc il s'agit de regarder le point de l'autre. Et... Et à ce moment-là, c'est très différent, on s'est mis à la place de l'autre, on a compris, c'est comme ça que les personnes rentrent dans l'arène, ils sont adversaires, ils veulent la destruction de l'autre, ils ont raison, l'autre a tort, sauf que tout le monde dit la même chose, mais enfin c'est autre chose, et puis petit à petit, en cheminant ensemble. vers l'accord, ils ne sont plus adversaires, ils deviennent partenaires d'un chemin qu'ils vont faire ensemble pour aboutir à un accord. Et pour ça, il va falloir qu'ils écoutent l'autre, qu'ils se mettent à la place de l'autre, qu'ils aient de l'empathie pour l'autre. Et que chacun arrive à comprendre le point de vue de l'autre. Et quand on a fait un pas vers l'autre, qu'on a compris d'ailleurs soi-même d'où venait sa colère. Je suis en colère, c'est de la faute de l'autre. Ben non, je suis en colère parce que j'ai en moi un problème qui fait que ce qu'il a dit me chatouille à un point qui m'est sensible. Mais le problème, il est chez moi.
- #ETG
Alors le juge Lara, justement, à votre avis, de quoi doit-il se méfier au cours de ses audiences ? De lui ou des partis ?
- BB
Ah ben de lui de lui c'est bien une petite idée parce qu'il est complètement déformé et donc il ne va pas laisser les gens parler, il va parler à leur place il va rester au centre du dossier pour savoir comment il juge pour se faire une opinion personnelle et c'est justement pas ce qu'il faut qu'il fasse il faut qu'il laisse, c'est le dossier des parties c'est l'affaire des parties la justice elle fonctionne en mode de communication parents-enfants
- #ETG
verticale. Tout à fait.
- BB
Et elles vont statuer sur une photo prise à un instant T qui va juger le passé pour dire qui a tort, qui a raison et de quoi il est mort. En médiation, on est en communication horizontale, adulte, adulte et non plus parent-enfant, et les parties vont trouver elles-mêmes leur accord. C'est extrêmement important, donc il va falloir qu'elles cheminent avec le médiateur et avec l'autre pour trouver un accord. Et c'est là où on arrive...
- #ETG
C'est une vraie révolution, ça, pour les magistrats. Justement, de ne pas être en position haute, presque d'être un peu en retrait, de ne pas imposer la décision et d'amener les partis à la prendre tout seuls. Est-ce que, raisonnablement, on peut réussir à faire ce chemin de formation en deux jours ?
- BB
Ah ben, déjà, on sait que...
- #ETG
C'est un point de départ.
- BB
Un point de départ. C'est une initiation. Bien sûr qu'on n'y arrive pas en deux jours. C'est une initiation. On me demande de leur apprendre en deux jours ce que moi j'ai fait en 20 ans. Donc 20 ans, ça ne prend pas en deux jours. Mais déjà... on peut donner les bases. C'est vrai qu'il y a plein de méandres dans la médiation, mais quand vous pouvez leur montrer, il faut leur montrer un sentier, baliser, la rafleche, et voilà comment on fait le cadre. Puis après, ils adaptent. Et puis ils cheminent. Ils cheminent, ils adaptent, bien sûr.
- #ETG
Et ils écoutent ce podcast. Je m'adresse à eux. Vous pouvez écouter tous les épisodes, ça va. Tout à fait nourrir votre réflexion et votre cheminement.
- BB
Voilà, donc on cheminait. Vous voyez, il y a des collègues qui me disaient, mais moi aussi je leur pose des questions. Je dis oui, vous posez, vous les faites. Moi aussi je les fais parler, je dis oui, sauf que vous les faites parler pour savoir comment vous avez jugé l'affaire. Donc finalement, vos questions, ce sont des pièges pour savoir qui a tort, qui a raison. Là, ce ne sont plus du tout les mêmes questions. Ce n'est plus vous qui êtes au centre du dossier. Ce sont les justiciables qui sont au centre de leur dossier.
- #ETG
Justement, au tout début, vous avez évoqué le fait que vous aviez une carrière de juge pénal aussi, je crois.
- BB
J'ai commencé au pénal.
- #ETG
Vous avez commencé au pénal.
- BB
Et juge de l'application des peines.
- #ETG
D'accord.
- BB
Et ça, ça m'a permis de comprendre beaucoup de choses.
- #ETG
Alors, est-ce que vous avez eu une expérience en cours d'assises aussi ?
- BB
Ah non. Non. J'ai un correctionnel. Mais j'étais juge de l'application des peines, donc je les entendais beaucoup. Et avant, je rentrais à la maison et je disais... si j'étais placée dans les mêmes circonstances, qu'est-ce que je fais ? Est-ce que je ne fais pas pareil ? Si je vis avec des copains qui sont dans la rue, qui ont le père alcoolique, la mère débile, qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je fais ? Est-ce que je ne suis pas prise dans le... j'en sais rien. Donc, là, je relativisais beaucoup les choses. Parce que,
- #ETG
je vous ai posé cette question, le questionnement qui est effectué par le président de Cour d'Assise, notamment, Il est aussi particulier, et ce n'est pas sans lien avec le questionnement qu'on fait en médiation à l'égard des médiés. Ce sont des questionnements qui permettent de faire cheminer chacun et qui sont utiles aux médiés pour le coup. Il y a quand même des juges qui ne sont peut-être pas rodés, mais qui ont l'habitude de cette écoute particulière dans ce temps plus long.
- BB
Oui, bien sûr. Parce qu'en cour d'assises ou même en correctionnelle, c'est la même chose. On s'intéresse aux faits, certes, mais les gens aussi.
- #ETG
Bien sûr.
- BB
Et le passé de la personne, la personnalité, qui est cette personne que l'on va juger. Donc voilà, c'est sûr qu'on s'intéresse aux deux. On replace la personne dans un autre contexte.
- #ETG
Très bien. Et justement, est-ce que... Vous pensez qu'aujourd'hui, on est face à un vrai changement de paradigme pour ce nouveau juge, enfin ce juge amené à conduire des audiences Lara, où finalement, on revient plutôt à l'origine des fonctions de jugement, parce que l'Office de conciliation, il a toujours fait partie des missions du juge, sauf que, bon, au final...
- BB
Ah bien sûr,
- #ETG
on vous presse un peu pour vous demander de trancher les litiges, mais... C'est prévu dans la loi depuis 1976, le fait de concilier les parties. Alors,
- BB
c'est prévu dans la loi bien avant. Vous avez l'article 21 du Code de procédure civile qui vous dit qu'il entre dans la mission du juge de concilier les parties. Donc, les premières, d'ailleurs, les premières Zara, c'est-à-dire nouvelle conciliation judiciaire que je faisais de 1996 à 2003 ou 2008, même à Grenoble, c'était des Zara. C'était la même chose. Et puisque je ne jugeais pas si jamais on ne trouvait pas d'accord, mais j'ai toujours trouvé un accord, mais je leur disais je ne jugerais pas si on ne trouve pas d'accord.
- #ETG
Vous refusiez de trancher ?
- BB
Ah oui, si je ne trouvais pas d'accord. En commençant, je passais par la comparution personnelle des parties. J'étais bien obligée puisque je n'avais rien. Je n'avais pas de loi. Donc, comparution personnelle des parties, j'appliquais l'article 21, et quand je voyais qu'on commençait à parler, pour qu'il soit libre de parler, j'interrompais, je disais, bon, je vais essayer de vous concilier, si on n'y arrive pas, s'il n'y a pas d'accord, je ne jugerai pas l'affaire en cas d'échec. Et ça sera renvoyé devant trois autres juges, mais moi je ne ferai pas partie de la composition, et je m'engage à respecter la confidentialité de ce qui sera dit ici. Donc je replaçais les personnes dans un contexte d'arra, quoi. Voilà, donc là, oui, c'était une révolution parce que là, c'était autre chose. C'est le juge qui...
- #ETG
Alors ça, c'était à Grenoble ?
- BB
C'était à Grenoble.
- #ETG
Quand vous étiez la présidente de cour d'appel à Grenoble ? Oui.
- BB
Alors,
- #ETG
vous avez été assez pionnière là-dessus ?
- BB
Complètement, tellement pionnière que même la chancellerie ne me suivait pas. J'ai reçu un coup de fil de la chancellerie. Comment ? Mais sur quel... Alors, j'ai eu... Sur quel texte vous basez-vous ? pour faire, j'avais appelé ça comme les Canadiens, conférence, comment ?
- #ETG
On était en quelle année ?
- BB
97, 98.
- #ETG
Ah oui, tout de suite après la loi de 95.
- BB
Oui, 99, voilà, dans ces ans-là. Et la chancellerie, sur quel texte vous passez-vous pour oser faire des choses pareilles ? Et j'ai répondu, mais sur l'article 21 du Code de procédure civile. Il entre dans la mission du juge au conseiller parti. Et alors j'ai eu un grand blanc au téléphone. Et j'imagine la collègue qui a feuilleté son code de procédure civile pour savoir ce que voulait bien dire cet article 21 qui était tombé complètement déçu. Mais d'ailleurs, c'était vraiment pour moi très important de pouvoir m'asseoir sur la loi. Et les premières médiations, elles ne sont pas de 95 ou 96. Les premières médiations sont de 1970. Et ce sont des grands magistrats. comme Pierre Drey, Bélé, Pierre Bélé ou Guy Canivet, un peu plus tard Guy Canivet, qui ont ordonné des médiations. Il y avait un moment, c'était les usines Citroën, il y avait des piquets de grève et elles étaient bloquées depuis trois semaines. On le saisit en référé pour faire expulser les piquets de grève et il a refusé. Il a désigné des médiateurs. Sur l'angle avec l'article 21, c'était un pouvoir délégué. Il déléguait son pouvoir de conciliation à des médiateurs qui ont fait merveille.
- #ETG
Finalement, le fondement est assez ancien, mais il n'était pas forcément suffisamment exploité.
- BB
Voilà, exactement.
- #ETG
Très bien. Alors justement, quand on se penche un peu sur la circulaire qui définit les conditions de fonctionnement de cette audience, Lara, on nous dit que le juge doit écouter les parties, mêler des techniques de conciliation et de médiation, permettre la confrontation, équilibrer des points de vue, évaluer leurs besoins, les positions et intérêts respectifs. Il peut faire des apartés et proposer des solutions. Est-ce que ce n'est pas une justice un peu idéale, ça ? Finalement, c'est presque un idéal de justice. Et en plus, on nous dit dans le circulaire qu'on s'inscrit dans un temps plus long que celui consacré à l'examen d'un dossier dans le cadre d'une audience de plaidoiries. Donc là, je pense que mes confrères apprécieront, puisque c'est quand même une complainte des avocats de ne pas avoir assez de plus, d'avoir du tout de temps de plaidoiries. Et il y a même une recommandation, je ne sais pas ce qu'elle nous dira dans l'avenir, mais c'est de ne pas dépasser une journée. Donc on a dit au magistrat, vous pouvez prendre le temps, mais pas plus d'une journée.
- BB
Oui, mais une journée, c'est démentiel. Tenir une journée. Alors je sais bien que dans le Royaume-Uni, enfin peut-être pas le Royaume-Uni, mais outre-Atlantique, les États-Unis et le Canada, ils peuvent le faire dans une journée. Mais moi, quand je fais des médiations, c'est beaucoup trop. Donc il faut laisser le temps. Il faut laisser mûrir l'affaire. Donc nous, on leur conseille d'avoir des réunions de 2-3 heures. Mais comme c'est la journée, ils peuvent mettre 3 affaires dans une journée.
- #ETG
C'est déjà exceptionnel.
- BB
Pour une audience,
- #ETG
une affaire de 3 heures, c'est idéal. Ce serait déjà très très bien. Reste à voir si maintenant... Est-ce qu'il y a suffisamment de... Parce que je crois qu'ils doivent être volontaires, ces juges, pour être volontaires.
- BB
Bien sûr, il faut être volontaire. Et puis... Pour le moment, ils nomment les juges en exercice. Donc, c'est-à-dire que vous allez déshabiller Pierre pour habiller Paul. Parce que les juges sont tellement débordés qu'ils n'y arrivent pas. Alors, ce qu'il faudrait qu'ils fassent, c'est prendre des juges honoraires, des magistrats honoraires, sans fonction juridictionnelle. Donc, comme ça, on n'enlève pas au tribunal leurs juges déjà en fonction. Et puis, les magistrats honoraires pourraient avoir cette formation. Ils viennent de partir à la retraite. On les forme à l'ARA. Et ça fait, à mon avis, ça serait une excellente...
- #ETG
Et fonctionner par délégation à nouveau, parce qu'on a une armée de médiateurs qui ne demande que ça, de faire...
- BB
Alors, Mélissa, vous pensez qu'en deux heures, en trois heures, on ne va peut-être pas y arriver ? Il y a des affaires qui méritent plus de deux, trois heures. Oui, bien sûr. Donc, à ce moment-là...
- #ETG
On va renvoyer la médiation quand même.
- BB
Oui, très bien, renvoyer en médiation, ça n'empêche pas.
- #ETG
Vous savez s'il y a suffisamment de volontaires pour figurer justement sur ces... Parce que ce sont des ordonnances qui sont... prise par les présidents...
- BB
d'ordonnances de roulement...
- #ETG
qui vont fixer les juges volontaires pour présider ces audiences.
- BB
Ça démarre, ça démarre, mais ça plaît beaucoup. Ça plaît quand même. Ça démarre.
- #ETG
Et alors, justement, je voudrais faire le parallèle avec... J'étais impressionnée du nombre de juges européens qui sont engagés dans le GEM, 800 je crois avoir lu. Oui,
- BB
il y en a 350 rien qu'en France. Mais oui,
- #ETG
mais ça c'est...
- BB
On a presque la moitié.
- #ETG
Comment vous analysez cet engouement ? Est-ce que justement la fonction traditionnelle de juger n'est pas... un peu trop rassante, quoi. Est-ce que justement, ces perspectives de médiation, c'est ce qui nous permet de...
- BB
La médiation, elle est inscrite... Regardez, entre 1995-96 et 2016, il n'y a pour ainsi dire rien eu. Pas de loi, rien. On l'a laissé décrépire, bon, on s'en occupait pas. Et puis depuis 2016, il y a loi sur loi pour pousser la médiation, etc. C'est vrai. Et elle fait partie... de la loi de modernisation de la justice. Mais ça porte son nom. C'est un moyen moderne de rendre la justice. Parce que c'est un moyen qui souple. Et c'est un moyen, ce n'est pas un but en soi. C'est encore un outil qu'on donne au juge, un outil souple. adapté au monde moderne, qui va vite, les transactions doivent se régler rapidement, vous n'allez pas vendre une société avec un... Remarquez, mon exemple est mal choisi, parce que pour le moment, mais ça va se débloquer, pour le moment, en matière commerciale, on ne peut pas aller à l'Ara.
- #ETG
Oui, ce n'est pas prévu par le texte.
- BB
Mais ça va l'être prochainement, ça va l'être. De même, les cours d'appel, il n'y a pas d'Ara en cours d'appel. Ils sont partis petits, avec un petit...
- #ETG
Et au niveau prud'homale, On n'y est pas non plus, puisque la procédure est orale. Donc ça n'a pas été prévu par le texte.
- BB
On n'y est pas encore. Mais pour le moment, les ARA, c'est procédure écrite et tribunal référé. Avec en plus le référé. Mais bon, c'est assez limité.
- #ETG
C'est déjà pas mal. C'est bien,
- BB
c'est un début. Et puis petit à petit, déjà dans les tuyaux, on va l'ouvrir au cours d'appel, l'ouvrir au tribunal de commerce, etc. Donc ça va grandir et se développer.
- #ETG
Ça va plutôt dans le bon sens, on est d'accord. Alors, dans votre expérience de médiatrice au Conseil de l'Europe, vous étiez à ce moment-là médiatrice institutionnelle, si je ne me trouve pas, en charge des conflits des agents de cette institution.
- BB
C'est ça.
- #ETG
Institution internationale, je ne sais plus combien il y a d'agents.
- BB
Il y a 2500 agents au Conseil de l'Europe.
- #ETG
Qu'est-ce qui a été le plus marquant pour vous dans cette expérience ?
- BB
Ce n'est pas compliqué. C'est que quand j'étais à la cour d'appel, à la chambre sociale… Je me disais, oh là là, les affaires que j'ai, qu'est-ce qu'elles font compliquées, il y a déjà 4 ans de procédure, ils n'en peuvent plus, c'est très très compliqué. Donc, si je prends les affaires en amont au Conseil de l'Europe, ça sera en amont, ça va être très facile, puisque le conflit n'est pas encore enquisté. Il n'y a rien de plus difficile, le conflit n'est pas nommé.
- #ETG
Ah oui, tout à fait.
- BB
Donc vous d'abord le faire sortir.
- #ETG
Bien sûr.
- BB
Alors, tout va très bien, Madame la Marquise, vous arrivez, tout va très bien, tout va très bien. Qu'est-ce que vous voulez faire ? Tout va très bien, l'ambiance est exécrable, c'est épouvantable, il y a un turnover pas possible dans le service, on tombe malade tant et plus, il y a des arrêts de travail et tout, le mitant thérapeutique, tout ce que vous voulez, mais tout va très bien. C'est horriblement difficile et c'est là où la confidentialité joue et heureusement que les locaux du médiateur, je crois que ça a changé, mais à l'époque les locaux du médiateur étaient... en dehors du palais de l'Europe. Donc on ne voyait pas qui allait voir le médiateur. Mais il faut vraiment cette confidentialité. Vous avez fait plusieurs mandats,
- #ETG
je crois que c'est des mandats.
- BB
J'en ai fait trois. Ah oui ? Oui, et donc c'est très difficile de régler un conflit quand le conflit n'est pas nommé. Donc d'abord, nommer le conflit, permettre au... personnes qui sont aisantes à la majorité silencieuse de s'exprimer. Il y a des techniques, tout ça. C'est les conflits de groupe, souvent. Vous êtes tout un service. Il faut travailler en médiation de groupe.
- #ETG
Oui, en médiation collective. Vous avez conduit des médiations collectives là-bas aussi. Le facteur international, c'est-à-dire que ce sont des conflits interpersonnels où les gens ont des nationalités différentes, pour le coup, dans une institution comme ça. Est-ce que ça a été une difficulté de plus ? Par rapport au conflit du travail que vous aviez l'habitude de voir plus dans vos cours d'appel ?
- BB
Je crois que les conflits ne naissent pas de la différence de culture, mais la différence de culture en rajoute. C'est un facteur aggravant, très important. Bien sûr. Absolument.
- #ETG
Avec des problématiques de communication sans doute.
- BB
J'avais les pays anglo-saxons par exemple, rien que la distance. La proximité n'est pas la même. Un Anglais ne va pas vous embrasser le 1er janvier. En revanche, les Espagnols, les Français, les Portugais, tout ça, c'est des pays latins, ça tombe dans les bras l'un de l'autre, les uns des autres, pour le 1er janvier. Si le chef de service anglais, je prends un exemple comme ça, arrive et de loin, bonjour, bonjour, bonne année, sans venir embrasser tout le monde. Il est hautain, il est épouvantable, voilà. Alors que c'est sa culture, quoi. Lui, il ne touche pas. Les Français, les Anglais, pardon, les Français, les Espagnols et le pays latin, ça touche. Voilà, bon, ça a l'air idiot, mais ça a des problèmes.
- #ETG
Je comprends tout à fait. Et alors, je fais un petit retour en arrière. Quand vous étiez du coup pionnière en cours d'appel, j'imagine que vous avez dû batailler pour oser innover. Ah bah, batailler,
- BB
c'est un petit mot quoi. C'est eux qui bataillaient contre moi. J'ai tout eu, menaces de mort, lettres anonymes, insultes dans la case de tous les collègues. Ils avaient fait l'expertise psychiatrique de Madame Blurnbrenner, vous voyez, c'était... Oui, oui.
- #ETG
C'est pas vrai, parce que vous dérangez.
- BB
Ah, mais j'étais une minute service. J'étais une schizophrène. Un peu de misogynie au passage,
- #ETG
non ?
- BB
Non, j'ai jamais souffert de misogynie dans la majorature. Jamais. Mais sortir des sentiers battus, c'était épouvantable. Ah oui, je ne faisais pas comme les autres. Donc, non, non, non, ça a été très, très dur.
- #ETG
Et justement, sur quoi vous vous êtes appuyée ? Poursuivre comme ça ce projet, c'était une passion, une conviction ?
- BB
Ah oui, c'était une conviction. Je savais que j'étais sur le bon chemin. Donc je me tenais à cela. J'étais sûre que tôt ou tard ça marcherait. Et j'ai eu beaucoup de chance. C'est que j'ai toujours eu. dans ma chambre, un magistrat qui m'a toujours soutenue. Et quand il partait, il était remplacé par un autre magistrat qui me soutenait en me disant, on est sur le bon chemin, on est sur le bon chemin, on continue, etc. Donc j'ai vraiment été très, très, très soutenue par les collègues de ma chambre, par au moins un collègue de ma chambre. Alors le problème, c'est souvent les autres chambres qui n'appréciaient pas du tout.
- #ETG
Il y en a de jalousie aussi.
- BB
Vous savez, le monde, j'ai découvert qu'il fonctionnait très fort par la jalousie. Pourquoi on parle d'elle et pas de moi, etc. Enfin voilà, ça ne va pas plus loin que ça. Il y a des fois, c'est ridicule. Et puis j'ai eu le droit aussi, comme je vous disais, c'est une révolution. Alors, Madame Brenner, j'ai eu le droit à ça. Avec votre médiation, vous nous enlevez notre pouvoir. C'est pas joli ça ? Oui, j'ai lu. Écoutez, si la justice fonctionne pour le pouvoir des juges, vous la supprimez, elle ne sert à rien. Je ne suis pas dans mon pouvoir, je suis service public et je fais la meilleure qualité possible, le meilleur service que je peux rendre. Mais si c'est pour son pouvoir, non, moi je ne suis pas comme ça. Je ne suis pas dans le pouvoir du juge. Évidemment, on n'est pas... Les avocats, il y en a un qui m'a écrit noir sur blanc. Je vous écris ce que tout le monde... J'ose écrire ce que tout le monde pense tout bas. Vous êtes en train de scier la branche sur laquelle je suis assis. Ben voilà, bon ben... Comment vous voulez ?
- #ETG
Il y en a d'autres qui vous ont remercié.
- BB
J'ai été très soutenue.
- #ETG
J'étais sceptique au départ. Je crois que vous m'aviez raconté ça, qu'ils ont compris.
- BB
J'ai été très soutenue. Ils ont eu beaucoup de membres du barreau contre eux, mais j'étais très soutenue, ne serait-ce que Michel Bénichoux, qui était à l'époque bâtonnier de Grenoble, qui a été mon premier médiateur, qui était derrière moi, qui me soutenait. Puis il y en a d'autres. Donc aujourd'hui par exemple je parlais, c'est Gilles Lopez, Gilles Robert Lopez, ancien bâtonnier de Saint-Etienne qui me faisait intervenir dans un webinaire, pas un webinaire, enfin une réunion Zoom avec le barreau de Saint-Etienne. Et il m'a toujours soutenue. Mais il s'en est pris aussi plein la figure. Ce n'était pas facile au début, comme vous dites. Mais aujourd'hui, on va à l'encontre des habitudes. C'est l'homme à horreur du changement. C'est Monet qui disait ça. Il disait que l'homme à horreur du changement, il ne l'accepte que quand il y est contraint. Il y est contraint quand il y a la crise. Alors moi, je me dis, la crise, on y est, donc il y a bon espoir. Maintenant, il va y avoir du changement.
- #ETG
Et alors sur un plan plus personnel, quelles ont été les ressources philosophiques, théoriques qui vous ont servi de boussole dans votre parcours ?
- BB
J'ai pensé que la médiation c'était un cheminement, un cheminement personnel que les médiés font. Comme je vous le disais, là on rentre dans l'arène, c'est de la faute de l'autre si je suis en colère. J'ai raison, il a tort. Puis en cheminant avec l'autre, pas contre l'autre, mais avec l'autre, on s'aperçoit qu'il faut mettre de l'eau dans son vin parce que vu de son point de vue, il n'a pas complètement tort. Et je comprends qu'il ait pu réagir comme ça. Et moi, si j'ai réagi comme ça, c'est parce que dans mon ressenti, j'ai vécu, je ne supporte pas l'abandon, par exemple, ou je ne supporte pas le rejet. Quand on me rejette de quelque part, ça me rend fou ou folle. Voilà. Donc, quand le médiateur va reformuler sur le ressenti, Ça permet à la personne de se connaître. L'affaire dont une affaire que j'ai connue, où j'avais, je vous en ai parlé, beaucoup d'affaires d'une lettre commandée convoquant une assemblée générale qui n'était pas envoyée dans les délais, c'était très juridique, mais... Quand on interroge la personne, on la fait parler, on s'aperçoit qu'en fait, elle s'est sentie exclue par la copropriété.
- #ETG
Ça peut être très douloureux.
- BB
Je n'ai pas ma place, surtout si c'est un étranger, je n'ai pas ma place dans cette copropriété. Alors, tu m'as humiliée, tu m'as fait une réflexion qui ne m'a pas plu du tout, carrément, je me suis sentie exclue. tu vas voir qui je suis. Et ça fait, voilà. Mais le voisin peut ne pas avoir le même ressenti, mais lui, il a eu ce ressenti-là parce que c'était un point sensible chez lui. Donc, il apprend à se connaître, mais le médiateur aussi, qui s'aperçoit que les médiés, ils fonctionnent comme ça, lui aussi s'en prend pour lui. Moi aussi, je fonctionne comme ça. Donc, on s'analyse du coup et on apprend à cheminer. et a nommé ce que la Bible appelle ses animaux intérieurs. Vous savez, on dit dans la Bible, Dieu crée les animaux et il les amène à l'homme pour que l'homme les nomme. Mais qu'est-ce que c'est que les animaux que l'homme va nommer, le chien, le chat, l'éléphant ? Pourquoi j'ai un pouvoir parce que je dis que c'est un chien et pourquoi je n'ai pas de pouvoir pour dire que c'est un ver ? Ou une table, non. Pourquoi ? Parce que c'est mes animaux intérieurs, il ne faut pas prendre la Bible au premier sens. Donc mes animaux intérieurs, ma peur, mon égo, mon élestime de soi qui est battu en brèche, il est là mon problème, ça me chatouille ça. Donc j'apprends à me connaître et c'est comme ça. que Noé rentre dans son arche avec ses animaux, c'est-à-dire avec tous ses problèmes intérieurs. Vous voyez Noé courant après les chiens, les chats, les éléphants, les moustiques, tout ce que vous voulez, c'est aberrant, vous ne pouvez pas imaginer ça. Et son arche, c'est son tombeau, c'est le vieil homme qui va rentrer dans l'arche. Alors il y a une autre clé aussi à avoir dans la Bible, c'est qu'il va rentrer, Yahvé lui dit, tu rentreras avec tes fils, c'est-à-dire le masculin d'un côté, c'est-à-dire tout le côté conscient. Et ta femme rentrera avec les femmes de tes fils, côté inconscient.
- #ETG
D'accord.
- BB
Donc, il va rentrer dans son arche pour faire le mariage du conscient et de l'inconscient, aller au fond de son inconscient pour se découvrir lui-même et sortir en homme nouveau. D'ailleurs, Yahvé lui dit, tu sortiras de l'arche avec ta femme. Le mariage a eu lieu. Et tes fils sortiront avec leur femme. Quand Dieu crée l'homme, pardon, crée Ève avec une côte d'Adam, c'est une erreur de traduction. Dieu crée Ève avec l'autre côté d'Adam. C'est le même mot. Et l'autre côté d'Adam, c'est son côté inconscient. Son côté dans les ténèbres. Et donc lui, le masculin, c'est le conscient. Le féminin, c'est l'inconscient. Et quand le conscient arrive à pénétrer l'inconscient et à se connaître, alors il a fait un bond dans la connaissance de soi-même et il peut cheminer. Et c'est ce qui s'est passé. Pour Job par exemple, quand vous prenez la Bible, Job c'est ce type, il est parfait, qu'est-ce que Dieu va s'amuser à lui envoyer toutes les calamités de la terre ? Il est méchant, il n'y a pas de raison, en plus il fait un pacte avec le diable, mais pourquoi ça ? Parce que Job il est dans la voie, il n'a pas fait son chemin. Il a tout. Il a des fils, il a la richesse, il a la notoriété, mais il n'a pas obtenu cela par un cheminement personnel. Donc on lui enlève tout et la dernière chose qu'on lui enlève, c'est ses peaux. C'est-à-dire qu'il va se retrouver tout nu. Il était identifié à ses peaux. Job, c'était un personnage social. Persona, c'est en étymologie, c'est le masque. Donc il avait un masque social. Et ce masque doit tomber pour être lui, vraiment lui-même, être ce qu'il est. D'où le titre du livre que je viens d'écrire, Va et deviens qui tu es De la Bible à la médiation, un cheminement entre conscient et inconscient. Et je parle de Job, évidemment. Job, il a pu enfin, nu, faire son cheminement entre conscient et inconscient. Ça y est, il a pu descendre au fond de lui-même, commencer son cheminement.
- #ETG
Et alors par rapport à votre propre rapport au conflit, après avoir été exposée tant d'années à tous ces conflits, est-ce que vous, vous l'avez interrogée ? Est-ce que vous êtes plutôt dans l'évitement, la confrontation, ou vous avez tendance à être paralysée face à un conflit ?
- BB
Ah non, je suis pas paralysée, non. Je... Je suis plutôt dans la confrontation.
- #ETG
Oui, parce que je perçois, j'étais en train de me dire ça, plutôt à vous entendre.
- BB
Je suis dans la confrontation, mais dans le dialogue, en essayant de comprendre. Se confronter, c'est le front, on met les fronts l'un contre l'autre pour comprendre l'autre.
- #ETG
Ce n'est pas forcément la violence, la confrontation.
- BB
Ah non, la confrontation, ce n'est pas forcément la violence. C'est le dialogue. Donc voilà, exactement, dialogue, logos, le mot. paroles qu'il y a à travers. Donc on chemine à travers la parole. Oui, oui, c'est bon.
- #ETG
Aujourd'hui, on est le 9 février, je crois. Oui. Et on a appris ce matin le décès d'un grand...
- BB
Badater.
- #ETG
J'imagine que vous avez dû avoir l'occasion de l'encontrer.
- BB
Je l'ai rencontré, Badater.
- #ETG
Qu'est-ce que vous gardez de cet immense avocat, homme de justice, homme de loi, esprit ?
- BB
C'est qu'il a lutté contre la peine de mort. et la peine de mort quand vous relisez Claude Gueux la préface de la préface de Claude Gueux quand vous lisez Victor Hugo la préface de Claude Gueux on ne peut pas après être pour la peine de mort et il faut se mettre à comprendre les dérives de la société Et non, j'ai beaucoup de respect pour Badinter, qui était vraiment un grand monsieur.
- #ETG
D'autant qu'on peut ajouter qu'il a été aussi à l'origine de premières expériences de médiation, parce que je me souviens qu'il a été aussi le premier à mandater des équipes, et notamment Jacques-Til Morineau, pour imaginer la médiation pénale.
- BB
La médiation pénale.
- #ETG
Parce qu'il avait quand même déjà conscience que la condamnation, c'était une chose, mais que la victime avait peut-être besoin... d'une autre forme de réparation est
- BB
Oui, oui, tout à fait.
- #ETG
Il avait été aussi assez visionnaire. Oui, oui,
- BB
tout à fait. Ça, c'était le début de la médiation pénale. Mais maintenant, je pense qu'on va aller aussi vers la médiation, la justice restaurative.
- #ETG
Bien sûr.
- BB
Avec en plus ce magnifique film qui vient de paraître. Je pense que ça va ouvrir les esprits. Tout à fait. Et on va pouvoir avancer dans ce cadre-là.
- #ETG
Merci beaucoup, Béatrice.
- BB
Merci, c'est moi qui vous remercie, Émilie.
- #ETG
Je suis ravie, merci. Intéressant, n'est-ce pas ? Merci d'avoir écouté ce podcast jusqu'à la fin. Vous pouvez me faire part de vos remarques éventuelles via les réseaux sociaux ou sur ma messagerie accessible depuis le site internet ETG Avocat. Vous pouvez également noter ce podcast sur Apple Podcasts, la aide à la diffusion, et bien évidemment le partager autour de vous. cela soutient le propos qui consiste à faire connaître la médiation et ses possibilités au plus grand nombre. A bientôt !