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Antidot - Le podcast qui interroge notre rapport au conflit

8. La médiation collective, espace de dialogue pour nommer et dépasser les différences, avec Laure Veirier, médiatrice et formatrice

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44min |11/06/2024
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8. La médiation collective, espace de dialogue pour nommer et dépasser les différences, avec Laure Veirier, médiatrice et formatrice

8. La médiation collective, espace de dialogue pour nommer et dépasser les différences, avec Laure Veirier, médiatrice et formatrice

44min |11/06/2024
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Description

Pour ce 8ème épisode d'Antidot, j'ai le plaisir de recevoir Laure Veirier, Psychologue Interculturelle devenue Médiatrice, Consultante et à la direction depuis 2014 de la formation "Pratiques de médiation" au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).


Fondatrice du cabinet Interstice Médiation, Laure a développé une expertise en médiation collective en entreprise, dans le secteur public ou privé.

Elle réalise des enquêtes pour caractériser des situations de harcèlement ou de discrimination.


Elle est également auteure de l'ouvrage "Enjeux de la médiation collective au travail, pour un processus favorisant l'interculturalité", paru aux éditions Brochet.


Dans cet épisode, Laure Veirier évoque son parcours professionnel, ses premiers travaux réalisés sur les questions de diversité culturelle et sa découverte de la médiation, activité du langage.


Elle évoque comment la médiation, espace de dialogue, peut aussi être le lieu d'invention d'une culture commune, notamment dans un collectif de travail, au sein d'un service ou d'une équipe traversée par des tensions ou difficultés.


Nommer, dépasser, inventer, autant de possibilités permises par le recours à la médiation collective dont Laure expérimente depuis de nombreuses années le processus et les bénéfices.


Je vous souhaite une très bonne écoute.

Émilie

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Retrouvez Laure Veirier sur Linkedin


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En attendant de se retrouver le 10 de chaque mois pour un nouvel épisode, je vous invite à vous abonner au podcast et à laisser 5 étoiles sur votre plateforme d’écoute préférée.


Si vous souhaitez continuer la discussion autour de la médiation, retrouvez-moi sur mon compte Linkedin Emilie Thivet-Grivel.


Et si vous souhaitez en savoir plus sur le cabinet ETG Avocats et nos services de médiation, rendez-vous ici.


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Crédits :

Antidot est un podcast d’Emilie Thivet-Grivel.
Stratégie : Mélanie Hong.
Montage et mixage : Morgane Bouchiba.
Designer graphique (vignette) : Emma Wise.
Musique  : Aberdeen, Greg McKay.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • ETG

    Bonjour, vous écoutez Antidote, le podcast qui interroge notre rapport au conflit. Je m'appelle Émilie Thivet-Grivelle, je suis avocate et médiatrice, fondatrice du cabinet ETG Avocats. Chaque mois, je vais à la rencontre de professionnels qui ont changé de regard sur la conflictualité et qui l'organisent autrement. Pour ce huitième épisode, je reçois Laure Verrier. Psychologue interculturelle, devenue médiatrice, formatrice et consultante, Laure Verrier dirige depuis 2014 le certificat pratique de médiation du Conservatoire national des arts et métiers. Faire du conflit une ressource, c'est le mantra du cabinet Interstice Médiation qu'elle a fondé et dans lequel elle a développé avec ses associés une expertise de la médiation collective. Laure réalise aussi des enquêtes pour caractériser des situations de harcèlement ou de discrimination et intervient au sein de différents dispositifs publics d'appui aux relations de travail. On peut la lire dans un ouvrage paru aux éditions Brochet, Enjeu de la médiation collective au travail pour un processus favorisant l'interculturalité. Je vous souhaite une très bonne écoute. Alors ma première question, Laure, comment tu as été conduite à t'intéresser à la médiation et à souhaiter t'y former ?

  • LV

    Alors, je dirais que je suis arrivée à la médiation par la question de la diversité culturelle. Voilà, donc je suis, comme tu l'as dit, j'ai travaillé quelques années à l'UNESCO, dans des zones, en fait, en tout cas en lien avec des zones en conflit, et notamment dans des zones où la question de la langue était à l'origine, enfin à l'origine, une des origines des tensions. Voilà, et donc je suis vraiment arrivée à la médiation. Moi, par le conflit, le conflit sur des territoires que je ne connaissais pas, très très peu. Et donc j'ai découvert la médiation dans la ville de Montreuil, dans laquelle j'habitais, à travers une démarche de formation de... Je crois qu'à l'époque on appelait déjà ça la médiation citoyenne. Et donc j'ai rencontré Catherine Woursch, qui a été... J'ai rencontré Elisabeth Collard d'ailleurs, je me rappelle. Et puis Catherine Woursch, qui a été une médiatrice qui a beaucoup compté pour moi. avec qui j'ai rencontré la médiation.

  • ETG

    D'accord. Et qui a une attention particulière sur le langage.

  • LV

    Je me souviens que c'est ce qu'elle disait au début du diplôme du CLAM.

  • ETG

    Savoir qu'en fait, on ne se comprend jamais.

  • LV

    Oui, quand on évoque cette notion de médiation, pour moi, en tout premier lieu, c'est une activité du langage, en effet. Donc, une activité autour du mal-entendu.

  • ETG

    Et du coup, comment tu as fait le lien entre tes expériences sur d'autres continents et dans des contextes conflictuels avec la médiation que tu pratiques aujourd'hui ? Ça a été assez naturel ?

  • LV

    Je ne sais pas si j'ai fait le lien, puisque ça s'est fait au cours de la vie, en chemin. Ce que je dirais aujourd'hui par rapport à ta question, pour moi la question c'est la question de l'altérité. Je dirais ça comme ça, c'est-à-dire que j'ai démarré sur ces enjeux de diversité culturelle, d'interculturalité. Et assez vite, j'ai été confrontée au fait que concrètement, alors quand j'ai commencé à travailler en France sur des territoires, sur des villes en fait, françaises, sur les questions de laïcité, de gestion de la diversité culturelle, et au fond, les questions se posaient de manière très très concrète, autour de la nourriture. dans les cantines, pour des élus autour de la question du voile. Voilà, donc c'était vraiment des questions extrêmement concrètes qui se posaient et je voyais bien qu'il y avait besoin d'ouvrir ces notions-là. Quand on dit laïcité, on parle de quoi ? Et donc j'étais assez vite confrontée à des positions. Des positions tout à fait compréhensibles au vu de l'histoire de ceux qui les portent. Quand on s'est battu pour qu'il y ait par exemple une séparation entre l'Église et l'État, il est compréhensible que l'on tienne à ce que dans le territoire dans lequel on est élu, par exemple, il y ait une certaine laïcité qui puisse vivre et perdurer. Et donc assez vite, j'ai été confrontée à des antagonismes, on peut dire ça comme ça, entre d'un côté... culture, religion, différence, voilà. Et donc, de ces antagonismes-là, comment faire pour les faire, je dirais, cohabiter ? Comment on passe, en fait, de visions qui peuvent être assez vite binaires ou cristallisées à une articulation, je dirais ? Alors, à l'époque, moi, je parlais d'interculturalité, c'est-à-dire comment est-ce qu'on crée, en fait ? Finalement, qu'est-ce que c'est ? C'est inventer. un espace nouveau, puisqu'on fait face à des situations qui deviennent impossibles. Et dans des situations impossibles de blocage, il nous reste une chose à faire, c'est l'inventer. Soit c'est de partir en courant, c'est une option, soit c'est de taper du poing sur la table en disant ce sera comme ça. Que l'on lâche l'affaire ou que l'on tape du poing sur la table, ça revient. Ça se répète. Donc à un moment donné, si on veut essayer d'avancer et sortir de ces répétitions, on se met autour de la table. On essaie d'entendre ce qui est vital, c'est peut-être un peu fort, mais en tout cas ce qui est essentiel pour les acteurs.

  • ETG

    Encore faut-il qu'il y ait une volonté. De se mettre autour de la table, c'est bien ça l'enjeu.

  • LV

    Oui, alors, oui,

  • ETG

    une volonté.

  • LV

    Une volonté et en même temps, parfois, je crois qu'il y a des situations qui sont, je dirais, suffisamment difficiles à vivre pour qu'on se dise, bon, là, on y va. En tout cas, c'est dans mon expérience, c'est ce que j'ai pu constater.

  • ETG

    Qu'est-ce que c'est que l'interculturation ?

  • LV

    L'interculturation, en fait, assez simplement, ce que j'ai envie de dire par rapport à ça, c'est que j'ai fait des liens, moi, en fait, assez vite, entre la médiation, comme espace, notamment dans un collectif, et cette notion de l'interculturation, c'est-à-dire, au fond, comment on nomme, on fait émerger, et on dépasse les différences. Donc on est vraiment, pour moi, du côté de l'invention. C'est ça que je trouve intéressant dans cette notion d'interculturation, c'est-à-dire qu'on va créer C'est une culture commune. D'accord. C'est ça qu'on peut sous-entendre par métabolisation, c'est-à-dire qu'on ne reste pas campé sur des positions ou sur des cultures d'origine, mais on va inventer quelque chose de nouveau. Mais pour inventer, il faut nommer les choses. Donc je dirais que la médiation, pour moi notamment la médiation collective, c'est un espace dans lequel on a affaire avec l'autre. l'autre singulier, mais l'autre aussi qui vient résonner, puisqu'il y a plusieurs autres. Donc on a ce travail-là, je dirais, de nommer, transformer, dépasser, inventer, créer.

  • ETG

    Et justement, tu expliques qu'il s'agit de passer de l'implicite à l'explicite. Et tu encourages d'ailleurs les médiateurs que tu formais ce matin, puisque j'ai assisté à la formation que tu donnes au CNAM. Tu as encouragé les médiateurs à accueillir ce qui est dit par les participants à la médiation et nommer ce qui transparaît, c'est-à-dire leur désir ou au contraire leur crainte, leur reticence, leur fermeture. Alors, dans toutes les expériences que tu conduis de médiation, dans des contextes conflictuels au travail, est-ce que tu entends des mots MAUX et des mots MOT très fréquemment dans ces situations de tension au travail ? Est-ce qu'il y a des choses qui reviennent quasi systématiquement ?

  • LV

    Ce que j'aimerais dire par rapport à ça, c'est qu'il me semble que quand on parle, en tout cas lorsque l'on est en médiation et que les uns et les autres s'expriment, on a en tant que médiateur à accueillir ce qui cherche à se dire de manière inconditionnelle. Quand je dis ce qui cherche à se dire, c'est-à-dire souvent ce qui est ressenti. Et que précisément les uns et les autres n'arrivent pas à dire, n'arrivent pas à faire entendre. Voilà, donc c'est beaucoup plus facile d'aller dire à l'autre ce qu'il devrait faire, ce qu'il aurait dû faire ou de faire des reproches à l'autre. que de se connecter à ce qui s'est passé pour moi à ce moment-là, quand il s'est passé ce qui s'est passé. Et donc, de dire au fond ce qui s'est joué, ce qui est important pour moi, ce qui est vital pour moi. Donc, c'est ce que j'évoquais ce matin certainement, c'est-à-dire essayons de rejoindre de manière inconditionnelle les uns et les autres. parfois, il y a, je dirais, peut-être ce qu'on peut appeler une certaine forme de recadrage sur la forme, parce que la forme peut être inappropriée. Mais dans le fond, il y a des choses essentielles qui cherchent à se faire entendre. Et il me semble que c'est ça qu'on a à entendre en tant que médiateur.

  • ETG

    C'est la première étape, en fait. C'est vraiment rejoindre les gens dans ce qu'ils expriment. Voilà. Pour qu'ils soient réceptifs à autre chose derrière.

  • LV

    Tout à fait. C'est-à-dire que tant que... Je ne suis pas entendue, mais vraiment entendue, ce n'est pas juste en surface. Alors, je ne peux pas entendre l'autre, même s'il est à 1m50 de moi. Ça peut paraître étonnant. Donc, c'est pour ça que même dans le collectif, on travaille vraiment sur du singulier. Ça, ça me semble tout à fait important. Et c'est pour ça que le début d'une médiation collective, c'est place à chacun. Quand on dit en médiation qu'on est du côté de la séparation et du singulier, c'est vraiment ça. Entre autres, quand je dis séparation, ça va au-delà, notamment séparation avec l'imaginaire. Où est-ce que je situe l'autre dans mon imaginaire ? Mais en tout cas, vraiment, ça me semble tout à fait important, faire place à chacun, accueil inconditionnel de ce qui est. important pour chacun, et ensuite peut-être quelque chose peut se faire entendre. Et s'entendre, du coup.

  • ETG

    Et alors justement, ce matin, tu as incité les médiateurs à aller directement vers ce qui est chaud au sein du collectif. Alors quand on dit chaud, on pense à ce qui a fait crise, en fait. Et donc est-ce que si on devait résumer, c'est vraiment ça l'enjeu de la médiation collective, de nommer ce qui a constitué la jeunesse de la crise ? C'est un indispensable, c'est un incontournable. On peut dire qu'on ne réussit pas une médiation collective si on n'arrive pas à retraverser ce moment qui a fait difficulté. Et ce matin, on avait un exemple, pour que les gens comprennent, d'une pétition qui avait été signée par une personne et pas une autre. Et en tout cas, c'est cet événement-là qui avait fait conflit dans le collectif.

  • LV

    Dans un collectif, lorsqu'on est sollicité, souvent on arrive alors que la situation est cristallisée. Et on pourrait dire qu'on a deux niveaux de conflit. On a les tensions, les conflits liés aux situations, aux fonds, aux enjeux, aux sujets, aux relations. Et on a un conflit dans le conflit au sens où la manière dont on a essayé de traiter les choses a généré elle-même des tensions. C'est ça que j'appelle le conflit dans le conflit. Et donc typiquement, par exemple, une lettre, un courrier, une pétition qui a été engagée, initiée par certains, avec laquelle d'autres n'étaient pas en face, et donc ça a généré de nouvelles tensions. Et il me semble, alors ça c'est vraiment dans l'expérience qu'on peut avoir, d'ailleurs j'aimerais juste rappeler que la médiation collective qu'on enseigne au CNAM notamment, est issue d'une vingtaine d'années maintenant d'expérience, et notamment au groupe médiation, que j'aimerais citer. ce qui me semble tout à fait important de le faire ici. Donc, oui... Il me semble vraiment important de permettre à ces personnes qui sont en médiation de se reconnecter au moment où il y a eu blocage, donc ce qu'on appelle les éléments déclencheurs, c'est-à-dire le moment de cristallisation, c'est ce que j'appelais peut-être un moment chaud, c'est-à-dire un accueil loupé, une arrivée loupée, une pétition, un changement qui n'a pas été compris. Donc vraiment d'essayer de se connecter à ces moments-là et que chacun puisse dire sa vérité. comment moi j'ai vécu les choses à ce moment-là. Et en médiation, les uns et les autres font l'expérience de ces écarts, de ces malentendus, de ces écarts de représentation et de vécu.

  • ETG

    C'est ça la vertu pédagogique, en fait, de faire se reconnecter à ce que les gens ont vécu à un instant T. C'est pour que l'autre personne, les autres, puissent entendre comment cela a été vécu, qu'ils n'ont même pas pu conceptualiser.

  • LV

    Mais absolument, parce que quand je vis un événement, je le vis avec mes propres yeux, ma propre réalité. Donc... Il me semble évident que quelqu'un qui arrive, c'est à lui de faire ceci ou cela. Et le quelqu'un en question, lorsqu'il peut dire dans quel état il était au moment où il est arrivé, par exemple, là ce matin c'était quelqu'un en responsabilité, c'était une directrice d'établissement, à ce moment-là ça change tout. C'est-à-dire qu'à ce moment-là, oui, moi j'aurais bien aimé aussi faire ça, ou j'aurais bien aimé ceci, cela. Mais au moment, là, dans notre histoire commune, au moment où je suis arrivée, ce n'était pas possible. Et voilà ce que moi j'ai vécu. Donc je dirais qu'il y a une... On pourrait dire qu'il y a deux vérités subjectives qui se rencontrent, qui font l'expérience du malentendu ou tout simplement des écarts. Et une nouvelle, est-ce qu'on peut appeler ça une nouvelle vérité ? En tout cas, une histoire commune qui est en train de se tisser autrement. Et donc, je vois l'autre autrement que comme je l'avais vu jusqu'à présent. Et donc, il ne s'agit pas d'être d'accord ou pas d'accord, il s'agit simplement de se dire qu'en fait, on s'est fait chacun son histoire.

  • ETG

    Et ce matin, je t'entendais aussi inciter finalement à une réflexion, en tout cas t'interroger les participants à cette médiation, sur ce que ça veut dire un collectif, qu'est-ce que ça veut dire de faire équipe, qu'est-ce que ça veut dire de manager, etc. C'est aussi des sujets qui reviennent fréquemment. Pour toi, c'est quoi un collectif ?

  • LV

    Oui, justement, un collectif, ça répond, il y a des conditions à réunir pour être un collectif, notamment en termes de liens, de solidarité, de soutien, de reconnaissance aussi mutuelle. Voilà. Et ces conditions ne sont pas toujours réunies. Je dirais aujourd'hui, dans les contextes d'accélération, dans le contexte de télétravail qui est de plus en plus, je dirais, amplifié, dans la société dans laquelle on évolue, façonner, créer, soutenir des collectifs de travail, c'est un sacré défi. Voilà. Et donc, on a en effet des acteurs qui travaillent en silo et qui ne sont pas... ne crée pas, en fait, qui ne constitue pas des collectifs. Mais au-delà de ça, ce qui est évoqué dans cette médiation, notamment, c'est au fond, qu'est-ce que c'est faire équipe ? Et on l'a bien vu, on a ouvert ce signifiant, on l'a fait circuler dans la médiation. Donc, pour ceux qui n'étaient pas là, c'est une médiation où à un moment donné, au-delà, je dirais, du litige et de ce qui a fait tension, la question qui se pose finalement, c'est la question de sa place. C'est je suis qui pour l'autre dans ce groupe ou dans ce collectif ? C'est moi, à quelle place je me vois, à quelle place je me verrai, finalement c'est ces écarts entre ce que je revendique d'une certaine manière, comme place ou comme fonction, et la place à laquelle les autres m'ont mis. Donc l'écart entre la place revendiquée et la place attribuée. Par exemple, voilà. Et donc, en effet, quand on ouvre ces questions-là, au-delà des sujets de tension, les questions qui vont se poser, c'est mais qu'est-ce que c'est que ce collectif ? C'est quoi faire équipe ? C'est quoi notre équipe ? Qu'est-ce que c'est équipe pour moi ? Et donc, ce matin, on l'a bien vu que pour certains, c'est faire un tout. C'est être toujours tous d'accord. Pour un autre, c'est pouvoir dire justement qu'on n'est pas en accord, qu'il y a une place pour le différent, qu'il y a une place pour la différence. Et en médiation collective, si c'est ce sujet qui sort, il y en a bien d'autres, c'est... Alors là, finalement, qu'est-ce que vous voulez inventer ? Qu'est-ce que c'est pour vous, aujourd'hui, ici, maintenant, faire équipe ? Donc finalement, ce qui a généré le conflit va être, on pourrait dire, intégré, d'une certaine manière, pour créer un collectif qu'ils ont choisi avec ce qui fait sens pour eux.

  • ETG

    Quand on te lit, on écoute justement tes formations sur la médiation collective, on mesure quand même l'extrême vigilance qui est celle des médiateurs, puisqu'en général, on y va toujours à deux, puisque avant, tu analyses la demande, tu vas t'interroger sur les conditions du recours à la médiation, tu vas faire attention à tout risque d'instrumentalisation. Pendant, on voit bien qu'il faut être multicapteur, j'ai envie de dire, pour être sensible à tout ce qui se passe. Après, c'est pareil, il y a une réflexion sur le passage de relais. Tout ça incite à une grande prudence. Quel conseil tu donnerais aux apprentis médiateurs qui sont passionnés par cet enjeu de permettre des espaces de dialogue au sein de l'entreprise ? Parce que comment passer le cap ? À un moment donné, il faut oser. On peut faire toutes les formations du monde. Si on n'y va pas, on ne se comprendra jamais à la réalité.

  • LV

    Alors, ce que j'aurais envie de dire par rapport à ça, c'est que ce n'est pas forcément facile à accepter. C'est que c'est pas nous qui décidons que c'est le bon moment pour qu'il y ait une médiation. Et j'aurais envie de dire comme ça, et j'en ai fait l'expérience il n'y a pas longtemps, c'est qu'il ne suffit pas qu'il y ait du désir pour qu'il y ait médiation collective. Pour qu'il y ait médiation, il faut qu'il y ait une demande. Voilà. J'ai envie de dire que dans la maturité du collectif, parfois ça va être tard, c'est-à-dire que les situations sont tellement cristallisées que les uns et les autres n'ont plus envie de mettre l'énergie ...à essayer de se reparler, à essayer de nommer des choses. Donc, les gens partent, et puis, je dirais, la structure, le système continue à faire sa vie. Donc, parfois, je dirais, c'est simplement plus le moment. Et puis, parfois, c'est trop tôt. C'est-à-dire qu'on a... pas fait suffisamment l'expérience de quelque chose qui est, je dirais, on pourrait le dire comme ça, qui est suffisamment insupportable. Donc on continue à supporter la situation telle qu'elle est. Donc finalement, le bon moment, c'est le moment où les acteurs se disent ben non, ras-le-bol quoi Et on a suffisamment de désirs et de possibilités de dire, c'est-à-dire de s'adresser à l'autre. aux autres, et d'entendre ce que l'autre a à dire.

  • ETG

    D'accord. Alors, ma question, elle était plus à l'attention des futurs médiateurs, qui ont envie de tenter cette expérience, mais on voit bien que le risque de faire une erreur, d'être maladroit, d'avoir... Voilà, même d'être instrumentalisé, puisque la demande de médiation, si elle vient d'un commanditaire qui a des projets derrière la tête, c'est... on est censé refuser d'y aller dans un cas comme ça. Donc est-ce qu'on accepte et on y va au risque, peut-être avec tout ce que ça implique, d'une certaine instrumentalisation ? Ou est-ce que toi tu incites vraiment à la plus grande vigilance ? Il ne vaut mieux pas en faire que d'en faire une qui soit peut-être un peu ratée ?

  • LV

    Alors on pourrait dire que le seul risque... s'il y en a un, c'est que ce soit pire après qu'avant. Donc ça veut dire quoi, pire après qu'avant ? Ça veut dire qu'on aurait, par notre passage, renforcé les résistances dans ce collectif qui est déjà en tension. C'est pour ça que j'insiste sur la phase préparatoire. Donc très très rapidement, on peut dire que la première étape, c'est d'avoir un mandant qui est bien situé, c'est-à-dire suffisamment en dehors du conflit, en responsabilité et légitime, suffisamment légitime aux yeux des acteurs. qu'il passe le relais au médiateur, c'est-à-dire qu'en aucun cas on ne prend la place des acteurs en responsabilité. Et donc suite à cette étape-là, quand tu parles d'instrumentalisation, je dirais qu'il est tout à fait légitime que des acteurs qui sont embêtés par une situation fassent appel à un tiers. Donc ce n'est pas une instrumentalisation du médiateur, c'est simplement, on ne sait plus par quel bout prendre les choses. On a tenté plein de choses, est-ce que vous pouvez nous donner un coup de main ? Donc je dirais qu'il n'y a pas d'instrumentalisation et qu'à la limite, ça à ce stade-là... On peut le vérifier. Si par exemple, il est prévu de se séparer d'une personne et que la personne n'est pas au courant, en effet, il ne peut pas y avoir de médiation. Voilà, par exemple. Mais une fois, je dirais qu'on a repéré ça. Ce qui me semble vraiment important et qui va sécuriser les choses, c'est qu'on va aller chercher ce qu'on appelle, alors c'est peut-être un peu jargonneux de le dire comme ça, mais c'est un second mandat. C'est-à-dire que... Les acteurs auprès desquels l'offre de médiation a été faite par le mandant, donc ça va être un DRH, un directeur, un maire, etc. On va aller vérifier avec eux que les conditions de médiation sont réunies. Donc c'est eux qui vont dire, on est partant. Et alors qu'est-ce qui va nous faire dire les conditions sont réunies ? Je dirais, c'est assez simple, c'est est-ce qu'on a suffisamment de désirs ? et d'envie et de possibilité de se mettre autour d'une table et de se dire ce qu'on a à se dire et d'entendre ce que l'autre a à dire.

  • ETG

    Il faut laisser de la place à sa vie.

  • LV

    Voilà. Donc en effet, il y a quand même quelques conditions à réunir.

  • ETG

    Et alors tu insistes aussi sur l'importance du cadre qui va favoriser et protéger ceux qui fait mouvement comme le tuteur dans la croissance de la plante. Et en même temps, ce matin, j'ai entendu attirer l'attention des médiateurs sur la volonté d'éviter la procédure, d'éviter l'effet tunnel. Ça va être comme ci, ça va être comme ça. Donc comment on trouve l'équilibre ? Parce que, et je t'ai entendu dire aussi, j'ai pas tenu le cadre ce matin. Donc c'est quand même la responsabilité du médiateur de tenir son cadre, surtout dans une réunion où il y a 12 personnes qui vont se dire des choses difficiles, on ne sait pas comment elles peuvent être prises. C'est une sacrée responsabilité ce fameux cadre.

  • LV

    Oui, je crois qu'on est là lorsque ça tangue, lorsqu'il y a des tensions. En effet, quand on dit tenir le cadre, c'est quoi le cadre ? C'est le médiateur. Voilà, c'est lui qui incarne le cadre, qui le pose et puis qui le... qui le tient. Quand ce matin, elle dit que je ne l'ai pas tenu, c'est que j'étais à la fois formatrice, médiatrice et que j'avais le regard sur la montre. Donc, en effet, quand on est à toutes les places, ça ne fonctionne pas. Donc, ça, c'est une très, très belle leçon. Par rapport à ça, il me semble qu'en effet, quand on est sollicité pour les situations de tension, les acteurs ont besoin d'être en sécurité. Donc, pour moi, la fonction du cadre, c'est surtout celle-ci. Une fois que quelque chose est suffisamment sécurisé, donc cet espace en fait, ce moment, ce lieu, ce temps, à l'intérieur, ça nous échappe. C'est-à-dire que ce qui se passe, du côté de ce qu'on pourrait appeler le processus, c'est-à-dire le processus pour moi, ça n'a rien à voir avec la procédure, ni le dispositif. Le processus, c'est ce qui se passe et ce qui échappe au médiateur, c'est-à-dire l'effet du questionnement du médiateur, l'effet de la circulation de la parole, c'est-à-dire tout ce qui va se transformer. par les échanges. Et donc là, il y a beaucoup de liberté et surtout de la confiance. Donc il me semble qu'on est sur cet équilibre entre un espace sécurisé, un cadre, et donc c'est pour ça qu'on a un certain nombre d'éléments, notamment on peut signer une convention d'entrée en médiation, et confiance dans la capacité des personnes à se dire ce qu'elles ont à dire et à trouver par elles-mêmes un chemin. Des solutions dont il s'agit.

  • ETG

    Alors justement, quand on est face à des manifestations fortes, les gens crient, peuvent pleurer, il y a des choses importantes qui sont dites. Comment garder son calme intérieur ? Comment ne pas être ébranlé ? Est-ce que c'est quelque chose que tu travailles ou est-ce que toi c'est ta nature profonde ? Parce qu'on voit qu'elle a l'image de quelqu'un qui est très calme, très ancré. Mais est-ce que c'est finalement un muscle que tu travailles tous les matins ? Ou c'est ta nature ? Il y a un mystère, Laure, là.

  • LV

    Vous devriez poser la question aux gens qui me connaissent bien en famille. Vous verrez que c'est ni dans la nature, ni inné. Je pense que ce qui s'exprime par des émotions qui débordent, c'est-à-dire les larmes, alors quand tu parles de cris, je pense que ça ne crie pas en médiation, puisqu'il y a quand même quelque chose qui peut se contenir, en tout cas qui prend l'ampleur.

  • ETG

    Oui, qui se fait sursauter.

  • LV

    C'est que quelque chose n'arrive pas soit à se faire entendre, soit à se connecter, soit à être entendu. Et donc, j'évoquais ça tout à l'heure, il me semble, en tout début d'échange entre nous, c'est-à-dire les émotions. Ça s'accueille de manière inconditionnelle. Donc quelqu'un qui, mettons, se met... Bon, là, par exemple, à pleurer, ou quelqu'un qui se met à être très très en colère, c'est quelqu'un qui a quelque chose d'important, de vital à dire et à faire entendre. Donc, on pourrait presque dire, si vous voulez, que l'émotion, c'est une porte d'entrée, c'est un accès, en fait. Voilà. Et donc, c'est un peu contre-intuitif, parce qu'on a quand même été éduqués pour contenir tout ça. Alors qu'en fait, c'est simplement une porte d'entrée, un accès. Voilà. Donc... Voilà, comment on accueille ça, et puis surtout, comment on permet aux personnes de dire ce qu'elles ont à dire.

  • ETG

    Et justement, c'est ce qui me venait ce matin en vous regardant, je trouve que l'espace de médiation, c'est quand même un espace de vraie liberté, parce que non seulement on recherche cette parole vraie qui circule et qui est parfois... Ça vient de très loin, mais même je te regardais, tu bouges beaucoup en fait avec le corps, et d'ailleurs tu insistais sur cette dimension corporelle. Toi tu t'es formée à des pratiques de théâtre, de danse, d'expression corporelle, où c'est pareil, c'est assez intuitif, je te voyais bouger. Le médiateur physiquement, il doit vraiment être là.

  • LV

    Je pense que le corps est absolument essentiel, central, c'est là que ça se passe. C'est-à-dire que... Les émotions, on les reçoit dans le corps, on les ressent. Et si, en tant que médiateur, je me suis coupée de mes émotions, c'est extrêmement difficile d'être à cette place-là. Donc c'est un moment, la médiation, où le mental n'est pas roi, on pourrait dire. C'est-à-dire que justement, c'est peut-être ça qui fait que la médiation est un espace précieux. C'est-à-dire qu'on va essayer d'aller... Alors on n'est pas du côté du pourquoi, c'est pas le sujet, c'est pas le lieu, on n'est pas là pour creuser. Voilà, mais on est vraiment du côté du qu'est-ce qui s'est passé, du en quoi ça aurait été important pour vous, de quoi auriez-vous besoin à ce moment-là, qu'est-ce qui s'est joué, voyez ? C'est-à-dire, tu vois, c'est vraiment, je crois, faire place en fait, faire place à... Vraiment, pour moi, le mot qui me vient, c'est pour ça que je trouve que le conflit, la conflictualité est extrêmement précieux. C'est que c'est juste un écran de fumée à la vitalité, en fait. C'est pour ça que quand on travaille sur des conflits, on ne travaille pas que sur du dur, que de la difficulté, que de la violence. Pas du tout. La violence, c'est un écran, en fait, c'est un passage. Mais qu'est-ce qui cherche à se faire entendre ? C'est ça qu'on va faire émerger en médiation. C'est vrai.

  • ETG

    Et justement, ce matin, tu disais que quand on traverse quelque chose avec quelqu'un, ça parle de nous. Et là, t'inciter en tout cas à se connecter à ce qu'on ressent et t'évoquer cette idée des empreintes émotionnelles qu'on a en soi. Est-ce que tu peux revenir là-dessus ?

  • LV

    Oui, je ne vais pas aller forcément très loin là-dessus là ensemble, mais ce que je peux dire, c'est que je pense. Alors ça, tu vas me dire que c'est une croyance, oui, j'assume. J'assume cette croyance issue de l'expérience. qui est que c'est pas un hasard quand on est en conflit avec quelqu'un et qu'il y a quelque chose qui cherche à se faire entendre et très souvent c'est quelque chose qu'on ne veut pas voir et que tant qu'on ne s'est pas connecté tant qu'on ne le voit pas tant qu'on ne le reconnait pas tant qu'on n'arrive pas à mettre du sens là-dessus tant que c'est non nommé Dans tous ces moments, je dirais, de tension, oui, ça vient sonner à la porte des émotions, ça vient sonner... Alors voilà, certains vont appeler ça les empreintes émotionnelles qui sont dans le corps et je dirais qu'ils sont, on pourrait dire, convoqués lorsque quelqu'un nous interpelle, en tout cas à quelqu'un avec lequel on est en conflit. Et c'est vrai que... Récemment, à un moment donné, à faire une pause, au moment où on propose à chacun de prendre la parole et de dire qu'est-ce que vous avez entendu d'important pour l'autre, ce qu'on appelle la reconnaissance mutuelle, et assez récemment, j'ai vraiment senti l'intérêt, à cette étape-là de la médiation, de dire je vous propose là maintenant de prendre une minute pour chacun, pour se connecter à quelque chose que vous venez d'apprendre. dans cette situation de tension entre vous. C'est-à-dire qu'on démarre la médiation en se disant vraiment le problème c'est l'autre et je vais entrer en médiation pour lui dire vraiment ce qu'il a besoin d'entendre, en argumentant, en donnant mon avis, etc. Et il me semble que parfois, c'est pas toujours possible, mais que parfois les choses se circulent d'une manière que je repère quelque chose qui en effet... parle de moi. Alors d'une blessure, d'une empreinte, chacun l'appelle comme il veut. Mais en tout cas, quelque chose qui est un peu à vivre, qui n'est pas digéré, on peut dire ça comme ça, si on veut le dire simplement, et que j'ai besoin de repérer pour grandir. Et donc en effet, tant que ça n'est pas capté, mis au travail, ça va perdurer.

  • ETG

    J'avais une question sur tes enquêtes, puisque tu m'as parlé à mon tout début du fait que tu faisais des enquêtes harcèlement, discrimination. Est-ce que ta méthodologie de travail, elle emprunte au processus de médiation collective ? Est-ce que tu commences de la même façon avec l'équivalent d'une assemblée générale et des entretiens individuels que tu vas mener ?

  • LV

    Alors là, c'est vraiment toute autre chose, j'ai envie de dire. C'est-à-dire que là, on était dans le champ de la médiation où les acteurs sont autour de la table. pour nommer ce qu'ils ont à nommer. Là, ce que tu évoques, c'est plutôt le champ des interventions, plutôt de conseils, donc diagnostics, enquêtes. Et là, on est sollicité, en effet, pour essayer de qualifier des situations. Donc ça, c'est toute autre chose, bien plus difficile. Et ce qui, en effet, pour moi, est toujours très difficile, c'est comment je fais... Alors, on va repérer des faits, voilà. Mais comment je fais pour faire place aux vérités subjectives, aussi. C'est-à-dire que, je peux donner un exemple d'une enquête notamment, où on était vraiment sur des choses qui, en apparence, étaient très anecdotiques. On se dit, mais vraiment, quand on regarde ça de l'extérieur, on se dit, mais c'est des gamineries, c'est pas possible d'arriver à une accusation de harcèlement. Pour ces faits-là. Et l'expérience vraiment très forte pour moi de la médiation, de ce que j'ai appris, c'est que ce n'est pas tellement les faits qui comptent, c'est la représentation et le vécu sur ces faits. Donc un objet, un objet par exemple balancé sur le côté, ça peut paraître une maladresse. Mais à part que si balancer un objet sur le côté, pour moi, c'est... Ça a une signification extrêmement profonde parce que ça parle de quelque chose qui est tout à fait crucial dans mon existence. Alors ce geste-là va prendre une ampleur tout autre. Mais ça, évidemment que je ne vais pas le dire. Je vais le garder pour moi et donc je vais attribuer à l'autre une intention qui est de me nuire. Et je suis persuadée, mais vraiment profondément persuadée, que l'intention de l'autre c'est de me nuire.

  • ETG

    Voilà, bien sûr. Alors comment tu restitues ça à ton mandataire ? Parce que ça, c'est une vraie difficulté. La subjectivité du ressenti du harcèlement, on le voit quotidiennement. Et moi, ce que je vois dans mon travail, c'est la difficulté des enquêteurs à se positionner sur le bon registre. Parce que soit on se dit qu'on est des enquêteurs type Colombo et on va rechercher si le délit pénal est constitué. Neuf fois sur dix, il ne l'est pas. Il y a une vraie difficulté et en même temps l'expérience subjective de la personne, qu'est-ce qu'on en fait ?

  • LV

    C'est très délicat, c'est pas confortable, c'est pas facile.

  • ETG

    Ça incite quand même à...

  • LV

    Beaucoup de prudence. Beaucoup de prudence, je pense que...

  • ETG

    Tu me donnes des idées de contestation d'enquête bidon.

  • LV

    Je pense que...

  • ETG

    Ce qui revient à nous en cabinet d'avocat, les enquêtes, tu leur fais dire ce que tu veux. Mais c'est assez rare que la réalité, le vécu de la personne qui se plaint soit restitué dans cette enquête.

  • LV

    Ce sont des exercices extrêmement délicats. Je pense qu'en effet, comme tu dis, beaucoup de prudence. Et puis peut-être accepter que parfois on n'a pas les éléments pour qualifier les situations. Et le dire clairement.

  • ETG

    Alors, tu expliques que c'est la représentation sur laquelle on travaille en médiation, la représentation du groupe, et notamment d'un groupe social, qui détermine son identité. Et tu insistais dans ton travail de mémoire au CNAM sur l'importance de la référence au mode de la souffrance, de la victimisation. Tu évoques les narcissismes collectifs, j'ai trouvé ça d'une grande actualité. Et tu expliques que justement un des enjeux c'est de faire dériver la confrontation de l'affrontement de valeurs vers un débat sur les systèmes de valeurs pour que la différence devienne un vecteur des échances et pas seulement un symptôme. Mais est-ce que concrètement on a tous intérêt à la médiation ? À partir du moment où le groupe se construit sur cette représentation ?

  • LV

    Hum. Il me semble que comme je l'évoquais tout à l'heure, il y a une dynamique de groupe qui se met en place. Le groupe finalement peut le considérer comme un système. Et dans le système, les uns et les autres vont se mettre à des places différentes. Et il me semble que ce qu'on peut tenter, mais vraiment avec énormément de modestie, parce que si ce n'est pas le moment, ce n'est pas le moment, c'est précisément de faire en sorte que les uns et les autres puissent se déloger. Et sortir des cases. Parce qu'il me semble que c'est ça qui est violent dans les situations de conflit, qui se sont cristallisées, c'est qu'on est enfermé. Voilà, on porte une étiquette. T'as l'emmerdeur de service, t'as celui qui monopolise, t'as celui qui dit jamais rien par devant mais qui part derrière, etc. Bref, chacun finalement est catalogué et agit d'une certaine manière avec cette étiquette, qu'il le veuille ou non. C'est-à-dire que quand je me suis mise à une place de victime, c'est très très difficile d'en sortir. Alors quand je me suis mise, quand les autres m'ont mise, c'est une responsabilité partagée. Et donc en effet, ça demande un certain courage, j'ai envie de le dire comme ça, de se dire quelle est ma part dans cette affaire. Alors je sais que dire ça, ça peut être vraiment dur à accepter et à entendre pour certains, parce que quand on vit des choses extrêmement dures, c'est impensable de penser qu'on puisse avoir une part. Je ne fais pas référence là à des situations extrêmes. On est en... contexte professionnel. Et donc, en effet, pour moi, en médiation, alors je pense que ce que je dis là va peut-être... Je pense que certains médiateurs ne seront pas d'accord avec ça, mais ça ne fait rien, tant pis, je le dis, quitte à ce que ça crée du débat. Mais pour moi, en médiation, il n'y a pas de victime. Voilà. Et il n'y a pas de bourreau non plus. Je pense qu'on a des êtres, des acteurs qui ont fait ce qu'ils ont pu, qui ont fait ce qu'ils ont fait, et que quelque chose là peut se faire entendre au-delà, ou en-dessous plutôt, je devrais dire, de ce qui a généré, pour le coup, sans aucun doute, beaucoup de souffrance, beaucoup de violence. Mais en tout cas, ce qui est central pour moi, quelles que soient les paroles qui ont été... prononcées ou les actes qui ont été menés, c'est que personne n'est réduit à ce qu'il a pu faire ou pu dire.

  • ETG

    C'est une deuxième chance, presque, non ?

  • LV

    En tout cas, c'est pour moi ce qui donne sens à ce travail. Je pense qu'il y a toujours une ouverture possible, je pense qu'il y a une prise de conscience. Je pense qu'il y a toujours une prise de conscience possible sur ce qu'on a pu dire, faire et sur les impacts que ça a eu.

  • ETG

    Alors sur un plan personnel, et ce sera mon avant-dernière question, est-ce que tu as eu des ressources philosophiques, théoriques qui t'ont nourri sur ce chemin de la médiation, des ouvrages qui t'ont marqué, qui ont vraiment construit ton approche ?

  • LV

    J'ai beaucoup appris dans des groupes dans lesquels on s'est questionné sur la place, on s'est questionné sur la pratique et avec lesquels on a cheminé, on a constitué, tissé cette approche. Pour moi c'est vraiment une approche qui s'est constituée et qui continue d'ailleurs à évoluer. Voilà, je crois que ça fait peut-être une vingtaine d'années qu'on est sur ce chemin-là. Et je pense que ça va continuer à évoluer, notamment aujourd'hui se pose la question de la liberté d'adhésion et du volontariat. Je pense vraiment important, moi, de maintenir cette dimension-là. C'est de plus en plus difficile parce que quand on nous sollicite, on nous dit qu'ils n'auront pas le choix. Il faut sortir de cette crise, donc il faudra qu'ils soient autour de la table. Et ce que moi j'ai pu constater, c'est que quand les uns et les autres n'ont pas le choix, alors ça résiste. Donc comment est-ce qu'on peut nous soutenir la place à une certaine forme de liberté ? Il ne peut pas y avoir une médiation forceps, ce n'est pas possible.

  • ETG

    Et alors as-tu interrogé ton propre rapport au conflit ?

  • LV

    Est-ce que toi tu es plutôt dans l'évitement, la confrontation,

  • ETG

    la paralysie ? La confrontation, la médiation.

  • LV

    Oui, mais j'avais beaucoup peur. J'avais beaucoup de peur. Et donc c'est ça que j'ai travaillé. Qu'est-ce qui fait peur, en fait ? Qu'est-ce qui fait peur dans la violence ? À quoi ça renvoie ? Donc c'est ça que je suis allée rechercher. C'est ça que je suis allée rechercher, d'un côté. Et de l'autre, je dirais, c'est qu'est-ce qui fait... que ça m'intéresse d'être à cette place de tiers, au milieu du conflit des autres. C'est quand même pas rien.

  • ETG

    Bien sûr. Alors, tu as trouvé la question ? Tu as trouvé la réponse ?

  • LV

    Oui, oui, ça...

  • ETG

    Alors, j'avais l'impression que c'est quand même de l'ordre de l'engagement, moi que je qualifierais un peu de politique. Non, cette foi, justement, dans la... L'intérêt, la valeur que ça représente de créer cet espace où justement cette confrontation à l'impossible et de l'utilité que ça a de rendre... Est-ce que c'est pas franchement ta façon de contribuer à un collectif meilleur ?

  • LV

    Ce qui est central, essentiel pour moi, je crois, c'est au départ de pouvoir nommer les choses. C'est déjà beaucoup. de pouvoir faire en sorte que quelque chose d'important soit entendu. Ça, c'est encore une autre étape. Ce n'est pas toujours possible. Et ce que je crois, en effet, c'est que quand l'un et l'autre sont rendus possibles, alors, une transformation a lieu. Et en effet, moi, c'est cet endroit-là qui est mon désir de médiation. C'est du côté de la transformation et de l'évolution, en effet. Je ne sais pas si c'est politique, si c'est...

  • ETG

    C'est comme ça qu'on change le monde. Si on agit sur les représentations des uns et des autres, on arrive quand même à faire passer...

  • LV

    En tout cas, j'ai beaucoup de mal avec le binaire, on pourrait dire. Et donc je suis plutôt du côté, lorsque tu évoquais les ouvrages, il y en a un qui me vient tout d'un coup, je suis plutôt du côté d'une... Je dirais de... Voilà... Cette forme d'acceptation des antagonismes à l'œuvre. Comment est-ce qu'on peut, je dirais, se faire se rencontrer, en fait, ces antagonismes-là, et donc accepter une forme de complexité ? Je pense notamment à De Morgon, au Morin, à des acteurs qui ont travaillé ces enjeux-là. C'est-à-dire sortir d'une vision binaire, c'est-à-dire j'ai raison, l'autre a tort, ou des visions binaires qui seraient du côté de mes valeurs, ma vision, ma vision de la vie. du monde à l'acceptation que l'autre est autre.

  • ETG

    C'est l'enjeu de société là.

  • LV

    Mais c'est costaud d'accepter ça. C'est pas évident.

  • ETG

    C'est sûr, écoute je te remercie beaucoup Laure, on a terminé

  • LV

    Merci, merci à toi

  • ETG

    Merci d'avoir écouté cet épisode n'hésitez pas s'il vous a plu à le partager autour de vous et à le noter sur Apple Podcast cela aide à faire connaître la médiation et plus particulièrement la médiation collective vous pouvez également me faire part de vos remarques via mes réseaux ou sur mon site internet etgavocat.fr A bientôt, au revoir.

Description

Pour ce 8ème épisode d'Antidot, j'ai le plaisir de recevoir Laure Veirier, Psychologue Interculturelle devenue Médiatrice, Consultante et à la direction depuis 2014 de la formation "Pratiques de médiation" au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).


Fondatrice du cabinet Interstice Médiation, Laure a développé une expertise en médiation collective en entreprise, dans le secteur public ou privé.

Elle réalise des enquêtes pour caractériser des situations de harcèlement ou de discrimination.


Elle est également auteure de l'ouvrage "Enjeux de la médiation collective au travail, pour un processus favorisant l'interculturalité", paru aux éditions Brochet.


Dans cet épisode, Laure Veirier évoque son parcours professionnel, ses premiers travaux réalisés sur les questions de diversité culturelle et sa découverte de la médiation, activité du langage.


Elle évoque comment la médiation, espace de dialogue, peut aussi être le lieu d'invention d'une culture commune, notamment dans un collectif de travail, au sein d'un service ou d'une équipe traversée par des tensions ou difficultés.


Nommer, dépasser, inventer, autant de possibilités permises par le recours à la médiation collective dont Laure expérimente depuis de nombreuses années le processus et les bénéfices.


Je vous souhaite une très bonne écoute.

Émilie

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Retrouvez Laure Veirier sur Linkedin


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En attendant de se retrouver le 10 de chaque mois pour un nouvel épisode, je vous invite à vous abonner au podcast et à laisser 5 étoiles sur votre plateforme d’écoute préférée.


Si vous souhaitez continuer la discussion autour de la médiation, retrouvez-moi sur mon compte Linkedin Emilie Thivet-Grivel.


Et si vous souhaitez en savoir plus sur le cabinet ETG Avocats et nos services de médiation, rendez-vous ici.


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Crédits :

Antidot est un podcast d’Emilie Thivet-Grivel.
Stratégie : Mélanie Hong.
Montage et mixage : Morgane Bouchiba.
Designer graphique (vignette) : Emma Wise.
Musique  : Aberdeen, Greg McKay.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • ETG

    Bonjour, vous écoutez Antidote, le podcast qui interroge notre rapport au conflit. Je m'appelle Émilie Thivet-Grivelle, je suis avocate et médiatrice, fondatrice du cabinet ETG Avocats. Chaque mois, je vais à la rencontre de professionnels qui ont changé de regard sur la conflictualité et qui l'organisent autrement. Pour ce huitième épisode, je reçois Laure Verrier. Psychologue interculturelle, devenue médiatrice, formatrice et consultante, Laure Verrier dirige depuis 2014 le certificat pratique de médiation du Conservatoire national des arts et métiers. Faire du conflit une ressource, c'est le mantra du cabinet Interstice Médiation qu'elle a fondé et dans lequel elle a développé avec ses associés une expertise de la médiation collective. Laure réalise aussi des enquêtes pour caractériser des situations de harcèlement ou de discrimination et intervient au sein de différents dispositifs publics d'appui aux relations de travail. On peut la lire dans un ouvrage paru aux éditions Brochet, Enjeu de la médiation collective au travail pour un processus favorisant l'interculturalité. Je vous souhaite une très bonne écoute. Alors ma première question, Laure, comment tu as été conduite à t'intéresser à la médiation et à souhaiter t'y former ?

  • LV

    Alors, je dirais que je suis arrivée à la médiation par la question de la diversité culturelle. Voilà, donc je suis, comme tu l'as dit, j'ai travaillé quelques années à l'UNESCO, dans des zones, en fait, en tout cas en lien avec des zones en conflit, et notamment dans des zones où la question de la langue était à l'origine, enfin à l'origine, une des origines des tensions. Voilà, et donc je suis vraiment arrivée à la médiation. Moi, par le conflit, le conflit sur des territoires que je ne connaissais pas, très très peu. Et donc j'ai découvert la médiation dans la ville de Montreuil, dans laquelle j'habitais, à travers une démarche de formation de... Je crois qu'à l'époque on appelait déjà ça la médiation citoyenne. Et donc j'ai rencontré Catherine Woursch, qui a été... J'ai rencontré Elisabeth Collard d'ailleurs, je me rappelle. Et puis Catherine Woursch, qui a été une médiatrice qui a beaucoup compté pour moi. avec qui j'ai rencontré la médiation.

  • ETG

    D'accord. Et qui a une attention particulière sur le langage.

  • LV

    Je me souviens que c'est ce qu'elle disait au début du diplôme du CLAM.

  • ETG

    Savoir qu'en fait, on ne se comprend jamais.

  • LV

    Oui, quand on évoque cette notion de médiation, pour moi, en tout premier lieu, c'est une activité du langage, en effet. Donc, une activité autour du mal-entendu.

  • ETG

    Et du coup, comment tu as fait le lien entre tes expériences sur d'autres continents et dans des contextes conflictuels avec la médiation que tu pratiques aujourd'hui ? Ça a été assez naturel ?

  • LV

    Je ne sais pas si j'ai fait le lien, puisque ça s'est fait au cours de la vie, en chemin. Ce que je dirais aujourd'hui par rapport à ta question, pour moi la question c'est la question de l'altérité. Je dirais ça comme ça, c'est-à-dire que j'ai démarré sur ces enjeux de diversité culturelle, d'interculturalité. Et assez vite, j'ai été confrontée au fait que concrètement, alors quand j'ai commencé à travailler en France sur des territoires, sur des villes en fait, françaises, sur les questions de laïcité, de gestion de la diversité culturelle, et au fond, les questions se posaient de manière très très concrète, autour de la nourriture. dans les cantines, pour des élus autour de la question du voile. Voilà, donc c'était vraiment des questions extrêmement concrètes qui se posaient et je voyais bien qu'il y avait besoin d'ouvrir ces notions-là. Quand on dit laïcité, on parle de quoi ? Et donc j'étais assez vite confrontée à des positions. Des positions tout à fait compréhensibles au vu de l'histoire de ceux qui les portent. Quand on s'est battu pour qu'il y ait par exemple une séparation entre l'Église et l'État, il est compréhensible que l'on tienne à ce que dans le territoire dans lequel on est élu, par exemple, il y ait une certaine laïcité qui puisse vivre et perdurer. Et donc assez vite, j'ai été confrontée à des antagonismes, on peut dire ça comme ça, entre d'un côté... culture, religion, différence, voilà. Et donc, de ces antagonismes-là, comment faire pour les faire, je dirais, cohabiter ? Comment on passe, en fait, de visions qui peuvent être assez vite binaires ou cristallisées à une articulation, je dirais ? Alors, à l'époque, moi, je parlais d'interculturalité, c'est-à-dire comment est-ce qu'on crée, en fait ? Finalement, qu'est-ce que c'est ? C'est inventer. un espace nouveau, puisqu'on fait face à des situations qui deviennent impossibles. Et dans des situations impossibles de blocage, il nous reste une chose à faire, c'est l'inventer. Soit c'est de partir en courant, c'est une option, soit c'est de taper du poing sur la table en disant ce sera comme ça. Que l'on lâche l'affaire ou que l'on tape du poing sur la table, ça revient. Ça se répète. Donc à un moment donné, si on veut essayer d'avancer et sortir de ces répétitions, on se met autour de la table. On essaie d'entendre ce qui est vital, c'est peut-être un peu fort, mais en tout cas ce qui est essentiel pour les acteurs.

  • ETG

    Encore faut-il qu'il y ait une volonté. De se mettre autour de la table, c'est bien ça l'enjeu.

  • LV

    Oui, alors, oui,

  • ETG

    une volonté.

  • LV

    Une volonté et en même temps, parfois, je crois qu'il y a des situations qui sont, je dirais, suffisamment difficiles à vivre pour qu'on se dise, bon, là, on y va. En tout cas, c'est dans mon expérience, c'est ce que j'ai pu constater.

  • ETG

    Qu'est-ce que c'est que l'interculturation ?

  • LV

    L'interculturation, en fait, assez simplement, ce que j'ai envie de dire par rapport à ça, c'est que j'ai fait des liens, moi, en fait, assez vite, entre la médiation, comme espace, notamment dans un collectif, et cette notion de l'interculturation, c'est-à-dire, au fond, comment on nomme, on fait émerger, et on dépasse les différences. Donc on est vraiment, pour moi, du côté de l'invention. C'est ça que je trouve intéressant dans cette notion d'interculturation, c'est-à-dire qu'on va créer C'est une culture commune. D'accord. C'est ça qu'on peut sous-entendre par métabolisation, c'est-à-dire qu'on ne reste pas campé sur des positions ou sur des cultures d'origine, mais on va inventer quelque chose de nouveau. Mais pour inventer, il faut nommer les choses. Donc je dirais que la médiation, pour moi notamment la médiation collective, c'est un espace dans lequel on a affaire avec l'autre. l'autre singulier, mais l'autre aussi qui vient résonner, puisqu'il y a plusieurs autres. Donc on a ce travail-là, je dirais, de nommer, transformer, dépasser, inventer, créer.

  • ETG

    Et justement, tu expliques qu'il s'agit de passer de l'implicite à l'explicite. Et tu encourages d'ailleurs les médiateurs que tu formais ce matin, puisque j'ai assisté à la formation que tu donnes au CNAM. Tu as encouragé les médiateurs à accueillir ce qui est dit par les participants à la médiation et nommer ce qui transparaît, c'est-à-dire leur désir ou au contraire leur crainte, leur reticence, leur fermeture. Alors, dans toutes les expériences que tu conduis de médiation, dans des contextes conflictuels au travail, est-ce que tu entends des mots MAUX et des mots MOT très fréquemment dans ces situations de tension au travail ? Est-ce qu'il y a des choses qui reviennent quasi systématiquement ?

  • LV

    Ce que j'aimerais dire par rapport à ça, c'est qu'il me semble que quand on parle, en tout cas lorsque l'on est en médiation et que les uns et les autres s'expriment, on a en tant que médiateur à accueillir ce qui cherche à se dire de manière inconditionnelle. Quand je dis ce qui cherche à se dire, c'est-à-dire souvent ce qui est ressenti. Et que précisément les uns et les autres n'arrivent pas à dire, n'arrivent pas à faire entendre. Voilà, donc c'est beaucoup plus facile d'aller dire à l'autre ce qu'il devrait faire, ce qu'il aurait dû faire ou de faire des reproches à l'autre. que de se connecter à ce qui s'est passé pour moi à ce moment-là, quand il s'est passé ce qui s'est passé. Et donc, de dire au fond ce qui s'est joué, ce qui est important pour moi, ce qui est vital pour moi. Donc, c'est ce que j'évoquais ce matin certainement, c'est-à-dire essayons de rejoindre de manière inconditionnelle les uns et les autres. parfois, il y a, je dirais, peut-être ce qu'on peut appeler une certaine forme de recadrage sur la forme, parce que la forme peut être inappropriée. Mais dans le fond, il y a des choses essentielles qui cherchent à se faire entendre. Et il me semble que c'est ça qu'on a à entendre en tant que médiateur.

  • ETG

    C'est la première étape, en fait. C'est vraiment rejoindre les gens dans ce qu'ils expriment. Voilà. Pour qu'ils soient réceptifs à autre chose derrière.

  • LV

    Tout à fait. C'est-à-dire que tant que... Je ne suis pas entendue, mais vraiment entendue, ce n'est pas juste en surface. Alors, je ne peux pas entendre l'autre, même s'il est à 1m50 de moi. Ça peut paraître étonnant. Donc, c'est pour ça que même dans le collectif, on travaille vraiment sur du singulier. Ça, ça me semble tout à fait important. Et c'est pour ça que le début d'une médiation collective, c'est place à chacun. Quand on dit en médiation qu'on est du côté de la séparation et du singulier, c'est vraiment ça. Entre autres, quand je dis séparation, ça va au-delà, notamment séparation avec l'imaginaire. Où est-ce que je situe l'autre dans mon imaginaire ? Mais en tout cas, vraiment, ça me semble tout à fait important, faire place à chacun, accueil inconditionnel de ce qui est. important pour chacun, et ensuite peut-être quelque chose peut se faire entendre. Et s'entendre, du coup.

  • ETG

    Et alors justement, ce matin, tu as incité les médiateurs à aller directement vers ce qui est chaud au sein du collectif. Alors quand on dit chaud, on pense à ce qui a fait crise, en fait. Et donc est-ce que si on devait résumer, c'est vraiment ça l'enjeu de la médiation collective, de nommer ce qui a constitué la jeunesse de la crise ? C'est un indispensable, c'est un incontournable. On peut dire qu'on ne réussit pas une médiation collective si on n'arrive pas à retraverser ce moment qui a fait difficulté. Et ce matin, on avait un exemple, pour que les gens comprennent, d'une pétition qui avait été signée par une personne et pas une autre. Et en tout cas, c'est cet événement-là qui avait fait conflit dans le collectif.

  • LV

    Dans un collectif, lorsqu'on est sollicité, souvent on arrive alors que la situation est cristallisée. Et on pourrait dire qu'on a deux niveaux de conflit. On a les tensions, les conflits liés aux situations, aux fonds, aux enjeux, aux sujets, aux relations. Et on a un conflit dans le conflit au sens où la manière dont on a essayé de traiter les choses a généré elle-même des tensions. C'est ça que j'appelle le conflit dans le conflit. Et donc typiquement, par exemple, une lettre, un courrier, une pétition qui a été engagée, initiée par certains, avec laquelle d'autres n'étaient pas en face, et donc ça a généré de nouvelles tensions. Et il me semble, alors ça c'est vraiment dans l'expérience qu'on peut avoir, d'ailleurs j'aimerais juste rappeler que la médiation collective qu'on enseigne au CNAM notamment, est issue d'une vingtaine d'années maintenant d'expérience, et notamment au groupe médiation, que j'aimerais citer. ce qui me semble tout à fait important de le faire ici. Donc, oui... Il me semble vraiment important de permettre à ces personnes qui sont en médiation de se reconnecter au moment où il y a eu blocage, donc ce qu'on appelle les éléments déclencheurs, c'est-à-dire le moment de cristallisation, c'est ce que j'appelais peut-être un moment chaud, c'est-à-dire un accueil loupé, une arrivée loupée, une pétition, un changement qui n'a pas été compris. Donc vraiment d'essayer de se connecter à ces moments-là et que chacun puisse dire sa vérité. comment moi j'ai vécu les choses à ce moment-là. Et en médiation, les uns et les autres font l'expérience de ces écarts, de ces malentendus, de ces écarts de représentation et de vécu.

  • ETG

    C'est ça la vertu pédagogique, en fait, de faire se reconnecter à ce que les gens ont vécu à un instant T. C'est pour que l'autre personne, les autres, puissent entendre comment cela a été vécu, qu'ils n'ont même pas pu conceptualiser.

  • LV

    Mais absolument, parce que quand je vis un événement, je le vis avec mes propres yeux, ma propre réalité. Donc... Il me semble évident que quelqu'un qui arrive, c'est à lui de faire ceci ou cela. Et le quelqu'un en question, lorsqu'il peut dire dans quel état il était au moment où il est arrivé, par exemple, là ce matin c'était quelqu'un en responsabilité, c'était une directrice d'établissement, à ce moment-là ça change tout. C'est-à-dire qu'à ce moment-là, oui, moi j'aurais bien aimé aussi faire ça, ou j'aurais bien aimé ceci, cela. Mais au moment, là, dans notre histoire commune, au moment où je suis arrivée, ce n'était pas possible. Et voilà ce que moi j'ai vécu. Donc je dirais qu'il y a une... On pourrait dire qu'il y a deux vérités subjectives qui se rencontrent, qui font l'expérience du malentendu ou tout simplement des écarts. Et une nouvelle, est-ce qu'on peut appeler ça une nouvelle vérité ? En tout cas, une histoire commune qui est en train de se tisser autrement. Et donc, je vois l'autre autrement que comme je l'avais vu jusqu'à présent. Et donc, il ne s'agit pas d'être d'accord ou pas d'accord, il s'agit simplement de se dire qu'en fait, on s'est fait chacun son histoire.

  • ETG

    Et ce matin, je t'entendais aussi inciter finalement à une réflexion, en tout cas t'interroger les participants à cette médiation, sur ce que ça veut dire un collectif, qu'est-ce que ça veut dire de faire équipe, qu'est-ce que ça veut dire de manager, etc. C'est aussi des sujets qui reviennent fréquemment. Pour toi, c'est quoi un collectif ?

  • LV

    Oui, justement, un collectif, ça répond, il y a des conditions à réunir pour être un collectif, notamment en termes de liens, de solidarité, de soutien, de reconnaissance aussi mutuelle. Voilà. Et ces conditions ne sont pas toujours réunies. Je dirais aujourd'hui, dans les contextes d'accélération, dans le contexte de télétravail qui est de plus en plus, je dirais, amplifié, dans la société dans laquelle on évolue, façonner, créer, soutenir des collectifs de travail, c'est un sacré défi. Voilà. Et donc, on a en effet des acteurs qui travaillent en silo et qui ne sont pas... ne crée pas, en fait, qui ne constitue pas des collectifs. Mais au-delà de ça, ce qui est évoqué dans cette médiation, notamment, c'est au fond, qu'est-ce que c'est faire équipe ? Et on l'a bien vu, on a ouvert ce signifiant, on l'a fait circuler dans la médiation. Donc, pour ceux qui n'étaient pas là, c'est une médiation où à un moment donné, au-delà, je dirais, du litige et de ce qui a fait tension, la question qui se pose finalement, c'est la question de sa place. C'est je suis qui pour l'autre dans ce groupe ou dans ce collectif ? C'est moi, à quelle place je me vois, à quelle place je me verrai, finalement c'est ces écarts entre ce que je revendique d'une certaine manière, comme place ou comme fonction, et la place à laquelle les autres m'ont mis. Donc l'écart entre la place revendiquée et la place attribuée. Par exemple, voilà. Et donc, en effet, quand on ouvre ces questions-là, au-delà des sujets de tension, les questions qui vont se poser, c'est mais qu'est-ce que c'est que ce collectif ? C'est quoi faire équipe ? C'est quoi notre équipe ? Qu'est-ce que c'est équipe pour moi ? Et donc, ce matin, on l'a bien vu que pour certains, c'est faire un tout. C'est être toujours tous d'accord. Pour un autre, c'est pouvoir dire justement qu'on n'est pas en accord, qu'il y a une place pour le différent, qu'il y a une place pour la différence. Et en médiation collective, si c'est ce sujet qui sort, il y en a bien d'autres, c'est... Alors là, finalement, qu'est-ce que vous voulez inventer ? Qu'est-ce que c'est pour vous, aujourd'hui, ici, maintenant, faire équipe ? Donc finalement, ce qui a généré le conflit va être, on pourrait dire, intégré, d'une certaine manière, pour créer un collectif qu'ils ont choisi avec ce qui fait sens pour eux.

  • ETG

    Quand on te lit, on écoute justement tes formations sur la médiation collective, on mesure quand même l'extrême vigilance qui est celle des médiateurs, puisqu'en général, on y va toujours à deux, puisque avant, tu analyses la demande, tu vas t'interroger sur les conditions du recours à la médiation, tu vas faire attention à tout risque d'instrumentalisation. Pendant, on voit bien qu'il faut être multicapteur, j'ai envie de dire, pour être sensible à tout ce qui se passe. Après, c'est pareil, il y a une réflexion sur le passage de relais. Tout ça incite à une grande prudence. Quel conseil tu donnerais aux apprentis médiateurs qui sont passionnés par cet enjeu de permettre des espaces de dialogue au sein de l'entreprise ? Parce que comment passer le cap ? À un moment donné, il faut oser. On peut faire toutes les formations du monde. Si on n'y va pas, on ne se comprendra jamais à la réalité.

  • LV

    Alors, ce que j'aurais envie de dire par rapport à ça, c'est que ce n'est pas forcément facile à accepter. C'est que c'est pas nous qui décidons que c'est le bon moment pour qu'il y ait une médiation. Et j'aurais envie de dire comme ça, et j'en ai fait l'expérience il n'y a pas longtemps, c'est qu'il ne suffit pas qu'il y ait du désir pour qu'il y ait médiation collective. Pour qu'il y ait médiation, il faut qu'il y ait une demande. Voilà. J'ai envie de dire que dans la maturité du collectif, parfois ça va être tard, c'est-à-dire que les situations sont tellement cristallisées que les uns et les autres n'ont plus envie de mettre l'énergie ...à essayer de se reparler, à essayer de nommer des choses. Donc, les gens partent, et puis, je dirais, la structure, le système continue à faire sa vie. Donc, parfois, je dirais, c'est simplement plus le moment. Et puis, parfois, c'est trop tôt. C'est-à-dire qu'on a... pas fait suffisamment l'expérience de quelque chose qui est, je dirais, on pourrait le dire comme ça, qui est suffisamment insupportable. Donc on continue à supporter la situation telle qu'elle est. Donc finalement, le bon moment, c'est le moment où les acteurs se disent ben non, ras-le-bol quoi Et on a suffisamment de désirs et de possibilités de dire, c'est-à-dire de s'adresser à l'autre. aux autres, et d'entendre ce que l'autre a à dire.

  • ETG

    D'accord. Alors, ma question, elle était plus à l'attention des futurs médiateurs, qui ont envie de tenter cette expérience, mais on voit bien que le risque de faire une erreur, d'être maladroit, d'avoir... Voilà, même d'être instrumentalisé, puisque la demande de médiation, si elle vient d'un commanditaire qui a des projets derrière la tête, c'est... on est censé refuser d'y aller dans un cas comme ça. Donc est-ce qu'on accepte et on y va au risque, peut-être avec tout ce que ça implique, d'une certaine instrumentalisation ? Ou est-ce que toi tu incites vraiment à la plus grande vigilance ? Il ne vaut mieux pas en faire que d'en faire une qui soit peut-être un peu ratée ?

  • LV

    Alors on pourrait dire que le seul risque... s'il y en a un, c'est que ce soit pire après qu'avant. Donc ça veut dire quoi, pire après qu'avant ? Ça veut dire qu'on aurait, par notre passage, renforcé les résistances dans ce collectif qui est déjà en tension. C'est pour ça que j'insiste sur la phase préparatoire. Donc très très rapidement, on peut dire que la première étape, c'est d'avoir un mandant qui est bien situé, c'est-à-dire suffisamment en dehors du conflit, en responsabilité et légitime, suffisamment légitime aux yeux des acteurs. qu'il passe le relais au médiateur, c'est-à-dire qu'en aucun cas on ne prend la place des acteurs en responsabilité. Et donc suite à cette étape-là, quand tu parles d'instrumentalisation, je dirais qu'il est tout à fait légitime que des acteurs qui sont embêtés par une situation fassent appel à un tiers. Donc ce n'est pas une instrumentalisation du médiateur, c'est simplement, on ne sait plus par quel bout prendre les choses. On a tenté plein de choses, est-ce que vous pouvez nous donner un coup de main ? Donc je dirais qu'il n'y a pas d'instrumentalisation et qu'à la limite, ça à ce stade-là... On peut le vérifier. Si par exemple, il est prévu de se séparer d'une personne et que la personne n'est pas au courant, en effet, il ne peut pas y avoir de médiation. Voilà, par exemple. Mais une fois, je dirais qu'on a repéré ça. Ce qui me semble vraiment important et qui va sécuriser les choses, c'est qu'on va aller chercher ce qu'on appelle, alors c'est peut-être un peu jargonneux de le dire comme ça, mais c'est un second mandat. C'est-à-dire que... Les acteurs auprès desquels l'offre de médiation a été faite par le mandant, donc ça va être un DRH, un directeur, un maire, etc. On va aller vérifier avec eux que les conditions de médiation sont réunies. Donc c'est eux qui vont dire, on est partant. Et alors qu'est-ce qui va nous faire dire les conditions sont réunies ? Je dirais, c'est assez simple, c'est est-ce qu'on a suffisamment de désirs ? et d'envie et de possibilité de se mettre autour d'une table et de se dire ce qu'on a à se dire et d'entendre ce que l'autre a à dire.

  • ETG

    Il faut laisser de la place à sa vie.

  • LV

    Voilà. Donc en effet, il y a quand même quelques conditions à réunir.

  • ETG

    Et alors tu insistes aussi sur l'importance du cadre qui va favoriser et protéger ceux qui fait mouvement comme le tuteur dans la croissance de la plante. Et en même temps, ce matin, j'ai entendu attirer l'attention des médiateurs sur la volonté d'éviter la procédure, d'éviter l'effet tunnel. Ça va être comme ci, ça va être comme ça. Donc comment on trouve l'équilibre ? Parce que, et je t'ai entendu dire aussi, j'ai pas tenu le cadre ce matin. Donc c'est quand même la responsabilité du médiateur de tenir son cadre, surtout dans une réunion où il y a 12 personnes qui vont se dire des choses difficiles, on ne sait pas comment elles peuvent être prises. C'est une sacrée responsabilité ce fameux cadre.

  • LV

    Oui, je crois qu'on est là lorsque ça tangue, lorsqu'il y a des tensions. En effet, quand on dit tenir le cadre, c'est quoi le cadre ? C'est le médiateur. Voilà, c'est lui qui incarne le cadre, qui le pose et puis qui le... qui le tient. Quand ce matin, elle dit que je ne l'ai pas tenu, c'est que j'étais à la fois formatrice, médiatrice et que j'avais le regard sur la montre. Donc, en effet, quand on est à toutes les places, ça ne fonctionne pas. Donc, ça, c'est une très, très belle leçon. Par rapport à ça, il me semble qu'en effet, quand on est sollicité pour les situations de tension, les acteurs ont besoin d'être en sécurité. Donc, pour moi, la fonction du cadre, c'est surtout celle-ci. Une fois que quelque chose est suffisamment sécurisé, donc cet espace en fait, ce moment, ce lieu, ce temps, à l'intérieur, ça nous échappe. C'est-à-dire que ce qui se passe, du côté de ce qu'on pourrait appeler le processus, c'est-à-dire le processus pour moi, ça n'a rien à voir avec la procédure, ni le dispositif. Le processus, c'est ce qui se passe et ce qui échappe au médiateur, c'est-à-dire l'effet du questionnement du médiateur, l'effet de la circulation de la parole, c'est-à-dire tout ce qui va se transformer. par les échanges. Et donc là, il y a beaucoup de liberté et surtout de la confiance. Donc il me semble qu'on est sur cet équilibre entre un espace sécurisé, un cadre, et donc c'est pour ça qu'on a un certain nombre d'éléments, notamment on peut signer une convention d'entrée en médiation, et confiance dans la capacité des personnes à se dire ce qu'elles ont à dire et à trouver par elles-mêmes un chemin. Des solutions dont il s'agit.

  • ETG

    Alors justement, quand on est face à des manifestations fortes, les gens crient, peuvent pleurer, il y a des choses importantes qui sont dites. Comment garder son calme intérieur ? Comment ne pas être ébranlé ? Est-ce que c'est quelque chose que tu travailles ou est-ce que toi c'est ta nature profonde ? Parce qu'on voit qu'elle a l'image de quelqu'un qui est très calme, très ancré. Mais est-ce que c'est finalement un muscle que tu travailles tous les matins ? Ou c'est ta nature ? Il y a un mystère, Laure, là.

  • LV

    Vous devriez poser la question aux gens qui me connaissent bien en famille. Vous verrez que c'est ni dans la nature, ni inné. Je pense que ce qui s'exprime par des émotions qui débordent, c'est-à-dire les larmes, alors quand tu parles de cris, je pense que ça ne crie pas en médiation, puisqu'il y a quand même quelque chose qui peut se contenir, en tout cas qui prend l'ampleur.

  • ETG

    Oui, qui se fait sursauter.

  • LV

    C'est que quelque chose n'arrive pas soit à se faire entendre, soit à se connecter, soit à être entendu. Et donc, j'évoquais ça tout à l'heure, il me semble, en tout début d'échange entre nous, c'est-à-dire les émotions. Ça s'accueille de manière inconditionnelle. Donc quelqu'un qui, mettons, se met... Bon, là, par exemple, à pleurer, ou quelqu'un qui se met à être très très en colère, c'est quelqu'un qui a quelque chose d'important, de vital à dire et à faire entendre. Donc, on pourrait presque dire, si vous voulez, que l'émotion, c'est une porte d'entrée, c'est un accès, en fait. Voilà. Et donc, c'est un peu contre-intuitif, parce qu'on a quand même été éduqués pour contenir tout ça. Alors qu'en fait, c'est simplement une porte d'entrée, un accès. Voilà. Donc... Voilà, comment on accueille ça, et puis surtout, comment on permet aux personnes de dire ce qu'elles ont à dire.

  • ETG

    Et justement, c'est ce qui me venait ce matin en vous regardant, je trouve que l'espace de médiation, c'est quand même un espace de vraie liberté, parce que non seulement on recherche cette parole vraie qui circule et qui est parfois... Ça vient de très loin, mais même je te regardais, tu bouges beaucoup en fait avec le corps, et d'ailleurs tu insistais sur cette dimension corporelle. Toi tu t'es formée à des pratiques de théâtre, de danse, d'expression corporelle, où c'est pareil, c'est assez intuitif, je te voyais bouger. Le médiateur physiquement, il doit vraiment être là.

  • LV

    Je pense que le corps est absolument essentiel, central, c'est là que ça se passe. C'est-à-dire que... Les émotions, on les reçoit dans le corps, on les ressent. Et si, en tant que médiateur, je me suis coupée de mes émotions, c'est extrêmement difficile d'être à cette place-là. Donc c'est un moment, la médiation, où le mental n'est pas roi, on pourrait dire. C'est-à-dire que justement, c'est peut-être ça qui fait que la médiation est un espace précieux. C'est-à-dire qu'on va essayer d'aller... Alors on n'est pas du côté du pourquoi, c'est pas le sujet, c'est pas le lieu, on n'est pas là pour creuser. Voilà, mais on est vraiment du côté du qu'est-ce qui s'est passé, du en quoi ça aurait été important pour vous, de quoi auriez-vous besoin à ce moment-là, qu'est-ce qui s'est joué, voyez ? C'est-à-dire, tu vois, c'est vraiment, je crois, faire place en fait, faire place à... Vraiment, pour moi, le mot qui me vient, c'est pour ça que je trouve que le conflit, la conflictualité est extrêmement précieux. C'est que c'est juste un écran de fumée à la vitalité, en fait. C'est pour ça que quand on travaille sur des conflits, on ne travaille pas que sur du dur, que de la difficulté, que de la violence. Pas du tout. La violence, c'est un écran, en fait, c'est un passage. Mais qu'est-ce qui cherche à se faire entendre ? C'est ça qu'on va faire émerger en médiation. C'est vrai.

  • ETG

    Et justement, ce matin, tu disais que quand on traverse quelque chose avec quelqu'un, ça parle de nous. Et là, t'inciter en tout cas à se connecter à ce qu'on ressent et t'évoquer cette idée des empreintes émotionnelles qu'on a en soi. Est-ce que tu peux revenir là-dessus ?

  • LV

    Oui, je ne vais pas aller forcément très loin là-dessus là ensemble, mais ce que je peux dire, c'est que je pense. Alors ça, tu vas me dire que c'est une croyance, oui, j'assume. J'assume cette croyance issue de l'expérience. qui est que c'est pas un hasard quand on est en conflit avec quelqu'un et qu'il y a quelque chose qui cherche à se faire entendre et très souvent c'est quelque chose qu'on ne veut pas voir et que tant qu'on ne s'est pas connecté tant qu'on ne le voit pas tant qu'on ne le reconnait pas tant qu'on n'arrive pas à mettre du sens là-dessus tant que c'est non nommé Dans tous ces moments, je dirais, de tension, oui, ça vient sonner à la porte des émotions, ça vient sonner... Alors voilà, certains vont appeler ça les empreintes émotionnelles qui sont dans le corps et je dirais qu'ils sont, on pourrait dire, convoqués lorsque quelqu'un nous interpelle, en tout cas à quelqu'un avec lequel on est en conflit. Et c'est vrai que... Récemment, à un moment donné, à faire une pause, au moment où on propose à chacun de prendre la parole et de dire qu'est-ce que vous avez entendu d'important pour l'autre, ce qu'on appelle la reconnaissance mutuelle, et assez récemment, j'ai vraiment senti l'intérêt, à cette étape-là de la médiation, de dire je vous propose là maintenant de prendre une minute pour chacun, pour se connecter à quelque chose que vous venez d'apprendre. dans cette situation de tension entre vous. C'est-à-dire qu'on démarre la médiation en se disant vraiment le problème c'est l'autre et je vais entrer en médiation pour lui dire vraiment ce qu'il a besoin d'entendre, en argumentant, en donnant mon avis, etc. Et il me semble que parfois, c'est pas toujours possible, mais que parfois les choses se circulent d'une manière que je repère quelque chose qui en effet... parle de moi. Alors d'une blessure, d'une empreinte, chacun l'appelle comme il veut. Mais en tout cas, quelque chose qui est un peu à vivre, qui n'est pas digéré, on peut dire ça comme ça, si on veut le dire simplement, et que j'ai besoin de repérer pour grandir. Et donc en effet, tant que ça n'est pas capté, mis au travail, ça va perdurer.

  • ETG

    J'avais une question sur tes enquêtes, puisque tu m'as parlé à mon tout début du fait que tu faisais des enquêtes harcèlement, discrimination. Est-ce que ta méthodologie de travail, elle emprunte au processus de médiation collective ? Est-ce que tu commences de la même façon avec l'équivalent d'une assemblée générale et des entretiens individuels que tu vas mener ?

  • LV

    Alors là, c'est vraiment toute autre chose, j'ai envie de dire. C'est-à-dire que là, on était dans le champ de la médiation où les acteurs sont autour de la table. pour nommer ce qu'ils ont à nommer. Là, ce que tu évoques, c'est plutôt le champ des interventions, plutôt de conseils, donc diagnostics, enquêtes. Et là, on est sollicité, en effet, pour essayer de qualifier des situations. Donc ça, c'est toute autre chose, bien plus difficile. Et ce qui, en effet, pour moi, est toujours très difficile, c'est comment je fais... Alors, on va repérer des faits, voilà. Mais comment je fais pour faire place aux vérités subjectives, aussi. C'est-à-dire que, je peux donner un exemple d'une enquête notamment, où on était vraiment sur des choses qui, en apparence, étaient très anecdotiques. On se dit, mais vraiment, quand on regarde ça de l'extérieur, on se dit, mais c'est des gamineries, c'est pas possible d'arriver à une accusation de harcèlement. Pour ces faits-là. Et l'expérience vraiment très forte pour moi de la médiation, de ce que j'ai appris, c'est que ce n'est pas tellement les faits qui comptent, c'est la représentation et le vécu sur ces faits. Donc un objet, un objet par exemple balancé sur le côté, ça peut paraître une maladresse. Mais à part que si balancer un objet sur le côté, pour moi, c'est... Ça a une signification extrêmement profonde parce que ça parle de quelque chose qui est tout à fait crucial dans mon existence. Alors ce geste-là va prendre une ampleur tout autre. Mais ça, évidemment que je ne vais pas le dire. Je vais le garder pour moi et donc je vais attribuer à l'autre une intention qui est de me nuire. Et je suis persuadée, mais vraiment profondément persuadée, que l'intention de l'autre c'est de me nuire.

  • ETG

    Voilà, bien sûr. Alors comment tu restitues ça à ton mandataire ? Parce que ça, c'est une vraie difficulté. La subjectivité du ressenti du harcèlement, on le voit quotidiennement. Et moi, ce que je vois dans mon travail, c'est la difficulté des enquêteurs à se positionner sur le bon registre. Parce que soit on se dit qu'on est des enquêteurs type Colombo et on va rechercher si le délit pénal est constitué. Neuf fois sur dix, il ne l'est pas. Il y a une vraie difficulté et en même temps l'expérience subjective de la personne, qu'est-ce qu'on en fait ?

  • LV

    C'est très délicat, c'est pas confortable, c'est pas facile.

  • ETG

    Ça incite quand même à...

  • LV

    Beaucoup de prudence. Beaucoup de prudence, je pense que...

  • ETG

    Tu me donnes des idées de contestation d'enquête bidon.

  • LV

    Je pense que...

  • ETG

    Ce qui revient à nous en cabinet d'avocat, les enquêtes, tu leur fais dire ce que tu veux. Mais c'est assez rare que la réalité, le vécu de la personne qui se plaint soit restitué dans cette enquête.

  • LV

    Ce sont des exercices extrêmement délicats. Je pense qu'en effet, comme tu dis, beaucoup de prudence. Et puis peut-être accepter que parfois on n'a pas les éléments pour qualifier les situations. Et le dire clairement.

  • ETG

    Alors, tu expliques que c'est la représentation sur laquelle on travaille en médiation, la représentation du groupe, et notamment d'un groupe social, qui détermine son identité. Et tu insistais dans ton travail de mémoire au CNAM sur l'importance de la référence au mode de la souffrance, de la victimisation. Tu évoques les narcissismes collectifs, j'ai trouvé ça d'une grande actualité. Et tu expliques que justement un des enjeux c'est de faire dériver la confrontation de l'affrontement de valeurs vers un débat sur les systèmes de valeurs pour que la différence devienne un vecteur des échances et pas seulement un symptôme. Mais est-ce que concrètement on a tous intérêt à la médiation ? À partir du moment où le groupe se construit sur cette représentation ?

  • LV

    Hum. Il me semble que comme je l'évoquais tout à l'heure, il y a une dynamique de groupe qui se met en place. Le groupe finalement peut le considérer comme un système. Et dans le système, les uns et les autres vont se mettre à des places différentes. Et il me semble que ce qu'on peut tenter, mais vraiment avec énormément de modestie, parce que si ce n'est pas le moment, ce n'est pas le moment, c'est précisément de faire en sorte que les uns et les autres puissent se déloger. Et sortir des cases. Parce qu'il me semble que c'est ça qui est violent dans les situations de conflit, qui se sont cristallisées, c'est qu'on est enfermé. Voilà, on porte une étiquette. T'as l'emmerdeur de service, t'as celui qui monopolise, t'as celui qui dit jamais rien par devant mais qui part derrière, etc. Bref, chacun finalement est catalogué et agit d'une certaine manière avec cette étiquette, qu'il le veuille ou non. C'est-à-dire que quand je me suis mise à une place de victime, c'est très très difficile d'en sortir. Alors quand je me suis mise, quand les autres m'ont mise, c'est une responsabilité partagée. Et donc en effet, ça demande un certain courage, j'ai envie de le dire comme ça, de se dire quelle est ma part dans cette affaire. Alors je sais que dire ça, ça peut être vraiment dur à accepter et à entendre pour certains, parce que quand on vit des choses extrêmement dures, c'est impensable de penser qu'on puisse avoir une part. Je ne fais pas référence là à des situations extrêmes. On est en... contexte professionnel. Et donc, en effet, pour moi, en médiation, alors je pense que ce que je dis là va peut-être... Je pense que certains médiateurs ne seront pas d'accord avec ça, mais ça ne fait rien, tant pis, je le dis, quitte à ce que ça crée du débat. Mais pour moi, en médiation, il n'y a pas de victime. Voilà. Et il n'y a pas de bourreau non plus. Je pense qu'on a des êtres, des acteurs qui ont fait ce qu'ils ont pu, qui ont fait ce qu'ils ont fait, et que quelque chose là peut se faire entendre au-delà, ou en-dessous plutôt, je devrais dire, de ce qui a généré, pour le coup, sans aucun doute, beaucoup de souffrance, beaucoup de violence. Mais en tout cas, ce qui est central pour moi, quelles que soient les paroles qui ont été... prononcées ou les actes qui ont été menés, c'est que personne n'est réduit à ce qu'il a pu faire ou pu dire.

  • ETG

    C'est une deuxième chance, presque, non ?

  • LV

    En tout cas, c'est pour moi ce qui donne sens à ce travail. Je pense qu'il y a toujours une ouverture possible, je pense qu'il y a une prise de conscience. Je pense qu'il y a toujours une prise de conscience possible sur ce qu'on a pu dire, faire et sur les impacts que ça a eu.

  • ETG

    Alors sur un plan personnel, et ce sera mon avant-dernière question, est-ce que tu as eu des ressources philosophiques, théoriques qui t'ont nourri sur ce chemin de la médiation, des ouvrages qui t'ont marqué, qui ont vraiment construit ton approche ?

  • LV

    J'ai beaucoup appris dans des groupes dans lesquels on s'est questionné sur la place, on s'est questionné sur la pratique et avec lesquels on a cheminé, on a constitué, tissé cette approche. Pour moi c'est vraiment une approche qui s'est constituée et qui continue d'ailleurs à évoluer. Voilà, je crois que ça fait peut-être une vingtaine d'années qu'on est sur ce chemin-là. Et je pense que ça va continuer à évoluer, notamment aujourd'hui se pose la question de la liberté d'adhésion et du volontariat. Je pense vraiment important, moi, de maintenir cette dimension-là. C'est de plus en plus difficile parce que quand on nous sollicite, on nous dit qu'ils n'auront pas le choix. Il faut sortir de cette crise, donc il faudra qu'ils soient autour de la table. Et ce que moi j'ai pu constater, c'est que quand les uns et les autres n'ont pas le choix, alors ça résiste. Donc comment est-ce qu'on peut nous soutenir la place à une certaine forme de liberté ? Il ne peut pas y avoir une médiation forceps, ce n'est pas possible.

  • ETG

    Et alors as-tu interrogé ton propre rapport au conflit ?

  • LV

    Est-ce que toi tu es plutôt dans l'évitement, la confrontation,

  • ETG

    la paralysie ? La confrontation, la médiation.

  • LV

    Oui, mais j'avais beaucoup peur. J'avais beaucoup de peur. Et donc c'est ça que j'ai travaillé. Qu'est-ce qui fait peur, en fait ? Qu'est-ce qui fait peur dans la violence ? À quoi ça renvoie ? Donc c'est ça que je suis allée rechercher. C'est ça que je suis allée rechercher, d'un côté. Et de l'autre, je dirais, c'est qu'est-ce qui fait... que ça m'intéresse d'être à cette place de tiers, au milieu du conflit des autres. C'est quand même pas rien.

  • ETG

    Bien sûr. Alors, tu as trouvé la question ? Tu as trouvé la réponse ?

  • LV

    Oui, oui, ça...

  • ETG

    Alors, j'avais l'impression que c'est quand même de l'ordre de l'engagement, moi que je qualifierais un peu de politique. Non, cette foi, justement, dans la... L'intérêt, la valeur que ça représente de créer cet espace où justement cette confrontation à l'impossible et de l'utilité que ça a de rendre... Est-ce que c'est pas franchement ta façon de contribuer à un collectif meilleur ?

  • LV

    Ce qui est central, essentiel pour moi, je crois, c'est au départ de pouvoir nommer les choses. C'est déjà beaucoup. de pouvoir faire en sorte que quelque chose d'important soit entendu. Ça, c'est encore une autre étape. Ce n'est pas toujours possible. Et ce que je crois, en effet, c'est que quand l'un et l'autre sont rendus possibles, alors, une transformation a lieu. Et en effet, moi, c'est cet endroit-là qui est mon désir de médiation. C'est du côté de la transformation et de l'évolution, en effet. Je ne sais pas si c'est politique, si c'est...

  • ETG

    C'est comme ça qu'on change le monde. Si on agit sur les représentations des uns et des autres, on arrive quand même à faire passer...

  • LV

    En tout cas, j'ai beaucoup de mal avec le binaire, on pourrait dire. Et donc je suis plutôt du côté, lorsque tu évoquais les ouvrages, il y en a un qui me vient tout d'un coup, je suis plutôt du côté d'une... Je dirais de... Voilà... Cette forme d'acceptation des antagonismes à l'œuvre. Comment est-ce qu'on peut, je dirais, se faire se rencontrer, en fait, ces antagonismes-là, et donc accepter une forme de complexité ? Je pense notamment à De Morgon, au Morin, à des acteurs qui ont travaillé ces enjeux-là. C'est-à-dire sortir d'une vision binaire, c'est-à-dire j'ai raison, l'autre a tort, ou des visions binaires qui seraient du côté de mes valeurs, ma vision, ma vision de la vie. du monde à l'acceptation que l'autre est autre.

  • ETG

    C'est l'enjeu de société là.

  • LV

    Mais c'est costaud d'accepter ça. C'est pas évident.

  • ETG

    C'est sûr, écoute je te remercie beaucoup Laure, on a terminé

  • LV

    Merci, merci à toi

  • ETG

    Merci d'avoir écouté cet épisode n'hésitez pas s'il vous a plu à le partager autour de vous et à le noter sur Apple Podcast cela aide à faire connaître la médiation et plus particulièrement la médiation collective vous pouvez également me faire part de vos remarques via mes réseaux ou sur mon site internet etgavocat.fr A bientôt, au revoir.

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Description

Pour ce 8ème épisode d'Antidot, j'ai le plaisir de recevoir Laure Veirier, Psychologue Interculturelle devenue Médiatrice, Consultante et à la direction depuis 2014 de la formation "Pratiques de médiation" au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).


Fondatrice du cabinet Interstice Médiation, Laure a développé une expertise en médiation collective en entreprise, dans le secteur public ou privé.

Elle réalise des enquêtes pour caractériser des situations de harcèlement ou de discrimination.


Elle est également auteure de l'ouvrage "Enjeux de la médiation collective au travail, pour un processus favorisant l'interculturalité", paru aux éditions Brochet.


Dans cet épisode, Laure Veirier évoque son parcours professionnel, ses premiers travaux réalisés sur les questions de diversité culturelle et sa découverte de la médiation, activité du langage.


Elle évoque comment la médiation, espace de dialogue, peut aussi être le lieu d'invention d'une culture commune, notamment dans un collectif de travail, au sein d'un service ou d'une équipe traversée par des tensions ou difficultés.


Nommer, dépasser, inventer, autant de possibilités permises par le recours à la médiation collective dont Laure expérimente depuis de nombreuses années le processus et les bénéfices.


Je vous souhaite une très bonne écoute.

Émilie

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Retrouvez Laure Veirier sur Linkedin


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En attendant de se retrouver le 10 de chaque mois pour un nouvel épisode, je vous invite à vous abonner au podcast et à laisser 5 étoiles sur votre plateforme d’écoute préférée.


Si vous souhaitez continuer la discussion autour de la médiation, retrouvez-moi sur mon compte Linkedin Emilie Thivet-Grivel.


Et si vous souhaitez en savoir plus sur le cabinet ETG Avocats et nos services de médiation, rendez-vous ici.


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Crédits :

Antidot est un podcast d’Emilie Thivet-Grivel.
Stratégie : Mélanie Hong.
Montage et mixage : Morgane Bouchiba.
Designer graphique (vignette) : Emma Wise.
Musique  : Aberdeen, Greg McKay.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • ETG

    Bonjour, vous écoutez Antidote, le podcast qui interroge notre rapport au conflit. Je m'appelle Émilie Thivet-Grivelle, je suis avocate et médiatrice, fondatrice du cabinet ETG Avocats. Chaque mois, je vais à la rencontre de professionnels qui ont changé de regard sur la conflictualité et qui l'organisent autrement. Pour ce huitième épisode, je reçois Laure Verrier. Psychologue interculturelle, devenue médiatrice, formatrice et consultante, Laure Verrier dirige depuis 2014 le certificat pratique de médiation du Conservatoire national des arts et métiers. Faire du conflit une ressource, c'est le mantra du cabinet Interstice Médiation qu'elle a fondé et dans lequel elle a développé avec ses associés une expertise de la médiation collective. Laure réalise aussi des enquêtes pour caractériser des situations de harcèlement ou de discrimination et intervient au sein de différents dispositifs publics d'appui aux relations de travail. On peut la lire dans un ouvrage paru aux éditions Brochet, Enjeu de la médiation collective au travail pour un processus favorisant l'interculturalité. Je vous souhaite une très bonne écoute. Alors ma première question, Laure, comment tu as été conduite à t'intéresser à la médiation et à souhaiter t'y former ?

  • LV

    Alors, je dirais que je suis arrivée à la médiation par la question de la diversité culturelle. Voilà, donc je suis, comme tu l'as dit, j'ai travaillé quelques années à l'UNESCO, dans des zones, en fait, en tout cas en lien avec des zones en conflit, et notamment dans des zones où la question de la langue était à l'origine, enfin à l'origine, une des origines des tensions. Voilà, et donc je suis vraiment arrivée à la médiation. Moi, par le conflit, le conflit sur des territoires que je ne connaissais pas, très très peu. Et donc j'ai découvert la médiation dans la ville de Montreuil, dans laquelle j'habitais, à travers une démarche de formation de... Je crois qu'à l'époque on appelait déjà ça la médiation citoyenne. Et donc j'ai rencontré Catherine Woursch, qui a été... J'ai rencontré Elisabeth Collard d'ailleurs, je me rappelle. Et puis Catherine Woursch, qui a été une médiatrice qui a beaucoup compté pour moi. avec qui j'ai rencontré la médiation.

  • ETG

    D'accord. Et qui a une attention particulière sur le langage.

  • LV

    Je me souviens que c'est ce qu'elle disait au début du diplôme du CLAM.

  • ETG

    Savoir qu'en fait, on ne se comprend jamais.

  • LV

    Oui, quand on évoque cette notion de médiation, pour moi, en tout premier lieu, c'est une activité du langage, en effet. Donc, une activité autour du mal-entendu.

  • ETG

    Et du coup, comment tu as fait le lien entre tes expériences sur d'autres continents et dans des contextes conflictuels avec la médiation que tu pratiques aujourd'hui ? Ça a été assez naturel ?

  • LV

    Je ne sais pas si j'ai fait le lien, puisque ça s'est fait au cours de la vie, en chemin. Ce que je dirais aujourd'hui par rapport à ta question, pour moi la question c'est la question de l'altérité. Je dirais ça comme ça, c'est-à-dire que j'ai démarré sur ces enjeux de diversité culturelle, d'interculturalité. Et assez vite, j'ai été confrontée au fait que concrètement, alors quand j'ai commencé à travailler en France sur des territoires, sur des villes en fait, françaises, sur les questions de laïcité, de gestion de la diversité culturelle, et au fond, les questions se posaient de manière très très concrète, autour de la nourriture. dans les cantines, pour des élus autour de la question du voile. Voilà, donc c'était vraiment des questions extrêmement concrètes qui se posaient et je voyais bien qu'il y avait besoin d'ouvrir ces notions-là. Quand on dit laïcité, on parle de quoi ? Et donc j'étais assez vite confrontée à des positions. Des positions tout à fait compréhensibles au vu de l'histoire de ceux qui les portent. Quand on s'est battu pour qu'il y ait par exemple une séparation entre l'Église et l'État, il est compréhensible que l'on tienne à ce que dans le territoire dans lequel on est élu, par exemple, il y ait une certaine laïcité qui puisse vivre et perdurer. Et donc assez vite, j'ai été confrontée à des antagonismes, on peut dire ça comme ça, entre d'un côté... culture, religion, différence, voilà. Et donc, de ces antagonismes-là, comment faire pour les faire, je dirais, cohabiter ? Comment on passe, en fait, de visions qui peuvent être assez vite binaires ou cristallisées à une articulation, je dirais ? Alors, à l'époque, moi, je parlais d'interculturalité, c'est-à-dire comment est-ce qu'on crée, en fait ? Finalement, qu'est-ce que c'est ? C'est inventer. un espace nouveau, puisqu'on fait face à des situations qui deviennent impossibles. Et dans des situations impossibles de blocage, il nous reste une chose à faire, c'est l'inventer. Soit c'est de partir en courant, c'est une option, soit c'est de taper du poing sur la table en disant ce sera comme ça. Que l'on lâche l'affaire ou que l'on tape du poing sur la table, ça revient. Ça se répète. Donc à un moment donné, si on veut essayer d'avancer et sortir de ces répétitions, on se met autour de la table. On essaie d'entendre ce qui est vital, c'est peut-être un peu fort, mais en tout cas ce qui est essentiel pour les acteurs.

  • ETG

    Encore faut-il qu'il y ait une volonté. De se mettre autour de la table, c'est bien ça l'enjeu.

  • LV

    Oui, alors, oui,

  • ETG

    une volonté.

  • LV

    Une volonté et en même temps, parfois, je crois qu'il y a des situations qui sont, je dirais, suffisamment difficiles à vivre pour qu'on se dise, bon, là, on y va. En tout cas, c'est dans mon expérience, c'est ce que j'ai pu constater.

  • ETG

    Qu'est-ce que c'est que l'interculturation ?

  • LV

    L'interculturation, en fait, assez simplement, ce que j'ai envie de dire par rapport à ça, c'est que j'ai fait des liens, moi, en fait, assez vite, entre la médiation, comme espace, notamment dans un collectif, et cette notion de l'interculturation, c'est-à-dire, au fond, comment on nomme, on fait émerger, et on dépasse les différences. Donc on est vraiment, pour moi, du côté de l'invention. C'est ça que je trouve intéressant dans cette notion d'interculturation, c'est-à-dire qu'on va créer C'est une culture commune. D'accord. C'est ça qu'on peut sous-entendre par métabolisation, c'est-à-dire qu'on ne reste pas campé sur des positions ou sur des cultures d'origine, mais on va inventer quelque chose de nouveau. Mais pour inventer, il faut nommer les choses. Donc je dirais que la médiation, pour moi notamment la médiation collective, c'est un espace dans lequel on a affaire avec l'autre. l'autre singulier, mais l'autre aussi qui vient résonner, puisqu'il y a plusieurs autres. Donc on a ce travail-là, je dirais, de nommer, transformer, dépasser, inventer, créer.

  • ETG

    Et justement, tu expliques qu'il s'agit de passer de l'implicite à l'explicite. Et tu encourages d'ailleurs les médiateurs que tu formais ce matin, puisque j'ai assisté à la formation que tu donnes au CNAM. Tu as encouragé les médiateurs à accueillir ce qui est dit par les participants à la médiation et nommer ce qui transparaît, c'est-à-dire leur désir ou au contraire leur crainte, leur reticence, leur fermeture. Alors, dans toutes les expériences que tu conduis de médiation, dans des contextes conflictuels au travail, est-ce que tu entends des mots MAUX et des mots MOT très fréquemment dans ces situations de tension au travail ? Est-ce qu'il y a des choses qui reviennent quasi systématiquement ?

  • LV

    Ce que j'aimerais dire par rapport à ça, c'est qu'il me semble que quand on parle, en tout cas lorsque l'on est en médiation et que les uns et les autres s'expriment, on a en tant que médiateur à accueillir ce qui cherche à se dire de manière inconditionnelle. Quand je dis ce qui cherche à se dire, c'est-à-dire souvent ce qui est ressenti. Et que précisément les uns et les autres n'arrivent pas à dire, n'arrivent pas à faire entendre. Voilà, donc c'est beaucoup plus facile d'aller dire à l'autre ce qu'il devrait faire, ce qu'il aurait dû faire ou de faire des reproches à l'autre. que de se connecter à ce qui s'est passé pour moi à ce moment-là, quand il s'est passé ce qui s'est passé. Et donc, de dire au fond ce qui s'est joué, ce qui est important pour moi, ce qui est vital pour moi. Donc, c'est ce que j'évoquais ce matin certainement, c'est-à-dire essayons de rejoindre de manière inconditionnelle les uns et les autres. parfois, il y a, je dirais, peut-être ce qu'on peut appeler une certaine forme de recadrage sur la forme, parce que la forme peut être inappropriée. Mais dans le fond, il y a des choses essentielles qui cherchent à se faire entendre. Et il me semble que c'est ça qu'on a à entendre en tant que médiateur.

  • ETG

    C'est la première étape, en fait. C'est vraiment rejoindre les gens dans ce qu'ils expriment. Voilà. Pour qu'ils soient réceptifs à autre chose derrière.

  • LV

    Tout à fait. C'est-à-dire que tant que... Je ne suis pas entendue, mais vraiment entendue, ce n'est pas juste en surface. Alors, je ne peux pas entendre l'autre, même s'il est à 1m50 de moi. Ça peut paraître étonnant. Donc, c'est pour ça que même dans le collectif, on travaille vraiment sur du singulier. Ça, ça me semble tout à fait important. Et c'est pour ça que le début d'une médiation collective, c'est place à chacun. Quand on dit en médiation qu'on est du côté de la séparation et du singulier, c'est vraiment ça. Entre autres, quand je dis séparation, ça va au-delà, notamment séparation avec l'imaginaire. Où est-ce que je situe l'autre dans mon imaginaire ? Mais en tout cas, vraiment, ça me semble tout à fait important, faire place à chacun, accueil inconditionnel de ce qui est. important pour chacun, et ensuite peut-être quelque chose peut se faire entendre. Et s'entendre, du coup.

  • ETG

    Et alors justement, ce matin, tu as incité les médiateurs à aller directement vers ce qui est chaud au sein du collectif. Alors quand on dit chaud, on pense à ce qui a fait crise, en fait. Et donc est-ce que si on devait résumer, c'est vraiment ça l'enjeu de la médiation collective, de nommer ce qui a constitué la jeunesse de la crise ? C'est un indispensable, c'est un incontournable. On peut dire qu'on ne réussit pas une médiation collective si on n'arrive pas à retraverser ce moment qui a fait difficulté. Et ce matin, on avait un exemple, pour que les gens comprennent, d'une pétition qui avait été signée par une personne et pas une autre. Et en tout cas, c'est cet événement-là qui avait fait conflit dans le collectif.

  • LV

    Dans un collectif, lorsqu'on est sollicité, souvent on arrive alors que la situation est cristallisée. Et on pourrait dire qu'on a deux niveaux de conflit. On a les tensions, les conflits liés aux situations, aux fonds, aux enjeux, aux sujets, aux relations. Et on a un conflit dans le conflit au sens où la manière dont on a essayé de traiter les choses a généré elle-même des tensions. C'est ça que j'appelle le conflit dans le conflit. Et donc typiquement, par exemple, une lettre, un courrier, une pétition qui a été engagée, initiée par certains, avec laquelle d'autres n'étaient pas en face, et donc ça a généré de nouvelles tensions. Et il me semble, alors ça c'est vraiment dans l'expérience qu'on peut avoir, d'ailleurs j'aimerais juste rappeler que la médiation collective qu'on enseigne au CNAM notamment, est issue d'une vingtaine d'années maintenant d'expérience, et notamment au groupe médiation, que j'aimerais citer. ce qui me semble tout à fait important de le faire ici. Donc, oui... Il me semble vraiment important de permettre à ces personnes qui sont en médiation de se reconnecter au moment où il y a eu blocage, donc ce qu'on appelle les éléments déclencheurs, c'est-à-dire le moment de cristallisation, c'est ce que j'appelais peut-être un moment chaud, c'est-à-dire un accueil loupé, une arrivée loupée, une pétition, un changement qui n'a pas été compris. Donc vraiment d'essayer de se connecter à ces moments-là et que chacun puisse dire sa vérité. comment moi j'ai vécu les choses à ce moment-là. Et en médiation, les uns et les autres font l'expérience de ces écarts, de ces malentendus, de ces écarts de représentation et de vécu.

  • ETG

    C'est ça la vertu pédagogique, en fait, de faire se reconnecter à ce que les gens ont vécu à un instant T. C'est pour que l'autre personne, les autres, puissent entendre comment cela a été vécu, qu'ils n'ont même pas pu conceptualiser.

  • LV

    Mais absolument, parce que quand je vis un événement, je le vis avec mes propres yeux, ma propre réalité. Donc... Il me semble évident que quelqu'un qui arrive, c'est à lui de faire ceci ou cela. Et le quelqu'un en question, lorsqu'il peut dire dans quel état il était au moment où il est arrivé, par exemple, là ce matin c'était quelqu'un en responsabilité, c'était une directrice d'établissement, à ce moment-là ça change tout. C'est-à-dire qu'à ce moment-là, oui, moi j'aurais bien aimé aussi faire ça, ou j'aurais bien aimé ceci, cela. Mais au moment, là, dans notre histoire commune, au moment où je suis arrivée, ce n'était pas possible. Et voilà ce que moi j'ai vécu. Donc je dirais qu'il y a une... On pourrait dire qu'il y a deux vérités subjectives qui se rencontrent, qui font l'expérience du malentendu ou tout simplement des écarts. Et une nouvelle, est-ce qu'on peut appeler ça une nouvelle vérité ? En tout cas, une histoire commune qui est en train de se tisser autrement. Et donc, je vois l'autre autrement que comme je l'avais vu jusqu'à présent. Et donc, il ne s'agit pas d'être d'accord ou pas d'accord, il s'agit simplement de se dire qu'en fait, on s'est fait chacun son histoire.

  • ETG

    Et ce matin, je t'entendais aussi inciter finalement à une réflexion, en tout cas t'interroger les participants à cette médiation, sur ce que ça veut dire un collectif, qu'est-ce que ça veut dire de faire équipe, qu'est-ce que ça veut dire de manager, etc. C'est aussi des sujets qui reviennent fréquemment. Pour toi, c'est quoi un collectif ?

  • LV

    Oui, justement, un collectif, ça répond, il y a des conditions à réunir pour être un collectif, notamment en termes de liens, de solidarité, de soutien, de reconnaissance aussi mutuelle. Voilà. Et ces conditions ne sont pas toujours réunies. Je dirais aujourd'hui, dans les contextes d'accélération, dans le contexte de télétravail qui est de plus en plus, je dirais, amplifié, dans la société dans laquelle on évolue, façonner, créer, soutenir des collectifs de travail, c'est un sacré défi. Voilà. Et donc, on a en effet des acteurs qui travaillent en silo et qui ne sont pas... ne crée pas, en fait, qui ne constitue pas des collectifs. Mais au-delà de ça, ce qui est évoqué dans cette médiation, notamment, c'est au fond, qu'est-ce que c'est faire équipe ? Et on l'a bien vu, on a ouvert ce signifiant, on l'a fait circuler dans la médiation. Donc, pour ceux qui n'étaient pas là, c'est une médiation où à un moment donné, au-delà, je dirais, du litige et de ce qui a fait tension, la question qui se pose finalement, c'est la question de sa place. C'est je suis qui pour l'autre dans ce groupe ou dans ce collectif ? C'est moi, à quelle place je me vois, à quelle place je me verrai, finalement c'est ces écarts entre ce que je revendique d'une certaine manière, comme place ou comme fonction, et la place à laquelle les autres m'ont mis. Donc l'écart entre la place revendiquée et la place attribuée. Par exemple, voilà. Et donc, en effet, quand on ouvre ces questions-là, au-delà des sujets de tension, les questions qui vont se poser, c'est mais qu'est-ce que c'est que ce collectif ? C'est quoi faire équipe ? C'est quoi notre équipe ? Qu'est-ce que c'est équipe pour moi ? Et donc, ce matin, on l'a bien vu que pour certains, c'est faire un tout. C'est être toujours tous d'accord. Pour un autre, c'est pouvoir dire justement qu'on n'est pas en accord, qu'il y a une place pour le différent, qu'il y a une place pour la différence. Et en médiation collective, si c'est ce sujet qui sort, il y en a bien d'autres, c'est... Alors là, finalement, qu'est-ce que vous voulez inventer ? Qu'est-ce que c'est pour vous, aujourd'hui, ici, maintenant, faire équipe ? Donc finalement, ce qui a généré le conflit va être, on pourrait dire, intégré, d'une certaine manière, pour créer un collectif qu'ils ont choisi avec ce qui fait sens pour eux.

  • ETG

    Quand on te lit, on écoute justement tes formations sur la médiation collective, on mesure quand même l'extrême vigilance qui est celle des médiateurs, puisqu'en général, on y va toujours à deux, puisque avant, tu analyses la demande, tu vas t'interroger sur les conditions du recours à la médiation, tu vas faire attention à tout risque d'instrumentalisation. Pendant, on voit bien qu'il faut être multicapteur, j'ai envie de dire, pour être sensible à tout ce qui se passe. Après, c'est pareil, il y a une réflexion sur le passage de relais. Tout ça incite à une grande prudence. Quel conseil tu donnerais aux apprentis médiateurs qui sont passionnés par cet enjeu de permettre des espaces de dialogue au sein de l'entreprise ? Parce que comment passer le cap ? À un moment donné, il faut oser. On peut faire toutes les formations du monde. Si on n'y va pas, on ne se comprendra jamais à la réalité.

  • LV

    Alors, ce que j'aurais envie de dire par rapport à ça, c'est que ce n'est pas forcément facile à accepter. C'est que c'est pas nous qui décidons que c'est le bon moment pour qu'il y ait une médiation. Et j'aurais envie de dire comme ça, et j'en ai fait l'expérience il n'y a pas longtemps, c'est qu'il ne suffit pas qu'il y ait du désir pour qu'il y ait médiation collective. Pour qu'il y ait médiation, il faut qu'il y ait une demande. Voilà. J'ai envie de dire que dans la maturité du collectif, parfois ça va être tard, c'est-à-dire que les situations sont tellement cristallisées que les uns et les autres n'ont plus envie de mettre l'énergie ...à essayer de se reparler, à essayer de nommer des choses. Donc, les gens partent, et puis, je dirais, la structure, le système continue à faire sa vie. Donc, parfois, je dirais, c'est simplement plus le moment. Et puis, parfois, c'est trop tôt. C'est-à-dire qu'on a... pas fait suffisamment l'expérience de quelque chose qui est, je dirais, on pourrait le dire comme ça, qui est suffisamment insupportable. Donc on continue à supporter la situation telle qu'elle est. Donc finalement, le bon moment, c'est le moment où les acteurs se disent ben non, ras-le-bol quoi Et on a suffisamment de désirs et de possibilités de dire, c'est-à-dire de s'adresser à l'autre. aux autres, et d'entendre ce que l'autre a à dire.

  • ETG

    D'accord. Alors, ma question, elle était plus à l'attention des futurs médiateurs, qui ont envie de tenter cette expérience, mais on voit bien que le risque de faire une erreur, d'être maladroit, d'avoir... Voilà, même d'être instrumentalisé, puisque la demande de médiation, si elle vient d'un commanditaire qui a des projets derrière la tête, c'est... on est censé refuser d'y aller dans un cas comme ça. Donc est-ce qu'on accepte et on y va au risque, peut-être avec tout ce que ça implique, d'une certaine instrumentalisation ? Ou est-ce que toi tu incites vraiment à la plus grande vigilance ? Il ne vaut mieux pas en faire que d'en faire une qui soit peut-être un peu ratée ?

  • LV

    Alors on pourrait dire que le seul risque... s'il y en a un, c'est que ce soit pire après qu'avant. Donc ça veut dire quoi, pire après qu'avant ? Ça veut dire qu'on aurait, par notre passage, renforcé les résistances dans ce collectif qui est déjà en tension. C'est pour ça que j'insiste sur la phase préparatoire. Donc très très rapidement, on peut dire que la première étape, c'est d'avoir un mandant qui est bien situé, c'est-à-dire suffisamment en dehors du conflit, en responsabilité et légitime, suffisamment légitime aux yeux des acteurs. qu'il passe le relais au médiateur, c'est-à-dire qu'en aucun cas on ne prend la place des acteurs en responsabilité. Et donc suite à cette étape-là, quand tu parles d'instrumentalisation, je dirais qu'il est tout à fait légitime que des acteurs qui sont embêtés par une situation fassent appel à un tiers. Donc ce n'est pas une instrumentalisation du médiateur, c'est simplement, on ne sait plus par quel bout prendre les choses. On a tenté plein de choses, est-ce que vous pouvez nous donner un coup de main ? Donc je dirais qu'il n'y a pas d'instrumentalisation et qu'à la limite, ça à ce stade-là... On peut le vérifier. Si par exemple, il est prévu de se séparer d'une personne et que la personne n'est pas au courant, en effet, il ne peut pas y avoir de médiation. Voilà, par exemple. Mais une fois, je dirais qu'on a repéré ça. Ce qui me semble vraiment important et qui va sécuriser les choses, c'est qu'on va aller chercher ce qu'on appelle, alors c'est peut-être un peu jargonneux de le dire comme ça, mais c'est un second mandat. C'est-à-dire que... Les acteurs auprès desquels l'offre de médiation a été faite par le mandant, donc ça va être un DRH, un directeur, un maire, etc. On va aller vérifier avec eux que les conditions de médiation sont réunies. Donc c'est eux qui vont dire, on est partant. Et alors qu'est-ce qui va nous faire dire les conditions sont réunies ? Je dirais, c'est assez simple, c'est est-ce qu'on a suffisamment de désirs ? et d'envie et de possibilité de se mettre autour d'une table et de se dire ce qu'on a à se dire et d'entendre ce que l'autre a à dire.

  • ETG

    Il faut laisser de la place à sa vie.

  • LV

    Voilà. Donc en effet, il y a quand même quelques conditions à réunir.

  • ETG

    Et alors tu insistes aussi sur l'importance du cadre qui va favoriser et protéger ceux qui fait mouvement comme le tuteur dans la croissance de la plante. Et en même temps, ce matin, j'ai entendu attirer l'attention des médiateurs sur la volonté d'éviter la procédure, d'éviter l'effet tunnel. Ça va être comme ci, ça va être comme ça. Donc comment on trouve l'équilibre ? Parce que, et je t'ai entendu dire aussi, j'ai pas tenu le cadre ce matin. Donc c'est quand même la responsabilité du médiateur de tenir son cadre, surtout dans une réunion où il y a 12 personnes qui vont se dire des choses difficiles, on ne sait pas comment elles peuvent être prises. C'est une sacrée responsabilité ce fameux cadre.

  • LV

    Oui, je crois qu'on est là lorsque ça tangue, lorsqu'il y a des tensions. En effet, quand on dit tenir le cadre, c'est quoi le cadre ? C'est le médiateur. Voilà, c'est lui qui incarne le cadre, qui le pose et puis qui le... qui le tient. Quand ce matin, elle dit que je ne l'ai pas tenu, c'est que j'étais à la fois formatrice, médiatrice et que j'avais le regard sur la montre. Donc, en effet, quand on est à toutes les places, ça ne fonctionne pas. Donc, ça, c'est une très, très belle leçon. Par rapport à ça, il me semble qu'en effet, quand on est sollicité pour les situations de tension, les acteurs ont besoin d'être en sécurité. Donc, pour moi, la fonction du cadre, c'est surtout celle-ci. Une fois que quelque chose est suffisamment sécurisé, donc cet espace en fait, ce moment, ce lieu, ce temps, à l'intérieur, ça nous échappe. C'est-à-dire que ce qui se passe, du côté de ce qu'on pourrait appeler le processus, c'est-à-dire le processus pour moi, ça n'a rien à voir avec la procédure, ni le dispositif. Le processus, c'est ce qui se passe et ce qui échappe au médiateur, c'est-à-dire l'effet du questionnement du médiateur, l'effet de la circulation de la parole, c'est-à-dire tout ce qui va se transformer. par les échanges. Et donc là, il y a beaucoup de liberté et surtout de la confiance. Donc il me semble qu'on est sur cet équilibre entre un espace sécurisé, un cadre, et donc c'est pour ça qu'on a un certain nombre d'éléments, notamment on peut signer une convention d'entrée en médiation, et confiance dans la capacité des personnes à se dire ce qu'elles ont à dire et à trouver par elles-mêmes un chemin. Des solutions dont il s'agit.

  • ETG

    Alors justement, quand on est face à des manifestations fortes, les gens crient, peuvent pleurer, il y a des choses importantes qui sont dites. Comment garder son calme intérieur ? Comment ne pas être ébranlé ? Est-ce que c'est quelque chose que tu travailles ou est-ce que toi c'est ta nature profonde ? Parce qu'on voit qu'elle a l'image de quelqu'un qui est très calme, très ancré. Mais est-ce que c'est finalement un muscle que tu travailles tous les matins ? Ou c'est ta nature ? Il y a un mystère, Laure, là.

  • LV

    Vous devriez poser la question aux gens qui me connaissent bien en famille. Vous verrez que c'est ni dans la nature, ni inné. Je pense que ce qui s'exprime par des émotions qui débordent, c'est-à-dire les larmes, alors quand tu parles de cris, je pense que ça ne crie pas en médiation, puisqu'il y a quand même quelque chose qui peut se contenir, en tout cas qui prend l'ampleur.

  • ETG

    Oui, qui se fait sursauter.

  • LV

    C'est que quelque chose n'arrive pas soit à se faire entendre, soit à se connecter, soit à être entendu. Et donc, j'évoquais ça tout à l'heure, il me semble, en tout début d'échange entre nous, c'est-à-dire les émotions. Ça s'accueille de manière inconditionnelle. Donc quelqu'un qui, mettons, se met... Bon, là, par exemple, à pleurer, ou quelqu'un qui se met à être très très en colère, c'est quelqu'un qui a quelque chose d'important, de vital à dire et à faire entendre. Donc, on pourrait presque dire, si vous voulez, que l'émotion, c'est une porte d'entrée, c'est un accès, en fait. Voilà. Et donc, c'est un peu contre-intuitif, parce qu'on a quand même été éduqués pour contenir tout ça. Alors qu'en fait, c'est simplement une porte d'entrée, un accès. Voilà. Donc... Voilà, comment on accueille ça, et puis surtout, comment on permet aux personnes de dire ce qu'elles ont à dire.

  • ETG

    Et justement, c'est ce qui me venait ce matin en vous regardant, je trouve que l'espace de médiation, c'est quand même un espace de vraie liberté, parce que non seulement on recherche cette parole vraie qui circule et qui est parfois... Ça vient de très loin, mais même je te regardais, tu bouges beaucoup en fait avec le corps, et d'ailleurs tu insistais sur cette dimension corporelle. Toi tu t'es formée à des pratiques de théâtre, de danse, d'expression corporelle, où c'est pareil, c'est assez intuitif, je te voyais bouger. Le médiateur physiquement, il doit vraiment être là.

  • LV

    Je pense que le corps est absolument essentiel, central, c'est là que ça se passe. C'est-à-dire que... Les émotions, on les reçoit dans le corps, on les ressent. Et si, en tant que médiateur, je me suis coupée de mes émotions, c'est extrêmement difficile d'être à cette place-là. Donc c'est un moment, la médiation, où le mental n'est pas roi, on pourrait dire. C'est-à-dire que justement, c'est peut-être ça qui fait que la médiation est un espace précieux. C'est-à-dire qu'on va essayer d'aller... Alors on n'est pas du côté du pourquoi, c'est pas le sujet, c'est pas le lieu, on n'est pas là pour creuser. Voilà, mais on est vraiment du côté du qu'est-ce qui s'est passé, du en quoi ça aurait été important pour vous, de quoi auriez-vous besoin à ce moment-là, qu'est-ce qui s'est joué, voyez ? C'est-à-dire, tu vois, c'est vraiment, je crois, faire place en fait, faire place à... Vraiment, pour moi, le mot qui me vient, c'est pour ça que je trouve que le conflit, la conflictualité est extrêmement précieux. C'est que c'est juste un écran de fumée à la vitalité, en fait. C'est pour ça que quand on travaille sur des conflits, on ne travaille pas que sur du dur, que de la difficulté, que de la violence. Pas du tout. La violence, c'est un écran, en fait, c'est un passage. Mais qu'est-ce qui cherche à se faire entendre ? C'est ça qu'on va faire émerger en médiation. C'est vrai.

  • ETG

    Et justement, ce matin, tu disais que quand on traverse quelque chose avec quelqu'un, ça parle de nous. Et là, t'inciter en tout cas à se connecter à ce qu'on ressent et t'évoquer cette idée des empreintes émotionnelles qu'on a en soi. Est-ce que tu peux revenir là-dessus ?

  • LV

    Oui, je ne vais pas aller forcément très loin là-dessus là ensemble, mais ce que je peux dire, c'est que je pense. Alors ça, tu vas me dire que c'est une croyance, oui, j'assume. J'assume cette croyance issue de l'expérience. qui est que c'est pas un hasard quand on est en conflit avec quelqu'un et qu'il y a quelque chose qui cherche à se faire entendre et très souvent c'est quelque chose qu'on ne veut pas voir et que tant qu'on ne s'est pas connecté tant qu'on ne le voit pas tant qu'on ne le reconnait pas tant qu'on n'arrive pas à mettre du sens là-dessus tant que c'est non nommé Dans tous ces moments, je dirais, de tension, oui, ça vient sonner à la porte des émotions, ça vient sonner... Alors voilà, certains vont appeler ça les empreintes émotionnelles qui sont dans le corps et je dirais qu'ils sont, on pourrait dire, convoqués lorsque quelqu'un nous interpelle, en tout cas à quelqu'un avec lequel on est en conflit. Et c'est vrai que... Récemment, à un moment donné, à faire une pause, au moment où on propose à chacun de prendre la parole et de dire qu'est-ce que vous avez entendu d'important pour l'autre, ce qu'on appelle la reconnaissance mutuelle, et assez récemment, j'ai vraiment senti l'intérêt, à cette étape-là de la médiation, de dire je vous propose là maintenant de prendre une minute pour chacun, pour se connecter à quelque chose que vous venez d'apprendre. dans cette situation de tension entre vous. C'est-à-dire qu'on démarre la médiation en se disant vraiment le problème c'est l'autre et je vais entrer en médiation pour lui dire vraiment ce qu'il a besoin d'entendre, en argumentant, en donnant mon avis, etc. Et il me semble que parfois, c'est pas toujours possible, mais que parfois les choses se circulent d'une manière que je repère quelque chose qui en effet... parle de moi. Alors d'une blessure, d'une empreinte, chacun l'appelle comme il veut. Mais en tout cas, quelque chose qui est un peu à vivre, qui n'est pas digéré, on peut dire ça comme ça, si on veut le dire simplement, et que j'ai besoin de repérer pour grandir. Et donc en effet, tant que ça n'est pas capté, mis au travail, ça va perdurer.

  • ETG

    J'avais une question sur tes enquêtes, puisque tu m'as parlé à mon tout début du fait que tu faisais des enquêtes harcèlement, discrimination. Est-ce que ta méthodologie de travail, elle emprunte au processus de médiation collective ? Est-ce que tu commences de la même façon avec l'équivalent d'une assemblée générale et des entretiens individuels que tu vas mener ?

  • LV

    Alors là, c'est vraiment toute autre chose, j'ai envie de dire. C'est-à-dire que là, on était dans le champ de la médiation où les acteurs sont autour de la table. pour nommer ce qu'ils ont à nommer. Là, ce que tu évoques, c'est plutôt le champ des interventions, plutôt de conseils, donc diagnostics, enquêtes. Et là, on est sollicité, en effet, pour essayer de qualifier des situations. Donc ça, c'est toute autre chose, bien plus difficile. Et ce qui, en effet, pour moi, est toujours très difficile, c'est comment je fais... Alors, on va repérer des faits, voilà. Mais comment je fais pour faire place aux vérités subjectives, aussi. C'est-à-dire que, je peux donner un exemple d'une enquête notamment, où on était vraiment sur des choses qui, en apparence, étaient très anecdotiques. On se dit, mais vraiment, quand on regarde ça de l'extérieur, on se dit, mais c'est des gamineries, c'est pas possible d'arriver à une accusation de harcèlement. Pour ces faits-là. Et l'expérience vraiment très forte pour moi de la médiation, de ce que j'ai appris, c'est que ce n'est pas tellement les faits qui comptent, c'est la représentation et le vécu sur ces faits. Donc un objet, un objet par exemple balancé sur le côté, ça peut paraître une maladresse. Mais à part que si balancer un objet sur le côté, pour moi, c'est... Ça a une signification extrêmement profonde parce que ça parle de quelque chose qui est tout à fait crucial dans mon existence. Alors ce geste-là va prendre une ampleur tout autre. Mais ça, évidemment que je ne vais pas le dire. Je vais le garder pour moi et donc je vais attribuer à l'autre une intention qui est de me nuire. Et je suis persuadée, mais vraiment profondément persuadée, que l'intention de l'autre c'est de me nuire.

  • ETG

    Voilà, bien sûr. Alors comment tu restitues ça à ton mandataire ? Parce que ça, c'est une vraie difficulté. La subjectivité du ressenti du harcèlement, on le voit quotidiennement. Et moi, ce que je vois dans mon travail, c'est la difficulté des enquêteurs à se positionner sur le bon registre. Parce que soit on se dit qu'on est des enquêteurs type Colombo et on va rechercher si le délit pénal est constitué. Neuf fois sur dix, il ne l'est pas. Il y a une vraie difficulté et en même temps l'expérience subjective de la personne, qu'est-ce qu'on en fait ?

  • LV

    C'est très délicat, c'est pas confortable, c'est pas facile.

  • ETG

    Ça incite quand même à...

  • LV

    Beaucoup de prudence. Beaucoup de prudence, je pense que...

  • ETG

    Tu me donnes des idées de contestation d'enquête bidon.

  • LV

    Je pense que...

  • ETG

    Ce qui revient à nous en cabinet d'avocat, les enquêtes, tu leur fais dire ce que tu veux. Mais c'est assez rare que la réalité, le vécu de la personne qui se plaint soit restitué dans cette enquête.

  • LV

    Ce sont des exercices extrêmement délicats. Je pense qu'en effet, comme tu dis, beaucoup de prudence. Et puis peut-être accepter que parfois on n'a pas les éléments pour qualifier les situations. Et le dire clairement.

  • ETG

    Alors, tu expliques que c'est la représentation sur laquelle on travaille en médiation, la représentation du groupe, et notamment d'un groupe social, qui détermine son identité. Et tu insistais dans ton travail de mémoire au CNAM sur l'importance de la référence au mode de la souffrance, de la victimisation. Tu évoques les narcissismes collectifs, j'ai trouvé ça d'une grande actualité. Et tu expliques que justement un des enjeux c'est de faire dériver la confrontation de l'affrontement de valeurs vers un débat sur les systèmes de valeurs pour que la différence devienne un vecteur des échances et pas seulement un symptôme. Mais est-ce que concrètement on a tous intérêt à la médiation ? À partir du moment où le groupe se construit sur cette représentation ?

  • LV

    Hum. Il me semble que comme je l'évoquais tout à l'heure, il y a une dynamique de groupe qui se met en place. Le groupe finalement peut le considérer comme un système. Et dans le système, les uns et les autres vont se mettre à des places différentes. Et il me semble que ce qu'on peut tenter, mais vraiment avec énormément de modestie, parce que si ce n'est pas le moment, ce n'est pas le moment, c'est précisément de faire en sorte que les uns et les autres puissent se déloger. Et sortir des cases. Parce qu'il me semble que c'est ça qui est violent dans les situations de conflit, qui se sont cristallisées, c'est qu'on est enfermé. Voilà, on porte une étiquette. T'as l'emmerdeur de service, t'as celui qui monopolise, t'as celui qui dit jamais rien par devant mais qui part derrière, etc. Bref, chacun finalement est catalogué et agit d'une certaine manière avec cette étiquette, qu'il le veuille ou non. C'est-à-dire que quand je me suis mise à une place de victime, c'est très très difficile d'en sortir. Alors quand je me suis mise, quand les autres m'ont mise, c'est une responsabilité partagée. Et donc en effet, ça demande un certain courage, j'ai envie de le dire comme ça, de se dire quelle est ma part dans cette affaire. Alors je sais que dire ça, ça peut être vraiment dur à accepter et à entendre pour certains, parce que quand on vit des choses extrêmement dures, c'est impensable de penser qu'on puisse avoir une part. Je ne fais pas référence là à des situations extrêmes. On est en... contexte professionnel. Et donc, en effet, pour moi, en médiation, alors je pense que ce que je dis là va peut-être... Je pense que certains médiateurs ne seront pas d'accord avec ça, mais ça ne fait rien, tant pis, je le dis, quitte à ce que ça crée du débat. Mais pour moi, en médiation, il n'y a pas de victime. Voilà. Et il n'y a pas de bourreau non plus. Je pense qu'on a des êtres, des acteurs qui ont fait ce qu'ils ont pu, qui ont fait ce qu'ils ont fait, et que quelque chose là peut se faire entendre au-delà, ou en-dessous plutôt, je devrais dire, de ce qui a généré, pour le coup, sans aucun doute, beaucoup de souffrance, beaucoup de violence. Mais en tout cas, ce qui est central pour moi, quelles que soient les paroles qui ont été... prononcées ou les actes qui ont été menés, c'est que personne n'est réduit à ce qu'il a pu faire ou pu dire.

  • ETG

    C'est une deuxième chance, presque, non ?

  • LV

    En tout cas, c'est pour moi ce qui donne sens à ce travail. Je pense qu'il y a toujours une ouverture possible, je pense qu'il y a une prise de conscience. Je pense qu'il y a toujours une prise de conscience possible sur ce qu'on a pu dire, faire et sur les impacts que ça a eu.

  • ETG

    Alors sur un plan personnel, et ce sera mon avant-dernière question, est-ce que tu as eu des ressources philosophiques, théoriques qui t'ont nourri sur ce chemin de la médiation, des ouvrages qui t'ont marqué, qui ont vraiment construit ton approche ?

  • LV

    J'ai beaucoup appris dans des groupes dans lesquels on s'est questionné sur la place, on s'est questionné sur la pratique et avec lesquels on a cheminé, on a constitué, tissé cette approche. Pour moi c'est vraiment une approche qui s'est constituée et qui continue d'ailleurs à évoluer. Voilà, je crois que ça fait peut-être une vingtaine d'années qu'on est sur ce chemin-là. Et je pense que ça va continuer à évoluer, notamment aujourd'hui se pose la question de la liberté d'adhésion et du volontariat. Je pense vraiment important, moi, de maintenir cette dimension-là. C'est de plus en plus difficile parce que quand on nous sollicite, on nous dit qu'ils n'auront pas le choix. Il faut sortir de cette crise, donc il faudra qu'ils soient autour de la table. Et ce que moi j'ai pu constater, c'est que quand les uns et les autres n'ont pas le choix, alors ça résiste. Donc comment est-ce qu'on peut nous soutenir la place à une certaine forme de liberté ? Il ne peut pas y avoir une médiation forceps, ce n'est pas possible.

  • ETG

    Et alors as-tu interrogé ton propre rapport au conflit ?

  • LV

    Est-ce que toi tu es plutôt dans l'évitement, la confrontation,

  • ETG

    la paralysie ? La confrontation, la médiation.

  • LV

    Oui, mais j'avais beaucoup peur. J'avais beaucoup de peur. Et donc c'est ça que j'ai travaillé. Qu'est-ce qui fait peur, en fait ? Qu'est-ce qui fait peur dans la violence ? À quoi ça renvoie ? Donc c'est ça que je suis allée rechercher. C'est ça que je suis allée rechercher, d'un côté. Et de l'autre, je dirais, c'est qu'est-ce qui fait... que ça m'intéresse d'être à cette place de tiers, au milieu du conflit des autres. C'est quand même pas rien.

  • ETG

    Bien sûr. Alors, tu as trouvé la question ? Tu as trouvé la réponse ?

  • LV

    Oui, oui, ça...

  • ETG

    Alors, j'avais l'impression que c'est quand même de l'ordre de l'engagement, moi que je qualifierais un peu de politique. Non, cette foi, justement, dans la... L'intérêt, la valeur que ça représente de créer cet espace où justement cette confrontation à l'impossible et de l'utilité que ça a de rendre... Est-ce que c'est pas franchement ta façon de contribuer à un collectif meilleur ?

  • LV

    Ce qui est central, essentiel pour moi, je crois, c'est au départ de pouvoir nommer les choses. C'est déjà beaucoup. de pouvoir faire en sorte que quelque chose d'important soit entendu. Ça, c'est encore une autre étape. Ce n'est pas toujours possible. Et ce que je crois, en effet, c'est que quand l'un et l'autre sont rendus possibles, alors, une transformation a lieu. Et en effet, moi, c'est cet endroit-là qui est mon désir de médiation. C'est du côté de la transformation et de l'évolution, en effet. Je ne sais pas si c'est politique, si c'est...

  • ETG

    C'est comme ça qu'on change le monde. Si on agit sur les représentations des uns et des autres, on arrive quand même à faire passer...

  • LV

    En tout cas, j'ai beaucoup de mal avec le binaire, on pourrait dire. Et donc je suis plutôt du côté, lorsque tu évoquais les ouvrages, il y en a un qui me vient tout d'un coup, je suis plutôt du côté d'une... Je dirais de... Voilà... Cette forme d'acceptation des antagonismes à l'œuvre. Comment est-ce qu'on peut, je dirais, se faire se rencontrer, en fait, ces antagonismes-là, et donc accepter une forme de complexité ? Je pense notamment à De Morgon, au Morin, à des acteurs qui ont travaillé ces enjeux-là. C'est-à-dire sortir d'une vision binaire, c'est-à-dire j'ai raison, l'autre a tort, ou des visions binaires qui seraient du côté de mes valeurs, ma vision, ma vision de la vie. du monde à l'acceptation que l'autre est autre.

  • ETG

    C'est l'enjeu de société là.

  • LV

    Mais c'est costaud d'accepter ça. C'est pas évident.

  • ETG

    C'est sûr, écoute je te remercie beaucoup Laure, on a terminé

  • LV

    Merci, merci à toi

  • ETG

    Merci d'avoir écouté cet épisode n'hésitez pas s'il vous a plu à le partager autour de vous et à le noter sur Apple Podcast cela aide à faire connaître la médiation et plus particulièrement la médiation collective vous pouvez également me faire part de vos remarques via mes réseaux ou sur mon site internet etgavocat.fr A bientôt, au revoir.

Description

Pour ce 8ème épisode d'Antidot, j'ai le plaisir de recevoir Laure Veirier, Psychologue Interculturelle devenue Médiatrice, Consultante et à la direction depuis 2014 de la formation "Pratiques de médiation" au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).


Fondatrice du cabinet Interstice Médiation, Laure a développé une expertise en médiation collective en entreprise, dans le secteur public ou privé.

Elle réalise des enquêtes pour caractériser des situations de harcèlement ou de discrimination.


Elle est également auteure de l'ouvrage "Enjeux de la médiation collective au travail, pour un processus favorisant l'interculturalité", paru aux éditions Brochet.


Dans cet épisode, Laure Veirier évoque son parcours professionnel, ses premiers travaux réalisés sur les questions de diversité culturelle et sa découverte de la médiation, activité du langage.


Elle évoque comment la médiation, espace de dialogue, peut aussi être le lieu d'invention d'une culture commune, notamment dans un collectif de travail, au sein d'un service ou d'une équipe traversée par des tensions ou difficultés.


Nommer, dépasser, inventer, autant de possibilités permises par le recours à la médiation collective dont Laure expérimente depuis de nombreuses années le processus et les bénéfices.


Je vous souhaite une très bonne écoute.

Émilie

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Retrouvez Laure Veirier sur Linkedin


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En attendant de se retrouver le 10 de chaque mois pour un nouvel épisode, je vous invite à vous abonner au podcast et à laisser 5 étoiles sur votre plateforme d’écoute préférée.


Si vous souhaitez continuer la discussion autour de la médiation, retrouvez-moi sur mon compte Linkedin Emilie Thivet-Grivel.


Et si vous souhaitez en savoir plus sur le cabinet ETG Avocats et nos services de médiation, rendez-vous ici.


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Crédits :

Antidot est un podcast d’Emilie Thivet-Grivel.
Stratégie : Mélanie Hong.
Montage et mixage : Morgane Bouchiba.
Designer graphique (vignette) : Emma Wise.
Musique  : Aberdeen, Greg McKay.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • ETG

    Bonjour, vous écoutez Antidote, le podcast qui interroge notre rapport au conflit. Je m'appelle Émilie Thivet-Grivelle, je suis avocate et médiatrice, fondatrice du cabinet ETG Avocats. Chaque mois, je vais à la rencontre de professionnels qui ont changé de regard sur la conflictualité et qui l'organisent autrement. Pour ce huitième épisode, je reçois Laure Verrier. Psychologue interculturelle, devenue médiatrice, formatrice et consultante, Laure Verrier dirige depuis 2014 le certificat pratique de médiation du Conservatoire national des arts et métiers. Faire du conflit une ressource, c'est le mantra du cabinet Interstice Médiation qu'elle a fondé et dans lequel elle a développé avec ses associés une expertise de la médiation collective. Laure réalise aussi des enquêtes pour caractériser des situations de harcèlement ou de discrimination et intervient au sein de différents dispositifs publics d'appui aux relations de travail. On peut la lire dans un ouvrage paru aux éditions Brochet, Enjeu de la médiation collective au travail pour un processus favorisant l'interculturalité. Je vous souhaite une très bonne écoute. Alors ma première question, Laure, comment tu as été conduite à t'intéresser à la médiation et à souhaiter t'y former ?

  • LV

    Alors, je dirais que je suis arrivée à la médiation par la question de la diversité culturelle. Voilà, donc je suis, comme tu l'as dit, j'ai travaillé quelques années à l'UNESCO, dans des zones, en fait, en tout cas en lien avec des zones en conflit, et notamment dans des zones où la question de la langue était à l'origine, enfin à l'origine, une des origines des tensions. Voilà, et donc je suis vraiment arrivée à la médiation. Moi, par le conflit, le conflit sur des territoires que je ne connaissais pas, très très peu. Et donc j'ai découvert la médiation dans la ville de Montreuil, dans laquelle j'habitais, à travers une démarche de formation de... Je crois qu'à l'époque on appelait déjà ça la médiation citoyenne. Et donc j'ai rencontré Catherine Woursch, qui a été... J'ai rencontré Elisabeth Collard d'ailleurs, je me rappelle. Et puis Catherine Woursch, qui a été une médiatrice qui a beaucoup compté pour moi. avec qui j'ai rencontré la médiation.

  • ETG

    D'accord. Et qui a une attention particulière sur le langage.

  • LV

    Je me souviens que c'est ce qu'elle disait au début du diplôme du CLAM.

  • ETG

    Savoir qu'en fait, on ne se comprend jamais.

  • LV

    Oui, quand on évoque cette notion de médiation, pour moi, en tout premier lieu, c'est une activité du langage, en effet. Donc, une activité autour du mal-entendu.

  • ETG

    Et du coup, comment tu as fait le lien entre tes expériences sur d'autres continents et dans des contextes conflictuels avec la médiation que tu pratiques aujourd'hui ? Ça a été assez naturel ?

  • LV

    Je ne sais pas si j'ai fait le lien, puisque ça s'est fait au cours de la vie, en chemin. Ce que je dirais aujourd'hui par rapport à ta question, pour moi la question c'est la question de l'altérité. Je dirais ça comme ça, c'est-à-dire que j'ai démarré sur ces enjeux de diversité culturelle, d'interculturalité. Et assez vite, j'ai été confrontée au fait que concrètement, alors quand j'ai commencé à travailler en France sur des territoires, sur des villes en fait, françaises, sur les questions de laïcité, de gestion de la diversité culturelle, et au fond, les questions se posaient de manière très très concrète, autour de la nourriture. dans les cantines, pour des élus autour de la question du voile. Voilà, donc c'était vraiment des questions extrêmement concrètes qui se posaient et je voyais bien qu'il y avait besoin d'ouvrir ces notions-là. Quand on dit laïcité, on parle de quoi ? Et donc j'étais assez vite confrontée à des positions. Des positions tout à fait compréhensibles au vu de l'histoire de ceux qui les portent. Quand on s'est battu pour qu'il y ait par exemple une séparation entre l'Église et l'État, il est compréhensible que l'on tienne à ce que dans le territoire dans lequel on est élu, par exemple, il y ait une certaine laïcité qui puisse vivre et perdurer. Et donc assez vite, j'ai été confrontée à des antagonismes, on peut dire ça comme ça, entre d'un côté... culture, religion, différence, voilà. Et donc, de ces antagonismes-là, comment faire pour les faire, je dirais, cohabiter ? Comment on passe, en fait, de visions qui peuvent être assez vite binaires ou cristallisées à une articulation, je dirais ? Alors, à l'époque, moi, je parlais d'interculturalité, c'est-à-dire comment est-ce qu'on crée, en fait ? Finalement, qu'est-ce que c'est ? C'est inventer. un espace nouveau, puisqu'on fait face à des situations qui deviennent impossibles. Et dans des situations impossibles de blocage, il nous reste une chose à faire, c'est l'inventer. Soit c'est de partir en courant, c'est une option, soit c'est de taper du poing sur la table en disant ce sera comme ça. Que l'on lâche l'affaire ou que l'on tape du poing sur la table, ça revient. Ça se répète. Donc à un moment donné, si on veut essayer d'avancer et sortir de ces répétitions, on se met autour de la table. On essaie d'entendre ce qui est vital, c'est peut-être un peu fort, mais en tout cas ce qui est essentiel pour les acteurs.

  • ETG

    Encore faut-il qu'il y ait une volonté. De se mettre autour de la table, c'est bien ça l'enjeu.

  • LV

    Oui, alors, oui,

  • ETG

    une volonté.

  • LV

    Une volonté et en même temps, parfois, je crois qu'il y a des situations qui sont, je dirais, suffisamment difficiles à vivre pour qu'on se dise, bon, là, on y va. En tout cas, c'est dans mon expérience, c'est ce que j'ai pu constater.

  • ETG

    Qu'est-ce que c'est que l'interculturation ?

  • LV

    L'interculturation, en fait, assez simplement, ce que j'ai envie de dire par rapport à ça, c'est que j'ai fait des liens, moi, en fait, assez vite, entre la médiation, comme espace, notamment dans un collectif, et cette notion de l'interculturation, c'est-à-dire, au fond, comment on nomme, on fait émerger, et on dépasse les différences. Donc on est vraiment, pour moi, du côté de l'invention. C'est ça que je trouve intéressant dans cette notion d'interculturation, c'est-à-dire qu'on va créer C'est une culture commune. D'accord. C'est ça qu'on peut sous-entendre par métabolisation, c'est-à-dire qu'on ne reste pas campé sur des positions ou sur des cultures d'origine, mais on va inventer quelque chose de nouveau. Mais pour inventer, il faut nommer les choses. Donc je dirais que la médiation, pour moi notamment la médiation collective, c'est un espace dans lequel on a affaire avec l'autre. l'autre singulier, mais l'autre aussi qui vient résonner, puisqu'il y a plusieurs autres. Donc on a ce travail-là, je dirais, de nommer, transformer, dépasser, inventer, créer.

  • ETG

    Et justement, tu expliques qu'il s'agit de passer de l'implicite à l'explicite. Et tu encourages d'ailleurs les médiateurs que tu formais ce matin, puisque j'ai assisté à la formation que tu donnes au CNAM. Tu as encouragé les médiateurs à accueillir ce qui est dit par les participants à la médiation et nommer ce qui transparaît, c'est-à-dire leur désir ou au contraire leur crainte, leur reticence, leur fermeture. Alors, dans toutes les expériences que tu conduis de médiation, dans des contextes conflictuels au travail, est-ce que tu entends des mots MAUX et des mots MOT très fréquemment dans ces situations de tension au travail ? Est-ce qu'il y a des choses qui reviennent quasi systématiquement ?

  • LV

    Ce que j'aimerais dire par rapport à ça, c'est qu'il me semble que quand on parle, en tout cas lorsque l'on est en médiation et que les uns et les autres s'expriment, on a en tant que médiateur à accueillir ce qui cherche à se dire de manière inconditionnelle. Quand je dis ce qui cherche à se dire, c'est-à-dire souvent ce qui est ressenti. Et que précisément les uns et les autres n'arrivent pas à dire, n'arrivent pas à faire entendre. Voilà, donc c'est beaucoup plus facile d'aller dire à l'autre ce qu'il devrait faire, ce qu'il aurait dû faire ou de faire des reproches à l'autre. que de se connecter à ce qui s'est passé pour moi à ce moment-là, quand il s'est passé ce qui s'est passé. Et donc, de dire au fond ce qui s'est joué, ce qui est important pour moi, ce qui est vital pour moi. Donc, c'est ce que j'évoquais ce matin certainement, c'est-à-dire essayons de rejoindre de manière inconditionnelle les uns et les autres. parfois, il y a, je dirais, peut-être ce qu'on peut appeler une certaine forme de recadrage sur la forme, parce que la forme peut être inappropriée. Mais dans le fond, il y a des choses essentielles qui cherchent à se faire entendre. Et il me semble que c'est ça qu'on a à entendre en tant que médiateur.

  • ETG

    C'est la première étape, en fait. C'est vraiment rejoindre les gens dans ce qu'ils expriment. Voilà. Pour qu'ils soient réceptifs à autre chose derrière.

  • LV

    Tout à fait. C'est-à-dire que tant que... Je ne suis pas entendue, mais vraiment entendue, ce n'est pas juste en surface. Alors, je ne peux pas entendre l'autre, même s'il est à 1m50 de moi. Ça peut paraître étonnant. Donc, c'est pour ça que même dans le collectif, on travaille vraiment sur du singulier. Ça, ça me semble tout à fait important. Et c'est pour ça que le début d'une médiation collective, c'est place à chacun. Quand on dit en médiation qu'on est du côté de la séparation et du singulier, c'est vraiment ça. Entre autres, quand je dis séparation, ça va au-delà, notamment séparation avec l'imaginaire. Où est-ce que je situe l'autre dans mon imaginaire ? Mais en tout cas, vraiment, ça me semble tout à fait important, faire place à chacun, accueil inconditionnel de ce qui est. important pour chacun, et ensuite peut-être quelque chose peut se faire entendre. Et s'entendre, du coup.

  • ETG

    Et alors justement, ce matin, tu as incité les médiateurs à aller directement vers ce qui est chaud au sein du collectif. Alors quand on dit chaud, on pense à ce qui a fait crise, en fait. Et donc est-ce que si on devait résumer, c'est vraiment ça l'enjeu de la médiation collective, de nommer ce qui a constitué la jeunesse de la crise ? C'est un indispensable, c'est un incontournable. On peut dire qu'on ne réussit pas une médiation collective si on n'arrive pas à retraverser ce moment qui a fait difficulté. Et ce matin, on avait un exemple, pour que les gens comprennent, d'une pétition qui avait été signée par une personne et pas une autre. Et en tout cas, c'est cet événement-là qui avait fait conflit dans le collectif.

  • LV

    Dans un collectif, lorsqu'on est sollicité, souvent on arrive alors que la situation est cristallisée. Et on pourrait dire qu'on a deux niveaux de conflit. On a les tensions, les conflits liés aux situations, aux fonds, aux enjeux, aux sujets, aux relations. Et on a un conflit dans le conflit au sens où la manière dont on a essayé de traiter les choses a généré elle-même des tensions. C'est ça que j'appelle le conflit dans le conflit. Et donc typiquement, par exemple, une lettre, un courrier, une pétition qui a été engagée, initiée par certains, avec laquelle d'autres n'étaient pas en face, et donc ça a généré de nouvelles tensions. Et il me semble, alors ça c'est vraiment dans l'expérience qu'on peut avoir, d'ailleurs j'aimerais juste rappeler que la médiation collective qu'on enseigne au CNAM notamment, est issue d'une vingtaine d'années maintenant d'expérience, et notamment au groupe médiation, que j'aimerais citer. ce qui me semble tout à fait important de le faire ici. Donc, oui... Il me semble vraiment important de permettre à ces personnes qui sont en médiation de se reconnecter au moment où il y a eu blocage, donc ce qu'on appelle les éléments déclencheurs, c'est-à-dire le moment de cristallisation, c'est ce que j'appelais peut-être un moment chaud, c'est-à-dire un accueil loupé, une arrivée loupée, une pétition, un changement qui n'a pas été compris. Donc vraiment d'essayer de se connecter à ces moments-là et que chacun puisse dire sa vérité. comment moi j'ai vécu les choses à ce moment-là. Et en médiation, les uns et les autres font l'expérience de ces écarts, de ces malentendus, de ces écarts de représentation et de vécu.

  • ETG

    C'est ça la vertu pédagogique, en fait, de faire se reconnecter à ce que les gens ont vécu à un instant T. C'est pour que l'autre personne, les autres, puissent entendre comment cela a été vécu, qu'ils n'ont même pas pu conceptualiser.

  • LV

    Mais absolument, parce que quand je vis un événement, je le vis avec mes propres yeux, ma propre réalité. Donc... Il me semble évident que quelqu'un qui arrive, c'est à lui de faire ceci ou cela. Et le quelqu'un en question, lorsqu'il peut dire dans quel état il était au moment où il est arrivé, par exemple, là ce matin c'était quelqu'un en responsabilité, c'était une directrice d'établissement, à ce moment-là ça change tout. C'est-à-dire qu'à ce moment-là, oui, moi j'aurais bien aimé aussi faire ça, ou j'aurais bien aimé ceci, cela. Mais au moment, là, dans notre histoire commune, au moment où je suis arrivée, ce n'était pas possible. Et voilà ce que moi j'ai vécu. Donc je dirais qu'il y a une... On pourrait dire qu'il y a deux vérités subjectives qui se rencontrent, qui font l'expérience du malentendu ou tout simplement des écarts. Et une nouvelle, est-ce qu'on peut appeler ça une nouvelle vérité ? En tout cas, une histoire commune qui est en train de se tisser autrement. Et donc, je vois l'autre autrement que comme je l'avais vu jusqu'à présent. Et donc, il ne s'agit pas d'être d'accord ou pas d'accord, il s'agit simplement de se dire qu'en fait, on s'est fait chacun son histoire.

  • ETG

    Et ce matin, je t'entendais aussi inciter finalement à une réflexion, en tout cas t'interroger les participants à cette médiation, sur ce que ça veut dire un collectif, qu'est-ce que ça veut dire de faire équipe, qu'est-ce que ça veut dire de manager, etc. C'est aussi des sujets qui reviennent fréquemment. Pour toi, c'est quoi un collectif ?

  • LV

    Oui, justement, un collectif, ça répond, il y a des conditions à réunir pour être un collectif, notamment en termes de liens, de solidarité, de soutien, de reconnaissance aussi mutuelle. Voilà. Et ces conditions ne sont pas toujours réunies. Je dirais aujourd'hui, dans les contextes d'accélération, dans le contexte de télétravail qui est de plus en plus, je dirais, amplifié, dans la société dans laquelle on évolue, façonner, créer, soutenir des collectifs de travail, c'est un sacré défi. Voilà. Et donc, on a en effet des acteurs qui travaillent en silo et qui ne sont pas... ne crée pas, en fait, qui ne constitue pas des collectifs. Mais au-delà de ça, ce qui est évoqué dans cette médiation, notamment, c'est au fond, qu'est-ce que c'est faire équipe ? Et on l'a bien vu, on a ouvert ce signifiant, on l'a fait circuler dans la médiation. Donc, pour ceux qui n'étaient pas là, c'est une médiation où à un moment donné, au-delà, je dirais, du litige et de ce qui a fait tension, la question qui se pose finalement, c'est la question de sa place. C'est je suis qui pour l'autre dans ce groupe ou dans ce collectif ? C'est moi, à quelle place je me vois, à quelle place je me verrai, finalement c'est ces écarts entre ce que je revendique d'une certaine manière, comme place ou comme fonction, et la place à laquelle les autres m'ont mis. Donc l'écart entre la place revendiquée et la place attribuée. Par exemple, voilà. Et donc, en effet, quand on ouvre ces questions-là, au-delà des sujets de tension, les questions qui vont se poser, c'est mais qu'est-ce que c'est que ce collectif ? C'est quoi faire équipe ? C'est quoi notre équipe ? Qu'est-ce que c'est équipe pour moi ? Et donc, ce matin, on l'a bien vu que pour certains, c'est faire un tout. C'est être toujours tous d'accord. Pour un autre, c'est pouvoir dire justement qu'on n'est pas en accord, qu'il y a une place pour le différent, qu'il y a une place pour la différence. Et en médiation collective, si c'est ce sujet qui sort, il y en a bien d'autres, c'est... Alors là, finalement, qu'est-ce que vous voulez inventer ? Qu'est-ce que c'est pour vous, aujourd'hui, ici, maintenant, faire équipe ? Donc finalement, ce qui a généré le conflit va être, on pourrait dire, intégré, d'une certaine manière, pour créer un collectif qu'ils ont choisi avec ce qui fait sens pour eux.

  • ETG

    Quand on te lit, on écoute justement tes formations sur la médiation collective, on mesure quand même l'extrême vigilance qui est celle des médiateurs, puisqu'en général, on y va toujours à deux, puisque avant, tu analyses la demande, tu vas t'interroger sur les conditions du recours à la médiation, tu vas faire attention à tout risque d'instrumentalisation. Pendant, on voit bien qu'il faut être multicapteur, j'ai envie de dire, pour être sensible à tout ce qui se passe. Après, c'est pareil, il y a une réflexion sur le passage de relais. Tout ça incite à une grande prudence. Quel conseil tu donnerais aux apprentis médiateurs qui sont passionnés par cet enjeu de permettre des espaces de dialogue au sein de l'entreprise ? Parce que comment passer le cap ? À un moment donné, il faut oser. On peut faire toutes les formations du monde. Si on n'y va pas, on ne se comprendra jamais à la réalité.

  • LV

    Alors, ce que j'aurais envie de dire par rapport à ça, c'est que ce n'est pas forcément facile à accepter. C'est que c'est pas nous qui décidons que c'est le bon moment pour qu'il y ait une médiation. Et j'aurais envie de dire comme ça, et j'en ai fait l'expérience il n'y a pas longtemps, c'est qu'il ne suffit pas qu'il y ait du désir pour qu'il y ait médiation collective. Pour qu'il y ait médiation, il faut qu'il y ait une demande. Voilà. J'ai envie de dire que dans la maturité du collectif, parfois ça va être tard, c'est-à-dire que les situations sont tellement cristallisées que les uns et les autres n'ont plus envie de mettre l'énergie ...à essayer de se reparler, à essayer de nommer des choses. Donc, les gens partent, et puis, je dirais, la structure, le système continue à faire sa vie. Donc, parfois, je dirais, c'est simplement plus le moment. Et puis, parfois, c'est trop tôt. C'est-à-dire qu'on a... pas fait suffisamment l'expérience de quelque chose qui est, je dirais, on pourrait le dire comme ça, qui est suffisamment insupportable. Donc on continue à supporter la situation telle qu'elle est. Donc finalement, le bon moment, c'est le moment où les acteurs se disent ben non, ras-le-bol quoi Et on a suffisamment de désirs et de possibilités de dire, c'est-à-dire de s'adresser à l'autre. aux autres, et d'entendre ce que l'autre a à dire.

  • ETG

    D'accord. Alors, ma question, elle était plus à l'attention des futurs médiateurs, qui ont envie de tenter cette expérience, mais on voit bien que le risque de faire une erreur, d'être maladroit, d'avoir... Voilà, même d'être instrumentalisé, puisque la demande de médiation, si elle vient d'un commanditaire qui a des projets derrière la tête, c'est... on est censé refuser d'y aller dans un cas comme ça. Donc est-ce qu'on accepte et on y va au risque, peut-être avec tout ce que ça implique, d'une certaine instrumentalisation ? Ou est-ce que toi tu incites vraiment à la plus grande vigilance ? Il ne vaut mieux pas en faire que d'en faire une qui soit peut-être un peu ratée ?

  • LV

    Alors on pourrait dire que le seul risque... s'il y en a un, c'est que ce soit pire après qu'avant. Donc ça veut dire quoi, pire après qu'avant ? Ça veut dire qu'on aurait, par notre passage, renforcé les résistances dans ce collectif qui est déjà en tension. C'est pour ça que j'insiste sur la phase préparatoire. Donc très très rapidement, on peut dire que la première étape, c'est d'avoir un mandant qui est bien situé, c'est-à-dire suffisamment en dehors du conflit, en responsabilité et légitime, suffisamment légitime aux yeux des acteurs. qu'il passe le relais au médiateur, c'est-à-dire qu'en aucun cas on ne prend la place des acteurs en responsabilité. Et donc suite à cette étape-là, quand tu parles d'instrumentalisation, je dirais qu'il est tout à fait légitime que des acteurs qui sont embêtés par une situation fassent appel à un tiers. Donc ce n'est pas une instrumentalisation du médiateur, c'est simplement, on ne sait plus par quel bout prendre les choses. On a tenté plein de choses, est-ce que vous pouvez nous donner un coup de main ? Donc je dirais qu'il n'y a pas d'instrumentalisation et qu'à la limite, ça à ce stade-là... On peut le vérifier. Si par exemple, il est prévu de se séparer d'une personne et que la personne n'est pas au courant, en effet, il ne peut pas y avoir de médiation. Voilà, par exemple. Mais une fois, je dirais qu'on a repéré ça. Ce qui me semble vraiment important et qui va sécuriser les choses, c'est qu'on va aller chercher ce qu'on appelle, alors c'est peut-être un peu jargonneux de le dire comme ça, mais c'est un second mandat. C'est-à-dire que... Les acteurs auprès desquels l'offre de médiation a été faite par le mandant, donc ça va être un DRH, un directeur, un maire, etc. On va aller vérifier avec eux que les conditions de médiation sont réunies. Donc c'est eux qui vont dire, on est partant. Et alors qu'est-ce qui va nous faire dire les conditions sont réunies ? Je dirais, c'est assez simple, c'est est-ce qu'on a suffisamment de désirs ? et d'envie et de possibilité de se mettre autour d'une table et de se dire ce qu'on a à se dire et d'entendre ce que l'autre a à dire.

  • ETG

    Il faut laisser de la place à sa vie.

  • LV

    Voilà. Donc en effet, il y a quand même quelques conditions à réunir.

  • ETG

    Et alors tu insistes aussi sur l'importance du cadre qui va favoriser et protéger ceux qui fait mouvement comme le tuteur dans la croissance de la plante. Et en même temps, ce matin, j'ai entendu attirer l'attention des médiateurs sur la volonté d'éviter la procédure, d'éviter l'effet tunnel. Ça va être comme ci, ça va être comme ça. Donc comment on trouve l'équilibre ? Parce que, et je t'ai entendu dire aussi, j'ai pas tenu le cadre ce matin. Donc c'est quand même la responsabilité du médiateur de tenir son cadre, surtout dans une réunion où il y a 12 personnes qui vont se dire des choses difficiles, on ne sait pas comment elles peuvent être prises. C'est une sacrée responsabilité ce fameux cadre.

  • LV

    Oui, je crois qu'on est là lorsque ça tangue, lorsqu'il y a des tensions. En effet, quand on dit tenir le cadre, c'est quoi le cadre ? C'est le médiateur. Voilà, c'est lui qui incarne le cadre, qui le pose et puis qui le... qui le tient. Quand ce matin, elle dit que je ne l'ai pas tenu, c'est que j'étais à la fois formatrice, médiatrice et que j'avais le regard sur la montre. Donc, en effet, quand on est à toutes les places, ça ne fonctionne pas. Donc, ça, c'est une très, très belle leçon. Par rapport à ça, il me semble qu'en effet, quand on est sollicité pour les situations de tension, les acteurs ont besoin d'être en sécurité. Donc, pour moi, la fonction du cadre, c'est surtout celle-ci. Une fois que quelque chose est suffisamment sécurisé, donc cet espace en fait, ce moment, ce lieu, ce temps, à l'intérieur, ça nous échappe. C'est-à-dire que ce qui se passe, du côté de ce qu'on pourrait appeler le processus, c'est-à-dire le processus pour moi, ça n'a rien à voir avec la procédure, ni le dispositif. Le processus, c'est ce qui se passe et ce qui échappe au médiateur, c'est-à-dire l'effet du questionnement du médiateur, l'effet de la circulation de la parole, c'est-à-dire tout ce qui va se transformer. par les échanges. Et donc là, il y a beaucoup de liberté et surtout de la confiance. Donc il me semble qu'on est sur cet équilibre entre un espace sécurisé, un cadre, et donc c'est pour ça qu'on a un certain nombre d'éléments, notamment on peut signer une convention d'entrée en médiation, et confiance dans la capacité des personnes à se dire ce qu'elles ont à dire et à trouver par elles-mêmes un chemin. Des solutions dont il s'agit.

  • ETG

    Alors justement, quand on est face à des manifestations fortes, les gens crient, peuvent pleurer, il y a des choses importantes qui sont dites. Comment garder son calme intérieur ? Comment ne pas être ébranlé ? Est-ce que c'est quelque chose que tu travailles ou est-ce que toi c'est ta nature profonde ? Parce qu'on voit qu'elle a l'image de quelqu'un qui est très calme, très ancré. Mais est-ce que c'est finalement un muscle que tu travailles tous les matins ? Ou c'est ta nature ? Il y a un mystère, Laure, là.

  • LV

    Vous devriez poser la question aux gens qui me connaissent bien en famille. Vous verrez que c'est ni dans la nature, ni inné. Je pense que ce qui s'exprime par des émotions qui débordent, c'est-à-dire les larmes, alors quand tu parles de cris, je pense que ça ne crie pas en médiation, puisqu'il y a quand même quelque chose qui peut se contenir, en tout cas qui prend l'ampleur.

  • ETG

    Oui, qui se fait sursauter.

  • LV

    C'est que quelque chose n'arrive pas soit à se faire entendre, soit à se connecter, soit à être entendu. Et donc, j'évoquais ça tout à l'heure, il me semble, en tout début d'échange entre nous, c'est-à-dire les émotions. Ça s'accueille de manière inconditionnelle. Donc quelqu'un qui, mettons, se met... Bon, là, par exemple, à pleurer, ou quelqu'un qui se met à être très très en colère, c'est quelqu'un qui a quelque chose d'important, de vital à dire et à faire entendre. Donc, on pourrait presque dire, si vous voulez, que l'émotion, c'est une porte d'entrée, c'est un accès, en fait. Voilà. Et donc, c'est un peu contre-intuitif, parce qu'on a quand même été éduqués pour contenir tout ça. Alors qu'en fait, c'est simplement une porte d'entrée, un accès. Voilà. Donc... Voilà, comment on accueille ça, et puis surtout, comment on permet aux personnes de dire ce qu'elles ont à dire.

  • ETG

    Et justement, c'est ce qui me venait ce matin en vous regardant, je trouve que l'espace de médiation, c'est quand même un espace de vraie liberté, parce que non seulement on recherche cette parole vraie qui circule et qui est parfois... Ça vient de très loin, mais même je te regardais, tu bouges beaucoup en fait avec le corps, et d'ailleurs tu insistais sur cette dimension corporelle. Toi tu t'es formée à des pratiques de théâtre, de danse, d'expression corporelle, où c'est pareil, c'est assez intuitif, je te voyais bouger. Le médiateur physiquement, il doit vraiment être là.

  • LV

    Je pense que le corps est absolument essentiel, central, c'est là que ça se passe. C'est-à-dire que... Les émotions, on les reçoit dans le corps, on les ressent. Et si, en tant que médiateur, je me suis coupée de mes émotions, c'est extrêmement difficile d'être à cette place-là. Donc c'est un moment, la médiation, où le mental n'est pas roi, on pourrait dire. C'est-à-dire que justement, c'est peut-être ça qui fait que la médiation est un espace précieux. C'est-à-dire qu'on va essayer d'aller... Alors on n'est pas du côté du pourquoi, c'est pas le sujet, c'est pas le lieu, on n'est pas là pour creuser. Voilà, mais on est vraiment du côté du qu'est-ce qui s'est passé, du en quoi ça aurait été important pour vous, de quoi auriez-vous besoin à ce moment-là, qu'est-ce qui s'est joué, voyez ? C'est-à-dire, tu vois, c'est vraiment, je crois, faire place en fait, faire place à... Vraiment, pour moi, le mot qui me vient, c'est pour ça que je trouve que le conflit, la conflictualité est extrêmement précieux. C'est que c'est juste un écran de fumée à la vitalité, en fait. C'est pour ça que quand on travaille sur des conflits, on ne travaille pas que sur du dur, que de la difficulté, que de la violence. Pas du tout. La violence, c'est un écran, en fait, c'est un passage. Mais qu'est-ce qui cherche à se faire entendre ? C'est ça qu'on va faire émerger en médiation. C'est vrai.

  • ETG

    Et justement, ce matin, tu disais que quand on traverse quelque chose avec quelqu'un, ça parle de nous. Et là, t'inciter en tout cas à se connecter à ce qu'on ressent et t'évoquer cette idée des empreintes émotionnelles qu'on a en soi. Est-ce que tu peux revenir là-dessus ?

  • LV

    Oui, je ne vais pas aller forcément très loin là-dessus là ensemble, mais ce que je peux dire, c'est que je pense. Alors ça, tu vas me dire que c'est une croyance, oui, j'assume. J'assume cette croyance issue de l'expérience. qui est que c'est pas un hasard quand on est en conflit avec quelqu'un et qu'il y a quelque chose qui cherche à se faire entendre et très souvent c'est quelque chose qu'on ne veut pas voir et que tant qu'on ne s'est pas connecté tant qu'on ne le voit pas tant qu'on ne le reconnait pas tant qu'on n'arrive pas à mettre du sens là-dessus tant que c'est non nommé Dans tous ces moments, je dirais, de tension, oui, ça vient sonner à la porte des émotions, ça vient sonner... Alors voilà, certains vont appeler ça les empreintes émotionnelles qui sont dans le corps et je dirais qu'ils sont, on pourrait dire, convoqués lorsque quelqu'un nous interpelle, en tout cas à quelqu'un avec lequel on est en conflit. Et c'est vrai que... Récemment, à un moment donné, à faire une pause, au moment où on propose à chacun de prendre la parole et de dire qu'est-ce que vous avez entendu d'important pour l'autre, ce qu'on appelle la reconnaissance mutuelle, et assez récemment, j'ai vraiment senti l'intérêt, à cette étape-là de la médiation, de dire je vous propose là maintenant de prendre une minute pour chacun, pour se connecter à quelque chose que vous venez d'apprendre. dans cette situation de tension entre vous. C'est-à-dire qu'on démarre la médiation en se disant vraiment le problème c'est l'autre et je vais entrer en médiation pour lui dire vraiment ce qu'il a besoin d'entendre, en argumentant, en donnant mon avis, etc. Et il me semble que parfois, c'est pas toujours possible, mais que parfois les choses se circulent d'une manière que je repère quelque chose qui en effet... parle de moi. Alors d'une blessure, d'une empreinte, chacun l'appelle comme il veut. Mais en tout cas, quelque chose qui est un peu à vivre, qui n'est pas digéré, on peut dire ça comme ça, si on veut le dire simplement, et que j'ai besoin de repérer pour grandir. Et donc en effet, tant que ça n'est pas capté, mis au travail, ça va perdurer.

  • ETG

    J'avais une question sur tes enquêtes, puisque tu m'as parlé à mon tout début du fait que tu faisais des enquêtes harcèlement, discrimination. Est-ce que ta méthodologie de travail, elle emprunte au processus de médiation collective ? Est-ce que tu commences de la même façon avec l'équivalent d'une assemblée générale et des entretiens individuels que tu vas mener ?

  • LV

    Alors là, c'est vraiment toute autre chose, j'ai envie de dire. C'est-à-dire que là, on était dans le champ de la médiation où les acteurs sont autour de la table. pour nommer ce qu'ils ont à nommer. Là, ce que tu évoques, c'est plutôt le champ des interventions, plutôt de conseils, donc diagnostics, enquêtes. Et là, on est sollicité, en effet, pour essayer de qualifier des situations. Donc ça, c'est toute autre chose, bien plus difficile. Et ce qui, en effet, pour moi, est toujours très difficile, c'est comment je fais... Alors, on va repérer des faits, voilà. Mais comment je fais pour faire place aux vérités subjectives, aussi. C'est-à-dire que, je peux donner un exemple d'une enquête notamment, où on était vraiment sur des choses qui, en apparence, étaient très anecdotiques. On se dit, mais vraiment, quand on regarde ça de l'extérieur, on se dit, mais c'est des gamineries, c'est pas possible d'arriver à une accusation de harcèlement. Pour ces faits-là. Et l'expérience vraiment très forte pour moi de la médiation, de ce que j'ai appris, c'est que ce n'est pas tellement les faits qui comptent, c'est la représentation et le vécu sur ces faits. Donc un objet, un objet par exemple balancé sur le côté, ça peut paraître une maladresse. Mais à part que si balancer un objet sur le côté, pour moi, c'est... Ça a une signification extrêmement profonde parce que ça parle de quelque chose qui est tout à fait crucial dans mon existence. Alors ce geste-là va prendre une ampleur tout autre. Mais ça, évidemment que je ne vais pas le dire. Je vais le garder pour moi et donc je vais attribuer à l'autre une intention qui est de me nuire. Et je suis persuadée, mais vraiment profondément persuadée, que l'intention de l'autre c'est de me nuire.

  • ETG

    Voilà, bien sûr. Alors comment tu restitues ça à ton mandataire ? Parce que ça, c'est une vraie difficulté. La subjectivité du ressenti du harcèlement, on le voit quotidiennement. Et moi, ce que je vois dans mon travail, c'est la difficulté des enquêteurs à se positionner sur le bon registre. Parce que soit on se dit qu'on est des enquêteurs type Colombo et on va rechercher si le délit pénal est constitué. Neuf fois sur dix, il ne l'est pas. Il y a une vraie difficulté et en même temps l'expérience subjective de la personne, qu'est-ce qu'on en fait ?

  • LV

    C'est très délicat, c'est pas confortable, c'est pas facile.

  • ETG

    Ça incite quand même à...

  • LV

    Beaucoup de prudence. Beaucoup de prudence, je pense que...

  • ETG

    Tu me donnes des idées de contestation d'enquête bidon.

  • LV

    Je pense que...

  • ETG

    Ce qui revient à nous en cabinet d'avocat, les enquêtes, tu leur fais dire ce que tu veux. Mais c'est assez rare que la réalité, le vécu de la personne qui se plaint soit restitué dans cette enquête.

  • LV

    Ce sont des exercices extrêmement délicats. Je pense qu'en effet, comme tu dis, beaucoup de prudence. Et puis peut-être accepter que parfois on n'a pas les éléments pour qualifier les situations. Et le dire clairement.

  • ETG

    Alors, tu expliques que c'est la représentation sur laquelle on travaille en médiation, la représentation du groupe, et notamment d'un groupe social, qui détermine son identité. Et tu insistais dans ton travail de mémoire au CNAM sur l'importance de la référence au mode de la souffrance, de la victimisation. Tu évoques les narcissismes collectifs, j'ai trouvé ça d'une grande actualité. Et tu expliques que justement un des enjeux c'est de faire dériver la confrontation de l'affrontement de valeurs vers un débat sur les systèmes de valeurs pour que la différence devienne un vecteur des échances et pas seulement un symptôme. Mais est-ce que concrètement on a tous intérêt à la médiation ? À partir du moment où le groupe se construit sur cette représentation ?

  • LV

    Hum. Il me semble que comme je l'évoquais tout à l'heure, il y a une dynamique de groupe qui se met en place. Le groupe finalement peut le considérer comme un système. Et dans le système, les uns et les autres vont se mettre à des places différentes. Et il me semble que ce qu'on peut tenter, mais vraiment avec énormément de modestie, parce que si ce n'est pas le moment, ce n'est pas le moment, c'est précisément de faire en sorte que les uns et les autres puissent se déloger. Et sortir des cases. Parce qu'il me semble que c'est ça qui est violent dans les situations de conflit, qui se sont cristallisées, c'est qu'on est enfermé. Voilà, on porte une étiquette. T'as l'emmerdeur de service, t'as celui qui monopolise, t'as celui qui dit jamais rien par devant mais qui part derrière, etc. Bref, chacun finalement est catalogué et agit d'une certaine manière avec cette étiquette, qu'il le veuille ou non. C'est-à-dire que quand je me suis mise à une place de victime, c'est très très difficile d'en sortir. Alors quand je me suis mise, quand les autres m'ont mise, c'est une responsabilité partagée. Et donc en effet, ça demande un certain courage, j'ai envie de le dire comme ça, de se dire quelle est ma part dans cette affaire. Alors je sais que dire ça, ça peut être vraiment dur à accepter et à entendre pour certains, parce que quand on vit des choses extrêmement dures, c'est impensable de penser qu'on puisse avoir une part. Je ne fais pas référence là à des situations extrêmes. On est en... contexte professionnel. Et donc, en effet, pour moi, en médiation, alors je pense que ce que je dis là va peut-être... Je pense que certains médiateurs ne seront pas d'accord avec ça, mais ça ne fait rien, tant pis, je le dis, quitte à ce que ça crée du débat. Mais pour moi, en médiation, il n'y a pas de victime. Voilà. Et il n'y a pas de bourreau non plus. Je pense qu'on a des êtres, des acteurs qui ont fait ce qu'ils ont pu, qui ont fait ce qu'ils ont fait, et que quelque chose là peut se faire entendre au-delà, ou en-dessous plutôt, je devrais dire, de ce qui a généré, pour le coup, sans aucun doute, beaucoup de souffrance, beaucoup de violence. Mais en tout cas, ce qui est central pour moi, quelles que soient les paroles qui ont été... prononcées ou les actes qui ont été menés, c'est que personne n'est réduit à ce qu'il a pu faire ou pu dire.

  • ETG

    C'est une deuxième chance, presque, non ?

  • LV

    En tout cas, c'est pour moi ce qui donne sens à ce travail. Je pense qu'il y a toujours une ouverture possible, je pense qu'il y a une prise de conscience. Je pense qu'il y a toujours une prise de conscience possible sur ce qu'on a pu dire, faire et sur les impacts que ça a eu.

  • ETG

    Alors sur un plan personnel, et ce sera mon avant-dernière question, est-ce que tu as eu des ressources philosophiques, théoriques qui t'ont nourri sur ce chemin de la médiation, des ouvrages qui t'ont marqué, qui ont vraiment construit ton approche ?

  • LV

    J'ai beaucoup appris dans des groupes dans lesquels on s'est questionné sur la place, on s'est questionné sur la pratique et avec lesquels on a cheminé, on a constitué, tissé cette approche. Pour moi c'est vraiment une approche qui s'est constituée et qui continue d'ailleurs à évoluer. Voilà, je crois que ça fait peut-être une vingtaine d'années qu'on est sur ce chemin-là. Et je pense que ça va continuer à évoluer, notamment aujourd'hui se pose la question de la liberté d'adhésion et du volontariat. Je pense vraiment important, moi, de maintenir cette dimension-là. C'est de plus en plus difficile parce que quand on nous sollicite, on nous dit qu'ils n'auront pas le choix. Il faut sortir de cette crise, donc il faudra qu'ils soient autour de la table. Et ce que moi j'ai pu constater, c'est que quand les uns et les autres n'ont pas le choix, alors ça résiste. Donc comment est-ce qu'on peut nous soutenir la place à une certaine forme de liberté ? Il ne peut pas y avoir une médiation forceps, ce n'est pas possible.

  • ETG

    Et alors as-tu interrogé ton propre rapport au conflit ?

  • LV

    Est-ce que toi tu es plutôt dans l'évitement, la confrontation,

  • ETG

    la paralysie ? La confrontation, la médiation.

  • LV

    Oui, mais j'avais beaucoup peur. J'avais beaucoup de peur. Et donc c'est ça que j'ai travaillé. Qu'est-ce qui fait peur, en fait ? Qu'est-ce qui fait peur dans la violence ? À quoi ça renvoie ? Donc c'est ça que je suis allée rechercher. C'est ça que je suis allée rechercher, d'un côté. Et de l'autre, je dirais, c'est qu'est-ce qui fait... que ça m'intéresse d'être à cette place de tiers, au milieu du conflit des autres. C'est quand même pas rien.

  • ETG

    Bien sûr. Alors, tu as trouvé la question ? Tu as trouvé la réponse ?

  • LV

    Oui, oui, ça...

  • ETG

    Alors, j'avais l'impression que c'est quand même de l'ordre de l'engagement, moi que je qualifierais un peu de politique. Non, cette foi, justement, dans la... L'intérêt, la valeur que ça représente de créer cet espace où justement cette confrontation à l'impossible et de l'utilité que ça a de rendre... Est-ce que c'est pas franchement ta façon de contribuer à un collectif meilleur ?

  • LV

    Ce qui est central, essentiel pour moi, je crois, c'est au départ de pouvoir nommer les choses. C'est déjà beaucoup. de pouvoir faire en sorte que quelque chose d'important soit entendu. Ça, c'est encore une autre étape. Ce n'est pas toujours possible. Et ce que je crois, en effet, c'est que quand l'un et l'autre sont rendus possibles, alors, une transformation a lieu. Et en effet, moi, c'est cet endroit-là qui est mon désir de médiation. C'est du côté de la transformation et de l'évolution, en effet. Je ne sais pas si c'est politique, si c'est...

  • ETG

    C'est comme ça qu'on change le monde. Si on agit sur les représentations des uns et des autres, on arrive quand même à faire passer...

  • LV

    En tout cas, j'ai beaucoup de mal avec le binaire, on pourrait dire. Et donc je suis plutôt du côté, lorsque tu évoquais les ouvrages, il y en a un qui me vient tout d'un coup, je suis plutôt du côté d'une... Je dirais de... Voilà... Cette forme d'acceptation des antagonismes à l'œuvre. Comment est-ce qu'on peut, je dirais, se faire se rencontrer, en fait, ces antagonismes-là, et donc accepter une forme de complexité ? Je pense notamment à De Morgon, au Morin, à des acteurs qui ont travaillé ces enjeux-là. C'est-à-dire sortir d'une vision binaire, c'est-à-dire j'ai raison, l'autre a tort, ou des visions binaires qui seraient du côté de mes valeurs, ma vision, ma vision de la vie. du monde à l'acceptation que l'autre est autre.

  • ETG

    C'est l'enjeu de société là.

  • LV

    Mais c'est costaud d'accepter ça. C'est pas évident.

  • ETG

    C'est sûr, écoute je te remercie beaucoup Laure, on a terminé

  • LV

    Merci, merci à toi

  • ETG

    Merci d'avoir écouté cet épisode n'hésitez pas s'il vous a plu à le partager autour de vous et à le noter sur Apple Podcast cela aide à faire connaître la médiation et plus particulièrement la médiation collective vous pouvez également me faire part de vos remarques via mes réseaux ou sur mon site internet etgavocat.fr A bientôt, au revoir.

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