- ETG
Bonjour, vous écoutez Antidote, le podcast qui interroge notre rapport au conflit. Je m'appelle Émilie Thivet-Grivelle, je suis avocate et médiatrice, fondatrice du cabinet ETG Avocats. Chaque mois, je vais à la rencontre de professionnels qui ont changé de regard sur la conflictualité et qui travaillent à en sortir par le dialogue et la médiation. Pour cette nouvelle saison du podcast Antidot, je vous propose d'écouter trois numéros spéciaux réalisés en collaboration avec une entreprise que nous connaissons et aimons tous, la RATP. En effet, la RATP a innové il y a déjà quelques années en donnant la possibilité à ses salariés de faire appel à une médiatrice en interne pour les conflits pouvant affecter les collectifs de travail. J'ai eu la chance de m'entretenir avec Sophie Pralon-Ritchie qui a créé le dispositif de médiation interne et qui nous présente les offres d'accompagnement au dialogue. Dans quel cas est-elle sollicitée ? Comment les médiations peuvent intervenir dans des contextes relationnels détériorés qui suivent parfois des enquêtes internes ? Pourquoi ce besoin de médiation collective dans les équipes ? Et quelles sont les autres options ouvertes aux salariés en difficulté ? C'est à toutes ces questions que nous répondons dans cet épisode. Je vous souhaite une bonne écoute.
Il y avait une demande particulière justement de créer ce dispositif. C'est parti de quoi l'idée au départ ? Des plaintes de salariés, d'avoir quelque chose d'innovant au sein de l'entreprise, pour le dialogue peut-être, pour faciliter le dialogue entre les salariés ? Vous avez une idée quelque part ?
- SPR
Alors c'est venu du DRH Group, Jean Agulion, qui voulait élargir la palette des dispositifs existants dans l'entreprise dans une optique de plus de prévention. Parce qu'aujourd'hui, c'est vrai qu'on connaît tous les procédures d'enquête qui s'avèrent parfois nécessaires. Mais l'intérêt de la médiation, c'est qu'on est beaucoup plus en amont en termes de conflictualité. Et donc, le but, ce n'était pas de se substituer aux dispositifs existants, mais au contraire d'offrir une offre complémentaire plus douce basée sur l'échange. Et puis nous étions convaincus, Jean et moi, et nous le sommes toujours d'ailleurs, que promouvoir l'amiable en entreprise, ce n'est pas suivre un phénomène de mode. Au contraire, c'est vraiment répondre aux évolutions sociétales et aux besoins des salariés. Parce qu'on voit bien aujourd'hui, les salariés, quel que soit leur niveau hiérarchique et ailleurs, ont davantage besoin de s'exprimer. Ils ont besoin d'être acteurs de leur destin. Et en ce sens, la médiation leur permet de le faire. La médiation, c'était pour nous une façon à la fois de les responsabiliser, et puis en même temps, une façon de permettre à chacun de trouver ou de retrouver sa place dans l'équipe ou dans l'organisation plus largement.
- ETG
Aujourd'hui, dans quel type de conflit vous êtes saisies et comment ça se passe justement, le processus de saisine du médiateur interne que tu es avec Laurence Cochet ?
- SPR
Alors le choix qu'on a fait dès le départ, c'est d'éviter la saisine directe. C'est-à-dire que la médiatrice que j'étais et les médiatrices que nous sommes maintenant, puisque nous sommes deux avec Laurence comme tu l'as dit, ne peuvent être sollicitées que par la fonction RH, les managers et les médecins du travail.
- ETG
D'accord.
- SPR
Donc c'est un choix délibéré qu'on a fait, qui s'appuie sur le principe de subsidiarité. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cette offre de médiation ne se substitue pas aux autres dispositifs. C'est quelque chose de complémentaire, mais en même temps, complémentaire dans le sens où, justement, chacun a son rôle, reste à sa place. Les médiateurs ne sont pas des magiciens. Ça se saurait.
- ETG
C'est clair.
- SPR
Néanmoins, on doit les solliciter, en tout cas dans mon organisation, lorsque des tentatives ont été menées en local au préalable et qu'elles n'ont pas abouti. Aujourd'hui, en 2025, par rapport à 2021, elle s'est vraiment étoffée. On a fait preuve de créativité, c'est-à-dire qu'au départ, au tout début, moi je conduisais plutôt des médiations de conflits interpersonnels ou de petits groupes, et très rapidement, j'ai assisté à un boom des demandes de médiations collectives, qui d'ailleurs se confirme encore aujourd'hui. Mais on a également essayé de s'adapter aussi aux demandes des opérationnels et des salariés. Et on a créé des espaces de parole que je mène conjointement avec une ergonome, Eve Valéry, qui travaille dans l'entreprise également. J'ai monté de toutes pièces des ateliers de sensibilisation à destination des managers pour essayer de les outiller au maximum quand ils sont face à une situation pré-conflictuelle ou lorsque le conflit est déjà ouvert. Et puis on a aussi expérimenté la médiation de projet. Donc pour répondre à ta question, oui la médiation elle est là pour prévenir les conflits. C'est son but, c'est d'avoir une dimension vraiment préventive. Et on a certains managers qui l'ont compris et dès qu'ils sont face à des germes de conflits, ils nous sollicitent. Mais elle reste encore aussi un mode curatif, c'est-à-dire qu'on nous sollicite lorsque le conflit est déjà ouvert.
- ETG
Bien sûr. Et là, depuis peu, pour penser les transformations de l'organisation du travail, dans le cadre des médiations de projet, vous êtes aussi sollicitées dans ce cadre-là.
- SPR
Oui. Cette dimension est moins connue, donc on est moins sollicitée. Mais c'est clair que le groupe RATP, comme toutes les autres organisations, est confronté à des évolutions permanentes, à des projets divers et variés. Et c'est vrai que la médiation de projet prend tout son sens dans cette actualité, dans ce contexte. Il nous arrive d'être sollicité suite à une enquête harcèlement, que le harcèlement ait été d'ailleurs avéré ou pas. Mais c'est vrai que suite à ce type d'enquête, il arrive souvent que les collectifs soient abîmés, fracturés, divisés. Et le but d'une médiation collective, c'est de reconstruire du lien, si c'est encore possible. Il nous arrive aussi d'être sollicités par des managers qui sont face à des difficultés au sein de leur équipe. Et parfois, ils n'arrivent pas bien à mesurer ce qui est de l'ordre du relationnel pur, entre guillemets, ou de l'ordre de l'organisation du travail, d'où l'approche systémique qui est vraiment importante. Et dans ce cas de figure, on est amené effectivement à intervenir. Une médiation collective peut être demandée par le manager parce qu'il voit que son équipe souffre. Il a envie de l'aider, il a envie de trouver des solutions, il a essayé par lui-même et il se rend compte que finalement, ses collaborateurs ne peuvent pas peut-être tout dire au manager. Donc en ça, c'est une aide la médiation collective. Mais il peut arriver aussi que le manager soit lui-même pris dans la médiation collective, fasse partie du périmètre. Et auquel cas, ce n'est plus lui le commanditaire, c'est quelqu'un d'autre. Pourquoi est-ce que les managers nous sollicitent ou les RH pour une médiation collective ? C'est parce que ça a un impact justement sur le travail. C'est que le travail est désorganisé parce que les salariés ont du mal à s'entendre. Du coup, ce qu'on a fait, c'est qu'on a conduit des médiations collectives de manière classique, on va dire. J'y reviendrai si tu veux savoir comment ça fonctionne. Mais on s'est rendu compte aussi parfois qu'au sein d'un collectif, alors plus ou moins grand, il y a toutes les tailles, au sein d'un collectif, il peut y avoir effectivement des difficultés relationnelles entre tel ou tel qui viennent impacter le reste ou entre plusieurs membres de l'équipe, donc qui viennent perturber le travail. Mais parfois, c'est aussi le travail lui-même qui n'est pas forcément compris, ou clair ou bien perçu. Et parfois, les managers ne savent pas trop, justement, mais qu'est-ce qui cloche ? Qu'est-ce qui cloche dans l'équipe ? Ils ont essayé un certain nombre de choses, ça n'a pas fonctionné. Et du coup, on a développé, avec ma collègue ergonome Eve Valéry, une nouvelle offre qui s'appelle « Espaces de parole ». C'est un peu un préalable à la médiation collective. C'est-à-dire que lorsqu'un manager nous sollicite ou un RH en disant « à cet endroit, ça dysfonctionne », on n'arrive pas trop à savoir pourquoi, alors on prend un petit peu plus de temps, on vient présenter notre démarche aux salariés, bien sûr comme la médiation collective ou interpersonnelle, elle s'appuie sur le volontariat, donc on présente notre démarche, on écoute tous les salariés qui sont volontaires pour venir nous parler. Lorsqu'ils sont suffisamment nombreux, et on l'espère à chaque fois, et qu'on est capable d'analyser de manière la plus précise, Qu'est-ce qui fait qu'ils en sont arrivés là ? Quels sont les facteurs qui permettent d'expliquer ce qu'il se passe ? Alors oui, on revient vers ce collectif et on explique tout cela en anonymisant bien sûr ce qui nous a été dit. Et on fait des propositions qui sont pour le coup adaptées à la situation. Donc on peut proposer une médiation collective, mais on peut proposer aussi un diagnostic ergonomique. On peut proposer les deux en parallèle ou décalé dans le temps. On peut aussi proposer des médiations bilatérales au sein de la collective. Et là, on embrasse vraiment tout le champ à la fois du travail et de la relation. Et on a une approche complètement systémique.
- ETG
C'est intéressant. C'est comme si vous collectiez toutes ces paroles pour restituer ce que vous en avez compris et en tirer des enseignements pour mieux travailler derrière.
- SPR
Tout à fait, c'est ça. C'est une sorte de diagnostic, de pré-diagnostic ou d'analyse de la demande extrêmement poussée. Mais c'est intéressant parce que parfois on pense que la médiation collective peut être la solution. Et finalement, on se rend compte que ça améliore la situation, mais ce n’est pas forcément suffisant ou parfois on n'ose pas proposer une médiation collective alors que on se rend compte qu'il y a énormément de non-dits et que les salariés ont besoin de se lire les choses, ont besoin chacun de retrouver leur place, de dire ce qui est important pour eux, d'être entendus aussi, d'exprimer les émotions qu'ils ont enfouies. Voilà mais le fait d'avoir cette palette différenciée nous permet à chaque situation de nous adapter et de proposer quelque chose de différent.
- ETG
Oui, donc aujourd'hui c'est une offre polyvalente, un peu plurielle finalement. Ce n'est pas juste le dispositif de médiation, c'est une offre multiple de dispositifs d'écoute un peu différenciés finalement. Et sont favorisées finalement. C'est intéressant en fait.
- SPR
Parce qu'on a pris le temps aussi de laisser le processus mûrir individuellement et collectivement d'ailleurs.
- ETG
Du coup, après quatre ans aujourd'hui, qu'est-ce que tu peux nous en dire de ce que tu as observé aussi ? Vous êtes mieux connue dans l'entreprise, la notoriété du dispositif, j'imagine qu'elle a grandi. Tu as dit que vous aviez plus de saisines, mais quels sont les retours que te font les salariés ? Et que t'en fais sur ces dernières années ? Puis il y en a certains que t'as peut-être vu, que t'as pu accompagner dans des organisations, etc.
- SPR
Alors oui, on est davantage connus. J'ai envie de dire tant mieux. Mais même si le processus de médiation a fait l'objet de différentes campagnes de communication, les gens changent de fonction. Et donc, il ne faut pas cesser de communiquer tout le temps. Parce que ça reste un processus trop peu connu, malgré ce que je viens de dire. Ça reste un processus qu'on peut confondre avec d'autres, notamment la conciliation. Ça reste un processus qui peut faire peur à tout le monde d'ailleurs, au manager, qui peut se dire, si je sollicite le médiateur, c'est que finalement je n'ai pas été à la hauteur, ou aux salariés qui peuvent se dire « Oh là là, mais finalement c'est si grave que ça » . Donc je pense qu'il faut continuer à expliquer, à rassurer, à dédramatiser. Le dispositif a gagné en robustesse réglementaire, dans la mesure où il a été intégré dans l'accord QVCT de l'entreprise, qui a été signé en février 2024. Donc c'est une bonne chose. Et voilà, moi ce que j'ai envie de dire, c'est que la médiation, c'est un processus qui fonctionne. C'est un moyen de transformer les résistances en opportunités. Il ne faut pas s'en priver. C'est, comme tu le sais Émilie, un outil du changement également, qui remet les gens au travail et qui leur redonne du sens. Et ça, c'est vraiment fondamental.
- ETG
Merci beaucoup Sophie. Merci d'avoir écouté cet épisode. N'hésitez pas à me faire part de vos remarques sur LinkedIn et à noter le podcast sur Apple Podcast. Vous pouvez aussi le partager si vous pensez que cela peut intéresser vos collègues, votre direction, vos amis, vos ennemis ou votre avocat. Vous pouvez me suivre sur LinkedIn, me contacter et connaître tous les services d'accompagnement proposés par le cabinet sur le site www.etg-avocat.fr et notamment si vous avez des questions sur un cas / conflit que vous concerne au travail ou dans votre vie personnelle. A très bientôt !