Speaker #0Bonjour, bienvenue dans ce nouveau podcast d'Apprendre la Philosophie. Je suis Caroline et dans cet épisode, nous allons nous demander s'il peut être moral de mentir. La question du mensonge et de sa moralité est une question philosophique abordée notamment par des auteurs comme Kant, Rousseau ou encore Benjamin Constant. Je vais ici vous présenter certains éléments du problème et arguments sur cette question. Le mensonge peut-il être moral ? si c'est pour une bonne raison. Ou bien doit-on dire que mentir est toujours moralement condamnable, quelle que soit la raison pour laquelle nous pourrions être amenés à mentir. Mais si l'on admet que mentir est toujours immoral, en est-il de même du mensonge par omission, ou plus généralement, du fait de cacher la vérité sans pour autant dire le faux. Dans un premier temps, on peut dire que le mensonge est généralement très largement condamné dans notre culture judéo-chrétienne, qui suit en cela les principes de saint Augustin d'Hippone, philosophe et théologien du IIIe siècle après Jésus-Christ. En effet, saint Augustin, contre saint Jérôme, condamne, dans du mensonge, toute idée qu'il pourrait y avoir de bons mensonges. À ses yeux, le mensonge est mauvais, par nature, quelle que soit la situation ou le but du mensonge, car il consiste... a, je cite, « parlé contre sa pensée avec l'intention de tromper » . Ce faisant, le menteur est donc un homme au cœur double qui sait le vrai et dit le faux. Ainsi pour Augustin, le menteur pêche contre Dieu du fait de sa duplicité et pêche contre son semblable par son désir de le tromper. Néanmoins, si saint Augustin condamne le mensonge sans équivoque, il distingue le mensonge du secret au sens strict, car cacher la vérité n'est pas mentir. Ainsi, quand le devoir de dire vrai et la charité chrétienne entre en conflit, le devoir est de déclarer, je cite, « je sais, mais je ne parlerai pas » . Saint Augustin admet néanmoins que cette solution est extrêmement risquée et coûteuse pour celui qui garde le secret. car il peut s'exposer à des représailles de la part de celui qui veut savoir la vérité. C'est pourquoi saint Augustin indique qu'il est possible d'avoir recours à des expressions équivoques, afin d'induire l'interlocuteur mal intentionné en erreur, sans que cela soit un mensonge franc. Ce procédé peut être utilisé dès lors que ce qui est dit est en partie vrai. Saint Augustin prend ainsi l'exemple d'Abraham qui craignant pour la vie de Sarah, déclare au Pharaon que Sarah est sa sœur et non sa femme. Sa réponse n'est pas fausse car Sarah est bien sa demi-sœur, mais elle est aussi son épouse. Saint-Augustin distingue ainsi le mensonge franc du fait de garder un secret en utilisant une certaine ambiguïté. Ensuite, la question de savoir si l'on peut ou non ne pas dire toute la vérité est traitée notamment dans une controverse qui oppose Emmanuel Kant à Benjamin Constant. Kant condamne tout mensonge délibéré. Selon lui, il n'est absolument pas moral de mentir même pour garder un secret. L'homme a pour devoir de dire la vérité, ou plus exactement de dire ce qu'il croit vrai. Si le sujet vient à mentir, alors il en sera le premier impératif catégorique exposé en ces termes par Kant dans les fondements de la métaphysique des mœurs, je cite, agit de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle de la nature. Cela signifie que l'individu doit pouvoir rationnellement vouloir que chacun agisse comme lui, de telle sorte que cela devienne la norme. Or, selon Kant, nous ne pouvons pas rationnellement vouloir que tout le monde mente, car cela rendrait toute vie en société impossible. Il n'y aurait en effet plus aucun lien entre des personnes qui se mentent constamment et mutuellement. De plus, selon Kant, celui qui ment doit ensuite endosser la responsabilité morale de tout ce qui peut arriver du fait de son mensonge, car il est intervenu dans le cours des événements. Je cite « Si je dis quelque chose de faux dans des affaires importantes, où le mien et le tien sont en jeu, dois-je répondre de toutes les conséquences qui peuvent suivre de mon mensonge ? Par exemple, un maître a donné l'ordre de répondre si quelqu'un le demandait qu'il n'est pas à la maison. Le domestique suit la consigne reçue, mais il est cause par là que son maître après être sorti, commet un grand crime, ce qui aurait été empêché par la force armée envoyée pour l'appréhender. Sur qui retombe ici la faute selon les principes de l'éthique ? À n'en pas douter sur le domestique, également qui, par le mensonge, a enfreint un devoir envers lui-même. Sa propre conscience doit lui reprocher les conséquences. On voit ainsi que, aux yeux de Kant, Il n'est pas moral de mentir pour garder un secret, même si cela semble être dans l'intérêt d'autrui. C'est sur ce point notamment que Benjamin Constant s'oppose à la thèse de Kant dans ses réactions politiques. Le débat entre Kant et Constant porte notamment sur la situation suivante. Si un assassin vient vous demander si votre ami s'est réfugié chez vous, n'est-il pas moral de lui mentir ? Un ami ne peut-il pas attendre légitimement de vous que vous gardiez son secret si sa vie est menacée ? Pour Kant, le mensonge est toujours condamnable, car vous prenez alors la responsabilité de ce qui va se passer ensuite. Si vous mentez en disant que votre ami n'est pas là, et que l'assassin, retournant dans la rue, y trouve votre ami, qui était sorti de la maison entre-temps, alors, pour Kant, c'est votre faute. Constant, remarque lui, au contraire, que le lien social et la moralité se trouvent menacés si l'on ne peut faire confiance à personne, même pas à un ami pour garder un secret vital. Il va donc chercher à trouver une règle qui permette de justifier le mensonge dans certains cas. Je cite Benjamin Constant « Dire la vérité est un devoir. Qu'est-ce qu'un devoir ? L'idée de devoir est inséparable de celle de droit. Un devoir... » et ce qui, dans un être, correspond au droit d'un autre. Là où il n'y a pas de droit, il n'y a pas de devoir. Dire la vérité n'est donc un devoir qu'envers ceux qui ont droit à la vérité. Or, nul homme n'a le droit à la vérité qui nuit à autrui. Benjamin Constant voit donc les conséquences terribles que pourrait avoir l'obligation morale de toujours dire la vérité. Et il cherche à montrer que l'idée qu'il y aurait un devoir de dire la vérité est infondée, car il n'existe pas en réalité de droit à la vérité, dès lors que cette vérité peut nuire à autrui. En effet, dans un état de droit, chaque individu peut faire usage de sa liberté, dès lors que celle-ci ne menace pas la liberté d'autrui. En d'autres termes, chacun a des libertés garanties par l'état, que l'on appelle des droits, et donc des devoirs, car il doit respecter les droits des autres. Par exemple, si un individu... a le droit de s'exprimer, alors les autres ont le devoir de le laisser s'exprimer. Et s'ils ne le font pas, ils peuvent être sanctionnés par la loi. Ainsi, avoir un droit, c'est avoir l'autorisation de faire quelque chose que les autres n'ont pas le droit de m'empêcher de faire. Constant dit fin ici que ce système de droit et de devoir ne peut fonctionner et être respecté que si les droits qui sont donnés aux individus sont des droits qui ne nuisent pas à autrui. En effet, L'objectif du droit en général est bien la coexistence pacifique des individus. Or, si l'on donne des droits à certains qui sont usibles pour les autres, alors il semble légitime d'en dénoncer l'injustice. Pour conclure, on pourrait, en suivant Constant, défendre que garder un secret en mentant est même un devoir moral si la personne qui demande la vérité a pour but de nuire à autrui et n'a donc pas droit à la vérité. On pourrait alors nous objecter avec Saint-Augustin qu'il est préférable de refuser de répondre plutôt que de mentir, ou préférable de donner une réponse équivoque, qui trompe l'interlocuteur, mais sans réellement mentir. Néanmoins, comme Saint-Augustin l'admet lui-même, c'est là s'exposer soi-même à bien des risques, sans certitude d'aider notre ami, car notre interlocuteur peut interpréter notre silence comme un aveu. Ainsi, par notre silence, nous pouvons aussi trahir autrui. Nous avons donc vu qu'il peut être justifié moralement de mentir à autrui si cette personne qui prétend avoir l'information n'a pas le droit à la vérité, ne mérite pas cette vérité. En revanche, mentir délibérément à autrui, si cette personne n'a pas de mauvaises intentions et si notre réponse ne présente pas de danger pour les autres, reste sans nul doute une faute morale. Voilà pour cet épisode, j'espère qu'il vous aura aidé à mieux comprendre les enjeux sur cette question. Si vous voulez davantage de contenu sur le thème de la morale, je vous invite à vous rendre sur mon blogue Apprendre la Philosophie. Excellente journée à vous !