- Speaker #0
Bienvenue dans Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole. Cet épisode évoque des faits de violences sexuelles. Écoutez-le dans de bonnes conditions et si vous le souhaitez, n'hésitez pas à lire la description afin de sauter les passages concernés. Adolescence L'âge qui suit l'enfance et précède l'âge adulte. Autrement dit, c'est une période charnière et déterminante pour le reste de la vie d'un individu. Aujourd'hui, c'est Sarah, adolescente des années 90, qui vient témoigner des différentes violences sexuelles qu'elle a subies lors de cette période.
- Speaker #1
Bonjour, je m'appelle Sarah, j'ai 39 ans, je vis en Gironde. Je travaille dans la décoration d'intérieur et je suis en couple depuis un an avec une femme et je suis très heureuse avec.
- Speaker #0
Merci Sarah. As-tu eu une enfant des années 80 ?
- Speaker #1
Tout à fait. Je ne savais rien de violences sexuelles. Je suis issue d'une culture maghrébine. Donc parler de la sexualité c'est très tabou, même si mes parents sont très ouverts. On n'a jamais abordé le sujet de la sexualité, de nous prémunir justement contre les agressions sexuelles, puisque j'ai grandi à la campagne. Et à la campagne on n'imagine pas que ce genre de choses peut arriver. Et surtout les années 80, c'était pas aussi médiatisé que maintenant. Donc on n'avait pas tous ces moyens pour pouvoir lutter, se défendre, même si ma mère était très... Elle est toujours, mais très protectrice. J'ai le souvenir qu'elle nous disait de ne pas ouvrir des inconnus. Mais en revanche, pour tout ce qui est des relations sexuelles, je pense que c'était tellement tabou qu'on n'en parlait pas, que je ne savais rien à cet âge-là. L'éducation sexuelle, je l'ai eue par mes cousines, qui étaient un tout petit peu plus âgées que moi. Et l'apprentissage a été assez dur, assez brutal. parce qu'elles ont grandi en banlieue parisienne, donc c'est pas la même mentalité en campagne et en banlieue parisienne, il peut y avoir un décalage. J'ai l'impression que les personnes en banlieue parisienne peut-être grandissent plus vite ou connaissent plus facilement certaines choses, comme si moi j'étais un peu en autarcie et dans ma bulle et protégée. Donc elles m'ont appris comment on faisait des enfants, mais elles ne m'ont pas dit textuellement comme ça. Elles m'ont dit, tu vois, le monsieur il rentre le zizi, dans le zizi de la femme, en montrant des images. Et moi j'avais 7 ans, 7-8 ans. Donc je regardais le livre en disant mais c'est dégueulasse, je ne ferai jamais ça. Je m'en souviens très bien de cette scène. C'est une collection qui s'appelle Tout l'univers. Ce sont des livres qui sont très bien faits, éducatifs sur plein plein de choses. Mais il y avait une partie anatomie où on voyait un dessin en coupe, du zizi de l'homme en coupe bien sûr, et de savoir comment l'homme rentre dans la femme. Donc c'est un peu brutal quand tu vois ça à 8 ans, sachant que personne ne m'avait jamais rien expliqué avant. J'avais ramené le livre à l'école en disant à mes camarades, regardez comment un homme et une femme font du sexe ensemble. Ils étaient, je crois, aussi choqués parce qu'ils ne savaient pas, on ne leur avait pas appris. Les parents n'éduquent pas forcément toujours leurs enfants. Et puis on n'imagine pas que des enfants à 9, 10 ou 11 ans, ou même parfois 12, 13 ans, ont une sexualité. À cet âge-là, on compte. qu'on a dû s'animer, même s'il y a 39 ans, on peut encore en regarder. Il n'y a pas d'âge, on a dit.
- Speaker #2
Tu avais 11 ans lorsque tu as subi tes premières agressions sexuelles. Qu'est-ce qui s'est passé dans ta tête à ce moment-là ?
- Speaker #1
Je ne réalise pas trop, même si une partie de moi réalise quand même, parce que j'ai tout à fait conscience de ce qui s'est passé. Mais je me suis sentie sale, abusée. A la fois, peut-être que ça me paraissait pas normal, mais quand on a 11 ans, qu'on est attouché sexuellement par quelqu'un qui en a 14-15, qui est déjà constitué biologiquement, on se dit peut-être que c'est ça, peut-être qu'il faut faire confiance. J'ai été naïve, tout simplement, j'ai été extrêmement naïve, et je lui ai fait plus ou moins confiance, je me suis dit bon ben c'est peut-être comme ça qu'il faut procéder, puisque je n'avais eu aucune... mise en garde plus ou moins, aucun apprentissage. Donc quand je rentrais chez moi, je ne me souviens pas d'avoir pleuré, parce que je n'étais pas très sensible à l'époque, je ne pleurais pas. Mais je le vivais vraiment pas bien, ça me travaillait quand même pendant pas mal de temps, tellement que même le simple fait d'embrasser un garçon, dans ma tête, une fille qui a 11 ans maintenant, ne penserait pas du tout de la même façon. Je serais plus mature peut-être que moi je l'étais à l'époque. J'avais l'impression qu'on pouvait tomber enceinte en embrassant un garçon, en étant attouché sexuellement, sans forcément qu'il y ait pénétration avec un sexe. Donc ma mère, elle avait un livre de Laurence Pernoud, je crois. sur la grossesse, quand je rentrais, quand je suis rentrée, je l'ai feuilletée pour savoir si on pouvait effectivement tomber enceinte en embrassant un garçon. Et je regardais mon ventre, voir s'il grossissait pas. Moi à cet âge-là, 11 ans, on se pose pas ce genre de questions. Et ça m'a travaillée pendant... ouh, pendant quelques mois, même plus que ça, mais en tout cas pour le fait de regarder si mon ventre grossissait pas, je faisais attention, toujours peut-être une certaine période, et en me disant, bon non, ouf, je ne suis pas enceinte. C'est assez marrant, enfin marrant, en sens drôle, de penser à ça à cet âge-là. On ne pense pas, on joue à la poupée, on s'amuse avec ses camarades, on ne va pas penser à ce genre de choses.
- Speaker #0
Durant les prochaines minutes, Sarah va raconter la façon dont se sont déroulées les différentes agressions sexuelles qu'elle a subies. Si vous ne souhaitez pas écouter ce passage, vous pouvez directement vous rendre à 16 minutes 30.
- Speaker #1
Après, entre 11 ans et 18 ans, il y a eu aussi des attouchements au collège, ça a pu arriver. Mais dans ce qui était principal, j'ai le souvenir de deux jeunes hommes que mon frère connaît. C'est un de ses amis. Ma mère aussi connaissait bien le fils d'une des dames. Donc pour le fils d'une dame que ma mère connaît, c'était mon petit copain de l'époque. Je me rappelle que... C'était une belle journée estivale, il m'avait demandé de l'accompagner au pré juste à côté de chez ses parents. Et on s'embrasse, et puis ensuite je vois qu'il défait sa braguette, qu'il sort son sexe, et qu'il me prend la main avec force pour que je touche son sexe. Il y a forcément plus de force que moi, donc j'ai pas pu vraiment lutter. Donc ma main a touché son sexe, mais juste touchée, je n'ai fait aucune manipulation, parce que ça me dégoûtait. Ça me dégoûtait énormément parce qu'il y avait une substance collante sur son sexe. Même là, quand j'y pense, je peux revoir et ressentir cette sensation qui était vraiment très désagréable. Dès que j'ai senti son sexe qui était dur et qui était collant, je lui ai dit mais qu'est-ce que tu fais ? Je ne veux pas ça Lui pensait que parce que je l'embrassais, j'étais d'accord pour le reste. Je lui ai dit non, moi je ne veux pas donc j'ai ennuie ma main. Et ensuite je suis repartie, je suis rentrée. Je me suis lavé les mains tout de suite. Et même en me lavant les mains, j'avais la sensation encore de cette substance vraiment dégueulasse. Je me sentais vraiment sale de la main. Je n'ai parlé à personne. Même ma mère n'est pas au courant de ça, même à ce jour. Je lui ai parlé de certaines choses, mais je ne lui ai pas parlé de ça. Donc non, à ce jour, elle n'est pas au courant du tout. Je n'ai pas le souvenir que j'ai été perturbée. Je ne m'en souviens pas, on va dire. C'est sûr que ça a dû me travailler, c'est certain. Après, est-ce que ça m'a empêchée de dormir ? J'en ai plus le souvenir.
- Speaker #2
Et après, il y a eu d'autres événements, c'est ça ? Suite à ça, avec cette même personne ?
- Speaker #1
Avec cette même personne. Ce qui est quand même paradoxal, c'est-à-dire que j'aurais dû ne plus revoir, fuir. Mais il n'empêche que je l'ai quand même revue. Peut-être en me disant, je fais des excuses, en me disant, bon, peut-être qu'il était maladroit, qu'il ne voulait pas mal faire, que ce n'était pas pour me heurter. Je me suis dit peut-être que la sexualité c'est ça, peut-être qu'entre un homme et une femme, il faut masturber un homme, c'est peut-être tout simplement ça, et comme j'ai pas eu d'éducation à ce sujet, je me suis dit bon bah peut-être que lui il sait, moi je ne sais pas, et c'est comme ça qu'on apprend. Nous étions chez ses parents, pourtant ses parents étaient juste à côté en train de regarder la télévision, il me demande de le suivre dans les toilettes, ce que je fais, je le suis, naïvement. Il me demande de baisser mon pantalon et ma culotte, je le fais, encore une fois, naïvement. Et je vois qu'il essaye de, avec son sexe, de rentrer. Après, entre mes fesses. C'était pas que je ne connaissais pas la sodomie. Et je lui ai dit, mais qu'est-ce que tu fais ? Je lui ai dit, non, non, je veux pas. Je ne veux pas. Donc, il n'a rien fait, il n'a pas insisté. C'est vrai qu'il aurait pu insister, il n'a pas insisté. Evidemment, je me suis encore sentie une nouvelle fois sale. Après, je ne sais plus trop, c'est flou, mais je pense que je suis... Après, je n'ai pas tardé, je suis rentrée chez moi. Et je n'en ai pas parlé. Parce que j'avais peur de la réaction de ma mère. Peur qu'elle soit, non pas violente, mais j'avais honte. Et qu'elle me dise que j'avais qu'à faire attention, que je grandisse trop vite. Et je pense que j'ai grandi un peu trop vite. À cet âge-là, on n'a pas à vivre ce genre de choses.
- Speaker #2
Quand tu dis que tu avais honte, c'est de quoi que tu avais honte en fait ?
- Speaker #1
Honte de ce qui s'était passé et de ne pas avoir dit non vraiment. Même si j'ai dit non, mais j'aurais peut-être dû dire non dès le départ. ou anticiper ce qu'il allait faire. S'il me demande d'aller aux toilettes, c'est parce qu'il y avait une raison. Et sur ce moment-là, je pense que j'étais peut-être un peu paralysée par la peur, et je n'ai pas osé dire non sur le moment, tout en sachant plus ou moins ce qui allait se produire. Enfin, je ne savais pas qu'il avait envie de me sodomiser, mais je savais qu'il allait se passer quelque chose. Et à ce moment-là, je pense que j'ai dû tout simplement avoir peur. Et pendant longtemps, très longtemps, même si je ne voulais pas et que je disais non, peut-être que mon non n'était pas assez ferme, ou peut-être que j'avais tout simplement peur de dire non et de blesser l'autre, et de le vexer, alors que je ne voulais pas. Ça, ça m'était arrivé même après, par la suite.
- Speaker #2
Après, j'entends complètement ce que tu dis, mais si ça peut te rassurer, un non, de toute façon, il n'a pas à être ferme. ou pas, un non c'est un non, et il y a même des fois des gestes qui veulent dire non, ou des réactions qui ne veulent pas dire oui, et de toute façon quand ça veut pas dire oui, c'est que ça veut dire non en fait.
- Speaker #1
Oui bien sûr.
- Speaker #2
Donc voilà, et ce que t'as vécu, je pense que, parce que tu dis j'étais paralysée par la peur, j'étais un peu tétanisée,
- Speaker #0
je l'ai suivie,
- Speaker #2
et ça c'est un phénomène normal, t'as cet effet de sidération qui fait que t'es en pilote automatique, tu fais ce que te dit la personne parce que tu peux pas faire autrement en fait. T'es guidée par ton corps, ton cerveau a beau te lancer des messages d'alerte, je pense que ce que t'as fait, c'est complètement normal quand on est victime de ça.
- Speaker #1
Oui, et surtout quand on est enfant.
- Speaker #2
Encore plus quand on est enfant.
- Speaker #1
Face à quelqu'un qu'on considère plus ou moins comme un adulte. Enfin, 14 ans, 15 ans, c'est pas adulte, mais bon, il y avait cette différence d'âge qui faisait que, physiologiquement, on était différents. C'est-à-dire que moi, j'étais vraiment une enfant, pas prépubère du tout, pas formée, alors que lui, oui. Donc je pense qu'il y a une part de moi qui lui faisait confiance, aveuglément. Et oui, je pense que j'étais apeurée. Et je n'étais pas affirmée à l'époque, pas du tout. Je n'avais pas le caractère que j'ai actuellement, et je pense que ça a conditionné aussi à ce que j'ai un caractère plus dur aussi.
- Speaker #2
Après, tu disais que tu avais vécu autre chose.
- Speaker #1
Il y avait déjà aussi, il y a 11 ans, 12 ans, avec un ami de mon frère, avec qui je sortais. Alors lui, il a peut-être été... Plus respectueux si je puis dire, parce qu'il ne m'a pas demandé de le masturber, il ne m'a pas demandé de le sodomiser. Il n'y a pas eu tout ça, mais il y a quand même eu des pénétrations avec les doigts, ce qui était la première fois parce que ce n'était pas produit avant et ça m'avait fait vraiment mal. Et je n'ai pas trouvé ça du tout agréable, mais à la fois je revenais plusieurs fois le voir, même si je n'aimais pas. Parce que je pense que, bon déjà j'étais jeune, comme tu l'as dit j'étais sidérée. même si je n'aimais pas, je revenais quand même. Et je pense que j'avais peur du chantage, qu'il en parle à mon frère. Ce qui s'est passé en plus, il en a parlé. Sauf que mon frère ne m'a pas défendue. Il ne m'a absolument pas défendue. Il n'a pas défendu, il a défendu son ami, plus ou moins. Il en a parlé à ma mère. Ma mère, évidemment, elle tombe des nues. Je me rappelle d'une scène où elle me court autour de la table parce qu'elle était très en colère qu'à mon âge je vive ça. Je lui ai expliqué que j'étais victime dans l'histoire que... J'ai vécu ça, oui, mais ce n'est pas ce que je voulais. Je n'avais absolument pas envie de vivre tout ça, et que ça me violentait plus qu'autre chose. On en a reparlé vaguement, à plusieurs reprises, il y a quelques années, peut-être il y a plus de dix ans, peut-être. Et dernièrement, peut-être il y a deux, trois ans, on a abordé le sujet, mais vaguement, en fait. Je pense qu'à l'époque, elle tombait des nues, parce que... pour elle, se disait que ce n'était pas possible que ma fille puisse revivre ça à son âge. Et je pense qu'elle avait une part, même encore maintenant, on n'en parle pas, mais je pense qu'il y a toujours cette part de culpabilité. De te dire, je n'étais pas là pour la protéger. On n'en parle pas trop, et puis je n'ai pas envie de remuer certaines choses, parce que je me dis, je n'ai pas envie de lui faire du mal, ou de faire la protéger, donc il y a des choses, des détails qu'elle ne sait pas. Parler de choses vaguement, par exemple, ce que j'ai vécu à 18 ans, puisque à 18 ans, j'ai été clairement violée. par un jeune homme avec qui j'ai été. Je l'ai suivi chez lui. C'est vrai que j'avais 18 ans, on peut se dire qu'à 18 ans, on est un peu moins naïf que quand on a 11 ans. On s'imagine bien que quand on suit un homme chez lui, il va se passer quelque chose, et qu'un homme a des arrières-pensées que les femmes n'ont pas. Moi, je n'ai pas vu le mal. Je me suis dit, on va aller chez lui pour passer un petit moment en intimité, faire plus connaissance, qu'il est préliminaire, mais pas non plus que ce soit extrêmement poussé. Donc il m'emmène dans sa chambre. Et là, il défait mon pantalon. Je lui ai dit non, j'ai mes règles. Je n'ai pas envie. Il me dit c'est pas grave, je m'en fiche, t'as tes règles, ça ne va pas me freiner. Mais je lui ai dit non, je n'ai pas envie, je trouve ça sale et puis je n'ai pas envie. Malgré ça, il a quand même défait mon pantalon, il a enlevé ma culotte et puis il m'a pénétré. Et moi j'étais très fermée, très rigide. C'est un peu comme s'il pénétrait un bloc de pierre. J'étais comme ça, sidérée. Je ne répondais pas, je ne bougeais pas. Donc il a bien vu que je ne faisais rien, je ne répondais absolument pas et que je n'avais pas envie. Donc il s'est retiré assez rapidement, je ne sais plus, ce temps m'a paru quand même très long, mais je pense qu'il s'est retiré assez rapidement et ensuite il est parti aux toilettes finir ce qu'il avait à faire. Et je me suis rhabillée, je suis partie. Je suis partie fâchée. Là, je me suis sentie beaucoup plus salie que quand j'avais 11 ans. D'une part parce que j'étais plutôt adulte à ce moment-là, à 18 ans. Et je m'en suis voulue, j'ai culpabilisé parce que je me suis dit, c'est de ma faute aussi. J'ai ma responsabilité, je n'aurais jamais dû le suivre. Sinon, je n'aurais jamais vécu ça. Donc, est-ce que je ne l'ai pas cherché au fond ? Et j'en ai parlé à mes cousines. Ma mère, elle l'a su bien, bien plus tard. peut-être à dix ans plus tard ou un peu plus, j'en ai parlé assez rapidement à mes cousines, quand je me confiais beaucoup à elles, parce que j'étais mal, j'avais mal d'avoir vécu ça, ça me trottait énormément, et surtout je me disais, comme si t'étais pas protégée, est-ce que je vais pas tomber enceinte ? Même s'il a pas éjaculé en moi, mais on sait pas. Ça a duré tellement peu de temps que ça m'a paru long que je me suis dit, si ça se trouve, t'as des hommes qui sont éjaculateurs précoces, et en quelques secondes, ils peuvent éjaculer en toi. J'avais peur, j'espère que je ne vais pas être enceinte issue d'un viol. Malheureusement, beaucoup de femmes sont tombées enceintes après un viol. J'en ai parlé à mes cousines, qui m'ont dit, qui étaient évidemment énervées et dégoûtées que je vive ça, et m'ont demandé ce que j'allais faire par la suite. J'ai hésité à porter plainte. Je ne connaissais pas son nom, juste son prénom. J'aurais pu retrouver visuellement son adresse. J'avais son numéro de téléphone. Mais à cette époque-là, j'avais peur. J'avais peur des représailles. Je me suis dit, si je porte plainte, déjà, est-ce qu'on va me croire ? Sachant qu'à l'époque, les lois n'étaient pas vraiment en faveur des femmes qui sont violées. On m'aurait dit, vous l'avez suivie, vous étiez totalement consentante, vous aviez 18 ans, donc majeure, donc il y aurait un non-lieu, ça c'est certain. Je me suis dit, non, je ne vais pas porter plainte, et puis j'avais surtout peur qu'ils viennent chez moi, qu'ils me retrouvent, et qu'ils se vengent, ou qu'ils me tabassent, ou pire encore. Donc je me suis dit, ben... Je préfère ne pas porter plainte. De toute façon, s'il doit payer, il perd un jour. Après, je me suis dit, s'il a fait à moi, il le fera à d'autres personnes. J'ai préféré me protéger. Non pas le protéger lui, mais c'est plutôt me protéger moi. Et ça veut dire que s'il y avait un procès, mes parents auraient été probablement au courant. Et je n'assumais pas le fait qu'ils puissent être au courant. C'était engageant derrière. Il y aurait eu des victimes par écoché.
- Speaker #2
Parce que là, du coup, tu me parles de porter plainte, en effet, pour ce viol-là à tes 18 ans. mais des histoires que tu m'as racontées juste avant. Tu as vécu aussi un viol par l'ami de ton frère et des agressions sexuelles. Selon toi, qu'est-ce qui fait que là, pour ce viol à tes 18 ans, tu as pensé à l'éventualité de porter plainte ? Et pourquoi tu n'y as pas pensé quand tu avais 11 ans ? Qu'est-ce qui te manquait juste pour penser à porter plainte ?
- Speaker #1
Ce qui me manquait, c'est que je n'étais pas au courant des lois. Je ne dis pas qu'à 18 ans, je l'étais davantage, mais un peu plus informée. Et à 11 ans, pour moi, j'étais à 10 milieux de me dire, je vais porter plainte pour agression sexuelle. Je ne pensais pas du tout à ça. Je ne voyais pas vraiment le mal, plus ou moins. C'est-à-dire que je ne voyais pas le mal, mais je savais que ce n'était pas bien. Si c'était arrivé à 18 ans, est-ce que j'aurais porté plainte ? J'aurais peut-être pensé aux familles de ces personnes-là, parce que je me serais dit que ça leur aurait fait peut-être... plus de mal. Peut-être que j'aurais porté plainte. Je ne sais pas du tout comment je me serais comportée. Peut-être que j'aurais détruit des familles. J'aurais pensé aux autres avant de penser à moi, puisque je suis quelqu'un d'assez, même de très empathique. Et pendant longtemps, j'ai fait passer les autres avant de penser à moi. Peut-être que j'aurais choisi un peu la voie de la raison. Je me serais reléguée au second plan. Mais à 11 ans, je ne connaissais pas du tout les lois. Je ne savais pas ce qu'il était possible de faire. Et surtout qu'à l'époque, je ne mettais pas le nom Sur ce que j'avais vécu, je ne me disais pas que c'était une agression sexuelle. Je ne me disais pas que c'était un viol. Je n'employais pas ces mots-là.
- Speaker #2
C'est à quel moment que tu as employé ces mots-là pour parler de ces événements ?
- Speaker #1
Plutôt quand j'avais 18 ans. Quand je me suis fait violer, c'est là où j'ai mis plutôt un nom. Et puis bon, à 18 ans, on est beaucoup plus mature, on est au fait par rapport à certaines choses. Là, j'ai vraiment mis un nom et j'ai mis un nom sur ce que j'avais vécu aussi de 11 ans jusqu'à 18 ans.
- Speaker #2
Et tout à l'heure, tu disais, en sortant de là, tu te disais, c'est de ma faute, j'aurais pas dû le suivre. Donc du coup, tu te rejetais la faute dessus, alors que t'étais victime. Tu t'en veux toujours, et est-ce que tu penses toujours que tu aurais pu éviter ça, que c'était de ta faute ?
- Speaker #1
Non, je m'en veux plus du tout depuis très longtemps. C'était sur le moment, peut-être durant, je sais pas, quelques jours, que je m'en voulais d'avoir pas eu peut-être les réflexes. apparemment des réflexes, il ne s'était pas protégé. Donc moi je suis hyper hygiéniste sur ça, enfin sur ça et même sur plein de choses. Je m'en suis voulu de me dire de ne pas lui avoir dit de se protéger. Alors que j'étais tout à fait au courant des maladies sexuelles qui pouvaient être transmises. Et dans la sidération, c'est allé tellement rapidement que je ne lui ai même pas dit mais non, protège-toi Donc je m'en suis voulue de ça, je me suis dit que si j'ai quelque chose derrière, maladie sexuellement transmissible, c'est que je suis en partie responsable. Je suis en partie responsable de l'avoir suivi, mais je me le suis dit sur le moment après. Je me rappelle que je crois que c'est le lendemain, à l'époque il y avait des cabines téléphoniques. on n'est pas les téléphones portables, je l'ai appelé pour lui expliquer, pour lui dire ce que je ressentais, que je me sentais sale, qu'il n'aurait jamais dû faire ça, que c'était pas respectueux. Sa seule réponse a été tu as aimé ça salope Donc je te raconte pas comment j'étais sous le choc d'entendre ça, parce que je ne me considère pas du tout comme une salope, le salaud ce serait plutôt lui, et j'ai trouvé ça quand même très culotté de me dire ça alors que... il m'avait clairement forcée la main. Je ne me souviens plus exactement, mais je crois que je le raccrochonnais. Et ça m'avait vraiment blessée. Je me suis considérée vraiment comme une femme objet, me disant que ça m'a renforcée dans l'idée de me sentir encore plus sale. Et ça a été la rupture totale vis-à-vis des hommes après, par la suite. J'avais eu quelques copains, mais qui ont été respectueux envers moi, qui ne m'ont pas touchée. Je leur expliquais en plus que j'aimais les femmes, que je pensais être lesbienne. sans forcément en être sûre parce que j'avais aucune expérience. La première histoire que j'ai eue c'était à 19 ans, où là ça a vraiment confirmé le fait que oui, je voyais faire ma vie avec une femme et non pas avec un homme, mais ce que j'ai vécu a été la rupture vis-à-vis des hommes, en me disant que ce n'est pas pour moi. Et ça a attisé une haine assez profonde vis-à-vis des hommes, je les ai clairement détestés. jusqu'à une trentaine d'années, 30 ans, 31 ans. J'étais très froide avec eux, sur la défensive, un peu agressive dans mon ton, quand on me parlait. Je n'étais pas très très sympathique. Ce n'était pas de leur faute, mais je mettais tout le monde au même panier. C'est-à-dire pour moi, tous les hommes étaient des salauds, des violeurs, qui ne respectent pas la femme, qui pensent à leur plaisir personnel et sexuel avant de respecter une femme, le corps d'une femme, et puis de la respecter psychologiquement. Parce qu'il y a des viols physiques, mais il y a aussi des viols psychologiques, et pour moi j'estime avoir été violée physiquement, mais psychologiquement aussi, parce que ça a eu un impact sur ma vie sociale, ça a eu un impact sexuellement, puisque j'ai eu des blocages sexuels pendant très longtemps, je pense que ça s'est résorbé au fur et à mesure du temps, et je pense que je peux dire qu'au jour d'aujourd'hui, j'ai une sexualité bien plus épanouissante que je l'avais à l'époque, puisque j'avais toujours cette image qu'on pouvait peut-être un peu abuser de moi, les femmes non, elles sont respectueuses, mais j'étais dans le contrôle. J'avais beaucoup de mal à lâcher prise. Il fallait que je garde le contrôle sur mon corps et sur mes sensations corporelles. Puisqu'à l'époque, je ne pouvais pas le faire. Mais maintenant, ça va mieux par rapport à ça.
- Speaker #2
Et quand tu dis que ça a eu un impact sur ta vie sociale, tu parles de ton rapport avec les hommes ou tu parles d'autres pans de ta vie sociale ?
- Speaker #1
Non, le rapport avec les hommes. C'est-à-dire que je me suis coupée des hommes. Je n'avais pas d'amis hommes. Je pouvais même être jalouse de femmes qui pouvaient avoir des liens avec des hommes parce que moi, je m'en sentais incapable. de pouvoir tisser une amitié. Il y avait toujours cette ambiguïté du côté des hommes, même si j'étais claire avec eux, il y avait toujours cette part d'ambiguïté en me disant oui, mais c'est une passade, c'est parce que tu n'as pas rencontré la bonne personne Toujours ces phrases à dessous qu'on dit, alors que pas du tout, ils ne comprenaient strictement rien.
- Speaker #2
Est-ce que tu as eu un suivi psychologique lié à tes agressions sexuelles ?
- Speaker #1
Non. J'en ai eu un pour d'autres choses, mais vis-à-vis de ça, peut-être c'est un tort, peut-être que je devrais poser la question d'aller fouiller ce passé. Après, ça ne m'engage pas d'en parler, je n'ai pas de souffrance. Je l'ai eu à l'époque, mais le fait d'en parler, ça ne m'impacte pas, ça ne m'impacte plus. Mais peut-être que oui, peut-être qu'il faudrait que j'en parle pour peut-être me libérer le corps à une mémoire. Et je pense qu'il y a des choses qui restent. C'est-à-dire que... Mon corps est assez souvent très raide. Je suis dans mes mouvements, je n'ai pas de grâce du tout. Je ne suis pas dans ses étoiles. Je suis assez rigide parce que je veux toujours garder contrôle sur mon corps. Ce que j'ai vécu a conditionné toutes les expressions corporelles que je peux avoir ou je peux avoir des réactions parfois un petit peu étonnantes, un petit peu brusques. Je peux être facilement sur la défensive par exemple quand je rentre chez moi. s'il est tard le soir, je regarde si je ne suis pas suivie, s'il n'y a pas quelqu'un, si je sens qu'un homme n'est pas très loin de moi, je vais presser le pas ou je vais courir, parce que je suis... Vraiment, zaguer en étant sur mes gardes un peu comme un chat, en faisant attention de qui est à côté de moi. Je ne fais pas confiance facilement, déjà, naturellement, je ne fais pas confiance facilement, mais vis-à-vis des hommes, encore moins.
- Speaker #0
Sarah, aujourd'hui, tu as décidé de prendre la parole et de venir témoigner. En quoi c'est important pour toi ?
- Speaker #1
Je pense qu'il y a un moment de notre vie, j'aurai 40 ans l'année prochaine, donc je pense que pour beaucoup de personnes, hommes ou femmes compris, Il y a un peu ce tournant de notre vie quand on va arriver à 40 ans. On se pose beaucoup de questions, on fait le bilan de notre vie, de notre vécu, ce qu'on a fait de bien, de pas bien, ce qu'on peut changer, ce qu'on peut conserver. Je pense que c'est un cheminement qui s'est fait petit à petit, où j'ai une prise de conscience par rapport à beaucoup de choses. Je me libère des poids et des fardeaux que j'ai pu avoir, ou que j'ai pu me mettre aussi, me rajouter dans ma vie. Je me dis qu'il faut à un moment donné aussi peut-être se sentir. prêt à parler de certaines choses qui peuvent faire du mal, mais parfois je me dis que c'est un mal pour un bien. Sur le moment, ça peut être assez douloureux, mais si c'est pour permettre par la suite de sentir libéré d'un poids, le fait d'en parler pour moi c'est libérateur, même si je me sens libérée depuis déjà bien longtemps, mais c'est libérateur et puis ça permet aussi de verbaliser certaines choses, puisque j'ai très peu verbalisé, je n'ai jamais écrit. Pourtant quand j'étais adolescente, j'avais un journal intime, mais je n'ai jamais écrit un seul mot sur ce que j'ai vécu. Comme si pour moi, le fait d'écrire, ça voulait dire d'accepter ou de cautionner ce qui s'est passé, comme je ne le cautionnais pas. Et peut-être que j'avais tout simplement envie de garder aucune trace. C'était en moi, mais qu'avec le temps, ça allait s'estomper, ça allait être rangé dans un coin de mon cerveau, ce qui a été le cas. Mais je trouve que c'est bien avec ce qui se passe actuellement, où on parle de plus en plus des agressions sexuelles, des viols. d'en parler pour peut-être que mon témoignage puisse peut-être aider une autre personne, et d'oser en parler, parce que ça ne doit pas être un tabou, ça ne doit pas être une honte de vivre ça. Malheureusement, ce sont ces femmes qui vivent ça et qui culpabilisent, comme moi ça a pu être le cas, elles sont victimes, elles n'ont pas à culpabiliser de quelque chose qu'elles n'ont pas cherché, elles n'ont pas cherché de vivre ça. C'est moi je trouve ça rageant de se dire parce qu'une femme porte une mini jupe et si elle se fait violer elle l'a cherché. Un homme il s'habille torse nu on lui dira jamais rien mais une femme si on voit un petit bout de sa peau ou on voit son ventre ou elle a un décolleté ça va forcément exciter un homme. Il faut s'habiller en religieuse sans vouloir faire de connotation de prosélytisme ni rien mais je veux dire il faudrait vraiment une tunique. se couvrir la tête aux pieds pour ne pas attirer l'oeil, mais je pense que chacun a le droit de s'habiller comme il l'entend, ce sont aux hommes après de contrôler leur pulsion, et la plupart ne contrôlent pas leur pulsion. Je pense qu'il ne faut pas culpabiliser, il ne faut pas se dire que c'est de leur faute, qu'elles sont en partie responsables, quand on est enfant ou même adulte à 18 ans, même à 30 ans de se faire violer, on n'est pas responsable, même si on se dit qu'on a peut-être plus une... conscience des choses, mais on n'est pas responsable de quelque chose qu'on ne veut pas, on n'a pas à culpabiliser. C'est d'en parler aussi très rapidement. Moi j'étais jeune, donc j'avais peur de mes parents, peur de leur réaction, donc j'en ai pas parlé. Est-ce qu'à 18 ans j'en aurais parlé pour autant ? Non, puisque je ne l'ai pas fait. Donc je pense qu'il faut ne pas avoir peur d'en parler. Je pense qu'il y a une prise de conscience qui est peut-être différente vis-à-vis des parents de nos jours. Ils l'acceptent peut-être plus, ils vont peut-être plus facilement éduquer leurs enfants par rapport à la sexualité. et protéger leur enfant si ça devait ou leur enfant ou leur... un enfant qui a 40 ans reste un enfant, voilà, c'est ce que je veux dire, protéger leur enfant. Donc il faut pas avoir peur d'en parler. Moi je sais que ce que j'ai vécu dans ma vie d'adulte ça a créé pas mal de complications dans ma personnalité. Je pense que si j'en avais parlé plus tôt, si j'avais un suivi psychologique plus tôt par rapport à ça, peut-être que j'aurais été peut-être plus épanouie, peut-être que je me serais posé moins de questions, peut-être que j'aurais... Moins peur de certaines choses, moins d'angoisse possible.
- Speaker #0
Comme l'explique si bien Sarah, dans les années 90, le sujet des violences sexuelles était tabou, et en tant qu'ado, on manquait cruellement de connaissances. Qu'en est-il de nos jours ? Qu'ont fait les pouvoirs publics pour pallier à ces lacunes ? L'éducation à la sexualité est obligatoire depuis 2001. Aujourd'hui, le Code de l'éducation prévoit trois séances par an dans les écoles, collèges et lycées. entièrement dédiée à la sexualité. Mais en septembre 2022, Mediapart publie un rapport dramatique affirmant que seulement 15% des élèves bénéficient de ces trois séances alors qu'elles sont prévues par la loi. 30 ans plus tard, les lacunes persistent. Vous venez d'écouter le premier épisode du podcast Au bénéfice du doute. Si vous pensez qu'il peut être utile à d'autres personnes, n'hésitez pas à le partager. Ce podcast est entièrement autoproduit par moi-même, Julie Dussert. La musique originale a été composée par Sandra Fabry et l'image a été dessinée par Camélia Blandot. Au bénéfice du doute, le podcast où les personnes victimes de violences sexuelles prennent la parole.