Speaker #0Et si on tirait un fil ? Celui qui relie ce qu'on vit, ce qu'on ressent et ce qu'on peut encore transformer. Un fil discret mais solide. Bonjour et bienvenue dans Au fil des enjeux, un podcast qui prend le temps. Le temps d'écouter et de réfléchir sans donner de leçons, sans tout simplifier. Moi c'est Manuel et aujourd'hui on va parler d'une question importante. Le changement climatique est-il vraiment à l'origine de conflits armés ? Une idée répandue mais qui mérite qu'on la décortique. Est-ce que le climat déclenche des guerres ou est-ce un facteur parmi d'autres complexe et lié aux failles des sociétés ? On va essayer d'y voir un peu plus clair. Quand on cherche à comprendre les liens entre changement climatique et conflit armé, une question revient souvent, est-ce que le climat peut provoquer la guerre ? A première vue, l'idée peut sembler naturelle, depuis plus d'une décennie, on entend souvent que le réchauffement climatique serait un moteur de violence, un déclencheur de crise. Mais quand on regarde de près la littérature scientifique, une autre histoire se dessine. Penser que le climat cause directement un conflit armé ne tient pas vraiment la route, comme le soulignait le chercheur Tertré en 2015 Un conflit, qu'il soit civil ou international, ne naît jamais d'un seul facteur. Il est toujours le résultat d'un mélange complexe de causes politiques, économiques, sociales, historiques. Alors pourquoi ce lien entre climat et guerre revient-il si souvent ? Peut-être parce qu'on associe naturellement la sécheresse ou la pénurie alimentaire à des tensions extrêmes. Alors il est vrai que le changement climatique peut affecter ses ressources, mais là encore, la réalité est plus nuancée. Par exemple, des études récentes comme celle de Capelli en 2024 montrent que les famines sont historiquement plus fréquentes dans les périodes froides que dans les périodes chaudes. Et même si le climat devait provoquer des pénuries, cela ne conduirait pas nécessairement à la guerre. Le lien direct entre rareté des ressources et violences armées reste incertain voire contesté. Prenons un exemple bien connu, le conflit du Darfour qui a débuté en 2003. Alors oui, la sécheresse, induite en partie à cause du changement climatique, a eu un impact, mais selon les experts du GIEC, elle n'est en aucun cas la cause principale du Parler de guerre climatique dans ce cas simplifie à l'extrême une réalité beaucoup plus complexe. Et même chose au Mali, dans la région de Mopti, devenue emblématique à cause des violences armées qui ont lieu. Une étude de Benjamin Sen et ses collègues en 2012 conclut que les variations climatiques n'ont pas joué un rôle décisif dans les conflits locaux. Ce sont avant tout les facteurs politiques et sociaux qui déterminent la situation. Et pour ce qui est de l'eau, malgré les risques d'accès restreints, les conflits ouverts autour de cette ressource restent rares. Au contraire, l'eau a souvent été un facteur de coopération plutôt que de guerre. Alors pourquoi cette idée d'un lien direct entre climat et conflit continue-t-elle à circuler ? Sans doute parce qu'elle est séduisante, facile à comprendre, et mobilisatrice. Elle a été largement reprise par des responsables politiques, des journalistes, et même certains chercheurs. Mais en réalité, ce lien est beaucoup plus indirect. Le chercheur Hendrik Sezeper en 2023 a rappelé que si les événements climatiques extrêmes ont un impact, ils restent secondaires face à d'autres facteurs majeurs comme le développement social et économique, la stabilité politique, les inégalités ou les fractures ethniques et religieuses. Quand on parle des liens entre changement climatique et conflit armé, l'un des premiers réflexes est souvent de penser à la raréfaction des ressources. Moins d'eau, moins de nourriture, donc plus de tension. Ce raisonnement paraît logique, mais il mérite qu'on prenne le temps de le décorsiquer. D'abord, il faut rappeler que les inquiétudes autour des ressources ne sont pas nouvelles. Elles sont intimement liées à la croissance démographique mondiale. Pendant longtemps, on a craint que la planète ne puisse pas nourrir tout le monde. Cette vision dite « malthusienne » a été particulièrement remise en cause. La transition démographique en cours devrait ralentir la croissance de la population mondiale qui pourrait se stabiliser autour de 10 à 11 milliards d'habitants d'ici la fin du siècle. Cela ne signifie pas pour autant que les défis sont moindres. Le changement climatique affecte bel et bien l'accès à l'eau potable, la qualité des sols, la productivité agricole. Merci. Mais l'impact de ces bouleversements dépend beaucoup du contexte politique et économique des pays concernés. Un pays démocratique avec des institutions solides, des mécanismes de redistribution et des filets sociaux est généralement mieux préparé pour affronter une crise climatique. A l'inverse, dans des états autoritaires fragiles, souvent fragmentés, et dont l'économie dépend fortement de ressources naturelles ou d'une agriculture peu résiliente, le changement climatique peut aggraver des vulnérabilités déjà existantes. Prenons l'exemple du Yémen. Là-bas, sécheresse, désertification et montée des eaux s'ajoutent à des crises politiques et humanitaires profondes. En 2023, des vagues de chaleur extrêmes ont frappé le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, provoquant incendies, pénuries d'eau et d'électricité, et une pression accrue sur des ressources déjà fragiles. Dans ce contexte, le climat agit comme un amplificateur des tensions. Mais attention, ce n'est pas le climat seul qui déclenche ces conflits. Ce sont surtout les défaillances institutionnelles, l'injustice dans l'accès aux ressources et l'incapacité à prévenir ou gérer les tensions. Certains pays menacés par la pénurie d'eau ne connaissent pas de guerre. Mieux ils coopèrent. Le problème vient donc autant du contexte que du climat. Les conflits autour des ressources locales ne sont pas nouveaux, mais ils prennent une dimension nouvelle dans des contextes où les inégalités sont marquées, où l'accès à la terre ou à l'eau devient un enjeu de pouvoir. En résumé, ce n'est pas tant le changement climatique qui crée les conflits que les failles des sociétés humaines à y répondre. L'inégalité d'accès aux ressources, les fractures sociales, la faiblesse des institutions jouent un rôle central. Le climat, lui, ne fait souvent qu'amplifier ce qui est déjà instable. Alors maintenant, il est temps d'approfondir un autre effet majeur, les déplacements de populations liés au climat et aux conflits armés. Comment les perturbations climatiques influencent-elles la mobilité humaine ? Et surtout, pourquoi certains mouvements deviennent-ils des migrations forcées ? Le changement climatique agit rarement de façon brutale et isolée. Ils déstabilisent progressivement les conditions de vie en aggravant des situations déjà fragiles. Dans de nombreuses régions, les crises humanitaires actuelles montrent comment certaines zones peuvent s'enliser dans des cercles vicieux mêlant vulnérabilité chronique et violences structurelles. Pour mieux comprendre, on peut distinguer trois types d'effets liés au changement climatique. Les effets directs, les effets différés et ce qu'on pourrait appeler les effets de vide. Les effets directs concernent d'abord l'impact sur les moyens de subsistance. La raréfaction des terres arables, la désertification ou les vagues de chaleur croissantes détruisent les récoltes et mettent en péril l'économie locale. Les populations les plus touchées sont souvent poussées à quitter les zones rurales pour rejoindre les villes qui se retrouvent à leur tour sous pression. Quand les infrastructures urbaines sont faibles, fragiles ou dépassées, cette pression fragilise encore davantage les systèmes de santé, d'approvisionnement en eau ou d'assainissement. Les effets différés, eux, apparaissent lorsque ces crises ne sont pas traitées efficacement. Cela peut conduire à des migrations de masse, à des tensions communautaires ou à une perte de légitimité de l'État. Dans ce contexte, les déplacements ne sont pas toujours directement causés par un événement climatique précis, mais par une accumulation de vulnérabilité auquel l'État ne parvient pas à répondre. Ce flou sur les causes crée une confusion dans la manière dont on traite ces migrations. On distingue encore trop souvent les migrations climatiques des déplacements dus au conflit armé, pourtant les deux phénomènes sont intimement liés. Le haut-commissaire pour les réfugiés, Filippo Grandi, rappelait en 2023 que c'est précisément ce chevauchement entre conflit et climat qui a contribué à faire grimper à 114 millions Merci. le nombre de personnes déplacées de force dans le monde. Enfin, viennent les effets de vide. Quand l'État ne parvient plus à assurer les services essentiels, on assiste à une fuite des compétences, à une désagrégation du pouvoir central et à des interventions extérieures de la part d'acteurs frontaliers ou internationaux. Ces vides politiques laissent place à l'instabilité et rendent encore plus difficile la reconstruction et le retour des populations déplacées. Autrement dit, ce n'est pas le climat seul qui déplace les populations, mais l'interaction entre ces effets et la faiblesse des systèmes sociaux, politiques et économiques. Là encore, on retrouve l'idée que le changement climatique n'agit pas comme une cause directe unique, mais comme un facteur multiplicateur de vulnérabilités préexistantes. Et si les effets du changement climatique sur les ressources ou les mobilités humaines sont désormais mieux documentés, leur lien avec les dynamiques de conflit reste plus difficile à cerner. Ce n'est pas tant une question de quantité de preuves que de nature de l'impact. Il s'agit rarement d'un enchaînement direct, visible et mesurable. L'influence du climat se lie plutôt dans les décalages, les tensions diffuses, les fragilités accentuées. Dans certains territoires, on observe des zones où la violence s'intensifie à mesure que les conditions de vie se détériorent. Mais ce n'est jamais automatique, ce qui compte ce sont les configurations locales, les relations entre groupes, le rôle des autorités traditionnelles, la présence de l'État ou d'acteurs armés. Ce sont ces médiations qui transforment une contrainte environnementale en simple tension, en fuite ou en affrontement. Le climat agit alors comme un révélateur, il met à nu des systèmes de gouvernance déjà instables, des fractures sociales, des modèles de développement inadaptés. Là où ces tensions étaient contenues, elles peuvent ressurgir. Et là où les inégalités étaient tolérées, elles deviennent insupportables. Ce n'est pas une ligne droite vers le conflit, mais un glissement souvent silencieux vers des formes de violences plus diffuses, moins visibles mais bien réelles. Dans plusieurs études de cas, on note par exemple une augmentation des conflits autour de l'accès à l'eau ou au pâturage, mais ces affrontements ne se traduisent pas toujours par des guerres ouvertes. Ils prennent parfois la forme d'affrontements ponctuels, de vengeance ou d'un repli communautaire. D'autres fois, c'est l'absence de violences apparentes qui alertent, celles qui masquent une désorganisation du tissu social, une marginalisation accrue de certaines populations ou une militarisation progressive des territoires. Les données quantitatives peinent à capturer ces formes de violences lentes, fragmentées, banalisées. C'est pourquoi de plus en plus de chercheurs s'appuient sur des enquêtes de terrain, des témoignages locaux ou des approches mixtes croisant données climatiques, analyses spatiales et récits de vie. Ce changement de méthode permet de mieux comprendre pourquoi deux régions confrontées au même stress climatique peuvent évoluer de manière radicalement différente. Il ne s'agit donc pas de prouver que le climat provoque des conflits, mais plutôt de comprendre comment ils ont modifié les conditions d'émergence, de durée et d'intensité. A ce titre, son impact est bien réel, mais profondément contextuel. Et c'est ce qui rend la recherche à la fois plus complexe et plus nécessaire. Alors merci d'avoir suivi ce fil avec moi. Le changement climatique ne crée pas directement les conflits, mais il expose ce qui est fragile, ce qui craque dans nos sociétés. Pour y répondre, il faut comprendre cette complexité, éviter les raccourcis et surtout renforcer ce qui nous unit. Parce qu'au final, ce qui fragilise nos sociétés, c'est la fracture, cette inégalité profonde qui creuse les divisions, mine la confiance intercommunautaire et empêche toute réponse collective aux défis actuels. Alors à bientôt, pour tirer ensemble un nouveau fil. Si ce podcast vous parle et que vous voulez le soutenir, vous pouvez le faire sur Ko-Fi. Le lien est dans la description. Merci.