- Speaker #0
Moi, j'ai envie de parler à tout le monde. J'ai envie de parler aux gens qui pensent que l'art, ce n'est pas pour eux. J'ai envie de leur dire, mais regardez, ça vous fait quoi ? Ça vous fait quelque chose ? C'est bon, c'est tout ce qu'on voulait. Si ça vous fait sourire, si vous trouvez que c'est joli dans votre salon, en fait, c'est déjà réussi. ça c'est ça qui m'intéresse moi ce que j'aime c'est vendre mon travail et savoir qu'il apporte cette petite dose de beauté et de bonheur aux gens Moi, j'ai envie de me dire que le jour où j'disparais, j'ai une collection d'œuvres d'art, une vraie d'artistes que j'ai aimées, qui m'ont parlé, qui m'ont fait vibrer. Et j'aimerais être dans la collection de plein de gens, du coup. Alors là, je pose ma base. Donc en fait, j'utilise de l'enduit pour venir sculpter des reliefs. Et me retrouver dans mon atelier, c'est vraiment le délice. Je suis tranquille chez moi, c'est ma bulle, c'est mon refuge. Et la peinture, ça a toujours eu ce rôle-là. Quel que soit l'endroit où j'étais, le moment de ma vie, c'est vraiment ce qui me ramène le plus à moi-même.
- Speaker #1
Que vous entriez dans son travail par les yeux, les doigts ou les oreilles, comme maintenant, plongez-y en entier. Allez ! La palette est dense, éclatante. Elle imprègne la rétine. Les textures convient le bout de l'index ou la main entière. Ça foisonne, ça bouillonne, ça chante et ça fleurit. Sur chaque médium, Cécile Rousseau explore la matière et les sens. Elle compose sa mélodie de couleurs vibrations. Elle cherche à inviter les moments de grâce que nous offre le beau. Et on va bientôt comprendre pourquoi elle suit cette voie-là.
- Speaker #0
Dans ma tête, je suis en lévitation quand je crée. Je suis connectée à quelque chose de plus grand que moi. Quelque chose qui m'élève, qui m'emmène vers... qui donne du sens. Qui donne du sens à ma vie. Et donc qui est une évidence totale pour moi. Ça adoucit le bruit du monde. Créer, c'est une manière pour moi d'adoucir le monde.
- Speaker #2
C'est ça.
- Speaker #0
À la base de toutes mes œuvres, il y a un élan intérieur, il y a quelque chose de profondément instinctif que je ne m'explique pas, que je refuse volontairement d'explorer. C'est-à-dire que j'aime que dans la création d'une œuvre, il y ait une part de mystère qui m'échappe à moi-même. Je sens que j'ai envie de peindre, ou que j'ai envie de créer quelque chose, que j'ai envie d'explorer un médium. Et ce que je vais faire, c'est que je vais prendre le matériel, puis je vais commencer, et puis un trait, puis un deuxième, et puis je vais voir où ça va m'emmener. Ça fait partie, je trouve, de la magie de la création, qui est de m'emmener, de nous emmener vers des choses qu'on n'avait pas imaginées. J'entends souvent dire que l'art c'est mystique ou spirituel, pour moi c'est pas ça. Pour moi c'est vraiment ce qu'il y a de plus réel, de ce qu'il y a de plus instinctif, de plus évident, qui remonte à la surface. C'est le moment... C'est des moments de vérité totale. C'est des moments où on ne peut pas faire semblant, où on ne peut pas se faire passer pour autre chose que ce qu'on est. Le fait d'être dans un moment de création, et ça concerne absolument tout le monde, pas juste les artistes, le fait d'être dans un moment de création, c'est un moment où on ne peut pas mentir. Le moment où tu te sens vraiment connecté avec l'art, c'est le moment le plus vivant. C'est la raison pour laquelle je suis vivante aujourd'hui, c'est l'art. C'est ce qui m'a sauvé la vie. Au sens complètement littéral. Et c'est ce qui fait que je me lève le matin. Ce que j'aime avec l'encre, c'est de les laisser faire leur vie. Et vraiment, tu les poses et tu attends pour voir ce qui va se passer.
- Speaker #1
Alors, que voit-on ? Que regarde-t-on sur les œuvres de Cécile Rousseau ? De la vie, beaucoup. La recherche de la beauté, partout. Des couleurs qui inspirent la gaieté. Des lignes organiques, végétales. Des tissages de papier. des formes rondes ou liquides qui dansent une folle énergie. Bien sûr, on pourrait s'arrêter là, sans tenir à la joie, mais si on creusait sous le papier mâché, si on retournait la toile et que l'on écoutait vibrer le cœur en profondeur, on entendrait la musique que Cécile écoute pour trouver la bonne humeur, pour canaliser l'énergie et la traduire dans ses œuvres. On sourirait de certains titres ou on ferait les yeux ronds, tant la surprise serait grande parfois. On la regarderait retirer délicatement ses bijoux, nouer ses cheveux, se mettre confortable pour que son corps s'absente, dit-elle. Elle poserait une toile au sol, étalerait ses boîtes de peinture autour. Elle sélectionnerait sa palette, 5, 6, 7 couleurs et c'est tout, pour ne pas se perdre ou avoir toujours l'assurance de s'y retrouver.
- Speaker #0
J'aime bien l'idée que ça soit une posture et une attitude qui est inhabituelle, qui m'amène à faire quelque chose que je ne fais pas tous les jours. S'asseoir à un bureau, pour moi, c'est associé à une autre phase de ma vie. Et donc j'aime moins travailler assise à un bureau que je n'aime travailler au sol. Et je n'aime pas du tout travailler debout.
- Speaker #1
Alors, on reculerait d'un pas et on comprendrait que Cécile refait jour après jour le choix de créer. Malgré les douleurs du corps et de l'âme, malgré la vie, pas toujours très jolie.
- Speaker #0
Éblouie par les couleurs la végétation foisonnante, apprendre de nouveaux noms de nouvelles espèces, confondre azalées et rhododendrons, toujours et encore. Ne pas sentir leur parfum et les effleurer du bout du doigt. M'approcher plus près, toujours plus près. Et chercher au fond de ma mémoire le souvenir. Le sentir m'échapper, doublé par les fantômes qui me hantent. Caresser les pétales d'une pivoine, retenir mon geste devant les digitales. Savourer les carmins, les safrans, les ivoires et les lavandes sur fond de variations de mousse verte et de mélèze. De la peine à la nostalgie mêlée, me dire que j'aurais dû prendre davantage de temps pour sentir les fleurs tant que c'était possible. Essayer de ne pas regretter et de voir cette beauté, de savoir qu'elle est toujours là. Je ne la sens plus, elle existe encore, pour les autres, pour le monde. Parce que c'est l'ordre des choses et que j'ai fait un pas de côté. Je suis sur le bord du chemin, mais toujours là. Sous les doigts, des pétales à la douceur nuageuse, sous mes yeux, leur nacre délicate. Des jours à regarder pousser les fleurs. Quand la vie bouscule, quand les mauvaises nouvelles s'enchaînent et semblent ne jamais devoir s'arrêter. Quand le cœur manque de courage. Prendre sans plus attendre une journée pour regarder pousser les fleurs. Les fleurs n'ont pas changé, c'est moi qui ne suis plus la même. Chercher un nouveau centre de gravité, un centre où la nature n'a pas d'odeur, mais toujours plus de couleurs, toujours en vie.
- Speaker #1
Dans sa collection Fenêtres sur le monde, Cécile Rousseau offrait une ouverture, un éveil à un ailleurs. Toujours ce jeu de profondeur entre ce que l'on voit instantanément et ce qui nous apparaîtra peut-être plus tard. Bien sûr, on peut en rester aux couleurs joyeuses, à la fraîcheur. On peut aussi sentir que l'art de Cécile Rousseau, c'est l'union du soleil et de la pluie, de l'absent et du présent, du vide et du plein. C'est la lueur qui se fraye toujours un passage, à l'image des paroles de cette chanson de Léonard Cohen que Cécile aime tant. There is a crack in everything, that's how the light gets in. Il y a une fissure en toute chose, c'est ainsi qu'entre la lumière.
- Speaker #0
J'essaye le plus possible de mettre en avant la lumière. pour rééquilibrer l'émotion qu'il peut y avoir derrière une toile. Certaines de mes œuvres ont été créées dans des moments de grand chagrin, mais à travers cette façade de couleurs, ce que j'explore en réalité, c'est la complexité de la vie. C'est la manière dont, même dans les moments les plus sombres, elle est toujours là. Autant il peut y avoir de la gravité dans ce que j'exprime, autant je cherche à montrer qu'au sein même des drames qu'on peut traverser, Il y a toujours cette renaissance. Les choses ne sont jamais figées, ne sont jamais arrêtées sur un instant. Et donc, la peinture, la création... vient pour moi refléter ce mouvement perpétuel. Et nous, en tant qu'êtres humains, on est parfois un petit peu balottés par ce chaos, par cette puissance qui nous dépasse. Mais justement, dans ma peinture, j'essaye de fixer ces moments-là, de fixer ces instants, pour mesurer ce chemin qu'on parcourt. La dernière série que je suis en train de réaliser s'appelle Une échelle du temps et c'est exactement ça en fait. C'est des petits cailloux posés le long du chemin. Chaque œuvre est un moment de vie qui est à la fois un moment difficile, un moment triste et un moment d'espoir, un moment de renouveau, un moment où quelque chose s'achève et quelque chose renaît en même temps. C'est le cycle dans lequel on vit. Et ce que je trouve intéressant, c'est qu'on n'a pas le choix. Et à chaque instant où on croit que quelque chose se termine, quelque chose d'autre commence en même temps. Et c'est ça que l'on peut retrouver dans ma création. Et c'est pour ça qu'il y a un tel sens de couleur et de légèreté. C'est parce que je suis tout le temps en train de regarder l'image d'après. Et donc dans ce moment de noirceur... que je peux ou que n'importe qui d'autre peut traverser, j'essaye de ramener l'image suivante. Ce moment où tout à coup on va revoir la lumière, on va revoir la vie. Elle est toujours là. Ce n'est pas parce que je ne sens plus les parfums qu'ils ne sont plus là. Et de la même manière, dans notre vie, ce n'est pas parce qu'on ne voit pas la lumière qu'elle n'existe pas.
- Speaker #1
Vous venez d'écouter le portrait sonore de Cécile Rousseau. Cette création est signée Marie-Gérardin Lépine pour la Fantaisie Vagabonde.