- Speaker #0
A toutes et à tous, Code'Cast est de retour pour un épisode consacré à la notion de loi de finances. Pour nous aider à réfléchir à cette question, nous avons le plaisir d'accueillir M. Olivier Négrin, professeur de droit agrégé, doyen honoraire et directeur du Master Droits et Fiscalités de l'Entreprise et également du magistère que nous présentera Camille Piazza, qui est aussi parmi nous étudiante de ce magistère Droits des Affaires et Fiscalités de l'Entreprise. Bonjour à vous deux.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Tout d'abord, avant d'entamer l'épisode d'aujourd'hui, est-ce que Camille, tu pourrais te présenter et présenter ta formation ?
- Speaker #2
Bien sûr, avec plaisir. Alors je suis étudiante au magistère de droit des affaires, fiscalité et comptabilité, donc dirigée par monsieur Olivier Négrin qui se trouve à ma droite actuellement. C'est une formation d'excellence, comme son nom l'indique, qui se déroule sur trois années, donc en parallèle de la licence 3 de droit, plutôt orientée vers le droit privé, du master 1 droit des affaires ainsi que du master 2 droit et fiscalité de l'entreprise, également dirigée par le professeur Olivier Négrin. C'est donc... un cursus assez sélectif, comme on a pu le dire, où on est une vingtaine d'étudiants qui se suivent pendant les trois années, où nous avons l'opportunité de réaliser une alternance en dernière année. On a fait ce choix de quitter un cursus assez classique pour vraiment nous spécialiser vers ce domaine que j'estime très pertinent et qui me plaît au quotidien, puisque je suis ici pour cette raison-là.
- Speaker #0
Ok, merci beaucoup. Et est-ce que tu sais vers quoi tu aimerais te diriger plus tard ?
- Speaker #2
Assez logiquement, c'est le profil classique de tous les étudiants, de tout cet avocat, quasiment. Il y a toujours des exceptions, mais l'avocature est le métier d'excellence pour avoir choisi ce cursus. Donc en Master 1 de préférence, on passera notamment le CRFPA. On finira le Master 2 de manière classique, comme c'est prévu, et on passera le CAPA après les 1 an et demi à l'école des avocats. Donc moi, je dirais le métier d'avocat sans aucune hésitation.
- Speaker #0
Ok, très bien. Est-ce qu'il y a d'autres professions juridiques ? Vers lesquels peuvent se diriger les étudiants en général ?
- Speaker #1
Oui, alors comme l'a dit Camille, la majorité des étudiants souhaitent devenir avocats, mais il y en a aussi qui sont juristes d'entreprise, chaque année qui embrassent cette profession, ou des fois par exemple deviennent notaires aussi, quelques-uns, ou même certains finissent très mal puisqu'ils deviennent universitaires. Et on a quelques collègues qui sont passés à l'époque, où je n'étais pas encore directeur, mais qui sont passés par le magistère.
- Speaker #0
D'accord, très bien. Bon, maintenant, on va passer à la thématique de l'épisode et on va commencer avec cette première question. Qu'est-ce qu'une loi de finances et pourquoi est-elle essentielle pour l'État ?
- Speaker #1
Alors, une loi de finances, c'est une loi, mais c'est une loi un peu particulière parce que, normalement, quand on parle de loi, on envisage un texte qui comporterait une règle générale et impersonnelle et qui, comme le Code civil, qui prévoit que si telle et telle situation se rencontre, telle conséquence va se produire. En réalité, la loi de finances, ce n'est pas une loi. en sens de règles, c'est en réalité un acte d'administration pris en la forme législative, c'est-à-dire pris par le Parlement. Et plus précisément, c'est un acte de prévision et d'autorisation. C'est un acte qui prévoit et autorise à la fois les recettes de l'État et les dépenses de l'État pour chaque année. Donc on n'y trouve pas de règles vraiment substantielles en général, on y trouve plutôt des prévisions, des chiffres, des autorisations de dépenses. qui permet tout simplement à l'État de fonctionner. Alors pourquoi est-elle essentielle ? Elle est d'abord essentielle pour l'État lui-même, parce qu'elle lui permet de recevoir des recettes et de les obtenir. Elle permet à l'État d'engager et de procéder à des dépenses, et notamment de faire fonctionner l'ensemble des services publics. Mais au-delà de l'État, elle est aussi utile pour d'autres personnes, parce qu'il y a des personnes morales autres que l'État qui perçoivent des recettes, et notamment des recettes fiscales. C'est la loi de finances qui autorise par exemple une commune à pouvoir percevoir des recettes fiscales, mais également elle est très importante pour des opérateurs autres qui pourront recevoir une université par exemple, qui attend certainement une subvention de l'État pour fonctionner, etc. C'est un acte essentiel parce que finalement tous les services publics ou l'essentiel des services publics sont financés par l'impôt et c'est l'impôt qui peut être perçu grâce aux lois de finances. Et c'est donc les services publics qui peuvent être alimentés grâce à cette loi de finances.
- Speaker #0
D'accord, et pourquoi la France commence-t-elle 2025 sans loi de finances et en quoi est-ce rare sous la Vème République ?
- Speaker #1
Alors ce n'est pas la première fois qu'il n'y a pas de loi de finances au 1er janvier, puisque chaque loi de finances doit être adoptée avant le début de l'exercice qu'elle concerne, c'est-à-dire avant le début de l'année civile, donc elle est théoriquement adoptée avant le 1er janvier de chaque année et elle va produire ses effets du 1er janvier au 31 décembre. Alors ce n'est pas la première fois qu'il n'y a pas de loi de finances au 1er janvier, puisqu'en décembre 1979, La loi de finances pour 1980 avait été censurée intégralement par le Conseil constitutionnel pour une raison de procédure, c'est-à-dire que la procédure d'adoption de la loi de finances, je crois qu'il y a des questions par la suite là-dessus, n'avait pas été respectée, et donc le Conseil constitutionnel en a tiré la conséquence qu'elle était entièrement irrégulière et nulle. Et donc elle avait été purement et simplement annulée, mais comme c'était un motif de pure procédure, et que finalement les parlementaires étaient relativement d'accord sur le contenu, elle avait pu être assez rapidement adoptée, elle avait été adoptée le 18 janvier 1980, donc il n'y avait eu qu'une bref quinzaine de jours sans loi de finances. Là, c'est la situation différente, puisque cette fois-ci, quelle est la raison de la non-adoption de la loi de finances ? C'est que le gouvernement, comme vous le savez, n'est pas soutenu par une majorité, c'est un gouvernement minoritaire, et donc... S'il y a une coalition des oppositions, il peut tomber. C'est ce qui s'est passé. Il a engagé sa responsabilité devant l'Assemblée nationale en vue de l'adoption de la loi de finances par l'Assemblée nationale. L'Assemblée nationale a réagi en adoptant une motion de censure qui a entraîné à la fois la non-adoption de la loi de finances, mais surtout la démission du gouvernement. Puisque, si vous vous rappelez des dates, c'est le 2 décembre que le gouvernement a engagé sa responsabilité devant l'Assemblée nationale. Le 4 décembre... Une motion de censure a été adoptée. Le 5 décembre, le gouvernement dirigé par Michel Barnier a démissionné. Donc finalement, la discussion de la loi de silence s'est interrompue. Ça s'est interrompu dans l'Assemblée nationale, ça s'est poursuivi dans le Sénat, mais le gouvernement s'est rendu compte que devant le Sénat, ça ne prospérait pas. Le gouvernement démissionné a expédié les affaires courantes. Et puis ensuite, un nouveau gouvernement est désigné, comme vous le savez. et a repris devant le Sénat, ça n'a pas été définitivement interrompu, ça a été suspendu pendant la démission du gouvernement, l'expédition des affaires courantes, la nomination du gouvernement actuel. Donc ça a repris ensuite devant le Sénat.
- Speaker #0
D'accord, et donc on a l'impression que ce sont des procédures qui sont quand même assez complexes. Comment se déroule l'adoption d'une loi de finances en cas de blocage, et quelles sont les conséquences d'un retard justement ?
- Speaker #1
Alors, les règles sont assez simples. D'abord, une loi de finances est issue nécessairement d'un... projet. C'est nécessairement le gouvernement qui est à l'origine d'une loi de finances. Ça ne peut pas être une proposition d'un parlementaire. Il n'y a pas un député, un sénateur ou un groupe de députés et de sénateurs qui peut proposer le budget. C'est le gouvernement qui seul peut proposer le budget. Donc il y a nécessairement eu un projet de loi de finances qui doit être adopté avant le premier mardi d'octobre. En général, il est adopté fin septembre. Cette année, il y avait eu du retard. Il avait été déposé dans l'Assemblée nationale que le 10 octobre. Il y avait eu un petit retard d'une semaine. c'était pas très grave. Pourquoi ? Parce qu'ensuite il y a un délai d'adoption qui est prévu qu'il y a 70 jours. Une fois que le projet est déposé devant l'Assemblée nationale qui examine en premier le texte, il y a un délai de 70 jours qui est ouvert. Un délai global. Ce délai se décompose en fractions. L'Assemblée nationale dispose de 40 jours pour examiner le projet en première lecture. Ensuite le Sénat dispose de 15 jours pour examiner à son tour le texte adopté par l'Assemblée nationale. Et ensuite il reste 15 jours. pour procéder à la commission mixte paritaire s'il y a des divergences, et puis une nouvelle lecture dans chaque assemblée, et puis ensuite l'Assemblée nationale qui statue seule. En règle générale, c'est vers le 20 décembre, quand tout va bien, que le texte est adopté. Ce qui laisse encore 10 jours, une dizaine de jours, pour permettre au Conseil constitutionnel, parce qu'il est fréquemment saisi des lois de finances, de statuer. Donc en gros, quand tout va bien, le 19-20 décembre, on a la loi de finances qui est adoptée. Et puis, une dizaine de jours permet au Conseil consécutif de se prononcer et de promulguer ensuite la loi de finances tout à la fin de l'année, le 30-31 décembre, pour entrer en vigueur le 1er janvier. Alors, qu'est-ce qui est prévu en cas de blocage ? En cas de blocage, ce qui ne s'est jamais arrivé, mais il pourrait y avoir déjà, si le délai de 70 jours n'est pas respecté, un projet de loi pourrait être mis en vigueur par voie d'ordonnance. C'est-à-dire que le gouvernement pourrait finalement se substituer au Parlement. pour mettre en vigueur son projet. Mais ça, ça suppose que le Parlement ne se soit pas prononcé dans les 70 jours. Or là, ce n'était pas le cas. On n'a pas retenu cette solution parce que l'Assemblée nationale avait rejeté le texte. Ce n'est pas qu'elle l'avait trop traîné, c'est qu'elle avait... pas voulu le texte et donc on ne pouvait pas mettre en vigueur sans doute le projet par voie d'ordonnance donc il a fallu trouver une autre solution l'autre solution c'est quoi eh bien c'est de faire adopter rapidement une loi spéciale qui permet simplement de continuer à percevoir les impôts et de continuer au procès de procéder aux dépenses sur la base habituelle c'est à dire sur la base du dernier budget et donc actuellement c'est ce qui se passe actuellement on continue a finalement fonctionné sur la base du budget 2024. C'est-à-dire que l'autorisation de percevoir les impôts a été donnée, mais c'est l'immobilisme fiscal. On applique les règles qui s'appliquaient en 2024, on continue à les appliquer en 2025, alors que peut-être et certainement, il sera utile de modifier certaines règles.
- Speaker #0
Et justement, quels seraient les impacts concrets d'un retard sur les citoyens, les finances publiques et les administrations ?
- Speaker #1
C'est une question très vaste. Alors sur les citoyens, Si on prend les citoyens, ils peuvent être pris en qualité de contribuables ou en qualité de bénéficiaires de services publics, disons, si je prends les deux positions. En qualité de contribuables, ce n'est pas très confortable parce que, comme vous le savez, il y a une inflation. Chaque année, il y a de l'inflation, de l'érosion monétaire et donc les revenus augmentent. Les revenus, déjà, alors ils n'augmentent peut-être pas suffisamment, mais ils ont tendance à augmenter. Et si les barèmes fiscaux n'étaient pas corrigés de l'érosion monétaire, finalement, ça aboutirait à ce qu'ils payent plus d'impôts. Actuellement, on considère que l'inflation était de 2% l'année précédente, donc ça veut dire que les revenus ont en moyenne augmenté de 2%, si tout va bien, et que donc si on ne fait rien, les gens paieront beaucoup plus que 2% parce que l'impôt est progressif. Et donc s'il n'y a pas de correction des barèmes, des seuils, de tas de règles, d'une cinquantaine de seuils par exemple, il y aurait des effets négatifs pour les contribuables. L'autre aspect, c'est qu'on décèle sans arrêt des défauts dans la législation fiscale. Il y a des insuffisances, il y a des mécanismes qui ne sont pas adaptés, qu'on souhaiterait corriger. Et bien évidemment, quand il n'y a pas de loi de finances, on ne peut pas les corriger. Et donc on conserve peut-être des dispositifs imparfaits qui continuent à s'appliquer alors qu'ils auraient mérité d'être corrigés. On peut penser aussi que le budget de l'État est gravement déficitaire, donc on a besoin de peut-être revenir progressivement à l'équilibre. Il faudrait peut-être augmenter les recettes fiscales, il faudrait peut-être diminuer certaines dépenses. Si on continue à proroger un ancien budget... On n'augmente pas les recettes, pas suffisamment, et on ne modifie pas les dépenses. Donc on est dans l'immobilisme fiscal et financier qui, dans la situation actuelle, ne répond pas aux atteintes. Alors, en tant que bénéficiaire des séries publiques, on est pénalisé. Pourquoi ? Parce que les besoins des séries publiques évoluent. Faut-il créer davantage d'emplois de magistrats ? Parce que les juridictions sont encombrées, n'arrivent pas à juger. Faut-il créer davantage de places dans les prisons ? Faut-il augmenter les dépenses militaires ? Tous les services publics font face à des besoins nouveaux, des besoins qui ne sont pas suffisamment couverts. Et naturellement, seul un budget adapté à ces circonstances nouvelles peut répondre à ces besoins. Et si ce n'est pas le cas, la qualité du service public va se trouver affectée. Alors pour les administrations qui ont à la fois de l'État, les administrations locales, la situation n'est pas confortable parce qu'ils sont dans l'incertitude, ils ne connaissent pas le budget dont ils disposeront, donc ils gèlent beaucoup de choses. Est-ce qu'on va embaucher un nouvel agent à l'université, par exemple ? Si on n'a pas de crédit de voile payé, comment fera-t-on ? Les procédures de recrutement, de promotion des agents peuvent être gelées. Les nouveaux projets qui seraient coûteux ne sont pas engagés. On est finalement dans une situation d'immobilisme, de ce point de vue-là, qui n'est pas confortable. D'autant qu'il y a un problème, c'est qu'il y a très souvent des cofinancements. Prenons un exemple, professeur Mouron veut organiser un colloque. Très souvent, il va être... Qui va financer son colloque ? Il va demander une subvention au service de la recherche, mais peut-être que la région PACA va financer, peut-être que la ville d'Aix-en-Provence va participer, peut-être que le département va... Et donc très souvent, on a des financements croisés. Mais il va venir avec son projet de colloque, la région va lui dire « Écoutez, en ce moment, on ne sait pas trop ce qu'on fait, vos 3000 euros comptez vous donner, peut-être qu'on ne va pas vous les donner. » Parce qu'en réalité, par prudence, les administrations publiques n'ont ouvert des crédits que très modestement, c'est-à-dire pour faire fonctionner ce qui doit fonctionner. Et tout le superflu est gelé. Et le superflu, ça arrive vite. On colloque la question, est-ce que c'est superflu ? On peut hésiter sur ce sujet.
- Speaker #0
Vous aviez déjà évoqué les outils juridiques, mais est-ce que vous pourriez expliquer, par exemple, comme l'article 49.3, ou les ordonnances, qu'est-ce que le gouvernement peut-il utiliser ? Et aussi, est-ce qu'il y aurait des réformes qui pourraient éviter ce type de blocage à l'avenir ?
- Speaker #1
Je crois que pour les réformes, je pense que non. En tout cas, pas de réforme sur la procédure législative, parce que le gouvernement dispose déjà d'un arsenal impressionnant pour permettre l'adoption des lois de finances. Donc, ce n'est pas tellement que les outils ne sont pas présents, c'est simplement qu'il n'y a pas les conditions politiques pour utiliser ces outils. Par exemple, l'article 49.3, il suppose que, pour fonctionner, qu'il n'y ait pas de majorité. hostiles au gouvernement, en tout cas qu'il n'y ait pas de coalition hostile au gouvernement suffisamment importante. Mais il se trouve qu'actuellement ces coalitions existent. Alors, il y aurait bien une solution, c'est la méthode allemande. Alors là, qu'est-ce qui se passe en Allemagne ? En Allemagne, l'Assemblée ne peut pas renverser le gouvernement de manière pure et simple. Elle ne peut le renverser que si elle propose un nouveau nom pour remplacer le Premier ministre en poste. C'est ce qu'on appelle la défiance constructive. C'est-à-dire qu'en France, on peut renverser le gouvernement. c'est-à-dire éjecter le Premier ministre et puis débrouillez-vous. En Allemagne, non. Si on veut éjecter le Premier ministre, il faut proposer, et qu'il y ait un accord politique pour proposer un nouveau Premier ministre. Et donc là, on voit que dans ce cas-là, il n'y aurait pas de motion de censure. Alors ça, ça pourrait effectivement être un mécanisme nouveau. Mais en dehors de ça, il n'y a pas grand-chose à faire, sauf à toucher peut-être au mode de scrutin, faire en sorte qu'il y ait nécessairement une majorité qui se dégage de l'Assemblée nationale. Alors, comment ? Par exemple, avec un scrutin proportionnel et une prime majoritaire, comme ça existe au niveau local pour les modes de scrutin communes ou des régions, par exemple, des choses comme ça. Mais ça, ce sont des réformes qui supposent un accord politique et je crois qu'il n'est pas encore au rendez-vous.
- Speaker #0
D'accord. Merci beaucoup pour tous ces éclairages, M. Négrin et Camille aussi, pour avoir partagé ta formation. Nous espérons que cet épisode vous aura intéressé. N'hésitez pas à le partager autour de vous, à nous faire part de vos retours et pourquoi pas. à nous suggérer des thématiques futures. A très bientôt pour un nouvel épisode de Code'cast.
- Speaker #1
Au revoir. Au revoir.