- Speaker #0
Codcast, podcast juridique de la Faculté de droit et de sciences politiques d'Aix-Marseille Université. Bonjour à toutes et à tous. Codcast est de retour pour un nouvel épisode consacré à la condamnation de Marine Le Pen. Pour éclairer ce sujet, nous avons le plaisir d'accueillir monsieur le doyen de la Faculté d'Aix, monsieur Jean-Baptiste Perrier.
- Speaker #1
Bonjour et merci pour votre invitation.
- Speaker #0
Merci à vous. Pour rappel, en 2014, le Parlement européen saisit l'Office européen de lutte anti-fraude qui conclut un détournement de fonds par le Front national. Le Parlement réclame entre 4 et 5 millions d'euros de remboursement et se constitue parti civil en 2017. La justice française ouvre une enquête qui mène à un procès où Marine Le Pen et une vingtaine de membres du RN sont condamnés pour détournement de fonds publics et complicité. Marine Le Pen est condamnée à de la prison avec bracelet électronique et une amende de 100 000 euros et une peine. d'inéligibilité. Entre 2017 et 2020, toutes les personnes condamnées pour ce type d'infraction ont reçu une peine d'inéligibilité, quel que soit leur bord politique. À droite, Nicolas Sarkozy, François Fillon ou Patrick Balkany. À gauche, Jean-Christophe Cambadélis ou Jean-Noël Guérini. Première question, quelles sont les peines prévues ici Et pouvez-vous nous préciser ce que prévoit, quant à elles, la loi Sapin 2
- Speaker #1
Il faut rappeler simplement rapidement l'infraction dont il est question, donc le détournement de fonds publics, une infraction prévue par l'article 432.15 du Code pénal et qui est le fait pour une personne dépositée à l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public de détruire, soustraire ou détourner, d'où le titre, des fonds, des actes, des biens, des fonds, ici dans ce qui nous intéresse, qui lui ont été remis dans l'exercice de ses fonctions. On voit ici le lien entre ce que l'on appelle la condamnation pour des emplois fictifs et le détournement de fonds publics. Que l'on soit parlementaire, national ou européen, des fonds sont remis pour embaucher des assistants parlementaires. Ils sont remis dans un objet particulier, à savoir faire travailler des gens dans le cadre de la mission parlementaire. Et s'ils sont utilisés soit pour d'autres choses, ce qui était reproché aux assistants du Rassemblement national, soit pour rien... ce qui a été reproché dans l'affaire Fillon, puisqu'il n'y avait pas de contrepartie de travail ici. Alors on a bien détourné des fonds qui étaient remis dans un objet particulier. Pour cette infraction, les peines prévues, c'est de l'emprisonnement et de l'amende, et puis une peine également d'inéligibilité, notamment, en fait c'est plus large, l'article 432.17 vise la privation des droits civiques, civils et politiques. Donc au titre des droits politiques, il y a cette éligibilité qui est donc retirée. Alors... Il y a quelque chose d'un peu nouveau qui a été mal compris, effectivement depuis la loi dite Sapin 2, la loi du 9 décembre 2016. Pour ce type d'infraction, l'inéligibilité est automatique. Alors automatique, il faut le préciser, ça signifie que le juge doit la prononcer, il faut quand même la prononcer, mais qu'il n'a pas à l'expliquer. Elle s'applique par principe, de façon automatique, et ça n'est que si le juge décide de ne pas prononcer l'inéligibilité, qu'alors il devrait expliquer le choix d'écarter cette peine. Cela étant, la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 ne s'applique pas aux faits qui étaient reprochés ici à Marine Le Pen et aux autres personnalités poursuivies, puisque les faits étaient commis, je crois, de 2007-2004 à 2016, en tout cas jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi, avant l'entrée en vigueur de la loi. Il y a un principe important en droit pénal qui est celui de la non-rétroactivité de la loi plus sévère. A certains égards, la loi peut ici sembler plus sévère parce qu'elle automatise une peine qui auparavant ne l'était pas. Et donc... Elle ne s'applique pas. On reste donc sous l'empire des textes antérieurs. Et avant la loi Sapin 2, l'inéligibilité était déjà prévue. Et cette inéligibilité devait simplement être expliquée par le juge. Et dans la condamnation qui a été prononcée le 31 mars, on voit quand même que le tribunal a fait un effort de motivation, d'expliquer pourquoi il fallait prononcer cette peine, pourquoi ne pas l'écarter et quelles étaient les raisons qui lui convisaient à le faire. Si la loi Sapin 2 s'est appliquée, il n'aurait rien à dire. Il aurait simplement dit condamnons à une peine d'inéligibilité en vertu de la loi. Et là ici, la loi était une simple faculté, non pas une obligation, et cette peine a donc dû être motivée.
- Speaker #0
D'accord, merci beaucoup. Et donc, pourquoi le juge a-t-il ordonné une exécution provisoire
- Speaker #1
Alors le juge était dans une mission assez complexe. D'abord, il faut préciser que ce n'est pas la seule hypothèse dans laquelle on va retrouver une exécution provisoire ou une application immédiate des peines qui sont prononcées. C'est très fréquent en matière d'emprisonnement ou de privation de liberté, puisque... Les personnes qui sont condamnées par exemple par une cour d'assises en première instance et qui font appel vont, durant le temps de l'appel, être déjà privées de leur liberté. C'est quand même quelque chose d'assez fort. Et puis, c'est le cas aussi dans un certain nombre d'hypothèses, par exemple dans les tribunaux correctionnels, on sait par exemple qu'en matière de comparution immédiate, on peut prononcer une incarcération immédiate, c'est le mandat de dépôt, et s'il y a un appel, alors la juridiction devra maintenir la personne en détention, on parle ici de détention provisoire, en attendant son procès d'appel. Et c'est vrai que dans toutes ces hypothèses, cette application immédiate de la sanction dans l'attente du procès d'appel pose question, si jamais la personne finalement n'est pas condamnée, Elle aura donc été privée de liberté pour rien. Dans le cas particulier de Marine Le Pen et des autres personnes condamnées, on a aussi, au-delà de l'emprisonnement, plusieurs peines qui peuvent être exécutées immédiatement. C'est le cas souvent des saisies et des confiscations. On ne remet pas les choses confisquées aux personnes condamnées en attendant l'appel pour qu'elles viennent ensuite le rendre. Donc on les garde en attendant l'appel. C'est le cas aussi... Des interdictions professionnelles, il y a beaucoup de peines d'interdictions professionnelles, par exemple des interdictions de gérer pour des chefs d'entreprise qui auraient détourné les fonds d'une entreprise. Il y a une interdiction professionnelle qui est prévue, s'ils font appel, elle s'applique quand même en attendant. Et puis il y a aussi cette inéligibilité qui est désormais presque automatique, je le disais tout à l'heure depuis la loi Sapin 2, puisqu'il faut spécialement expliquer pourquoi elle ne s'appliquera pas.
- Speaker #0
Merci beaucoup. Contre cette décision, il y a deux arguments. L'accusation contre les procureurs qui dépendraient du pouvoir politique et puis l'accusation contre les juges qui ne seraient pas impartiaux. Est-ce que les procureurs et les juges sont indépendants du pouvoir politique
- Speaker #1
Alors oui, ils le sont. Il y a évidemment ce que certains ont dénoncé, des opinions politiques dans la magistrature, comme dans tous les corps. Mais dire qu'un juge a des opinions ne veut pas dire pour autant que la justice est politisée. Les enseignants, les comptables, les fonctionnaires de police, tout le monde a une opinion, mais ça ne veut pas dire pour autant que son action... en tant que fonctionnaire, en tant que magistrat, etc., est politisée. L'indépendance des magistrats, elle pose une question particulière, puisque ça renvoie à la question de leur statut, et on a souvent dit que les procureurs n'étaient pas indépendants, alors que les magistrats du siège, les juges, eux, le seraient. Une question, rapidement résumée, mais qui est un peu complexe, c'est-à-dire que les conditions de nomination et de sanction des magistrats du parquet, des procureurs, ne sont pas exactement les mêmes, et d'une certaine mesure, elles... peuvent être soumises, ces décisions de nomination de sanctions, à la décision du ministre, du ministre de la Justice. C'est là que l'on peut considérer que leur carrière pourrait être liée à une décision politique. On remarque quand même qu'en pratique, cette question ne se retrouve pas et que très souvent, les décisions prises par le ministre sont conformes à celles qui sont proposées par un organe indépendant, le Conseil supérieur à la magistrature. Donc on pouvait, le cas échéant, soupçonner, mais je crois que c'était un fondé, mais le procureur... d'avoir pris ces réquisitions il y a plusieurs mois dans un souci d'indépendance ou de dépendance. En revanche, pour les magistrats du siège, ceux qui rendent cette décision, et j'insiste à nouveau, ces soupçons ne sont pas fondés. Il y a des règles qui peuvent expliquer pourquoi on dit qu'ils ne sont pas totalement indépendants, mais dans la pratique quotidienne, elles ne se retrouvent pas. Pour les juges du siège, en revanche, la question ne se pose pas du tout. La carrière des magistrats du siège, que ce soit sur les nominations ou sur les sanctions, est complètement indépendante des décisions politiques. C'est le Conseil supérieur à la magistrature qui décide tout seul.
- Speaker #0
Et face à tous ces acteurs qui essayent de, on va dire, saper la confiance envers la justice, comment imaginer des règles de fonctionnement qui donnent confiance à tout le monde Est-ce qu'il faudrait pour les affaires impliquant des partis ou des acteurs politiques une cour de justice distincte, composée de citoyens tirés au sort comme aux assises, avec des juges et des professionnels du droit pour encadrer, appliquant ce même droit
- Speaker #1
Alors, la question est compliquée parce que derrière toutes ces propositions, il y a un principe qui est celui d'égalité des citoyens devant la justice. Et quelle que soit la fonction que l'on exerce, on devrait avoir... Le même accès à la justice, c'est un argument d'ailleurs qui est mis en avant par ceux qui tentent de défendre Marie Le Pen en disant qu'elle n'aurait pas été traitée comme les autres, mais vous l'avez rappelé, ce n'est pas la première fois qu'une personnalité est condamnée pour des faits de détournement d'emploi fictif ou d'autres. Il y a eu des faits de corruption aussi dans les exemples que vous avez cités, ou de blanchiment, et systématiquement on prononce cette peine. Il y a aussi une proposition qui est faite, je vous permets de l'ajouter, une proposition de loi, aujourd'hui qui est envisagée, qui serait déposée à l'été, de supprimer la peine d'inéligibilité. Et là, on trouverait un autre principe, proposition de loi dite sciotti celui de l'application immédiate de la loi plus douce, qui fait que si cette proposition de loi est adoptée cet été, la juridiction de la peine ne pourra plus du tout prononcer d'inéligibilité. Et on voit bien qu'ici, on aurait quand même une rupture d'égalité, et le Parlement déciderait dans une affaire particulière qui peut prononcer une peine ou non. La question de la composition d'une juridiction particulière, elle existe. C'est la Cour de justice de la République qui est chargée de juger les ministres en exercice pour les faits qui se rattachent à leur fonction. Je laisse de côté le recours de justice, qui est un cas extrêmement particulier pour juger le président de la République, mais cette cour de justice de la République, elle est au contraire contestée d'une certaine façon, parce qu'on se dit pourquoi est-ce que les ministres qui commettraient des faits seraient privilégiés, jugés différemment Alors, il y a des raisons derrière tout cela. Il s'agit d'éviter que la justice puisse conduire à la démission d'un ministre d'une certaine façon, qu'on puisse venir contrôler l'action d'un ministère. par exemple, et donc on veille à la séparation des pouvoirs entre l'autorité judiciaire et le pouvoir exécutif. Pour les parlementaires... La situation est particulière parce que, en l'occurrence ici, les faits qui sont reprochés aux différentes personnalités le sont alors qu'ils ne sont plus parlementaires européens. C'est le cas de Mme Le Pen, par exemple, qui n'est plus membre du Parlement européen, qui est plutôt député de l'Assemblée nationale. Donc il n'y aurait pas d'immixion de ce point de vue dans son mandat à l'occasion duquel les faits auraient été commis. La vraie question, c'est celle de savoir est-ce que cette inéligibilité peut ou pas l'empêcher de concourir pour l'élection présidentielle. Et là on croit qu'il y a quand même une évolution un peu singulière parce que la loi Sapin II, qui avait été adoptée à l'époque de l'affaire dite Cahuzac, mais pas seulement, où il y avait eu plusieurs personnalités politiques qui avaient été mises en évidence, en examen et même condamnées pour des faits de détournement de fonds publics, de blanchiment d'emplois fictifs, etc. Le corps politique à l'époque considérait qu'il était important de redonner confiance dans les citoyens, dans le pouvoir politique. Et donc de moraliser la vie politique. Est-ce que le droit et la morale se connectent C'est peut-être l'objet d'une autre question. Mais en tout cas, on avait voulu, comme dans d'autres professions, que les personnes qui sont condamnées ne puissent pas accéder à certaines fonctions. Ce n'est pas uniquement les politiques, j'insiste. Il y a d'autres fonctions dont on est empêchés si on a déjà été condamné pénalement parce qu'on souhaite que les personnalités qui vont représenter les Français, qui vont les juger, etc. soient plus exemplaires que les autres.
- Speaker #0
Pour finir, est-ce que toute cette affaire, elle est réellement une question juridique ou plutôt une question de morale N'est-ce pas la question de qui sera le chef en 2027 Et une question, en fait, finalement du système de valeur en tant que société plutôt que celle de l'indépendance, de la justice ou de la procédure pénale
- Speaker #1
Il y a des liens évidents entre le droit et la morale. Alors, ça ne se superpose pas. Tout ce que le droit fait ne relève pas de la morale et tout ce qui est moral ou immoral n'est pas nécessairement appréhendé par le droit. Mais... Sur cette question particulière, on a mis en évidence, et c'était l'objet d'ailleurs de certains textes, la moralisation de la vie politique. Mais j'insiste à nouveau, on ne peut pas devenir magistrat si l'on a été condamné pénalement, parce qu'on considère que les magistrats doivent avoir ce souci d'exemplarité. On ne peut pas devenir avocat selon la teneur de son casier judiciaire, par ailleurs. Il y a une enquête de moralité également qui est faite. Et puis les fonctionnaires peuvent perdre cette qualité s'ils sont par ailleurs condamnés pénalement. Et donc on peut considérer que... Pour celles et ceux qui veulent exercer les plus hautes responsabilités, on a une exigence d'intégrité. Et de ce point de vue, je ne crois pas, en tout cas c'est mon point de vue, que le peuple soit souverain. Et que le peuple pourrait aller au-dessus des lois et choisir, le scrutin serait parfait, qui serait ou non, mériterait ou non d'être candidat ou même élu. On a pu voir par exemple que certaines personnes condamnées avaient pu ensuite essayer de revenir en politique, certains avec succès, d'autres non. Mais c'est autre chose. Il y a une condamnation, une peine qui est prévue, on moralise la vie politique et on évite que les personnes condamnées puissent continuer à exercer les fonctions à l'occasion desquelles elles ont détourné de l'argent. On veut éviter d'une certaine façon la tyrannie de la minorité parce qu'il faut bien concevoir que systématiquement, lorsqu'une personnalité est élue, elle ne l'est jamais par la majorité. Elle est uniquement par la majorité des électeurs, ce qui est déjà réducteur. Et puis quand on est sur... des représentations nationales avec des scrutins qui pourraient être, comme au Parlement européen, proportionnels. On est même sur la plus grande minorité d'une certaine façon. Et donc une minorité pourrait imposer à la majorité le choix d'un gouvernant qui aurait, lui, eu affaire à la justice et aurait été condamné pour avoir détourné l'argent public. Ce qui est quand même quelque chose d'assez important. J'insiste à nouveau, on a le même mécanisme sur des interdictions professionnelles. Un chef d'entreprise qui détourne l'agent de son entreprise ne peut plus gérer cette entreprise. On a une... peine d'interdiction de gérer qui existe et parce qu'on considère que ce n'est pas aux actionnaires de choisir qui est le bon dirigeant, c'est qu'il faut que les entreprises soient gérées de façon saine et de façon intègre. Et on a la même chose, je disais, dans d'autres hypothèses, un comptable public serait empêché d'exercer ses fonctions s'il est condamné pour avoir détourné des fonds publics, etc. Et je ne vois pas pourquoi il en irait différemment pour les responsables politiques.
- Speaker #0
Merci infiniment, monsieur le doyen, pour ces analyses. Nous espérons que cet épisode vous aura intéressé. N'hésitez pas à le partager autour de vous, à nous faire part de vos retours. et pourquoi pas à nous suggérer des thématiques futures. A très bientôt pour un nouvel épisode de CodeCast. Merci à toutes et à tous. Au revoir.