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AMÉLIE NOTHOMB POUR "L'IMPOSSIBLE RETOUR" cover
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Conversations chez Lapérouse

AMÉLIE NOTHOMB POUR "L'IMPOSSIBLE RETOUR"

AMÉLIE NOTHOMB POUR "L'IMPOSSIBLE RETOUR"

42min |11/10/2024
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Conversations chez Lapérouse

AMÉLIE NOTHOMB POUR "L'IMPOSSIBLE RETOUR"

AMÉLIE NOTHOMB POUR "L'IMPOSSIBLE RETOUR"

42min |11/10/2024
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Description

Dans ce premier épisode de Conversations chez Lapérouse, Frédéric Beigbeder reçoit Amélie Nothomb pour parler de son roman L'Impossible Retour, inspiré par le deuil de son père. Elle évoque son lien avec le Japon, son voyage nostalgique avec son amie Pep Béni, et la manière dont l'écriture l'aide à naviguer entre douleur et souvenirs. L'épisode est ponctué par des moments musicaux: Amélie qui chante en live du Nô japonais, mais aussi un extrait de La marche du monde d'Aldebert, où elle prête aussi sa voix.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    D'étranges événements ont lieu dans le manoir. Un doute s'instille chez les habitants, maître des lieux et personnel confondu. Une présence invisible semble rôder entre les murs de la vieille demarre. Avec ce troisième roman, Manchette et Niemiek se posent en maître de la narration. À l'ombre de Winnicott, un roman envoûtant.

  • Speaker #1

    Oh, mais quelle joie de vous retrouver ! Conversation chez la Pérouse avec Amélie Nothomb. Bonsoir. Son nouveau roman s'intitule L'Impossible Retour. Ça a failli être le cas de Conversation chez la Pérouse. Mais il n'y a pas de retour impossible. Cela devient une habitude, chaque année je reçois Amélie Nothomb pour inaugurer les conversations chez La Pérouse. Merci beaucoup mon épouse d'accepter, depuis 2022, d'être la première invitée.

  • Speaker #2

    cette émission je trinque à cela et à notre amour impossible et mes durables durable en fait le secret de l'amour éternel c'est de se voir exactement une fois par an oui est ce qu'on voyait dans quoi ça marche très bien ça marche très très bien merci

  • Speaker #1

    donc vous êtes ici pour parler de ce livre l'impossible retour chez albin michel qui est votre 32 ou 33e ligne en troisième livre cette habitude de publier Un roman tous les ans le 15 août, c'est une sorte de manie qui ne s'arrêtera jamais.

  • Speaker #2

    C'est plutôt vers le 22 août, mais à mon avis ça ne s'arrêtera jamais. Mais parce qu'il y a toujours de quoi. Rien ne m'y oblige, aucun contrat ne me tient. Mais j'ai plaisir à ce rythme et je crois que ce rythme m'équilibre. Le grand danger, je pense, si je ne publiais plus du tout, c'est que je perde totalement contact avec le réel et que je devienne complètement dingue. Publier un livre par an, c'est quand même...

  • Speaker #1

    Une sorte de repère.

  • Speaker #2

    C'est un repère et ça me... comment on dit ça de façon moderne ? Ça m'implique dans le réel.

  • Speaker #1

    Alors, je vous contredit immédiatement, d'entrée de jeu, vous ne risquez pas de devenir folle puisque vous l'êtes déjà.

  • Speaker #2

    Ça me rassure beaucoup.

  • Speaker #1

    Ça faisait donc 12 ans que vous n'aviez pas mis les pieds au Japon et vous y êtes retourné et c'est l'histoire de... Enfin, c'est ce que vous racontez dans ce livre. C'est l'histoire d'une femme... déracinée en quête de ses origines.

  • Speaker #2

    Oui. Le Japon et moi, c'est une longue histoire. C'est mon premier amour et c'est ma première identité. J'y ai passé les cinq premières années de ma vie et à l'époque, j'étais absolument persuadée d'être japonaise.

  • Speaker #1

    Et vous ressemblez à une japonaise d'ailleurs.

  • Speaker #2

    J'ai eu raison de vous épouser. Vous sentez tout de suite la geisha en moi. C'est vrai.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai. Particulièrement dans un boudoir chez la Pérouse, c'est important. Mais bon, alors, tout de même... C'est un livre extrêmement triste, vous en parlez partout avec beaucoup de gaieté, comme d'habitude, mais ce titre, L'impossible retour, dit tout de ce deuil et de l'impossibilité de retrouver ses origines et ses racines.

  • Speaker #2

    Vous l'avez tout à fait dit, le grand sujet de ce livre, c'est le deuil. Est-ce que c'est encore vraiment un livre sur le Japon ? J'y suis allée tant de fois, j'en ai tellement parlé dans mes livres. Mais ce énième retour au Japon... C'est le premier qui a lieu depuis la mort de mon père. Bon, alors ça fait 4 ans que mon père est mort, ça fait 4 ans que je ne parle que de ça. Mais c'est vraiment en retournant au Japon que je me suis aperçue à quel point il était mort. Comme le narrateur pour Troustien quand il retourne à Balbeck 2 ans après la mort de sa grand-mère, c'est vraiment à ce moment-là qu'il se rend compte que sa grand-mère est morte. C'est ça.

  • Speaker #1

    Les lieux de l'absence. C'est ça. Et je vais vous demander, chère épouse, de lire les derniers mots du livre, ce qui ne se fait jamais. On demande généralement à l'auteur de lire le début. Eh bien, moi, je voudrais que vous lisiez le dernier paragraphe, s'il vous plaît. Vous dites tout sur cette peine.

  • Speaker #2

    Plus le temps passe et plus j'ai l'impression que nous sommes nombreux dans la confrérie. Nous sommes appelés, je crois, à peupler de plus en plus le monde. Nous qui avons perdu un lieu aimé, à quelque titre que ce soit, et qui avons tenté de le retrouver pour découvrir l'impossibilité du retour.

  • Speaker #1

    Oui, alors c'est ce sujet, en fait, qui explique pourquoi vous n'aimez pas voyager. On vous a forcé à voyager pendant toute votre enfance, vous étiez fille de Patrick Nothomb, qui était un ambassadeur, qui a été ambassadeur dans beaucoup de pays différents. Et pour vous c'était un cauchemar. Vous dites dans le livre, tout départ est une aberration. Alors le retour est impossible et le départ est une aberration. Mais comment faire pour habiter la planète Terre ?

  • Speaker #2

    C'était extrêmement compliqué. Mais oui ! Moi j'ai le fantasme absolu, fantasme non réalisé, de trouver le terrier idéal. La cachette idéale, je ne l'ai pas encore trouvée. Là, il semblerait que je sois de plus en plus à Paris. Je commence à avoir quelques endroits dans cette ville. Mais je pense que je n'ai pas encore trouvé le lieu idéal.

  • Speaker #1

    Vous êtes le contraire de Sylvain Tesson. Parce que lui, il adore voyager, crapahuter, bourlinguer. Vous, alors là, le livre raconte à quel point c'est pénible pour vous, ne serait-ce que de réserver un hôtel ou prendre un avion.

  • Speaker #2

    Mais j'en suis totalement incapable. Il faut qu'on fasse ça à ma place. Bon, une fois que j'arrive sur place, je deviens opérationnelle. Mais ce qui est épouvantable dans les voyages, c'est le départ et le retour. Ça fait quand même beaucoup.

  • Speaker #1

    Et alors en plus, vous avez eu l'idée saugrenue d'emmener la pire emmerdeuse de la Terre avec vous.

  • Speaker #2

    Je me permets de nuancer votre propos. D'abord, c'est elle qui m'a invitée. Oui,

  • Speaker #1

    donc c'est pas votre faute.

  • Speaker #2

    C'est elle qui m'a invitée. Sans elle, pas de voyage. J'ajouterais que votre point de vue est un peu réducteur. On va dire que c'est une personne qui vous pousse dans vos derniers retranchements. Ce qui est très intéressant. De toute façon, dites-vous bien, même votre meilleur ami, même votre meilleure amie, vous ne la connaissez pas aussi longtemps que vous n'avez pas voyagé avec elle. C'est vrai.

  • Speaker #1

    Enfin là, cette photographe qui s'appelle Pep Béni, c'est ça ? Je ne sais pas si elle existe ou si c'est un personnage de roman.

  • Speaker #2

    Entre les deux.

  • Speaker #1

    Voilà. Elle a gagné deux billets pour le Japon en mai 2023. Et pendant 11 jours, vous la coltinez. Elle a des allergies. Elle veut changer de chambre à chaque hôtel. Elle se brouille avec tous les Japonais. Elle est très grossière. Par exemple, vous allez dans un musée. Au Japon, on n'a pas le droit de parler dans les musées. Elle n'arrête pas de faire des commentaires sur les œuvres d'art qu'elle voit. Franchement, vous avez mal choisi votre partenaire de voyage.

  • Speaker #2

    Mais il faut aussi se mettre à sa place. Le Japon, c'est un pays difficile. Elle est arrivée pour le découvrir, mais c'est une Française et c'est vrai que...

  • Speaker #1

    C'est un problème d'être Français.

  • Speaker #2

    C'est un problème d'être Français, première chose. Je tiens à le signaler, je ne suis pas Française et j'en mesure les avantages tous les jours.

  • Speaker #1

    Vous êtes belge, vous êtes japonais, nippo-belge.

  • Speaker #2

    Voilà. Et Pep découvre quand même cette civilisation dans laquelle on n'a pas le droit de parler au musée, ce qui, pour elle, qui est très émotive et difficile. Je veux dire, je comprends qu'elle puisse éprouver le désir de... de partager ses émotions. Et puis, elle, elle ne considère pas que c'est grossier de parler dans un musée. Je vous trouve un petit peu réducteur.

  • Speaker #1

    Non, non, mais c'est très beau que vous défendiez votre amie. La scène est très drôle dans le musée parce qu'il y a un guide très discret qui vient la voir alors qu'elle parle devant des tableaux. Il vient la voir avec un panneau sur lequel est écrit Ferme ta gueule en gros, en plus poli.

  • Speaker #2

    C'est ça. Mais donc, elle résout. Chuchoter, mais même le chuchotement bien sûr,

  • Speaker #1

    est inconcevable.

  • Speaker #2

    Vous savez au Japon la règle, mais personne ne transige avec la règle. La règle est absolue et tout le monde la respecte. Ça c'est une chose que les Français ont beaucoup de mal à comprendre.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça s'appelle une civilisation. Les scènes aussi où elle se dispute avec les patrons des hôtels.

  • Speaker #2

    C'est très drôle. Écoutez, c'est très drôle parce qu'elle comptait sur moi comme interprète. Or, en fait, elle insultait les aubergistes et moi je devais le traduire. Ah oui. Je suis incapable de traduire des choses pareilles. D'ailleurs, de tels mots n'existent pas en japonais. Donc je traduisais tout à fait autre chose.

  • Speaker #1

    Elle va voir le directeur de l'hôtel en disant qu'il y a des acariens dans la chambre, ce qui est un affront où normalement on doit tuer la personne ou se suicider.

  • Speaker #2

    C'est ça. Donc moi qui suis fille de diplomate, je me retrouve dans le rôle de mon père à devoir jouer le tampon diplomatique entre un aubergiste offusqué et une française absolument furieuse.

  • Speaker #1

    Alors pour les grands fans et lecteurs d'Amélie Nothomb, et il y en a beaucoup, on est de retour dans un cycle japonais. Vous aviez inauguré avec stupeur et tremblement Grand Prix du roman de l'Académie française en 1999, où vous racontiez votre expérience de dame pipi.

  • Speaker #2

    Vous savez que ça m'a beaucoup apporté d'être... d'être dame pipi pendant huit mois dans une très importante société japonaise.

  • Speaker #1

    Vous pensiez faire un stage où vous alliez apprendre la vie en entreprise et rapidement vous avez...

  • Speaker #2

    J'ai tellement déplu que je me suis retrouvée huit mois dame pipi. Ça m'a beaucoup appris et somme toute, j'ai quand même moins souffert en étant dame pipi qu'en étant à la comptabilité où je ne comprenais strictement rien.

  • Speaker #1

    Oui, au moins on rencontre du monde. On rencontre des gens. Oui, oui,

  • Speaker #2

    c'est ça. On fait des rencontres.

  • Speaker #1

    Il n'y a eu ensuite ni d'Ève ni d'Adam, également primé par le prix de Flore en 2007, où là, vous racontiez votre histoire d'amour avec un fiancé japonais.

  • Speaker #2

    C'est ça, avec un jeune japonais. Ma première belle histoire, quoi. Donc, je n'ai que des bons souvenirs. C'est extraordinaire d'avoir une histoire d'amour dont on n'a absolument que des beaux souvenirs. Et c'était avec un jeune Tokyo.

  • Speaker #1

    C'est formidable. Et est-ce que quand vous êtes retourné là en 2023 au Japon, vous avez fait signe à votre acte ? Non, pas du tout. Non,

  • Speaker #2

    il faut, une fois de temps en temps, il faut savoir tourner la page. Vous savez, Frédéric, que je vous suis d'une fidélité absolument.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Oui, c'était un piège. C'était une question de piège. Là, je mentionne également Biographie de la faim en 2004, où le Japon était présent. La Nostalgie heureuse en 2013. On est passé quand même de la Nostalgie heureuse à l'impossible retour.

  • Speaker #2

    Oui, je suis d'accord que d'un point de vue de joie de vivre, ce n'est pas vraiment un progrès. Non. Mais bon.

  • Speaker #1

    Je m'inquiète pour vous, Amélie.

  • Speaker #2

    L'explication est toute idiote, mais c'est la vie de tout le monde. Mon père est mort. Il faut beaucoup de temps pour se remettre de ça.

  • Speaker #1

    Mais c'est vraiment un livre. J'ai perdu mon père il y a un an. C'est aussi un très beau livre sur le deuil paternel, c'est vrai. Donc, Patrick Nothomb est mort en 2020. Oui. Et là encore, vous avez... Je n'en sais pas. Il vous a donné un autre prix littéral, le prix Renaudon en 2021, dans le livre où vous parliez de lui, qui est le premier sang. Oui. Vous cherchez... Votre père, c'est lui l'impossible retour. Je dis ça parce que votre nom de famille, c'est nos tombes. Oui. Donc peut-être que ça vient de là.

  • Speaker #2

    C'est vrai, cette absence de tombe contenue dans mon nom, cette négation du tombeau contenue dans mon nom. Ah,

  • Speaker #1

    vous voyez nos comme la négation. Ça peut être le pluriel. Nos tombes. Nous avons des tombes. Et vous allez visiter les tombes.

  • Speaker #2

    Vous savez que vous révolutionnez ma vie parce que vous n'avez jamais vu ça comme ça. J'ai toujours vu ça comme une négation du tombeau.

  • Speaker #1

    Ah oui, parce que vous êtes également anglophone. C'est pour ça.

  • Speaker #2

    C'est pour ça.

  • Speaker #1

    Pourtant, votre père, Patrick, n'était pas toujours gentil. Et il y a dans le livre une scène où vous vous engueulez avec lui. Et vous vous souvenez de ça quand vous êtes au Japon, où vous étiez disputés très gravement. Et il vous dit, toi, tu es comme moi, tu n'es rien.

  • Speaker #2

    C'est ça. J'avais 15 ans. Il en avait 30 de plus. Et je me souviens de ma... colère quand il m'a dit ça. La première chose que j'ai pensé c'est non non non je suis pas comme toi je suis pas comme toi puis après j'ai pensé mais pourquoi il dit ça ? Pourquoi il dit qu'il est rien ? C'est quoi cette histoire ?

  • Speaker #1

    Oui et ça c'est toute la partie la plus bouleversante et émouvante du livre c'est quand vous essayez de savoir si peut-être en vous disant tu n'es rien il vous a rendu écrivain.

  • Speaker #2

    Je pense qu'il a énormément contribué à me rendre écrivain par cette parole. C'était une parole qui avait l'air d'être une malédiction, mais qui en fait était une curieuse bénédiction, un curieux octroi de grâce.

  • Speaker #1

    Oui, vous avez envie au fond d'exister, de raconter cette vie, de parler de lui, de parler de tout ce que vous vivez, pour ne pas être rien. Oui, ou alors... Est-ce que vous y arrivez ?

  • Speaker #2

    Ou alors pour atteindre l'autre rive, à savoir le rien zen.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #2

    Selon la philosophie zen, qui est quand même la philosophie que le Japon a portée à son degré d'aristocratie, être rien, c'est le sommet de l'ambition.

  • Speaker #1

    Oui,

  • Speaker #2

    c'est vrai.

  • Speaker #1

    L'élégance.

  • Speaker #2

    Et c'est vrai que les moments où on a l'impression d'atteindre ce rien-là sont les moments où on est enfin totalement là, enfin totalement dans la vie. C'est ce que j'appelle le Kensho. C'est une extase totale.

  • Speaker #1

    Oui. Alors, dans le paysage littéraire national, vous occupez... aujourd'hui la place qui était peut-être celle de Jean d'Ormesson, la personne, oui, disons, cultivée, brillante, drôle, avec de l'esprit. Mais votre œuvre est davantage respectée que la sienne. Je veux dire que vous êtes étudiée dans les universités, vous êtes presque un classique aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas paralysant dans votre processus d'écriture de se dire, maintenant je suis une sorte de monument vivant ?

  • Speaker #2

    Pas du tout, parce que je n'ai pas du tout cette sensation.

  • Speaker #1

    Écoutez, vous avez signé chez Albain Michel hier. Il y avait des milliers de gens. Les gens se battent pour vous voir. Vous êtes une rockstar de la littérature.

  • Speaker #2

    Rockstar, d'accord. Mais monument, non.

  • Speaker #1

    C'est pas la même chose, vous avez raison. Il faut mourir pour être un monument.

  • Speaker #2

    Est-ce que vous savez, parce que vous ne le savez certainement pas, vu que vous êtes mon garçon.

  • Speaker #1

    Je ne suis rien non plus.

  • Speaker #2

    Je suis devenue une chanteuse de métal.

  • Speaker #1

    Ah oui, justement, j'ai la chanson. Elle est bien ? Si vous voulez, on met nos casques. Elle est super belle.

  • Speaker #2

    Je la connais, ma chanson.

  • Speaker #1

    Je veux que vous l'écoutiez avec moi.

  • Speaker #2

    Elle est super belle.

  • Speaker #1

    Oui, oui. Franchement. Donc, quand je disais rockstar, c'était effectivement calculé. C'est beau, hein ? Oui, c'est beau. C'est quelque chose qui est assez inattendu pour les gens qui vous connaissent peu, parce que ceux qui vous connaissent savent que vous êtes une fan de métal. Oui. Vous adorez le groupe Tool, je crois.

  • Speaker #2

    Alors, à mon enterrement, venez mon cher époux à mon enterrement, ce sera une très belle cérémonie gratuite.

  • Speaker #1

    Je serai triste.

  • Speaker #2

    Et il y aura du Tool. Et croyez-moi, un endroit public où on entend du Tool gratuitement, c'est pas fréquent.

  • Speaker #1

    Je signale que la police vient nous arrêter. On a un petit peu mis la musique trop fort, ça gêne les voisins. Non mais alors sérieusement, cette carrière de rockstar, de métal, va se concrétiser car vous allez faire l'Olympia.

  • Speaker #2

    Je fais l'Olympia, ça sera le 5 avril, c'est un samedi et je vais le faire deux fois en un jour. Donc 2025. 2025. Là je fais ma maligne mais... La veille du 5 avril, à mon avis, je serai vraiment dans mes petits...

  • Speaker #1

    C'est extraordinaire. J'ai eu la chance de faire, moi aussi, l'Olympia avec Bon Entendeur. Je faisais, comme vous, un récitatif sur le Rhin de l'Ornopso. Et donc, je me suis jeté dans le public qui m'a porté.

  • Speaker #2

    Vous croyez que vous pourriez essayer ?

  • Speaker #1

    Je pense que vous devriez. C'est une sensation qui vous plaira. Je vous connais bien. Je t'adore. porté par les mains de personnes inconnues en lévitation. C'est très japonais.

  • Speaker #2

    Je pense que c'est mon rêve. Je joue le robot méchant qui décourage les enfants. J'espère que j'aurai un costume de scène, un costume de robot.

  • Speaker #1

    Oui, vraiment. Notez bien cette date. Réservez vos places. 5 avril. Alors, vous n'écrivez jamais sur les sujets d'actualité. Non. Dans cette rentrée, il y a beaucoup de livres. Par exemple, il y a Kamel Daoud qui parle de la guerre civile algérienne. Vous avez Gaël Fay qui parle du Rwanda. Ce sont des romans importants. Et vous, c'est quelque chose que vous ne faites pas ou alors de façon détournée ?

  • Speaker #2

    De façon détournée. Ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas, c'est que je ne vois pas tellement bien. Quelle pierre je peux apporter à l'édifice ? Ce sont des problèmes qui me concernent autant que tout le monde, mais je ne vois pas la solution et je ne suis même pas sûre de les comprendre.

  • Speaker #1

    Oui, c'est assez intéressant. Je dirais que, par exemple, prenons un exemple. Dans ce livre-là, L'impossible retour, le seul moment où vous parlez de la bombe atomique, c'est pour dire qu'elle a épargné Kyoto. Donc, c'est vraiment quelques lignes, mais c'est une information que peut-être les gens ne connaissent pas, qui est assez incroyable. Il y avait un Américain, M. Stimson.

  • Speaker #2

    C'est ça, conseiller de...

  • Speaker #1

    lequel encore ? Truman.

  • Speaker #2

    Truman avait choisi Kyoto pour... comme première ville pour essayer la bombe atomique. Et ce conseiller de Truman lui a dit écoutez, je suis allée en voyage de noces avec ma femme là, c'est vraiment très beau, ce serait peut-être dommage de choisir cette ville, on va peut-être en choisir une moins belle. Et le deuxième choix a été Hiroshima qui en effet n'était pas du tout une ville extraordinaire.

  • Speaker #1

    Qui a été rasée intégralement. C'est vrai que c'est grâce à ce monsieur Stimson et à son voyage de noces que les temples que vous préférez au monde, les plus beaux temples japonais, ont été épargnés.

  • Speaker #2

    À cause de ça, tiens.

  • Speaker #1

    Oui. Et vous me conseillez d'aller visiter le pavillon d'or à Kyoto ? Ah oui.

  • Speaker #2

    D'abord, c'est un choc esthétique extraordinaire. Et on comprend tellement bien ce moine zen dont parle Mishima, qui, en haine de la beauté, décide... de mettre le feu au pavillon d'or. On ne peut pas voir une telle beauté et rester indifférent. On se dit, il faut faire quelque chose. Ça ne suffit pas d'admirer.

  • Speaker #1

    Mais vous pensez vraiment qu'il faut foutre le feu à tout ce qu'on croise de beau ?

  • Speaker #2

    Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Mais l'admiration doit être un acte violent. Ne serait-ce que vis-à-vis de soi-même. Ce qui est insupportable, c'est les gens qui voient quelque chose de sublime et qui, après tout, sont la même personne après, n'en sont pas profondément modifiées.

  • Speaker #1

    Par exemple, votre amie, complètement tarée,

  • Speaker #2

    qui est très terrible,

  • Speaker #1

    mais c'est plaisant. Le personnage est génial. Elle va avec vous au pavillon d'or, pour vous le plus beau temple jamais construit. Comment réagit-elle ? Elle s'en va et demande une bière.

  • Speaker #2

    Non, vous allez beaucoup trop vite en besoin. Elle se rappelle le livre parce que le pavillon d'or, c'est un peu une bible pour elle, comme pour moi, un brévière. Et elle dit, j'ai envie d'y foutre le feu. La bière vient bien sûr plus tard. Bon, on a un point commun, elle et moi, c'est qu'on a une bonne descente, mais c'est très bien ça.

  • Speaker #1

    Alors là, c'est un roman fortement alcoolisé. Il y a de la bière, il y a du whisky, mais il n'y a pas de champagne.

  • Speaker #2

    Alors ça, c'est ahurissant. Qu'est-ce qui se passe ? J'ai honte, si vous saviez. J'ai donc passé 11 jours au Japon. non seulement sans boire du champagne, mais même sans y penser.

  • Speaker #1

    Sans y penser ?

  • Speaker #2

    Voilà, et c'est là que je me suis rendu compte que mon amour pourtant déraisonnable pour le champagne était peut-être aussi de l'ordre de l'adaptation. Le milieu diplomatique est un milieu où le champagne c'est l'eau, et peut-être que mon amour déraisonnable pour le champagne était une suprême adaptation à tout cela. Et là que j'étais finalement dans un milieu très différent du mien, dans un pays que j'aime plus que tout, Et finalement, le whisky m'allait très bien.

  • Speaker #1

    Ça prouve que vous n'êtes pas addict au champagne. Vous n'êtes pas drogué au champagne.

  • Speaker #2

    C'est ça. Donc, j'aime le champagne d'un amour absolu, mais je suis capable de voir autre chose. Ça me fait honte de le dire, mais c'est quand même vrai. Cela dit, il est bon ce champagne. Et moi, je vais finir ma coupe bien avant la vôtre.

  • Speaker #1

    Oui, mais je vous donne la mienne.

  • Speaker #2

    Je n'en attendais pas moins de vous.

  • Speaker #1

    Non, mais c'est normal entre époux.

  • Speaker #2

    Il a pu faire croire que vous avez déjà bu la vôtre.

  • Speaker #1

    Vous emmenez dans ce voyage à rebours de Huysmans et il y a dans ce livre une scène où des esseintes fantasment sur un voyage en Angleterre. C'est génial. C'est assez marrant parce que vous, vous êtes vraiment en voyage et vous emportez quoi ? Le livre d'un ermite reclus qui déteste sortir de chez lui.

  • Speaker #2

    Un livre qu'on a beaucoup surnommé l'anti-voyage. C'est tellement génial à rebours. Qu'est-ce que j'ai eu raison de... Il faut bien choisir ces lieux de relecture des chefs-d'œuvre. Et relire à rebours à Tokyo en 2023, c'était une idée géniale.

  • Speaker #1

    Et vous dites d'ailleurs, bien plus que lire, relire est un acte d'amour. Est-ce que, passé un certain âge, on ne lit plus, on ne fait plus que relire ?

  • Speaker #2

    Je lis encore, mais je suis une putain de relectrice. Là, je viens de finir ma quatrième relecture de La Recherche du Temps Perdu. Et vous savez qu'il a fallu... Cette quatrième relecture pour que je comprenne enfin. Il y avait tellement de choses qui m'avaient échappé. C'est tellement bien.

  • Speaker #1

    Il faudrait peut-être que je le relise une troisième fois. Mythomanie totale.

  • Speaker #0

    Vous inventez le concept très intéressant de nostalgie préventive, qui consiste à regretter à l'avance quelque chose, plutôt que de le regretter après, le regrette par avance.

  • Speaker #1

    Ça n'empêche pas aussi la bonne vieille nostalgie rétrospective, mais c'est vrai que chez moi la nostalgie est quelque chose de tellement tentaculaire que j'ai inventé la nostalgie préventive. Par exemple, je savais... depuis quelques jours que j'allais vous voir aujourd'hui. Vous, mon époux, que je ne vois qu'une fois par an. Donc j'étais déjà depuis trois jours en état de nostalgie préventive parce que je savais que ce rendez-vous, qui durerait quoi, trois quarts d'heure, serait trop bref et qu'après, il me faudrait une année pour me ressouvenir de ces moments si tendres où je piquais votre champagne.

  • Speaker #0

    Donc ça veut dire que vous chialez depuis trois jours en pensant à ce rendez-vous. Absolument. Ça me touche beaucoup.

  • Speaker #1

    C'est une manière de m'adapter à... Mon tempérament résolument décadent.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous regrettez...

  • Speaker #1

    Est-ce que le champagne est différent du mien ?

  • Speaker #0

    Non, c'est le même, c'est le même. Je n'ai pas le droit de dire la marque, mais... C'est le même champomy, champomy. C'est du champomy, il n'y a pas d'alcool. Est-ce que vous regrettez déjà notre conversation avant qu'elle ne se termine ?

  • Speaker #1

    Mais je vous assure que, même si ça a l'air complètement taré, c'est une excellente manière de jouer en du présent. Oui. Il y a tellement de nostalgie rétrospective... retrospective avant et tellement de nostalgie retrospective après que là le moment présent était un moment incroyable il n'y a aucune tristesse je le vis à fond,

  • Speaker #0

    c'est fantastique il y a une autre phrase que j'ai adorée dans l'impossible retour c'est je suis bombardé d'émotions sans domicile fixe c'est pour ce genre de formule qu'on aime vos livres c'est rare vous savez parce que je me tape pas mal de livres Pour le Pindarro Magazine.

  • Speaker #1

    Je sais de quoi vous parlez, je suis jurée au prix des sangs. Donc je me tape pas mal de trucs non plus. Oui.

  • Speaker #0

    Et alors, dans ce livre, vous pleurez beaucoup, pour un oui ou pour un non.

  • Speaker #1

    J'ai eu des larmes.

  • Speaker #0

    Mais ce n'était pas présent dans vos livres précédents. Peut-être c'est effectivement le fait que ce soit le deuil paternel. Vous êtes très vulnérable dans ce voyage. Oui, c'est vrai. En regardant la beauté, mais aussi, je ne sais pas...

  • Speaker #1

    Dans mon ticket. Oui,

  • Speaker #0

    vous perdez votre ticket. Oui.

  • Speaker #1

    Je pleure toutes les larmes de mon corps.

  • Speaker #0

    Les contrôleurs ne savent plus quoi vous dire pour vous consoler d'avoir resquillé.

  • Speaker #1

    Oui, et finalement, je le retrouve.

  • Speaker #0

    Vous pleurez de joie à nouveau.

  • Speaker #1

    Oui, mais bon, c'est vrai. Je crois que je suis quelqu'un qui a le don des larmes.

  • Speaker #0

    Au fond, vous dites page 154, je suis une revenante. Mais je pense que vous êtes une migrante. Oui. Ce que vous traitez comme sujet, c'est tout simplement l'exil.

  • Speaker #1

    C'est tout à fait vrai. j'ai mis tellement d'années à me trouver une identité nationale alors le résultat est tellement bancal je suis une japonaise ratée ce qui est peut-être une manière d'être une belge réussie ce qui ne veut pas dire grand chose je me souviendrai toujours avec hilarité c'était un article de journal dans le principal quotidien belge il y a une dizaine d'années il était question d'un crime Et la police disait on a repéré sur les lieux de crime un individu de type belge. C'est formidable. Personne ne comprend ce que ça veut dire un individu de type belge. Je pense que finalement je suis un individu de type belge.

  • Speaker #0

    Ça me fait penser à des proches qui disaient toujours française, français,

  • Speaker #1

    belge, belge.

  • Speaker #0

    Vous avez vécu donc au Japon, en Chine, à New York, au Bangladesh. J'oublie des pays ?

  • Speaker #1

    La Birmanie, le Laos. Ah oui. Voilà.

  • Speaker #0

    Alors, Christine Angot, elle a écrit un livre qui s'appelait Pourquoi le Brésil ? Je vous pose la question, pourquoi pas New York ? Vous n'avez jamais écrit sur New York ?

  • Speaker #1

    Si, dans Biographie de la fin j'ai pas mal parlé de New York. J'ai été effroyablement heureuse à New York.

  • Speaker #0

    Alors,

  • Speaker #1

    en même temps... Oui, mais dans Biographie de la fin je le dis, oui.

  • Speaker #0

    C'est vrai, oui, c'est vrai. Alors, pardon, j'avais oublié.

  • Speaker #1

    Mais j'ai complètement raté mon retour à New York. Je suis retournée pour des raisons éditoriales, c'était plus du tout pareil.

  • Speaker #0

    Vous répondez toujours à toutes les lettres des lecteurs ?

  • Speaker #1

    Neuf lettres sur dix, ce qui fait beaucoup.

  • Speaker #0

    Ça vous prend combien ?

  • Speaker #1

    5 heures par jour.

  • Speaker #0

    5 heures par jour.

  • Speaker #1

    C'est la raison pour laquelle mon épaule droite est complètement démolie.

  • Speaker #0

    Oui, et donc vous allez bientôt devoir dicter vos livres.

  • Speaker #1

    Non, parce que, en fait, je me suis accoutumée à cette sensation. C'est vrai que chaque fois que j'écris, et j'écris 9 heures par jour, finalement, à la main, puisque je ne maîtrise aucune autre technologie. C'est vrai que mon épaule déguste, mais en fait, je m'y suis habituée.

  • Speaker #0

    C'est peut-être comme ça, la douleur se transforme en art.

  • Speaker #1

    Voilà, et puis... J'essaye de me dire, je parle assez de douleur, je dis en fait tu as une sensation, pourquoi tu crois que tu as de la douleur ? Tu as peut-être juste une sensation ?

  • Speaker #0

    Vous dites aussi dans l'impossible retour, c'est assez émouvant, que vous avez toujours 4 ans.

  • Speaker #1

    J'étais alcoolique à 4 ans. Oui,

  • Speaker #0

    donc il faut expliquer cette addiction au champagne, qui n'en est pas une finalement.

  • Speaker #1

    J'avais 3 ans et j'ai découvert le champagne et ça a été le coup de foudre.

  • Speaker #0

    Vous finissiez les coupes de champagne dans les cocktails de votre père.

  • Speaker #1

    Mes parents recevaient 1000 personnes par mois. Mon père était vraiment diplomate jusqu'au bout des ongles. Je n'étais pas invitée à ces réceptions, mais je n'en étais pas exclue non plus. C'est là que j'ai pris l'habitude de passer à quatre pattes dans les réceptions et d'attraper tous les demi-vers qui traînaient, demi-vers de champagne, faut-il le dire, et de les vider tous. Et j'ai tout de suite adoré cette boisson.

  • Speaker #0

    Vous étiez donc alcoolique à trois ans et demi.

  • Speaker #1

    Mais ça se passait très bien. Le contrat avec mes parents était très simple. C'était du moment que tu as des bons résultats à l'école, tu fais tout ce que tu veux. Je m'appliquais à être la première de la classe, ce qui me donnait le droit de faire absolument ce que je voulais.

  • Speaker #0

    La construction des derniers livres d'Amélie Nothomb est systématique. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais comme je suis un très grand lecteur, il y a en général une première partie légère, où vous utilisez un prétexte, bon là c'est le voyage au Japon, ça commence dans une sorte de futilité, comme ça le lecteur est attrapé. La deuxième partie, on bascule vers l'émotion. Et la troisième partie, il y a, alors là pour le coup, un envol, un envol vers la métaphysique, la profondeur. C'était le cas dans Psychopompe, c'était le cas dans Premier Sang. C'est-à-dire que c'est comme si maintenant, systématiquement, vous alliez de la légèreté vers la gravité. Vous le remarquez ? Pas du tout. C'est pas conscient ?

  • Speaker #1

    Mais je crois que vous avez raison, mais je ne le fais pas exprès.

  • Speaker #0

    Parce qu'on a l'impression que vous n'osez pas être... tout de suite grave dès le début. Et ça, c'est une forme de courtoisie. C'est une forme de diplomatie.

  • Speaker #1

    La gravité, franchement, on en est déjà tous tellement pétris. Je ne le fais pas exprès.

  • Speaker #0

    C'est intéressant. La police, là encore, voudrait intervenir. Est-ce que vous vous souvenez de la dernière chose qu'on s'est dite dans notre précédente conversation chez La Pérouse ?

  • Speaker #1

    Je pensais qu'il y avait 37... degré, on avait très chaud. J'allais à une dédicace déjà. On n'avait pas osé boire du champagne tellement il faisait chaud. On avait l'impression qu'on allait tiédir.

  • Speaker #0

    On était sobres.

  • Speaker #1

    On était dans un état de grande souffrance à cause de cette absence de champagne. Qu'est-ce que je vous avais dit ?

  • Speaker #0

    Ça s'est terminé par moi qui vous dis Je vous aime Amélie et vous qui répondez Je vous aime Frédéric

  • Speaker #1

    C'est sublime.

  • Speaker #0

    Oui, c'était sublime. Et les auditeurs peuvent vérifier en cliquant sur la précédente conversation de 2023. Ça se terminait par là. Alors je voulais vous dire, non seulement que je vous aime, mais ne cessez jamais d'avoir 4 ans, Amélie.

  • Speaker #1

    Mais j'en suis tout à fait incapable si vous le saviez.

  • Speaker #0

    Parce que, ainsi, si vous avez toujours 4 ans, vous ne vieillirez pas et vous ne mourrez jamais.

  • Speaker #1

    C'est beau ce que vous dites. Merci Frédéric, j'ai eu raison de vous épouser.

  • Speaker #0

    Nous passons maintenant au jeu, le célèbre jeu de conversation chez la Pérouse. Vous êtes venus souvent, vous connaissez les règles, mais je vous les rappelle, devine tes citations, je vous lis des phrases de vous. Vous devez me dire dans lequel de vos livres vous avez écrit ceci. Sa splendeur est une provocation. Se contenter de le contempler humilie. On veut participer et comme on ne le peut pas, on détruit.

  • Speaker #1

    L'impossible retour.

  • Speaker #0

    Voilà, c'est dans l'impossible retour. Effectivement, cette scène devant le pavillon d'or, qui a été un roman de Mishima, on en a déjà parlé. Ça me fait penser à Rimbaud, vous savez, quand il rencontre la beauté, il dit je l'ai assise sur mes genoux et je l'ai invité Voilà. Est-ce que vous retournerez au Japon ou c'est vraiment la dernière fois ?

  • Speaker #1

    Non, non, je dois retourner au Japon. Je ne peux pas imaginer de vivre sans penser que je vais y retourner. Et mon fantasme absolu, quand je serai une très vieille dame, c'est d'y retourner définitivement.

  • Speaker #0

    Ah, tu dis mourir.

  • Speaker #1

    Mourir au Japon, je trouve que ce serait le sommet de la classe.

  • Speaker #0

    Autre phrase. Le sommet du raffinement, c'est de vendre des millions d'exemplaires et de ne pas être lu.

  • Speaker #1

    Hygiène de l'assassin.

  • Speaker #0

    Oui, c'est votre premier roman. Et c'était ce que disait le narrateur qui est un écrivain très aigri, c'était en 1992.

  • Speaker #1

    Ça ne me rajeunit pas. Et oui,

  • Speaker #0

    c'était il y a 32 ans.

  • Speaker #1

    Vous vous rendez compte ?

  • Speaker #0

    Est-ce que ce but a été atteint ? C'est-à-dire vendre des millions d'exemplaires et ne pas être lu ?

  • Speaker #1

    Alors, les millions d'exemplaires sans aucun doute. Mais pas être lu, je ne sais pas, je vous laisse juger.

  • Speaker #0

    J'ai l'impression que les acheteurs de vos livres les lisent assez souvent jusqu'au bout. Notamment parce qu'ils sont courts.

  • Speaker #1

    Je pense que c'est pour ça.

  • Speaker #0

    Non, non, non, pas seulement pour ça. Est-ce que vous pensez avoir changé en 32 ans par rapport à la romancière d'Hygiene de l'Assassin ?

  • Speaker #1

    C'est terrible à dire, mais oui.

  • Speaker #0

    Je ne parle pas physiquement, parce que physiquement pas tellement.

  • Speaker #1

    Vous êtes très humain. Non, c'est vrai. Je pense que j'ai changé, je suis devenue quelqu'un de beaucoup plus gentil.

  • Speaker #0

    Ah bon vous étiez...

  • Speaker #1

    Ça ne se voyait pas mais j'étais d'une noirceur, d'un pessimisme, d'une misanthropie inimaginable.

  • Speaker #0

    Dieu merci on n'était pas mariés à l'époque.

  • Speaker #1

    Voilà et puis finalement le succès, le champagne, tout ça a fait de moi quelqu'un d'assez bon.

  • Speaker #0

    Oui, vous êtes affable. Je suis affable. Voilà, fréquentable. Voilà. Mais oui c'était un livre extrêmement noir et finalement aussi il n'y a pas de ça qui a changé. Vous vous êtes adoucie au fil des années.

  • Speaker #1

    Je suis devenue une... très brave fille.

  • Speaker #0

    Dans Hygiène de l'Assassin, jamais vous n'auriez fait l'éloge de la beauté ?

  • Speaker #1

    Jamais. Hygiène de l'Assassin est un livre d'une noirceur et d'une toxicité sans borne. Je me souviens très bien sur quel point de vue je l'ai écrit. Je me souviens de ce que c'était mes pensées profondes de l'époque. J'étais...

  • Speaker #0

    J'allais très mal, en fait.

  • Speaker #1

    J'allais super mal.

  • Speaker #0

    J'allais beaucoup mieux maintenant. Peut-être qu'on prend confiance en soi avec un tel succès aussi massif et aussi durable.

  • Speaker #1

    Mais je crois qu'au-delà de ça, c'est que j'ai rencontré de belles personnes. Je n'avais pas encore rencontré beaucoup de belles personnes à l'époque. Et ça m'a fait boum. Je vous ai rencontré Frédéric, vous êtes quand même mon mari. Ça fait du bien des choses pareilles.

  • Speaker #0

    Mais vous vous souvenez de pourquoi nous sommes mariés en 2009 ?

  • Speaker #1

    Rappelez-moi pourquoi on s'est mariés.

  • Speaker #0

    Le double vomi.

  • Speaker #1

    Ah c'était pour ça. C'est une très belle raison. On a vomi en même temps, on était allés ensemble... A la Closerie.

  • Speaker #0

    Au prix de la Closerie.

  • Speaker #1

    Et là, vous m'avez fait boire, ce qui n'était pas mon habitude, énormément de vodka. Ah,

  • Speaker #0

    de vodka, oui, d'accord.

  • Speaker #1

    Je l'ai fait boire, ça c'est mon habitude. Mais autant de vodka, ce n'était pas mon habitude. Après, beaucoup de champagne, faut-il le dire. Et après, on a partagé un taxi et dans une magnifique unité, chacun, on était à la fenêtre, à notre fenêtre et on vomissait ensemble.

  • Speaker #0

    Oui, ça nous a rapprochés.

  • Speaker #1

    Ça nous a rapprochés et depuis, nous formons un couple. Très unique, ils ont à peu près une fois par an et c'est très profond.

  • Speaker #0

    On continue le jeu. Donc, une phrase de vous. Où avez-vous écrit ceci ? À part chez elle, elle ne se sentait plus jamais exclue.

  • Speaker #1

    Le livre des soeurs ? Eh oui,

  • Speaker #0

    2022, mais c'est incroyable. Vous n'avez jamais perdu à ce jeu en trois sessions. Alors, cette phrase, à part chez elle, elle ne se sentait plus jamais exclue, c'est tout de même en contradiction avec votre haine des voyages. Vous êtes exclue. Chez vous ?

  • Speaker #1

    C'est une autre époque de ma vie. C'est une autre époque de ma vie. C'est pendant mon adolescence. Pendant mon adolescence, j'avais des problèmes avec ma famille. C'était tellement normal. Et chez moi, je me disais, je ne suis pas chez moi, ce ne sont pas les miens. Maintenant, je ne pense plus du tout pareil. Je pense que ce sont les miens.

  • Speaker #0

    Vous écrivez toujours entre 4h et 8h du matin, en buvant du thé noir, dans votre cuisine ?

  • Speaker #1

    Sur un tabouret, parce qu'un tabouret de la cuisine, je n'ai pas de bureau.

  • Speaker #0

    Il faut que ce soit inconfortable et en plus comme vous avez mal à l'épaule, vraiment c'est une torture.

  • Speaker #1

    Il n'y a rien à faire. Mais vous savez, cette douleur à l'épaule, je suis en train de la prévoiser. Bon, elle est colossale, ne nous y trompons pas. Mais comme j'ai compris que je ne pouvais rien contre, je fais des exercices avec un gant de vaisselle. Vous avez du l'ordre. Ça empêche simplement que la douleur devienne insupportable. Mais moyennant quoi, je m'y fais.

  • Speaker #0

    J'aimerais vous demander quelque chose, mais je n'ose pas.

  • Speaker #1

    Allez-y.

  • Speaker #0

    que vous imitiez votre père chantant du No ?

  • Speaker #1

    Encore vous ! Bon, allez, c'est vraiment parce que c'est vous, parce que maintenant on me le demande tous les jours. Bon, alors, soyons clairs. Je vais imiter le No, mais c'est très biaisé. J'imite mon père, qui a été le premier non-japonais au monde à chanter professionnellement le No. J'imite mon père chantant le No.

  • Speaker #0

    D'accord. Il faut savoir quel est le costume. Il y a un costume spécial ?

  • Speaker #1

    C'est un costume d'une extrême sobriété. C'est une yukata noire, extrêmement raide, et le no implique une absence d'action profonde. Le no moyen dure 4 heures, 4 heures pour lesquelles il ne se passe, pour ainsi dire, rien. Ça doit être comme ça. L'attitude normale d'une personne qui voit un no pour la première fois consiste à être extrêmement inquiète, et l'attitude normale du public japonais assistant à un spectacle de no consiste à s'endormir.

  • Speaker #0

    Très bien.

  • Speaker #1

    Bon, dites-vous bien, là je suis Patrick Noton, chanteur de nous la nuit. Oui,

  • Speaker #0

    c'est ça. En fait, c'est bien quand c'est court. On apprécie vraiment. Merci beaucoup, Amélie. Tout de suite, un poème japonais qui est dans votre livre. Aux admirateurs de lune, un nuage parfois offre une pause.

  • Speaker #1

    Matsuo Bacho.

  • Speaker #0

    C'est de Bacho.

  • Speaker #1

    Le plus grand haïjin de tous les temps. C'est tellement beau et ça va tellement bien avec le moment où je veux montrer à Pep le mont Fuji. Et bien évidemment, le mont Fuji, qui pourtant est visible d'à peu près partout au Japon, ce jour-là a décidé de ne pas être visible parce qu'il est couvert de nuages. Et on le contourne de tous les moyens. Il y a toujours des nuages, on ne peut pas le voir. Et bon, je le vis comme un échec. Parce que pour Pep, c'est grave de ne pas voir le Montfougy. C'est sa seule occasion de le voir. Mais pour moi, le Montfougy est un vieux copain.

  • Speaker #0

    Vous avez raconté que vous l'avez gravé et descendu. Et que vous avez le record du monde de descente.

  • Speaker #1

    Descente du Montfougy. J'ai vécu tellement d'histoires avec le Montfougy. Et là, tout à coup, j'ai cet extase total, ce kencho total. parce que je me rappelle ce sublime haïku de Matsuo Bacho. Et ça veut dire que quand vous êtes venu très loin pour voir quelque chose, et que ce quelque chose est invisible parce que la météo ne nous permet pas.

  • Speaker #0

    Aux admirateurs de lune, un nuage parfois offre une pause. C'est sublime. Donc c'était une pause. Le mont Fuji est toujours là, on ne le voit pas, mais c'est encore plus beau de ne pas le voir.

  • Speaker #1

    C'est beau de ne pas le voir et je subis son emprise. encore plus fort du fait que je ne le vois pas. Et je me mets à me taper une extase de dingue.

  • Speaker #0

    Je rappelle l'impossible retour chez Albain Michel, c'est votre dernier roman. Et alors, il y a ce beau livre, également chez Albain, Le Japon éternel, où c'est un podcast. Donc, ça veut dire qu'il y a de l'espoir quand on fait un podcast. Il y a peut-être un jour un livre du podcast. C'est mon rêve.

  • Speaker #1

    Alors, l'explication est simple. J'avais fait ce podcast avec Laureline et Manieux. Mais les gens de moindre espèce n'ont aucun accès au podcast. Puisque, je le répète, je suis 100% énergique. Je ne sais même pas ce que c'est qu'un ordinateur. C'est là qu'Albin Michel, dans sa grande bonté, s'est soucié des gens comme moi. C'est affreux qu'une telle portion de la population soit privée de cet ouvrage inestimable.

  • Speaker #0

    Il y a énormément de photographies de jardins japonais.

  • Speaker #1

    24 euros,

  • Speaker #0

    c'est très beau livre. C'est une conversation, une longue conversation d'Amélie Nothomb sur le Japon. Et d'ailleurs, j'y ai appris quelque chose qui m'a un petit peu fâché. Oui, vous avez demandé la main de Naruhito, l'empereur actuel du Japon.

  • Speaker #1

    Si ça peut vous rassurer, c'est loin d'être le premier souverain auquel j'ai demandé la main. J'avais 19 ans quand j'ai demandé pour la première fois un souverain en mariage, c'était le roi du Bhoutan. Il n'a pas compris la question. L'empereur, le futur empereur du Japon, Naruhito, j'avais 22 ans, il n'a pas compris la question non plus. Je crois qu'il a fait semblant de ne pas comprendre.

  • Speaker #0

    Vous dites, je voulais absolument demander la main du descendant direct du soleil.

  • Speaker #1

    Tant qu'à demander la main de quelqu'un, je préfère demander la main du descendant direct du soleil plutôt que de vous.

  • Speaker #0

    C'est ça que je suis un petit peu vexé, parce que je me suis aperçu en lisant Mon Japon éternel, que je n'étais qu'un plan B, comme Bec Bédé.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas arrivée vierge au mariage, c'est ça qui vous dérange ? terrible, terrible patriarcat, mon Dieu, nous en sommes encore là.

  • Speaker #0

    Merci infiniment Amélie Nothomb de nouveau, et je constate que la deuxième coupe est terminée. Vive la République, vive la France et la Belgique.

Description

Dans ce premier épisode de Conversations chez Lapérouse, Frédéric Beigbeder reçoit Amélie Nothomb pour parler de son roman L'Impossible Retour, inspiré par le deuil de son père. Elle évoque son lien avec le Japon, son voyage nostalgique avec son amie Pep Béni, et la manière dont l'écriture l'aide à naviguer entre douleur et souvenirs. L'épisode est ponctué par des moments musicaux: Amélie qui chante en live du Nô japonais, mais aussi un extrait de La marche du monde d'Aldebert, où elle prête aussi sa voix.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    D'étranges événements ont lieu dans le manoir. Un doute s'instille chez les habitants, maître des lieux et personnel confondu. Une présence invisible semble rôder entre les murs de la vieille demarre. Avec ce troisième roman, Manchette et Niemiek se posent en maître de la narration. À l'ombre de Winnicott, un roman envoûtant.

  • Speaker #1

    Oh, mais quelle joie de vous retrouver ! Conversation chez la Pérouse avec Amélie Nothomb. Bonsoir. Son nouveau roman s'intitule L'Impossible Retour. Ça a failli être le cas de Conversation chez la Pérouse. Mais il n'y a pas de retour impossible. Cela devient une habitude, chaque année je reçois Amélie Nothomb pour inaugurer les conversations chez La Pérouse. Merci beaucoup mon épouse d'accepter, depuis 2022, d'être la première invitée.

  • Speaker #2

    cette émission je trinque à cela et à notre amour impossible et mes durables durable en fait le secret de l'amour éternel c'est de se voir exactement une fois par an oui est ce qu'on voyait dans quoi ça marche très bien ça marche très très bien merci

  • Speaker #1

    donc vous êtes ici pour parler de ce livre l'impossible retour chez albin michel qui est votre 32 ou 33e ligne en troisième livre cette habitude de publier Un roman tous les ans le 15 août, c'est une sorte de manie qui ne s'arrêtera jamais.

  • Speaker #2

    C'est plutôt vers le 22 août, mais à mon avis ça ne s'arrêtera jamais. Mais parce qu'il y a toujours de quoi. Rien ne m'y oblige, aucun contrat ne me tient. Mais j'ai plaisir à ce rythme et je crois que ce rythme m'équilibre. Le grand danger, je pense, si je ne publiais plus du tout, c'est que je perde totalement contact avec le réel et que je devienne complètement dingue. Publier un livre par an, c'est quand même...

  • Speaker #1

    Une sorte de repère.

  • Speaker #2

    C'est un repère et ça me... comment on dit ça de façon moderne ? Ça m'implique dans le réel.

  • Speaker #1

    Alors, je vous contredit immédiatement, d'entrée de jeu, vous ne risquez pas de devenir folle puisque vous l'êtes déjà.

  • Speaker #2

    Ça me rassure beaucoup.

  • Speaker #1

    Ça faisait donc 12 ans que vous n'aviez pas mis les pieds au Japon et vous y êtes retourné et c'est l'histoire de... Enfin, c'est ce que vous racontez dans ce livre. C'est l'histoire d'une femme... déracinée en quête de ses origines.

  • Speaker #2

    Oui. Le Japon et moi, c'est une longue histoire. C'est mon premier amour et c'est ma première identité. J'y ai passé les cinq premières années de ma vie et à l'époque, j'étais absolument persuadée d'être japonaise.

  • Speaker #1

    Et vous ressemblez à une japonaise d'ailleurs.

  • Speaker #2

    J'ai eu raison de vous épouser. Vous sentez tout de suite la geisha en moi. C'est vrai.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai. Particulièrement dans un boudoir chez la Pérouse, c'est important. Mais bon, alors, tout de même... C'est un livre extrêmement triste, vous en parlez partout avec beaucoup de gaieté, comme d'habitude, mais ce titre, L'impossible retour, dit tout de ce deuil et de l'impossibilité de retrouver ses origines et ses racines.

  • Speaker #2

    Vous l'avez tout à fait dit, le grand sujet de ce livre, c'est le deuil. Est-ce que c'est encore vraiment un livre sur le Japon ? J'y suis allée tant de fois, j'en ai tellement parlé dans mes livres. Mais ce énième retour au Japon... C'est le premier qui a lieu depuis la mort de mon père. Bon, alors ça fait 4 ans que mon père est mort, ça fait 4 ans que je ne parle que de ça. Mais c'est vraiment en retournant au Japon que je me suis aperçue à quel point il était mort. Comme le narrateur pour Troustien quand il retourne à Balbeck 2 ans après la mort de sa grand-mère, c'est vraiment à ce moment-là qu'il se rend compte que sa grand-mère est morte. C'est ça.

  • Speaker #1

    Les lieux de l'absence. C'est ça. Et je vais vous demander, chère épouse, de lire les derniers mots du livre, ce qui ne se fait jamais. On demande généralement à l'auteur de lire le début. Eh bien, moi, je voudrais que vous lisiez le dernier paragraphe, s'il vous plaît. Vous dites tout sur cette peine.

  • Speaker #2

    Plus le temps passe et plus j'ai l'impression que nous sommes nombreux dans la confrérie. Nous sommes appelés, je crois, à peupler de plus en plus le monde. Nous qui avons perdu un lieu aimé, à quelque titre que ce soit, et qui avons tenté de le retrouver pour découvrir l'impossibilité du retour.

  • Speaker #1

    Oui, alors c'est ce sujet, en fait, qui explique pourquoi vous n'aimez pas voyager. On vous a forcé à voyager pendant toute votre enfance, vous étiez fille de Patrick Nothomb, qui était un ambassadeur, qui a été ambassadeur dans beaucoup de pays différents. Et pour vous c'était un cauchemar. Vous dites dans le livre, tout départ est une aberration. Alors le retour est impossible et le départ est une aberration. Mais comment faire pour habiter la planète Terre ?

  • Speaker #2

    C'était extrêmement compliqué. Mais oui ! Moi j'ai le fantasme absolu, fantasme non réalisé, de trouver le terrier idéal. La cachette idéale, je ne l'ai pas encore trouvée. Là, il semblerait que je sois de plus en plus à Paris. Je commence à avoir quelques endroits dans cette ville. Mais je pense que je n'ai pas encore trouvé le lieu idéal.

  • Speaker #1

    Vous êtes le contraire de Sylvain Tesson. Parce que lui, il adore voyager, crapahuter, bourlinguer. Vous, alors là, le livre raconte à quel point c'est pénible pour vous, ne serait-ce que de réserver un hôtel ou prendre un avion.

  • Speaker #2

    Mais j'en suis totalement incapable. Il faut qu'on fasse ça à ma place. Bon, une fois que j'arrive sur place, je deviens opérationnelle. Mais ce qui est épouvantable dans les voyages, c'est le départ et le retour. Ça fait quand même beaucoup.

  • Speaker #1

    Et alors en plus, vous avez eu l'idée saugrenue d'emmener la pire emmerdeuse de la Terre avec vous.

  • Speaker #2

    Je me permets de nuancer votre propos. D'abord, c'est elle qui m'a invitée. Oui,

  • Speaker #1

    donc c'est pas votre faute.

  • Speaker #2

    C'est elle qui m'a invitée. Sans elle, pas de voyage. J'ajouterais que votre point de vue est un peu réducteur. On va dire que c'est une personne qui vous pousse dans vos derniers retranchements. Ce qui est très intéressant. De toute façon, dites-vous bien, même votre meilleur ami, même votre meilleure amie, vous ne la connaissez pas aussi longtemps que vous n'avez pas voyagé avec elle. C'est vrai.

  • Speaker #1

    Enfin là, cette photographe qui s'appelle Pep Béni, c'est ça ? Je ne sais pas si elle existe ou si c'est un personnage de roman.

  • Speaker #2

    Entre les deux.

  • Speaker #1

    Voilà. Elle a gagné deux billets pour le Japon en mai 2023. Et pendant 11 jours, vous la coltinez. Elle a des allergies. Elle veut changer de chambre à chaque hôtel. Elle se brouille avec tous les Japonais. Elle est très grossière. Par exemple, vous allez dans un musée. Au Japon, on n'a pas le droit de parler dans les musées. Elle n'arrête pas de faire des commentaires sur les œuvres d'art qu'elle voit. Franchement, vous avez mal choisi votre partenaire de voyage.

  • Speaker #2

    Mais il faut aussi se mettre à sa place. Le Japon, c'est un pays difficile. Elle est arrivée pour le découvrir, mais c'est une Française et c'est vrai que...

  • Speaker #1

    C'est un problème d'être Français.

  • Speaker #2

    C'est un problème d'être Français, première chose. Je tiens à le signaler, je ne suis pas Française et j'en mesure les avantages tous les jours.

  • Speaker #1

    Vous êtes belge, vous êtes japonais, nippo-belge.

  • Speaker #2

    Voilà. Et Pep découvre quand même cette civilisation dans laquelle on n'a pas le droit de parler au musée, ce qui, pour elle, qui est très émotive et difficile. Je veux dire, je comprends qu'elle puisse éprouver le désir de... de partager ses émotions. Et puis, elle, elle ne considère pas que c'est grossier de parler dans un musée. Je vous trouve un petit peu réducteur.

  • Speaker #1

    Non, non, mais c'est très beau que vous défendiez votre amie. La scène est très drôle dans le musée parce qu'il y a un guide très discret qui vient la voir alors qu'elle parle devant des tableaux. Il vient la voir avec un panneau sur lequel est écrit Ferme ta gueule en gros, en plus poli.

  • Speaker #2

    C'est ça. Mais donc, elle résout. Chuchoter, mais même le chuchotement bien sûr,

  • Speaker #1

    est inconcevable.

  • Speaker #2

    Vous savez au Japon la règle, mais personne ne transige avec la règle. La règle est absolue et tout le monde la respecte. Ça c'est une chose que les Français ont beaucoup de mal à comprendre.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça s'appelle une civilisation. Les scènes aussi où elle se dispute avec les patrons des hôtels.

  • Speaker #2

    C'est très drôle. Écoutez, c'est très drôle parce qu'elle comptait sur moi comme interprète. Or, en fait, elle insultait les aubergistes et moi je devais le traduire. Ah oui. Je suis incapable de traduire des choses pareilles. D'ailleurs, de tels mots n'existent pas en japonais. Donc je traduisais tout à fait autre chose.

  • Speaker #1

    Elle va voir le directeur de l'hôtel en disant qu'il y a des acariens dans la chambre, ce qui est un affront où normalement on doit tuer la personne ou se suicider.

  • Speaker #2

    C'est ça. Donc moi qui suis fille de diplomate, je me retrouve dans le rôle de mon père à devoir jouer le tampon diplomatique entre un aubergiste offusqué et une française absolument furieuse.

  • Speaker #1

    Alors pour les grands fans et lecteurs d'Amélie Nothomb, et il y en a beaucoup, on est de retour dans un cycle japonais. Vous aviez inauguré avec stupeur et tremblement Grand Prix du roman de l'Académie française en 1999, où vous racontiez votre expérience de dame pipi.

  • Speaker #2

    Vous savez que ça m'a beaucoup apporté d'être... d'être dame pipi pendant huit mois dans une très importante société japonaise.

  • Speaker #1

    Vous pensiez faire un stage où vous alliez apprendre la vie en entreprise et rapidement vous avez...

  • Speaker #2

    J'ai tellement déplu que je me suis retrouvée huit mois dame pipi. Ça m'a beaucoup appris et somme toute, j'ai quand même moins souffert en étant dame pipi qu'en étant à la comptabilité où je ne comprenais strictement rien.

  • Speaker #1

    Oui, au moins on rencontre du monde. On rencontre des gens. Oui, oui,

  • Speaker #2

    c'est ça. On fait des rencontres.

  • Speaker #1

    Il n'y a eu ensuite ni d'Ève ni d'Adam, également primé par le prix de Flore en 2007, où là, vous racontiez votre histoire d'amour avec un fiancé japonais.

  • Speaker #2

    C'est ça, avec un jeune japonais. Ma première belle histoire, quoi. Donc, je n'ai que des bons souvenirs. C'est extraordinaire d'avoir une histoire d'amour dont on n'a absolument que des beaux souvenirs. Et c'était avec un jeune Tokyo.

  • Speaker #1

    C'est formidable. Et est-ce que quand vous êtes retourné là en 2023 au Japon, vous avez fait signe à votre acte ? Non, pas du tout. Non,

  • Speaker #2

    il faut, une fois de temps en temps, il faut savoir tourner la page. Vous savez, Frédéric, que je vous suis d'une fidélité absolument.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Oui, c'était un piège. C'était une question de piège. Là, je mentionne également Biographie de la faim en 2004, où le Japon était présent. La Nostalgie heureuse en 2013. On est passé quand même de la Nostalgie heureuse à l'impossible retour.

  • Speaker #2

    Oui, je suis d'accord que d'un point de vue de joie de vivre, ce n'est pas vraiment un progrès. Non. Mais bon.

  • Speaker #1

    Je m'inquiète pour vous, Amélie.

  • Speaker #2

    L'explication est toute idiote, mais c'est la vie de tout le monde. Mon père est mort. Il faut beaucoup de temps pour se remettre de ça.

  • Speaker #1

    Mais c'est vraiment un livre. J'ai perdu mon père il y a un an. C'est aussi un très beau livre sur le deuil paternel, c'est vrai. Donc, Patrick Nothomb est mort en 2020. Oui. Et là encore, vous avez... Je n'en sais pas. Il vous a donné un autre prix littéral, le prix Renaudon en 2021, dans le livre où vous parliez de lui, qui est le premier sang. Oui. Vous cherchez... Votre père, c'est lui l'impossible retour. Je dis ça parce que votre nom de famille, c'est nos tombes. Oui. Donc peut-être que ça vient de là.

  • Speaker #2

    C'est vrai, cette absence de tombe contenue dans mon nom, cette négation du tombeau contenue dans mon nom. Ah,

  • Speaker #1

    vous voyez nos comme la négation. Ça peut être le pluriel. Nos tombes. Nous avons des tombes. Et vous allez visiter les tombes.

  • Speaker #2

    Vous savez que vous révolutionnez ma vie parce que vous n'avez jamais vu ça comme ça. J'ai toujours vu ça comme une négation du tombeau.

  • Speaker #1

    Ah oui, parce que vous êtes également anglophone. C'est pour ça.

  • Speaker #2

    C'est pour ça.

  • Speaker #1

    Pourtant, votre père, Patrick, n'était pas toujours gentil. Et il y a dans le livre une scène où vous vous engueulez avec lui. Et vous vous souvenez de ça quand vous êtes au Japon, où vous étiez disputés très gravement. Et il vous dit, toi, tu es comme moi, tu n'es rien.

  • Speaker #2

    C'est ça. J'avais 15 ans. Il en avait 30 de plus. Et je me souviens de ma... colère quand il m'a dit ça. La première chose que j'ai pensé c'est non non non je suis pas comme toi je suis pas comme toi puis après j'ai pensé mais pourquoi il dit ça ? Pourquoi il dit qu'il est rien ? C'est quoi cette histoire ?

  • Speaker #1

    Oui et ça c'est toute la partie la plus bouleversante et émouvante du livre c'est quand vous essayez de savoir si peut-être en vous disant tu n'es rien il vous a rendu écrivain.

  • Speaker #2

    Je pense qu'il a énormément contribué à me rendre écrivain par cette parole. C'était une parole qui avait l'air d'être une malédiction, mais qui en fait était une curieuse bénédiction, un curieux octroi de grâce.

  • Speaker #1

    Oui, vous avez envie au fond d'exister, de raconter cette vie, de parler de lui, de parler de tout ce que vous vivez, pour ne pas être rien. Oui, ou alors... Est-ce que vous y arrivez ?

  • Speaker #2

    Ou alors pour atteindre l'autre rive, à savoir le rien zen.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #2

    Selon la philosophie zen, qui est quand même la philosophie que le Japon a portée à son degré d'aristocratie, être rien, c'est le sommet de l'ambition.

  • Speaker #1

    Oui,

  • Speaker #2

    c'est vrai.

  • Speaker #1

    L'élégance.

  • Speaker #2

    Et c'est vrai que les moments où on a l'impression d'atteindre ce rien-là sont les moments où on est enfin totalement là, enfin totalement dans la vie. C'est ce que j'appelle le Kensho. C'est une extase totale.

  • Speaker #1

    Oui. Alors, dans le paysage littéraire national, vous occupez... aujourd'hui la place qui était peut-être celle de Jean d'Ormesson, la personne, oui, disons, cultivée, brillante, drôle, avec de l'esprit. Mais votre œuvre est davantage respectée que la sienne. Je veux dire que vous êtes étudiée dans les universités, vous êtes presque un classique aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas paralysant dans votre processus d'écriture de se dire, maintenant je suis une sorte de monument vivant ?

  • Speaker #2

    Pas du tout, parce que je n'ai pas du tout cette sensation.

  • Speaker #1

    Écoutez, vous avez signé chez Albain Michel hier. Il y avait des milliers de gens. Les gens se battent pour vous voir. Vous êtes une rockstar de la littérature.

  • Speaker #2

    Rockstar, d'accord. Mais monument, non.

  • Speaker #1

    C'est pas la même chose, vous avez raison. Il faut mourir pour être un monument.

  • Speaker #2

    Est-ce que vous savez, parce que vous ne le savez certainement pas, vu que vous êtes mon garçon.

  • Speaker #1

    Je ne suis rien non plus.

  • Speaker #2

    Je suis devenue une chanteuse de métal.

  • Speaker #1

    Ah oui, justement, j'ai la chanson. Elle est bien ? Si vous voulez, on met nos casques. Elle est super belle.

  • Speaker #2

    Je la connais, ma chanson.

  • Speaker #1

    Je veux que vous l'écoutiez avec moi.

  • Speaker #2

    Elle est super belle.

  • Speaker #1

    Oui, oui. Franchement. Donc, quand je disais rockstar, c'était effectivement calculé. C'est beau, hein ? Oui, c'est beau. C'est quelque chose qui est assez inattendu pour les gens qui vous connaissent peu, parce que ceux qui vous connaissent savent que vous êtes une fan de métal. Oui. Vous adorez le groupe Tool, je crois.

  • Speaker #2

    Alors, à mon enterrement, venez mon cher époux à mon enterrement, ce sera une très belle cérémonie gratuite.

  • Speaker #1

    Je serai triste.

  • Speaker #2

    Et il y aura du Tool. Et croyez-moi, un endroit public où on entend du Tool gratuitement, c'est pas fréquent.

  • Speaker #1

    Je signale que la police vient nous arrêter. On a un petit peu mis la musique trop fort, ça gêne les voisins. Non mais alors sérieusement, cette carrière de rockstar, de métal, va se concrétiser car vous allez faire l'Olympia.

  • Speaker #2

    Je fais l'Olympia, ça sera le 5 avril, c'est un samedi et je vais le faire deux fois en un jour. Donc 2025. 2025. Là je fais ma maligne mais... La veille du 5 avril, à mon avis, je serai vraiment dans mes petits...

  • Speaker #1

    C'est extraordinaire. J'ai eu la chance de faire, moi aussi, l'Olympia avec Bon Entendeur. Je faisais, comme vous, un récitatif sur le Rhin de l'Ornopso. Et donc, je me suis jeté dans le public qui m'a porté.

  • Speaker #2

    Vous croyez que vous pourriez essayer ?

  • Speaker #1

    Je pense que vous devriez. C'est une sensation qui vous plaira. Je vous connais bien. Je t'adore. porté par les mains de personnes inconnues en lévitation. C'est très japonais.

  • Speaker #2

    Je pense que c'est mon rêve. Je joue le robot méchant qui décourage les enfants. J'espère que j'aurai un costume de scène, un costume de robot.

  • Speaker #1

    Oui, vraiment. Notez bien cette date. Réservez vos places. 5 avril. Alors, vous n'écrivez jamais sur les sujets d'actualité. Non. Dans cette rentrée, il y a beaucoup de livres. Par exemple, il y a Kamel Daoud qui parle de la guerre civile algérienne. Vous avez Gaël Fay qui parle du Rwanda. Ce sont des romans importants. Et vous, c'est quelque chose que vous ne faites pas ou alors de façon détournée ?

  • Speaker #2

    De façon détournée. Ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas, c'est que je ne vois pas tellement bien. Quelle pierre je peux apporter à l'édifice ? Ce sont des problèmes qui me concernent autant que tout le monde, mais je ne vois pas la solution et je ne suis même pas sûre de les comprendre.

  • Speaker #1

    Oui, c'est assez intéressant. Je dirais que, par exemple, prenons un exemple. Dans ce livre-là, L'impossible retour, le seul moment où vous parlez de la bombe atomique, c'est pour dire qu'elle a épargné Kyoto. Donc, c'est vraiment quelques lignes, mais c'est une information que peut-être les gens ne connaissent pas, qui est assez incroyable. Il y avait un Américain, M. Stimson.

  • Speaker #2

    C'est ça, conseiller de...

  • Speaker #1

    lequel encore ? Truman.

  • Speaker #2

    Truman avait choisi Kyoto pour... comme première ville pour essayer la bombe atomique. Et ce conseiller de Truman lui a dit écoutez, je suis allée en voyage de noces avec ma femme là, c'est vraiment très beau, ce serait peut-être dommage de choisir cette ville, on va peut-être en choisir une moins belle. Et le deuxième choix a été Hiroshima qui en effet n'était pas du tout une ville extraordinaire.

  • Speaker #1

    Qui a été rasée intégralement. C'est vrai que c'est grâce à ce monsieur Stimson et à son voyage de noces que les temples que vous préférez au monde, les plus beaux temples japonais, ont été épargnés.

  • Speaker #2

    À cause de ça, tiens.

  • Speaker #1

    Oui. Et vous me conseillez d'aller visiter le pavillon d'or à Kyoto ? Ah oui.

  • Speaker #2

    D'abord, c'est un choc esthétique extraordinaire. Et on comprend tellement bien ce moine zen dont parle Mishima, qui, en haine de la beauté, décide... de mettre le feu au pavillon d'or. On ne peut pas voir une telle beauté et rester indifférent. On se dit, il faut faire quelque chose. Ça ne suffit pas d'admirer.

  • Speaker #1

    Mais vous pensez vraiment qu'il faut foutre le feu à tout ce qu'on croise de beau ?

  • Speaker #2

    Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Mais l'admiration doit être un acte violent. Ne serait-ce que vis-à-vis de soi-même. Ce qui est insupportable, c'est les gens qui voient quelque chose de sublime et qui, après tout, sont la même personne après, n'en sont pas profondément modifiées.

  • Speaker #1

    Par exemple, votre amie, complètement tarée,

  • Speaker #2

    qui est très terrible,

  • Speaker #1

    mais c'est plaisant. Le personnage est génial. Elle va avec vous au pavillon d'or, pour vous le plus beau temple jamais construit. Comment réagit-elle ? Elle s'en va et demande une bière.

  • Speaker #2

    Non, vous allez beaucoup trop vite en besoin. Elle se rappelle le livre parce que le pavillon d'or, c'est un peu une bible pour elle, comme pour moi, un brévière. Et elle dit, j'ai envie d'y foutre le feu. La bière vient bien sûr plus tard. Bon, on a un point commun, elle et moi, c'est qu'on a une bonne descente, mais c'est très bien ça.

  • Speaker #1

    Alors là, c'est un roman fortement alcoolisé. Il y a de la bière, il y a du whisky, mais il n'y a pas de champagne.

  • Speaker #2

    Alors ça, c'est ahurissant. Qu'est-ce qui se passe ? J'ai honte, si vous saviez. J'ai donc passé 11 jours au Japon. non seulement sans boire du champagne, mais même sans y penser.

  • Speaker #1

    Sans y penser ?

  • Speaker #2

    Voilà, et c'est là que je me suis rendu compte que mon amour pourtant déraisonnable pour le champagne était peut-être aussi de l'ordre de l'adaptation. Le milieu diplomatique est un milieu où le champagne c'est l'eau, et peut-être que mon amour déraisonnable pour le champagne était une suprême adaptation à tout cela. Et là que j'étais finalement dans un milieu très différent du mien, dans un pays que j'aime plus que tout, Et finalement, le whisky m'allait très bien.

  • Speaker #1

    Ça prouve que vous n'êtes pas addict au champagne. Vous n'êtes pas drogué au champagne.

  • Speaker #2

    C'est ça. Donc, j'aime le champagne d'un amour absolu, mais je suis capable de voir autre chose. Ça me fait honte de le dire, mais c'est quand même vrai. Cela dit, il est bon ce champagne. Et moi, je vais finir ma coupe bien avant la vôtre.

  • Speaker #1

    Oui, mais je vous donne la mienne.

  • Speaker #2

    Je n'en attendais pas moins de vous.

  • Speaker #1

    Non, mais c'est normal entre époux.

  • Speaker #2

    Il a pu faire croire que vous avez déjà bu la vôtre.

  • Speaker #1

    Vous emmenez dans ce voyage à rebours de Huysmans et il y a dans ce livre une scène où des esseintes fantasment sur un voyage en Angleterre. C'est génial. C'est assez marrant parce que vous, vous êtes vraiment en voyage et vous emportez quoi ? Le livre d'un ermite reclus qui déteste sortir de chez lui.

  • Speaker #2

    Un livre qu'on a beaucoup surnommé l'anti-voyage. C'est tellement génial à rebours. Qu'est-ce que j'ai eu raison de... Il faut bien choisir ces lieux de relecture des chefs-d'œuvre. Et relire à rebours à Tokyo en 2023, c'était une idée géniale.

  • Speaker #1

    Et vous dites d'ailleurs, bien plus que lire, relire est un acte d'amour. Est-ce que, passé un certain âge, on ne lit plus, on ne fait plus que relire ?

  • Speaker #2

    Je lis encore, mais je suis une putain de relectrice. Là, je viens de finir ma quatrième relecture de La Recherche du Temps Perdu. Et vous savez qu'il a fallu... Cette quatrième relecture pour que je comprenne enfin. Il y avait tellement de choses qui m'avaient échappé. C'est tellement bien.

  • Speaker #1

    Il faudrait peut-être que je le relise une troisième fois. Mythomanie totale.

  • Speaker #0

    Vous inventez le concept très intéressant de nostalgie préventive, qui consiste à regretter à l'avance quelque chose, plutôt que de le regretter après, le regrette par avance.

  • Speaker #1

    Ça n'empêche pas aussi la bonne vieille nostalgie rétrospective, mais c'est vrai que chez moi la nostalgie est quelque chose de tellement tentaculaire que j'ai inventé la nostalgie préventive. Par exemple, je savais... depuis quelques jours que j'allais vous voir aujourd'hui. Vous, mon époux, que je ne vois qu'une fois par an. Donc j'étais déjà depuis trois jours en état de nostalgie préventive parce que je savais que ce rendez-vous, qui durerait quoi, trois quarts d'heure, serait trop bref et qu'après, il me faudrait une année pour me ressouvenir de ces moments si tendres où je piquais votre champagne.

  • Speaker #0

    Donc ça veut dire que vous chialez depuis trois jours en pensant à ce rendez-vous. Absolument. Ça me touche beaucoup.

  • Speaker #1

    C'est une manière de m'adapter à... Mon tempérament résolument décadent.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous regrettez...

  • Speaker #1

    Est-ce que le champagne est différent du mien ?

  • Speaker #0

    Non, c'est le même, c'est le même. Je n'ai pas le droit de dire la marque, mais... C'est le même champomy, champomy. C'est du champomy, il n'y a pas d'alcool. Est-ce que vous regrettez déjà notre conversation avant qu'elle ne se termine ?

  • Speaker #1

    Mais je vous assure que, même si ça a l'air complètement taré, c'est une excellente manière de jouer en du présent. Oui. Il y a tellement de nostalgie rétrospective... retrospective avant et tellement de nostalgie retrospective après que là le moment présent était un moment incroyable il n'y a aucune tristesse je le vis à fond,

  • Speaker #0

    c'est fantastique il y a une autre phrase que j'ai adorée dans l'impossible retour c'est je suis bombardé d'émotions sans domicile fixe c'est pour ce genre de formule qu'on aime vos livres c'est rare vous savez parce que je me tape pas mal de livres Pour le Pindarro Magazine.

  • Speaker #1

    Je sais de quoi vous parlez, je suis jurée au prix des sangs. Donc je me tape pas mal de trucs non plus. Oui.

  • Speaker #0

    Et alors, dans ce livre, vous pleurez beaucoup, pour un oui ou pour un non.

  • Speaker #1

    J'ai eu des larmes.

  • Speaker #0

    Mais ce n'était pas présent dans vos livres précédents. Peut-être c'est effectivement le fait que ce soit le deuil paternel. Vous êtes très vulnérable dans ce voyage. Oui, c'est vrai. En regardant la beauté, mais aussi, je ne sais pas...

  • Speaker #1

    Dans mon ticket. Oui,

  • Speaker #0

    vous perdez votre ticket. Oui.

  • Speaker #1

    Je pleure toutes les larmes de mon corps.

  • Speaker #0

    Les contrôleurs ne savent plus quoi vous dire pour vous consoler d'avoir resquillé.

  • Speaker #1

    Oui, et finalement, je le retrouve.

  • Speaker #0

    Vous pleurez de joie à nouveau.

  • Speaker #1

    Oui, mais bon, c'est vrai. Je crois que je suis quelqu'un qui a le don des larmes.

  • Speaker #0

    Au fond, vous dites page 154, je suis une revenante. Mais je pense que vous êtes une migrante. Oui. Ce que vous traitez comme sujet, c'est tout simplement l'exil.

  • Speaker #1

    C'est tout à fait vrai. j'ai mis tellement d'années à me trouver une identité nationale alors le résultat est tellement bancal je suis une japonaise ratée ce qui est peut-être une manière d'être une belge réussie ce qui ne veut pas dire grand chose je me souviendrai toujours avec hilarité c'était un article de journal dans le principal quotidien belge il y a une dizaine d'années il était question d'un crime Et la police disait on a repéré sur les lieux de crime un individu de type belge. C'est formidable. Personne ne comprend ce que ça veut dire un individu de type belge. Je pense que finalement je suis un individu de type belge.

  • Speaker #0

    Ça me fait penser à des proches qui disaient toujours française, français,

  • Speaker #1

    belge, belge.

  • Speaker #0

    Vous avez vécu donc au Japon, en Chine, à New York, au Bangladesh. J'oublie des pays ?

  • Speaker #1

    La Birmanie, le Laos. Ah oui. Voilà.

  • Speaker #0

    Alors, Christine Angot, elle a écrit un livre qui s'appelait Pourquoi le Brésil ? Je vous pose la question, pourquoi pas New York ? Vous n'avez jamais écrit sur New York ?

  • Speaker #1

    Si, dans Biographie de la fin j'ai pas mal parlé de New York. J'ai été effroyablement heureuse à New York.

  • Speaker #0

    Alors,

  • Speaker #1

    en même temps... Oui, mais dans Biographie de la fin je le dis, oui.

  • Speaker #0

    C'est vrai, oui, c'est vrai. Alors, pardon, j'avais oublié.

  • Speaker #1

    Mais j'ai complètement raté mon retour à New York. Je suis retournée pour des raisons éditoriales, c'était plus du tout pareil.

  • Speaker #0

    Vous répondez toujours à toutes les lettres des lecteurs ?

  • Speaker #1

    Neuf lettres sur dix, ce qui fait beaucoup.

  • Speaker #0

    Ça vous prend combien ?

  • Speaker #1

    5 heures par jour.

  • Speaker #0

    5 heures par jour.

  • Speaker #1

    C'est la raison pour laquelle mon épaule droite est complètement démolie.

  • Speaker #0

    Oui, et donc vous allez bientôt devoir dicter vos livres.

  • Speaker #1

    Non, parce que, en fait, je me suis accoutumée à cette sensation. C'est vrai que chaque fois que j'écris, et j'écris 9 heures par jour, finalement, à la main, puisque je ne maîtrise aucune autre technologie. C'est vrai que mon épaule déguste, mais en fait, je m'y suis habituée.

  • Speaker #0

    C'est peut-être comme ça, la douleur se transforme en art.

  • Speaker #1

    Voilà, et puis... J'essaye de me dire, je parle assez de douleur, je dis en fait tu as une sensation, pourquoi tu crois que tu as de la douleur ? Tu as peut-être juste une sensation ?

  • Speaker #0

    Vous dites aussi dans l'impossible retour, c'est assez émouvant, que vous avez toujours 4 ans.

  • Speaker #1

    J'étais alcoolique à 4 ans. Oui,

  • Speaker #0

    donc il faut expliquer cette addiction au champagne, qui n'en est pas une finalement.

  • Speaker #1

    J'avais 3 ans et j'ai découvert le champagne et ça a été le coup de foudre.

  • Speaker #0

    Vous finissiez les coupes de champagne dans les cocktails de votre père.

  • Speaker #1

    Mes parents recevaient 1000 personnes par mois. Mon père était vraiment diplomate jusqu'au bout des ongles. Je n'étais pas invitée à ces réceptions, mais je n'en étais pas exclue non plus. C'est là que j'ai pris l'habitude de passer à quatre pattes dans les réceptions et d'attraper tous les demi-vers qui traînaient, demi-vers de champagne, faut-il le dire, et de les vider tous. Et j'ai tout de suite adoré cette boisson.

  • Speaker #0

    Vous étiez donc alcoolique à trois ans et demi.

  • Speaker #1

    Mais ça se passait très bien. Le contrat avec mes parents était très simple. C'était du moment que tu as des bons résultats à l'école, tu fais tout ce que tu veux. Je m'appliquais à être la première de la classe, ce qui me donnait le droit de faire absolument ce que je voulais.

  • Speaker #0

    La construction des derniers livres d'Amélie Nothomb est systématique. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais comme je suis un très grand lecteur, il y a en général une première partie légère, où vous utilisez un prétexte, bon là c'est le voyage au Japon, ça commence dans une sorte de futilité, comme ça le lecteur est attrapé. La deuxième partie, on bascule vers l'émotion. Et la troisième partie, il y a, alors là pour le coup, un envol, un envol vers la métaphysique, la profondeur. C'était le cas dans Psychopompe, c'était le cas dans Premier Sang. C'est-à-dire que c'est comme si maintenant, systématiquement, vous alliez de la légèreté vers la gravité. Vous le remarquez ? Pas du tout. C'est pas conscient ?

  • Speaker #1

    Mais je crois que vous avez raison, mais je ne le fais pas exprès.

  • Speaker #0

    Parce qu'on a l'impression que vous n'osez pas être... tout de suite grave dès le début. Et ça, c'est une forme de courtoisie. C'est une forme de diplomatie.

  • Speaker #1

    La gravité, franchement, on en est déjà tous tellement pétris. Je ne le fais pas exprès.

  • Speaker #0

    C'est intéressant. La police, là encore, voudrait intervenir. Est-ce que vous vous souvenez de la dernière chose qu'on s'est dite dans notre précédente conversation chez La Pérouse ?

  • Speaker #1

    Je pensais qu'il y avait 37... degré, on avait très chaud. J'allais à une dédicace déjà. On n'avait pas osé boire du champagne tellement il faisait chaud. On avait l'impression qu'on allait tiédir.

  • Speaker #0

    On était sobres.

  • Speaker #1

    On était dans un état de grande souffrance à cause de cette absence de champagne. Qu'est-ce que je vous avais dit ?

  • Speaker #0

    Ça s'est terminé par moi qui vous dis Je vous aime Amélie et vous qui répondez Je vous aime Frédéric

  • Speaker #1

    C'est sublime.

  • Speaker #0

    Oui, c'était sublime. Et les auditeurs peuvent vérifier en cliquant sur la précédente conversation de 2023. Ça se terminait par là. Alors je voulais vous dire, non seulement que je vous aime, mais ne cessez jamais d'avoir 4 ans, Amélie.

  • Speaker #1

    Mais j'en suis tout à fait incapable si vous le saviez.

  • Speaker #0

    Parce que, ainsi, si vous avez toujours 4 ans, vous ne vieillirez pas et vous ne mourrez jamais.

  • Speaker #1

    C'est beau ce que vous dites. Merci Frédéric, j'ai eu raison de vous épouser.

  • Speaker #0

    Nous passons maintenant au jeu, le célèbre jeu de conversation chez la Pérouse. Vous êtes venus souvent, vous connaissez les règles, mais je vous les rappelle, devine tes citations, je vous lis des phrases de vous. Vous devez me dire dans lequel de vos livres vous avez écrit ceci. Sa splendeur est une provocation. Se contenter de le contempler humilie. On veut participer et comme on ne le peut pas, on détruit.

  • Speaker #1

    L'impossible retour.

  • Speaker #0

    Voilà, c'est dans l'impossible retour. Effectivement, cette scène devant le pavillon d'or, qui a été un roman de Mishima, on en a déjà parlé. Ça me fait penser à Rimbaud, vous savez, quand il rencontre la beauté, il dit je l'ai assise sur mes genoux et je l'ai invité Voilà. Est-ce que vous retournerez au Japon ou c'est vraiment la dernière fois ?

  • Speaker #1

    Non, non, je dois retourner au Japon. Je ne peux pas imaginer de vivre sans penser que je vais y retourner. Et mon fantasme absolu, quand je serai une très vieille dame, c'est d'y retourner définitivement.

  • Speaker #0

    Ah, tu dis mourir.

  • Speaker #1

    Mourir au Japon, je trouve que ce serait le sommet de la classe.

  • Speaker #0

    Autre phrase. Le sommet du raffinement, c'est de vendre des millions d'exemplaires et de ne pas être lu.

  • Speaker #1

    Hygiène de l'assassin.

  • Speaker #0

    Oui, c'est votre premier roman. Et c'était ce que disait le narrateur qui est un écrivain très aigri, c'était en 1992.

  • Speaker #1

    Ça ne me rajeunit pas. Et oui,

  • Speaker #0

    c'était il y a 32 ans.

  • Speaker #1

    Vous vous rendez compte ?

  • Speaker #0

    Est-ce que ce but a été atteint ? C'est-à-dire vendre des millions d'exemplaires et ne pas être lu ?

  • Speaker #1

    Alors, les millions d'exemplaires sans aucun doute. Mais pas être lu, je ne sais pas, je vous laisse juger.

  • Speaker #0

    J'ai l'impression que les acheteurs de vos livres les lisent assez souvent jusqu'au bout. Notamment parce qu'ils sont courts.

  • Speaker #1

    Je pense que c'est pour ça.

  • Speaker #0

    Non, non, non, pas seulement pour ça. Est-ce que vous pensez avoir changé en 32 ans par rapport à la romancière d'Hygiene de l'Assassin ?

  • Speaker #1

    C'est terrible à dire, mais oui.

  • Speaker #0

    Je ne parle pas physiquement, parce que physiquement pas tellement.

  • Speaker #1

    Vous êtes très humain. Non, c'est vrai. Je pense que j'ai changé, je suis devenue quelqu'un de beaucoup plus gentil.

  • Speaker #0

    Ah bon vous étiez...

  • Speaker #1

    Ça ne se voyait pas mais j'étais d'une noirceur, d'un pessimisme, d'une misanthropie inimaginable.

  • Speaker #0

    Dieu merci on n'était pas mariés à l'époque.

  • Speaker #1

    Voilà et puis finalement le succès, le champagne, tout ça a fait de moi quelqu'un d'assez bon.

  • Speaker #0

    Oui, vous êtes affable. Je suis affable. Voilà, fréquentable. Voilà. Mais oui c'était un livre extrêmement noir et finalement aussi il n'y a pas de ça qui a changé. Vous vous êtes adoucie au fil des années.

  • Speaker #1

    Je suis devenue une... très brave fille.

  • Speaker #0

    Dans Hygiène de l'Assassin, jamais vous n'auriez fait l'éloge de la beauté ?

  • Speaker #1

    Jamais. Hygiène de l'Assassin est un livre d'une noirceur et d'une toxicité sans borne. Je me souviens très bien sur quel point de vue je l'ai écrit. Je me souviens de ce que c'était mes pensées profondes de l'époque. J'étais...

  • Speaker #0

    J'allais très mal, en fait.

  • Speaker #1

    J'allais super mal.

  • Speaker #0

    J'allais beaucoup mieux maintenant. Peut-être qu'on prend confiance en soi avec un tel succès aussi massif et aussi durable.

  • Speaker #1

    Mais je crois qu'au-delà de ça, c'est que j'ai rencontré de belles personnes. Je n'avais pas encore rencontré beaucoup de belles personnes à l'époque. Et ça m'a fait boum. Je vous ai rencontré Frédéric, vous êtes quand même mon mari. Ça fait du bien des choses pareilles.

  • Speaker #0

    Mais vous vous souvenez de pourquoi nous sommes mariés en 2009 ?

  • Speaker #1

    Rappelez-moi pourquoi on s'est mariés.

  • Speaker #0

    Le double vomi.

  • Speaker #1

    Ah c'était pour ça. C'est une très belle raison. On a vomi en même temps, on était allés ensemble... A la Closerie.

  • Speaker #0

    Au prix de la Closerie.

  • Speaker #1

    Et là, vous m'avez fait boire, ce qui n'était pas mon habitude, énormément de vodka. Ah,

  • Speaker #0

    de vodka, oui, d'accord.

  • Speaker #1

    Je l'ai fait boire, ça c'est mon habitude. Mais autant de vodka, ce n'était pas mon habitude. Après, beaucoup de champagne, faut-il le dire. Et après, on a partagé un taxi et dans une magnifique unité, chacun, on était à la fenêtre, à notre fenêtre et on vomissait ensemble.

  • Speaker #0

    Oui, ça nous a rapprochés.

  • Speaker #1

    Ça nous a rapprochés et depuis, nous formons un couple. Très unique, ils ont à peu près une fois par an et c'est très profond.

  • Speaker #0

    On continue le jeu. Donc, une phrase de vous. Où avez-vous écrit ceci ? À part chez elle, elle ne se sentait plus jamais exclue.

  • Speaker #1

    Le livre des soeurs ? Eh oui,

  • Speaker #0

    2022, mais c'est incroyable. Vous n'avez jamais perdu à ce jeu en trois sessions. Alors, cette phrase, à part chez elle, elle ne se sentait plus jamais exclue, c'est tout de même en contradiction avec votre haine des voyages. Vous êtes exclue. Chez vous ?

  • Speaker #1

    C'est une autre époque de ma vie. C'est une autre époque de ma vie. C'est pendant mon adolescence. Pendant mon adolescence, j'avais des problèmes avec ma famille. C'était tellement normal. Et chez moi, je me disais, je ne suis pas chez moi, ce ne sont pas les miens. Maintenant, je ne pense plus du tout pareil. Je pense que ce sont les miens.

  • Speaker #0

    Vous écrivez toujours entre 4h et 8h du matin, en buvant du thé noir, dans votre cuisine ?

  • Speaker #1

    Sur un tabouret, parce qu'un tabouret de la cuisine, je n'ai pas de bureau.

  • Speaker #0

    Il faut que ce soit inconfortable et en plus comme vous avez mal à l'épaule, vraiment c'est une torture.

  • Speaker #1

    Il n'y a rien à faire. Mais vous savez, cette douleur à l'épaule, je suis en train de la prévoiser. Bon, elle est colossale, ne nous y trompons pas. Mais comme j'ai compris que je ne pouvais rien contre, je fais des exercices avec un gant de vaisselle. Vous avez du l'ordre. Ça empêche simplement que la douleur devienne insupportable. Mais moyennant quoi, je m'y fais.

  • Speaker #0

    J'aimerais vous demander quelque chose, mais je n'ose pas.

  • Speaker #1

    Allez-y.

  • Speaker #0

    que vous imitiez votre père chantant du No ?

  • Speaker #1

    Encore vous ! Bon, allez, c'est vraiment parce que c'est vous, parce que maintenant on me le demande tous les jours. Bon, alors, soyons clairs. Je vais imiter le No, mais c'est très biaisé. J'imite mon père, qui a été le premier non-japonais au monde à chanter professionnellement le No. J'imite mon père chantant le No.

  • Speaker #0

    D'accord. Il faut savoir quel est le costume. Il y a un costume spécial ?

  • Speaker #1

    C'est un costume d'une extrême sobriété. C'est une yukata noire, extrêmement raide, et le no implique une absence d'action profonde. Le no moyen dure 4 heures, 4 heures pour lesquelles il ne se passe, pour ainsi dire, rien. Ça doit être comme ça. L'attitude normale d'une personne qui voit un no pour la première fois consiste à être extrêmement inquiète, et l'attitude normale du public japonais assistant à un spectacle de no consiste à s'endormir.

  • Speaker #0

    Très bien.

  • Speaker #1

    Bon, dites-vous bien, là je suis Patrick Noton, chanteur de nous la nuit. Oui,

  • Speaker #0

    c'est ça. En fait, c'est bien quand c'est court. On apprécie vraiment. Merci beaucoup, Amélie. Tout de suite, un poème japonais qui est dans votre livre. Aux admirateurs de lune, un nuage parfois offre une pause.

  • Speaker #1

    Matsuo Bacho.

  • Speaker #0

    C'est de Bacho.

  • Speaker #1

    Le plus grand haïjin de tous les temps. C'est tellement beau et ça va tellement bien avec le moment où je veux montrer à Pep le mont Fuji. Et bien évidemment, le mont Fuji, qui pourtant est visible d'à peu près partout au Japon, ce jour-là a décidé de ne pas être visible parce qu'il est couvert de nuages. Et on le contourne de tous les moyens. Il y a toujours des nuages, on ne peut pas le voir. Et bon, je le vis comme un échec. Parce que pour Pep, c'est grave de ne pas voir le Montfougy. C'est sa seule occasion de le voir. Mais pour moi, le Montfougy est un vieux copain.

  • Speaker #0

    Vous avez raconté que vous l'avez gravé et descendu. Et que vous avez le record du monde de descente.

  • Speaker #1

    Descente du Montfougy. J'ai vécu tellement d'histoires avec le Montfougy. Et là, tout à coup, j'ai cet extase total, ce kencho total. parce que je me rappelle ce sublime haïku de Matsuo Bacho. Et ça veut dire que quand vous êtes venu très loin pour voir quelque chose, et que ce quelque chose est invisible parce que la météo ne nous permet pas.

  • Speaker #0

    Aux admirateurs de lune, un nuage parfois offre une pause. C'est sublime. Donc c'était une pause. Le mont Fuji est toujours là, on ne le voit pas, mais c'est encore plus beau de ne pas le voir.

  • Speaker #1

    C'est beau de ne pas le voir et je subis son emprise. encore plus fort du fait que je ne le vois pas. Et je me mets à me taper une extase de dingue.

  • Speaker #0

    Je rappelle l'impossible retour chez Albain Michel, c'est votre dernier roman. Et alors, il y a ce beau livre, également chez Albain, Le Japon éternel, où c'est un podcast. Donc, ça veut dire qu'il y a de l'espoir quand on fait un podcast. Il y a peut-être un jour un livre du podcast. C'est mon rêve.

  • Speaker #1

    Alors, l'explication est simple. J'avais fait ce podcast avec Laureline et Manieux. Mais les gens de moindre espèce n'ont aucun accès au podcast. Puisque, je le répète, je suis 100% énergique. Je ne sais même pas ce que c'est qu'un ordinateur. C'est là qu'Albin Michel, dans sa grande bonté, s'est soucié des gens comme moi. C'est affreux qu'une telle portion de la population soit privée de cet ouvrage inestimable.

  • Speaker #0

    Il y a énormément de photographies de jardins japonais.

  • Speaker #1

    24 euros,

  • Speaker #0

    c'est très beau livre. C'est une conversation, une longue conversation d'Amélie Nothomb sur le Japon. Et d'ailleurs, j'y ai appris quelque chose qui m'a un petit peu fâché. Oui, vous avez demandé la main de Naruhito, l'empereur actuel du Japon.

  • Speaker #1

    Si ça peut vous rassurer, c'est loin d'être le premier souverain auquel j'ai demandé la main. J'avais 19 ans quand j'ai demandé pour la première fois un souverain en mariage, c'était le roi du Bhoutan. Il n'a pas compris la question. L'empereur, le futur empereur du Japon, Naruhito, j'avais 22 ans, il n'a pas compris la question non plus. Je crois qu'il a fait semblant de ne pas comprendre.

  • Speaker #0

    Vous dites, je voulais absolument demander la main du descendant direct du soleil.

  • Speaker #1

    Tant qu'à demander la main de quelqu'un, je préfère demander la main du descendant direct du soleil plutôt que de vous.

  • Speaker #0

    C'est ça que je suis un petit peu vexé, parce que je me suis aperçu en lisant Mon Japon éternel, que je n'étais qu'un plan B, comme Bec Bédé.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas arrivée vierge au mariage, c'est ça qui vous dérange ? terrible, terrible patriarcat, mon Dieu, nous en sommes encore là.

  • Speaker #0

    Merci infiniment Amélie Nothomb de nouveau, et je constate que la deuxième coupe est terminée. Vive la République, vive la France et la Belgique.

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Description

Dans ce premier épisode de Conversations chez Lapérouse, Frédéric Beigbeder reçoit Amélie Nothomb pour parler de son roman L'Impossible Retour, inspiré par le deuil de son père. Elle évoque son lien avec le Japon, son voyage nostalgique avec son amie Pep Béni, et la manière dont l'écriture l'aide à naviguer entre douleur et souvenirs. L'épisode est ponctué par des moments musicaux: Amélie qui chante en live du Nô japonais, mais aussi un extrait de La marche du monde d'Aldebert, où elle prête aussi sa voix.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    D'étranges événements ont lieu dans le manoir. Un doute s'instille chez les habitants, maître des lieux et personnel confondu. Une présence invisible semble rôder entre les murs de la vieille demarre. Avec ce troisième roman, Manchette et Niemiek se posent en maître de la narration. À l'ombre de Winnicott, un roman envoûtant.

  • Speaker #1

    Oh, mais quelle joie de vous retrouver ! Conversation chez la Pérouse avec Amélie Nothomb. Bonsoir. Son nouveau roman s'intitule L'Impossible Retour. Ça a failli être le cas de Conversation chez la Pérouse. Mais il n'y a pas de retour impossible. Cela devient une habitude, chaque année je reçois Amélie Nothomb pour inaugurer les conversations chez La Pérouse. Merci beaucoup mon épouse d'accepter, depuis 2022, d'être la première invitée.

  • Speaker #2

    cette émission je trinque à cela et à notre amour impossible et mes durables durable en fait le secret de l'amour éternel c'est de se voir exactement une fois par an oui est ce qu'on voyait dans quoi ça marche très bien ça marche très très bien merci

  • Speaker #1

    donc vous êtes ici pour parler de ce livre l'impossible retour chez albin michel qui est votre 32 ou 33e ligne en troisième livre cette habitude de publier Un roman tous les ans le 15 août, c'est une sorte de manie qui ne s'arrêtera jamais.

  • Speaker #2

    C'est plutôt vers le 22 août, mais à mon avis ça ne s'arrêtera jamais. Mais parce qu'il y a toujours de quoi. Rien ne m'y oblige, aucun contrat ne me tient. Mais j'ai plaisir à ce rythme et je crois que ce rythme m'équilibre. Le grand danger, je pense, si je ne publiais plus du tout, c'est que je perde totalement contact avec le réel et que je devienne complètement dingue. Publier un livre par an, c'est quand même...

  • Speaker #1

    Une sorte de repère.

  • Speaker #2

    C'est un repère et ça me... comment on dit ça de façon moderne ? Ça m'implique dans le réel.

  • Speaker #1

    Alors, je vous contredit immédiatement, d'entrée de jeu, vous ne risquez pas de devenir folle puisque vous l'êtes déjà.

  • Speaker #2

    Ça me rassure beaucoup.

  • Speaker #1

    Ça faisait donc 12 ans que vous n'aviez pas mis les pieds au Japon et vous y êtes retourné et c'est l'histoire de... Enfin, c'est ce que vous racontez dans ce livre. C'est l'histoire d'une femme... déracinée en quête de ses origines.

  • Speaker #2

    Oui. Le Japon et moi, c'est une longue histoire. C'est mon premier amour et c'est ma première identité. J'y ai passé les cinq premières années de ma vie et à l'époque, j'étais absolument persuadée d'être japonaise.

  • Speaker #1

    Et vous ressemblez à une japonaise d'ailleurs.

  • Speaker #2

    J'ai eu raison de vous épouser. Vous sentez tout de suite la geisha en moi. C'est vrai.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai. Particulièrement dans un boudoir chez la Pérouse, c'est important. Mais bon, alors, tout de même... C'est un livre extrêmement triste, vous en parlez partout avec beaucoup de gaieté, comme d'habitude, mais ce titre, L'impossible retour, dit tout de ce deuil et de l'impossibilité de retrouver ses origines et ses racines.

  • Speaker #2

    Vous l'avez tout à fait dit, le grand sujet de ce livre, c'est le deuil. Est-ce que c'est encore vraiment un livre sur le Japon ? J'y suis allée tant de fois, j'en ai tellement parlé dans mes livres. Mais ce énième retour au Japon... C'est le premier qui a lieu depuis la mort de mon père. Bon, alors ça fait 4 ans que mon père est mort, ça fait 4 ans que je ne parle que de ça. Mais c'est vraiment en retournant au Japon que je me suis aperçue à quel point il était mort. Comme le narrateur pour Troustien quand il retourne à Balbeck 2 ans après la mort de sa grand-mère, c'est vraiment à ce moment-là qu'il se rend compte que sa grand-mère est morte. C'est ça.

  • Speaker #1

    Les lieux de l'absence. C'est ça. Et je vais vous demander, chère épouse, de lire les derniers mots du livre, ce qui ne se fait jamais. On demande généralement à l'auteur de lire le début. Eh bien, moi, je voudrais que vous lisiez le dernier paragraphe, s'il vous plaît. Vous dites tout sur cette peine.

  • Speaker #2

    Plus le temps passe et plus j'ai l'impression que nous sommes nombreux dans la confrérie. Nous sommes appelés, je crois, à peupler de plus en plus le monde. Nous qui avons perdu un lieu aimé, à quelque titre que ce soit, et qui avons tenté de le retrouver pour découvrir l'impossibilité du retour.

  • Speaker #1

    Oui, alors c'est ce sujet, en fait, qui explique pourquoi vous n'aimez pas voyager. On vous a forcé à voyager pendant toute votre enfance, vous étiez fille de Patrick Nothomb, qui était un ambassadeur, qui a été ambassadeur dans beaucoup de pays différents. Et pour vous c'était un cauchemar. Vous dites dans le livre, tout départ est une aberration. Alors le retour est impossible et le départ est une aberration. Mais comment faire pour habiter la planète Terre ?

  • Speaker #2

    C'était extrêmement compliqué. Mais oui ! Moi j'ai le fantasme absolu, fantasme non réalisé, de trouver le terrier idéal. La cachette idéale, je ne l'ai pas encore trouvée. Là, il semblerait que je sois de plus en plus à Paris. Je commence à avoir quelques endroits dans cette ville. Mais je pense que je n'ai pas encore trouvé le lieu idéal.

  • Speaker #1

    Vous êtes le contraire de Sylvain Tesson. Parce que lui, il adore voyager, crapahuter, bourlinguer. Vous, alors là, le livre raconte à quel point c'est pénible pour vous, ne serait-ce que de réserver un hôtel ou prendre un avion.

  • Speaker #2

    Mais j'en suis totalement incapable. Il faut qu'on fasse ça à ma place. Bon, une fois que j'arrive sur place, je deviens opérationnelle. Mais ce qui est épouvantable dans les voyages, c'est le départ et le retour. Ça fait quand même beaucoup.

  • Speaker #1

    Et alors en plus, vous avez eu l'idée saugrenue d'emmener la pire emmerdeuse de la Terre avec vous.

  • Speaker #2

    Je me permets de nuancer votre propos. D'abord, c'est elle qui m'a invitée. Oui,

  • Speaker #1

    donc c'est pas votre faute.

  • Speaker #2

    C'est elle qui m'a invitée. Sans elle, pas de voyage. J'ajouterais que votre point de vue est un peu réducteur. On va dire que c'est une personne qui vous pousse dans vos derniers retranchements. Ce qui est très intéressant. De toute façon, dites-vous bien, même votre meilleur ami, même votre meilleure amie, vous ne la connaissez pas aussi longtemps que vous n'avez pas voyagé avec elle. C'est vrai.

  • Speaker #1

    Enfin là, cette photographe qui s'appelle Pep Béni, c'est ça ? Je ne sais pas si elle existe ou si c'est un personnage de roman.

  • Speaker #2

    Entre les deux.

  • Speaker #1

    Voilà. Elle a gagné deux billets pour le Japon en mai 2023. Et pendant 11 jours, vous la coltinez. Elle a des allergies. Elle veut changer de chambre à chaque hôtel. Elle se brouille avec tous les Japonais. Elle est très grossière. Par exemple, vous allez dans un musée. Au Japon, on n'a pas le droit de parler dans les musées. Elle n'arrête pas de faire des commentaires sur les œuvres d'art qu'elle voit. Franchement, vous avez mal choisi votre partenaire de voyage.

  • Speaker #2

    Mais il faut aussi se mettre à sa place. Le Japon, c'est un pays difficile. Elle est arrivée pour le découvrir, mais c'est une Française et c'est vrai que...

  • Speaker #1

    C'est un problème d'être Français.

  • Speaker #2

    C'est un problème d'être Français, première chose. Je tiens à le signaler, je ne suis pas Française et j'en mesure les avantages tous les jours.

  • Speaker #1

    Vous êtes belge, vous êtes japonais, nippo-belge.

  • Speaker #2

    Voilà. Et Pep découvre quand même cette civilisation dans laquelle on n'a pas le droit de parler au musée, ce qui, pour elle, qui est très émotive et difficile. Je veux dire, je comprends qu'elle puisse éprouver le désir de... de partager ses émotions. Et puis, elle, elle ne considère pas que c'est grossier de parler dans un musée. Je vous trouve un petit peu réducteur.

  • Speaker #1

    Non, non, mais c'est très beau que vous défendiez votre amie. La scène est très drôle dans le musée parce qu'il y a un guide très discret qui vient la voir alors qu'elle parle devant des tableaux. Il vient la voir avec un panneau sur lequel est écrit Ferme ta gueule en gros, en plus poli.

  • Speaker #2

    C'est ça. Mais donc, elle résout. Chuchoter, mais même le chuchotement bien sûr,

  • Speaker #1

    est inconcevable.

  • Speaker #2

    Vous savez au Japon la règle, mais personne ne transige avec la règle. La règle est absolue et tout le monde la respecte. Ça c'est une chose que les Français ont beaucoup de mal à comprendre.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça s'appelle une civilisation. Les scènes aussi où elle se dispute avec les patrons des hôtels.

  • Speaker #2

    C'est très drôle. Écoutez, c'est très drôle parce qu'elle comptait sur moi comme interprète. Or, en fait, elle insultait les aubergistes et moi je devais le traduire. Ah oui. Je suis incapable de traduire des choses pareilles. D'ailleurs, de tels mots n'existent pas en japonais. Donc je traduisais tout à fait autre chose.

  • Speaker #1

    Elle va voir le directeur de l'hôtel en disant qu'il y a des acariens dans la chambre, ce qui est un affront où normalement on doit tuer la personne ou se suicider.

  • Speaker #2

    C'est ça. Donc moi qui suis fille de diplomate, je me retrouve dans le rôle de mon père à devoir jouer le tampon diplomatique entre un aubergiste offusqué et une française absolument furieuse.

  • Speaker #1

    Alors pour les grands fans et lecteurs d'Amélie Nothomb, et il y en a beaucoup, on est de retour dans un cycle japonais. Vous aviez inauguré avec stupeur et tremblement Grand Prix du roman de l'Académie française en 1999, où vous racontiez votre expérience de dame pipi.

  • Speaker #2

    Vous savez que ça m'a beaucoup apporté d'être... d'être dame pipi pendant huit mois dans une très importante société japonaise.

  • Speaker #1

    Vous pensiez faire un stage où vous alliez apprendre la vie en entreprise et rapidement vous avez...

  • Speaker #2

    J'ai tellement déplu que je me suis retrouvée huit mois dame pipi. Ça m'a beaucoup appris et somme toute, j'ai quand même moins souffert en étant dame pipi qu'en étant à la comptabilité où je ne comprenais strictement rien.

  • Speaker #1

    Oui, au moins on rencontre du monde. On rencontre des gens. Oui, oui,

  • Speaker #2

    c'est ça. On fait des rencontres.

  • Speaker #1

    Il n'y a eu ensuite ni d'Ève ni d'Adam, également primé par le prix de Flore en 2007, où là, vous racontiez votre histoire d'amour avec un fiancé japonais.

  • Speaker #2

    C'est ça, avec un jeune japonais. Ma première belle histoire, quoi. Donc, je n'ai que des bons souvenirs. C'est extraordinaire d'avoir une histoire d'amour dont on n'a absolument que des beaux souvenirs. Et c'était avec un jeune Tokyo.

  • Speaker #1

    C'est formidable. Et est-ce que quand vous êtes retourné là en 2023 au Japon, vous avez fait signe à votre acte ? Non, pas du tout. Non,

  • Speaker #2

    il faut, une fois de temps en temps, il faut savoir tourner la page. Vous savez, Frédéric, que je vous suis d'une fidélité absolument.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Oui, c'était un piège. C'était une question de piège. Là, je mentionne également Biographie de la faim en 2004, où le Japon était présent. La Nostalgie heureuse en 2013. On est passé quand même de la Nostalgie heureuse à l'impossible retour.

  • Speaker #2

    Oui, je suis d'accord que d'un point de vue de joie de vivre, ce n'est pas vraiment un progrès. Non. Mais bon.

  • Speaker #1

    Je m'inquiète pour vous, Amélie.

  • Speaker #2

    L'explication est toute idiote, mais c'est la vie de tout le monde. Mon père est mort. Il faut beaucoup de temps pour se remettre de ça.

  • Speaker #1

    Mais c'est vraiment un livre. J'ai perdu mon père il y a un an. C'est aussi un très beau livre sur le deuil paternel, c'est vrai. Donc, Patrick Nothomb est mort en 2020. Oui. Et là encore, vous avez... Je n'en sais pas. Il vous a donné un autre prix littéral, le prix Renaudon en 2021, dans le livre où vous parliez de lui, qui est le premier sang. Oui. Vous cherchez... Votre père, c'est lui l'impossible retour. Je dis ça parce que votre nom de famille, c'est nos tombes. Oui. Donc peut-être que ça vient de là.

  • Speaker #2

    C'est vrai, cette absence de tombe contenue dans mon nom, cette négation du tombeau contenue dans mon nom. Ah,

  • Speaker #1

    vous voyez nos comme la négation. Ça peut être le pluriel. Nos tombes. Nous avons des tombes. Et vous allez visiter les tombes.

  • Speaker #2

    Vous savez que vous révolutionnez ma vie parce que vous n'avez jamais vu ça comme ça. J'ai toujours vu ça comme une négation du tombeau.

  • Speaker #1

    Ah oui, parce que vous êtes également anglophone. C'est pour ça.

  • Speaker #2

    C'est pour ça.

  • Speaker #1

    Pourtant, votre père, Patrick, n'était pas toujours gentil. Et il y a dans le livre une scène où vous vous engueulez avec lui. Et vous vous souvenez de ça quand vous êtes au Japon, où vous étiez disputés très gravement. Et il vous dit, toi, tu es comme moi, tu n'es rien.

  • Speaker #2

    C'est ça. J'avais 15 ans. Il en avait 30 de plus. Et je me souviens de ma... colère quand il m'a dit ça. La première chose que j'ai pensé c'est non non non je suis pas comme toi je suis pas comme toi puis après j'ai pensé mais pourquoi il dit ça ? Pourquoi il dit qu'il est rien ? C'est quoi cette histoire ?

  • Speaker #1

    Oui et ça c'est toute la partie la plus bouleversante et émouvante du livre c'est quand vous essayez de savoir si peut-être en vous disant tu n'es rien il vous a rendu écrivain.

  • Speaker #2

    Je pense qu'il a énormément contribué à me rendre écrivain par cette parole. C'était une parole qui avait l'air d'être une malédiction, mais qui en fait était une curieuse bénédiction, un curieux octroi de grâce.

  • Speaker #1

    Oui, vous avez envie au fond d'exister, de raconter cette vie, de parler de lui, de parler de tout ce que vous vivez, pour ne pas être rien. Oui, ou alors... Est-ce que vous y arrivez ?

  • Speaker #2

    Ou alors pour atteindre l'autre rive, à savoir le rien zen.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #2

    Selon la philosophie zen, qui est quand même la philosophie que le Japon a portée à son degré d'aristocratie, être rien, c'est le sommet de l'ambition.

  • Speaker #1

    Oui,

  • Speaker #2

    c'est vrai.

  • Speaker #1

    L'élégance.

  • Speaker #2

    Et c'est vrai que les moments où on a l'impression d'atteindre ce rien-là sont les moments où on est enfin totalement là, enfin totalement dans la vie. C'est ce que j'appelle le Kensho. C'est une extase totale.

  • Speaker #1

    Oui. Alors, dans le paysage littéraire national, vous occupez... aujourd'hui la place qui était peut-être celle de Jean d'Ormesson, la personne, oui, disons, cultivée, brillante, drôle, avec de l'esprit. Mais votre œuvre est davantage respectée que la sienne. Je veux dire que vous êtes étudiée dans les universités, vous êtes presque un classique aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas paralysant dans votre processus d'écriture de se dire, maintenant je suis une sorte de monument vivant ?

  • Speaker #2

    Pas du tout, parce que je n'ai pas du tout cette sensation.

  • Speaker #1

    Écoutez, vous avez signé chez Albain Michel hier. Il y avait des milliers de gens. Les gens se battent pour vous voir. Vous êtes une rockstar de la littérature.

  • Speaker #2

    Rockstar, d'accord. Mais monument, non.

  • Speaker #1

    C'est pas la même chose, vous avez raison. Il faut mourir pour être un monument.

  • Speaker #2

    Est-ce que vous savez, parce que vous ne le savez certainement pas, vu que vous êtes mon garçon.

  • Speaker #1

    Je ne suis rien non plus.

  • Speaker #2

    Je suis devenue une chanteuse de métal.

  • Speaker #1

    Ah oui, justement, j'ai la chanson. Elle est bien ? Si vous voulez, on met nos casques. Elle est super belle.

  • Speaker #2

    Je la connais, ma chanson.

  • Speaker #1

    Je veux que vous l'écoutiez avec moi.

  • Speaker #2

    Elle est super belle.

  • Speaker #1

    Oui, oui. Franchement. Donc, quand je disais rockstar, c'était effectivement calculé. C'est beau, hein ? Oui, c'est beau. C'est quelque chose qui est assez inattendu pour les gens qui vous connaissent peu, parce que ceux qui vous connaissent savent que vous êtes une fan de métal. Oui. Vous adorez le groupe Tool, je crois.

  • Speaker #2

    Alors, à mon enterrement, venez mon cher époux à mon enterrement, ce sera une très belle cérémonie gratuite.

  • Speaker #1

    Je serai triste.

  • Speaker #2

    Et il y aura du Tool. Et croyez-moi, un endroit public où on entend du Tool gratuitement, c'est pas fréquent.

  • Speaker #1

    Je signale que la police vient nous arrêter. On a un petit peu mis la musique trop fort, ça gêne les voisins. Non mais alors sérieusement, cette carrière de rockstar, de métal, va se concrétiser car vous allez faire l'Olympia.

  • Speaker #2

    Je fais l'Olympia, ça sera le 5 avril, c'est un samedi et je vais le faire deux fois en un jour. Donc 2025. 2025. Là je fais ma maligne mais... La veille du 5 avril, à mon avis, je serai vraiment dans mes petits...

  • Speaker #1

    C'est extraordinaire. J'ai eu la chance de faire, moi aussi, l'Olympia avec Bon Entendeur. Je faisais, comme vous, un récitatif sur le Rhin de l'Ornopso. Et donc, je me suis jeté dans le public qui m'a porté.

  • Speaker #2

    Vous croyez que vous pourriez essayer ?

  • Speaker #1

    Je pense que vous devriez. C'est une sensation qui vous plaira. Je vous connais bien. Je t'adore. porté par les mains de personnes inconnues en lévitation. C'est très japonais.

  • Speaker #2

    Je pense que c'est mon rêve. Je joue le robot méchant qui décourage les enfants. J'espère que j'aurai un costume de scène, un costume de robot.

  • Speaker #1

    Oui, vraiment. Notez bien cette date. Réservez vos places. 5 avril. Alors, vous n'écrivez jamais sur les sujets d'actualité. Non. Dans cette rentrée, il y a beaucoup de livres. Par exemple, il y a Kamel Daoud qui parle de la guerre civile algérienne. Vous avez Gaël Fay qui parle du Rwanda. Ce sont des romans importants. Et vous, c'est quelque chose que vous ne faites pas ou alors de façon détournée ?

  • Speaker #2

    De façon détournée. Ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas, c'est que je ne vois pas tellement bien. Quelle pierre je peux apporter à l'édifice ? Ce sont des problèmes qui me concernent autant que tout le monde, mais je ne vois pas la solution et je ne suis même pas sûre de les comprendre.

  • Speaker #1

    Oui, c'est assez intéressant. Je dirais que, par exemple, prenons un exemple. Dans ce livre-là, L'impossible retour, le seul moment où vous parlez de la bombe atomique, c'est pour dire qu'elle a épargné Kyoto. Donc, c'est vraiment quelques lignes, mais c'est une information que peut-être les gens ne connaissent pas, qui est assez incroyable. Il y avait un Américain, M. Stimson.

  • Speaker #2

    C'est ça, conseiller de...

  • Speaker #1

    lequel encore ? Truman.

  • Speaker #2

    Truman avait choisi Kyoto pour... comme première ville pour essayer la bombe atomique. Et ce conseiller de Truman lui a dit écoutez, je suis allée en voyage de noces avec ma femme là, c'est vraiment très beau, ce serait peut-être dommage de choisir cette ville, on va peut-être en choisir une moins belle. Et le deuxième choix a été Hiroshima qui en effet n'était pas du tout une ville extraordinaire.

  • Speaker #1

    Qui a été rasée intégralement. C'est vrai que c'est grâce à ce monsieur Stimson et à son voyage de noces que les temples que vous préférez au monde, les plus beaux temples japonais, ont été épargnés.

  • Speaker #2

    À cause de ça, tiens.

  • Speaker #1

    Oui. Et vous me conseillez d'aller visiter le pavillon d'or à Kyoto ? Ah oui.

  • Speaker #2

    D'abord, c'est un choc esthétique extraordinaire. Et on comprend tellement bien ce moine zen dont parle Mishima, qui, en haine de la beauté, décide... de mettre le feu au pavillon d'or. On ne peut pas voir une telle beauté et rester indifférent. On se dit, il faut faire quelque chose. Ça ne suffit pas d'admirer.

  • Speaker #1

    Mais vous pensez vraiment qu'il faut foutre le feu à tout ce qu'on croise de beau ?

  • Speaker #2

    Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Mais l'admiration doit être un acte violent. Ne serait-ce que vis-à-vis de soi-même. Ce qui est insupportable, c'est les gens qui voient quelque chose de sublime et qui, après tout, sont la même personne après, n'en sont pas profondément modifiées.

  • Speaker #1

    Par exemple, votre amie, complètement tarée,

  • Speaker #2

    qui est très terrible,

  • Speaker #1

    mais c'est plaisant. Le personnage est génial. Elle va avec vous au pavillon d'or, pour vous le plus beau temple jamais construit. Comment réagit-elle ? Elle s'en va et demande une bière.

  • Speaker #2

    Non, vous allez beaucoup trop vite en besoin. Elle se rappelle le livre parce que le pavillon d'or, c'est un peu une bible pour elle, comme pour moi, un brévière. Et elle dit, j'ai envie d'y foutre le feu. La bière vient bien sûr plus tard. Bon, on a un point commun, elle et moi, c'est qu'on a une bonne descente, mais c'est très bien ça.

  • Speaker #1

    Alors là, c'est un roman fortement alcoolisé. Il y a de la bière, il y a du whisky, mais il n'y a pas de champagne.

  • Speaker #2

    Alors ça, c'est ahurissant. Qu'est-ce qui se passe ? J'ai honte, si vous saviez. J'ai donc passé 11 jours au Japon. non seulement sans boire du champagne, mais même sans y penser.

  • Speaker #1

    Sans y penser ?

  • Speaker #2

    Voilà, et c'est là que je me suis rendu compte que mon amour pourtant déraisonnable pour le champagne était peut-être aussi de l'ordre de l'adaptation. Le milieu diplomatique est un milieu où le champagne c'est l'eau, et peut-être que mon amour déraisonnable pour le champagne était une suprême adaptation à tout cela. Et là que j'étais finalement dans un milieu très différent du mien, dans un pays que j'aime plus que tout, Et finalement, le whisky m'allait très bien.

  • Speaker #1

    Ça prouve que vous n'êtes pas addict au champagne. Vous n'êtes pas drogué au champagne.

  • Speaker #2

    C'est ça. Donc, j'aime le champagne d'un amour absolu, mais je suis capable de voir autre chose. Ça me fait honte de le dire, mais c'est quand même vrai. Cela dit, il est bon ce champagne. Et moi, je vais finir ma coupe bien avant la vôtre.

  • Speaker #1

    Oui, mais je vous donne la mienne.

  • Speaker #2

    Je n'en attendais pas moins de vous.

  • Speaker #1

    Non, mais c'est normal entre époux.

  • Speaker #2

    Il a pu faire croire que vous avez déjà bu la vôtre.

  • Speaker #1

    Vous emmenez dans ce voyage à rebours de Huysmans et il y a dans ce livre une scène où des esseintes fantasment sur un voyage en Angleterre. C'est génial. C'est assez marrant parce que vous, vous êtes vraiment en voyage et vous emportez quoi ? Le livre d'un ermite reclus qui déteste sortir de chez lui.

  • Speaker #2

    Un livre qu'on a beaucoup surnommé l'anti-voyage. C'est tellement génial à rebours. Qu'est-ce que j'ai eu raison de... Il faut bien choisir ces lieux de relecture des chefs-d'œuvre. Et relire à rebours à Tokyo en 2023, c'était une idée géniale.

  • Speaker #1

    Et vous dites d'ailleurs, bien plus que lire, relire est un acte d'amour. Est-ce que, passé un certain âge, on ne lit plus, on ne fait plus que relire ?

  • Speaker #2

    Je lis encore, mais je suis une putain de relectrice. Là, je viens de finir ma quatrième relecture de La Recherche du Temps Perdu. Et vous savez qu'il a fallu... Cette quatrième relecture pour que je comprenne enfin. Il y avait tellement de choses qui m'avaient échappé. C'est tellement bien.

  • Speaker #1

    Il faudrait peut-être que je le relise une troisième fois. Mythomanie totale.

  • Speaker #0

    Vous inventez le concept très intéressant de nostalgie préventive, qui consiste à regretter à l'avance quelque chose, plutôt que de le regretter après, le regrette par avance.

  • Speaker #1

    Ça n'empêche pas aussi la bonne vieille nostalgie rétrospective, mais c'est vrai que chez moi la nostalgie est quelque chose de tellement tentaculaire que j'ai inventé la nostalgie préventive. Par exemple, je savais... depuis quelques jours que j'allais vous voir aujourd'hui. Vous, mon époux, que je ne vois qu'une fois par an. Donc j'étais déjà depuis trois jours en état de nostalgie préventive parce que je savais que ce rendez-vous, qui durerait quoi, trois quarts d'heure, serait trop bref et qu'après, il me faudrait une année pour me ressouvenir de ces moments si tendres où je piquais votre champagne.

  • Speaker #0

    Donc ça veut dire que vous chialez depuis trois jours en pensant à ce rendez-vous. Absolument. Ça me touche beaucoup.

  • Speaker #1

    C'est une manière de m'adapter à... Mon tempérament résolument décadent.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous regrettez...

  • Speaker #1

    Est-ce que le champagne est différent du mien ?

  • Speaker #0

    Non, c'est le même, c'est le même. Je n'ai pas le droit de dire la marque, mais... C'est le même champomy, champomy. C'est du champomy, il n'y a pas d'alcool. Est-ce que vous regrettez déjà notre conversation avant qu'elle ne se termine ?

  • Speaker #1

    Mais je vous assure que, même si ça a l'air complètement taré, c'est une excellente manière de jouer en du présent. Oui. Il y a tellement de nostalgie rétrospective... retrospective avant et tellement de nostalgie retrospective après que là le moment présent était un moment incroyable il n'y a aucune tristesse je le vis à fond,

  • Speaker #0

    c'est fantastique il y a une autre phrase que j'ai adorée dans l'impossible retour c'est je suis bombardé d'émotions sans domicile fixe c'est pour ce genre de formule qu'on aime vos livres c'est rare vous savez parce que je me tape pas mal de livres Pour le Pindarro Magazine.

  • Speaker #1

    Je sais de quoi vous parlez, je suis jurée au prix des sangs. Donc je me tape pas mal de trucs non plus. Oui.

  • Speaker #0

    Et alors, dans ce livre, vous pleurez beaucoup, pour un oui ou pour un non.

  • Speaker #1

    J'ai eu des larmes.

  • Speaker #0

    Mais ce n'était pas présent dans vos livres précédents. Peut-être c'est effectivement le fait que ce soit le deuil paternel. Vous êtes très vulnérable dans ce voyage. Oui, c'est vrai. En regardant la beauté, mais aussi, je ne sais pas...

  • Speaker #1

    Dans mon ticket. Oui,

  • Speaker #0

    vous perdez votre ticket. Oui.

  • Speaker #1

    Je pleure toutes les larmes de mon corps.

  • Speaker #0

    Les contrôleurs ne savent plus quoi vous dire pour vous consoler d'avoir resquillé.

  • Speaker #1

    Oui, et finalement, je le retrouve.

  • Speaker #0

    Vous pleurez de joie à nouveau.

  • Speaker #1

    Oui, mais bon, c'est vrai. Je crois que je suis quelqu'un qui a le don des larmes.

  • Speaker #0

    Au fond, vous dites page 154, je suis une revenante. Mais je pense que vous êtes une migrante. Oui. Ce que vous traitez comme sujet, c'est tout simplement l'exil.

  • Speaker #1

    C'est tout à fait vrai. j'ai mis tellement d'années à me trouver une identité nationale alors le résultat est tellement bancal je suis une japonaise ratée ce qui est peut-être une manière d'être une belge réussie ce qui ne veut pas dire grand chose je me souviendrai toujours avec hilarité c'était un article de journal dans le principal quotidien belge il y a une dizaine d'années il était question d'un crime Et la police disait on a repéré sur les lieux de crime un individu de type belge. C'est formidable. Personne ne comprend ce que ça veut dire un individu de type belge. Je pense que finalement je suis un individu de type belge.

  • Speaker #0

    Ça me fait penser à des proches qui disaient toujours française, français,

  • Speaker #1

    belge, belge.

  • Speaker #0

    Vous avez vécu donc au Japon, en Chine, à New York, au Bangladesh. J'oublie des pays ?

  • Speaker #1

    La Birmanie, le Laos. Ah oui. Voilà.

  • Speaker #0

    Alors, Christine Angot, elle a écrit un livre qui s'appelait Pourquoi le Brésil ? Je vous pose la question, pourquoi pas New York ? Vous n'avez jamais écrit sur New York ?

  • Speaker #1

    Si, dans Biographie de la fin j'ai pas mal parlé de New York. J'ai été effroyablement heureuse à New York.

  • Speaker #0

    Alors,

  • Speaker #1

    en même temps... Oui, mais dans Biographie de la fin je le dis, oui.

  • Speaker #0

    C'est vrai, oui, c'est vrai. Alors, pardon, j'avais oublié.

  • Speaker #1

    Mais j'ai complètement raté mon retour à New York. Je suis retournée pour des raisons éditoriales, c'était plus du tout pareil.

  • Speaker #0

    Vous répondez toujours à toutes les lettres des lecteurs ?

  • Speaker #1

    Neuf lettres sur dix, ce qui fait beaucoup.

  • Speaker #0

    Ça vous prend combien ?

  • Speaker #1

    5 heures par jour.

  • Speaker #0

    5 heures par jour.

  • Speaker #1

    C'est la raison pour laquelle mon épaule droite est complètement démolie.

  • Speaker #0

    Oui, et donc vous allez bientôt devoir dicter vos livres.

  • Speaker #1

    Non, parce que, en fait, je me suis accoutumée à cette sensation. C'est vrai que chaque fois que j'écris, et j'écris 9 heures par jour, finalement, à la main, puisque je ne maîtrise aucune autre technologie. C'est vrai que mon épaule déguste, mais en fait, je m'y suis habituée.

  • Speaker #0

    C'est peut-être comme ça, la douleur se transforme en art.

  • Speaker #1

    Voilà, et puis... J'essaye de me dire, je parle assez de douleur, je dis en fait tu as une sensation, pourquoi tu crois que tu as de la douleur ? Tu as peut-être juste une sensation ?

  • Speaker #0

    Vous dites aussi dans l'impossible retour, c'est assez émouvant, que vous avez toujours 4 ans.

  • Speaker #1

    J'étais alcoolique à 4 ans. Oui,

  • Speaker #0

    donc il faut expliquer cette addiction au champagne, qui n'en est pas une finalement.

  • Speaker #1

    J'avais 3 ans et j'ai découvert le champagne et ça a été le coup de foudre.

  • Speaker #0

    Vous finissiez les coupes de champagne dans les cocktails de votre père.

  • Speaker #1

    Mes parents recevaient 1000 personnes par mois. Mon père était vraiment diplomate jusqu'au bout des ongles. Je n'étais pas invitée à ces réceptions, mais je n'en étais pas exclue non plus. C'est là que j'ai pris l'habitude de passer à quatre pattes dans les réceptions et d'attraper tous les demi-vers qui traînaient, demi-vers de champagne, faut-il le dire, et de les vider tous. Et j'ai tout de suite adoré cette boisson.

  • Speaker #0

    Vous étiez donc alcoolique à trois ans et demi.

  • Speaker #1

    Mais ça se passait très bien. Le contrat avec mes parents était très simple. C'était du moment que tu as des bons résultats à l'école, tu fais tout ce que tu veux. Je m'appliquais à être la première de la classe, ce qui me donnait le droit de faire absolument ce que je voulais.

  • Speaker #0

    La construction des derniers livres d'Amélie Nothomb est systématique. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais comme je suis un très grand lecteur, il y a en général une première partie légère, où vous utilisez un prétexte, bon là c'est le voyage au Japon, ça commence dans une sorte de futilité, comme ça le lecteur est attrapé. La deuxième partie, on bascule vers l'émotion. Et la troisième partie, il y a, alors là pour le coup, un envol, un envol vers la métaphysique, la profondeur. C'était le cas dans Psychopompe, c'était le cas dans Premier Sang. C'est-à-dire que c'est comme si maintenant, systématiquement, vous alliez de la légèreté vers la gravité. Vous le remarquez ? Pas du tout. C'est pas conscient ?

  • Speaker #1

    Mais je crois que vous avez raison, mais je ne le fais pas exprès.

  • Speaker #0

    Parce qu'on a l'impression que vous n'osez pas être... tout de suite grave dès le début. Et ça, c'est une forme de courtoisie. C'est une forme de diplomatie.

  • Speaker #1

    La gravité, franchement, on en est déjà tous tellement pétris. Je ne le fais pas exprès.

  • Speaker #0

    C'est intéressant. La police, là encore, voudrait intervenir. Est-ce que vous vous souvenez de la dernière chose qu'on s'est dite dans notre précédente conversation chez La Pérouse ?

  • Speaker #1

    Je pensais qu'il y avait 37... degré, on avait très chaud. J'allais à une dédicace déjà. On n'avait pas osé boire du champagne tellement il faisait chaud. On avait l'impression qu'on allait tiédir.

  • Speaker #0

    On était sobres.

  • Speaker #1

    On était dans un état de grande souffrance à cause de cette absence de champagne. Qu'est-ce que je vous avais dit ?

  • Speaker #0

    Ça s'est terminé par moi qui vous dis Je vous aime Amélie et vous qui répondez Je vous aime Frédéric

  • Speaker #1

    C'est sublime.

  • Speaker #0

    Oui, c'était sublime. Et les auditeurs peuvent vérifier en cliquant sur la précédente conversation de 2023. Ça se terminait par là. Alors je voulais vous dire, non seulement que je vous aime, mais ne cessez jamais d'avoir 4 ans, Amélie.

  • Speaker #1

    Mais j'en suis tout à fait incapable si vous le saviez.

  • Speaker #0

    Parce que, ainsi, si vous avez toujours 4 ans, vous ne vieillirez pas et vous ne mourrez jamais.

  • Speaker #1

    C'est beau ce que vous dites. Merci Frédéric, j'ai eu raison de vous épouser.

  • Speaker #0

    Nous passons maintenant au jeu, le célèbre jeu de conversation chez la Pérouse. Vous êtes venus souvent, vous connaissez les règles, mais je vous les rappelle, devine tes citations, je vous lis des phrases de vous. Vous devez me dire dans lequel de vos livres vous avez écrit ceci. Sa splendeur est une provocation. Se contenter de le contempler humilie. On veut participer et comme on ne le peut pas, on détruit.

  • Speaker #1

    L'impossible retour.

  • Speaker #0

    Voilà, c'est dans l'impossible retour. Effectivement, cette scène devant le pavillon d'or, qui a été un roman de Mishima, on en a déjà parlé. Ça me fait penser à Rimbaud, vous savez, quand il rencontre la beauté, il dit je l'ai assise sur mes genoux et je l'ai invité Voilà. Est-ce que vous retournerez au Japon ou c'est vraiment la dernière fois ?

  • Speaker #1

    Non, non, je dois retourner au Japon. Je ne peux pas imaginer de vivre sans penser que je vais y retourner. Et mon fantasme absolu, quand je serai une très vieille dame, c'est d'y retourner définitivement.

  • Speaker #0

    Ah, tu dis mourir.

  • Speaker #1

    Mourir au Japon, je trouve que ce serait le sommet de la classe.

  • Speaker #0

    Autre phrase. Le sommet du raffinement, c'est de vendre des millions d'exemplaires et de ne pas être lu.

  • Speaker #1

    Hygiène de l'assassin.

  • Speaker #0

    Oui, c'est votre premier roman. Et c'était ce que disait le narrateur qui est un écrivain très aigri, c'était en 1992.

  • Speaker #1

    Ça ne me rajeunit pas. Et oui,

  • Speaker #0

    c'était il y a 32 ans.

  • Speaker #1

    Vous vous rendez compte ?

  • Speaker #0

    Est-ce que ce but a été atteint ? C'est-à-dire vendre des millions d'exemplaires et ne pas être lu ?

  • Speaker #1

    Alors, les millions d'exemplaires sans aucun doute. Mais pas être lu, je ne sais pas, je vous laisse juger.

  • Speaker #0

    J'ai l'impression que les acheteurs de vos livres les lisent assez souvent jusqu'au bout. Notamment parce qu'ils sont courts.

  • Speaker #1

    Je pense que c'est pour ça.

  • Speaker #0

    Non, non, non, pas seulement pour ça. Est-ce que vous pensez avoir changé en 32 ans par rapport à la romancière d'Hygiene de l'Assassin ?

  • Speaker #1

    C'est terrible à dire, mais oui.

  • Speaker #0

    Je ne parle pas physiquement, parce que physiquement pas tellement.

  • Speaker #1

    Vous êtes très humain. Non, c'est vrai. Je pense que j'ai changé, je suis devenue quelqu'un de beaucoup plus gentil.

  • Speaker #0

    Ah bon vous étiez...

  • Speaker #1

    Ça ne se voyait pas mais j'étais d'une noirceur, d'un pessimisme, d'une misanthropie inimaginable.

  • Speaker #0

    Dieu merci on n'était pas mariés à l'époque.

  • Speaker #1

    Voilà et puis finalement le succès, le champagne, tout ça a fait de moi quelqu'un d'assez bon.

  • Speaker #0

    Oui, vous êtes affable. Je suis affable. Voilà, fréquentable. Voilà. Mais oui c'était un livre extrêmement noir et finalement aussi il n'y a pas de ça qui a changé. Vous vous êtes adoucie au fil des années.

  • Speaker #1

    Je suis devenue une... très brave fille.

  • Speaker #0

    Dans Hygiène de l'Assassin, jamais vous n'auriez fait l'éloge de la beauté ?

  • Speaker #1

    Jamais. Hygiène de l'Assassin est un livre d'une noirceur et d'une toxicité sans borne. Je me souviens très bien sur quel point de vue je l'ai écrit. Je me souviens de ce que c'était mes pensées profondes de l'époque. J'étais...

  • Speaker #0

    J'allais très mal, en fait.

  • Speaker #1

    J'allais super mal.

  • Speaker #0

    J'allais beaucoup mieux maintenant. Peut-être qu'on prend confiance en soi avec un tel succès aussi massif et aussi durable.

  • Speaker #1

    Mais je crois qu'au-delà de ça, c'est que j'ai rencontré de belles personnes. Je n'avais pas encore rencontré beaucoup de belles personnes à l'époque. Et ça m'a fait boum. Je vous ai rencontré Frédéric, vous êtes quand même mon mari. Ça fait du bien des choses pareilles.

  • Speaker #0

    Mais vous vous souvenez de pourquoi nous sommes mariés en 2009 ?

  • Speaker #1

    Rappelez-moi pourquoi on s'est mariés.

  • Speaker #0

    Le double vomi.

  • Speaker #1

    Ah c'était pour ça. C'est une très belle raison. On a vomi en même temps, on était allés ensemble... A la Closerie.

  • Speaker #0

    Au prix de la Closerie.

  • Speaker #1

    Et là, vous m'avez fait boire, ce qui n'était pas mon habitude, énormément de vodka. Ah,

  • Speaker #0

    de vodka, oui, d'accord.

  • Speaker #1

    Je l'ai fait boire, ça c'est mon habitude. Mais autant de vodka, ce n'était pas mon habitude. Après, beaucoup de champagne, faut-il le dire. Et après, on a partagé un taxi et dans une magnifique unité, chacun, on était à la fenêtre, à notre fenêtre et on vomissait ensemble.

  • Speaker #0

    Oui, ça nous a rapprochés.

  • Speaker #1

    Ça nous a rapprochés et depuis, nous formons un couple. Très unique, ils ont à peu près une fois par an et c'est très profond.

  • Speaker #0

    On continue le jeu. Donc, une phrase de vous. Où avez-vous écrit ceci ? À part chez elle, elle ne se sentait plus jamais exclue.

  • Speaker #1

    Le livre des soeurs ? Eh oui,

  • Speaker #0

    2022, mais c'est incroyable. Vous n'avez jamais perdu à ce jeu en trois sessions. Alors, cette phrase, à part chez elle, elle ne se sentait plus jamais exclue, c'est tout de même en contradiction avec votre haine des voyages. Vous êtes exclue. Chez vous ?

  • Speaker #1

    C'est une autre époque de ma vie. C'est une autre époque de ma vie. C'est pendant mon adolescence. Pendant mon adolescence, j'avais des problèmes avec ma famille. C'était tellement normal. Et chez moi, je me disais, je ne suis pas chez moi, ce ne sont pas les miens. Maintenant, je ne pense plus du tout pareil. Je pense que ce sont les miens.

  • Speaker #0

    Vous écrivez toujours entre 4h et 8h du matin, en buvant du thé noir, dans votre cuisine ?

  • Speaker #1

    Sur un tabouret, parce qu'un tabouret de la cuisine, je n'ai pas de bureau.

  • Speaker #0

    Il faut que ce soit inconfortable et en plus comme vous avez mal à l'épaule, vraiment c'est une torture.

  • Speaker #1

    Il n'y a rien à faire. Mais vous savez, cette douleur à l'épaule, je suis en train de la prévoiser. Bon, elle est colossale, ne nous y trompons pas. Mais comme j'ai compris que je ne pouvais rien contre, je fais des exercices avec un gant de vaisselle. Vous avez du l'ordre. Ça empêche simplement que la douleur devienne insupportable. Mais moyennant quoi, je m'y fais.

  • Speaker #0

    J'aimerais vous demander quelque chose, mais je n'ose pas.

  • Speaker #1

    Allez-y.

  • Speaker #0

    que vous imitiez votre père chantant du No ?

  • Speaker #1

    Encore vous ! Bon, allez, c'est vraiment parce que c'est vous, parce que maintenant on me le demande tous les jours. Bon, alors, soyons clairs. Je vais imiter le No, mais c'est très biaisé. J'imite mon père, qui a été le premier non-japonais au monde à chanter professionnellement le No. J'imite mon père chantant le No.

  • Speaker #0

    D'accord. Il faut savoir quel est le costume. Il y a un costume spécial ?

  • Speaker #1

    C'est un costume d'une extrême sobriété. C'est une yukata noire, extrêmement raide, et le no implique une absence d'action profonde. Le no moyen dure 4 heures, 4 heures pour lesquelles il ne se passe, pour ainsi dire, rien. Ça doit être comme ça. L'attitude normale d'une personne qui voit un no pour la première fois consiste à être extrêmement inquiète, et l'attitude normale du public japonais assistant à un spectacle de no consiste à s'endormir.

  • Speaker #0

    Très bien.

  • Speaker #1

    Bon, dites-vous bien, là je suis Patrick Noton, chanteur de nous la nuit. Oui,

  • Speaker #0

    c'est ça. En fait, c'est bien quand c'est court. On apprécie vraiment. Merci beaucoup, Amélie. Tout de suite, un poème japonais qui est dans votre livre. Aux admirateurs de lune, un nuage parfois offre une pause.

  • Speaker #1

    Matsuo Bacho.

  • Speaker #0

    C'est de Bacho.

  • Speaker #1

    Le plus grand haïjin de tous les temps. C'est tellement beau et ça va tellement bien avec le moment où je veux montrer à Pep le mont Fuji. Et bien évidemment, le mont Fuji, qui pourtant est visible d'à peu près partout au Japon, ce jour-là a décidé de ne pas être visible parce qu'il est couvert de nuages. Et on le contourne de tous les moyens. Il y a toujours des nuages, on ne peut pas le voir. Et bon, je le vis comme un échec. Parce que pour Pep, c'est grave de ne pas voir le Montfougy. C'est sa seule occasion de le voir. Mais pour moi, le Montfougy est un vieux copain.

  • Speaker #0

    Vous avez raconté que vous l'avez gravé et descendu. Et que vous avez le record du monde de descente.

  • Speaker #1

    Descente du Montfougy. J'ai vécu tellement d'histoires avec le Montfougy. Et là, tout à coup, j'ai cet extase total, ce kencho total. parce que je me rappelle ce sublime haïku de Matsuo Bacho. Et ça veut dire que quand vous êtes venu très loin pour voir quelque chose, et que ce quelque chose est invisible parce que la météo ne nous permet pas.

  • Speaker #0

    Aux admirateurs de lune, un nuage parfois offre une pause. C'est sublime. Donc c'était une pause. Le mont Fuji est toujours là, on ne le voit pas, mais c'est encore plus beau de ne pas le voir.

  • Speaker #1

    C'est beau de ne pas le voir et je subis son emprise. encore plus fort du fait que je ne le vois pas. Et je me mets à me taper une extase de dingue.

  • Speaker #0

    Je rappelle l'impossible retour chez Albain Michel, c'est votre dernier roman. Et alors, il y a ce beau livre, également chez Albain, Le Japon éternel, où c'est un podcast. Donc, ça veut dire qu'il y a de l'espoir quand on fait un podcast. Il y a peut-être un jour un livre du podcast. C'est mon rêve.

  • Speaker #1

    Alors, l'explication est simple. J'avais fait ce podcast avec Laureline et Manieux. Mais les gens de moindre espèce n'ont aucun accès au podcast. Puisque, je le répète, je suis 100% énergique. Je ne sais même pas ce que c'est qu'un ordinateur. C'est là qu'Albin Michel, dans sa grande bonté, s'est soucié des gens comme moi. C'est affreux qu'une telle portion de la population soit privée de cet ouvrage inestimable.

  • Speaker #0

    Il y a énormément de photographies de jardins japonais.

  • Speaker #1

    24 euros,

  • Speaker #0

    c'est très beau livre. C'est une conversation, une longue conversation d'Amélie Nothomb sur le Japon. Et d'ailleurs, j'y ai appris quelque chose qui m'a un petit peu fâché. Oui, vous avez demandé la main de Naruhito, l'empereur actuel du Japon.

  • Speaker #1

    Si ça peut vous rassurer, c'est loin d'être le premier souverain auquel j'ai demandé la main. J'avais 19 ans quand j'ai demandé pour la première fois un souverain en mariage, c'était le roi du Bhoutan. Il n'a pas compris la question. L'empereur, le futur empereur du Japon, Naruhito, j'avais 22 ans, il n'a pas compris la question non plus. Je crois qu'il a fait semblant de ne pas comprendre.

  • Speaker #0

    Vous dites, je voulais absolument demander la main du descendant direct du soleil.

  • Speaker #1

    Tant qu'à demander la main de quelqu'un, je préfère demander la main du descendant direct du soleil plutôt que de vous.

  • Speaker #0

    C'est ça que je suis un petit peu vexé, parce que je me suis aperçu en lisant Mon Japon éternel, que je n'étais qu'un plan B, comme Bec Bédé.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas arrivée vierge au mariage, c'est ça qui vous dérange ? terrible, terrible patriarcat, mon Dieu, nous en sommes encore là.

  • Speaker #0

    Merci infiniment Amélie Nothomb de nouveau, et je constate que la deuxième coupe est terminée. Vive la République, vive la France et la Belgique.

Description

Dans ce premier épisode de Conversations chez Lapérouse, Frédéric Beigbeder reçoit Amélie Nothomb pour parler de son roman L'Impossible Retour, inspiré par le deuil de son père. Elle évoque son lien avec le Japon, son voyage nostalgique avec son amie Pep Béni, et la manière dont l'écriture l'aide à naviguer entre douleur et souvenirs. L'épisode est ponctué par des moments musicaux: Amélie qui chante en live du Nô japonais, mais aussi un extrait de La marche du monde d'Aldebert, où elle prête aussi sa voix.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    D'étranges événements ont lieu dans le manoir. Un doute s'instille chez les habitants, maître des lieux et personnel confondu. Une présence invisible semble rôder entre les murs de la vieille demarre. Avec ce troisième roman, Manchette et Niemiek se posent en maître de la narration. À l'ombre de Winnicott, un roman envoûtant.

  • Speaker #1

    Oh, mais quelle joie de vous retrouver ! Conversation chez la Pérouse avec Amélie Nothomb. Bonsoir. Son nouveau roman s'intitule L'Impossible Retour. Ça a failli être le cas de Conversation chez la Pérouse. Mais il n'y a pas de retour impossible. Cela devient une habitude, chaque année je reçois Amélie Nothomb pour inaugurer les conversations chez La Pérouse. Merci beaucoup mon épouse d'accepter, depuis 2022, d'être la première invitée.

  • Speaker #2

    cette émission je trinque à cela et à notre amour impossible et mes durables durable en fait le secret de l'amour éternel c'est de se voir exactement une fois par an oui est ce qu'on voyait dans quoi ça marche très bien ça marche très très bien merci

  • Speaker #1

    donc vous êtes ici pour parler de ce livre l'impossible retour chez albin michel qui est votre 32 ou 33e ligne en troisième livre cette habitude de publier Un roman tous les ans le 15 août, c'est une sorte de manie qui ne s'arrêtera jamais.

  • Speaker #2

    C'est plutôt vers le 22 août, mais à mon avis ça ne s'arrêtera jamais. Mais parce qu'il y a toujours de quoi. Rien ne m'y oblige, aucun contrat ne me tient. Mais j'ai plaisir à ce rythme et je crois que ce rythme m'équilibre. Le grand danger, je pense, si je ne publiais plus du tout, c'est que je perde totalement contact avec le réel et que je devienne complètement dingue. Publier un livre par an, c'est quand même...

  • Speaker #1

    Une sorte de repère.

  • Speaker #2

    C'est un repère et ça me... comment on dit ça de façon moderne ? Ça m'implique dans le réel.

  • Speaker #1

    Alors, je vous contredit immédiatement, d'entrée de jeu, vous ne risquez pas de devenir folle puisque vous l'êtes déjà.

  • Speaker #2

    Ça me rassure beaucoup.

  • Speaker #1

    Ça faisait donc 12 ans que vous n'aviez pas mis les pieds au Japon et vous y êtes retourné et c'est l'histoire de... Enfin, c'est ce que vous racontez dans ce livre. C'est l'histoire d'une femme... déracinée en quête de ses origines.

  • Speaker #2

    Oui. Le Japon et moi, c'est une longue histoire. C'est mon premier amour et c'est ma première identité. J'y ai passé les cinq premières années de ma vie et à l'époque, j'étais absolument persuadée d'être japonaise.

  • Speaker #1

    Et vous ressemblez à une japonaise d'ailleurs.

  • Speaker #2

    J'ai eu raison de vous épouser. Vous sentez tout de suite la geisha en moi. C'est vrai.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai. Particulièrement dans un boudoir chez la Pérouse, c'est important. Mais bon, alors, tout de même... C'est un livre extrêmement triste, vous en parlez partout avec beaucoup de gaieté, comme d'habitude, mais ce titre, L'impossible retour, dit tout de ce deuil et de l'impossibilité de retrouver ses origines et ses racines.

  • Speaker #2

    Vous l'avez tout à fait dit, le grand sujet de ce livre, c'est le deuil. Est-ce que c'est encore vraiment un livre sur le Japon ? J'y suis allée tant de fois, j'en ai tellement parlé dans mes livres. Mais ce énième retour au Japon... C'est le premier qui a lieu depuis la mort de mon père. Bon, alors ça fait 4 ans que mon père est mort, ça fait 4 ans que je ne parle que de ça. Mais c'est vraiment en retournant au Japon que je me suis aperçue à quel point il était mort. Comme le narrateur pour Troustien quand il retourne à Balbeck 2 ans après la mort de sa grand-mère, c'est vraiment à ce moment-là qu'il se rend compte que sa grand-mère est morte. C'est ça.

  • Speaker #1

    Les lieux de l'absence. C'est ça. Et je vais vous demander, chère épouse, de lire les derniers mots du livre, ce qui ne se fait jamais. On demande généralement à l'auteur de lire le début. Eh bien, moi, je voudrais que vous lisiez le dernier paragraphe, s'il vous plaît. Vous dites tout sur cette peine.

  • Speaker #2

    Plus le temps passe et plus j'ai l'impression que nous sommes nombreux dans la confrérie. Nous sommes appelés, je crois, à peupler de plus en plus le monde. Nous qui avons perdu un lieu aimé, à quelque titre que ce soit, et qui avons tenté de le retrouver pour découvrir l'impossibilité du retour.

  • Speaker #1

    Oui, alors c'est ce sujet, en fait, qui explique pourquoi vous n'aimez pas voyager. On vous a forcé à voyager pendant toute votre enfance, vous étiez fille de Patrick Nothomb, qui était un ambassadeur, qui a été ambassadeur dans beaucoup de pays différents. Et pour vous c'était un cauchemar. Vous dites dans le livre, tout départ est une aberration. Alors le retour est impossible et le départ est une aberration. Mais comment faire pour habiter la planète Terre ?

  • Speaker #2

    C'était extrêmement compliqué. Mais oui ! Moi j'ai le fantasme absolu, fantasme non réalisé, de trouver le terrier idéal. La cachette idéale, je ne l'ai pas encore trouvée. Là, il semblerait que je sois de plus en plus à Paris. Je commence à avoir quelques endroits dans cette ville. Mais je pense que je n'ai pas encore trouvé le lieu idéal.

  • Speaker #1

    Vous êtes le contraire de Sylvain Tesson. Parce que lui, il adore voyager, crapahuter, bourlinguer. Vous, alors là, le livre raconte à quel point c'est pénible pour vous, ne serait-ce que de réserver un hôtel ou prendre un avion.

  • Speaker #2

    Mais j'en suis totalement incapable. Il faut qu'on fasse ça à ma place. Bon, une fois que j'arrive sur place, je deviens opérationnelle. Mais ce qui est épouvantable dans les voyages, c'est le départ et le retour. Ça fait quand même beaucoup.

  • Speaker #1

    Et alors en plus, vous avez eu l'idée saugrenue d'emmener la pire emmerdeuse de la Terre avec vous.

  • Speaker #2

    Je me permets de nuancer votre propos. D'abord, c'est elle qui m'a invitée. Oui,

  • Speaker #1

    donc c'est pas votre faute.

  • Speaker #2

    C'est elle qui m'a invitée. Sans elle, pas de voyage. J'ajouterais que votre point de vue est un peu réducteur. On va dire que c'est une personne qui vous pousse dans vos derniers retranchements. Ce qui est très intéressant. De toute façon, dites-vous bien, même votre meilleur ami, même votre meilleure amie, vous ne la connaissez pas aussi longtemps que vous n'avez pas voyagé avec elle. C'est vrai.

  • Speaker #1

    Enfin là, cette photographe qui s'appelle Pep Béni, c'est ça ? Je ne sais pas si elle existe ou si c'est un personnage de roman.

  • Speaker #2

    Entre les deux.

  • Speaker #1

    Voilà. Elle a gagné deux billets pour le Japon en mai 2023. Et pendant 11 jours, vous la coltinez. Elle a des allergies. Elle veut changer de chambre à chaque hôtel. Elle se brouille avec tous les Japonais. Elle est très grossière. Par exemple, vous allez dans un musée. Au Japon, on n'a pas le droit de parler dans les musées. Elle n'arrête pas de faire des commentaires sur les œuvres d'art qu'elle voit. Franchement, vous avez mal choisi votre partenaire de voyage.

  • Speaker #2

    Mais il faut aussi se mettre à sa place. Le Japon, c'est un pays difficile. Elle est arrivée pour le découvrir, mais c'est une Française et c'est vrai que...

  • Speaker #1

    C'est un problème d'être Français.

  • Speaker #2

    C'est un problème d'être Français, première chose. Je tiens à le signaler, je ne suis pas Française et j'en mesure les avantages tous les jours.

  • Speaker #1

    Vous êtes belge, vous êtes japonais, nippo-belge.

  • Speaker #2

    Voilà. Et Pep découvre quand même cette civilisation dans laquelle on n'a pas le droit de parler au musée, ce qui, pour elle, qui est très émotive et difficile. Je veux dire, je comprends qu'elle puisse éprouver le désir de... de partager ses émotions. Et puis, elle, elle ne considère pas que c'est grossier de parler dans un musée. Je vous trouve un petit peu réducteur.

  • Speaker #1

    Non, non, mais c'est très beau que vous défendiez votre amie. La scène est très drôle dans le musée parce qu'il y a un guide très discret qui vient la voir alors qu'elle parle devant des tableaux. Il vient la voir avec un panneau sur lequel est écrit Ferme ta gueule en gros, en plus poli.

  • Speaker #2

    C'est ça. Mais donc, elle résout. Chuchoter, mais même le chuchotement bien sûr,

  • Speaker #1

    est inconcevable.

  • Speaker #2

    Vous savez au Japon la règle, mais personne ne transige avec la règle. La règle est absolue et tout le monde la respecte. Ça c'est une chose que les Français ont beaucoup de mal à comprendre.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça s'appelle une civilisation. Les scènes aussi où elle se dispute avec les patrons des hôtels.

  • Speaker #2

    C'est très drôle. Écoutez, c'est très drôle parce qu'elle comptait sur moi comme interprète. Or, en fait, elle insultait les aubergistes et moi je devais le traduire. Ah oui. Je suis incapable de traduire des choses pareilles. D'ailleurs, de tels mots n'existent pas en japonais. Donc je traduisais tout à fait autre chose.

  • Speaker #1

    Elle va voir le directeur de l'hôtel en disant qu'il y a des acariens dans la chambre, ce qui est un affront où normalement on doit tuer la personne ou se suicider.

  • Speaker #2

    C'est ça. Donc moi qui suis fille de diplomate, je me retrouve dans le rôle de mon père à devoir jouer le tampon diplomatique entre un aubergiste offusqué et une française absolument furieuse.

  • Speaker #1

    Alors pour les grands fans et lecteurs d'Amélie Nothomb, et il y en a beaucoup, on est de retour dans un cycle japonais. Vous aviez inauguré avec stupeur et tremblement Grand Prix du roman de l'Académie française en 1999, où vous racontiez votre expérience de dame pipi.

  • Speaker #2

    Vous savez que ça m'a beaucoup apporté d'être... d'être dame pipi pendant huit mois dans une très importante société japonaise.

  • Speaker #1

    Vous pensiez faire un stage où vous alliez apprendre la vie en entreprise et rapidement vous avez...

  • Speaker #2

    J'ai tellement déplu que je me suis retrouvée huit mois dame pipi. Ça m'a beaucoup appris et somme toute, j'ai quand même moins souffert en étant dame pipi qu'en étant à la comptabilité où je ne comprenais strictement rien.

  • Speaker #1

    Oui, au moins on rencontre du monde. On rencontre des gens. Oui, oui,

  • Speaker #2

    c'est ça. On fait des rencontres.

  • Speaker #1

    Il n'y a eu ensuite ni d'Ève ni d'Adam, également primé par le prix de Flore en 2007, où là, vous racontiez votre histoire d'amour avec un fiancé japonais.

  • Speaker #2

    C'est ça, avec un jeune japonais. Ma première belle histoire, quoi. Donc, je n'ai que des bons souvenirs. C'est extraordinaire d'avoir une histoire d'amour dont on n'a absolument que des beaux souvenirs. Et c'était avec un jeune Tokyo.

  • Speaker #1

    C'est formidable. Et est-ce que quand vous êtes retourné là en 2023 au Japon, vous avez fait signe à votre acte ? Non, pas du tout. Non,

  • Speaker #2

    il faut, une fois de temps en temps, il faut savoir tourner la page. Vous savez, Frédéric, que je vous suis d'une fidélité absolument.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Oui, c'était un piège. C'était une question de piège. Là, je mentionne également Biographie de la faim en 2004, où le Japon était présent. La Nostalgie heureuse en 2013. On est passé quand même de la Nostalgie heureuse à l'impossible retour.

  • Speaker #2

    Oui, je suis d'accord que d'un point de vue de joie de vivre, ce n'est pas vraiment un progrès. Non. Mais bon.

  • Speaker #1

    Je m'inquiète pour vous, Amélie.

  • Speaker #2

    L'explication est toute idiote, mais c'est la vie de tout le monde. Mon père est mort. Il faut beaucoup de temps pour se remettre de ça.

  • Speaker #1

    Mais c'est vraiment un livre. J'ai perdu mon père il y a un an. C'est aussi un très beau livre sur le deuil paternel, c'est vrai. Donc, Patrick Nothomb est mort en 2020. Oui. Et là encore, vous avez... Je n'en sais pas. Il vous a donné un autre prix littéral, le prix Renaudon en 2021, dans le livre où vous parliez de lui, qui est le premier sang. Oui. Vous cherchez... Votre père, c'est lui l'impossible retour. Je dis ça parce que votre nom de famille, c'est nos tombes. Oui. Donc peut-être que ça vient de là.

  • Speaker #2

    C'est vrai, cette absence de tombe contenue dans mon nom, cette négation du tombeau contenue dans mon nom. Ah,

  • Speaker #1

    vous voyez nos comme la négation. Ça peut être le pluriel. Nos tombes. Nous avons des tombes. Et vous allez visiter les tombes.

  • Speaker #2

    Vous savez que vous révolutionnez ma vie parce que vous n'avez jamais vu ça comme ça. J'ai toujours vu ça comme une négation du tombeau.

  • Speaker #1

    Ah oui, parce que vous êtes également anglophone. C'est pour ça.

  • Speaker #2

    C'est pour ça.

  • Speaker #1

    Pourtant, votre père, Patrick, n'était pas toujours gentil. Et il y a dans le livre une scène où vous vous engueulez avec lui. Et vous vous souvenez de ça quand vous êtes au Japon, où vous étiez disputés très gravement. Et il vous dit, toi, tu es comme moi, tu n'es rien.

  • Speaker #2

    C'est ça. J'avais 15 ans. Il en avait 30 de plus. Et je me souviens de ma... colère quand il m'a dit ça. La première chose que j'ai pensé c'est non non non je suis pas comme toi je suis pas comme toi puis après j'ai pensé mais pourquoi il dit ça ? Pourquoi il dit qu'il est rien ? C'est quoi cette histoire ?

  • Speaker #1

    Oui et ça c'est toute la partie la plus bouleversante et émouvante du livre c'est quand vous essayez de savoir si peut-être en vous disant tu n'es rien il vous a rendu écrivain.

  • Speaker #2

    Je pense qu'il a énormément contribué à me rendre écrivain par cette parole. C'était une parole qui avait l'air d'être une malédiction, mais qui en fait était une curieuse bénédiction, un curieux octroi de grâce.

  • Speaker #1

    Oui, vous avez envie au fond d'exister, de raconter cette vie, de parler de lui, de parler de tout ce que vous vivez, pour ne pas être rien. Oui, ou alors... Est-ce que vous y arrivez ?

  • Speaker #2

    Ou alors pour atteindre l'autre rive, à savoir le rien zen.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #2

    Selon la philosophie zen, qui est quand même la philosophie que le Japon a portée à son degré d'aristocratie, être rien, c'est le sommet de l'ambition.

  • Speaker #1

    Oui,

  • Speaker #2

    c'est vrai.

  • Speaker #1

    L'élégance.

  • Speaker #2

    Et c'est vrai que les moments où on a l'impression d'atteindre ce rien-là sont les moments où on est enfin totalement là, enfin totalement dans la vie. C'est ce que j'appelle le Kensho. C'est une extase totale.

  • Speaker #1

    Oui. Alors, dans le paysage littéraire national, vous occupez... aujourd'hui la place qui était peut-être celle de Jean d'Ormesson, la personne, oui, disons, cultivée, brillante, drôle, avec de l'esprit. Mais votre œuvre est davantage respectée que la sienne. Je veux dire que vous êtes étudiée dans les universités, vous êtes presque un classique aujourd'hui. Est-ce que ce n'est pas paralysant dans votre processus d'écriture de se dire, maintenant je suis une sorte de monument vivant ?

  • Speaker #2

    Pas du tout, parce que je n'ai pas du tout cette sensation.

  • Speaker #1

    Écoutez, vous avez signé chez Albain Michel hier. Il y avait des milliers de gens. Les gens se battent pour vous voir. Vous êtes une rockstar de la littérature.

  • Speaker #2

    Rockstar, d'accord. Mais monument, non.

  • Speaker #1

    C'est pas la même chose, vous avez raison. Il faut mourir pour être un monument.

  • Speaker #2

    Est-ce que vous savez, parce que vous ne le savez certainement pas, vu que vous êtes mon garçon.

  • Speaker #1

    Je ne suis rien non plus.

  • Speaker #2

    Je suis devenue une chanteuse de métal.

  • Speaker #1

    Ah oui, justement, j'ai la chanson. Elle est bien ? Si vous voulez, on met nos casques. Elle est super belle.

  • Speaker #2

    Je la connais, ma chanson.

  • Speaker #1

    Je veux que vous l'écoutiez avec moi.

  • Speaker #2

    Elle est super belle.

  • Speaker #1

    Oui, oui. Franchement. Donc, quand je disais rockstar, c'était effectivement calculé. C'est beau, hein ? Oui, c'est beau. C'est quelque chose qui est assez inattendu pour les gens qui vous connaissent peu, parce que ceux qui vous connaissent savent que vous êtes une fan de métal. Oui. Vous adorez le groupe Tool, je crois.

  • Speaker #2

    Alors, à mon enterrement, venez mon cher époux à mon enterrement, ce sera une très belle cérémonie gratuite.

  • Speaker #1

    Je serai triste.

  • Speaker #2

    Et il y aura du Tool. Et croyez-moi, un endroit public où on entend du Tool gratuitement, c'est pas fréquent.

  • Speaker #1

    Je signale que la police vient nous arrêter. On a un petit peu mis la musique trop fort, ça gêne les voisins. Non mais alors sérieusement, cette carrière de rockstar, de métal, va se concrétiser car vous allez faire l'Olympia.

  • Speaker #2

    Je fais l'Olympia, ça sera le 5 avril, c'est un samedi et je vais le faire deux fois en un jour. Donc 2025. 2025. Là je fais ma maligne mais... La veille du 5 avril, à mon avis, je serai vraiment dans mes petits...

  • Speaker #1

    C'est extraordinaire. J'ai eu la chance de faire, moi aussi, l'Olympia avec Bon Entendeur. Je faisais, comme vous, un récitatif sur le Rhin de l'Ornopso. Et donc, je me suis jeté dans le public qui m'a porté.

  • Speaker #2

    Vous croyez que vous pourriez essayer ?

  • Speaker #1

    Je pense que vous devriez. C'est une sensation qui vous plaira. Je vous connais bien. Je t'adore. porté par les mains de personnes inconnues en lévitation. C'est très japonais.

  • Speaker #2

    Je pense que c'est mon rêve. Je joue le robot méchant qui décourage les enfants. J'espère que j'aurai un costume de scène, un costume de robot.

  • Speaker #1

    Oui, vraiment. Notez bien cette date. Réservez vos places. 5 avril. Alors, vous n'écrivez jamais sur les sujets d'actualité. Non. Dans cette rentrée, il y a beaucoup de livres. Par exemple, il y a Kamel Daoud qui parle de la guerre civile algérienne. Vous avez Gaël Fay qui parle du Rwanda. Ce sont des romans importants. Et vous, c'est quelque chose que vous ne faites pas ou alors de façon détournée ?

  • Speaker #2

    De façon détournée. Ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas, c'est que je ne vois pas tellement bien. Quelle pierre je peux apporter à l'édifice ? Ce sont des problèmes qui me concernent autant que tout le monde, mais je ne vois pas la solution et je ne suis même pas sûre de les comprendre.

  • Speaker #1

    Oui, c'est assez intéressant. Je dirais que, par exemple, prenons un exemple. Dans ce livre-là, L'impossible retour, le seul moment où vous parlez de la bombe atomique, c'est pour dire qu'elle a épargné Kyoto. Donc, c'est vraiment quelques lignes, mais c'est une information que peut-être les gens ne connaissent pas, qui est assez incroyable. Il y avait un Américain, M. Stimson.

  • Speaker #2

    C'est ça, conseiller de...

  • Speaker #1

    lequel encore ? Truman.

  • Speaker #2

    Truman avait choisi Kyoto pour... comme première ville pour essayer la bombe atomique. Et ce conseiller de Truman lui a dit écoutez, je suis allée en voyage de noces avec ma femme là, c'est vraiment très beau, ce serait peut-être dommage de choisir cette ville, on va peut-être en choisir une moins belle. Et le deuxième choix a été Hiroshima qui en effet n'était pas du tout une ville extraordinaire.

  • Speaker #1

    Qui a été rasée intégralement. C'est vrai que c'est grâce à ce monsieur Stimson et à son voyage de noces que les temples que vous préférez au monde, les plus beaux temples japonais, ont été épargnés.

  • Speaker #2

    À cause de ça, tiens.

  • Speaker #1

    Oui. Et vous me conseillez d'aller visiter le pavillon d'or à Kyoto ? Ah oui.

  • Speaker #2

    D'abord, c'est un choc esthétique extraordinaire. Et on comprend tellement bien ce moine zen dont parle Mishima, qui, en haine de la beauté, décide... de mettre le feu au pavillon d'or. On ne peut pas voir une telle beauté et rester indifférent. On se dit, il faut faire quelque chose. Ça ne suffit pas d'admirer.

  • Speaker #1

    Mais vous pensez vraiment qu'il faut foutre le feu à tout ce qu'on croise de beau ?

  • Speaker #2

    Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Mais l'admiration doit être un acte violent. Ne serait-ce que vis-à-vis de soi-même. Ce qui est insupportable, c'est les gens qui voient quelque chose de sublime et qui, après tout, sont la même personne après, n'en sont pas profondément modifiées.

  • Speaker #1

    Par exemple, votre amie, complètement tarée,

  • Speaker #2

    qui est très terrible,

  • Speaker #1

    mais c'est plaisant. Le personnage est génial. Elle va avec vous au pavillon d'or, pour vous le plus beau temple jamais construit. Comment réagit-elle ? Elle s'en va et demande une bière.

  • Speaker #2

    Non, vous allez beaucoup trop vite en besoin. Elle se rappelle le livre parce que le pavillon d'or, c'est un peu une bible pour elle, comme pour moi, un brévière. Et elle dit, j'ai envie d'y foutre le feu. La bière vient bien sûr plus tard. Bon, on a un point commun, elle et moi, c'est qu'on a une bonne descente, mais c'est très bien ça.

  • Speaker #1

    Alors là, c'est un roman fortement alcoolisé. Il y a de la bière, il y a du whisky, mais il n'y a pas de champagne.

  • Speaker #2

    Alors ça, c'est ahurissant. Qu'est-ce qui se passe ? J'ai honte, si vous saviez. J'ai donc passé 11 jours au Japon. non seulement sans boire du champagne, mais même sans y penser.

  • Speaker #1

    Sans y penser ?

  • Speaker #2

    Voilà, et c'est là que je me suis rendu compte que mon amour pourtant déraisonnable pour le champagne était peut-être aussi de l'ordre de l'adaptation. Le milieu diplomatique est un milieu où le champagne c'est l'eau, et peut-être que mon amour déraisonnable pour le champagne était une suprême adaptation à tout cela. Et là que j'étais finalement dans un milieu très différent du mien, dans un pays que j'aime plus que tout, Et finalement, le whisky m'allait très bien.

  • Speaker #1

    Ça prouve que vous n'êtes pas addict au champagne. Vous n'êtes pas drogué au champagne.

  • Speaker #2

    C'est ça. Donc, j'aime le champagne d'un amour absolu, mais je suis capable de voir autre chose. Ça me fait honte de le dire, mais c'est quand même vrai. Cela dit, il est bon ce champagne. Et moi, je vais finir ma coupe bien avant la vôtre.

  • Speaker #1

    Oui, mais je vous donne la mienne.

  • Speaker #2

    Je n'en attendais pas moins de vous.

  • Speaker #1

    Non, mais c'est normal entre époux.

  • Speaker #2

    Il a pu faire croire que vous avez déjà bu la vôtre.

  • Speaker #1

    Vous emmenez dans ce voyage à rebours de Huysmans et il y a dans ce livre une scène où des esseintes fantasment sur un voyage en Angleterre. C'est génial. C'est assez marrant parce que vous, vous êtes vraiment en voyage et vous emportez quoi ? Le livre d'un ermite reclus qui déteste sortir de chez lui.

  • Speaker #2

    Un livre qu'on a beaucoup surnommé l'anti-voyage. C'est tellement génial à rebours. Qu'est-ce que j'ai eu raison de... Il faut bien choisir ces lieux de relecture des chefs-d'œuvre. Et relire à rebours à Tokyo en 2023, c'était une idée géniale.

  • Speaker #1

    Et vous dites d'ailleurs, bien plus que lire, relire est un acte d'amour. Est-ce que, passé un certain âge, on ne lit plus, on ne fait plus que relire ?

  • Speaker #2

    Je lis encore, mais je suis une putain de relectrice. Là, je viens de finir ma quatrième relecture de La Recherche du Temps Perdu. Et vous savez qu'il a fallu... Cette quatrième relecture pour que je comprenne enfin. Il y avait tellement de choses qui m'avaient échappé. C'est tellement bien.

  • Speaker #1

    Il faudrait peut-être que je le relise une troisième fois. Mythomanie totale.

  • Speaker #0

    Vous inventez le concept très intéressant de nostalgie préventive, qui consiste à regretter à l'avance quelque chose, plutôt que de le regretter après, le regrette par avance.

  • Speaker #1

    Ça n'empêche pas aussi la bonne vieille nostalgie rétrospective, mais c'est vrai que chez moi la nostalgie est quelque chose de tellement tentaculaire que j'ai inventé la nostalgie préventive. Par exemple, je savais... depuis quelques jours que j'allais vous voir aujourd'hui. Vous, mon époux, que je ne vois qu'une fois par an. Donc j'étais déjà depuis trois jours en état de nostalgie préventive parce que je savais que ce rendez-vous, qui durerait quoi, trois quarts d'heure, serait trop bref et qu'après, il me faudrait une année pour me ressouvenir de ces moments si tendres où je piquais votre champagne.

  • Speaker #0

    Donc ça veut dire que vous chialez depuis trois jours en pensant à ce rendez-vous. Absolument. Ça me touche beaucoup.

  • Speaker #1

    C'est une manière de m'adapter à... Mon tempérament résolument décadent.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous regrettez...

  • Speaker #1

    Est-ce que le champagne est différent du mien ?

  • Speaker #0

    Non, c'est le même, c'est le même. Je n'ai pas le droit de dire la marque, mais... C'est le même champomy, champomy. C'est du champomy, il n'y a pas d'alcool. Est-ce que vous regrettez déjà notre conversation avant qu'elle ne se termine ?

  • Speaker #1

    Mais je vous assure que, même si ça a l'air complètement taré, c'est une excellente manière de jouer en du présent. Oui. Il y a tellement de nostalgie rétrospective... retrospective avant et tellement de nostalgie retrospective après que là le moment présent était un moment incroyable il n'y a aucune tristesse je le vis à fond,

  • Speaker #0

    c'est fantastique il y a une autre phrase que j'ai adorée dans l'impossible retour c'est je suis bombardé d'émotions sans domicile fixe c'est pour ce genre de formule qu'on aime vos livres c'est rare vous savez parce que je me tape pas mal de livres Pour le Pindarro Magazine.

  • Speaker #1

    Je sais de quoi vous parlez, je suis jurée au prix des sangs. Donc je me tape pas mal de trucs non plus. Oui.

  • Speaker #0

    Et alors, dans ce livre, vous pleurez beaucoup, pour un oui ou pour un non.

  • Speaker #1

    J'ai eu des larmes.

  • Speaker #0

    Mais ce n'était pas présent dans vos livres précédents. Peut-être c'est effectivement le fait que ce soit le deuil paternel. Vous êtes très vulnérable dans ce voyage. Oui, c'est vrai. En regardant la beauté, mais aussi, je ne sais pas...

  • Speaker #1

    Dans mon ticket. Oui,

  • Speaker #0

    vous perdez votre ticket. Oui.

  • Speaker #1

    Je pleure toutes les larmes de mon corps.

  • Speaker #0

    Les contrôleurs ne savent plus quoi vous dire pour vous consoler d'avoir resquillé.

  • Speaker #1

    Oui, et finalement, je le retrouve.

  • Speaker #0

    Vous pleurez de joie à nouveau.

  • Speaker #1

    Oui, mais bon, c'est vrai. Je crois que je suis quelqu'un qui a le don des larmes.

  • Speaker #0

    Au fond, vous dites page 154, je suis une revenante. Mais je pense que vous êtes une migrante. Oui. Ce que vous traitez comme sujet, c'est tout simplement l'exil.

  • Speaker #1

    C'est tout à fait vrai. j'ai mis tellement d'années à me trouver une identité nationale alors le résultat est tellement bancal je suis une japonaise ratée ce qui est peut-être une manière d'être une belge réussie ce qui ne veut pas dire grand chose je me souviendrai toujours avec hilarité c'était un article de journal dans le principal quotidien belge il y a une dizaine d'années il était question d'un crime Et la police disait on a repéré sur les lieux de crime un individu de type belge. C'est formidable. Personne ne comprend ce que ça veut dire un individu de type belge. Je pense que finalement je suis un individu de type belge.

  • Speaker #0

    Ça me fait penser à des proches qui disaient toujours française, français,

  • Speaker #1

    belge, belge.

  • Speaker #0

    Vous avez vécu donc au Japon, en Chine, à New York, au Bangladesh. J'oublie des pays ?

  • Speaker #1

    La Birmanie, le Laos. Ah oui. Voilà.

  • Speaker #0

    Alors, Christine Angot, elle a écrit un livre qui s'appelait Pourquoi le Brésil ? Je vous pose la question, pourquoi pas New York ? Vous n'avez jamais écrit sur New York ?

  • Speaker #1

    Si, dans Biographie de la fin j'ai pas mal parlé de New York. J'ai été effroyablement heureuse à New York.

  • Speaker #0

    Alors,

  • Speaker #1

    en même temps... Oui, mais dans Biographie de la fin je le dis, oui.

  • Speaker #0

    C'est vrai, oui, c'est vrai. Alors, pardon, j'avais oublié.

  • Speaker #1

    Mais j'ai complètement raté mon retour à New York. Je suis retournée pour des raisons éditoriales, c'était plus du tout pareil.

  • Speaker #0

    Vous répondez toujours à toutes les lettres des lecteurs ?

  • Speaker #1

    Neuf lettres sur dix, ce qui fait beaucoup.

  • Speaker #0

    Ça vous prend combien ?

  • Speaker #1

    5 heures par jour.

  • Speaker #0

    5 heures par jour.

  • Speaker #1

    C'est la raison pour laquelle mon épaule droite est complètement démolie.

  • Speaker #0

    Oui, et donc vous allez bientôt devoir dicter vos livres.

  • Speaker #1

    Non, parce que, en fait, je me suis accoutumée à cette sensation. C'est vrai que chaque fois que j'écris, et j'écris 9 heures par jour, finalement, à la main, puisque je ne maîtrise aucune autre technologie. C'est vrai que mon épaule déguste, mais en fait, je m'y suis habituée.

  • Speaker #0

    C'est peut-être comme ça, la douleur se transforme en art.

  • Speaker #1

    Voilà, et puis... J'essaye de me dire, je parle assez de douleur, je dis en fait tu as une sensation, pourquoi tu crois que tu as de la douleur ? Tu as peut-être juste une sensation ?

  • Speaker #0

    Vous dites aussi dans l'impossible retour, c'est assez émouvant, que vous avez toujours 4 ans.

  • Speaker #1

    J'étais alcoolique à 4 ans. Oui,

  • Speaker #0

    donc il faut expliquer cette addiction au champagne, qui n'en est pas une finalement.

  • Speaker #1

    J'avais 3 ans et j'ai découvert le champagne et ça a été le coup de foudre.

  • Speaker #0

    Vous finissiez les coupes de champagne dans les cocktails de votre père.

  • Speaker #1

    Mes parents recevaient 1000 personnes par mois. Mon père était vraiment diplomate jusqu'au bout des ongles. Je n'étais pas invitée à ces réceptions, mais je n'en étais pas exclue non plus. C'est là que j'ai pris l'habitude de passer à quatre pattes dans les réceptions et d'attraper tous les demi-vers qui traînaient, demi-vers de champagne, faut-il le dire, et de les vider tous. Et j'ai tout de suite adoré cette boisson.

  • Speaker #0

    Vous étiez donc alcoolique à trois ans et demi.

  • Speaker #1

    Mais ça se passait très bien. Le contrat avec mes parents était très simple. C'était du moment que tu as des bons résultats à l'école, tu fais tout ce que tu veux. Je m'appliquais à être la première de la classe, ce qui me donnait le droit de faire absolument ce que je voulais.

  • Speaker #0

    La construction des derniers livres d'Amélie Nothomb est systématique. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais comme je suis un très grand lecteur, il y a en général une première partie légère, où vous utilisez un prétexte, bon là c'est le voyage au Japon, ça commence dans une sorte de futilité, comme ça le lecteur est attrapé. La deuxième partie, on bascule vers l'émotion. Et la troisième partie, il y a, alors là pour le coup, un envol, un envol vers la métaphysique, la profondeur. C'était le cas dans Psychopompe, c'était le cas dans Premier Sang. C'est-à-dire que c'est comme si maintenant, systématiquement, vous alliez de la légèreté vers la gravité. Vous le remarquez ? Pas du tout. C'est pas conscient ?

  • Speaker #1

    Mais je crois que vous avez raison, mais je ne le fais pas exprès.

  • Speaker #0

    Parce qu'on a l'impression que vous n'osez pas être... tout de suite grave dès le début. Et ça, c'est une forme de courtoisie. C'est une forme de diplomatie.

  • Speaker #1

    La gravité, franchement, on en est déjà tous tellement pétris. Je ne le fais pas exprès.

  • Speaker #0

    C'est intéressant. La police, là encore, voudrait intervenir. Est-ce que vous vous souvenez de la dernière chose qu'on s'est dite dans notre précédente conversation chez La Pérouse ?

  • Speaker #1

    Je pensais qu'il y avait 37... degré, on avait très chaud. J'allais à une dédicace déjà. On n'avait pas osé boire du champagne tellement il faisait chaud. On avait l'impression qu'on allait tiédir.

  • Speaker #0

    On était sobres.

  • Speaker #1

    On était dans un état de grande souffrance à cause de cette absence de champagne. Qu'est-ce que je vous avais dit ?

  • Speaker #0

    Ça s'est terminé par moi qui vous dis Je vous aime Amélie et vous qui répondez Je vous aime Frédéric

  • Speaker #1

    C'est sublime.

  • Speaker #0

    Oui, c'était sublime. Et les auditeurs peuvent vérifier en cliquant sur la précédente conversation de 2023. Ça se terminait par là. Alors je voulais vous dire, non seulement que je vous aime, mais ne cessez jamais d'avoir 4 ans, Amélie.

  • Speaker #1

    Mais j'en suis tout à fait incapable si vous le saviez.

  • Speaker #0

    Parce que, ainsi, si vous avez toujours 4 ans, vous ne vieillirez pas et vous ne mourrez jamais.

  • Speaker #1

    C'est beau ce que vous dites. Merci Frédéric, j'ai eu raison de vous épouser.

  • Speaker #0

    Nous passons maintenant au jeu, le célèbre jeu de conversation chez la Pérouse. Vous êtes venus souvent, vous connaissez les règles, mais je vous les rappelle, devine tes citations, je vous lis des phrases de vous. Vous devez me dire dans lequel de vos livres vous avez écrit ceci. Sa splendeur est une provocation. Se contenter de le contempler humilie. On veut participer et comme on ne le peut pas, on détruit.

  • Speaker #1

    L'impossible retour.

  • Speaker #0

    Voilà, c'est dans l'impossible retour. Effectivement, cette scène devant le pavillon d'or, qui a été un roman de Mishima, on en a déjà parlé. Ça me fait penser à Rimbaud, vous savez, quand il rencontre la beauté, il dit je l'ai assise sur mes genoux et je l'ai invité Voilà. Est-ce que vous retournerez au Japon ou c'est vraiment la dernière fois ?

  • Speaker #1

    Non, non, je dois retourner au Japon. Je ne peux pas imaginer de vivre sans penser que je vais y retourner. Et mon fantasme absolu, quand je serai une très vieille dame, c'est d'y retourner définitivement.

  • Speaker #0

    Ah, tu dis mourir.

  • Speaker #1

    Mourir au Japon, je trouve que ce serait le sommet de la classe.

  • Speaker #0

    Autre phrase. Le sommet du raffinement, c'est de vendre des millions d'exemplaires et de ne pas être lu.

  • Speaker #1

    Hygiène de l'assassin.

  • Speaker #0

    Oui, c'est votre premier roman. Et c'était ce que disait le narrateur qui est un écrivain très aigri, c'était en 1992.

  • Speaker #1

    Ça ne me rajeunit pas. Et oui,

  • Speaker #0

    c'était il y a 32 ans.

  • Speaker #1

    Vous vous rendez compte ?

  • Speaker #0

    Est-ce que ce but a été atteint ? C'est-à-dire vendre des millions d'exemplaires et ne pas être lu ?

  • Speaker #1

    Alors, les millions d'exemplaires sans aucun doute. Mais pas être lu, je ne sais pas, je vous laisse juger.

  • Speaker #0

    J'ai l'impression que les acheteurs de vos livres les lisent assez souvent jusqu'au bout. Notamment parce qu'ils sont courts.

  • Speaker #1

    Je pense que c'est pour ça.

  • Speaker #0

    Non, non, non, pas seulement pour ça. Est-ce que vous pensez avoir changé en 32 ans par rapport à la romancière d'Hygiene de l'Assassin ?

  • Speaker #1

    C'est terrible à dire, mais oui.

  • Speaker #0

    Je ne parle pas physiquement, parce que physiquement pas tellement.

  • Speaker #1

    Vous êtes très humain. Non, c'est vrai. Je pense que j'ai changé, je suis devenue quelqu'un de beaucoup plus gentil.

  • Speaker #0

    Ah bon vous étiez...

  • Speaker #1

    Ça ne se voyait pas mais j'étais d'une noirceur, d'un pessimisme, d'une misanthropie inimaginable.

  • Speaker #0

    Dieu merci on n'était pas mariés à l'époque.

  • Speaker #1

    Voilà et puis finalement le succès, le champagne, tout ça a fait de moi quelqu'un d'assez bon.

  • Speaker #0

    Oui, vous êtes affable. Je suis affable. Voilà, fréquentable. Voilà. Mais oui c'était un livre extrêmement noir et finalement aussi il n'y a pas de ça qui a changé. Vous vous êtes adoucie au fil des années.

  • Speaker #1

    Je suis devenue une... très brave fille.

  • Speaker #0

    Dans Hygiène de l'Assassin, jamais vous n'auriez fait l'éloge de la beauté ?

  • Speaker #1

    Jamais. Hygiène de l'Assassin est un livre d'une noirceur et d'une toxicité sans borne. Je me souviens très bien sur quel point de vue je l'ai écrit. Je me souviens de ce que c'était mes pensées profondes de l'époque. J'étais...

  • Speaker #0

    J'allais très mal, en fait.

  • Speaker #1

    J'allais super mal.

  • Speaker #0

    J'allais beaucoup mieux maintenant. Peut-être qu'on prend confiance en soi avec un tel succès aussi massif et aussi durable.

  • Speaker #1

    Mais je crois qu'au-delà de ça, c'est que j'ai rencontré de belles personnes. Je n'avais pas encore rencontré beaucoup de belles personnes à l'époque. Et ça m'a fait boum. Je vous ai rencontré Frédéric, vous êtes quand même mon mari. Ça fait du bien des choses pareilles.

  • Speaker #0

    Mais vous vous souvenez de pourquoi nous sommes mariés en 2009 ?

  • Speaker #1

    Rappelez-moi pourquoi on s'est mariés.

  • Speaker #0

    Le double vomi.

  • Speaker #1

    Ah c'était pour ça. C'est une très belle raison. On a vomi en même temps, on était allés ensemble... A la Closerie.

  • Speaker #0

    Au prix de la Closerie.

  • Speaker #1

    Et là, vous m'avez fait boire, ce qui n'était pas mon habitude, énormément de vodka. Ah,

  • Speaker #0

    de vodka, oui, d'accord.

  • Speaker #1

    Je l'ai fait boire, ça c'est mon habitude. Mais autant de vodka, ce n'était pas mon habitude. Après, beaucoup de champagne, faut-il le dire. Et après, on a partagé un taxi et dans une magnifique unité, chacun, on était à la fenêtre, à notre fenêtre et on vomissait ensemble.

  • Speaker #0

    Oui, ça nous a rapprochés.

  • Speaker #1

    Ça nous a rapprochés et depuis, nous formons un couple. Très unique, ils ont à peu près une fois par an et c'est très profond.

  • Speaker #0

    On continue le jeu. Donc, une phrase de vous. Où avez-vous écrit ceci ? À part chez elle, elle ne se sentait plus jamais exclue.

  • Speaker #1

    Le livre des soeurs ? Eh oui,

  • Speaker #0

    2022, mais c'est incroyable. Vous n'avez jamais perdu à ce jeu en trois sessions. Alors, cette phrase, à part chez elle, elle ne se sentait plus jamais exclue, c'est tout de même en contradiction avec votre haine des voyages. Vous êtes exclue. Chez vous ?

  • Speaker #1

    C'est une autre époque de ma vie. C'est une autre époque de ma vie. C'est pendant mon adolescence. Pendant mon adolescence, j'avais des problèmes avec ma famille. C'était tellement normal. Et chez moi, je me disais, je ne suis pas chez moi, ce ne sont pas les miens. Maintenant, je ne pense plus du tout pareil. Je pense que ce sont les miens.

  • Speaker #0

    Vous écrivez toujours entre 4h et 8h du matin, en buvant du thé noir, dans votre cuisine ?

  • Speaker #1

    Sur un tabouret, parce qu'un tabouret de la cuisine, je n'ai pas de bureau.

  • Speaker #0

    Il faut que ce soit inconfortable et en plus comme vous avez mal à l'épaule, vraiment c'est une torture.

  • Speaker #1

    Il n'y a rien à faire. Mais vous savez, cette douleur à l'épaule, je suis en train de la prévoiser. Bon, elle est colossale, ne nous y trompons pas. Mais comme j'ai compris que je ne pouvais rien contre, je fais des exercices avec un gant de vaisselle. Vous avez du l'ordre. Ça empêche simplement que la douleur devienne insupportable. Mais moyennant quoi, je m'y fais.

  • Speaker #0

    J'aimerais vous demander quelque chose, mais je n'ose pas.

  • Speaker #1

    Allez-y.

  • Speaker #0

    que vous imitiez votre père chantant du No ?

  • Speaker #1

    Encore vous ! Bon, allez, c'est vraiment parce que c'est vous, parce que maintenant on me le demande tous les jours. Bon, alors, soyons clairs. Je vais imiter le No, mais c'est très biaisé. J'imite mon père, qui a été le premier non-japonais au monde à chanter professionnellement le No. J'imite mon père chantant le No.

  • Speaker #0

    D'accord. Il faut savoir quel est le costume. Il y a un costume spécial ?

  • Speaker #1

    C'est un costume d'une extrême sobriété. C'est une yukata noire, extrêmement raide, et le no implique une absence d'action profonde. Le no moyen dure 4 heures, 4 heures pour lesquelles il ne se passe, pour ainsi dire, rien. Ça doit être comme ça. L'attitude normale d'une personne qui voit un no pour la première fois consiste à être extrêmement inquiète, et l'attitude normale du public japonais assistant à un spectacle de no consiste à s'endormir.

  • Speaker #0

    Très bien.

  • Speaker #1

    Bon, dites-vous bien, là je suis Patrick Noton, chanteur de nous la nuit. Oui,

  • Speaker #0

    c'est ça. En fait, c'est bien quand c'est court. On apprécie vraiment. Merci beaucoup, Amélie. Tout de suite, un poème japonais qui est dans votre livre. Aux admirateurs de lune, un nuage parfois offre une pause.

  • Speaker #1

    Matsuo Bacho.

  • Speaker #0

    C'est de Bacho.

  • Speaker #1

    Le plus grand haïjin de tous les temps. C'est tellement beau et ça va tellement bien avec le moment où je veux montrer à Pep le mont Fuji. Et bien évidemment, le mont Fuji, qui pourtant est visible d'à peu près partout au Japon, ce jour-là a décidé de ne pas être visible parce qu'il est couvert de nuages. Et on le contourne de tous les moyens. Il y a toujours des nuages, on ne peut pas le voir. Et bon, je le vis comme un échec. Parce que pour Pep, c'est grave de ne pas voir le Montfougy. C'est sa seule occasion de le voir. Mais pour moi, le Montfougy est un vieux copain.

  • Speaker #0

    Vous avez raconté que vous l'avez gravé et descendu. Et que vous avez le record du monde de descente.

  • Speaker #1

    Descente du Montfougy. J'ai vécu tellement d'histoires avec le Montfougy. Et là, tout à coup, j'ai cet extase total, ce kencho total. parce que je me rappelle ce sublime haïku de Matsuo Bacho. Et ça veut dire que quand vous êtes venu très loin pour voir quelque chose, et que ce quelque chose est invisible parce que la météo ne nous permet pas.

  • Speaker #0

    Aux admirateurs de lune, un nuage parfois offre une pause. C'est sublime. Donc c'était une pause. Le mont Fuji est toujours là, on ne le voit pas, mais c'est encore plus beau de ne pas le voir.

  • Speaker #1

    C'est beau de ne pas le voir et je subis son emprise. encore plus fort du fait que je ne le vois pas. Et je me mets à me taper une extase de dingue.

  • Speaker #0

    Je rappelle l'impossible retour chez Albain Michel, c'est votre dernier roman. Et alors, il y a ce beau livre, également chez Albain, Le Japon éternel, où c'est un podcast. Donc, ça veut dire qu'il y a de l'espoir quand on fait un podcast. Il y a peut-être un jour un livre du podcast. C'est mon rêve.

  • Speaker #1

    Alors, l'explication est simple. J'avais fait ce podcast avec Laureline et Manieux. Mais les gens de moindre espèce n'ont aucun accès au podcast. Puisque, je le répète, je suis 100% énergique. Je ne sais même pas ce que c'est qu'un ordinateur. C'est là qu'Albin Michel, dans sa grande bonté, s'est soucié des gens comme moi. C'est affreux qu'une telle portion de la population soit privée de cet ouvrage inestimable.

  • Speaker #0

    Il y a énormément de photographies de jardins japonais.

  • Speaker #1

    24 euros,

  • Speaker #0

    c'est très beau livre. C'est une conversation, une longue conversation d'Amélie Nothomb sur le Japon. Et d'ailleurs, j'y ai appris quelque chose qui m'a un petit peu fâché. Oui, vous avez demandé la main de Naruhito, l'empereur actuel du Japon.

  • Speaker #1

    Si ça peut vous rassurer, c'est loin d'être le premier souverain auquel j'ai demandé la main. J'avais 19 ans quand j'ai demandé pour la première fois un souverain en mariage, c'était le roi du Bhoutan. Il n'a pas compris la question. L'empereur, le futur empereur du Japon, Naruhito, j'avais 22 ans, il n'a pas compris la question non plus. Je crois qu'il a fait semblant de ne pas comprendre.

  • Speaker #0

    Vous dites, je voulais absolument demander la main du descendant direct du soleil.

  • Speaker #1

    Tant qu'à demander la main de quelqu'un, je préfère demander la main du descendant direct du soleil plutôt que de vous.

  • Speaker #0

    C'est ça que je suis un petit peu vexé, parce que je me suis aperçu en lisant Mon Japon éternel, que je n'étais qu'un plan B, comme Bec Bédé.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas arrivée vierge au mariage, c'est ça qui vous dérange ? terrible, terrible patriarcat, mon Dieu, nous en sommes encore là.

  • Speaker #0

    Merci infiniment Amélie Nothomb de nouveau, et je constate que la deuxième coupe est terminée. Vive la République, vive la France et la Belgique.

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