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JEAN-PAUL ENTHOVEN : "J'ÉCRIS MIEUX DEPUIS MA MORT." cover
JEAN-PAUL ENTHOVEN : "J'ÉCRIS MIEUX DEPUIS MA MORT." cover
Conversations chez Lapérouse

JEAN-PAUL ENTHOVEN : "J'ÉCRIS MIEUX DEPUIS MA MORT."

JEAN-PAUL ENTHOVEN : "J'ÉCRIS MIEUX DEPUIS MA MORT."

46min |13/06/2025
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46min |13/06/2025
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Description

Un festival d'esprit, pétillant et joyeux, voilà ce que j'écrirais en commentaire si j'étais vous.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir public, je suis très heureux de recevoir ce soir Jean-Paul Antoven pour son nouveau livre

  • Speaker #1

    Je me retournerai souvent.

  • Speaker #0

    Qui est publié aux éditions...

  • Speaker #1

    Grasset, comme d'habitude.

  • Speaker #0

    Merci infiniment, c'est votre meilleur livre. Je vous le dis, les yeux dans les yeux, c'est votre meilleur livre. Et en même temps, je vais commencer par un compliment qui est aussi une vacherie. Pourquoi êtes-vous si brillant dans les essais et un peu plus que dans les romans ?

  • Speaker #1

    Parce que vous n'avez pas vraiment lu mes romans, je suppose. Je sais que tout le monde dit ce que vous dites là, mais ça me semble injuste, très franchement. Je trouve ça pas mal, les romans que j'écris. C'est curieux, je ne serais pas vaniteux sur les essais. Et puis, que voulez-vous ? J'ai tellement envie d'être un bon romancier que je n'y parviens pas.

  • Speaker #0

    Vous n'êtes pas sûr, peut-être que ça viendra. mais en tout cas là, ce livre là qui est sous-titré Reconnaissance de dette, tranche de vie et autres fantaisies, c'est une plume libre, libérée peut-être, et érudite, légère et optimiste.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, tout ce que je suis d'ailleurs. Mais pour un essai, l'intelligence est indispensable. Pour les romans, c'est inutile.

  • Speaker #0

    C'est un défaut.

  • Speaker #1

    C'est presque un défaut. et je n'arrive pas à À me défaire non pas d'intelligence, ce serait prétentieux, mais je n'arrive pas à me défaire d'une démarche conceptuelle, analytique, qui n'a pas sa place dans un roman. Les grands romanciers sont souvent des brutes.

  • Speaker #0

    Oui, et puis vous n'avez peut-être pas envie d'avoir un cadre romanesque qui vous enferme. Vous avez besoin de respiration, de slammerie,

  • Speaker #1

    de fragments.

  • Speaker #0

    Oui, vous aimez les bribes. Oui, pourquoi ?

  • Speaker #1

    Parce que ce qui est lourd dans les romans et qui corsette l'écriture, c'est les liaisons, les chevilles, les explications. Et puis...

  • Speaker #0

    Les personnages.

  • Speaker #1

    Les personnages. Je n'aime pas les romanciers qui disent mon personnage m'a échappé. Personne ne m'échappe. Je contrôle tout.

  • Speaker #0

    Peut-être justement vous êtes trop control free pour être vraiment romancier. Mais oui,

  • Speaker #1

    il faut le citer.

  • Speaker #0

    Mais vous y arriverez sûrement. Laissez un personnage s'envoler, vous désobéir.

  • Speaker #1

    Eh bien, ce n'est pas encore le cas. Je préfère contrôler. mais mes imaginations plutôt que celles de mes personnages.

  • Speaker #0

    Je suis très désagréable de commencer par une vacherie, alors que j'ai adoré ce livre. Je pense qu'il pourrait s'intituler Les enfants de Saturne 2, Le retour. Mais cette fois, il n'est plus déprimé. Cette fois, Jean-Paul Lantauvène parle des gens qu'il admire et qu'il a rencontrés.

  • Speaker #1

    Si vous me permettez, dans Les enfants de Saturne 1, je parlais des écrivains, mais je n'étais pas dans le paysage. Là, je parle de ces écrivains pour parler de moi. Je suis dans chaque épisode. Tous les écrivains que je mentionne ont eu affaire à moi. Exactement. J'ai eu affaire à eux. Et donc, j'ai voulu faire un autoportrait à travers, non pas des autres grands écrivains, mais un autoportrait à travers des circonstances.

  • Speaker #0

    Oui. Cela dit, Les Enfants de Saturne était aussi peut-être une manière d'autoprofiter. Oui,

  • Speaker #1

    mais j'ai fréquenté peu Le Prince de Ligne et Chanfort.

  • Speaker #0

    Je raconte. Pour les gens qui n'auraient pas lu Les Enfants de Saturne 1, c'était en 1996. C'était votre premier livre. Vous étiez alors un grand critique littéraire et éditeur et vous n'aviez jamais publié. Et ce livre a été salué. c'était une suite de portraits de Hemingway, de Fitzgerald, de Benjamin Constant. Le Prince de Ligne, Stendhal, Chanfort. Et cette fois-ci, c'est une autre galerie de portraits, mais là où il y a des gens que vous avez véritablement croisés, qui sont Borges, Kundera, Solers, Françoise Sagan, Cioran, Georges Pérec dans un ascenseur, Roland Barthes. Il y a quand même quelques morts, puisqu'il y a Guillaume Apollinaire, il y a Diderot, Jacques Rigaud. mais il n'y a que des morts si vous me permettez oui oui ils sont morts mais vous les avez connus oui voilà ça oui il n'y a que deux vivants une femme

  • Speaker #1

    et un ami.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que c'était que l'ambition de départ ? C'est-à-dire de dire, j'ai croisé toutes ces personnes ?

  • Speaker #1

    Comme le sous-titre le dit, c'était reconnaissance de dette. Et je pense que ce que je suis, je le dois sur le mode de l'amour, de l'admiration, ou du mépris et de la déception, tout rentre en composition. Et voilà, reconnaissance de dette. C'est eux qui m'ont fabriqué, qui ont fabriqué ma tête, en tout cas. Et c'était ça, le projet. Oui,

  • Speaker #0

    et vous parlez d'ailleurs de votre grand frère, mort avant votre naissance, qui portait le même nom que vous. Et peut-être que cette reconnaissance de dette, elle vient de là. Depuis le départ, vous remplacez un mort.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, c'est une histoire célèbre, enfin célèbre pour moi et fameuse pour moi. Solers m'avait dit Un jour, quand je tardais à publier, précisément, il m'avait dit, il faut publier, parce qu'après tout, un livre, c'est le seul endroit où on a son nom tout seul. Et puis, il s'était repris, il m'avait dit, ah non, cela dit, on a son nom tout seul aussi sur une tombe.

  • Speaker #0

    Ça ressemble.

  • Speaker #1

    Il dit, ça ressemble, c'est un parallèle épipède, etc. Or, il ignorait qu'effectivement, enfant, j'allais très souvent sur la tombe de... du frère qui m'avait précédé, et où il y avait mon nom. D'ailleurs, mon nom est la première chose que j'ai apprise à lire, puisqu'il portait le même prénom que moi.

  • Speaker #0

    Et, alors, la mort est... Donc, ce sont des morts que vous décrivez, mais aussi, la mort est présente autrement, parce que vous écrivez mieux après un arrêt cardiaque, qui a eu lieu en 2020. Sans doute une allergie au Covid.

  • Speaker #1

    Non, non, non, non, non, non. Ce n'est pas un arrêt cardiaque, c'est une aorte qui a explosé pendant une partie de... de tennis. Donc, c'était fâcheux.

  • Speaker #0

    Le procureur s'est arrêté de battre pendant une heure.

  • Speaker #1

    Non, on a sorti mon cœur, on l'a mis à part pour pouvoir réparer les choses, pendant 87 minutes. Donc, j'étais ni vivant, ni mort. J'étais le chat de Schrödinger. Et c'est vrai. que ça a changé des choses, oui. Soudain coup, un sentiment d'urgence, beaucoup moins de verbes, une ponctuation plus haltée. J'avais besoin de ça.

  • Speaker #0

    Je cite les ouvrages que vous avez publiés depuis votre mort, Les raisons du cœur, en 2021, Lignes de vie, l'année suivante, 2022, Si le soleil s'en souvient, en 2024, qui est un livre assez exceptionnel sur la... sur votre père et sur votre enfance algérienne, et sur la guerre d'Algérie. Et puis enfin, je me retournerai souvent. Quatre livres depuis, quatre livres posthumes. Oui,

  • Speaker #1

    parce que vous savez, pendant très longtemps, et vous en savez quelque chose, j'étais éditeur. Et je n'avais pas compris à l'époque quelle était la qualité requise pour être un bon éditeur. Ce n'est pas le sens du commerce, ce n'est pas l'amour de la littérature, surtout pas. C'est le serment. qu'on se fait à soi-même qu'on n'écrira pas. Un bon éditeur, ça n'écrit pas. Et donc j'ai été tiraillé entre mon devoir d'éditeur, parce que c'est une profession noble, et tiraillé entre mon désir d'écrire. J'ai basculé de l'autre côté. Alors du coup, c'est très facile d'écrire, j'ai deux ou trois manuscrits qui sont prêts. Ah oui, c'est bien,

  • Speaker #0

    formidable. Vous êtes un spécimen rare, un juif protestant. Oui. Vous dites ça dans le livre, vous dites je suis du nord par mes origines hollandaises et du sud par mes origines algériennes. Comment arrive-t-on à concilier cette...

  • Speaker #1

    Ah bah ça...

  • Speaker #0

    C'est un peu schizophrène.

  • Speaker #1

    Non pas du tout. D'abord le judaïsme et le protestantisme ont une longue frontière commune. L'agent, le diplomate qui a fabriqué cette frontière s'appelle Spinoza. Donc non, non, je ne vois pas de contradiction entre ça. je... Je me sens à la fois fils du soleil et fils de la rigueur. Les deux choses me parlent.

  • Speaker #0

    Et puis vous dites, entre les lignes, mais vous le répétez souvent, que vous n'êtes pas tellement pour les racines. Vous êtes plutôt citoyen du monde. Vous n'êtes ni hollandais, ni algérien et pas vraiment français.

  • Speaker #1

    Toutes les figures d'enracinement, de terroir. je me sens insulté non pas vrai je sais que vous êtes béarnaise mais ça va plus loin je me suis un peu mal à l'aise avec les gens qui parlent pendant une heure de leur bouteille de vin par exemple ça m'énerve

  • Speaker #0

    Mais nous ne sommes pas des arbres, nous avons des rastis, mais nous ne sommes quand même pas des arbres.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai, c'est vrai, mais grande allergie. En deux secondes, ces affaires de racines me mèneraient à vous parler du maréchal Pétain ou de Maurice Barès.

  • Speaker #0

    Attention.

  • Speaker #1

    Évidemment.

  • Speaker #0

    Attention. Donc vous préférez dire que vous êtes un voyageur, que vous transgressez les frontières, et que quand vous êtes... À Paris, c'est parce que vous n'êtes pas à Punta del Este. Voilà,

  • Speaker #1

    oui, oui, oui, c'est ça. Et on dit même que quand deux avions se croisent dans le ciel, je suis dans les deux en même temps.

  • Speaker #0

    Dans le livre, c'est marrant parce que vous employez deux mots qui sont le contraire l'un de l'autre et vous vous sentez les deux rapatriés et apatrides.

  • Speaker #1

    Oui, je ne crois pas avoir employé le mot rapatrier,

  • Speaker #0

    ça me fait horreur. Si, si, en péjoratif. Ah oui,

  • Speaker #1

    d'accord. En péjoratif. Ce mot me fait horreur. Oui,

  • Speaker #0

    mais justement, dites pourquoi. Votre famille était en Algérie et il a fallu prendre un bateau et rentrer en France. Bien sûr,

  • Speaker #1

    oui. Enfin, oui. Bien sûr, mais j'étais tellement heureux d'arriver en France, tellement heureux. C'était, enfin, j'allais, tout était en ordre, tout était beau, la grande littérature était là. J'ai croisé Sartre à la terrasse d'un café, ça m'a bouleversé, vous comprenez. Et donc, pas de patrie, si ça s'était appelé des matries, peut-être que j'aurais fait une exception.

  • Speaker #0

    Mais... Avez-vous ressenti une honte de venir d'une ancienne colonie ?

  • Speaker #1

    Non, pas une honte, simplement c'était un pays qui était saisi par deux imbécilités symétriques, une imbécilité coloniale sans pareil et une imbécilité nationaliste sans pareil.

  • Speaker #0

    Et deux violences.

  • Speaker #1

    Les deux violences, du coup ce pays était imbibé de sang, de tueries, de morts partout. Et je suis foqué là-dedans, malgré ma mère qui me lisait Proust et Apollinaire, je suis foqué dans cette terre-là. Et j'ai toujours été reconnaissant au général de Gaulle d'avoir mis un terme à ce cauchemar.

  • Speaker #0

    Mais pourtant, votre meilleur ami... est né comme vous à Mascara, Bernard-Henri Lévy.

  • Speaker #1

    Non, il n'est pas né à Mascara, son père était né à Mascara.

  • Speaker #0

    Et comme lui, vous avez mis longtemps à parler de votre enfance. Oui. Ce livre, s'il se lève...

  • Speaker #1

    Je ne suis pas sûr que Bernard s'y soit déjà mis.

  • Speaker #0

    Il a, si, dans son livre sur ses insomnies,

  • Speaker #1

    il en parle un peu.

  • Speaker #0

    Un peu, un peu, oui, oui.

  • Speaker #1

    Il est beaucoup plus pudique que vous.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai. Non, mais je décris juste ça parce que pour mes émissions, je relis toute l'œuvre de mon invité. Et dans Si le soleil s'en souvient, en 2024, vous décrivez un attentat dans un cinéma, le Vox, qui appartenait à votre père. Alors, je pense que vous avez un peu exagéré, parce que c'était vraiment, dans le livre, c'était une scène apocalyptique,

  • Speaker #1

    une tuerie. Non, non.

  • Speaker #0

    Non, c'est vrai ?

  • Speaker #1

    Vous pouvez consulter Wikipédia ou autre.

  • Speaker #0

    En 1961, votre père ouvre un cinéma et il y a...

  • Speaker #1

    et la séance d'inauguration était consacrée à un film de John Huston Moby Dick. Moby Dick. Et à l'époque, l'OAS avait interverti l'ordre des lettres au néon qui s'illuminait pour le Open Ignite, l'inauguration, et ça donnait Mody Bick.

  • Speaker #0

    Un jeu de mots bien pourri.

  • Speaker #1

    Un jeu de mots bien pourri. Évidemment, un attentat s'en était suivi, un cauchemar, oui. d'où ma passion pour Melville d'ailleurs oui,

  • Speaker #0

    je vais vous demander de lire un extrait du livre sur ce sujet, c'est ici ah oui

  • Speaker #1

    Je dis quelques caractéristiques. Je suis ennemi de l'ail, des frontières, de la vulgarité, du mépris, de l'amertume, des racines, de la violence, des simplifications, des impasses, de l'ignorance, de l'impolitesse.

  • Speaker #0

    Pourquoi l'ail ?

  • Speaker #1

    Ah, j'ai une phobie.

  • Speaker #0

    Le reste on peut comprendre,

  • Speaker #1

    mais l'ail... puisque vous parliez de Bernard, s'il y a une phrase qu'il sait dire dans à peu près toutes les langues du monde, c'est « sans ail et sans oignon, s'il vous plaît » . Et l'ail, ça me vient peut-être d'un vers d'Apollinaire, il disait « il était juif, il sentait l'ail et s'en revenait d'un bordel de Shanghai » . Et donc...

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas cette haleine un peu forte ?

  • Speaker #1

    Non, non.

  • Speaker #0

    Vous dites plus loin dans le même livre, dont je me retournerai souvent, j'aimerais que la France soit peuplée d'Italiens pour le goût du bonheur et de Britanniques pour le goût du courage. Donc vous pensez que la France, c'est des gens qui font la gueule et qui sont lâches.

  • Speaker #1

    Il y a une dose de lâcheté et il y a une... d'oboses de sale gueule, mais il y a aussi...

  • Speaker #0

    Et de ronchons, surtout. Oui,

  • Speaker #1

    oui, de ronchonneries, mais il y a aussi d'autres choses. J'aime passionnément la France, mais c'est vrai qu'un peu plus de bonne humeur et un peu plus de courage, ça serait pas mal. Oui.

  • Speaker #0

    Vous n'avez pas aimé être éditeur. Alors ça, en tant qu'écrivain publié par vous, je suis un petit peu vexé. Je lis ce que vous écrivez. Lisez-le vous-même.

  • Speaker #1

    Ah non, non, non. Assumez vos propos. c'est pas drôle ça ce passage là non je peux vous le dire c'est que effectivement à la fin de ce métier j'avais l'impression d'être devenu un proxénète pour tout vous dire c'est à dire que j'avais des gagneurs et des gagneuses vous étiez un gagneur oui j'ai plutôt rapporté de l'argent bien sûr Merci. et vous tapiniez sur les trottoirs de la renommée. Et donc, Edmond de Charlerou, grand auteur de Grasset, appelait Grasset la maison de commerce. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre ce qu'elle voulait dire. Et cette position de proxénète, il me manquait les pompes bicolores et le borsalino. Et puis, comment vous dire ? Alors que tout ça est enrobé dans ce qu'il y a de plus exquis, de plus littré, de plus civilisé. Alors que l'argent mène le bal.

  • Speaker #0

    Moi, j'ai fait ce métier trois ans et j'ai trouvé ça invivable et épouvantable. Vous avez tenu beaucoup plus longtemps.

  • Speaker #1

    Oui, mais parce que j'avais fantasmé cette profession. Rien ne me semblait plus noble. Pour moi, on était Jacques Rivière ou personne d'autre, vous comprenez ? J'étais l'éditeur de Proust, Jacques Rivière, et du dévouement de la...

  • Speaker #0

    Mais vous l'avez fait, vous avez été un bon éditeur.

  • Speaker #1

    Mais c'est parfois, j'ai fait des choses très bien. Eh oui,

  • Speaker #0

    il y a des tas de chansons que vous avez rencontrées.

  • Speaker #1

    Très honorable, je garde des souvenirs merveilleux. Mais fondamentalement, j'ai perdu un peu de temps, et en tout cas, quand j'ai compris que c'est la chose qui m'intéressait, c'était d'écrire des livres.

  • Speaker #0

    En fait, c'est ça. Vous en avez eu marre à un moment. Donc, vous avez l'impression que tout était pourri, mais ça ne l'était pas. Et c'est très vrai qu'on ne peut pas écrire quand on est éditeur. Il y a quelques exceptions.

  • Speaker #1

    Solers,

  • Speaker #0

    par exemple, a été éditeur et a écrit.

  • Speaker #1

    Solers était si peu éditeur. Solers donnait certains manuscrits qu'on lui confiait à imprimer, mais il n'était pas vraiment éditeur. Il était écrivain. D'ailleurs, il arrivait dans sa maison, J'ai gagné marre en début d'après-midi. Donc, c'est comme ça. Oui, c'est ça.

  • Speaker #0

    Parce qu'on n'a pas de temps pour se concentrer.

  • Speaker #1

    Et puis surtout, si on a du succès, les auteurs vous en veulent, surtout ceux qui n'ont pas de succès. Et si on n'a pas de succès, vous n'avez plus aucune autorité morale.

  • Speaker #0

    Donc,

  • Speaker #1

    c'est une interruption contradictoire.

  • Speaker #0

    Il ne faut pas faire les deux. Il y a un essai d'Anne-Sophie Beauvais qui s'appelle « L'éditeur et le philosophe » , qui parle de vous. Vous, vous êtes l'éditeur, le philosophe, c'est Michel Onfray. Ce livre, il est paru chez Robert Laffont. Et je voulais vous lire un passage qui vous décrit de manière assez marrante. « Lorsque j'étais plus jeune étudiante avec mes amis, je me suis souvent amusé de sa mine toujours allée, de ses lunettes au vert immanquablement bleu fumé. Oui, ben c'est pas complètement faux, et de son élégance ouvragée à l'italienne. Pantalons blancs, ah non, pas là, blazeurs à pochettes et mocassins de couleur, toujours portés pieds nus, c'est pas le cas non plus mais on ne va pas le prouver. À l'époque, nous étions quelques-uns à rêver de le voir s'intéresser au brouillon des livres que l'on écrivait alors. Aucun de nous n'a jamais osé l'aborder. Aujourd'hui, vingt ans plus tard, il n'a pas changé. Mon regard sur lui, si. Jean-Paul Antoven est devenu à mes yeux un personnage proustien, dont j'aime à imaginer à chaque fois que je le vois les plaisirs et les jours. Ici, dilettante et bellâtre, au bras d'une comtesse italienne, en vacances à Capri, là, fantasque et dandy dans une fête germanopratine de prix littéraire, où l'un de ses poulains fait ses premiers pas et qu'il accompagne de ses conseils. C'est pas faux, c'est assez joli.

  • Speaker #1

    Je n'aime pas cette gentillesse au milieu d'une thèse très déplaisante. elle fait de moi, puisqu'elle a choisi L'autre personnage dont je m'interdis de même de prononcer le nom. Vous êtes fâché ? Je ne sais pas que je suis fâché, je ne suis rien. Quelqu'un que j'ai contribué à faire exister, il aurait existé sans moi parce qu'il avait du talent.

  • Speaker #0

    Donc moi je prononce le nom de Michel Onfray, mais vous êtes toujours fâché ?

  • Speaker #1

    Il n'existe plus, oui, à mes yeux. Et donc, elle était venue me dire, elle travaillait sur une biographie de Michel Onfray, mais je ne savais pas qu'elle voulait, à travers ma fâcherie avec Michel Onfray, raconter l'histoire des deux Frances qui ne se parlent plus. Donc, je suis figé dans le rôle du dandy et il est figé dans le rôle de, je ne sais pas moi, de Agnernot ou de Jules Vallès. Non, c'est tellement plus compliqué. Oui, oui. Vous voulez que je vous dise ? Ça serait plutôt le contraire. Oui, peut-être. Ça serait plutôt le contraire.

  • Speaker #0

    Oui, et puis je pense que, moi, j'ai trouvé que c'était amusant d'expliquer comment Après la publication du livre sur Freud, Onfray est parti, quitte et grassé. Ce sont des choses qui arrivent dans la vie littéraire.

  • Speaker #1

    Bien sûr, je n'en ai jamais voulu pour ça.

  • Speaker #0

    Vous écrivez dans Je me retournerai souvent qu'un écrivain doit être un personnage. Vous donnez une liste assez intéressante. Il y a l'extravagant, il y a le noctambule, ça peut être là. Le transfuge de classe. il y a L'incestué. L'incestué, bien sûr, que j'ai reçu. J'en ai reçu une. Le dandy, le mutique, l'exilé, le rebelle, etc. C'est toutes ces personnes. Le toxico. C'est très juste parce que c'est vrai que depuis Sainte-Beuve, on sait qu'un écrivain a besoin d'avoir un personnage. Et moi, je dirais, on ferait, c'est l'hédoniste devenu réactionnaire normand. L'hédoniste,

  • Speaker #1

    non. C'est le biophobe. C'est ça le paradoxe. C'est... Revendication d'hédonisme, en vérité, biophobe.

  • Speaker #0

    C'est quoi biophobe ?

  • Speaker #1

    Ben, haine de la vie.

  • Speaker #0

    Ah, oh je crois pas, il a l'air d'être un... Ben non,

  • Speaker #1

    non,

  • Speaker #0

    il a eu... Un mangeur !

  • Speaker #1

    Non, j'ai pas envie de parler de lui.

  • Speaker #0

    Non, bien sûr. Mais et vous alors, vous seriez quel personnage ? Est-ce que vous...

  • Speaker #1

    Justement, je disais que un des drames de ma vie, peut-être parce que je me suis mis trop tard à publier, je n'ai pas trouvé mon personnage. Je ne l'ai pas eu. Je ne peux pas jouer l'autre. Mais si, moi je vous le dis ! Non.

  • Speaker #0

    Vous êtes le maudit, mondain, érudit et fataliste.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas vraiment... Mais ce n'est pas des personnages. Je ne suis pas vraiment maudit parce que ce serait ridicule de le prétendre. Je ne suis pas vraiment mondain parce que ce serait ridicule de le prétendre aussi. Je n'ai pas de...

  • Speaker #0

    Érudit et fataliste, ça vous va bien ? Oui,

  • Speaker #1

    mais ce ne sont pas des personnages. Jacques le fataliste ? Ce sont des adjectifs nobles que je prends volontiers. Mais ce ne sont pas des personnages. Les personnages, c'est autre chose.

  • Speaker #0

    Fera-t-on jamais aussi bien que le début de Jacques le fataliste ? Vous citez le début du livre comme une référence absolue de style.

  • Speaker #1

    pas de style,

  • Speaker #0

    d'art du roman tout est dit est-ce que je peux vous demander de lire le début puisque vous le citez comment s'était-il rencontré

  • Speaker #1

    Par hasard, comme tout le monde, comment s'appelait-il ? Que vous importe. D'où venait-il ?

  • Speaker #0

    Du lieu le plus prochain.

  • Speaker #1

    Où allait-il ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disait-il ? Le maître ne disait rien. Et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. Voilà, c'est pas la peine de dire que la marquise est sortie à 5 heures, d'où elle vient, combien elle a de rentes, non, tout est dit.

  • Speaker #0

    Étiez-vous fait pour le 21e siècle ?

  • Speaker #1

    Il me passionne, mais c'est vrai que faire un tour au XVIIIe ne m'aurait pas déplu. On enjambe le XIXe, qui est un siècle thanatocratique, mortifère.

  • Speaker #0

    Laborieux.

  • Speaker #1

    Laborieux.

  • Speaker #0

    Un du friel.

  • Speaker #1

    Oui, je n'aime pas le 19e, mais c'est vrai que faire un tour au 18e, se faufiler dans un tableau de Fragonard.

  • Speaker #0

    Chez la Pérouse, 1766, avant la Révolution. Oui,

  • Speaker #1

    je sais, je sais,

  • Speaker #0

    je sais.

  • Speaker #1

    C'est pour ça que je suis...

  • Speaker #0

    On n'est pas très mal, ce n'est pas ce qu'on m'a dit.

  • Speaker #1

    Ça voyage dans le temps, oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que vous pensez de la dictature, de la sincérité dans la littérature actuelle ? Parce que vous y succombez aussi. Oui,

  • Speaker #1

    mais je ne la revendique pas parce que c'est impossible, elle est impossible. On a beau vouloir être transparent, on reste opaque. C'est comme ça. Alors, on enlève quelques pelures de l'oignon que nous sommes. Comment dire ? Même la sincérité est un masque. Et donc, voilà. D'ailleurs, à Venise, dans les balles, les gens mettaient des masques pour qu'on les reconnaisse.

  • Speaker #0

    Vous avez... Est-ce que votre projet, avec Je me retournerai souvent, ça n'est pas d'écrire le premier ? Feel Good Book sans mièvrerie. Ah !

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, mais encore faudrait-il qu'il y ait un public pour ce genre de Feel Good Book. En général, c'est pas tout à fait ça.

  • Speaker #0

    Alors, c'est très... Evidemment, votre livre est très cultivé, comme vous. Il y a beaucoup de choses très amusantes, notamment le test de Sagan. Vous rencontrez François Sagan, et vous avez eu accès à François Sagan parce que Vous avez dit que vous étiez un... Un fanatique de Marc Chescou. Non, non,

  • Speaker #1

    je ne sais pas ce que j'ai dit, j'étais très ami, que j'aime beaucoup même, alors pour le coup, j'ai une joie de prononcer son nom, de Florence Malraux.

  • Speaker #0

    Qui était sa meilleure amie.

  • Speaker #1

    Qui était sa meilleure amie et son sosie physique. Et j'avais dit à Florence, je ne peux pas ne plus, ne pas connaître Françoise Sagan. Elle m'avait dit, oui, oui, pas possible. Et puis elle m'avait dit, elle veut bien te voir, mais elle veut te faire passer un... petit examen.

  • Speaker #0

    Si tu es vraiment un pouce.

  • Speaker #1

    Vous savez qu'elle avait choisi le pseudonyme de Sagan qu'elle avait trouvé dans la recherche du temps perdu. Puisqu'elle s'appelait Coirèze et que sa famille bourgeoise de la muette trouvait pas possible que le nom des Coirèzes si illustres soit souillé par les milieux littéraires. Donc elle avait choisi Sagan. Et donc elle m'a posé une série de questions et miraculeusement je suis reposé.

  • Speaker #0

    Et la question pour savoir si on est vraiment un Proustien, c'est quel est le prénom de Madame Verdurin ? Oui,

  • Speaker #1

    ça c'est une question de cours classique. Elle s'appelait Sidonie, comme vous savez. La seconde était plus difficile.

  • Speaker #0

    C'est quoi la deuxième question ?

  • Speaker #1

    Elle me dit quelle différence y a-t-il entre le prince des lomes et le dame oiseau de Montargis ?

  • Speaker #0

    Et en fait, c'est le même personnage. Voilà.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire le baron de Charles.

  • Speaker #0

    C'est Françoise Sagan la seule femme de votre livre, alors avec Florence Malraux et Louise de Villemaurin. Il n'y a pas beaucoup de femmes.

  • Speaker #1

    Et ma bien-aimée.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr, Patricia. Mais il n'y a pas beaucoup de femmes dans le livre. Et alors, je voulais vous donner une liste de suggestions. Pourquoi pas Colette, par exemple ?

  • Speaker #1

    Eh bien, elle est dans le prochain, pour tout vous dire. Ah !

  • Speaker #0

    Je me réjouis. Vous parlez de Zelda Fitzgerald quand même souvent. Virginia Woolf ?

  • Speaker #1

    Trop triste.

  • Speaker #0

    Madame de Lafayette, la princesse de Clèves ?

  • Speaker #1

    Alors, très importante, mais je parle de la princesse de Clèves. Mais Madame de Lafayette, elle avait un côté janseniste, pas royal. qui m'était un peu insupportable.

  • Speaker #0

    Dorothy Parker. Oui. Vous auriez pu prendre Dorothy Parker.

  • Speaker #1

    Totalement. Totalement. Vous connaissez son mot merveilleux sur Catherine Hepburn. Elle était critique de cinéma avec du génie. Elle avait dit, Madame Hepburn maîtrise la gamme complète des émotions de A jusqu'à B. Et sur sa tombe, Ah oui,

  • Speaker #0

    sorry for the dust. Oui, c'est une belle épitaphe. Et d'ailleurs, vous citez l'épitaphe de Louise de Villemorin. Au secours. Au secours, oui. Sur Dorothy Parker, il y a un mot assez amusant. Un jour, elle écrivait dans Vanity Fair et elle ne rendait pas son article. Elle avait de nombreux jours de retard et ils finissent par arriver à la joindre. Et elle dit, I'm sorry, I was too... Fucking busy and vice versa. Je ne sais pas si c'est traduisible,

  • Speaker #1

    je crois pas. Elle a défendu un cercle qu'on appelait le vicious circle. Le cercle vicieux, prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux. C'est pour ça qu'elle est...

  • Speaker #0

    Ça, c'est très bien. Sur le style, vous êtes, comme vous l'avez dit, un adepte du style ramassé, bref, tranchant. et là vous faites votre autocritique vous dites vous fantasmez sur une autre forme les gens et j'aurais aimé être un grand monsieur paul le dire pas vous voulez pas lire votre part C'est une émission littéraire, on doit lire ses propres poses.

  • Speaker #1

    Alors, eh bien, j'écris comme un petit marquis équipé de syntaxes honorables et convenables, alors que dans mon tréfonds, je rêve de partitions imparfaites, négligées, en désordre, dont l'efficacité ne provient pas du détail mais de l'ensemble. J'aurais voulu, pour parler franchement, appartenir à la race des écrivains d'amplitude qui restent fidèles à leur rythme intérieur. tout en négligeant ce qui embellit localement. Or ça, je ne sais pas faire.

  • Speaker #0

    Vous avez essayé parfois.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #0

    Notamment dans celui sur l'attentat au cinéma de votre père.

  • Speaker #1

    Eh bien, comment dire ? Moi, je procède par un tel accumulation de resserrement, de distillation, qu'il me faut une tonne de pommes de terre pour faire un petit verre de vodka. Très bien.

  • Speaker #0

    Vous êtes contre les points d'exclamation. Oui,

  • Speaker #1

    ça je le mets complètement.

  • Speaker #0

    Vous dites que ce sont des photos. Des photos télégraphiques. Oui,

  • Speaker #1

    surtout dans la syntaxe espagnole où il est au début de la phrase et à la fin.

  • Speaker #0

    Oui, encadré la phrase.

  • Speaker #1

    On est dans l'hystère. Il y a d'ailleurs une nouvelle de Tchékov qui s'appelle le point d'exclamation.

  • Speaker #0

    Vous dites que ça ne sert à rien. Soit la phrase est forte en elle-même et on n'en a pas besoin. Ou sinon, si on en met tout le temps comme Céline, on est rupte. Oui, oui. Et vous êtes contre aussi les italiques. Vous dites « vaniteux haut-parleur de la confidence » . Oui,

  • Speaker #1

    oui, c'est cette façon de souligner quelque chose que le lecteur, s'il est un bon lecteur, a déjà remarqué, mais de lui forcer un peu la main, de lui forcer l'oreille et l'œil. Et je trouve que c'est souvent du mauvais goût. J'essaie de moi-même à ce mauvais goût, quelquefois j'essaie de me contrôler.

  • Speaker #0

    À propos de Kundera, vous dites que le mot « mort » se dit « smart » .

  • Speaker #1

    Oui, Smert.

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de voyelle, S-M-R-T. Ça se prononce comment ?

  • Speaker #1

    Smert.

  • Speaker #0

    Smert. Ça, ça veut dire mort. Oui.

  • Speaker #1

    En tchèque. Ce que disait Romain Garry aussi, parce que c'est quasiment le même mot en lituanien aussi. C'est vrai que cette façon d'expédier la mort comme un crachat, c'est pas... Tandis que quand en français on dit la mort, c'est comme si on met la pédale. d'amplification sur un piano. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a immédiatement des harmoniques longues et profondes. Tandis que chez Kundera, entre autres, la mort est expédiée comme un crachat, comme un jonc.

  • Speaker #0

    Smart, oui. Alors, on va jouer au jeu devine tes citations, Jean-Paul. C'est-à-dire que je vais vous lire des phrases tirées de tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit cette phrase. Tout est également simple et savoureux avec ce Casanova un peu voyou des faubourgs d'Alger.

  • Speaker #1

    Ah, ça c'est... je parle d'Albert Camus. Oui,

  • Speaker #0

    c'est dans Je me retournerai souvent, le dernier, page 23. Ce Casanova un peu voyou des faubourgs d'Alger.

  • Speaker #1

    Oui, c'est Albert Camus.

  • Speaker #0

    Tu as un petit peu aussi un autoportrait, non ? Pas du tout ?

  • Speaker #1

    Je ne suis pas vraiment des faubourgs d'Alger, mais enfin, si vous voulez.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'entre Sartre et Camus, votre choix est fait ?

  • Speaker #1

    Écoutez, on m'a appelé Jean-Paul à dessein.

  • Speaker #0

    Pour vous influencer ?

  • Speaker #1

    Pour m'influencer. Et j'ai mis beaucoup de temps à comprendre que Camus était un homme meilleur et plus lucide. Ça retrait simplement un génie. Mais Camus est un frère, oui. Donc voilà, cela dit... puisqu'on parle des prénoms je vous informe que j'ai fait des grandes démarches pour m'appeler Paul Jean afin d'avoir le prix Paul Jean Toulé et ça a été un échec c'est Frédéric Pajac qui l'a eu j'en suis fort désolé magnifique l'horaire vous

  • Speaker #0

    dites à propos de Camus nous étions nés sur la même rive de la Méditerranée sous le même soleil au coeur de la même guerre enfin moi quelques années après la coquetterie vous rattrape que faire pour libérer Boilem Sansal ?

  • Speaker #1

    Comment ? Je crois que...

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il faut ne pas en parler ou est-ce qu'il faut en parler ?

  • Speaker #1

    Il faut en parler et surtout il faut faire preuve d'une autorité. Peut-être que je parle, je suis de totale incompétence, mais mes réflexes seraient de commencer par... Enfin, je ne veux pas rentrer dans les détails, mais être un discours de fermeté absolu avec ce gouvernement algérien qui ne comprend que la force.

  • Speaker #0

    Autre phrase de vous. La vérité appartient toujours au dernier qui l'imagine. je crois que c'est dans les lignes de vie si le soleil s'en souvient 2024 et vous dites d'ailleurs la vérité en fait c'est un tiers d'exactitude un tiers d'exactitude malmenée par le temps et un tiers de mensonges rigoureusement véridiques c'est ça la vérité pas mal vous pensez toujours ça de plus en plus puisqu'on vit dans le monde des fake news Oui.

  • Speaker #1

    Oui, mais enfin, ce n'est pas ce genre d'inexactitude que je fais allusion.

  • Speaker #0

    Mais vous pensez qu'un écrivain, ça doit dire la vérité ou mentir ?

  • Speaker #1

    Quoi qu'il fasse, il ment.

  • Speaker #0

    Et donc, vous devez être assez heureux de vivre dans une époque de vérité alternative ?

  • Speaker #1

    Non. Non, parce que je trouve que les alternatives, comme vous dites, ne sont pas très sympathiques. Donc je suis pour des alternatives aimables et embellisseuses.

  • Speaker #0

    Oui, dans la littérature. Autre phrase. L'avenir me tente, j'oublie le passé.

  • Speaker #1

    C'est une phrase de Flaubert.

  • Speaker #0

    Le présent m'attend.

  • Speaker #1

    Une phrase de Flaubert.

  • Speaker #0

    Que vous citez dans l'hypothèse des sentiments. Vous êtes fort parce que j'essayais de vous piéger et vous êtes fort. Une autre. Je tenais l'amour à distance, je croyais au plaisir, je rencontrais rarement le bonheur.

  • Speaker #1

    Je pourrais mettre ça n'importe où, tellement c'est moi.

  • Speaker #0

    Ce qui plaisait à Blanche, 2020. Mais quand même, vous dites que vous rencontrez rarement le bonheur. Moi, j'ai l'impression que vous le rencontrez de plus en plus.

  • Speaker #1

    Oui, je suis heureux de façon indécente.

  • Speaker #0

    Indécente ?

  • Speaker #1

    Oui, ça me fait peur d'ailleurs. Je ne sais pas... qui est quand on me présentera la note, mais c'est iné...

  • Speaker #0

    Vous l'avez eu en 2020 la note ? Non. Dans cette partie de tennis ?

  • Speaker #1

    Mais au contraire, ça m'a rendu intéressant. J'ai eu...

  • Speaker #0

    La forme a dû être intéressante. Oui,

  • Speaker #1

    bien sûr. Ça m'a rendu très... Tout d'un coup, enfin, il m'est arrivé qu'un nuage noir passe au-dessus de ma tête.

  • Speaker #0

    Vous devenez enfin sympathique. Alors, justement, une autre phrase de vous qui me fait énormément rire là-dessus. Solers n'a plus d'ennemis, puisqu'on lui reprochait surtout d'être vivant. Oui,

  • Speaker #1

    ça je le pense profondément.

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier, je me retournerai souvent, et vous pastichez une formule de Truffaut sur Guitry d'ailleurs, mais c'est très très bien.

  • Speaker #1

    En effet, Truffaut disait Guitry, ce qu'on lui reprochait c'était d'être vivant.

  • Speaker #0

    Vous dites quelque chose de méchant, mais vrai, sur Solers, j'adorais toujours les 20 premières pages de ses romans. Oui,

  • Speaker #1

    après je me perdais.

  • Speaker #0

    Lui aussi peut-être. Mais les 20 premières pages sont toujours exceptionnelles.

  • Speaker #1

    Exceptionnelles de désavolture. Ça pourrait être un écrivain italien, je ne sais pas comment vous dire. C'est merveilleux. Et puis après, l'érudition prend le dessus. La fausse érudition d'ailleurs. Une érudition un peu trop... Ça sentait la peinture fraîche, son érudition.

  • Speaker #0

    Peut-être que comme vous, Philippe Solers n'était pas romancier, tout simplement. Et c'était un très grand critique. Et ce n'est pas grave, un très grand intellectuel. un essayiste La guerre du goût est un effet de génie sur la littérature mais peut-être le roman au bout de 20 pages ça l'embêtait oui non seulement ça mais il avait écrit des romans classiques comme

  • Speaker #1

    Cruel solitude mais peut-être en tout cas le parallèle me flatte au combien une autre phrase dans quel livre avez-vous dit ceci Merci.

  • Speaker #0

    Borgès voulait être suisse car c'est le seul pays où personne ne connaît le nom du président. Ce qui est vrai. Je serais incapable de vous le dire d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Je ne crois pas que ce soit de moi cette phrase.

  • Speaker #0

    Ah bon ? Je l'ai trouvée dans Caison de papier, le recueil de vos chroniques.

  • Speaker #1

    Peut-être, oui. De Pistèze. Mais en fait, c'est assez typique d'une phrase possiblement inventée. Parce que ce que j'avais en tête, c'était Sioran. Et mais par-dessus tout, la Mongolie, parce que c'était le seul pays où il y avait plus de chevaux que d'hommes.

  • Speaker #0

    Oui, donc peut-être que vous avez des problèmes là aussi. Mais oui, mais c'est très bien. Les deux sont très bien. Une dernière, ça je l'adore aussi ça. C'est vraiment, pour moi, heureusement que vous êtes là, heureusement que vous vivez pour ce genre de choses. Il ne consentait à parler de la mort que quand il était sur des skis.

  • Speaker #1

    Jean d'Ormesson.

  • Speaker #0

    Oui, vous dites ça, c'est pur Jean d'Ormesson. Oui. Je trouve ça vraiment formidable. Il ne consentait à parler de la mort que quand il était sur des skis.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup. Ah oui, mais on va terminer avec les conseils de lecture. Vous avez dû préparer votre... Vous avez une antisèche. Je vous ai envoyé des questions. Oui, oui. Vous vous en souvenez ? D'accord. Juste pour... Parce que quand même. Grand éditeur et grand critique. Vous travaillez toujours au point ? Non. Non, vous avez arrêté aussi ? Vous avez tout arrêté ? Oui. Mon Dieu. Vous allez devenir vraiment écrivain. Un livre qui donne envie de pleurer.

  • Speaker #1

    Un coeur simple de Flaubert. Oui. Ou La princesse de Clèves.

  • Speaker #0

    Parce que dans les deux cas, c'est un amour qui n'advient pas.

  • Speaker #1

    Oui, ou Fritz Zorn, Mars, de Fritz Zorn.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer.

  • Speaker #1

    Paris est une fête, de Hemingway, évidemment.

  • Speaker #0

    Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #1

    Oui, ça ne manque pas. La mort de Virgile, Herman Broch, Orlando de Virginia Woolf. Ah oui ? Oui, mais en général, on ne passe pas beaucoup de temps dans les livres où on s'ennuie.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue.

  • Speaker #1

    Je ne crâne pas dans la rue. Si vous me demandiez dans les salons, dans les boudoirs...

  • Speaker #0

    Pour crâner chez la Pérouse.

  • Speaker #1

    Alors, pour crâner, tout dépend de la compagnie. Avec vous, je ne ferai pas tant d'efforts. Mais si... Par exemple, parler des hétéronymes de Fernando Pessoa ou bien parler des sonnets de Gongora, on crâne. Et on est ridicule.

  • Speaker #0

    Un livre qui rend intelligent.

  • Speaker #1

    La recherche du temps perdu, sans hésitation.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Un livre pour séduire. Ce n'est pas crâner, c'est séduire.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Séduire donc une femme. Et à ce moment-là, la poésie est une arme fatale, pas les romans. J'ai ma phalange de conquête, Apollinaire. Aragon, Baudelaire, Valéry.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Et avec ça, on ramène ce qu'on doit ramener.

  • Speaker #0

    Un livre que je regrette d'avoir lu ?

  • Speaker #1

    La recherche du temps perdu. Ça m'a stérilisé pendant 30 ans. C'est tellement génial, c'est tellement immense qu'on se dit... Je vous dis ça m'a stérilisé pendant 30 ans.

  • Speaker #0

    Au lieu de vous inspirer, ça vous a intimidé. Oui, un livre que je fais semblant d'avoir fini.

  • Speaker #1

    Belle du Seigneur. Oh ! Oui, oui.

  • Speaker #0

    Mais enfin, comment osez-vous ?

  • Speaker #1

    Ben oui, j'ai mal j'ose.

  • Speaker #0

    Ça c'est un scoop.

  • Speaker #1

    Oui, je pourrais vous dire également, évidemment, Ulysse, je pourrais vous dire plein de choses comme ça. Mais Belle du Seigneur, en général, les gens le terminent. Moi j'en pouvais plus.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui. C'est vrai que c'est long là.

  • Speaker #1

    C'est un sujet de discorde avec Bernard.

  • Speaker #0

    Oui, Bernard en y vit beaucoup, Albert Cohen. Le livre que j'aurais aimé écrire ? Ça va être encore la recherche ?

  • Speaker #1

    Non, non, non, ça c'est indépassable, il est à la droite de Dieu qui n'existe plus, mais il est là. Non, j'aurais aimé écrire Moby Dick précisément.

  • Speaker #0

    Ah oui, en hommage à cette projection qui n'a pas eu lieu.

  • Speaker #1

    Non, parce que c'est un livre génial qui prétendait être un rajout fait à la Bible. Il n'a pas compris que les religions du monde n'aient pas rajouté Moby Dick à sa Bible. Et en effet, le livre avait été conçu et écrit dans cet esprit-là. En vérité, il ne s'est même pas vendu, puisque le stock des invendus a servi de tar à une grue du port de New York.

  • Speaker #0

    C'est le conceptif-là. Et la baleine blanche, alors c'est Dieu ou c'est quoi ? C'est la mort ?

  • Speaker #1

    C'est le mal.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    C'est le mal.

  • Speaker #0

    Le livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #1

    Je viens de vous dire.

  • Speaker #0

    Ah pardon, je suis gâteux. Oui. Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu de votre vie, Jean-Paul Antoine ?

  • Speaker #1

    Ah oui, écoutez, ça me fait de la peine.

  • Speaker #0

    Vous répondez 80.

  • Speaker #1

    99 francs que vous avez publié. C'est un livre que j'ai adoré. 99 francs. Non, c'est d'autant plus terrible parce que je vais vous dire que j'ai vénéré son auteur. J'ai adoré Paul Morand, admiré, pastiché, imité. dans mes mesures de mes moyens. Et puis j'ai lu son journal inutile. Et c'est abject, tout simplement.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qui est pire, le journal inutile ou la correspondance à Chardon ?

  • Speaker #1

    Puisqu'il a commencé le journal inutile, quand Chardon est mort, il n'avait plus de correspondant.

  • Speaker #0

    Restons sur Tendre Stock de Paul Morand. Et enfin, le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Speaker #1

    Alors je lis, pour tout vous dire, un petit balzac qui s'appelle Traité sur les excitants modernes. C'est le dernier livre qu'il a écrit qui est absolument génial, où il reconsidère toute la comédie humaine. Il dit vous croyez que j'ai parlé de l'ambition, de la cupidité, de l'amour ? Non pas du tout. J'ai parlé de cinq excitants modernes qui sont par ordre de nocivité, le café, le tabac, le sucre. le thé et le chocolat. Et il retraverse la comédie humaine en disant « Mais vous voyez, quand Ruben Pré retourne à Angoulême, qu'il croise Vautrin, Vautrin lui demande d'allumer son cigare, enfin bref. » Et donc je lis ça. Je lis aussi le livre de Simon Liberati, Stanislas, qui est un très joli livre. Il est venu, il est venu. Très joli livre.

  • Speaker #0

    Et vous avez dit du bien d'un livre de Chez Grasset, donc vous êtes quand même encore un petit peu éditeur, malgré tout.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, dis que c'était Chez Grasset.

  • Speaker #0

    Non, mais moi je le dis. Merci infiniment Jean-Paul, c'est un plaisir de discuter avec vous. Cette émission, vous étiez présenté en partenariat avec ma chemise, Figaret. Oui, oui, c'est important de gagner.

  • Speaker #1

    Vous êtes homme sandwich.

  • Speaker #0

    Nous devons gagner notre vie et défendre la littérature exige bien des sacrifices. Non, mais vraiment. Et puis merci à toute l'équipe du Figaro TV qui tourne, enregistre et monte cette émission. Et enfin n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous mourrez idiot. Ce sera l'apocalypse et plus rien n'aura de sens. Et nous serons remplacés par Tchad GPT.

  • Speaker #1

    Merci.

Description

Un festival d'esprit, pétillant et joyeux, voilà ce que j'écrirais en commentaire si j'étais vous.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir public, je suis très heureux de recevoir ce soir Jean-Paul Antoven pour son nouveau livre

  • Speaker #1

    Je me retournerai souvent.

  • Speaker #0

    Qui est publié aux éditions...

  • Speaker #1

    Grasset, comme d'habitude.

  • Speaker #0

    Merci infiniment, c'est votre meilleur livre. Je vous le dis, les yeux dans les yeux, c'est votre meilleur livre. Et en même temps, je vais commencer par un compliment qui est aussi une vacherie. Pourquoi êtes-vous si brillant dans les essais et un peu plus que dans les romans ?

  • Speaker #1

    Parce que vous n'avez pas vraiment lu mes romans, je suppose. Je sais que tout le monde dit ce que vous dites là, mais ça me semble injuste, très franchement. Je trouve ça pas mal, les romans que j'écris. C'est curieux, je ne serais pas vaniteux sur les essais. Et puis, que voulez-vous ? J'ai tellement envie d'être un bon romancier que je n'y parviens pas.

  • Speaker #0

    Vous n'êtes pas sûr, peut-être que ça viendra. mais en tout cas là, ce livre là qui est sous-titré Reconnaissance de dette, tranche de vie et autres fantaisies, c'est une plume libre, libérée peut-être, et érudite, légère et optimiste.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, tout ce que je suis d'ailleurs. Mais pour un essai, l'intelligence est indispensable. Pour les romans, c'est inutile.

  • Speaker #0

    C'est un défaut.

  • Speaker #1

    C'est presque un défaut. et je n'arrive pas à À me défaire non pas d'intelligence, ce serait prétentieux, mais je n'arrive pas à me défaire d'une démarche conceptuelle, analytique, qui n'a pas sa place dans un roman. Les grands romanciers sont souvent des brutes.

  • Speaker #0

    Oui, et puis vous n'avez peut-être pas envie d'avoir un cadre romanesque qui vous enferme. Vous avez besoin de respiration, de slammerie,

  • Speaker #1

    de fragments.

  • Speaker #0

    Oui, vous aimez les bribes. Oui, pourquoi ?

  • Speaker #1

    Parce que ce qui est lourd dans les romans et qui corsette l'écriture, c'est les liaisons, les chevilles, les explications. Et puis...

  • Speaker #0

    Les personnages.

  • Speaker #1

    Les personnages. Je n'aime pas les romanciers qui disent mon personnage m'a échappé. Personne ne m'échappe. Je contrôle tout.

  • Speaker #0

    Peut-être justement vous êtes trop control free pour être vraiment romancier. Mais oui,

  • Speaker #1

    il faut le citer.

  • Speaker #0

    Mais vous y arriverez sûrement. Laissez un personnage s'envoler, vous désobéir.

  • Speaker #1

    Eh bien, ce n'est pas encore le cas. Je préfère contrôler. mais mes imaginations plutôt que celles de mes personnages.

  • Speaker #0

    Je suis très désagréable de commencer par une vacherie, alors que j'ai adoré ce livre. Je pense qu'il pourrait s'intituler Les enfants de Saturne 2, Le retour. Mais cette fois, il n'est plus déprimé. Cette fois, Jean-Paul Lantauvène parle des gens qu'il admire et qu'il a rencontrés.

  • Speaker #1

    Si vous me permettez, dans Les enfants de Saturne 1, je parlais des écrivains, mais je n'étais pas dans le paysage. Là, je parle de ces écrivains pour parler de moi. Je suis dans chaque épisode. Tous les écrivains que je mentionne ont eu affaire à moi. Exactement. J'ai eu affaire à eux. Et donc, j'ai voulu faire un autoportrait à travers, non pas des autres grands écrivains, mais un autoportrait à travers des circonstances.

  • Speaker #0

    Oui. Cela dit, Les Enfants de Saturne était aussi peut-être une manière d'autoprofiter. Oui,

  • Speaker #1

    mais j'ai fréquenté peu Le Prince de Ligne et Chanfort.

  • Speaker #0

    Je raconte. Pour les gens qui n'auraient pas lu Les Enfants de Saturne 1, c'était en 1996. C'était votre premier livre. Vous étiez alors un grand critique littéraire et éditeur et vous n'aviez jamais publié. Et ce livre a été salué. c'était une suite de portraits de Hemingway, de Fitzgerald, de Benjamin Constant. Le Prince de Ligne, Stendhal, Chanfort. Et cette fois-ci, c'est une autre galerie de portraits, mais là où il y a des gens que vous avez véritablement croisés, qui sont Borges, Kundera, Solers, Françoise Sagan, Cioran, Georges Pérec dans un ascenseur, Roland Barthes. Il y a quand même quelques morts, puisqu'il y a Guillaume Apollinaire, il y a Diderot, Jacques Rigaud. mais il n'y a que des morts si vous me permettez oui oui ils sont morts mais vous les avez connus oui voilà ça oui il n'y a que deux vivants une femme

  • Speaker #1

    et un ami.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que c'était que l'ambition de départ ? C'est-à-dire de dire, j'ai croisé toutes ces personnes ?

  • Speaker #1

    Comme le sous-titre le dit, c'était reconnaissance de dette. Et je pense que ce que je suis, je le dois sur le mode de l'amour, de l'admiration, ou du mépris et de la déception, tout rentre en composition. Et voilà, reconnaissance de dette. C'est eux qui m'ont fabriqué, qui ont fabriqué ma tête, en tout cas. Et c'était ça, le projet. Oui,

  • Speaker #0

    et vous parlez d'ailleurs de votre grand frère, mort avant votre naissance, qui portait le même nom que vous. Et peut-être que cette reconnaissance de dette, elle vient de là. Depuis le départ, vous remplacez un mort.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, c'est une histoire célèbre, enfin célèbre pour moi et fameuse pour moi. Solers m'avait dit Un jour, quand je tardais à publier, précisément, il m'avait dit, il faut publier, parce qu'après tout, un livre, c'est le seul endroit où on a son nom tout seul. Et puis, il s'était repris, il m'avait dit, ah non, cela dit, on a son nom tout seul aussi sur une tombe.

  • Speaker #0

    Ça ressemble.

  • Speaker #1

    Il dit, ça ressemble, c'est un parallèle épipède, etc. Or, il ignorait qu'effectivement, enfant, j'allais très souvent sur la tombe de... du frère qui m'avait précédé, et où il y avait mon nom. D'ailleurs, mon nom est la première chose que j'ai apprise à lire, puisqu'il portait le même prénom que moi.

  • Speaker #0

    Et, alors, la mort est... Donc, ce sont des morts que vous décrivez, mais aussi, la mort est présente autrement, parce que vous écrivez mieux après un arrêt cardiaque, qui a eu lieu en 2020. Sans doute une allergie au Covid.

  • Speaker #1

    Non, non, non, non, non, non. Ce n'est pas un arrêt cardiaque, c'est une aorte qui a explosé pendant une partie de... de tennis. Donc, c'était fâcheux.

  • Speaker #0

    Le procureur s'est arrêté de battre pendant une heure.

  • Speaker #1

    Non, on a sorti mon cœur, on l'a mis à part pour pouvoir réparer les choses, pendant 87 minutes. Donc, j'étais ni vivant, ni mort. J'étais le chat de Schrödinger. Et c'est vrai. que ça a changé des choses, oui. Soudain coup, un sentiment d'urgence, beaucoup moins de verbes, une ponctuation plus haltée. J'avais besoin de ça.

  • Speaker #0

    Je cite les ouvrages que vous avez publiés depuis votre mort, Les raisons du cœur, en 2021, Lignes de vie, l'année suivante, 2022, Si le soleil s'en souvient, en 2024, qui est un livre assez exceptionnel sur la... sur votre père et sur votre enfance algérienne, et sur la guerre d'Algérie. Et puis enfin, je me retournerai souvent. Quatre livres depuis, quatre livres posthumes. Oui,

  • Speaker #1

    parce que vous savez, pendant très longtemps, et vous en savez quelque chose, j'étais éditeur. Et je n'avais pas compris à l'époque quelle était la qualité requise pour être un bon éditeur. Ce n'est pas le sens du commerce, ce n'est pas l'amour de la littérature, surtout pas. C'est le serment. qu'on se fait à soi-même qu'on n'écrira pas. Un bon éditeur, ça n'écrit pas. Et donc j'ai été tiraillé entre mon devoir d'éditeur, parce que c'est une profession noble, et tiraillé entre mon désir d'écrire. J'ai basculé de l'autre côté. Alors du coup, c'est très facile d'écrire, j'ai deux ou trois manuscrits qui sont prêts. Ah oui, c'est bien,

  • Speaker #0

    formidable. Vous êtes un spécimen rare, un juif protestant. Oui. Vous dites ça dans le livre, vous dites je suis du nord par mes origines hollandaises et du sud par mes origines algériennes. Comment arrive-t-on à concilier cette...

  • Speaker #1

    Ah bah ça...

  • Speaker #0

    C'est un peu schizophrène.

  • Speaker #1

    Non pas du tout. D'abord le judaïsme et le protestantisme ont une longue frontière commune. L'agent, le diplomate qui a fabriqué cette frontière s'appelle Spinoza. Donc non, non, je ne vois pas de contradiction entre ça. je... Je me sens à la fois fils du soleil et fils de la rigueur. Les deux choses me parlent.

  • Speaker #0

    Et puis vous dites, entre les lignes, mais vous le répétez souvent, que vous n'êtes pas tellement pour les racines. Vous êtes plutôt citoyen du monde. Vous n'êtes ni hollandais, ni algérien et pas vraiment français.

  • Speaker #1

    Toutes les figures d'enracinement, de terroir. je me sens insulté non pas vrai je sais que vous êtes béarnaise mais ça va plus loin je me suis un peu mal à l'aise avec les gens qui parlent pendant une heure de leur bouteille de vin par exemple ça m'énerve

  • Speaker #0

    Mais nous ne sommes pas des arbres, nous avons des rastis, mais nous ne sommes quand même pas des arbres.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai, c'est vrai, mais grande allergie. En deux secondes, ces affaires de racines me mèneraient à vous parler du maréchal Pétain ou de Maurice Barès.

  • Speaker #0

    Attention.

  • Speaker #1

    Évidemment.

  • Speaker #0

    Attention. Donc vous préférez dire que vous êtes un voyageur, que vous transgressez les frontières, et que quand vous êtes... À Paris, c'est parce que vous n'êtes pas à Punta del Este. Voilà,

  • Speaker #1

    oui, oui, oui, c'est ça. Et on dit même que quand deux avions se croisent dans le ciel, je suis dans les deux en même temps.

  • Speaker #0

    Dans le livre, c'est marrant parce que vous employez deux mots qui sont le contraire l'un de l'autre et vous vous sentez les deux rapatriés et apatrides.

  • Speaker #1

    Oui, je ne crois pas avoir employé le mot rapatrier,

  • Speaker #0

    ça me fait horreur. Si, si, en péjoratif. Ah oui,

  • Speaker #1

    d'accord. En péjoratif. Ce mot me fait horreur. Oui,

  • Speaker #0

    mais justement, dites pourquoi. Votre famille était en Algérie et il a fallu prendre un bateau et rentrer en France. Bien sûr,

  • Speaker #1

    oui. Enfin, oui. Bien sûr, mais j'étais tellement heureux d'arriver en France, tellement heureux. C'était, enfin, j'allais, tout était en ordre, tout était beau, la grande littérature était là. J'ai croisé Sartre à la terrasse d'un café, ça m'a bouleversé, vous comprenez. Et donc, pas de patrie, si ça s'était appelé des matries, peut-être que j'aurais fait une exception.

  • Speaker #0

    Mais... Avez-vous ressenti une honte de venir d'une ancienne colonie ?

  • Speaker #1

    Non, pas une honte, simplement c'était un pays qui était saisi par deux imbécilités symétriques, une imbécilité coloniale sans pareil et une imbécilité nationaliste sans pareil.

  • Speaker #0

    Et deux violences.

  • Speaker #1

    Les deux violences, du coup ce pays était imbibé de sang, de tueries, de morts partout. Et je suis foqué là-dedans, malgré ma mère qui me lisait Proust et Apollinaire, je suis foqué dans cette terre-là. Et j'ai toujours été reconnaissant au général de Gaulle d'avoir mis un terme à ce cauchemar.

  • Speaker #0

    Mais pourtant, votre meilleur ami... est né comme vous à Mascara, Bernard-Henri Lévy.

  • Speaker #1

    Non, il n'est pas né à Mascara, son père était né à Mascara.

  • Speaker #0

    Et comme lui, vous avez mis longtemps à parler de votre enfance. Oui. Ce livre, s'il se lève...

  • Speaker #1

    Je ne suis pas sûr que Bernard s'y soit déjà mis.

  • Speaker #0

    Il a, si, dans son livre sur ses insomnies,

  • Speaker #1

    il en parle un peu.

  • Speaker #0

    Un peu, un peu, oui, oui.

  • Speaker #1

    Il est beaucoup plus pudique que vous.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai. Non, mais je décris juste ça parce que pour mes émissions, je relis toute l'œuvre de mon invité. Et dans Si le soleil s'en souvient, en 2024, vous décrivez un attentat dans un cinéma, le Vox, qui appartenait à votre père. Alors, je pense que vous avez un peu exagéré, parce que c'était vraiment, dans le livre, c'était une scène apocalyptique,

  • Speaker #1

    une tuerie. Non, non.

  • Speaker #0

    Non, c'est vrai ?

  • Speaker #1

    Vous pouvez consulter Wikipédia ou autre.

  • Speaker #0

    En 1961, votre père ouvre un cinéma et il y a...

  • Speaker #1

    et la séance d'inauguration était consacrée à un film de John Huston Moby Dick. Moby Dick. Et à l'époque, l'OAS avait interverti l'ordre des lettres au néon qui s'illuminait pour le Open Ignite, l'inauguration, et ça donnait Mody Bick.

  • Speaker #0

    Un jeu de mots bien pourri.

  • Speaker #1

    Un jeu de mots bien pourri. Évidemment, un attentat s'en était suivi, un cauchemar, oui. d'où ma passion pour Melville d'ailleurs oui,

  • Speaker #0

    je vais vous demander de lire un extrait du livre sur ce sujet, c'est ici ah oui

  • Speaker #1

    Je dis quelques caractéristiques. Je suis ennemi de l'ail, des frontières, de la vulgarité, du mépris, de l'amertume, des racines, de la violence, des simplifications, des impasses, de l'ignorance, de l'impolitesse.

  • Speaker #0

    Pourquoi l'ail ?

  • Speaker #1

    Ah, j'ai une phobie.

  • Speaker #0

    Le reste on peut comprendre,

  • Speaker #1

    mais l'ail... puisque vous parliez de Bernard, s'il y a une phrase qu'il sait dire dans à peu près toutes les langues du monde, c'est « sans ail et sans oignon, s'il vous plaît » . Et l'ail, ça me vient peut-être d'un vers d'Apollinaire, il disait « il était juif, il sentait l'ail et s'en revenait d'un bordel de Shanghai » . Et donc...

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas cette haleine un peu forte ?

  • Speaker #1

    Non, non.

  • Speaker #0

    Vous dites plus loin dans le même livre, dont je me retournerai souvent, j'aimerais que la France soit peuplée d'Italiens pour le goût du bonheur et de Britanniques pour le goût du courage. Donc vous pensez que la France, c'est des gens qui font la gueule et qui sont lâches.

  • Speaker #1

    Il y a une dose de lâcheté et il y a une... d'oboses de sale gueule, mais il y a aussi...

  • Speaker #0

    Et de ronchons, surtout. Oui,

  • Speaker #1

    oui, de ronchonneries, mais il y a aussi d'autres choses. J'aime passionnément la France, mais c'est vrai qu'un peu plus de bonne humeur et un peu plus de courage, ça serait pas mal. Oui.

  • Speaker #0

    Vous n'avez pas aimé être éditeur. Alors ça, en tant qu'écrivain publié par vous, je suis un petit peu vexé. Je lis ce que vous écrivez. Lisez-le vous-même.

  • Speaker #1

    Ah non, non, non. Assumez vos propos. c'est pas drôle ça ce passage là non je peux vous le dire c'est que effectivement à la fin de ce métier j'avais l'impression d'être devenu un proxénète pour tout vous dire c'est à dire que j'avais des gagneurs et des gagneuses vous étiez un gagneur oui j'ai plutôt rapporté de l'argent bien sûr Merci. et vous tapiniez sur les trottoirs de la renommée. Et donc, Edmond de Charlerou, grand auteur de Grasset, appelait Grasset la maison de commerce. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre ce qu'elle voulait dire. Et cette position de proxénète, il me manquait les pompes bicolores et le borsalino. Et puis, comment vous dire ? Alors que tout ça est enrobé dans ce qu'il y a de plus exquis, de plus littré, de plus civilisé. Alors que l'argent mène le bal.

  • Speaker #0

    Moi, j'ai fait ce métier trois ans et j'ai trouvé ça invivable et épouvantable. Vous avez tenu beaucoup plus longtemps.

  • Speaker #1

    Oui, mais parce que j'avais fantasmé cette profession. Rien ne me semblait plus noble. Pour moi, on était Jacques Rivière ou personne d'autre, vous comprenez ? J'étais l'éditeur de Proust, Jacques Rivière, et du dévouement de la...

  • Speaker #0

    Mais vous l'avez fait, vous avez été un bon éditeur.

  • Speaker #1

    Mais c'est parfois, j'ai fait des choses très bien. Eh oui,

  • Speaker #0

    il y a des tas de chansons que vous avez rencontrées.

  • Speaker #1

    Très honorable, je garde des souvenirs merveilleux. Mais fondamentalement, j'ai perdu un peu de temps, et en tout cas, quand j'ai compris que c'est la chose qui m'intéressait, c'était d'écrire des livres.

  • Speaker #0

    En fait, c'est ça. Vous en avez eu marre à un moment. Donc, vous avez l'impression que tout était pourri, mais ça ne l'était pas. Et c'est très vrai qu'on ne peut pas écrire quand on est éditeur. Il y a quelques exceptions.

  • Speaker #1

    Solers,

  • Speaker #0

    par exemple, a été éditeur et a écrit.

  • Speaker #1

    Solers était si peu éditeur. Solers donnait certains manuscrits qu'on lui confiait à imprimer, mais il n'était pas vraiment éditeur. Il était écrivain. D'ailleurs, il arrivait dans sa maison, J'ai gagné marre en début d'après-midi. Donc, c'est comme ça. Oui, c'est ça.

  • Speaker #0

    Parce qu'on n'a pas de temps pour se concentrer.

  • Speaker #1

    Et puis surtout, si on a du succès, les auteurs vous en veulent, surtout ceux qui n'ont pas de succès. Et si on n'a pas de succès, vous n'avez plus aucune autorité morale.

  • Speaker #0

    Donc,

  • Speaker #1

    c'est une interruption contradictoire.

  • Speaker #0

    Il ne faut pas faire les deux. Il y a un essai d'Anne-Sophie Beauvais qui s'appelle « L'éditeur et le philosophe » , qui parle de vous. Vous, vous êtes l'éditeur, le philosophe, c'est Michel Onfray. Ce livre, il est paru chez Robert Laffont. Et je voulais vous lire un passage qui vous décrit de manière assez marrante. « Lorsque j'étais plus jeune étudiante avec mes amis, je me suis souvent amusé de sa mine toujours allée, de ses lunettes au vert immanquablement bleu fumé. Oui, ben c'est pas complètement faux, et de son élégance ouvragée à l'italienne. Pantalons blancs, ah non, pas là, blazeurs à pochettes et mocassins de couleur, toujours portés pieds nus, c'est pas le cas non plus mais on ne va pas le prouver. À l'époque, nous étions quelques-uns à rêver de le voir s'intéresser au brouillon des livres que l'on écrivait alors. Aucun de nous n'a jamais osé l'aborder. Aujourd'hui, vingt ans plus tard, il n'a pas changé. Mon regard sur lui, si. Jean-Paul Antoven est devenu à mes yeux un personnage proustien, dont j'aime à imaginer à chaque fois que je le vois les plaisirs et les jours. Ici, dilettante et bellâtre, au bras d'une comtesse italienne, en vacances à Capri, là, fantasque et dandy dans une fête germanopratine de prix littéraire, où l'un de ses poulains fait ses premiers pas et qu'il accompagne de ses conseils. C'est pas faux, c'est assez joli.

  • Speaker #1

    Je n'aime pas cette gentillesse au milieu d'une thèse très déplaisante. elle fait de moi, puisqu'elle a choisi L'autre personnage dont je m'interdis de même de prononcer le nom. Vous êtes fâché ? Je ne sais pas que je suis fâché, je ne suis rien. Quelqu'un que j'ai contribué à faire exister, il aurait existé sans moi parce qu'il avait du talent.

  • Speaker #0

    Donc moi je prononce le nom de Michel Onfray, mais vous êtes toujours fâché ?

  • Speaker #1

    Il n'existe plus, oui, à mes yeux. Et donc, elle était venue me dire, elle travaillait sur une biographie de Michel Onfray, mais je ne savais pas qu'elle voulait, à travers ma fâcherie avec Michel Onfray, raconter l'histoire des deux Frances qui ne se parlent plus. Donc, je suis figé dans le rôle du dandy et il est figé dans le rôle de, je ne sais pas moi, de Agnernot ou de Jules Vallès. Non, c'est tellement plus compliqué. Oui, oui. Vous voulez que je vous dise ? Ça serait plutôt le contraire. Oui, peut-être. Ça serait plutôt le contraire.

  • Speaker #0

    Oui, et puis je pense que, moi, j'ai trouvé que c'était amusant d'expliquer comment Après la publication du livre sur Freud, Onfray est parti, quitte et grassé. Ce sont des choses qui arrivent dans la vie littéraire.

  • Speaker #1

    Bien sûr, je n'en ai jamais voulu pour ça.

  • Speaker #0

    Vous écrivez dans Je me retournerai souvent qu'un écrivain doit être un personnage. Vous donnez une liste assez intéressante. Il y a l'extravagant, il y a le noctambule, ça peut être là. Le transfuge de classe. il y a L'incestué. L'incestué, bien sûr, que j'ai reçu. J'en ai reçu une. Le dandy, le mutique, l'exilé, le rebelle, etc. C'est toutes ces personnes. Le toxico. C'est très juste parce que c'est vrai que depuis Sainte-Beuve, on sait qu'un écrivain a besoin d'avoir un personnage. Et moi, je dirais, on ferait, c'est l'hédoniste devenu réactionnaire normand. L'hédoniste,

  • Speaker #1

    non. C'est le biophobe. C'est ça le paradoxe. C'est... Revendication d'hédonisme, en vérité, biophobe.

  • Speaker #0

    C'est quoi biophobe ?

  • Speaker #1

    Ben, haine de la vie.

  • Speaker #0

    Ah, oh je crois pas, il a l'air d'être un... Ben non,

  • Speaker #1

    non,

  • Speaker #0

    il a eu... Un mangeur !

  • Speaker #1

    Non, j'ai pas envie de parler de lui.

  • Speaker #0

    Non, bien sûr. Mais et vous alors, vous seriez quel personnage ? Est-ce que vous...

  • Speaker #1

    Justement, je disais que un des drames de ma vie, peut-être parce que je me suis mis trop tard à publier, je n'ai pas trouvé mon personnage. Je ne l'ai pas eu. Je ne peux pas jouer l'autre. Mais si, moi je vous le dis ! Non.

  • Speaker #0

    Vous êtes le maudit, mondain, érudit et fataliste.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas vraiment... Mais ce n'est pas des personnages. Je ne suis pas vraiment maudit parce que ce serait ridicule de le prétendre. Je ne suis pas vraiment mondain parce que ce serait ridicule de le prétendre aussi. Je n'ai pas de...

  • Speaker #0

    Érudit et fataliste, ça vous va bien ? Oui,

  • Speaker #1

    mais ce ne sont pas des personnages. Jacques le fataliste ? Ce sont des adjectifs nobles que je prends volontiers. Mais ce ne sont pas des personnages. Les personnages, c'est autre chose.

  • Speaker #0

    Fera-t-on jamais aussi bien que le début de Jacques le fataliste ? Vous citez le début du livre comme une référence absolue de style.

  • Speaker #1

    pas de style,

  • Speaker #0

    d'art du roman tout est dit est-ce que je peux vous demander de lire le début puisque vous le citez comment s'était-il rencontré

  • Speaker #1

    Par hasard, comme tout le monde, comment s'appelait-il ? Que vous importe. D'où venait-il ?

  • Speaker #0

    Du lieu le plus prochain.

  • Speaker #1

    Où allait-il ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disait-il ? Le maître ne disait rien. Et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. Voilà, c'est pas la peine de dire que la marquise est sortie à 5 heures, d'où elle vient, combien elle a de rentes, non, tout est dit.

  • Speaker #0

    Étiez-vous fait pour le 21e siècle ?

  • Speaker #1

    Il me passionne, mais c'est vrai que faire un tour au XVIIIe ne m'aurait pas déplu. On enjambe le XIXe, qui est un siècle thanatocratique, mortifère.

  • Speaker #0

    Laborieux.

  • Speaker #1

    Laborieux.

  • Speaker #0

    Un du friel.

  • Speaker #1

    Oui, je n'aime pas le 19e, mais c'est vrai que faire un tour au 18e, se faufiler dans un tableau de Fragonard.

  • Speaker #0

    Chez la Pérouse, 1766, avant la Révolution. Oui,

  • Speaker #1

    je sais, je sais,

  • Speaker #0

    je sais.

  • Speaker #1

    C'est pour ça que je suis...

  • Speaker #0

    On n'est pas très mal, ce n'est pas ce qu'on m'a dit.

  • Speaker #1

    Ça voyage dans le temps, oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que vous pensez de la dictature, de la sincérité dans la littérature actuelle ? Parce que vous y succombez aussi. Oui,

  • Speaker #1

    mais je ne la revendique pas parce que c'est impossible, elle est impossible. On a beau vouloir être transparent, on reste opaque. C'est comme ça. Alors, on enlève quelques pelures de l'oignon que nous sommes. Comment dire ? Même la sincérité est un masque. Et donc, voilà. D'ailleurs, à Venise, dans les balles, les gens mettaient des masques pour qu'on les reconnaisse.

  • Speaker #0

    Vous avez... Est-ce que votre projet, avec Je me retournerai souvent, ça n'est pas d'écrire le premier ? Feel Good Book sans mièvrerie. Ah !

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, mais encore faudrait-il qu'il y ait un public pour ce genre de Feel Good Book. En général, c'est pas tout à fait ça.

  • Speaker #0

    Alors, c'est très... Evidemment, votre livre est très cultivé, comme vous. Il y a beaucoup de choses très amusantes, notamment le test de Sagan. Vous rencontrez François Sagan, et vous avez eu accès à François Sagan parce que Vous avez dit que vous étiez un... Un fanatique de Marc Chescou. Non, non,

  • Speaker #1

    je ne sais pas ce que j'ai dit, j'étais très ami, que j'aime beaucoup même, alors pour le coup, j'ai une joie de prononcer son nom, de Florence Malraux.

  • Speaker #0

    Qui était sa meilleure amie.

  • Speaker #1

    Qui était sa meilleure amie et son sosie physique. Et j'avais dit à Florence, je ne peux pas ne plus, ne pas connaître Françoise Sagan. Elle m'avait dit, oui, oui, pas possible. Et puis elle m'avait dit, elle veut bien te voir, mais elle veut te faire passer un... petit examen.

  • Speaker #0

    Si tu es vraiment un pouce.

  • Speaker #1

    Vous savez qu'elle avait choisi le pseudonyme de Sagan qu'elle avait trouvé dans la recherche du temps perdu. Puisqu'elle s'appelait Coirèze et que sa famille bourgeoise de la muette trouvait pas possible que le nom des Coirèzes si illustres soit souillé par les milieux littéraires. Donc elle avait choisi Sagan. Et donc elle m'a posé une série de questions et miraculeusement je suis reposé.

  • Speaker #0

    Et la question pour savoir si on est vraiment un Proustien, c'est quel est le prénom de Madame Verdurin ? Oui,

  • Speaker #1

    ça c'est une question de cours classique. Elle s'appelait Sidonie, comme vous savez. La seconde était plus difficile.

  • Speaker #0

    C'est quoi la deuxième question ?

  • Speaker #1

    Elle me dit quelle différence y a-t-il entre le prince des lomes et le dame oiseau de Montargis ?

  • Speaker #0

    Et en fait, c'est le même personnage. Voilà.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire le baron de Charles.

  • Speaker #0

    C'est Françoise Sagan la seule femme de votre livre, alors avec Florence Malraux et Louise de Villemaurin. Il n'y a pas beaucoup de femmes.

  • Speaker #1

    Et ma bien-aimée.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr, Patricia. Mais il n'y a pas beaucoup de femmes dans le livre. Et alors, je voulais vous donner une liste de suggestions. Pourquoi pas Colette, par exemple ?

  • Speaker #1

    Eh bien, elle est dans le prochain, pour tout vous dire. Ah !

  • Speaker #0

    Je me réjouis. Vous parlez de Zelda Fitzgerald quand même souvent. Virginia Woolf ?

  • Speaker #1

    Trop triste.

  • Speaker #0

    Madame de Lafayette, la princesse de Clèves ?

  • Speaker #1

    Alors, très importante, mais je parle de la princesse de Clèves. Mais Madame de Lafayette, elle avait un côté janseniste, pas royal. qui m'était un peu insupportable.

  • Speaker #0

    Dorothy Parker. Oui. Vous auriez pu prendre Dorothy Parker.

  • Speaker #1

    Totalement. Totalement. Vous connaissez son mot merveilleux sur Catherine Hepburn. Elle était critique de cinéma avec du génie. Elle avait dit, Madame Hepburn maîtrise la gamme complète des émotions de A jusqu'à B. Et sur sa tombe, Ah oui,

  • Speaker #0

    sorry for the dust. Oui, c'est une belle épitaphe. Et d'ailleurs, vous citez l'épitaphe de Louise de Villemorin. Au secours. Au secours, oui. Sur Dorothy Parker, il y a un mot assez amusant. Un jour, elle écrivait dans Vanity Fair et elle ne rendait pas son article. Elle avait de nombreux jours de retard et ils finissent par arriver à la joindre. Et elle dit, I'm sorry, I was too... Fucking busy and vice versa. Je ne sais pas si c'est traduisible,

  • Speaker #1

    je crois pas. Elle a défendu un cercle qu'on appelait le vicious circle. Le cercle vicieux, prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux. C'est pour ça qu'elle est...

  • Speaker #0

    Ça, c'est très bien. Sur le style, vous êtes, comme vous l'avez dit, un adepte du style ramassé, bref, tranchant. et là vous faites votre autocritique vous dites vous fantasmez sur une autre forme les gens et j'aurais aimé être un grand monsieur paul le dire pas vous voulez pas lire votre part C'est une émission littéraire, on doit lire ses propres poses.

  • Speaker #1

    Alors, eh bien, j'écris comme un petit marquis équipé de syntaxes honorables et convenables, alors que dans mon tréfonds, je rêve de partitions imparfaites, négligées, en désordre, dont l'efficacité ne provient pas du détail mais de l'ensemble. J'aurais voulu, pour parler franchement, appartenir à la race des écrivains d'amplitude qui restent fidèles à leur rythme intérieur. tout en négligeant ce qui embellit localement. Or ça, je ne sais pas faire.

  • Speaker #0

    Vous avez essayé parfois.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #0

    Notamment dans celui sur l'attentat au cinéma de votre père.

  • Speaker #1

    Eh bien, comment dire ? Moi, je procède par un tel accumulation de resserrement, de distillation, qu'il me faut une tonne de pommes de terre pour faire un petit verre de vodka. Très bien.

  • Speaker #0

    Vous êtes contre les points d'exclamation. Oui,

  • Speaker #1

    ça je le mets complètement.

  • Speaker #0

    Vous dites que ce sont des photos. Des photos télégraphiques. Oui,

  • Speaker #1

    surtout dans la syntaxe espagnole où il est au début de la phrase et à la fin.

  • Speaker #0

    Oui, encadré la phrase.

  • Speaker #1

    On est dans l'hystère. Il y a d'ailleurs une nouvelle de Tchékov qui s'appelle le point d'exclamation.

  • Speaker #0

    Vous dites que ça ne sert à rien. Soit la phrase est forte en elle-même et on n'en a pas besoin. Ou sinon, si on en met tout le temps comme Céline, on est rupte. Oui, oui. Et vous êtes contre aussi les italiques. Vous dites « vaniteux haut-parleur de la confidence » . Oui,

  • Speaker #1

    oui, c'est cette façon de souligner quelque chose que le lecteur, s'il est un bon lecteur, a déjà remarqué, mais de lui forcer un peu la main, de lui forcer l'oreille et l'œil. Et je trouve que c'est souvent du mauvais goût. J'essaie de moi-même à ce mauvais goût, quelquefois j'essaie de me contrôler.

  • Speaker #0

    À propos de Kundera, vous dites que le mot « mort » se dit « smart » .

  • Speaker #1

    Oui, Smert.

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de voyelle, S-M-R-T. Ça se prononce comment ?

  • Speaker #1

    Smert.

  • Speaker #0

    Smert. Ça, ça veut dire mort. Oui.

  • Speaker #1

    En tchèque. Ce que disait Romain Garry aussi, parce que c'est quasiment le même mot en lituanien aussi. C'est vrai que cette façon d'expédier la mort comme un crachat, c'est pas... Tandis que quand en français on dit la mort, c'est comme si on met la pédale. d'amplification sur un piano. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a immédiatement des harmoniques longues et profondes. Tandis que chez Kundera, entre autres, la mort est expédiée comme un crachat, comme un jonc.

  • Speaker #0

    Smart, oui. Alors, on va jouer au jeu devine tes citations, Jean-Paul. C'est-à-dire que je vais vous lire des phrases tirées de tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit cette phrase. Tout est également simple et savoureux avec ce Casanova un peu voyou des faubourgs d'Alger.

  • Speaker #1

    Ah, ça c'est... je parle d'Albert Camus. Oui,

  • Speaker #0

    c'est dans Je me retournerai souvent, le dernier, page 23. Ce Casanova un peu voyou des faubourgs d'Alger.

  • Speaker #1

    Oui, c'est Albert Camus.

  • Speaker #0

    Tu as un petit peu aussi un autoportrait, non ? Pas du tout ?

  • Speaker #1

    Je ne suis pas vraiment des faubourgs d'Alger, mais enfin, si vous voulez.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'entre Sartre et Camus, votre choix est fait ?

  • Speaker #1

    Écoutez, on m'a appelé Jean-Paul à dessein.

  • Speaker #0

    Pour vous influencer ?

  • Speaker #1

    Pour m'influencer. Et j'ai mis beaucoup de temps à comprendre que Camus était un homme meilleur et plus lucide. Ça retrait simplement un génie. Mais Camus est un frère, oui. Donc voilà, cela dit... puisqu'on parle des prénoms je vous informe que j'ai fait des grandes démarches pour m'appeler Paul Jean afin d'avoir le prix Paul Jean Toulé et ça a été un échec c'est Frédéric Pajac qui l'a eu j'en suis fort désolé magnifique l'horaire vous

  • Speaker #0

    dites à propos de Camus nous étions nés sur la même rive de la Méditerranée sous le même soleil au coeur de la même guerre enfin moi quelques années après la coquetterie vous rattrape que faire pour libérer Boilem Sansal ?

  • Speaker #1

    Comment ? Je crois que...

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il faut ne pas en parler ou est-ce qu'il faut en parler ?

  • Speaker #1

    Il faut en parler et surtout il faut faire preuve d'une autorité. Peut-être que je parle, je suis de totale incompétence, mais mes réflexes seraient de commencer par... Enfin, je ne veux pas rentrer dans les détails, mais être un discours de fermeté absolu avec ce gouvernement algérien qui ne comprend que la force.

  • Speaker #0

    Autre phrase de vous. La vérité appartient toujours au dernier qui l'imagine. je crois que c'est dans les lignes de vie si le soleil s'en souvient 2024 et vous dites d'ailleurs la vérité en fait c'est un tiers d'exactitude un tiers d'exactitude malmenée par le temps et un tiers de mensonges rigoureusement véridiques c'est ça la vérité pas mal vous pensez toujours ça de plus en plus puisqu'on vit dans le monde des fake news Oui.

  • Speaker #1

    Oui, mais enfin, ce n'est pas ce genre d'inexactitude que je fais allusion.

  • Speaker #0

    Mais vous pensez qu'un écrivain, ça doit dire la vérité ou mentir ?

  • Speaker #1

    Quoi qu'il fasse, il ment.

  • Speaker #0

    Et donc, vous devez être assez heureux de vivre dans une époque de vérité alternative ?

  • Speaker #1

    Non. Non, parce que je trouve que les alternatives, comme vous dites, ne sont pas très sympathiques. Donc je suis pour des alternatives aimables et embellisseuses.

  • Speaker #0

    Oui, dans la littérature. Autre phrase. L'avenir me tente, j'oublie le passé.

  • Speaker #1

    C'est une phrase de Flaubert.

  • Speaker #0

    Le présent m'attend.

  • Speaker #1

    Une phrase de Flaubert.

  • Speaker #0

    Que vous citez dans l'hypothèse des sentiments. Vous êtes fort parce que j'essayais de vous piéger et vous êtes fort. Une autre. Je tenais l'amour à distance, je croyais au plaisir, je rencontrais rarement le bonheur.

  • Speaker #1

    Je pourrais mettre ça n'importe où, tellement c'est moi.

  • Speaker #0

    Ce qui plaisait à Blanche, 2020. Mais quand même, vous dites que vous rencontrez rarement le bonheur. Moi, j'ai l'impression que vous le rencontrez de plus en plus.

  • Speaker #1

    Oui, je suis heureux de façon indécente.

  • Speaker #0

    Indécente ?

  • Speaker #1

    Oui, ça me fait peur d'ailleurs. Je ne sais pas... qui est quand on me présentera la note, mais c'est iné...

  • Speaker #0

    Vous l'avez eu en 2020 la note ? Non. Dans cette partie de tennis ?

  • Speaker #1

    Mais au contraire, ça m'a rendu intéressant. J'ai eu...

  • Speaker #0

    La forme a dû être intéressante. Oui,

  • Speaker #1

    bien sûr. Ça m'a rendu très... Tout d'un coup, enfin, il m'est arrivé qu'un nuage noir passe au-dessus de ma tête.

  • Speaker #0

    Vous devenez enfin sympathique. Alors, justement, une autre phrase de vous qui me fait énormément rire là-dessus. Solers n'a plus d'ennemis, puisqu'on lui reprochait surtout d'être vivant. Oui,

  • Speaker #1

    ça je le pense profondément.

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier, je me retournerai souvent, et vous pastichez une formule de Truffaut sur Guitry d'ailleurs, mais c'est très très bien.

  • Speaker #1

    En effet, Truffaut disait Guitry, ce qu'on lui reprochait c'était d'être vivant.

  • Speaker #0

    Vous dites quelque chose de méchant, mais vrai, sur Solers, j'adorais toujours les 20 premières pages de ses romans. Oui,

  • Speaker #1

    après je me perdais.

  • Speaker #0

    Lui aussi peut-être. Mais les 20 premières pages sont toujours exceptionnelles.

  • Speaker #1

    Exceptionnelles de désavolture. Ça pourrait être un écrivain italien, je ne sais pas comment vous dire. C'est merveilleux. Et puis après, l'érudition prend le dessus. La fausse érudition d'ailleurs. Une érudition un peu trop... Ça sentait la peinture fraîche, son érudition.

  • Speaker #0

    Peut-être que comme vous, Philippe Solers n'était pas romancier, tout simplement. Et c'était un très grand critique. Et ce n'est pas grave, un très grand intellectuel. un essayiste La guerre du goût est un effet de génie sur la littérature mais peut-être le roman au bout de 20 pages ça l'embêtait oui non seulement ça mais il avait écrit des romans classiques comme

  • Speaker #1

    Cruel solitude mais peut-être en tout cas le parallèle me flatte au combien une autre phrase dans quel livre avez-vous dit ceci Merci.

  • Speaker #0

    Borgès voulait être suisse car c'est le seul pays où personne ne connaît le nom du président. Ce qui est vrai. Je serais incapable de vous le dire d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Je ne crois pas que ce soit de moi cette phrase.

  • Speaker #0

    Ah bon ? Je l'ai trouvée dans Caison de papier, le recueil de vos chroniques.

  • Speaker #1

    Peut-être, oui. De Pistèze. Mais en fait, c'est assez typique d'une phrase possiblement inventée. Parce que ce que j'avais en tête, c'était Sioran. Et mais par-dessus tout, la Mongolie, parce que c'était le seul pays où il y avait plus de chevaux que d'hommes.

  • Speaker #0

    Oui, donc peut-être que vous avez des problèmes là aussi. Mais oui, mais c'est très bien. Les deux sont très bien. Une dernière, ça je l'adore aussi ça. C'est vraiment, pour moi, heureusement que vous êtes là, heureusement que vous vivez pour ce genre de choses. Il ne consentait à parler de la mort que quand il était sur des skis.

  • Speaker #1

    Jean d'Ormesson.

  • Speaker #0

    Oui, vous dites ça, c'est pur Jean d'Ormesson. Oui. Je trouve ça vraiment formidable. Il ne consentait à parler de la mort que quand il était sur des skis.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup. Ah oui, mais on va terminer avec les conseils de lecture. Vous avez dû préparer votre... Vous avez une antisèche. Je vous ai envoyé des questions. Oui, oui. Vous vous en souvenez ? D'accord. Juste pour... Parce que quand même. Grand éditeur et grand critique. Vous travaillez toujours au point ? Non. Non, vous avez arrêté aussi ? Vous avez tout arrêté ? Oui. Mon Dieu. Vous allez devenir vraiment écrivain. Un livre qui donne envie de pleurer.

  • Speaker #1

    Un coeur simple de Flaubert. Oui. Ou La princesse de Clèves.

  • Speaker #0

    Parce que dans les deux cas, c'est un amour qui n'advient pas.

  • Speaker #1

    Oui, ou Fritz Zorn, Mars, de Fritz Zorn.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer.

  • Speaker #1

    Paris est une fête, de Hemingway, évidemment.

  • Speaker #0

    Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #1

    Oui, ça ne manque pas. La mort de Virgile, Herman Broch, Orlando de Virginia Woolf. Ah oui ? Oui, mais en général, on ne passe pas beaucoup de temps dans les livres où on s'ennuie.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue.

  • Speaker #1

    Je ne crâne pas dans la rue. Si vous me demandiez dans les salons, dans les boudoirs...

  • Speaker #0

    Pour crâner chez la Pérouse.

  • Speaker #1

    Alors, pour crâner, tout dépend de la compagnie. Avec vous, je ne ferai pas tant d'efforts. Mais si... Par exemple, parler des hétéronymes de Fernando Pessoa ou bien parler des sonnets de Gongora, on crâne. Et on est ridicule.

  • Speaker #0

    Un livre qui rend intelligent.

  • Speaker #1

    La recherche du temps perdu, sans hésitation.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Un livre pour séduire. Ce n'est pas crâner, c'est séduire.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Séduire donc une femme. Et à ce moment-là, la poésie est une arme fatale, pas les romans. J'ai ma phalange de conquête, Apollinaire. Aragon, Baudelaire, Valéry.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Et avec ça, on ramène ce qu'on doit ramener.

  • Speaker #0

    Un livre que je regrette d'avoir lu ?

  • Speaker #1

    La recherche du temps perdu. Ça m'a stérilisé pendant 30 ans. C'est tellement génial, c'est tellement immense qu'on se dit... Je vous dis ça m'a stérilisé pendant 30 ans.

  • Speaker #0

    Au lieu de vous inspirer, ça vous a intimidé. Oui, un livre que je fais semblant d'avoir fini.

  • Speaker #1

    Belle du Seigneur. Oh ! Oui, oui.

  • Speaker #0

    Mais enfin, comment osez-vous ?

  • Speaker #1

    Ben oui, j'ai mal j'ose.

  • Speaker #0

    Ça c'est un scoop.

  • Speaker #1

    Oui, je pourrais vous dire également, évidemment, Ulysse, je pourrais vous dire plein de choses comme ça. Mais Belle du Seigneur, en général, les gens le terminent. Moi j'en pouvais plus.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui. C'est vrai que c'est long là.

  • Speaker #1

    C'est un sujet de discorde avec Bernard.

  • Speaker #0

    Oui, Bernard en y vit beaucoup, Albert Cohen. Le livre que j'aurais aimé écrire ? Ça va être encore la recherche ?

  • Speaker #1

    Non, non, non, ça c'est indépassable, il est à la droite de Dieu qui n'existe plus, mais il est là. Non, j'aurais aimé écrire Moby Dick précisément.

  • Speaker #0

    Ah oui, en hommage à cette projection qui n'a pas eu lieu.

  • Speaker #1

    Non, parce que c'est un livre génial qui prétendait être un rajout fait à la Bible. Il n'a pas compris que les religions du monde n'aient pas rajouté Moby Dick à sa Bible. Et en effet, le livre avait été conçu et écrit dans cet esprit-là. En vérité, il ne s'est même pas vendu, puisque le stock des invendus a servi de tar à une grue du port de New York.

  • Speaker #0

    C'est le conceptif-là. Et la baleine blanche, alors c'est Dieu ou c'est quoi ? C'est la mort ?

  • Speaker #1

    C'est le mal.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    C'est le mal.

  • Speaker #0

    Le livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #1

    Je viens de vous dire.

  • Speaker #0

    Ah pardon, je suis gâteux. Oui. Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu de votre vie, Jean-Paul Antoine ?

  • Speaker #1

    Ah oui, écoutez, ça me fait de la peine.

  • Speaker #0

    Vous répondez 80.

  • Speaker #1

    99 francs que vous avez publié. C'est un livre que j'ai adoré. 99 francs. Non, c'est d'autant plus terrible parce que je vais vous dire que j'ai vénéré son auteur. J'ai adoré Paul Morand, admiré, pastiché, imité. dans mes mesures de mes moyens. Et puis j'ai lu son journal inutile. Et c'est abject, tout simplement.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qui est pire, le journal inutile ou la correspondance à Chardon ?

  • Speaker #1

    Puisqu'il a commencé le journal inutile, quand Chardon est mort, il n'avait plus de correspondant.

  • Speaker #0

    Restons sur Tendre Stock de Paul Morand. Et enfin, le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Speaker #1

    Alors je lis, pour tout vous dire, un petit balzac qui s'appelle Traité sur les excitants modernes. C'est le dernier livre qu'il a écrit qui est absolument génial, où il reconsidère toute la comédie humaine. Il dit vous croyez que j'ai parlé de l'ambition, de la cupidité, de l'amour ? Non pas du tout. J'ai parlé de cinq excitants modernes qui sont par ordre de nocivité, le café, le tabac, le sucre. le thé et le chocolat. Et il retraverse la comédie humaine en disant « Mais vous voyez, quand Ruben Pré retourne à Angoulême, qu'il croise Vautrin, Vautrin lui demande d'allumer son cigare, enfin bref. » Et donc je lis ça. Je lis aussi le livre de Simon Liberati, Stanislas, qui est un très joli livre. Il est venu, il est venu. Très joli livre.

  • Speaker #0

    Et vous avez dit du bien d'un livre de Chez Grasset, donc vous êtes quand même encore un petit peu éditeur, malgré tout.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, dis que c'était Chez Grasset.

  • Speaker #0

    Non, mais moi je le dis. Merci infiniment Jean-Paul, c'est un plaisir de discuter avec vous. Cette émission, vous étiez présenté en partenariat avec ma chemise, Figaret. Oui, oui, c'est important de gagner.

  • Speaker #1

    Vous êtes homme sandwich.

  • Speaker #0

    Nous devons gagner notre vie et défendre la littérature exige bien des sacrifices. Non, mais vraiment. Et puis merci à toute l'équipe du Figaro TV qui tourne, enregistre et monte cette émission. Et enfin n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous mourrez idiot. Ce sera l'apocalypse et plus rien n'aura de sens. Et nous serons remplacés par Tchad GPT.

  • Speaker #1

    Merci.

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Description

Un festival d'esprit, pétillant et joyeux, voilà ce que j'écrirais en commentaire si j'étais vous.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir public, je suis très heureux de recevoir ce soir Jean-Paul Antoven pour son nouveau livre

  • Speaker #1

    Je me retournerai souvent.

  • Speaker #0

    Qui est publié aux éditions...

  • Speaker #1

    Grasset, comme d'habitude.

  • Speaker #0

    Merci infiniment, c'est votre meilleur livre. Je vous le dis, les yeux dans les yeux, c'est votre meilleur livre. Et en même temps, je vais commencer par un compliment qui est aussi une vacherie. Pourquoi êtes-vous si brillant dans les essais et un peu plus que dans les romans ?

  • Speaker #1

    Parce que vous n'avez pas vraiment lu mes romans, je suppose. Je sais que tout le monde dit ce que vous dites là, mais ça me semble injuste, très franchement. Je trouve ça pas mal, les romans que j'écris. C'est curieux, je ne serais pas vaniteux sur les essais. Et puis, que voulez-vous ? J'ai tellement envie d'être un bon romancier que je n'y parviens pas.

  • Speaker #0

    Vous n'êtes pas sûr, peut-être que ça viendra. mais en tout cas là, ce livre là qui est sous-titré Reconnaissance de dette, tranche de vie et autres fantaisies, c'est une plume libre, libérée peut-être, et érudite, légère et optimiste.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, tout ce que je suis d'ailleurs. Mais pour un essai, l'intelligence est indispensable. Pour les romans, c'est inutile.

  • Speaker #0

    C'est un défaut.

  • Speaker #1

    C'est presque un défaut. et je n'arrive pas à À me défaire non pas d'intelligence, ce serait prétentieux, mais je n'arrive pas à me défaire d'une démarche conceptuelle, analytique, qui n'a pas sa place dans un roman. Les grands romanciers sont souvent des brutes.

  • Speaker #0

    Oui, et puis vous n'avez peut-être pas envie d'avoir un cadre romanesque qui vous enferme. Vous avez besoin de respiration, de slammerie,

  • Speaker #1

    de fragments.

  • Speaker #0

    Oui, vous aimez les bribes. Oui, pourquoi ?

  • Speaker #1

    Parce que ce qui est lourd dans les romans et qui corsette l'écriture, c'est les liaisons, les chevilles, les explications. Et puis...

  • Speaker #0

    Les personnages.

  • Speaker #1

    Les personnages. Je n'aime pas les romanciers qui disent mon personnage m'a échappé. Personne ne m'échappe. Je contrôle tout.

  • Speaker #0

    Peut-être justement vous êtes trop control free pour être vraiment romancier. Mais oui,

  • Speaker #1

    il faut le citer.

  • Speaker #0

    Mais vous y arriverez sûrement. Laissez un personnage s'envoler, vous désobéir.

  • Speaker #1

    Eh bien, ce n'est pas encore le cas. Je préfère contrôler. mais mes imaginations plutôt que celles de mes personnages.

  • Speaker #0

    Je suis très désagréable de commencer par une vacherie, alors que j'ai adoré ce livre. Je pense qu'il pourrait s'intituler Les enfants de Saturne 2, Le retour. Mais cette fois, il n'est plus déprimé. Cette fois, Jean-Paul Lantauvène parle des gens qu'il admire et qu'il a rencontrés.

  • Speaker #1

    Si vous me permettez, dans Les enfants de Saturne 1, je parlais des écrivains, mais je n'étais pas dans le paysage. Là, je parle de ces écrivains pour parler de moi. Je suis dans chaque épisode. Tous les écrivains que je mentionne ont eu affaire à moi. Exactement. J'ai eu affaire à eux. Et donc, j'ai voulu faire un autoportrait à travers, non pas des autres grands écrivains, mais un autoportrait à travers des circonstances.

  • Speaker #0

    Oui. Cela dit, Les Enfants de Saturne était aussi peut-être une manière d'autoprofiter. Oui,

  • Speaker #1

    mais j'ai fréquenté peu Le Prince de Ligne et Chanfort.

  • Speaker #0

    Je raconte. Pour les gens qui n'auraient pas lu Les Enfants de Saturne 1, c'était en 1996. C'était votre premier livre. Vous étiez alors un grand critique littéraire et éditeur et vous n'aviez jamais publié. Et ce livre a été salué. c'était une suite de portraits de Hemingway, de Fitzgerald, de Benjamin Constant. Le Prince de Ligne, Stendhal, Chanfort. Et cette fois-ci, c'est une autre galerie de portraits, mais là où il y a des gens que vous avez véritablement croisés, qui sont Borges, Kundera, Solers, Françoise Sagan, Cioran, Georges Pérec dans un ascenseur, Roland Barthes. Il y a quand même quelques morts, puisqu'il y a Guillaume Apollinaire, il y a Diderot, Jacques Rigaud. mais il n'y a que des morts si vous me permettez oui oui ils sont morts mais vous les avez connus oui voilà ça oui il n'y a que deux vivants une femme

  • Speaker #1

    et un ami.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que c'était que l'ambition de départ ? C'est-à-dire de dire, j'ai croisé toutes ces personnes ?

  • Speaker #1

    Comme le sous-titre le dit, c'était reconnaissance de dette. Et je pense que ce que je suis, je le dois sur le mode de l'amour, de l'admiration, ou du mépris et de la déception, tout rentre en composition. Et voilà, reconnaissance de dette. C'est eux qui m'ont fabriqué, qui ont fabriqué ma tête, en tout cas. Et c'était ça, le projet. Oui,

  • Speaker #0

    et vous parlez d'ailleurs de votre grand frère, mort avant votre naissance, qui portait le même nom que vous. Et peut-être que cette reconnaissance de dette, elle vient de là. Depuis le départ, vous remplacez un mort.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, c'est une histoire célèbre, enfin célèbre pour moi et fameuse pour moi. Solers m'avait dit Un jour, quand je tardais à publier, précisément, il m'avait dit, il faut publier, parce qu'après tout, un livre, c'est le seul endroit où on a son nom tout seul. Et puis, il s'était repris, il m'avait dit, ah non, cela dit, on a son nom tout seul aussi sur une tombe.

  • Speaker #0

    Ça ressemble.

  • Speaker #1

    Il dit, ça ressemble, c'est un parallèle épipède, etc. Or, il ignorait qu'effectivement, enfant, j'allais très souvent sur la tombe de... du frère qui m'avait précédé, et où il y avait mon nom. D'ailleurs, mon nom est la première chose que j'ai apprise à lire, puisqu'il portait le même prénom que moi.

  • Speaker #0

    Et, alors, la mort est... Donc, ce sont des morts que vous décrivez, mais aussi, la mort est présente autrement, parce que vous écrivez mieux après un arrêt cardiaque, qui a eu lieu en 2020. Sans doute une allergie au Covid.

  • Speaker #1

    Non, non, non, non, non, non. Ce n'est pas un arrêt cardiaque, c'est une aorte qui a explosé pendant une partie de... de tennis. Donc, c'était fâcheux.

  • Speaker #0

    Le procureur s'est arrêté de battre pendant une heure.

  • Speaker #1

    Non, on a sorti mon cœur, on l'a mis à part pour pouvoir réparer les choses, pendant 87 minutes. Donc, j'étais ni vivant, ni mort. J'étais le chat de Schrödinger. Et c'est vrai. que ça a changé des choses, oui. Soudain coup, un sentiment d'urgence, beaucoup moins de verbes, une ponctuation plus haltée. J'avais besoin de ça.

  • Speaker #0

    Je cite les ouvrages que vous avez publiés depuis votre mort, Les raisons du cœur, en 2021, Lignes de vie, l'année suivante, 2022, Si le soleil s'en souvient, en 2024, qui est un livre assez exceptionnel sur la... sur votre père et sur votre enfance algérienne, et sur la guerre d'Algérie. Et puis enfin, je me retournerai souvent. Quatre livres depuis, quatre livres posthumes. Oui,

  • Speaker #1

    parce que vous savez, pendant très longtemps, et vous en savez quelque chose, j'étais éditeur. Et je n'avais pas compris à l'époque quelle était la qualité requise pour être un bon éditeur. Ce n'est pas le sens du commerce, ce n'est pas l'amour de la littérature, surtout pas. C'est le serment. qu'on se fait à soi-même qu'on n'écrira pas. Un bon éditeur, ça n'écrit pas. Et donc j'ai été tiraillé entre mon devoir d'éditeur, parce que c'est une profession noble, et tiraillé entre mon désir d'écrire. J'ai basculé de l'autre côté. Alors du coup, c'est très facile d'écrire, j'ai deux ou trois manuscrits qui sont prêts. Ah oui, c'est bien,

  • Speaker #0

    formidable. Vous êtes un spécimen rare, un juif protestant. Oui. Vous dites ça dans le livre, vous dites je suis du nord par mes origines hollandaises et du sud par mes origines algériennes. Comment arrive-t-on à concilier cette...

  • Speaker #1

    Ah bah ça...

  • Speaker #0

    C'est un peu schizophrène.

  • Speaker #1

    Non pas du tout. D'abord le judaïsme et le protestantisme ont une longue frontière commune. L'agent, le diplomate qui a fabriqué cette frontière s'appelle Spinoza. Donc non, non, je ne vois pas de contradiction entre ça. je... Je me sens à la fois fils du soleil et fils de la rigueur. Les deux choses me parlent.

  • Speaker #0

    Et puis vous dites, entre les lignes, mais vous le répétez souvent, que vous n'êtes pas tellement pour les racines. Vous êtes plutôt citoyen du monde. Vous n'êtes ni hollandais, ni algérien et pas vraiment français.

  • Speaker #1

    Toutes les figures d'enracinement, de terroir. je me sens insulté non pas vrai je sais que vous êtes béarnaise mais ça va plus loin je me suis un peu mal à l'aise avec les gens qui parlent pendant une heure de leur bouteille de vin par exemple ça m'énerve

  • Speaker #0

    Mais nous ne sommes pas des arbres, nous avons des rastis, mais nous ne sommes quand même pas des arbres.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai, c'est vrai, mais grande allergie. En deux secondes, ces affaires de racines me mèneraient à vous parler du maréchal Pétain ou de Maurice Barès.

  • Speaker #0

    Attention.

  • Speaker #1

    Évidemment.

  • Speaker #0

    Attention. Donc vous préférez dire que vous êtes un voyageur, que vous transgressez les frontières, et que quand vous êtes... À Paris, c'est parce que vous n'êtes pas à Punta del Este. Voilà,

  • Speaker #1

    oui, oui, oui, c'est ça. Et on dit même que quand deux avions se croisent dans le ciel, je suis dans les deux en même temps.

  • Speaker #0

    Dans le livre, c'est marrant parce que vous employez deux mots qui sont le contraire l'un de l'autre et vous vous sentez les deux rapatriés et apatrides.

  • Speaker #1

    Oui, je ne crois pas avoir employé le mot rapatrier,

  • Speaker #0

    ça me fait horreur. Si, si, en péjoratif. Ah oui,

  • Speaker #1

    d'accord. En péjoratif. Ce mot me fait horreur. Oui,

  • Speaker #0

    mais justement, dites pourquoi. Votre famille était en Algérie et il a fallu prendre un bateau et rentrer en France. Bien sûr,

  • Speaker #1

    oui. Enfin, oui. Bien sûr, mais j'étais tellement heureux d'arriver en France, tellement heureux. C'était, enfin, j'allais, tout était en ordre, tout était beau, la grande littérature était là. J'ai croisé Sartre à la terrasse d'un café, ça m'a bouleversé, vous comprenez. Et donc, pas de patrie, si ça s'était appelé des matries, peut-être que j'aurais fait une exception.

  • Speaker #0

    Mais... Avez-vous ressenti une honte de venir d'une ancienne colonie ?

  • Speaker #1

    Non, pas une honte, simplement c'était un pays qui était saisi par deux imbécilités symétriques, une imbécilité coloniale sans pareil et une imbécilité nationaliste sans pareil.

  • Speaker #0

    Et deux violences.

  • Speaker #1

    Les deux violences, du coup ce pays était imbibé de sang, de tueries, de morts partout. Et je suis foqué là-dedans, malgré ma mère qui me lisait Proust et Apollinaire, je suis foqué dans cette terre-là. Et j'ai toujours été reconnaissant au général de Gaulle d'avoir mis un terme à ce cauchemar.

  • Speaker #0

    Mais pourtant, votre meilleur ami... est né comme vous à Mascara, Bernard-Henri Lévy.

  • Speaker #1

    Non, il n'est pas né à Mascara, son père était né à Mascara.

  • Speaker #0

    Et comme lui, vous avez mis longtemps à parler de votre enfance. Oui. Ce livre, s'il se lève...

  • Speaker #1

    Je ne suis pas sûr que Bernard s'y soit déjà mis.

  • Speaker #0

    Il a, si, dans son livre sur ses insomnies,

  • Speaker #1

    il en parle un peu.

  • Speaker #0

    Un peu, un peu, oui, oui.

  • Speaker #1

    Il est beaucoup plus pudique que vous.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai. Non, mais je décris juste ça parce que pour mes émissions, je relis toute l'œuvre de mon invité. Et dans Si le soleil s'en souvient, en 2024, vous décrivez un attentat dans un cinéma, le Vox, qui appartenait à votre père. Alors, je pense que vous avez un peu exagéré, parce que c'était vraiment, dans le livre, c'était une scène apocalyptique,

  • Speaker #1

    une tuerie. Non, non.

  • Speaker #0

    Non, c'est vrai ?

  • Speaker #1

    Vous pouvez consulter Wikipédia ou autre.

  • Speaker #0

    En 1961, votre père ouvre un cinéma et il y a...

  • Speaker #1

    et la séance d'inauguration était consacrée à un film de John Huston Moby Dick. Moby Dick. Et à l'époque, l'OAS avait interverti l'ordre des lettres au néon qui s'illuminait pour le Open Ignite, l'inauguration, et ça donnait Mody Bick.

  • Speaker #0

    Un jeu de mots bien pourri.

  • Speaker #1

    Un jeu de mots bien pourri. Évidemment, un attentat s'en était suivi, un cauchemar, oui. d'où ma passion pour Melville d'ailleurs oui,

  • Speaker #0

    je vais vous demander de lire un extrait du livre sur ce sujet, c'est ici ah oui

  • Speaker #1

    Je dis quelques caractéristiques. Je suis ennemi de l'ail, des frontières, de la vulgarité, du mépris, de l'amertume, des racines, de la violence, des simplifications, des impasses, de l'ignorance, de l'impolitesse.

  • Speaker #0

    Pourquoi l'ail ?

  • Speaker #1

    Ah, j'ai une phobie.

  • Speaker #0

    Le reste on peut comprendre,

  • Speaker #1

    mais l'ail... puisque vous parliez de Bernard, s'il y a une phrase qu'il sait dire dans à peu près toutes les langues du monde, c'est « sans ail et sans oignon, s'il vous plaît » . Et l'ail, ça me vient peut-être d'un vers d'Apollinaire, il disait « il était juif, il sentait l'ail et s'en revenait d'un bordel de Shanghai » . Et donc...

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas cette haleine un peu forte ?

  • Speaker #1

    Non, non.

  • Speaker #0

    Vous dites plus loin dans le même livre, dont je me retournerai souvent, j'aimerais que la France soit peuplée d'Italiens pour le goût du bonheur et de Britanniques pour le goût du courage. Donc vous pensez que la France, c'est des gens qui font la gueule et qui sont lâches.

  • Speaker #1

    Il y a une dose de lâcheté et il y a une... d'oboses de sale gueule, mais il y a aussi...

  • Speaker #0

    Et de ronchons, surtout. Oui,

  • Speaker #1

    oui, de ronchonneries, mais il y a aussi d'autres choses. J'aime passionnément la France, mais c'est vrai qu'un peu plus de bonne humeur et un peu plus de courage, ça serait pas mal. Oui.

  • Speaker #0

    Vous n'avez pas aimé être éditeur. Alors ça, en tant qu'écrivain publié par vous, je suis un petit peu vexé. Je lis ce que vous écrivez. Lisez-le vous-même.

  • Speaker #1

    Ah non, non, non. Assumez vos propos. c'est pas drôle ça ce passage là non je peux vous le dire c'est que effectivement à la fin de ce métier j'avais l'impression d'être devenu un proxénète pour tout vous dire c'est à dire que j'avais des gagneurs et des gagneuses vous étiez un gagneur oui j'ai plutôt rapporté de l'argent bien sûr Merci. et vous tapiniez sur les trottoirs de la renommée. Et donc, Edmond de Charlerou, grand auteur de Grasset, appelait Grasset la maison de commerce. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre ce qu'elle voulait dire. Et cette position de proxénète, il me manquait les pompes bicolores et le borsalino. Et puis, comment vous dire ? Alors que tout ça est enrobé dans ce qu'il y a de plus exquis, de plus littré, de plus civilisé. Alors que l'argent mène le bal.

  • Speaker #0

    Moi, j'ai fait ce métier trois ans et j'ai trouvé ça invivable et épouvantable. Vous avez tenu beaucoup plus longtemps.

  • Speaker #1

    Oui, mais parce que j'avais fantasmé cette profession. Rien ne me semblait plus noble. Pour moi, on était Jacques Rivière ou personne d'autre, vous comprenez ? J'étais l'éditeur de Proust, Jacques Rivière, et du dévouement de la...

  • Speaker #0

    Mais vous l'avez fait, vous avez été un bon éditeur.

  • Speaker #1

    Mais c'est parfois, j'ai fait des choses très bien. Eh oui,

  • Speaker #0

    il y a des tas de chansons que vous avez rencontrées.

  • Speaker #1

    Très honorable, je garde des souvenirs merveilleux. Mais fondamentalement, j'ai perdu un peu de temps, et en tout cas, quand j'ai compris que c'est la chose qui m'intéressait, c'était d'écrire des livres.

  • Speaker #0

    En fait, c'est ça. Vous en avez eu marre à un moment. Donc, vous avez l'impression que tout était pourri, mais ça ne l'était pas. Et c'est très vrai qu'on ne peut pas écrire quand on est éditeur. Il y a quelques exceptions.

  • Speaker #1

    Solers,

  • Speaker #0

    par exemple, a été éditeur et a écrit.

  • Speaker #1

    Solers était si peu éditeur. Solers donnait certains manuscrits qu'on lui confiait à imprimer, mais il n'était pas vraiment éditeur. Il était écrivain. D'ailleurs, il arrivait dans sa maison, J'ai gagné marre en début d'après-midi. Donc, c'est comme ça. Oui, c'est ça.

  • Speaker #0

    Parce qu'on n'a pas de temps pour se concentrer.

  • Speaker #1

    Et puis surtout, si on a du succès, les auteurs vous en veulent, surtout ceux qui n'ont pas de succès. Et si on n'a pas de succès, vous n'avez plus aucune autorité morale.

  • Speaker #0

    Donc,

  • Speaker #1

    c'est une interruption contradictoire.

  • Speaker #0

    Il ne faut pas faire les deux. Il y a un essai d'Anne-Sophie Beauvais qui s'appelle « L'éditeur et le philosophe » , qui parle de vous. Vous, vous êtes l'éditeur, le philosophe, c'est Michel Onfray. Ce livre, il est paru chez Robert Laffont. Et je voulais vous lire un passage qui vous décrit de manière assez marrante. « Lorsque j'étais plus jeune étudiante avec mes amis, je me suis souvent amusé de sa mine toujours allée, de ses lunettes au vert immanquablement bleu fumé. Oui, ben c'est pas complètement faux, et de son élégance ouvragée à l'italienne. Pantalons blancs, ah non, pas là, blazeurs à pochettes et mocassins de couleur, toujours portés pieds nus, c'est pas le cas non plus mais on ne va pas le prouver. À l'époque, nous étions quelques-uns à rêver de le voir s'intéresser au brouillon des livres que l'on écrivait alors. Aucun de nous n'a jamais osé l'aborder. Aujourd'hui, vingt ans plus tard, il n'a pas changé. Mon regard sur lui, si. Jean-Paul Antoven est devenu à mes yeux un personnage proustien, dont j'aime à imaginer à chaque fois que je le vois les plaisirs et les jours. Ici, dilettante et bellâtre, au bras d'une comtesse italienne, en vacances à Capri, là, fantasque et dandy dans une fête germanopratine de prix littéraire, où l'un de ses poulains fait ses premiers pas et qu'il accompagne de ses conseils. C'est pas faux, c'est assez joli.

  • Speaker #1

    Je n'aime pas cette gentillesse au milieu d'une thèse très déplaisante. elle fait de moi, puisqu'elle a choisi L'autre personnage dont je m'interdis de même de prononcer le nom. Vous êtes fâché ? Je ne sais pas que je suis fâché, je ne suis rien. Quelqu'un que j'ai contribué à faire exister, il aurait existé sans moi parce qu'il avait du talent.

  • Speaker #0

    Donc moi je prononce le nom de Michel Onfray, mais vous êtes toujours fâché ?

  • Speaker #1

    Il n'existe plus, oui, à mes yeux. Et donc, elle était venue me dire, elle travaillait sur une biographie de Michel Onfray, mais je ne savais pas qu'elle voulait, à travers ma fâcherie avec Michel Onfray, raconter l'histoire des deux Frances qui ne se parlent plus. Donc, je suis figé dans le rôle du dandy et il est figé dans le rôle de, je ne sais pas moi, de Agnernot ou de Jules Vallès. Non, c'est tellement plus compliqué. Oui, oui. Vous voulez que je vous dise ? Ça serait plutôt le contraire. Oui, peut-être. Ça serait plutôt le contraire.

  • Speaker #0

    Oui, et puis je pense que, moi, j'ai trouvé que c'était amusant d'expliquer comment Après la publication du livre sur Freud, Onfray est parti, quitte et grassé. Ce sont des choses qui arrivent dans la vie littéraire.

  • Speaker #1

    Bien sûr, je n'en ai jamais voulu pour ça.

  • Speaker #0

    Vous écrivez dans Je me retournerai souvent qu'un écrivain doit être un personnage. Vous donnez une liste assez intéressante. Il y a l'extravagant, il y a le noctambule, ça peut être là. Le transfuge de classe. il y a L'incestué. L'incestué, bien sûr, que j'ai reçu. J'en ai reçu une. Le dandy, le mutique, l'exilé, le rebelle, etc. C'est toutes ces personnes. Le toxico. C'est très juste parce que c'est vrai que depuis Sainte-Beuve, on sait qu'un écrivain a besoin d'avoir un personnage. Et moi, je dirais, on ferait, c'est l'hédoniste devenu réactionnaire normand. L'hédoniste,

  • Speaker #1

    non. C'est le biophobe. C'est ça le paradoxe. C'est... Revendication d'hédonisme, en vérité, biophobe.

  • Speaker #0

    C'est quoi biophobe ?

  • Speaker #1

    Ben, haine de la vie.

  • Speaker #0

    Ah, oh je crois pas, il a l'air d'être un... Ben non,

  • Speaker #1

    non,

  • Speaker #0

    il a eu... Un mangeur !

  • Speaker #1

    Non, j'ai pas envie de parler de lui.

  • Speaker #0

    Non, bien sûr. Mais et vous alors, vous seriez quel personnage ? Est-ce que vous...

  • Speaker #1

    Justement, je disais que un des drames de ma vie, peut-être parce que je me suis mis trop tard à publier, je n'ai pas trouvé mon personnage. Je ne l'ai pas eu. Je ne peux pas jouer l'autre. Mais si, moi je vous le dis ! Non.

  • Speaker #0

    Vous êtes le maudit, mondain, érudit et fataliste.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas vraiment... Mais ce n'est pas des personnages. Je ne suis pas vraiment maudit parce que ce serait ridicule de le prétendre. Je ne suis pas vraiment mondain parce que ce serait ridicule de le prétendre aussi. Je n'ai pas de...

  • Speaker #0

    Érudit et fataliste, ça vous va bien ? Oui,

  • Speaker #1

    mais ce ne sont pas des personnages. Jacques le fataliste ? Ce sont des adjectifs nobles que je prends volontiers. Mais ce ne sont pas des personnages. Les personnages, c'est autre chose.

  • Speaker #0

    Fera-t-on jamais aussi bien que le début de Jacques le fataliste ? Vous citez le début du livre comme une référence absolue de style.

  • Speaker #1

    pas de style,

  • Speaker #0

    d'art du roman tout est dit est-ce que je peux vous demander de lire le début puisque vous le citez comment s'était-il rencontré

  • Speaker #1

    Par hasard, comme tout le monde, comment s'appelait-il ? Que vous importe. D'où venait-il ?

  • Speaker #0

    Du lieu le plus prochain.

  • Speaker #1

    Où allait-il ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disait-il ? Le maître ne disait rien. Et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. Voilà, c'est pas la peine de dire que la marquise est sortie à 5 heures, d'où elle vient, combien elle a de rentes, non, tout est dit.

  • Speaker #0

    Étiez-vous fait pour le 21e siècle ?

  • Speaker #1

    Il me passionne, mais c'est vrai que faire un tour au XVIIIe ne m'aurait pas déplu. On enjambe le XIXe, qui est un siècle thanatocratique, mortifère.

  • Speaker #0

    Laborieux.

  • Speaker #1

    Laborieux.

  • Speaker #0

    Un du friel.

  • Speaker #1

    Oui, je n'aime pas le 19e, mais c'est vrai que faire un tour au 18e, se faufiler dans un tableau de Fragonard.

  • Speaker #0

    Chez la Pérouse, 1766, avant la Révolution. Oui,

  • Speaker #1

    je sais, je sais,

  • Speaker #0

    je sais.

  • Speaker #1

    C'est pour ça que je suis...

  • Speaker #0

    On n'est pas très mal, ce n'est pas ce qu'on m'a dit.

  • Speaker #1

    Ça voyage dans le temps, oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que vous pensez de la dictature, de la sincérité dans la littérature actuelle ? Parce que vous y succombez aussi. Oui,

  • Speaker #1

    mais je ne la revendique pas parce que c'est impossible, elle est impossible. On a beau vouloir être transparent, on reste opaque. C'est comme ça. Alors, on enlève quelques pelures de l'oignon que nous sommes. Comment dire ? Même la sincérité est un masque. Et donc, voilà. D'ailleurs, à Venise, dans les balles, les gens mettaient des masques pour qu'on les reconnaisse.

  • Speaker #0

    Vous avez... Est-ce que votre projet, avec Je me retournerai souvent, ça n'est pas d'écrire le premier ? Feel Good Book sans mièvrerie. Ah !

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, mais encore faudrait-il qu'il y ait un public pour ce genre de Feel Good Book. En général, c'est pas tout à fait ça.

  • Speaker #0

    Alors, c'est très... Evidemment, votre livre est très cultivé, comme vous. Il y a beaucoup de choses très amusantes, notamment le test de Sagan. Vous rencontrez François Sagan, et vous avez eu accès à François Sagan parce que Vous avez dit que vous étiez un... Un fanatique de Marc Chescou. Non, non,

  • Speaker #1

    je ne sais pas ce que j'ai dit, j'étais très ami, que j'aime beaucoup même, alors pour le coup, j'ai une joie de prononcer son nom, de Florence Malraux.

  • Speaker #0

    Qui était sa meilleure amie.

  • Speaker #1

    Qui était sa meilleure amie et son sosie physique. Et j'avais dit à Florence, je ne peux pas ne plus, ne pas connaître Françoise Sagan. Elle m'avait dit, oui, oui, pas possible. Et puis elle m'avait dit, elle veut bien te voir, mais elle veut te faire passer un... petit examen.

  • Speaker #0

    Si tu es vraiment un pouce.

  • Speaker #1

    Vous savez qu'elle avait choisi le pseudonyme de Sagan qu'elle avait trouvé dans la recherche du temps perdu. Puisqu'elle s'appelait Coirèze et que sa famille bourgeoise de la muette trouvait pas possible que le nom des Coirèzes si illustres soit souillé par les milieux littéraires. Donc elle avait choisi Sagan. Et donc elle m'a posé une série de questions et miraculeusement je suis reposé.

  • Speaker #0

    Et la question pour savoir si on est vraiment un Proustien, c'est quel est le prénom de Madame Verdurin ? Oui,

  • Speaker #1

    ça c'est une question de cours classique. Elle s'appelait Sidonie, comme vous savez. La seconde était plus difficile.

  • Speaker #0

    C'est quoi la deuxième question ?

  • Speaker #1

    Elle me dit quelle différence y a-t-il entre le prince des lomes et le dame oiseau de Montargis ?

  • Speaker #0

    Et en fait, c'est le même personnage. Voilà.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire le baron de Charles.

  • Speaker #0

    C'est Françoise Sagan la seule femme de votre livre, alors avec Florence Malraux et Louise de Villemaurin. Il n'y a pas beaucoup de femmes.

  • Speaker #1

    Et ma bien-aimée.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr, Patricia. Mais il n'y a pas beaucoup de femmes dans le livre. Et alors, je voulais vous donner une liste de suggestions. Pourquoi pas Colette, par exemple ?

  • Speaker #1

    Eh bien, elle est dans le prochain, pour tout vous dire. Ah !

  • Speaker #0

    Je me réjouis. Vous parlez de Zelda Fitzgerald quand même souvent. Virginia Woolf ?

  • Speaker #1

    Trop triste.

  • Speaker #0

    Madame de Lafayette, la princesse de Clèves ?

  • Speaker #1

    Alors, très importante, mais je parle de la princesse de Clèves. Mais Madame de Lafayette, elle avait un côté janseniste, pas royal. qui m'était un peu insupportable.

  • Speaker #0

    Dorothy Parker. Oui. Vous auriez pu prendre Dorothy Parker.

  • Speaker #1

    Totalement. Totalement. Vous connaissez son mot merveilleux sur Catherine Hepburn. Elle était critique de cinéma avec du génie. Elle avait dit, Madame Hepburn maîtrise la gamme complète des émotions de A jusqu'à B. Et sur sa tombe, Ah oui,

  • Speaker #0

    sorry for the dust. Oui, c'est une belle épitaphe. Et d'ailleurs, vous citez l'épitaphe de Louise de Villemorin. Au secours. Au secours, oui. Sur Dorothy Parker, il y a un mot assez amusant. Un jour, elle écrivait dans Vanity Fair et elle ne rendait pas son article. Elle avait de nombreux jours de retard et ils finissent par arriver à la joindre. Et elle dit, I'm sorry, I was too... Fucking busy and vice versa. Je ne sais pas si c'est traduisible,

  • Speaker #1

    je crois pas. Elle a défendu un cercle qu'on appelait le vicious circle. Le cercle vicieux, prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux. C'est pour ça qu'elle est...

  • Speaker #0

    Ça, c'est très bien. Sur le style, vous êtes, comme vous l'avez dit, un adepte du style ramassé, bref, tranchant. et là vous faites votre autocritique vous dites vous fantasmez sur une autre forme les gens et j'aurais aimé être un grand monsieur paul le dire pas vous voulez pas lire votre part C'est une émission littéraire, on doit lire ses propres poses.

  • Speaker #1

    Alors, eh bien, j'écris comme un petit marquis équipé de syntaxes honorables et convenables, alors que dans mon tréfonds, je rêve de partitions imparfaites, négligées, en désordre, dont l'efficacité ne provient pas du détail mais de l'ensemble. J'aurais voulu, pour parler franchement, appartenir à la race des écrivains d'amplitude qui restent fidèles à leur rythme intérieur. tout en négligeant ce qui embellit localement. Or ça, je ne sais pas faire.

  • Speaker #0

    Vous avez essayé parfois.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #0

    Notamment dans celui sur l'attentat au cinéma de votre père.

  • Speaker #1

    Eh bien, comment dire ? Moi, je procède par un tel accumulation de resserrement, de distillation, qu'il me faut une tonne de pommes de terre pour faire un petit verre de vodka. Très bien.

  • Speaker #0

    Vous êtes contre les points d'exclamation. Oui,

  • Speaker #1

    ça je le mets complètement.

  • Speaker #0

    Vous dites que ce sont des photos. Des photos télégraphiques. Oui,

  • Speaker #1

    surtout dans la syntaxe espagnole où il est au début de la phrase et à la fin.

  • Speaker #0

    Oui, encadré la phrase.

  • Speaker #1

    On est dans l'hystère. Il y a d'ailleurs une nouvelle de Tchékov qui s'appelle le point d'exclamation.

  • Speaker #0

    Vous dites que ça ne sert à rien. Soit la phrase est forte en elle-même et on n'en a pas besoin. Ou sinon, si on en met tout le temps comme Céline, on est rupte. Oui, oui. Et vous êtes contre aussi les italiques. Vous dites « vaniteux haut-parleur de la confidence » . Oui,

  • Speaker #1

    oui, c'est cette façon de souligner quelque chose que le lecteur, s'il est un bon lecteur, a déjà remarqué, mais de lui forcer un peu la main, de lui forcer l'oreille et l'œil. Et je trouve que c'est souvent du mauvais goût. J'essaie de moi-même à ce mauvais goût, quelquefois j'essaie de me contrôler.

  • Speaker #0

    À propos de Kundera, vous dites que le mot « mort » se dit « smart » .

  • Speaker #1

    Oui, Smert.

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de voyelle, S-M-R-T. Ça se prononce comment ?

  • Speaker #1

    Smert.

  • Speaker #0

    Smert. Ça, ça veut dire mort. Oui.

  • Speaker #1

    En tchèque. Ce que disait Romain Garry aussi, parce que c'est quasiment le même mot en lituanien aussi. C'est vrai que cette façon d'expédier la mort comme un crachat, c'est pas... Tandis que quand en français on dit la mort, c'est comme si on met la pédale. d'amplification sur un piano. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a immédiatement des harmoniques longues et profondes. Tandis que chez Kundera, entre autres, la mort est expédiée comme un crachat, comme un jonc.

  • Speaker #0

    Smart, oui. Alors, on va jouer au jeu devine tes citations, Jean-Paul. C'est-à-dire que je vais vous lire des phrases tirées de tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit cette phrase. Tout est également simple et savoureux avec ce Casanova un peu voyou des faubourgs d'Alger.

  • Speaker #1

    Ah, ça c'est... je parle d'Albert Camus. Oui,

  • Speaker #0

    c'est dans Je me retournerai souvent, le dernier, page 23. Ce Casanova un peu voyou des faubourgs d'Alger.

  • Speaker #1

    Oui, c'est Albert Camus.

  • Speaker #0

    Tu as un petit peu aussi un autoportrait, non ? Pas du tout ?

  • Speaker #1

    Je ne suis pas vraiment des faubourgs d'Alger, mais enfin, si vous voulez.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'entre Sartre et Camus, votre choix est fait ?

  • Speaker #1

    Écoutez, on m'a appelé Jean-Paul à dessein.

  • Speaker #0

    Pour vous influencer ?

  • Speaker #1

    Pour m'influencer. Et j'ai mis beaucoup de temps à comprendre que Camus était un homme meilleur et plus lucide. Ça retrait simplement un génie. Mais Camus est un frère, oui. Donc voilà, cela dit... puisqu'on parle des prénoms je vous informe que j'ai fait des grandes démarches pour m'appeler Paul Jean afin d'avoir le prix Paul Jean Toulé et ça a été un échec c'est Frédéric Pajac qui l'a eu j'en suis fort désolé magnifique l'horaire vous

  • Speaker #0

    dites à propos de Camus nous étions nés sur la même rive de la Méditerranée sous le même soleil au coeur de la même guerre enfin moi quelques années après la coquetterie vous rattrape que faire pour libérer Boilem Sansal ?

  • Speaker #1

    Comment ? Je crois que...

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il faut ne pas en parler ou est-ce qu'il faut en parler ?

  • Speaker #1

    Il faut en parler et surtout il faut faire preuve d'une autorité. Peut-être que je parle, je suis de totale incompétence, mais mes réflexes seraient de commencer par... Enfin, je ne veux pas rentrer dans les détails, mais être un discours de fermeté absolu avec ce gouvernement algérien qui ne comprend que la force.

  • Speaker #0

    Autre phrase de vous. La vérité appartient toujours au dernier qui l'imagine. je crois que c'est dans les lignes de vie si le soleil s'en souvient 2024 et vous dites d'ailleurs la vérité en fait c'est un tiers d'exactitude un tiers d'exactitude malmenée par le temps et un tiers de mensonges rigoureusement véridiques c'est ça la vérité pas mal vous pensez toujours ça de plus en plus puisqu'on vit dans le monde des fake news Oui.

  • Speaker #1

    Oui, mais enfin, ce n'est pas ce genre d'inexactitude que je fais allusion.

  • Speaker #0

    Mais vous pensez qu'un écrivain, ça doit dire la vérité ou mentir ?

  • Speaker #1

    Quoi qu'il fasse, il ment.

  • Speaker #0

    Et donc, vous devez être assez heureux de vivre dans une époque de vérité alternative ?

  • Speaker #1

    Non. Non, parce que je trouve que les alternatives, comme vous dites, ne sont pas très sympathiques. Donc je suis pour des alternatives aimables et embellisseuses.

  • Speaker #0

    Oui, dans la littérature. Autre phrase. L'avenir me tente, j'oublie le passé.

  • Speaker #1

    C'est une phrase de Flaubert.

  • Speaker #0

    Le présent m'attend.

  • Speaker #1

    Une phrase de Flaubert.

  • Speaker #0

    Que vous citez dans l'hypothèse des sentiments. Vous êtes fort parce que j'essayais de vous piéger et vous êtes fort. Une autre. Je tenais l'amour à distance, je croyais au plaisir, je rencontrais rarement le bonheur.

  • Speaker #1

    Je pourrais mettre ça n'importe où, tellement c'est moi.

  • Speaker #0

    Ce qui plaisait à Blanche, 2020. Mais quand même, vous dites que vous rencontrez rarement le bonheur. Moi, j'ai l'impression que vous le rencontrez de plus en plus.

  • Speaker #1

    Oui, je suis heureux de façon indécente.

  • Speaker #0

    Indécente ?

  • Speaker #1

    Oui, ça me fait peur d'ailleurs. Je ne sais pas... qui est quand on me présentera la note, mais c'est iné...

  • Speaker #0

    Vous l'avez eu en 2020 la note ? Non. Dans cette partie de tennis ?

  • Speaker #1

    Mais au contraire, ça m'a rendu intéressant. J'ai eu...

  • Speaker #0

    La forme a dû être intéressante. Oui,

  • Speaker #1

    bien sûr. Ça m'a rendu très... Tout d'un coup, enfin, il m'est arrivé qu'un nuage noir passe au-dessus de ma tête.

  • Speaker #0

    Vous devenez enfin sympathique. Alors, justement, une autre phrase de vous qui me fait énormément rire là-dessus. Solers n'a plus d'ennemis, puisqu'on lui reprochait surtout d'être vivant. Oui,

  • Speaker #1

    ça je le pense profondément.

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier, je me retournerai souvent, et vous pastichez une formule de Truffaut sur Guitry d'ailleurs, mais c'est très très bien.

  • Speaker #1

    En effet, Truffaut disait Guitry, ce qu'on lui reprochait c'était d'être vivant.

  • Speaker #0

    Vous dites quelque chose de méchant, mais vrai, sur Solers, j'adorais toujours les 20 premières pages de ses romans. Oui,

  • Speaker #1

    après je me perdais.

  • Speaker #0

    Lui aussi peut-être. Mais les 20 premières pages sont toujours exceptionnelles.

  • Speaker #1

    Exceptionnelles de désavolture. Ça pourrait être un écrivain italien, je ne sais pas comment vous dire. C'est merveilleux. Et puis après, l'érudition prend le dessus. La fausse érudition d'ailleurs. Une érudition un peu trop... Ça sentait la peinture fraîche, son érudition.

  • Speaker #0

    Peut-être que comme vous, Philippe Solers n'était pas romancier, tout simplement. Et c'était un très grand critique. Et ce n'est pas grave, un très grand intellectuel. un essayiste La guerre du goût est un effet de génie sur la littérature mais peut-être le roman au bout de 20 pages ça l'embêtait oui non seulement ça mais il avait écrit des romans classiques comme

  • Speaker #1

    Cruel solitude mais peut-être en tout cas le parallèle me flatte au combien une autre phrase dans quel livre avez-vous dit ceci Merci.

  • Speaker #0

    Borgès voulait être suisse car c'est le seul pays où personne ne connaît le nom du président. Ce qui est vrai. Je serais incapable de vous le dire d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Je ne crois pas que ce soit de moi cette phrase.

  • Speaker #0

    Ah bon ? Je l'ai trouvée dans Caison de papier, le recueil de vos chroniques.

  • Speaker #1

    Peut-être, oui. De Pistèze. Mais en fait, c'est assez typique d'une phrase possiblement inventée. Parce que ce que j'avais en tête, c'était Sioran. Et mais par-dessus tout, la Mongolie, parce que c'était le seul pays où il y avait plus de chevaux que d'hommes.

  • Speaker #0

    Oui, donc peut-être que vous avez des problèmes là aussi. Mais oui, mais c'est très bien. Les deux sont très bien. Une dernière, ça je l'adore aussi ça. C'est vraiment, pour moi, heureusement que vous êtes là, heureusement que vous vivez pour ce genre de choses. Il ne consentait à parler de la mort que quand il était sur des skis.

  • Speaker #1

    Jean d'Ormesson.

  • Speaker #0

    Oui, vous dites ça, c'est pur Jean d'Ormesson. Oui. Je trouve ça vraiment formidable. Il ne consentait à parler de la mort que quand il était sur des skis.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup. Ah oui, mais on va terminer avec les conseils de lecture. Vous avez dû préparer votre... Vous avez une antisèche. Je vous ai envoyé des questions. Oui, oui. Vous vous en souvenez ? D'accord. Juste pour... Parce que quand même. Grand éditeur et grand critique. Vous travaillez toujours au point ? Non. Non, vous avez arrêté aussi ? Vous avez tout arrêté ? Oui. Mon Dieu. Vous allez devenir vraiment écrivain. Un livre qui donne envie de pleurer.

  • Speaker #1

    Un coeur simple de Flaubert. Oui. Ou La princesse de Clèves.

  • Speaker #0

    Parce que dans les deux cas, c'est un amour qui n'advient pas.

  • Speaker #1

    Oui, ou Fritz Zorn, Mars, de Fritz Zorn.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer.

  • Speaker #1

    Paris est une fête, de Hemingway, évidemment.

  • Speaker #0

    Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #1

    Oui, ça ne manque pas. La mort de Virgile, Herman Broch, Orlando de Virginia Woolf. Ah oui ? Oui, mais en général, on ne passe pas beaucoup de temps dans les livres où on s'ennuie.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue.

  • Speaker #1

    Je ne crâne pas dans la rue. Si vous me demandiez dans les salons, dans les boudoirs...

  • Speaker #0

    Pour crâner chez la Pérouse.

  • Speaker #1

    Alors, pour crâner, tout dépend de la compagnie. Avec vous, je ne ferai pas tant d'efforts. Mais si... Par exemple, parler des hétéronymes de Fernando Pessoa ou bien parler des sonnets de Gongora, on crâne. Et on est ridicule.

  • Speaker #0

    Un livre qui rend intelligent.

  • Speaker #1

    La recherche du temps perdu, sans hésitation.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Un livre pour séduire. Ce n'est pas crâner, c'est séduire.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Séduire donc une femme. Et à ce moment-là, la poésie est une arme fatale, pas les romans. J'ai ma phalange de conquête, Apollinaire. Aragon, Baudelaire, Valéry.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Et avec ça, on ramène ce qu'on doit ramener.

  • Speaker #0

    Un livre que je regrette d'avoir lu ?

  • Speaker #1

    La recherche du temps perdu. Ça m'a stérilisé pendant 30 ans. C'est tellement génial, c'est tellement immense qu'on se dit... Je vous dis ça m'a stérilisé pendant 30 ans.

  • Speaker #0

    Au lieu de vous inspirer, ça vous a intimidé. Oui, un livre que je fais semblant d'avoir fini.

  • Speaker #1

    Belle du Seigneur. Oh ! Oui, oui.

  • Speaker #0

    Mais enfin, comment osez-vous ?

  • Speaker #1

    Ben oui, j'ai mal j'ose.

  • Speaker #0

    Ça c'est un scoop.

  • Speaker #1

    Oui, je pourrais vous dire également, évidemment, Ulysse, je pourrais vous dire plein de choses comme ça. Mais Belle du Seigneur, en général, les gens le terminent. Moi j'en pouvais plus.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui. C'est vrai que c'est long là.

  • Speaker #1

    C'est un sujet de discorde avec Bernard.

  • Speaker #0

    Oui, Bernard en y vit beaucoup, Albert Cohen. Le livre que j'aurais aimé écrire ? Ça va être encore la recherche ?

  • Speaker #1

    Non, non, non, ça c'est indépassable, il est à la droite de Dieu qui n'existe plus, mais il est là. Non, j'aurais aimé écrire Moby Dick précisément.

  • Speaker #0

    Ah oui, en hommage à cette projection qui n'a pas eu lieu.

  • Speaker #1

    Non, parce que c'est un livre génial qui prétendait être un rajout fait à la Bible. Il n'a pas compris que les religions du monde n'aient pas rajouté Moby Dick à sa Bible. Et en effet, le livre avait été conçu et écrit dans cet esprit-là. En vérité, il ne s'est même pas vendu, puisque le stock des invendus a servi de tar à une grue du port de New York.

  • Speaker #0

    C'est le conceptif-là. Et la baleine blanche, alors c'est Dieu ou c'est quoi ? C'est la mort ?

  • Speaker #1

    C'est le mal.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    C'est le mal.

  • Speaker #0

    Le livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #1

    Je viens de vous dire.

  • Speaker #0

    Ah pardon, je suis gâteux. Oui. Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu de votre vie, Jean-Paul Antoine ?

  • Speaker #1

    Ah oui, écoutez, ça me fait de la peine.

  • Speaker #0

    Vous répondez 80.

  • Speaker #1

    99 francs que vous avez publié. C'est un livre que j'ai adoré. 99 francs. Non, c'est d'autant plus terrible parce que je vais vous dire que j'ai vénéré son auteur. J'ai adoré Paul Morand, admiré, pastiché, imité. dans mes mesures de mes moyens. Et puis j'ai lu son journal inutile. Et c'est abject, tout simplement.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qui est pire, le journal inutile ou la correspondance à Chardon ?

  • Speaker #1

    Puisqu'il a commencé le journal inutile, quand Chardon est mort, il n'avait plus de correspondant.

  • Speaker #0

    Restons sur Tendre Stock de Paul Morand. Et enfin, le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Speaker #1

    Alors je lis, pour tout vous dire, un petit balzac qui s'appelle Traité sur les excitants modernes. C'est le dernier livre qu'il a écrit qui est absolument génial, où il reconsidère toute la comédie humaine. Il dit vous croyez que j'ai parlé de l'ambition, de la cupidité, de l'amour ? Non pas du tout. J'ai parlé de cinq excitants modernes qui sont par ordre de nocivité, le café, le tabac, le sucre. le thé et le chocolat. Et il retraverse la comédie humaine en disant « Mais vous voyez, quand Ruben Pré retourne à Angoulême, qu'il croise Vautrin, Vautrin lui demande d'allumer son cigare, enfin bref. » Et donc je lis ça. Je lis aussi le livre de Simon Liberati, Stanislas, qui est un très joli livre. Il est venu, il est venu. Très joli livre.

  • Speaker #0

    Et vous avez dit du bien d'un livre de Chez Grasset, donc vous êtes quand même encore un petit peu éditeur, malgré tout.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, dis que c'était Chez Grasset.

  • Speaker #0

    Non, mais moi je le dis. Merci infiniment Jean-Paul, c'est un plaisir de discuter avec vous. Cette émission, vous étiez présenté en partenariat avec ma chemise, Figaret. Oui, oui, c'est important de gagner.

  • Speaker #1

    Vous êtes homme sandwich.

  • Speaker #0

    Nous devons gagner notre vie et défendre la littérature exige bien des sacrifices. Non, mais vraiment. Et puis merci à toute l'équipe du Figaro TV qui tourne, enregistre et monte cette émission. Et enfin n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous mourrez idiot. Ce sera l'apocalypse et plus rien n'aura de sens. Et nous serons remplacés par Tchad GPT.

  • Speaker #1

    Merci.

Description

Un festival d'esprit, pétillant et joyeux, voilà ce que j'écrirais en commentaire si j'étais vous.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir public, je suis très heureux de recevoir ce soir Jean-Paul Antoven pour son nouveau livre

  • Speaker #1

    Je me retournerai souvent.

  • Speaker #0

    Qui est publié aux éditions...

  • Speaker #1

    Grasset, comme d'habitude.

  • Speaker #0

    Merci infiniment, c'est votre meilleur livre. Je vous le dis, les yeux dans les yeux, c'est votre meilleur livre. Et en même temps, je vais commencer par un compliment qui est aussi une vacherie. Pourquoi êtes-vous si brillant dans les essais et un peu plus que dans les romans ?

  • Speaker #1

    Parce que vous n'avez pas vraiment lu mes romans, je suppose. Je sais que tout le monde dit ce que vous dites là, mais ça me semble injuste, très franchement. Je trouve ça pas mal, les romans que j'écris. C'est curieux, je ne serais pas vaniteux sur les essais. Et puis, que voulez-vous ? J'ai tellement envie d'être un bon romancier que je n'y parviens pas.

  • Speaker #0

    Vous n'êtes pas sûr, peut-être que ça viendra. mais en tout cas là, ce livre là qui est sous-titré Reconnaissance de dette, tranche de vie et autres fantaisies, c'est une plume libre, libérée peut-être, et érudite, légère et optimiste.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, tout ce que je suis d'ailleurs. Mais pour un essai, l'intelligence est indispensable. Pour les romans, c'est inutile.

  • Speaker #0

    C'est un défaut.

  • Speaker #1

    C'est presque un défaut. et je n'arrive pas à À me défaire non pas d'intelligence, ce serait prétentieux, mais je n'arrive pas à me défaire d'une démarche conceptuelle, analytique, qui n'a pas sa place dans un roman. Les grands romanciers sont souvent des brutes.

  • Speaker #0

    Oui, et puis vous n'avez peut-être pas envie d'avoir un cadre romanesque qui vous enferme. Vous avez besoin de respiration, de slammerie,

  • Speaker #1

    de fragments.

  • Speaker #0

    Oui, vous aimez les bribes. Oui, pourquoi ?

  • Speaker #1

    Parce que ce qui est lourd dans les romans et qui corsette l'écriture, c'est les liaisons, les chevilles, les explications. Et puis...

  • Speaker #0

    Les personnages.

  • Speaker #1

    Les personnages. Je n'aime pas les romanciers qui disent mon personnage m'a échappé. Personne ne m'échappe. Je contrôle tout.

  • Speaker #0

    Peut-être justement vous êtes trop control free pour être vraiment romancier. Mais oui,

  • Speaker #1

    il faut le citer.

  • Speaker #0

    Mais vous y arriverez sûrement. Laissez un personnage s'envoler, vous désobéir.

  • Speaker #1

    Eh bien, ce n'est pas encore le cas. Je préfère contrôler. mais mes imaginations plutôt que celles de mes personnages.

  • Speaker #0

    Je suis très désagréable de commencer par une vacherie, alors que j'ai adoré ce livre. Je pense qu'il pourrait s'intituler Les enfants de Saturne 2, Le retour. Mais cette fois, il n'est plus déprimé. Cette fois, Jean-Paul Lantauvène parle des gens qu'il admire et qu'il a rencontrés.

  • Speaker #1

    Si vous me permettez, dans Les enfants de Saturne 1, je parlais des écrivains, mais je n'étais pas dans le paysage. Là, je parle de ces écrivains pour parler de moi. Je suis dans chaque épisode. Tous les écrivains que je mentionne ont eu affaire à moi. Exactement. J'ai eu affaire à eux. Et donc, j'ai voulu faire un autoportrait à travers, non pas des autres grands écrivains, mais un autoportrait à travers des circonstances.

  • Speaker #0

    Oui. Cela dit, Les Enfants de Saturne était aussi peut-être une manière d'autoprofiter. Oui,

  • Speaker #1

    mais j'ai fréquenté peu Le Prince de Ligne et Chanfort.

  • Speaker #0

    Je raconte. Pour les gens qui n'auraient pas lu Les Enfants de Saturne 1, c'était en 1996. C'était votre premier livre. Vous étiez alors un grand critique littéraire et éditeur et vous n'aviez jamais publié. Et ce livre a été salué. c'était une suite de portraits de Hemingway, de Fitzgerald, de Benjamin Constant. Le Prince de Ligne, Stendhal, Chanfort. Et cette fois-ci, c'est une autre galerie de portraits, mais là où il y a des gens que vous avez véritablement croisés, qui sont Borges, Kundera, Solers, Françoise Sagan, Cioran, Georges Pérec dans un ascenseur, Roland Barthes. Il y a quand même quelques morts, puisqu'il y a Guillaume Apollinaire, il y a Diderot, Jacques Rigaud. mais il n'y a que des morts si vous me permettez oui oui ils sont morts mais vous les avez connus oui voilà ça oui il n'y a que deux vivants une femme

  • Speaker #1

    et un ami.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que c'était que l'ambition de départ ? C'est-à-dire de dire, j'ai croisé toutes ces personnes ?

  • Speaker #1

    Comme le sous-titre le dit, c'était reconnaissance de dette. Et je pense que ce que je suis, je le dois sur le mode de l'amour, de l'admiration, ou du mépris et de la déception, tout rentre en composition. Et voilà, reconnaissance de dette. C'est eux qui m'ont fabriqué, qui ont fabriqué ma tête, en tout cas. Et c'était ça, le projet. Oui,

  • Speaker #0

    et vous parlez d'ailleurs de votre grand frère, mort avant votre naissance, qui portait le même nom que vous. Et peut-être que cette reconnaissance de dette, elle vient de là. Depuis le départ, vous remplacez un mort.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr, c'est une histoire célèbre, enfin célèbre pour moi et fameuse pour moi. Solers m'avait dit Un jour, quand je tardais à publier, précisément, il m'avait dit, il faut publier, parce qu'après tout, un livre, c'est le seul endroit où on a son nom tout seul. Et puis, il s'était repris, il m'avait dit, ah non, cela dit, on a son nom tout seul aussi sur une tombe.

  • Speaker #0

    Ça ressemble.

  • Speaker #1

    Il dit, ça ressemble, c'est un parallèle épipède, etc. Or, il ignorait qu'effectivement, enfant, j'allais très souvent sur la tombe de... du frère qui m'avait précédé, et où il y avait mon nom. D'ailleurs, mon nom est la première chose que j'ai apprise à lire, puisqu'il portait le même prénom que moi.

  • Speaker #0

    Et, alors, la mort est... Donc, ce sont des morts que vous décrivez, mais aussi, la mort est présente autrement, parce que vous écrivez mieux après un arrêt cardiaque, qui a eu lieu en 2020. Sans doute une allergie au Covid.

  • Speaker #1

    Non, non, non, non, non, non. Ce n'est pas un arrêt cardiaque, c'est une aorte qui a explosé pendant une partie de... de tennis. Donc, c'était fâcheux.

  • Speaker #0

    Le procureur s'est arrêté de battre pendant une heure.

  • Speaker #1

    Non, on a sorti mon cœur, on l'a mis à part pour pouvoir réparer les choses, pendant 87 minutes. Donc, j'étais ni vivant, ni mort. J'étais le chat de Schrödinger. Et c'est vrai. que ça a changé des choses, oui. Soudain coup, un sentiment d'urgence, beaucoup moins de verbes, une ponctuation plus haltée. J'avais besoin de ça.

  • Speaker #0

    Je cite les ouvrages que vous avez publiés depuis votre mort, Les raisons du cœur, en 2021, Lignes de vie, l'année suivante, 2022, Si le soleil s'en souvient, en 2024, qui est un livre assez exceptionnel sur la... sur votre père et sur votre enfance algérienne, et sur la guerre d'Algérie. Et puis enfin, je me retournerai souvent. Quatre livres depuis, quatre livres posthumes. Oui,

  • Speaker #1

    parce que vous savez, pendant très longtemps, et vous en savez quelque chose, j'étais éditeur. Et je n'avais pas compris à l'époque quelle était la qualité requise pour être un bon éditeur. Ce n'est pas le sens du commerce, ce n'est pas l'amour de la littérature, surtout pas. C'est le serment. qu'on se fait à soi-même qu'on n'écrira pas. Un bon éditeur, ça n'écrit pas. Et donc j'ai été tiraillé entre mon devoir d'éditeur, parce que c'est une profession noble, et tiraillé entre mon désir d'écrire. J'ai basculé de l'autre côté. Alors du coup, c'est très facile d'écrire, j'ai deux ou trois manuscrits qui sont prêts. Ah oui, c'est bien,

  • Speaker #0

    formidable. Vous êtes un spécimen rare, un juif protestant. Oui. Vous dites ça dans le livre, vous dites je suis du nord par mes origines hollandaises et du sud par mes origines algériennes. Comment arrive-t-on à concilier cette...

  • Speaker #1

    Ah bah ça...

  • Speaker #0

    C'est un peu schizophrène.

  • Speaker #1

    Non pas du tout. D'abord le judaïsme et le protestantisme ont une longue frontière commune. L'agent, le diplomate qui a fabriqué cette frontière s'appelle Spinoza. Donc non, non, je ne vois pas de contradiction entre ça. je... Je me sens à la fois fils du soleil et fils de la rigueur. Les deux choses me parlent.

  • Speaker #0

    Et puis vous dites, entre les lignes, mais vous le répétez souvent, que vous n'êtes pas tellement pour les racines. Vous êtes plutôt citoyen du monde. Vous n'êtes ni hollandais, ni algérien et pas vraiment français.

  • Speaker #1

    Toutes les figures d'enracinement, de terroir. je me sens insulté non pas vrai je sais que vous êtes béarnaise mais ça va plus loin je me suis un peu mal à l'aise avec les gens qui parlent pendant une heure de leur bouteille de vin par exemple ça m'énerve

  • Speaker #0

    Mais nous ne sommes pas des arbres, nous avons des rastis, mais nous ne sommes quand même pas des arbres.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai, c'est vrai, mais grande allergie. En deux secondes, ces affaires de racines me mèneraient à vous parler du maréchal Pétain ou de Maurice Barès.

  • Speaker #0

    Attention.

  • Speaker #1

    Évidemment.

  • Speaker #0

    Attention. Donc vous préférez dire que vous êtes un voyageur, que vous transgressez les frontières, et que quand vous êtes... À Paris, c'est parce que vous n'êtes pas à Punta del Este. Voilà,

  • Speaker #1

    oui, oui, oui, c'est ça. Et on dit même que quand deux avions se croisent dans le ciel, je suis dans les deux en même temps.

  • Speaker #0

    Dans le livre, c'est marrant parce que vous employez deux mots qui sont le contraire l'un de l'autre et vous vous sentez les deux rapatriés et apatrides.

  • Speaker #1

    Oui, je ne crois pas avoir employé le mot rapatrier,

  • Speaker #0

    ça me fait horreur. Si, si, en péjoratif. Ah oui,

  • Speaker #1

    d'accord. En péjoratif. Ce mot me fait horreur. Oui,

  • Speaker #0

    mais justement, dites pourquoi. Votre famille était en Algérie et il a fallu prendre un bateau et rentrer en France. Bien sûr,

  • Speaker #1

    oui. Enfin, oui. Bien sûr, mais j'étais tellement heureux d'arriver en France, tellement heureux. C'était, enfin, j'allais, tout était en ordre, tout était beau, la grande littérature était là. J'ai croisé Sartre à la terrasse d'un café, ça m'a bouleversé, vous comprenez. Et donc, pas de patrie, si ça s'était appelé des matries, peut-être que j'aurais fait une exception.

  • Speaker #0

    Mais... Avez-vous ressenti une honte de venir d'une ancienne colonie ?

  • Speaker #1

    Non, pas une honte, simplement c'était un pays qui était saisi par deux imbécilités symétriques, une imbécilité coloniale sans pareil et une imbécilité nationaliste sans pareil.

  • Speaker #0

    Et deux violences.

  • Speaker #1

    Les deux violences, du coup ce pays était imbibé de sang, de tueries, de morts partout. Et je suis foqué là-dedans, malgré ma mère qui me lisait Proust et Apollinaire, je suis foqué dans cette terre-là. Et j'ai toujours été reconnaissant au général de Gaulle d'avoir mis un terme à ce cauchemar.

  • Speaker #0

    Mais pourtant, votre meilleur ami... est né comme vous à Mascara, Bernard-Henri Lévy.

  • Speaker #1

    Non, il n'est pas né à Mascara, son père était né à Mascara.

  • Speaker #0

    Et comme lui, vous avez mis longtemps à parler de votre enfance. Oui. Ce livre, s'il se lève...

  • Speaker #1

    Je ne suis pas sûr que Bernard s'y soit déjà mis.

  • Speaker #0

    Il a, si, dans son livre sur ses insomnies,

  • Speaker #1

    il en parle un peu.

  • Speaker #0

    Un peu, un peu, oui, oui.

  • Speaker #1

    Il est beaucoup plus pudique que vous.

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai. Non, mais je décris juste ça parce que pour mes émissions, je relis toute l'œuvre de mon invité. Et dans Si le soleil s'en souvient, en 2024, vous décrivez un attentat dans un cinéma, le Vox, qui appartenait à votre père. Alors, je pense que vous avez un peu exagéré, parce que c'était vraiment, dans le livre, c'était une scène apocalyptique,

  • Speaker #1

    une tuerie. Non, non.

  • Speaker #0

    Non, c'est vrai ?

  • Speaker #1

    Vous pouvez consulter Wikipédia ou autre.

  • Speaker #0

    En 1961, votre père ouvre un cinéma et il y a...

  • Speaker #1

    et la séance d'inauguration était consacrée à un film de John Huston Moby Dick. Moby Dick. Et à l'époque, l'OAS avait interverti l'ordre des lettres au néon qui s'illuminait pour le Open Ignite, l'inauguration, et ça donnait Mody Bick.

  • Speaker #0

    Un jeu de mots bien pourri.

  • Speaker #1

    Un jeu de mots bien pourri. Évidemment, un attentat s'en était suivi, un cauchemar, oui. d'où ma passion pour Melville d'ailleurs oui,

  • Speaker #0

    je vais vous demander de lire un extrait du livre sur ce sujet, c'est ici ah oui

  • Speaker #1

    Je dis quelques caractéristiques. Je suis ennemi de l'ail, des frontières, de la vulgarité, du mépris, de l'amertume, des racines, de la violence, des simplifications, des impasses, de l'ignorance, de l'impolitesse.

  • Speaker #0

    Pourquoi l'ail ?

  • Speaker #1

    Ah, j'ai une phobie.

  • Speaker #0

    Le reste on peut comprendre,

  • Speaker #1

    mais l'ail... puisque vous parliez de Bernard, s'il y a une phrase qu'il sait dire dans à peu près toutes les langues du monde, c'est « sans ail et sans oignon, s'il vous plaît » . Et l'ail, ça me vient peut-être d'un vers d'Apollinaire, il disait « il était juif, il sentait l'ail et s'en revenait d'un bordel de Shanghai » . Et donc...

  • Speaker #0

    Vous n'aimez pas cette haleine un peu forte ?

  • Speaker #1

    Non, non.

  • Speaker #0

    Vous dites plus loin dans le même livre, dont je me retournerai souvent, j'aimerais que la France soit peuplée d'Italiens pour le goût du bonheur et de Britanniques pour le goût du courage. Donc vous pensez que la France, c'est des gens qui font la gueule et qui sont lâches.

  • Speaker #1

    Il y a une dose de lâcheté et il y a une... d'oboses de sale gueule, mais il y a aussi...

  • Speaker #0

    Et de ronchons, surtout. Oui,

  • Speaker #1

    oui, de ronchonneries, mais il y a aussi d'autres choses. J'aime passionnément la France, mais c'est vrai qu'un peu plus de bonne humeur et un peu plus de courage, ça serait pas mal. Oui.

  • Speaker #0

    Vous n'avez pas aimé être éditeur. Alors ça, en tant qu'écrivain publié par vous, je suis un petit peu vexé. Je lis ce que vous écrivez. Lisez-le vous-même.

  • Speaker #1

    Ah non, non, non. Assumez vos propos. c'est pas drôle ça ce passage là non je peux vous le dire c'est que effectivement à la fin de ce métier j'avais l'impression d'être devenu un proxénète pour tout vous dire c'est à dire que j'avais des gagneurs et des gagneuses vous étiez un gagneur oui j'ai plutôt rapporté de l'argent bien sûr Merci. et vous tapiniez sur les trottoirs de la renommée. Et donc, Edmond de Charlerou, grand auteur de Grasset, appelait Grasset la maison de commerce. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre ce qu'elle voulait dire. Et cette position de proxénète, il me manquait les pompes bicolores et le borsalino. Et puis, comment vous dire ? Alors que tout ça est enrobé dans ce qu'il y a de plus exquis, de plus littré, de plus civilisé. Alors que l'argent mène le bal.

  • Speaker #0

    Moi, j'ai fait ce métier trois ans et j'ai trouvé ça invivable et épouvantable. Vous avez tenu beaucoup plus longtemps.

  • Speaker #1

    Oui, mais parce que j'avais fantasmé cette profession. Rien ne me semblait plus noble. Pour moi, on était Jacques Rivière ou personne d'autre, vous comprenez ? J'étais l'éditeur de Proust, Jacques Rivière, et du dévouement de la...

  • Speaker #0

    Mais vous l'avez fait, vous avez été un bon éditeur.

  • Speaker #1

    Mais c'est parfois, j'ai fait des choses très bien. Eh oui,

  • Speaker #0

    il y a des tas de chansons que vous avez rencontrées.

  • Speaker #1

    Très honorable, je garde des souvenirs merveilleux. Mais fondamentalement, j'ai perdu un peu de temps, et en tout cas, quand j'ai compris que c'est la chose qui m'intéressait, c'était d'écrire des livres.

  • Speaker #0

    En fait, c'est ça. Vous en avez eu marre à un moment. Donc, vous avez l'impression que tout était pourri, mais ça ne l'était pas. Et c'est très vrai qu'on ne peut pas écrire quand on est éditeur. Il y a quelques exceptions.

  • Speaker #1

    Solers,

  • Speaker #0

    par exemple, a été éditeur et a écrit.

  • Speaker #1

    Solers était si peu éditeur. Solers donnait certains manuscrits qu'on lui confiait à imprimer, mais il n'était pas vraiment éditeur. Il était écrivain. D'ailleurs, il arrivait dans sa maison, J'ai gagné marre en début d'après-midi. Donc, c'est comme ça. Oui, c'est ça.

  • Speaker #0

    Parce qu'on n'a pas de temps pour se concentrer.

  • Speaker #1

    Et puis surtout, si on a du succès, les auteurs vous en veulent, surtout ceux qui n'ont pas de succès. Et si on n'a pas de succès, vous n'avez plus aucune autorité morale.

  • Speaker #0

    Donc,

  • Speaker #1

    c'est une interruption contradictoire.

  • Speaker #0

    Il ne faut pas faire les deux. Il y a un essai d'Anne-Sophie Beauvais qui s'appelle « L'éditeur et le philosophe » , qui parle de vous. Vous, vous êtes l'éditeur, le philosophe, c'est Michel Onfray. Ce livre, il est paru chez Robert Laffont. Et je voulais vous lire un passage qui vous décrit de manière assez marrante. « Lorsque j'étais plus jeune étudiante avec mes amis, je me suis souvent amusé de sa mine toujours allée, de ses lunettes au vert immanquablement bleu fumé. Oui, ben c'est pas complètement faux, et de son élégance ouvragée à l'italienne. Pantalons blancs, ah non, pas là, blazeurs à pochettes et mocassins de couleur, toujours portés pieds nus, c'est pas le cas non plus mais on ne va pas le prouver. À l'époque, nous étions quelques-uns à rêver de le voir s'intéresser au brouillon des livres que l'on écrivait alors. Aucun de nous n'a jamais osé l'aborder. Aujourd'hui, vingt ans plus tard, il n'a pas changé. Mon regard sur lui, si. Jean-Paul Antoven est devenu à mes yeux un personnage proustien, dont j'aime à imaginer à chaque fois que je le vois les plaisirs et les jours. Ici, dilettante et bellâtre, au bras d'une comtesse italienne, en vacances à Capri, là, fantasque et dandy dans une fête germanopratine de prix littéraire, où l'un de ses poulains fait ses premiers pas et qu'il accompagne de ses conseils. C'est pas faux, c'est assez joli.

  • Speaker #1

    Je n'aime pas cette gentillesse au milieu d'une thèse très déplaisante. elle fait de moi, puisqu'elle a choisi L'autre personnage dont je m'interdis de même de prononcer le nom. Vous êtes fâché ? Je ne sais pas que je suis fâché, je ne suis rien. Quelqu'un que j'ai contribué à faire exister, il aurait existé sans moi parce qu'il avait du talent.

  • Speaker #0

    Donc moi je prononce le nom de Michel Onfray, mais vous êtes toujours fâché ?

  • Speaker #1

    Il n'existe plus, oui, à mes yeux. Et donc, elle était venue me dire, elle travaillait sur une biographie de Michel Onfray, mais je ne savais pas qu'elle voulait, à travers ma fâcherie avec Michel Onfray, raconter l'histoire des deux Frances qui ne se parlent plus. Donc, je suis figé dans le rôle du dandy et il est figé dans le rôle de, je ne sais pas moi, de Agnernot ou de Jules Vallès. Non, c'est tellement plus compliqué. Oui, oui. Vous voulez que je vous dise ? Ça serait plutôt le contraire. Oui, peut-être. Ça serait plutôt le contraire.

  • Speaker #0

    Oui, et puis je pense que, moi, j'ai trouvé que c'était amusant d'expliquer comment Après la publication du livre sur Freud, Onfray est parti, quitte et grassé. Ce sont des choses qui arrivent dans la vie littéraire.

  • Speaker #1

    Bien sûr, je n'en ai jamais voulu pour ça.

  • Speaker #0

    Vous écrivez dans Je me retournerai souvent qu'un écrivain doit être un personnage. Vous donnez une liste assez intéressante. Il y a l'extravagant, il y a le noctambule, ça peut être là. Le transfuge de classe. il y a L'incestué. L'incestué, bien sûr, que j'ai reçu. J'en ai reçu une. Le dandy, le mutique, l'exilé, le rebelle, etc. C'est toutes ces personnes. Le toxico. C'est très juste parce que c'est vrai que depuis Sainte-Beuve, on sait qu'un écrivain a besoin d'avoir un personnage. Et moi, je dirais, on ferait, c'est l'hédoniste devenu réactionnaire normand. L'hédoniste,

  • Speaker #1

    non. C'est le biophobe. C'est ça le paradoxe. C'est... Revendication d'hédonisme, en vérité, biophobe.

  • Speaker #0

    C'est quoi biophobe ?

  • Speaker #1

    Ben, haine de la vie.

  • Speaker #0

    Ah, oh je crois pas, il a l'air d'être un... Ben non,

  • Speaker #1

    non,

  • Speaker #0

    il a eu... Un mangeur !

  • Speaker #1

    Non, j'ai pas envie de parler de lui.

  • Speaker #0

    Non, bien sûr. Mais et vous alors, vous seriez quel personnage ? Est-ce que vous...

  • Speaker #1

    Justement, je disais que un des drames de ma vie, peut-être parce que je me suis mis trop tard à publier, je n'ai pas trouvé mon personnage. Je ne l'ai pas eu. Je ne peux pas jouer l'autre. Mais si, moi je vous le dis ! Non.

  • Speaker #0

    Vous êtes le maudit, mondain, érudit et fataliste.

  • Speaker #1

    Je ne suis pas vraiment... Mais ce n'est pas des personnages. Je ne suis pas vraiment maudit parce que ce serait ridicule de le prétendre. Je ne suis pas vraiment mondain parce que ce serait ridicule de le prétendre aussi. Je n'ai pas de...

  • Speaker #0

    Érudit et fataliste, ça vous va bien ? Oui,

  • Speaker #1

    mais ce ne sont pas des personnages. Jacques le fataliste ? Ce sont des adjectifs nobles que je prends volontiers. Mais ce ne sont pas des personnages. Les personnages, c'est autre chose.

  • Speaker #0

    Fera-t-on jamais aussi bien que le début de Jacques le fataliste ? Vous citez le début du livre comme une référence absolue de style.

  • Speaker #1

    pas de style,

  • Speaker #0

    d'art du roman tout est dit est-ce que je peux vous demander de lire le début puisque vous le citez comment s'était-il rencontré

  • Speaker #1

    Par hasard, comme tout le monde, comment s'appelait-il ? Que vous importe. D'où venait-il ?

  • Speaker #0

    Du lieu le plus prochain.

  • Speaker #1

    Où allait-il ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disait-il ? Le maître ne disait rien. Et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. Voilà, c'est pas la peine de dire que la marquise est sortie à 5 heures, d'où elle vient, combien elle a de rentes, non, tout est dit.

  • Speaker #0

    Étiez-vous fait pour le 21e siècle ?

  • Speaker #1

    Il me passionne, mais c'est vrai que faire un tour au XVIIIe ne m'aurait pas déplu. On enjambe le XIXe, qui est un siècle thanatocratique, mortifère.

  • Speaker #0

    Laborieux.

  • Speaker #1

    Laborieux.

  • Speaker #0

    Un du friel.

  • Speaker #1

    Oui, je n'aime pas le 19e, mais c'est vrai que faire un tour au 18e, se faufiler dans un tableau de Fragonard.

  • Speaker #0

    Chez la Pérouse, 1766, avant la Révolution. Oui,

  • Speaker #1

    je sais, je sais,

  • Speaker #0

    je sais.

  • Speaker #1

    C'est pour ça que je suis...

  • Speaker #0

    On n'est pas très mal, ce n'est pas ce qu'on m'a dit.

  • Speaker #1

    Ça voyage dans le temps, oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que vous pensez de la dictature, de la sincérité dans la littérature actuelle ? Parce que vous y succombez aussi. Oui,

  • Speaker #1

    mais je ne la revendique pas parce que c'est impossible, elle est impossible. On a beau vouloir être transparent, on reste opaque. C'est comme ça. Alors, on enlève quelques pelures de l'oignon que nous sommes. Comment dire ? Même la sincérité est un masque. Et donc, voilà. D'ailleurs, à Venise, dans les balles, les gens mettaient des masques pour qu'on les reconnaisse.

  • Speaker #0

    Vous avez... Est-ce que votre projet, avec Je me retournerai souvent, ça n'est pas d'écrire le premier ? Feel Good Book sans mièvrerie. Ah !

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, mais encore faudrait-il qu'il y ait un public pour ce genre de Feel Good Book. En général, c'est pas tout à fait ça.

  • Speaker #0

    Alors, c'est très... Evidemment, votre livre est très cultivé, comme vous. Il y a beaucoup de choses très amusantes, notamment le test de Sagan. Vous rencontrez François Sagan, et vous avez eu accès à François Sagan parce que Vous avez dit que vous étiez un... Un fanatique de Marc Chescou. Non, non,

  • Speaker #1

    je ne sais pas ce que j'ai dit, j'étais très ami, que j'aime beaucoup même, alors pour le coup, j'ai une joie de prononcer son nom, de Florence Malraux.

  • Speaker #0

    Qui était sa meilleure amie.

  • Speaker #1

    Qui était sa meilleure amie et son sosie physique. Et j'avais dit à Florence, je ne peux pas ne plus, ne pas connaître Françoise Sagan. Elle m'avait dit, oui, oui, pas possible. Et puis elle m'avait dit, elle veut bien te voir, mais elle veut te faire passer un... petit examen.

  • Speaker #0

    Si tu es vraiment un pouce.

  • Speaker #1

    Vous savez qu'elle avait choisi le pseudonyme de Sagan qu'elle avait trouvé dans la recherche du temps perdu. Puisqu'elle s'appelait Coirèze et que sa famille bourgeoise de la muette trouvait pas possible que le nom des Coirèzes si illustres soit souillé par les milieux littéraires. Donc elle avait choisi Sagan. Et donc elle m'a posé une série de questions et miraculeusement je suis reposé.

  • Speaker #0

    Et la question pour savoir si on est vraiment un Proustien, c'est quel est le prénom de Madame Verdurin ? Oui,

  • Speaker #1

    ça c'est une question de cours classique. Elle s'appelait Sidonie, comme vous savez. La seconde était plus difficile.

  • Speaker #0

    C'est quoi la deuxième question ?

  • Speaker #1

    Elle me dit quelle différence y a-t-il entre le prince des lomes et le dame oiseau de Montargis ?

  • Speaker #0

    Et en fait, c'est le même personnage. Voilà.

  • Speaker #1

    C'est-à-dire le baron de Charles.

  • Speaker #0

    C'est Françoise Sagan la seule femme de votre livre, alors avec Florence Malraux et Louise de Villemaurin. Il n'y a pas beaucoup de femmes.

  • Speaker #1

    Et ma bien-aimée.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr, Patricia. Mais il n'y a pas beaucoup de femmes dans le livre. Et alors, je voulais vous donner une liste de suggestions. Pourquoi pas Colette, par exemple ?

  • Speaker #1

    Eh bien, elle est dans le prochain, pour tout vous dire. Ah !

  • Speaker #0

    Je me réjouis. Vous parlez de Zelda Fitzgerald quand même souvent. Virginia Woolf ?

  • Speaker #1

    Trop triste.

  • Speaker #0

    Madame de Lafayette, la princesse de Clèves ?

  • Speaker #1

    Alors, très importante, mais je parle de la princesse de Clèves. Mais Madame de Lafayette, elle avait un côté janseniste, pas royal. qui m'était un peu insupportable.

  • Speaker #0

    Dorothy Parker. Oui. Vous auriez pu prendre Dorothy Parker.

  • Speaker #1

    Totalement. Totalement. Vous connaissez son mot merveilleux sur Catherine Hepburn. Elle était critique de cinéma avec du génie. Elle avait dit, Madame Hepburn maîtrise la gamme complète des émotions de A jusqu'à B. Et sur sa tombe, Ah oui,

  • Speaker #0

    sorry for the dust. Oui, c'est une belle épitaphe. Et d'ailleurs, vous citez l'épitaphe de Louise de Villemorin. Au secours. Au secours, oui. Sur Dorothy Parker, il y a un mot assez amusant. Un jour, elle écrivait dans Vanity Fair et elle ne rendait pas son article. Elle avait de nombreux jours de retard et ils finissent par arriver à la joindre. Et elle dit, I'm sorry, I was too... Fucking busy and vice versa. Je ne sais pas si c'est traduisible,

  • Speaker #1

    je crois pas. Elle a défendu un cercle qu'on appelait le vicious circle. Le cercle vicieux, prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux. C'est pour ça qu'elle est...

  • Speaker #0

    Ça, c'est très bien. Sur le style, vous êtes, comme vous l'avez dit, un adepte du style ramassé, bref, tranchant. et là vous faites votre autocritique vous dites vous fantasmez sur une autre forme les gens et j'aurais aimé être un grand monsieur paul le dire pas vous voulez pas lire votre part C'est une émission littéraire, on doit lire ses propres poses.

  • Speaker #1

    Alors, eh bien, j'écris comme un petit marquis équipé de syntaxes honorables et convenables, alors que dans mon tréfonds, je rêve de partitions imparfaites, négligées, en désordre, dont l'efficacité ne provient pas du détail mais de l'ensemble. J'aurais voulu, pour parler franchement, appartenir à la race des écrivains d'amplitude qui restent fidèles à leur rythme intérieur. tout en négligeant ce qui embellit localement. Or ça, je ne sais pas faire.

  • Speaker #0

    Vous avez essayé parfois.

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #0

    Notamment dans celui sur l'attentat au cinéma de votre père.

  • Speaker #1

    Eh bien, comment dire ? Moi, je procède par un tel accumulation de resserrement, de distillation, qu'il me faut une tonne de pommes de terre pour faire un petit verre de vodka. Très bien.

  • Speaker #0

    Vous êtes contre les points d'exclamation. Oui,

  • Speaker #1

    ça je le mets complètement.

  • Speaker #0

    Vous dites que ce sont des photos. Des photos télégraphiques. Oui,

  • Speaker #1

    surtout dans la syntaxe espagnole où il est au début de la phrase et à la fin.

  • Speaker #0

    Oui, encadré la phrase.

  • Speaker #1

    On est dans l'hystère. Il y a d'ailleurs une nouvelle de Tchékov qui s'appelle le point d'exclamation.

  • Speaker #0

    Vous dites que ça ne sert à rien. Soit la phrase est forte en elle-même et on n'en a pas besoin. Ou sinon, si on en met tout le temps comme Céline, on est rupte. Oui, oui. Et vous êtes contre aussi les italiques. Vous dites « vaniteux haut-parleur de la confidence » . Oui,

  • Speaker #1

    oui, c'est cette façon de souligner quelque chose que le lecteur, s'il est un bon lecteur, a déjà remarqué, mais de lui forcer un peu la main, de lui forcer l'oreille et l'œil. Et je trouve que c'est souvent du mauvais goût. J'essaie de moi-même à ce mauvais goût, quelquefois j'essaie de me contrôler.

  • Speaker #0

    À propos de Kundera, vous dites que le mot « mort » se dit « smart » .

  • Speaker #1

    Oui, Smert.

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de voyelle, S-M-R-T. Ça se prononce comment ?

  • Speaker #1

    Smert.

  • Speaker #0

    Smert. Ça, ça veut dire mort. Oui.

  • Speaker #1

    En tchèque. Ce que disait Romain Garry aussi, parce que c'est quasiment le même mot en lituanien aussi. C'est vrai que cette façon d'expédier la mort comme un crachat, c'est pas... Tandis que quand en français on dit la mort, c'est comme si on met la pédale. d'amplification sur un piano. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a immédiatement des harmoniques longues et profondes. Tandis que chez Kundera, entre autres, la mort est expédiée comme un crachat, comme un jonc.

  • Speaker #0

    Smart, oui. Alors, on va jouer au jeu devine tes citations, Jean-Paul. C'est-à-dire que je vais vous lire des phrases tirées de tous vos livres et vous devez me dire dans lequel vous avez écrit cette phrase. Tout est également simple et savoureux avec ce Casanova un peu voyou des faubourgs d'Alger.

  • Speaker #1

    Ah, ça c'est... je parle d'Albert Camus. Oui,

  • Speaker #0

    c'est dans Je me retournerai souvent, le dernier, page 23. Ce Casanova un peu voyou des faubourgs d'Alger.

  • Speaker #1

    Oui, c'est Albert Camus.

  • Speaker #0

    Tu as un petit peu aussi un autoportrait, non ? Pas du tout ?

  • Speaker #1

    Je ne suis pas vraiment des faubourgs d'Alger, mais enfin, si vous voulez.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'entre Sartre et Camus, votre choix est fait ?

  • Speaker #1

    Écoutez, on m'a appelé Jean-Paul à dessein.

  • Speaker #0

    Pour vous influencer ?

  • Speaker #1

    Pour m'influencer. Et j'ai mis beaucoup de temps à comprendre que Camus était un homme meilleur et plus lucide. Ça retrait simplement un génie. Mais Camus est un frère, oui. Donc voilà, cela dit... puisqu'on parle des prénoms je vous informe que j'ai fait des grandes démarches pour m'appeler Paul Jean afin d'avoir le prix Paul Jean Toulé et ça a été un échec c'est Frédéric Pajac qui l'a eu j'en suis fort désolé magnifique l'horaire vous

  • Speaker #0

    dites à propos de Camus nous étions nés sur la même rive de la Méditerranée sous le même soleil au coeur de la même guerre enfin moi quelques années après la coquetterie vous rattrape que faire pour libérer Boilem Sansal ?

  • Speaker #1

    Comment ? Je crois que...

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il faut ne pas en parler ou est-ce qu'il faut en parler ?

  • Speaker #1

    Il faut en parler et surtout il faut faire preuve d'une autorité. Peut-être que je parle, je suis de totale incompétence, mais mes réflexes seraient de commencer par... Enfin, je ne veux pas rentrer dans les détails, mais être un discours de fermeté absolu avec ce gouvernement algérien qui ne comprend que la force.

  • Speaker #0

    Autre phrase de vous. La vérité appartient toujours au dernier qui l'imagine. je crois que c'est dans les lignes de vie si le soleil s'en souvient 2024 et vous dites d'ailleurs la vérité en fait c'est un tiers d'exactitude un tiers d'exactitude malmenée par le temps et un tiers de mensonges rigoureusement véridiques c'est ça la vérité pas mal vous pensez toujours ça de plus en plus puisqu'on vit dans le monde des fake news Oui.

  • Speaker #1

    Oui, mais enfin, ce n'est pas ce genre d'inexactitude que je fais allusion.

  • Speaker #0

    Mais vous pensez qu'un écrivain, ça doit dire la vérité ou mentir ?

  • Speaker #1

    Quoi qu'il fasse, il ment.

  • Speaker #0

    Et donc, vous devez être assez heureux de vivre dans une époque de vérité alternative ?

  • Speaker #1

    Non. Non, parce que je trouve que les alternatives, comme vous dites, ne sont pas très sympathiques. Donc je suis pour des alternatives aimables et embellisseuses.

  • Speaker #0

    Oui, dans la littérature. Autre phrase. L'avenir me tente, j'oublie le passé.

  • Speaker #1

    C'est une phrase de Flaubert.

  • Speaker #0

    Le présent m'attend.

  • Speaker #1

    Une phrase de Flaubert.

  • Speaker #0

    Que vous citez dans l'hypothèse des sentiments. Vous êtes fort parce que j'essayais de vous piéger et vous êtes fort. Une autre. Je tenais l'amour à distance, je croyais au plaisir, je rencontrais rarement le bonheur.

  • Speaker #1

    Je pourrais mettre ça n'importe où, tellement c'est moi.

  • Speaker #0

    Ce qui plaisait à Blanche, 2020. Mais quand même, vous dites que vous rencontrez rarement le bonheur. Moi, j'ai l'impression que vous le rencontrez de plus en plus.

  • Speaker #1

    Oui, je suis heureux de façon indécente.

  • Speaker #0

    Indécente ?

  • Speaker #1

    Oui, ça me fait peur d'ailleurs. Je ne sais pas... qui est quand on me présentera la note, mais c'est iné...

  • Speaker #0

    Vous l'avez eu en 2020 la note ? Non. Dans cette partie de tennis ?

  • Speaker #1

    Mais au contraire, ça m'a rendu intéressant. J'ai eu...

  • Speaker #0

    La forme a dû être intéressante. Oui,

  • Speaker #1

    bien sûr. Ça m'a rendu très... Tout d'un coup, enfin, il m'est arrivé qu'un nuage noir passe au-dessus de ma tête.

  • Speaker #0

    Vous devenez enfin sympathique. Alors, justement, une autre phrase de vous qui me fait énormément rire là-dessus. Solers n'a plus d'ennemis, puisqu'on lui reprochait surtout d'être vivant. Oui,

  • Speaker #1

    ça je le pense profondément.

  • Speaker #0

    C'est dans le dernier, je me retournerai souvent, et vous pastichez une formule de Truffaut sur Guitry d'ailleurs, mais c'est très très bien.

  • Speaker #1

    En effet, Truffaut disait Guitry, ce qu'on lui reprochait c'était d'être vivant.

  • Speaker #0

    Vous dites quelque chose de méchant, mais vrai, sur Solers, j'adorais toujours les 20 premières pages de ses romans. Oui,

  • Speaker #1

    après je me perdais.

  • Speaker #0

    Lui aussi peut-être. Mais les 20 premières pages sont toujours exceptionnelles.

  • Speaker #1

    Exceptionnelles de désavolture. Ça pourrait être un écrivain italien, je ne sais pas comment vous dire. C'est merveilleux. Et puis après, l'érudition prend le dessus. La fausse érudition d'ailleurs. Une érudition un peu trop... Ça sentait la peinture fraîche, son érudition.

  • Speaker #0

    Peut-être que comme vous, Philippe Solers n'était pas romancier, tout simplement. Et c'était un très grand critique. Et ce n'est pas grave, un très grand intellectuel. un essayiste La guerre du goût est un effet de génie sur la littérature mais peut-être le roman au bout de 20 pages ça l'embêtait oui non seulement ça mais il avait écrit des romans classiques comme

  • Speaker #1

    Cruel solitude mais peut-être en tout cas le parallèle me flatte au combien une autre phrase dans quel livre avez-vous dit ceci Merci.

  • Speaker #0

    Borgès voulait être suisse car c'est le seul pays où personne ne connaît le nom du président. Ce qui est vrai. Je serais incapable de vous le dire d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Je ne crois pas que ce soit de moi cette phrase.

  • Speaker #0

    Ah bon ? Je l'ai trouvée dans Caison de papier, le recueil de vos chroniques.

  • Speaker #1

    Peut-être, oui. De Pistèze. Mais en fait, c'est assez typique d'une phrase possiblement inventée. Parce que ce que j'avais en tête, c'était Sioran. Et mais par-dessus tout, la Mongolie, parce que c'était le seul pays où il y avait plus de chevaux que d'hommes.

  • Speaker #0

    Oui, donc peut-être que vous avez des problèmes là aussi. Mais oui, mais c'est très bien. Les deux sont très bien. Une dernière, ça je l'adore aussi ça. C'est vraiment, pour moi, heureusement que vous êtes là, heureusement que vous vivez pour ce genre de choses. Il ne consentait à parler de la mort que quand il était sur des skis.

  • Speaker #1

    Jean d'Ormesson.

  • Speaker #0

    Oui, vous dites ça, c'est pur Jean d'Ormesson. Oui. Je trouve ça vraiment formidable. Il ne consentait à parler de la mort que quand il était sur des skis.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup. Ah oui, mais on va terminer avec les conseils de lecture. Vous avez dû préparer votre... Vous avez une antisèche. Je vous ai envoyé des questions. Oui, oui. Vous vous en souvenez ? D'accord. Juste pour... Parce que quand même. Grand éditeur et grand critique. Vous travaillez toujours au point ? Non. Non, vous avez arrêté aussi ? Vous avez tout arrêté ? Oui. Mon Dieu. Vous allez devenir vraiment écrivain. Un livre qui donne envie de pleurer.

  • Speaker #1

    Un coeur simple de Flaubert. Oui. Ou La princesse de Clèves.

  • Speaker #0

    Parce que dans les deux cas, c'est un amour qui n'advient pas.

  • Speaker #1

    Oui, ou Fritz Zorn, Mars, de Fritz Zorn.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer.

  • Speaker #1

    Paris est une fête, de Hemingway, évidemment.

  • Speaker #0

    Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #1

    Oui, ça ne manque pas. La mort de Virgile, Herman Broch, Orlando de Virginia Woolf. Ah oui ? Oui, mais en général, on ne passe pas beaucoup de temps dans les livres où on s'ennuie.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue.

  • Speaker #1

    Je ne crâne pas dans la rue. Si vous me demandiez dans les salons, dans les boudoirs...

  • Speaker #0

    Pour crâner chez la Pérouse.

  • Speaker #1

    Alors, pour crâner, tout dépend de la compagnie. Avec vous, je ne ferai pas tant d'efforts. Mais si... Par exemple, parler des hétéronymes de Fernando Pessoa ou bien parler des sonnets de Gongora, on crâne. Et on est ridicule.

  • Speaker #0

    Un livre qui rend intelligent.

  • Speaker #1

    La recherche du temps perdu, sans hésitation.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Un livre pour séduire. Ce n'est pas crâner, c'est séduire.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Séduire donc une femme. Et à ce moment-là, la poésie est une arme fatale, pas les romans. J'ai ma phalange de conquête, Apollinaire. Aragon, Baudelaire, Valéry.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Et avec ça, on ramène ce qu'on doit ramener.

  • Speaker #0

    Un livre que je regrette d'avoir lu ?

  • Speaker #1

    La recherche du temps perdu. Ça m'a stérilisé pendant 30 ans. C'est tellement génial, c'est tellement immense qu'on se dit... Je vous dis ça m'a stérilisé pendant 30 ans.

  • Speaker #0

    Au lieu de vous inspirer, ça vous a intimidé. Oui, un livre que je fais semblant d'avoir fini.

  • Speaker #1

    Belle du Seigneur. Oh ! Oui, oui.

  • Speaker #0

    Mais enfin, comment osez-vous ?

  • Speaker #1

    Ben oui, j'ai mal j'ose.

  • Speaker #0

    Ça c'est un scoop.

  • Speaker #1

    Oui, je pourrais vous dire également, évidemment, Ulysse, je pourrais vous dire plein de choses comme ça. Mais Belle du Seigneur, en général, les gens le terminent. Moi j'en pouvais plus.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui. C'est vrai que c'est long là.

  • Speaker #1

    C'est un sujet de discorde avec Bernard.

  • Speaker #0

    Oui, Bernard en y vit beaucoup, Albert Cohen. Le livre que j'aurais aimé écrire ? Ça va être encore la recherche ?

  • Speaker #1

    Non, non, non, ça c'est indépassable, il est à la droite de Dieu qui n'existe plus, mais il est là. Non, j'aurais aimé écrire Moby Dick précisément.

  • Speaker #0

    Ah oui, en hommage à cette projection qui n'a pas eu lieu.

  • Speaker #1

    Non, parce que c'est un livre génial qui prétendait être un rajout fait à la Bible. Il n'a pas compris que les religions du monde n'aient pas rajouté Moby Dick à sa Bible. Et en effet, le livre avait été conçu et écrit dans cet esprit-là. En vérité, il ne s'est même pas vendu, puisque le stock des invendus a servi de tar à une grue du port de New York.

  • Speaker #0

    C'est le conceptif-là. Et la baleine blanche, alors c'est Dieu ou c'est quoi ? C'est la mort ?

  • Speaker #1

    C'est le mal.

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #1

    C'est le mal.

  • Speaker #0

    Le livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #1

    Je viens de vous dire.

  • Speaker #0

    Ah pardon, je suis gâteux. Oui. Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu de votre vie, Jean-Paul Antoine ?

  • Speaker #1

    Ah oui, écoutez, ça me fait de la peine.

  • Speaker #0

    Vous répondez 80.

  • Speaker #1

    99 francs que vous avez publié. C'est un livre que j'ai adoré. 99 francs. Non, c'est d'autant plus terrible parce que je vais vous dire que j'ai vénéré son auteur. J'ai adoré Paul Morand, admiré, pastiché, imité. dans mes mesures de mes moyens. Et puis j'ai lu son journal inutile. Et c'est abject, tout simplement.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qui est pire, le journal inutile ou la correspondance à Chardon ?

  • Speaker #1

    Puisqu'il a commencé le journal inutile, quand Chardon est mort, il n'avait plus de correspondant.

  • Speaker #0

    Restons sur Tendre Stock de Paul Morand. Et enfin, le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Speaker #1

    Alors je lis, pour tout vous dire, un petit balzac qui s'appelle Traité sur les excitants modernes. C'est le dernier livre qu'il a écrit qui est absolument génial, où il reconsidère toute la comédie humaine. Il dit vous croyez que j'ai parlé de l'ambition, de la cupidité, de l'amour ? Non pas du tout. J'ai parlé de cinq excitants modernes qui sont par ordre de nocivité, le café, le tabac, le sucre. le thé et le chocolat. Et il retraverse la comédie humaine en disant « Mais vous voyez, quand Ruben Pré retourne à Angoulême, qu'il croise Vautrin, Vautrin lui demande d'allumer son cigare, enfin bref. » Et donc je lis ça. Je lis aussi le livre de Simon Liberati, Stanislas, qui est un très joli livre. Il est venu, il est venu. Très joli livre.

  • Speaker #0

    Et vous avez dit du bien d'un livre de Chez Grasset, donc vous êtes quand même encore un petit peu éditeur, malgré tout.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas, dis que c'était Chez Grasset.

  • Speaker #0

    Non, mais moi je le dis. Merci infiniment Jean-Paul, c'est un plaisir de discuter avec vous. Cette émission, vous étiez présenté en partenariat avec ma chemise, Figaret. Oui, oui, c'est important de gagner.

  • Speaker #1

    Vous êtes homme sandwich.

  • Speaker #0

    Nous devons gagner notre vie et défendre la littérature exige bien des sacrifices. Non, mais vraiment. Et puis merci à toute l'équipe du Figaro TV qui tourne, enregistre et monte cette émission. Et enfin n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous mourrez idiot. Ce sera l'apocalypse et plus rien n'aura de sens. Et nous serons remplacés par Tchad GPT.

  • Speaker #1

    Merci.

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