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Conversations chez Lapérouse

BENJAMIN STOCK : "JE SUIS UN RÉVOLUTIONNAIRE DÉSESPÉRÉ."

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48min |20/12/2024
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Conversations chez Lapérouse

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Description

LA RÉVÉLATION DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE.

Lauréat du Prix de Flore 2024, Benjamin Stock n'a pas eu peur de changer de café pour venir chez Lapérouse répondre à mes questions. Son roman "Marc" est un coup de maître qui démonte notre époque de fake news, de complotisme, de révolution impossible et d'utopies déçues.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir à toutes et quand même aux autres. Vous écoutez Conversations chez la Pérouse et je parle comme un steward d'Air France. Une émission de Frédéric Beigbeder sans aucun patron est strictement impossible à virer. Avec cette semaine,

  • Speaker #1

    Benjamin Stock.

  • Speaker #0

    Pour son livre,

  • Speaker #1

    Marc.

  • Speaker #0

    Aux éditions,

  • Speaker #1

    Rue Fromentin.

  • Speaker #0

    Et en présence de son éditeur,

  • Speaker #2

    Mathieu Lecomte.

  • Speaker #0

    Je salue ce professionnalisme de générique. On remercie Émile Fournier pour cette interprétation de Misty. Bien, bienvenue Benjamin Stock et bravo pour votre prix de flore 2024 pour Marc aux éditions Rue Fromentin. Mais avant de parler de votre livre, je suis rémunéré pour parler de Mésopotamia d'Olivier Ghez. Olivier Ghez qui avait reçu le prix Renaudot en 2017 pour la disparition de Joseph Mengele. Il revient avec ce livre époustouflant et je ne le dis pas parce que je suis payé. Je le dis parce que je le pense et je précise d'ailleurs pour nos spectateurs que les livres dont je fais la publicité, je les sélectionne. Si je n'aime pas, je refuse l'argent. Bien, je suis tellement intègre. Donc, c'est le roman du Moyen-Orient au XXe siècle. L'histoire de Gertrude Bell, la femme la plus puissante de l'Empire britannique dans les années 20. Elle était à la fois exploratrice, archéologue, alpiniste, écrivaine. espionnes, polyglottes. Et dans le livre, on voit Laurence d'Arabie, on voit Winston Churchill. Et si vous voulez l'ambiance, pour vous convaincre de lire ce livre, en ce début d'année 2025, c'est Indiana Jones, mais s'ils étaient une femme, et à Bagdad, et en 1917. Donc c'est Mésopotamia d'Olivier Guez chez Grasset. Maintenant, c'est la fin de la publicité, on peut commencer à parler. Je vous félicite. D'abord, quel âge avez-vous, Benjamin Stock ?

  • Speaker #1

    Je ne sais jamais, je crois que j'ai 36 ans.

  • Speaker #0

    36 ans, très bien. Marc est donc un roman complètement fou. Et je suis assez heureux que vous ayez 36 ans parce qu'on me dit que je n'invite que des vieux dans cette émission. C'est vrai que j'invite des gens qui ont une œuvre derrière eux, qui ont en général entre 20 ou 30 livres derrière eux.

  • Speaker #1

    Miguel Bonfoy, il est jeune.

  • Speaker #0

    Miguel Monfoy est jeune, mais il a déjà six ou sept romans. Oui, c'est vrai. C'est rare que j'invite, parce que comme je suis pendant une heure avec vous, c'est compliqué d'inviter quelqu'un qui n'a qu'un roman, c'est votre cas. Mais on va y arriver.

  • Speaker #1

    J'espère, on va trouver des choses à dire.

  • Speaker #0

    On va y arriver très, très facilement parce que j'ai adoré le livre. Mais enfin, je suis content de recevoir un jeune pour une fois, qui vient de recevoir le prix de Flore. Comment s'est passée la soirée du prix de Flore ? J'ai l'impression que vous étiez assez agité.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    Vous avez donné beaucoup d'interviews, bien sûr.

  • Speaker #1

    On y est allé ensemble avec mes éditeurs,

  • Speaker #0

    qui sont cinq. Oui, les cinq éditeurs et leurs femmes. Ça fait dix personnes. Et c'était quand même beaucoup, beaucoup de... Enfin, ça nous a coûté beaucoup d'argent.

  • Speaker #1

    C'est une toute petite maison d'édition, mais ils sont très nombreux. Et c'était la première fois pour nous tous, je crois, qu'on recevait un prix. Donc on y est allé, on disait, on est comme une bande de puceaux. On était hyper intimidés. On a bu un petit coup avant pour se réchauffer le cœur. Pendant aussi.

  • Speaker #0

    Pendant.

  • Speaker #1

    Voilà, les gens doivent savoir qu'il y a beaucoup d'alcool au prix de Flore, et il est gratuit.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Donc ça peut...

  • Speaker #0

    Grâce au champagne Louis Roder et à la vodka Le Filtre. Et bam, deux marques citées.

  • Speaker #1

    Ah c'est de la vodka ?

  • Speaker #0

    Je croyais que c'était du gin. Ça ressemble à de l'eau, mais c'est de la vodka. Je croyais que c'était du gin. Ah non, c'est de la vodka.

  • Speaker #1

    Et très vite, on se sent très à l'aise du coup.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Voilà, on fume, on boit, on parle à des gens très sympathiques.

  • Speaker #0

    Vous étiez avec votre épouse.

  • Speaker #2

    Tout à fait, une belle fête.

  • Speaker #0

    Votre épouse était assez exubérante.

  • Speaker #2

    Elle était effectivement assez exubérante. Vous m'en avez reparlé d'ailleurs après,

  • Speaker #0

    je crois. C'est bien.

  • Speaker #2

    Elle a été tardée.

  • Speaker #0

    Eh bien, tant mieux. En fait, ce n'est pas votre premier roman. C'est ça qu'il faut expliquer aux jeunes qui rêvent d'être à votre place, qui rêvent d'être édités. C'est que vous avez beaucoup galéré et vous aviez cinq manuscrits refusés auparavant. Oui. Alors, racontez-nous vos cinq romans refusés. Voilà.

  • Speaker #1

    Non mais j'ai commencé à écrire un roman pour la première fois à l'âge de 15 ans. Et j'ai essayé d'être édité. Et le problème, c'est que je n'ai jamais été édité, mais j'ai toujours reçu des encouragements. Ce qui nourrissait suffisamment mon égo pour me pousser à réessayer, puis réessayer, puis réessayer. Et à chaque fois, j'ai eu des encouragements. Et je me disais toujours, c'est bête, peut-être que je passe tout près d'un truc. Il me manque peut-être un essai de plus. Et je me suis entêté. Et donc, ça a pris 20 ans pour être édité. Et ce qu'il faut dire aux jeunes, c'est que c'est quand même... Ça aurait pu aussi ne jamais être édité. Enfin, je veux dire, ce roman était édité aussi par un coup de chance incroyable. La conclusion serait peut-être au bout d'un temps.

  • Speaker #0

    Racontez-nous, Mathieu, comment vous avez reçu ce manuscrit de Marc. Et vous êtes l'éditeur de Rue Fromentin.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Alors, c'est le moment de rendre hommage à Jean-Pierre Montal. Jean-Pierre Montal, c'est le fondateur des émissions Rue Fromentin, qu'on a repris il y a 3-4 ans. Et c'est Jean-Pierre Montal qui est un excellent écrivain. Bien sûr.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas reçu, mais j'aimerais beaucoup le recevoir. Et j'ai... défendu dans le Figaro, son dernier roman, La face Nord.

  • Speaker #2

    Exactement. Et donc, Jean-Pierre Montal nous a envoyé le texte il y a un an, à peu près, pile poil. Tout de suite, nous, on a été charmés par le livre. Enfin, c'était évident qu'il y avait quelque chose. On n'a pas vraiment compris pourquoi les autres maisons ne l'avaient pas pris, parce que ça se distinguait au premier coup d'œil. Je crois qu'il y en a quand même un certain nombre, on en parlera sûrement, qui ont eu un peu peur du thème et de Marc Lévy.

  • Speaker #0

    Ils pensaient que Marc Lévy ferait un procès ? Oui.

  • Speaker #2

    Alors, il y a des journalistes qui ont refusé de parler du livre, en tout cas, à cause de ça, qui nous l'ont dit. Il y a des maisons qui, a priori, ont refusé de le publier, plus par autocensure, je pense. Et après, à mon avis, le manuscrit s'est perdu aussi. Il y a des dizaines de manuscrits perdus. Mais ce qui était évident, c'est qu'unanimement, on a trouvé que le texte était génial. Et on savait en trois minutes qu'on allait le sortir.

  • Speaker #0

    Et quand vous receviez toutes ces lettres de refus, vous dites qu'il y avait toujours des encouragements. Oui. Mais moi, vous ne me l'avez jamais envoyé, un manuscrit ? Parce que j'ai l'impression que peut-être j'avais lu... Directement ? Non, oui.

  • Speaker #1

    Non, j'ai toujours envoyé aux grosses maisons d'édition, parce que c'est les seules que je connaissais.

  • Speaker #0

    Vous me disiez, j'avais peut-être lu une version précédente.

  • Speaker #1

    Ah non, je ne crois pas.

  • Speaker #0

    Vous l'aviez envoyé à Juliette Joss chez Grasset ? Ah oui. Ah, vous voyez.

  • Speaker #1

    J'ai été reçu par Juliette Joss dans les bureaux de Grasset.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    On était passé tout près d'une publication ?

  • Speaker #0

    Voilà, oui, c'est ce qu'elle m'a dit. Peut-être qu'à l'époque, j'avais vu ce livre. C'est pas la même version qui est sortie.

  • Speaker #1

    C'était pas le même livre.

  • Speaker #0

    Ah d'accord, c'est pas le même livre.

  • Speaker #1

    J'avais 25 ans.

  • Speaker #0

    Vous voyez, je vous apprends quelque chose en direct. Mais c'est drôle.

  • Speaker #1

    Ça fait partie des livres qui avaient failli être publiés. Juliette Jost, de chez Grasset, m'avait reçu dans ses bureaux. Elle m'avait demandé de retravailler. Et la nouvelle version est passée en comité de lecture. Enfin, puis bon, ça ne l'a pas fait. C'était quel titre ? Ça s'appelait Que je ne me gourbe pas

  • Speaker #0

    Le gouffre ? Le gouffre. Oui. Oui, mais ça me dit quelque chose.

  • Speaker #1

    Ah bah ça, c'est drôle.

  • Speaker #0

    Et bon, donc, des années à écrire des livres qu'on vous renvoie à la figure, ça ne vous décourage pas ?

  • Speaker #1

    Alors moi, j'ai suivi le conseil de Bertrand Russell, un philosophe anglais que j'aime beaucoup, et qui disait, si vous écrivez que vous n'êtes pas publié, le plus probable, c'est que vous n'ayez pas de talent. Alors continuez uniquement si ça vous fait plaisir. Et j'ai continué parce que je suis très heureux quand j'écris. Voilà.

  • Speaker #0

    Mais ça c'est original parce que...

  • Speaker #1

    Il faut le faire sans espoir.

  • Speaker #0

    Non mais beaucoup d'écrivains souffrent quand ils écrivent. Et vous, ça vous rend heureux. Et d'ailleurs ça se sent, il y a une jubilation dans votre manière d'écrire. On sent que vous êtes content d'être là. Et du coup le lecteur aussi.

  • Speaker #1

    Oui. Ah non, non, je ne souffre pas quand j'écris. Ah oui. Ah non, ça je ne crois pas. Vous croyez qu'ils sont sincères les gens ? Les artistes qui disent qu'ils souffrent quand ils font de l'art ?

  • Speaker #0

    Ça m'arrive de sentir une inspiration et d'avoir une belle journée et puis il y a d'autres jours...

  • Speaker #1

    Non mais ça d'accord !

  • Speaker #0

    C'est la transpiration principalement.

  • Speaker #1

    Oui ça d'accord mais oui, dix fois par jour on est découragé, on se dit que de toute façon ça n'a aucun sens. Mais dix fois par jour il y a aussi un moment, une phrase, une ligne où on se dit Ah bah non là je suis quand même content, ça me fait plaisir Et puis de toute façon c'est toujours mieux que d'aller au bureau non ?

  • Speaker #0

    C'est un bureau, c'est un esclavage Bah non,

  • Speaker #1

    on est chez soi, on se boit des petits cafés C'est quand même une vie confortable, faut pas exagérer Non parce que sinon, il faut savoir que j'ai un travail à temps plein Je suis salarié Donc non, c'est mieux que d'être salarié Alors justement,

  • Speaker #0

    vous avez fait des petits boulots Et là vous êtes... Alors racontez-nous, parce que c'est un peu ce qui a inspiré le livre Le livre se passe dans une start-up Qui s'appelle The Share Academy Et vous, vous travaillez dans la communication d'entreprises écologiques Oui,

  • Speaker #1

    oui, oui. Et les passages qui parlent de l'entreprise, même s'ils sont burlesques et un tout petit peu exagérés, en fait, ils sont quasiment autobiographiques.

  • Speaker #0

    Il faut être content, vos employeurs. Vous vous foutez de leur gueule pendant des dizaines et des dizaines de pages.

  • Speaker #1

    Mais je pense dans le fond, ils le savent, que tout ça n'est pas si sérieux. Je pense qu'ils le savent et qu'ils en souffrent. Il faut bien que quelqu'un leur dise.

  • Speaker #0

    Je peux vous dire que moi, quand j'avais critiqué des agents de la République, j'ai été viré pour faute grave. Donc vous pensez que vous n'allez pas être viré. Alors quelque chose a changé dans le monde.

  • Speaker #1

    Quelque chose a changé, oui. Je pense que maintenant, les gens savent que le monde économique est quand même relativement absurde. Mais comme on n'a rien d'autre à proposer, on continue, on fait semblant.

  • Speaker #0

    Vous foutez énormément de la gueule du vocabulaire. Du jargon un peu des startups.

  • Speaker #1

    Oui, mais ça c'est quasiment autobiographique. Moi je me suis retrouvé dans des entreprises, je ne savais pas exactement ce que j'étais censé faire. Je ne savais pas ce que faisaient mes collègues, je ne savais même pas à quoi servait vraiment l'entreprise. Ça c'est du vécu.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est vrai.

  • Speaker #1

    Je ne vais pas citer d'exemple pour le coup trop précis.

  • Speaker #0

    Ben si ! Non ! Moi je vous les cite pour vous.

  • Speaker #1

    Non, parce que j'ai des copains là-bas et tout.

  • Speaker #0

    Non, mais je vais vous les citer. Par exemple, est-ce que ça existe les Happiness Officers ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #0

    C'est quoi ?

  • Speaker #1

    C'est à la marge, mais c'est des gens qui sont censés veiller au bien-être des salariés. Ils arrivent avec des... Ils vont organiser les anniversaires ou des trucs comme ça.

  • Speaker #0

    C'est bien ça.

  • Speaker #1

    Faire en sorte qu'il y ait un saladier de bonbons qui soit rempli, des trucs dans le genre. Oui, oui.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qu'un growth hacker ?

  • Speaker #1

    Ah ça, ça, il y en a beaucoup.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est ?

  • Speaker #1

    Je n'ai jamais trop compris. Ils sont chargés... Si, ils sont censés générer de la croissance avec des petits hacks, des... petits bidouillages sur internet je sais pas tu t'es il faut savoir les éditions referment son nom professionnel oui et qu'on a tous un travail à côté donc on connaît le monde dans l'entreprise donc vous êtes tous un peu dans ce monde là de la tech et vous faites à côté un

  • Speaker #0

    travail comme un hobby qui est de découvrir benjamin stock c'est très bien tant mieux et donc le reste de votre vie n'a aucun sens mathieu en allemagne qui bosse au pmu par exemple

  • Speaker #2

    On a un autre qui bosse dans l'installation de télévision dans les hôpitaux. Il y en a qui font de l'e-commerce. Il y a un peu de tout. Il y en a un qui est à Dubaï, qui travaille pour des gouvernements.

  • Speaker #1

    C'est lequel à Dubaï ?

  • Speaker #2

    C'est Quentin.

  • Speaker #1

    Ah bon ?

  • Speaker #0

    La commission permet à Benjamin de connaître mieux sa maison d'édition.

  • Speaker #1

    Ils sont cinq et je suis beaucoup en contact avec Mathieu.

  • Speaker #0

    On continue avec la liste des métiers bizarres. Chief Information Officer.

  • Speaker #1

    Je crois, oui, c'est une variante de knowledge manager. C'est un boulot qu'on m'avait proposé. Et la personne qui me l'a proposé n'a pas vraiment réussi à me l'expliquer. Et je ne savais pas si je l'avais accepté. Elle m'a dit, c'est pour gérer la connaissance dans l'entreprise.

  • Speaker #0

    C'est kafkaïen quand même.

  • Speaker #1

    Oui, tout à fait.

  • Speaker #0

    C'est très marrant parce que Kafka et d'ailleurs d'autres, courte mine, ont décrit l'absurdité des débuts du capitalisme. Et puis là, on s'aperçoit qu'avec la révolution digitale, on a créé vraiment bien pire. Oui,

  • Speaker #1

    souvent le roman est dépassé par la fiction.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qu'un programme manager ?

  • Speaker #1

    Ça, je ne sais pas.

  • Speaker #0

    Et il y a des types qui sont payés et ils ne savent pas exactement ce que c'est que leur boulot.

  • Speaker #1

    C'est le sujet de votre livre. Oui, mais après, moi, je suis allé voir des organigrammes de boîtes sur Internet. Et puis, je n'ai pas côtoyé de programme manager, mais je sais que c'est un métier qui existe.

  • Speaker #0

    Donc, le roman maintenant, venons-en. Donc, ce héros qui s'appelle David Bomer, il a créé The Share Academy. C'est une start-up. Il ne sait pas très bien à quoi elle sert.

  • Speaker #1

    On ne sait même pas tellement ce que c'est. Est-ce que c'est une entreprise ? Est-ce que c'est une fondation ? Ça, on ne sait pas trop.

  • Speaker #0

    Et donc, en gros, c'est une satire de ce monde incompréhensible, où les gens sont très nombreux à travailler dans un bureau sans trop savoir pourquoi. En fait, c'est peut-être une agence de com'un peu digitale. Peut-être. Peut-être. Mais peut-être.

  • Speaker #1

    C'est possible aussi.

  • Speaker #0

    C'est une théorie. Et de cette histoire qui est très drôle au début... On arrive dans ce qui a posé problème pour la publication du livre, c'est que David rencontre une employée, Cheyenne, qui lit Marc Lévy, il se fout de sa gueule, et puis quand même, comme elle est très jolie, il s'intéresse à elle, et pour la séduire, il va se mettre à lire les livres de Marc Lévy, raconter la suite.

  • Speaker #1

    Alors il va lire les livres de Marc Lévy, et puis Cheyenne est une fille un petit peu cryptique, qui laisse entendre que Marc Lévy est quand même plus que ce qu'on croit, et lui, comme il est séduit par cette fille, peut-être un peu sous influence. Il va se mettre à penser comme elle, alors au début il se force un peu parce qu'effectivement il cherche un sujet de conversation, il veut boire un verre avec elle, et donc au début il va inventer un petit peu, puis finalement il va se prendre au jeu et finir par être vraiment convaincu qu'il y a des messages, alors on pourrait dire crypto-communistes ou... révolutionnaire, en tout cas très politisé dans l'œuvre de Marc Lévy qui n'est qu'une... Ce ne sont que des romans à clé en fait. Les métaphores très élaborées.

  • Speaker #0

    Les romans de Marc Lévy qui parlent souvent de fantômes, qui sont des romans d'amour principalement.

  • Speaker #1

    Au début en tout cas.

  • Speaker #0

    Dedans, on trouve des raisons de faire la révolution et de renverser le système dans lequel nous vivons. Et c'est une secte. Il y a une secte dans votre livre.

  • Speaker #1

    Alors oui, mais ça... C'est sujet à interprétation. C'est pas vraiment dit. Il va trouver un groupe de personnes...

  • Speaker #0

    Je vous enlève un cheveu,

  • Speaker #1

    parce que c'est votre première télé. Voilà, voilà.

  • Speaker #0

    Il faut quand même réussir. Pas sage.

  • Speaker #1

    Il va rencontrer un groupe qui lit Marc Lévy, un petit peu en cachette, et puis qui ont l'air de vraiment l'apprécier beaucoup, beaucoup. Mais enfin, on ne comprend pas vraiment tout ce que ces gens pensent. Et c'est pas certain que tout le monde pense la même chose. Donc c'est une interprétation possible, effectivement, que ce soit une secte et qu'ils soient tous d'accord pour avoir la même interprétation. Mais jusqu'au bout du roman, je pense qu'il y a une forme d'ambiguïté. Et peut-être que David est seul.

  • Speaker #0

    Ah, d'accord. C'était quand même possible. Peut-être que tout ça est dans sa tête.

  • Speaker #1

    C'est une possibilité et je crois que le roman fonctionne aussi avec cette lecture-là.

  • Speaker #0

    D'accord. Parce qu'on ne va pas raconter la fin, mais il y a une fin apocalyptique, ultra spectaculaire, ultra violente. Peut-être que tout ça n'est qu'un rêve. C'est un peu facile si c'est le cas. J'aime bien l'idée qu'il y ait vraiment, oui, un complot et qu'il arrive à une révolution à Paris.

  • Speaker #1

    Oui, oui, mais regardez bien. On ne va pas trop en dire, mais enfin, David, il est seul à la fin. Et d'ailleurs, il se rend compte. Il est de plus en plus seul. Et effectivement, il essaie de créer une révolution, etc. Mais on voit bien qu'en fait, chacun fait sa révolution à sa manière pour ses raisons. Et c'est la question, c'est est-ce qu'aujourd'hui, en fait, on peut faire une révolution quand on voit à quel point on est atomisés et à quel point on est tous regroupés dans des chapelles différentes qui sont minuscules ? Est-ce qu'on a encore une grande idée commune qui nous permettrait de faire la révolution ? Et on voit bien que David, à la fin, il en doute.

  • Speaker #0

    Mais c'est un roman, c'est marrant parce que c'est ce roman qui commence comme une blague un peu, en réalité extrêmement ambitieux. C'est pour ça d'ailleurs qu'il a été primé par le jury du Flore, un jury qui n'est jamais d'accord et qui, pour une fois, a voté pour vous à l'unanimité. Ça n'est pas arrivé depuis Houellebecq en 1996, donc c'est quand même extraordinaire. Et je pense que c'est pour cette raison-là, c'est parce que peut-être vous ne l'avez pas fait exprès, mais vous captez tout l'air du temps. Nous vivons en France dans une situation pré-révolutionnaire. Il y a du complotisme partout, y compris à la tête des États-Unis d'Amérique. Tout ça, vous le sentiez ? Chez nos élites aussi. Chez les ?

  • Speaker #1

    Chez nos élites aussi, parce que quand je parle du complotisme, on va croire que je me moque. En gros, des beaufs, des gens qui votent Trump, etc. Mais en fait, le complotisme, il est partout. Je veux dire, dans les médias, chez les intellectuels, il y a des raisonnements complotistes qui consistent à avoir une histoire du monde qui est simple, avec des gentils, des méchants. Je ne vais pas donner d'exemple tout de suite pour ne pas me faire trop d'ennemis. Ça concerne tout le monde,

  • Speaker #0

    ce mode de raisonnement. Vous êtes quand même parti de vous intéresser à ce mouvement.

  • Speaker #1

    C'est vrai que j'ai été fasciné par le mouvement QAnon pendant le Covid, donc pendant le Covid, confinement, je suis beaucoup sur internet, je m'occupe et je découvre le mouvement QAnon et c'est des gens qui vont commencer à surinterpréter des messages postés sur des forums, mais des messages vraiment complètement nuls, qui n'ont à peu près aucun sens, qui font quatre lignes. Et ces messages-là vont donner naissance à ce qui est quelque chose qui peut s'apparenter à une religion et qui va avoir plus de poids que certaines religions traditionnelles en un an ou deux ans. Et effectivement, c'est un grand récit, une grande conspiration d'extrême droite, où Donald Trump est un messie qui vient délivrer la population américaine en proie aux pédos satanistes. Mais du coup,

  • Speaker #0

    l'idée de base... La réponse à la question qui était dans le teaser. Oui !

  • Speaker #1

    Je me suis dit, moi je vais me faire plaisir, je comprends ces gens-là, on a besoin de grands récits, on a besoin de donner du sens à notre existence, mais moi je vais faire une conspiration qui me fait plaisir, je vais me faire une conspiration d'extrême gauche.

  • Speaker #0

    Mais pourquoi vous êtes arrivé sur Marc Lévy ? C'est ça qui est surprenant. Parce que c'est le romancier le plus populaire ?

  • Speaker #1

    Oui, il fallait se fixer un défi. Alors, il fallait que je trouve une conspiration dans l'endroit le plus insoupçonnable. Mais ça a failli être autre chose que Marc Lévy. J'ai hésité avec la magazine Astrapi, avec le magazine des cheminots de la SNCF. Ça aurait pu être plein de choses différentes. Marc Lévy, c'était un symbole. Et puis, beaucoup de gens avaient lu le premier. Donc, je trouvais ça sympa. De me fixer un défi difficile et de me dire, tiens, je vais réussir à trouver une conspiration dedans.

  • Speaker #0

    J'ai le point de départ du livre. C'est un dialogue qui est presque philosophique sur est-ce que le roman peut changer le monde ou bien il ne sert qu'à nous distraire. C'est d'ailleurs un roman qui critique les livres engagés. J'ai l'impression, votre livre. Ou est-ce un roman engagé ?

  • Speaker #1

    Oui, après, quand je dis que c'est engagé, je ne crois pas qu'un roman doit dire voilà ce que vous devez penser Je préfère que le roman soit relativement ambigu et puis je laisse le lecteur avec tout ça sur les bras. Mais oui, il y a quand même tout un tas de passages où le narrateur se permet de faire des analyses.

  • Speaker #0

    relativement univoque sur la politique la société oui mais même je dirais ce qui est intéressant c'est que vous au fond et vous le dites je vais vous faire lire un passage mais c'est vraiment pas fort moi je vous savez pas lire non je ne suis pas guillaume gallienne moi non mais vous lisez simplement ce que vous avez écrit et puis qu'on en reparle juste après parce que ce passage C'est très important parce que vous dites au fond qu'Internet, ça a été une utopie et que cette utopie,

  • Speaker #1

    elle a déçu. Oui. Lui et Diana s'étaient pris de fascination pour les nouvelles technologies et la possibilité de numériser tous les services. Ils se crurent au seuil d'une nouvelle ère où l'usage des biens l'emporterait bientôt sur leur possession. Il était évident que l'économie du partage était sur le point d'éclore et que cette révolution toucherait tous les aspects de la vie, du travail, de la production, notre rapport aux choses et notre rapport aux autres. Le couple rêvait, sans le savoir, de l'homme nouveau dont rêvaient les soviétiques, un homme meilleur au regard fier, la poitrine large, libéré des superstitions bourgeoises, prêt à tout partager, savoir, objet, pouvoir, à la force de son téléphone mobile. Prolétaires, paysans, jeunes cadres et milliardaires, tous unis par le covoiturage et le financement participatif. Je continue ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est bien, peut-être que vous lisez plus lentement.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    On sent que vous êtes pressé de finir pour passer à autre chose. Soyez gourmand avec votre...

  • Speaker #1

    Allez, tout en gourmandise. Tu te rends compte, disait Diana, il n'y aura plus d'employeur ni d'employé, mais seulement des entrepreneurs indépendants liés par des contrats libres. C'est la fin du salariat, c'est la fin du capitalisme.

  • Speaker #0

    C'est vous, c'est vous. C'est exactement votre vie. Continuez cher.

  • Speaker #1

    Je pourrais commenter ça après.

  • Speaker #0

    Mais oui, mais arrêtez-vous pour... commenter quand vous voulez.

  • Speaker #1

    En fin de compte, Internet n'avait rien aboli. Ni l'exploitation des hommes, ni celle de la nature. Au contraire, le fétichisme de la marchandise et l'isolement des individus atteignaient un pinacle. La révolution numérique fut seulement le nom d'un chassé-croisé, le remplacement d'une classe de dominants par une nouvelle génération de dominants, de la cravate au sweat à capuche.

  • Speaker #0

    De la cravate au hoodie, mais finalement, rien n'a changé. Non, mais... Non, mais c'est...

  • Speaker #1

    Parce que moi, j'ai connu des gens qui parlaient comme ça. Oui, oui. la première start-up où j'ai travaillé, les gens croyaient vraiment, dans ces milieux-là, avec le début de l'économie du partage, que c'était la fin du capitalisme. Mais bien sûr, on a trouvé tout un tas d'articles de l'époque qui disent ça. Et ce qui est marrant, c'est que j'ai fait un parallèle très intelligent, sans le savoir, c'est que, encore une fois, c'est un accident, mais je l'ai appris plus tard en écoutant un philosophe parler de ça, c'est qu'en fait... David va après se fasciner pour les Saint-Simoniens. Et les Saint-Simoniens étaient fascinés par la révolution industrielle. Et les réseaux, mais de chemin de fer. Il disait que les réseaux de chemin de fer vont amener le socialisme. Et tout ça, ce sera la fin du capitalisme, etc. Parce qu'on va s'interconnecter. Et en fait, c'était la même utopie. Et là, on a des réseaux numériques. On s'est dit, ça y est, en fait, tout est réglé.

  • Speaker #0

    Au début d'Internet, quand Internet arrive, je ne sais pas si c'est à la fin du XXe siècle ou au début du XXIe, on se disait que tout serait gratuit. que tout le monde échangerait tout, que c'était la fin des médias, la fin de la domination du capital. Vous qui travaillez là-dedans depuis des années et des années, vous êtes passé par cette phase d'utopisme ?

  • Speaker #2

    Je pense qu'on y a tous cru à un moment et que si on s'est lancé dans l'édition, c'était justement pour fuir ça qui était notre quotidien auquel on ne trouvait plus aucun sens.

  • Speaker #0

    Parce que vous êtes déçus, vous êtes des déçus du numérique.

  • Speaker #2

    On est des déçus du numérique, je pense. Et puis, ce que tu disais Benjamin sur ces jobs dont on ne comprend pas vraiment le sens, on ne sait plus très bien pourquoi on est au bureau, ce à quoi on sert. Je pense que ça nous a beaucoup touché, ça.

  • Speaker #0

    Oui, et le point de départ, c'est cette critique-là d'une utopie ratée. pour basculer après dans une tentative de révolution absurde. Mais pourtant, on a envie de savoir où vous vous situez. Est-ce que vous êtes un révolutionnaire ou un romancier qui se moque ?

  • Speaker #1

    Tu vois, on va devoir mettre les pieds dedans.

  • Speaker #0

    Vous pouvez rester ambigu. Non,

  • Speaker #1

    non, je n'ai pas envie de... Non, non, je suis de tendance révolutionnaire. Mais un peu désespéré. Et effectivement, je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, il soit possible de faire la révolution.

  • Speaker #0

    On verra bien dans les jours à venir.

  • Speaker #1

    Oui, mais effectivement, je trouve qu'on le voit bien. En fait, je crois que la société est quand même très, très fragmentée et il nous manque, ne serait-ce que ça, peut-être une gauche réelle, puissante. Je crois qu'aujourd'hui, la gauche est morte. Elle doit repartir de zéro. ça prendra 10, 20, 30 ans. Mais aujourd'hui, la gauche ne peut plus penser au pouvoir. Mais ce qui fait que beaucoup de gens doivent être désespérés, ils veulent reprendre le contrôle sur les choses, et donc ça peut mener à des accès de violence quand on est un peu trop impatient. Tout le monde n'a pas envie d'attendre 30 ans.

  • Speaker #2

    C'est vrai que vous posez cette question, parce qu'en fait, quand on a lu le bouquin, on s'est dit, il est complètement inclassable, ce bouquin. Et en fait, dans la réception critique, on a des gens de droite qui disent, c'est génial, c'est la dénonciation ultime du wokisme, etc. Et puis des gens comme Arnaud Vivian, qui considère que c'est un appel à la révolution géniale et en fait le bouquin est vraiment très très ambigu là-dessus.

  • Speaker #0

    Oui mais c'est ça qui est bien, je pense que le rôle d'un roman n'est pas de prendre position mais simplement de, voilà, comme dit Stendhal, d'être un miroir qu'on promène le long du chemin.

  • Speaker #1

    Je pense que tu peux prendre position. Mais quand il y a des dialogues entre les personnages, il ne faut pas tricher et faire que l'autre passe pour un con. On est obligé de lui mettre les meilleurs arguments dans la bouche. Voilà, c'est plutôt là-dedans. Oui,

  • Speaker #0

    c'est vrai. C'est vrai qu'on peut voir une influence des romanciers sarcastiques de la fin du XXe siècle. Je pense à Houellebecq, à Patrice Jean, peut-être à Belcantin, mais peut-être vous allez me dire pas du tout, je ne les ai jamais lus.

  • Speaker #1

    Je ne les ai pas beaucoup lus. J'ai lu un petit peu Houellebecq, mais non, j'ai lu... Il faut savoir que je n'ai pas une grosse culture littéraire. et que surtout j'ai lu très peu d'auteurs contemporains.

  • Speaker #0

    Donc d'où vient votre désir de renverser la table, de regarder le monde et de rire comme ça ?

  • Speaker #1

    Avec ce rire-là diabolique ? Oui. Non, mais c'est plus l'idée de la création. Moi, je n'ai jamais vécu sans créer un truc. Alors, ça a beaucoup été l'écriture, mais... Il y a des époques où j'ai essayé de... On a fabriqué des jeux vidéo, j'ai fait des projets multimédia, j'ai fait... Enfin, j'ai tenté différents trucs, quoi. L'écriture, ça me réussit bien, ça me plaît bien, et puis globalement, ça coûte pas cher par rapport au reste, alors...

  • Speaker #0

    Mais quand vous voyez... C'est marrant, parce que vous donc... Moi, je viens...

  • Speaker #1

    Et puis je dis pas que je lis pas, hein !

  • Speaker #0

    Je viens du milieu littéraire, voilà, et de la presse, j'ai fait un peu de tout, mais aujourd'hui, grâce au numérique... J'arrive à faire ce podcast et à être complètement libre. Donc, il y a aussi du positif. C'est ça qui est étonnant. Alors que moi, j'ai beaucoup critiqué les réseaux sociaux et tout. Je voyais un peu du George Orwell là-dedans. Aujourd'hui, je peux faire une émission, vous inviter et on parle librement aussi longtemps qu'on le veut. L'émission, elle peut durer cinq heures. Je vois la tête de nos techniciens qui sont un petit peu en panique. Et ça, il y a donc du positif aussi ?

  • Speaker #1

    Ah oui, évidemment. Mais moi, ce n'est pas un livre... Non, les réseaux sociaux, j'ai un vrai problème avec ça. Mais justement, moi, je suis arrivé sur Internet, comme tout le monde ici, je suppose, dès le début. En fait, on oublie un peu, les jeunes générations ont oublié qu'il n'y avait pas les réseaux sociaux. Internet existait avant et c'était mieux. Les réseaux sociaux, c'était quand même des énormes boîtes qui coûtent des milliards, etc., qui vont en fait récupérer Internet et en faire un système plus fermé qu'avant. Mais avant, c'était la même chose, en plus ouvert. Il y avait des forums, des Ausha, tout un tas de trucs, des sites amateurs. C'était le Far West et c'était génial. Et ça existe encore un peu, mais bon, aujourd'hui, c'est un peu oublié.

  • Speaker #0

    Mais juste pour finir sur les réseaux sociaux, ce que vous reprochez, c'est qu'ils collectent des informations sur les citoyens pour leur envoyer des pubs. Ça, c'est ma paranoïa à moi, mais quelle est la vôtre ?

  • Speaker #1

    C'est qu'on se soumet à des algorithmes, en fait, on demande à des algorithmes de juste de maximiser le taux de clic, en gros. Et après, on les laisse faire, on ne sait pas ce qu'ils font. Et globalement, on voit que ce qu'ils font, c'est maximiser des émotions négatives chez les gens, fracturer la société, etc. Pas parce que les algorithmes sont méchants, mais c'est que apparemment, ça marche et ça maximise le taux de clic. Et oui, je pense qu'ils font beaucoup de mal à la société. On sait qu'ils font beaucoup de mal aux jeunes. J'entendais ce matin, l'Australie vient interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans.

  • Speaker #0

    Moins de 16 ans ?

  • Speaker #1

    Je trouve que c'est des trucs qu'on devrait... Ça fait des dégâts chez les jeunes quand même. Ce serait bien,

  • Speaker #0

    ce serait bien. Et je me tourne vers vous, Mathieu. C'est quand même symboliquement intéressant que, travaillant dans le digital... vous passez par une phase d'enthousiasme puis de dépression, et qu'est-ce que vous faites ? Vous ouvrez une maison d'édition de livres en papier. Genre, c'est comme si vous reveniez à l'âge de Pierre. Vous êtes dans une cave à lire des manuscrits, à faire des corrections sur des manuscrits. C'est fascinant, c'est comme dans un roman de Ray Bradbury.

  • Speaker #1

    C'est un peu ça, oui. Mais je pense que c'est une sorte de bulle d'oxygène dont on a besoin, de revenir à du papier, effectivement de quitter les réseaux sociaux. Et puis je pense qu'on le fait en plus de façon hyper artisanale. Je pense qu'il y a aussi ça, lire des manuscrits, prendre le temps. C'est un temps qui est beaucoup plus long aussi, l'édition, que les métiers qu'on fait habituellement. Je crois que c'est ça qui nous a vraiment...

  • Speaker #0

    Qui vous plaît. Vous vous sentez libéré ?

  • Speaker #1

    Et puis on le fait sans contrainte économique en plus. Donc on est vraiment des artisans, on sort ses livres, on sort tout ce qu'on a envie de sortir, quand on veut.

  • Speaker #0

    Et maintenant qu'il a eu le prix de Flore, est-ce que vous voyez des différences de vente ? Est-ce que vous allez lui donner beaucoup d'argent ?

  • Speaker #1

    Alors c'est une discussion qu'il faut qu'on ait dans pas longtemps. Mais on sent que Benjamin commence à nous demander, c'est normal.

  • Speaker #2

    Non mais il ne demande jamais. Moi mes amis passent mon temps à me demander, ils me disent mais alors,

  • Speaker #0

    t'en vends combien ? Et je ne sais pas,

  • Speaker #2

    je ne demande jamais.

  • Speaker #0

    Est-ce que ça marche ?

  • Speaker #1

    Oui, ça marche.

  • Speaker #0

    Donc le prix de fleurs a un effet.

  • Speaker #1

    En fait, on a eu une commande massive deux jours après. Donc ça marche tout de suite. Donc on a vu la différence, c'est massif.

  • Speaker #0

    Vous avez fait un bandeau rouge ?

  • Speaker #1

    On a fait un bandeau rouge qu'on avait prévu à l'avance.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous vous doutiez un petit peu ?

  • Speaker #1

    Pas du tout. En vérité, on ne pensait vraiment pas qu'on l'aurait. En fait, on avait fait un peu, c'était un petit peu house of cards. On avait regardé un petit peu qui allait voter pour qui. On pensait bien que vous alliez voter pour nous. On s'était dit que Vivian allait voter pour nous aussi. Mais voilà, on pensait avoir 2-3 voix. Vous êtes 12.

  • Speaker #0

    Non mais là, vous avez eu 11 voix sur 12. Je ne sais pas si vous voyez, ça n'existe pas. Ça n'arrive jamais.

  • Speaker #2

    Je sais qu'il n'a pas voté pour nous. Il m'a dit de toute façon, je vote toujours à l'inverse de tout le monde pour faire chier. Donc, voilà.

  • Speaker #0

    Non, c'est elle.

  • Speaker #2

    Ah c'est elle ? Oui,

  • Speaker #0

    c'est Michel Fittoussi. Moi je lui le dis, je m'en fous. Elle l'assume.

  • Speaker #2

    Bon, alors ce n'est pas lui. Je pense à quelqu'un d'autre.

  • Speaker #0

    Bon, avez-vous rencontré Marc Lévy, oui ou non ?

  • Speaker #2

    Ah bah non !

  • Speaker #0

    À ce jour, toujours pas. Mais écoute, on lui a envoyé le livre, on voulait qu'il vienne à la soirée vous décerner le prix, j'aurais beaucoup aimé qu'il soit là aussi aujourd'hui.

  • Speaker #2

    Oui, mais je comprends qu'il n'a pas envie de participer à la promo d'un roman qui n'est pas le sien.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce que lui-même a un livre en promo. Ben oui ! Ça s'appelle La librairie des livres interdits et c'est sur la censure et c'est sur aussi le même sujet que vous, l'autre réalité, les faits alternatifs. Donc c'est fou que le vrai Marc Lévy... Ce mois-ci, en même temps que vous, prend la défense des livres interdits. Mais refuse de vous rencontrer. C'est paradoxal.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on lui a... On l'a contacté...

  • Speaker #2

    Vraiment ?

  • Speaker #1

    Par cinq ou six biais, ouais.

  • Speaker #2

    Il a fait ça,

  • Speaker #0

    c'est toujours pas fait.

  • Speaker #1

    Non, ça c'est toujours pas fait. Mais bon, on ne désespère pas.

  • Speaker #0

    Non, il faut qu'il lise le livre. Parce que le livre n'est pas agressif.

  • Speaker #2

    Non, mais surtout, c'est même pas sur Marc Lévy. Marc Lévy n'est qu'un prétexte. Encore une fois, ça aurait pu être quelqu'un d'autre. Bon, c'est tombé sur lui. Parce que c'est un personnage public. Mais...

  • Speaker #0

    Et surtout parce que vous aviez une revanche à prendre Mais non ! Pour un romancier qui a plus de succès que vous,

  • Speaker #2

    c'est tout Oui, mais tant mieux pour lui,

  • Speaker #1

    je suis content Et puis Marc Lévy est devenu très politique Je ne sais pas si vous le suivez un peu Il a changé le bouquin Il en a écrit un justement contre les réseaux sociaux Oui,

  • Speaker #0

    il critique Marc Zuckerberg D'ailleurs, tout ça est dans le livre Dans votre livre,

  • Speaker #2

    vous parlez de la transformation de Marc Lévy en homme politique Je cite ses romans et je cite aussi ses interviews Et je n'invente rien Oui, oui Toutes les citations sont réelles. Je crois qu'à l'époque, il y avait même les notes de bas de page pour dire ça vient de telle radio.

  • Speaker #0

    Je pense que personne n'a jamais fait un tel travail d'exégèse sur l'œuvre de Marc Lévy.

  • Speaker #2

    Si je vous dis, on en parle. Il y a un thésard sur Marc Lévy, indonésien. Indonésien ? C'est cité dans le bouquin. Je crois qu'il y a une thèse d'un étudiant étranger.

  • Speaker #0

    Je croyais que c'était inventé, moi. Non,

  • Speaker #2

    ce n'est pas une blague.

  • Speaker #0

    L'absurdité du monde contemporain est également symbolisée par le lancement de la moutarde goût mojito.

  • Speaker #2

    C'est pas symbolisé, je crois que ça existe. Et vous allez goûter ? Non, mais je crois qu'il existe des moutardes goût morito. J'ai pas goût... Non, j'ai autre chose à faire. J'aime bien le morito et la moutarde, mais alors ensemble...

  • Speaker #0

    Mais ensemble, ça paraît bizarre. Et donc...

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup de trucs qu'on croit que c'est inventé, et en fait, non. Le monde est vraiment pire que...

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #2

    J'arrive pas à suivre.

  • Speaker #0

    Je me demandais si je faisais le jeu Devine tes citations cette semaine, sachant que vous n'avez qu'un livre. Si je vous demande... Alors, faisons-le. Faisons-le. Toutes sont issues de Marc, mais il y a des pièges. Ok, alors attention. Un livre, ça doit faire réfléchir, ça doit produire des formes nouvelles, ça doit empêcher de dormir. Un livre qui sert à se sentir bien, c'est un antilivre, c'est un dévoiement.

  • Speaker #2

    C'est le premier chapitre de Marc.

  • Speaker #0

    Dans Marc, 2024. Donc j'en déduis que vous n'aimez pas Mélissa d'Acosta non plus.

  • Speaker #2

    Là, on parle de Desperso à ce moment-là.

  • Speaker #0

    Non, mais je veux dire, le livre qui aide à se sentir bien, c'est...

  • Speaker #2

    Je ne connais pas Melissa Dacosta.

  • Speaker #0

    C'est une tendance. Aujourd'hui, ce sont les livres qui ont en tête des ventes. C'est un mot des ventes. Même plus que le prix Goncourt. C'est des livres qui considèrent que la littérature, c'est un lexomile. Oui, oui.

  • Speaker #2

    Je ne la connais pas,

  • Speaker #0

    elle. Vous parlez de ça. Autre phrase de vous. Dans quel livre avez-vous dit ça ? Tu crois que les écrivains... Tu crois que les écrivains font les époques, mais ils ne font que respirer l'air du temps et le transcrire sur papier.

  • Speaker #2

    C'est dur, mais c'est le premier chapitre encore.

  • Speaker #0

    C'est qui ? C'est Youssef qui parle. Vous êtes plus de l'avis de Youssef ou de l'avis de...

  • Speaker #2

    Je ne sais pas. C'est un débat que je n'ai pas tranché. Je passe mon temps à penser l'un ou l'autre, et puis quand on écrit, des fois on a des expériences, on se dit ça sert à rien, et tout le monde s'en fout, et puis des fois on se dit c'est important. Je vais de l'un à l'autre.

  • Speaker #0

    Un manuscrit que vous envoyez à une toute petite maison d'édition, il est publié, personne n'en parle, aucun journal n'en a parlé, et puis tout d'un coup, il a le prix de flore. Bon, il y a eu quand même un article que j'avais écrit moi, et puis un autre dans le Nouvel Obs, mais franchement, il y avait. Il y a eu quoi d'autre ?

  • Speaker #1

    Le masque.

  • Speaker #0

    Le masque ! Arnaud Vivian au masque et la plume. C'est juste ça. Oui,

  • Speaker #2

    ça c'est bien. Pour moi, c'est déjà extraordinaire.

  • Speaker #0

    Ce que je veux dire, c'est qu'un roman peut finir par atteindre son but. C'est ça qui est miraculeux dans votre aventure. Oui,

  • Speaker #2

    c'est un miracle. C'est d'ailleurs ce qu'Arnaud Vivian m'a dit, un des jurés du Prix de Flore. Il me dit qu'un prix, c'est toujours un miracle. Il me dit qu'il a failli ne jamais l'ouvrir. Je sais que vous n'avez pas aimé la couverture, mais lui, il a ouvert.

  • Speaker #0

    Non mais je critique cette couverture parce que je trouve qu'elle est encombrée. Elle est un peu encombrée.

  • Speaker #2

    Du coup,

  • Speaker #0

    moi, elle m'a détourné. Je me suis dit, bon, je regarderai plus tard. Elle dénote.

  • Speaker #1

    La couverture est morte parce qu'on voulait mettre Marc Lévy en couverture. Puis on a débattu ce qu'on met Marc Lévy, on ne met pas Marc Lévy, etc. Et à la fin, on s'est dit, on ne met rien. On va l'appeler Marc. Le roman ne s'appelait pas comme ça à l'origine. On met Marc et on ne va rien mettre du tout.

  • Speaker #0

    Et peut-être que si vous aviez mis la photo de Marc Lévy, là, vous auriez eu un procès. Mais vous auriez vendu beaucoup plus d'exemples. Autre phrase, attention.

  • Speaker #2

    Je me concentre.

  • Speaker #0

    Une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre.

  • Speaker #2

    Alors ça, c'est pas moi.

  • Speaker #0

    Bien plus. C'était le piège. C'était Houellebecq dans Anéantir. D'accord. Une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre. C'est à dire en 2022. Je cite Houellebecq parce que c'est le dernier à avoir eu l'unanimité avant vous, au jury du Flore. Autre phrase. Tu crois vraiment qu'un jour, on lira Houellebecq à l'école, quand il décrit ses branlettes sur YouPorn, ou quand il s'attarde sur le goût du poulet teriyaki picard au micro-ondes ? Oui.

  • Speaker #2

    Il parle de ce goût-là dans Soumission. Il parle des plats picards au micro-ondes. Oui.

  • Speaker #0

    C'est dans Marc. Mais moi, je trouve qu'elles sont très bonnes, les brochettes de poulet Picard.

  • Speaker #2

    Ouais, non, sur la nourriture, je suis très, très, très fait maison.

  • Speaker #0

    D'accord, vous êtes contre ?

  • Speaker #2

    Non, je ne suis pas contre, mais je suis une fine gueule.

  • Speaker #0

    Oui, tant mieux. Je cuisine tout. Vous n'habitez pas à Paris.

  • Speaker #2

    Non, j'habite à la campagne.

  • Speaker #0

    Comme moi. Oui, nous avons ça en commun, et la chevelure et la barbe. Voilà. Et rien d'autre. Vous ne l'avez pas remarqué ? Notre époque est prête à croire n'importe quoi. N'importe qui peut devenir chef de secte. Les temps sont mûrs pour un véritable nouveau messie.

  • Speaker #2

    Ça vient de Mars.

  • Speaker #0

    Mais vous pensez vraiment que nous sommes, par exemple, comme la République de Weimar avant l'avènement d'Hitler, que c'est ça, on est dans une avant-guerre, une avant-révolution ?

  • Speaker #2

    Oui, la situation est fragile. Je pense que les gens sont prêts à croire en n'importe quoi. Oui, les gens sont désespérés. On a besoin de croire en quelque chose, en quelqu'un. On a besoin d'être rassemblés par un discours rassembleur. Là, les fruits sont mûrs. Quelqu'un peut cueillir. Oui, oui.

  • Speaker #0

    la seule chose qu'il avait faite mieux et plus que les autres, c'était de boire.

  • Speaker #2

    Oui, cette phrase, ça me gêne parce que vous l'avez citée, et c'est le moment de faire mon mea culpa, vous l'avez citée dans votre article. C'est une phrase de moi, mais dans ma tête, c'était quand même un peu une espèce de clin d'œil à Guy Debord qui a dit une phrase très similaire. Enfin, très similaire. Il peut la retrouver, donc c'est une forme de plagiat.

  • Speaker #0

    C'est embêtant. Ça fait deux fois que je cite une phrase qui n'est pas de lui. Non, mais est-ce que c'est vrai ? Non,

  • Speaker #2

    mais il dit un truc qui ressemble un peu, parce qu'il parle du fait qu'il passe son temps à Paris à boire, à palabrer. Bon, Guy Debord, je crois, avait un peu cette vie-là. Oui, oui. Et il dit un truc, il dit dans ma vie, il dit un truc un peu similaire. Mais bon, il faut savoir qu'on écrit ce qu'on commence, et ça me permet de le sentir beaucoup plus léger. Ça va faire beaucoup rire ma copine quand elle va entendre ça.

  • Speaker #0

    Une autre phrase. Oui. Le monde de Marc était celui des larges avenues pétrifiées d'ennuis, des cavalcades de tapis empourprés, des scooters à trois roues, des courriers à en-tête sur papier moelleux, des lambris et des meubles design. des coursiers, des chaussettes parmes, des chaussures à boucle, des initiales brodées sur des chemises Ausha, des notes de frais, des arrondissements à un chiffre, des clients tyranniques, des talons aiguilles et de l'argent.

  • Speaker #2

    C'est pas mal, c'est pas moi.

  • Speaker #0

    Non, c'est la belle Quentin. Le voyant des Tempes, prix de flore 2021, un prédécesseur. Un truc qui, on en a parlé il y a peu de temps, mais pourquoi, à votre avis, les auteurs qui critiquent l'ultralibéralisme... se retrouvent souvent catalogués de droite. C'est absurde, c'est un paradoxe.

  • Speaker #1

    Tu veux répondre ? Non, vas-y, vas-y.

  • Speaker #2

    Je pense que beaucoup de gens sont de gauche, mais ne le savent pas. On a un peu oublié ce que c'était que la gauche, mais parce qu'il y a trop de bruit, trop de foin sur, je ne sais pas... Les gens croient qu'être de gauche, c'est avoir des cheveux bleus dans une université américaine, avoir des pronoms, ou c'est être Sandrine Rousseau, parler du barbecue.

  • Speaker #0

    Pas connaître son sexe.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas, mais bon, je pense qu'il y a beaucoup de confusion aujourd'hui, mais je crois que beaucoup de gens sont de gauche, mais ne le savent plus.

  • Speaker #0

    Mais Abel Quentin, c'est intéressant. Il fait donc une moquerie, comme vous, sur ce monde de la bourgeoisie, de l'entreprise et tout. Et puis, le livre suivant, il est engagé... À gauche, il est engagé, en tout cas, écolo, responsable, fin du monde, attention. Peut-être que les gens l'ont pris pour un type de droite, mais il ne l'était pas.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas, il y a peut-être le précédent Houellebecq. En fait, le truc, c'est que les écrivains, ils changent souvent. Ils commencent plutôt à gauche. Et puis, en vieillissant, on en a vu beaucoup qui étaient quand même de plus en plus de droite. Alors, je ne sais pas, peut-être que... En fait, les gens ne se laissent plus avoir. Ils voient un jeune de gauche arriver et ils se disent De toute façon, c'est un futur de droite

  • Speaker #0

    Mais je pense que malheureusement, c'est aussi une question d'âge. C'est-à-dire qu'on peut être très engagé, révolutionnaire à 20 ans et puis à 60, 70 ans, on veut protéger et sauver ce qui peut l'être.

  • Speaker #2

    Oui, c'est ce qui se dit. Mais enfin, il y a plein de gens très vieux qui sont encore très de gauche. Mon cas n'est pas désespéré. Je vous ai cité Bertrand Russell. Il a fini centenaire et il était encore socialiste libertaire. Cela dit, il était dans ses jeunes années anarchiste, enfin sympathisant anarchiste. Et en vieillissant, effectivement, il s'est décalé un petit peu à droite. Enfin, ce qui veut dire quand même...

  • Speaker #0

    Donc tout n'est pas foutu, on n'est pas nécessairement un réac parce qu'on est vieux ?

  • Speaker #2

    Non, non, non, je ne pense pas. On se demande ce que je pense, d'où je viens, mais en fait, moi, je pense des choses extrêmement banales. Si vous voulez savoir ce que je pense, en général, quand je ne sais pas quoi penser, j'achète Le Monde Diplomatique, je suis aligné dessus. Mais il n'y a que des vieux qui écrivent dedans, ce n'est pas un journal de jeunes.

  • Speaker #0

    Cette émission est parrainée par le Figaro Magazine. Voilà. Je vous demande s'il vous plaît de changer de lecture. Bien, alors, les conseils de professionnels, c'est des conseils de lecture ? Oui,

  • Speaker #2

    j'ai des mémoires,

  • Speaker #0

    tout est là. Parce que de toute façon, on n'est pas bon quand on n'a pas préparé cet interrogatoire. Ah ben non,

  • Speaker #2

    impossible.

  • Speaker #0

    Il faut préparer. Donc, je vous demande simplement, puisque vous connaissez bien le numérique, de regarder la caméra. Ah oui ? Car il faut rester instagrammable et moi, je ne suis plus là. Donc, vous ne me regardez pas. Un livre qui donne envie de pleurer ?

  • Speaker #2

    Alors, La Nouvelle Famille de Shun, c'est un livre pour enfants. Et Shun est une petite chienne abandonnée dans les bois. C'est dévastateur.

  • Speaker #0

    Vous avez chialé comme une madone.

  • Speaker #2

    Oui, surtout que Sa Nouvelle Famille, c'est une famille d'oies. Elle est adoptée par des oies. Et qui veut être adopté par des oies ?

  • Speaker #0

    et surtout quand on est un chien.

  • Speaker #2

    Oui, oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer ?

  • Speaker #2

    Un livre que j'ai lu récemment, Endkind de Charlie Kaufman, qui s'est fait connaître comme scénariste.

  • Speaker #0

    Dans la peau de John Malkovich.

  • Speaker #2

    Exactement, et qui a écrit, qui est plus vraiment bienvenu à Hollywood parce qu'il a perdu trop d'argent. Et donc là, il a fait un roman colossal de 900 pages qui est absolument irracontable et qui est très drôle.

  • Speaker #0

    Et le titre encore ?

  • Speaker #2

    Antkind, ce qui se traduirait par du genre fourmi.

  • Speaker #0

    Ah oui, kind of ant. Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #2

    Il y en a plein. Moi, je m'ennuie beaucoup. Mais je vais dire Tolstoy. C'est pas un livre.

  • Speaker #0

    Mais quelle honte !

  • Speaker #2

    Comment osez-vous ? C'est pas un livre, mais j'ai essayé de lire Anna Karenin, Gare et Paix. Ça aurait pu rentrer aussi dans la catégorie des livres que j'ai fait semblant d'avoir fini. Oui. Et pourtant, j'aimerais beaucoup l'aimer parce que j'adore le gars et ce qu'il représente et tout ce qu'il dit à côté. Notamment, il a écrit des espèces d'essais.

  • Speaker #0

    Oui, mais peut-être qu'il faut commencer par les essais, justement.

  • Speaker #2

    J'ai beaucoup aimé. J'aime beaucoup tout ce qu'il dit, tout ce qu'il pense. Mais ces romans, je n'y arrive pas.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue ?

  • Speaker #2

    J'ai mis Raymond Queneau, Aux confins des ténèbres, parce que c'est un livre pas connu et qui parle de livres encore moins connus. En fait, c'est un essai. C'est Raymond Queneau qui va dans les bibliothèques et qui va chercher des livres de ce qu'il appelle des fous littéraires. Donc des gens qui sont effectivement parfois des caps psychiatriques ou alors des gens qui ont eu des théories farfelues et qui n'ont jamais eu de postérité. Et donc, on va découvrir une dizaine ou une quinzaine de bouquins complètement délirants. Je vous en cite juste un, un bouquin de Pierre Roux, qui était un homme persuadé que le soleil était fait en excréments. Voilà, ça existe.

  • Speaker #0

    Un livre qui rend intelligent,

  • Speaker #2

    à part le vôtre. Oui, un livre qui m'a changé la vie, moi, par exemple, il y en a eu plein, mais Histoire de la philosophie occidentale de Bertrand Russell. Parce que c'est un livre qui fait l'histoire de l'Occident, l'histoire de la philosophie, mais surtout Bertrand Russell était quelqu'un de très irrévérencieux, très drôle.

  • Speaker #0

    Je sens que c'est votre maître à penser, vous l'avez beaucoup cité dans l'émission.

  • Speaker #2

    Ouais, j'aurais pu en citer d'autres, mais oui oui. Ouais Bertrand Russell, pour le coup, j'ai vraiment beaucoup beaucoup lu. Et encore une fois, il a cette attitude vis-à-vis des philosophes qui est une attitude pas tellement respectueuse, et ça fait énormément de bien parce qu'on n'a pas cette habitude-là.

  • Speaker #0

    Je vais quand même vous demander un petit peu plus de concision parce que je vous rappelle que...

  • Speaker #2

    Pardon pardon !

  • Speaker #0

    Dans le digital, dans le monde digital, Rien ne doit durer plus d'une minute trente. Allez,

  • Speaker #2

    c'est parti.

  • Speaker #0

    Un livre pour draguer.

  • Speaker #2

    Les deux étendards de Lucien Rebattet, qui n'est pas un homme aimable, mais qui a écrit une histoire d'amour sublime, très longue, où se mêlent aussi beaucoup de religions.

  • Speaker #0

    C'est pour draguer, mais que dans un congrès du Rassemblement national.

  • Speaker #2

    Non, j'ai dragué plein de filles avec ça.

  • Speaker #0

    Ce sera coupé. Un livre que je regrette d'avoir lu.

  • Speaker #2

    Euh... ou bah je mets... L'être et le néant.

  • Speaker #0

    Oui, vous moquez beaucoup de l'être et le néant de Sartre dans Marc, c'est vrai. Oui,

  • Speaker #2

    je pense que ça incarne un peu une dérive de la philosophie qui consiste à écrire de manière extrêmement compliquée pour dire des choses pas très intéressantes.

  • Speaker #0

    Un livre que je fais semblant d'avoir fini, bah vous avez déjà dit...

  • Speaker #2

    Non, attends, j'en ai...

  • Speaker #0

    Ah, il y en a un autre ?

  • Speaker #2

    Ouais, non, mais comme tu veux.

  • Speaker #0

    Un livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #2

    J'en profite pour parler de Abattoir 5, de Kurt Von Goode, que j'ai lu récemment, qui est un livre complètement inclassable, où il parle de la guerre qu'il a connue, des bombardements de Dresde, et en même temps de son enlèvement par des extraterrestres. Et ça souligne l'absurdité de tout ça.

  • Speaker #0

    Oui, c'est un peu votre univers.

  • Speaker #2

    Et c'est très drôle.

  • Speaker #0

    Mais en même temps, on le sait, le livre que vous auriez aimé écrire, c'est Et si c'était vrai ? De Marc Lévy. Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu ?

  • Speaker #2

    Je vais mettre toute la littérature de Dave Perso dedans.

  • Speaker #0

    Qui c'est ça ?

  • Speaker #2

    Toute la littérature de Dave Perso.

  • Speaker #0

    Dave Perso ?

  • Speaker #2

    Dave Perso ? Non, de développement personnel.

  • Speaker #0

    Ah, personne n'avait compris.

  • Speaker #2

    Sérieux ? Oui. Vous ne dites pas Dave Perso ?

  • Speaker #0

    Non, de développement personnel. C'est drôle ça. Ils vont en faire une miniature pour Dave Perso. La littérature de Dave Perso.

  • Speaker #2

    Non, oui, le développement personnel, oui, je crois que là, on atteint un niveau d'indigence, de nullité historique dans l'histoire de l'humanité.

  • Speaker #0

    Le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Speaker #2

    Je lis deux trucs. Je lis les petits textes d'Alphonse Allais, qui est quelqu'un de très comique et qui écrit extrêmement bien. Et je lis un manga qui s'appelle Berzerk, un manga culte des années 80. Et je recommande les deux. Ça n'a rien à voir, mais ça se complète bien.

  • Speaker #0

    Merci infiniment, Benjamin Storg, Mathieu Lecomte. Merci beaucoup. Et je... Ce n'est pas que je conseille, c'est que j'ordonne à tout le monde de lire Marc de Benjamin Stock aux éditions Rue Fromentin pour comprendre pourquoi on est dans ce monde incompréhensible. Cette émission vous est présentée, comme je l'ai dit, en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Et l'ingénieur du son se nomme Guilhem Pagelache. La réalisation et le montage vidéo sont faits par ma fille Chloé Becbedé. Et n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous crèverez idiot et seul.

Description

LA RÉVÉLATION DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE.

Lauréat du Prix de Flore 2024, Benjamin Stock n'a pas eu peur de changer de café pour venir chez Lapérouse répondre à mes questions. Son roman "Marc" est un coup de maître qui démonte notre époque de fake news, de complotisme, de révolution impossible et d'utopies déçues.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir à toutes et quand même aux autres. Vous écoutez Conversations chez la Pérouse et je parle comme un steward d'Air France. Une émission de Frédéric Beigbeder sans aucun patron est strictement impossible à virer. Avec cette semaine,

  • Speaker #1

    Benjamin Stock.

  • Speaker #0

    Pour son livre,

  • Speaker #1

    Marc.

  • Speaker #0

    Aux éditions,

  • Speaker #1

    Rue Fromentin.

  • Speaker #0

    Et en présence de son éditeur,

  • Speaker #2

    Mathieu Lecomte.

  • Speaker #0

    Je salue ce professionnalisme de générique. On remercie Émile Fournier pour cette interprétation de Misty. Bien, bienvenue Benjamin Stock et bravo pour votre prix de flore 2024 pour Marc aux éditions Rue Fromentin. Mais avant de parler de votre livre, je suis rémunéré pour parler de Mésopotamia d'Olivier Ghez. Olivier Ghez qui avait reçu le prix Renaudot en 2017 pour la disparition de Joseph Mengele. Il revient avec ce livre époustouflant et je ne le dis pas parce que je suis payé. Je le dis parce que je le pense et je précise d'ailleurs pour nos spectateurs que les livres dont je fais la publicité, je les sélectionne. Si je n'aime pas, je refuse l'argent. Bien, je suis tellement intègre. Donc, c'est le roman du Moyen-Orient au XXe siècle. L'histoire de Gertrude Bell, la femme la plus puissante de l'Empire britannique dans les années 20. Elle était à la fois exploratrice, archéologue, alpiniste, écrivaine. espionnes, polyglottes. Et dans le livre, on voit Laurence d'Arabie, on voit Winston Churchill. Et si vous voulez l'ambiance, pour vous convaincre de lire ce livre, en ce début d'année 2025, c'est Indiana Jones, mais s'ils étaient une femme, et à Bagdad, et en 1917. Donc c'est Mésopotamia d'Olivier Guez chez Grasset. Maintenant, c'est la fin de la publicité, on peut commencer à parler. Je vous félicite. D'abord, quel âge avez-vous, Benjamin Stock ?

  • Speaker #1

    Je ne sais jamais, je crois que j'ai 36 ans.

  • Speaker #0

    36 ans, très bien. Marc est donc un roman complètement fou. Et je suis assez heureux que vous ayez 36 ans parce qu'on me dit que je n'invite que des vieux dans cette émission. C'est vrai que j'invite des gens qui ont une œuvre derrière eux, qui ont en général entre 20 ou 30 livres derrière eux.

  • Speaker #1

    Miguel Bonfoy, il est jeune.

  • Speaker #0

    Miguel Monfoy est jeune, mais il a déjà six ou sept romans. Oui, c'est vrai. C'est rare que j'invite, parce que comme je suis pendant une heure avec vous, c'est compliqué d'inviter quelqu'un qui n'a qu'un roman, c'est votre cas. Mais on va y arriver.

  • Speaker #1

    J'espère, on va trouver des choses à dire.

  • Speaker #0

    On va y arriver très, très facilement parce que j'ai adoré le livre. Mais enfin, je suis content de recevoir un jeune pour une fois, qui vient de recevoir le prix de Flore. Comment s'est passée la soirée du prix de Flore ? J'ai l'impression que vous étiez assez agité.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    Vous avez donné beaucoup d'interviews, bien sûr.

  • Speaker #1

    On y est allé ensemble avec mes éditeurs,

  • Speaker #0

    qui sont cinq. Oui, les cinq éditeurs et leurs femmes. Ça fait dix personnes. Et c'était quand même beaucoup, beaucoup de... Enfin, ça nous a coûté beaucoup d'argent.

  • Speaker #1

    C'est une toute petite maison d'édition, mais ils sont très nombreux. Et c'était la première fois pour nous tous, je crois, qu'on recevait un prix. Donc on y est allé, on disait, on est comme une bande de puceaux. On était hyper intimidés. On a bu un petit coup avant pour se réchauffer le cœur. Pendant aussi.

  • Speaker #0

    Pendant.

  • Speaker #1

    Voilà, les gens doivent savoir qu'il y a beaucoup d'alcool au prix de Flore, et il est gratuit.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Donc ça peut...

  • Speaker #0

    Grâce au champagne Louis Roder et à la vodka Le Filtre. Et bam, deux marques citées.

  • Speaker #1

    Ah c'est de la vodka ?

  • Speaker #0

    Je croyais que c'était du gin. Ça ressemble à de l'eau, mais c'est de la vodka. Je croyais que c'était du gin. Ah non, c'est de la vodka.

  • Speaker #1

    Et très vite, on se sent très à l'aise du coup.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Voilà, on fume, on boit, on parle à des gens très sympathiques.

  • Speaker #0

    Vous étiez avec votre épouse.

  • Speaker #2

    Tout à fait, une belle fête.

  • Speaker #0

    Votre épouse était assez exubérante.

  • Speaker #2

    Elle était effectivement assez exubérante. Vous m'en avez reparlé d'ailleurs après,

  • Speaker #0

    je crois. C'est bien.

  • Speaker #2

    Elle a été tardée.

  • Speaker #0

    Eh bien, tant mieux. En fait, ce n'est pas votre premier roman. C'est ça qu'il faut expliquer aux jeunes qui rêvent d'être à votre place, qui rêvent d'être édités. C'est que vous avez beaucoup galéré et vous aviez cinq manuscrits refusés auparavant. Oui. Alors, racontez-nous vos cinq romans refusés. Voilà.

  • Speaker #1

    Non mais j'ai commencé à écrire un roman pour la première fois à l'âge de 15 ans. Et j'ai essayé d'être édité. Et le problème, c'est que je n'ai jamais été édité, mais j'ai toujours reçu des encouragements. Ce qui nourrissait suffisamment mon égo pour me pousser à réessayer, puis réessayer, puis réessayer. Et à chaque fois, j'ai eu des encouragements. Et je me disais toujours, c'est bête, peut-être que je passe tout près d'un truc. Il me manque peut-être un essai de plus. Et je me suis entêté. Et donc, ça a pris 20 ans pour être édité. Et ce qu'il faut dire aux jeunes, c'est que c'est quand même... Ça aurait pu aussi ne jamais être édité. Enfin, je veux dire, ce roman était édité aussi par un coup de chance incroyable. La conclusion serait peut-être au bout d'un temps.

  • Speaker #0

    Racontez-nous, Mathieu, comment vous avez reçu ce manuscrit de Marc. Et vous êtes l'éditeur de Rue Fromentin.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Alors, c'est le moment de rendre hommage à Jean-Pierre Montal. Jean-Pierre Montal, c'est le fondateur des émissions Rue Fromentin, qu'on a repris il y a 3-4 ans. Et c'est Jean-Pierre Montal qui est un excellent écrivain. Bien sûr.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas reçu, mais j'aimerais beaucoup le recevoir. Et j'ai... défendu dans le Figaro, son dernier roman, La face Nord.

  • Speaker #2

    Exactement. Et donc, Jean-Pierre Montal nous a envoyé le texte il y a un an, à peu près, pile poil. Tout de suite, nous, on a été charmés par le livre. Enfin, c'était évident qu'il y avait quelque chose. On n'a pas vraiment compris pourquoi les autres maisons ne l'avaient pas pris, parce que ça se distinguait au premier coup d'œil. Je crois qu'il y en a quand même un certain nombre, on en parlera sûrement, qui ont eu un peu peur du thème et de Marc Lévy.

  • Speaker #0

    Ils pensaient que Marc Lévy ferait un procès ? Oui.

  • Speaker #2

    Alors, il y a des journalistes qui ont refusé de parler du livre, en tout cas, à cause de ça, qui nous l'ont dit. Il y a des maisons qui, a priori, ont refusé de le publier, plus par autocensure, je pense. Et après, à mon avis, le manuscrit s'est perdu aussi. Il y a des dizaines de manuscrits perdus. Mais ce qui était évident, c'est qu'unanimement, on a trouvé que le texte était génial. Et on savait en trois minutes qu'on allait le sortir.

  • Speaker #0

    Et quand vous receviez toutes ces lettres de refus, vous dites qu'il y avait toujours des encouragements. Oui. Mais moi, vous ne me l'avez jamais envoyé, un manuscrit ? Parce que j'ai l'impression que peut-être j'avais lu... Directement ? Non, oui.

  • Speaker #1

    Non, j'ai toujours envoyé aux grosses maisons d'édition, parce que c'est les seules que je connaissais.

  • Speaker #0

    Vous me disiez, j'avais peut-être lu une version précédente.

  • Speaker #1

    Ah non, je ne crois pas.

  • Speaker #0

    Vous l'aviez envoyé à Juliette Joss chez Grasset ? Ah oui. Ah, vous voyez.

  • Speaker #1

    J'ai été reçu par Juliette Joss dans les bureaux de Grasset.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    On était passé tout près d'une publication ?

  • Speaker #0

    Voilà, oui, c'est ce qu'elle m'a dit. Peut-être qu'à l'époque, j'avais vu ce livre. C'est pas la même version qui est sortie.

  • Speaker #1

    C'était pas le même livre.

  • Speaker #0

    Ah d'accord, c'est pas le même livre.

  • Speaker #1

    J'avais 25 ans.

  • Speaker #0

    Vous voyez, je vous apprends quelque chose en direct. Mais c'est drôle.

  • Speaker #1

    Ça fait partie des livres qui avaient failli être publiés. Juliette Jost, de chez Grasset, m'avait reçu dans ses bureaux. Elle m'avait demandé de retravailler. Et la nouvelle version est passée en comité de lecture. Enfin, puis bon, ça ne l'a pas fait. C'était quel titre ? Ça s'appelait Que je ne me gourbe pas

  • Speaker #0

    Le gouffre ? Le gouffre. Oui. Oui, mais ça me dit quelque chose.

  • Speaker #1

    Ah bah ça, c'est drôle.

  • Speaker #0

    Et bon, donc, des années à écrire des livres qu'on vous renvoie à la figure, ça ne vous décourage pas ?

  • Speaker #1

    Alors moi, j'ai suivi le conseil de Bertrand Russell, un philosophe anglais que j'aime beaucoup, et qui disait, si vous écrivez que vous n'êtes pas publié, le plus probable, c'est que vous n'ayez pas de talent. Alors continuez uniquement si ça vous fait plaisir. Et j'ai continué parce que je suis très heureux quand j'écris. Voilà.

  • Speaker #0

    Mais ça c'est original parce que...

  • Speaker #1

    Il faut le faire sans espoir.

  • Speaker #0

    Non mais beaucoup d'écrivains souffrent quand ils écrivent. Et vous, ça vous rend heureux. Et d'ailleurs ça se sent, il y a une jubilation dans votre manière d'écrire. On sent que vous êtes content d'être là. Et du coup le lecteur aussi.

  • Speaker #1

    Oui. Ah non, non, je ne souffre pas quand j'écris. Ah oui. Ah non, ça je ne crois pas. Vous croyez qu'ils sont sincères les gens ? Les artistes qui disent qu'ils souffrent quand ils font de l'art ?

  • Speaker #0

    Ça m'arrive de sentir une inspiration et d'avoir une belle journée et puis il y a d'autres jours...

  • Speaker #1

    Non mais ça d'accord !

  • Speaker #0

    C'est la transpiration principalement.

  • Speaker #1

    Oui ça d'accord mais oui, dix fois par jour on est découragé, on se dit que de toute façon ça n'a aucun sens. Mais dix fois par jour il y a aussi un moment, une phrase, une ligne où on se dit Ah bah non là je suis quand même content, ça me fait plaisir Et puis de toute façon c'est toujours mieux que d'aller au bureau non ?

  • Speaker #0

    C'est un bureau, c'est un esclavage Bah non,

  • Speaker #1

    on est chez soi, on se boit des petits cafés C'est quand même une vie confortable, faut pas exagérer Non parce que sinon, il faut savoir que j'ai un travail à temps plein Je suis salarié Donc non, c'est mieux que d'être salarié Alors justement,

  • Speaker #0

    vous avez fait des petits boulots Et là vous êtes... Alors racontez-nous, parce que c'est un peu ce qui a inspiré le livre Le livre se passe dans une start-up Qui s'appelle The Share Academy Et vous, vous travaillez dans la communication d'entreprises écologiques Oui,

  • Speaker #1

    oui, oui. Et les passages qui parlent de l'entreprise, même s'ils sont burlesques et un tout petit peu exagérés, en fait, ils sont quasiment autobiographiques.

  • Speaker #0

    Il faut être content, vos employeurs. Vous vous foutez de leur gueule pendant des dizaines et des dizaines de pages.

  • Speaker #1

    Mais je pense dans le fond, ils le savent, que tout ça n'est pas si sérieux. Je pense qu'ils le savent et qu'ils en souffrent. Il faut bien que quelqu'un leur dise.

  • Speaker #0

    Je peux vous dire que moi, quand j'avais critiqué des agents de la République, j'ai été viré pour faute grave. Donc vous pensez que vous n'allez pas être viré. Alors quelque chose a changé dans le monde.

  • Speaker #1

    Quelque chose a changé, oui. Je pense que maintenant, les gens savent que le monde économique est quand même relativement absurde. Mais comme on n'a rien d'autre à proposer, on continue, on fait semblant.

  • Speaker #0

    Vous foutez énormément de la gueule du vocabulaire. Du jargon un peu des startups.

  • Speaker #1

    Oui, mais ça c'est quasiment autobiographique. Moi je me suis retrouvé dans des entreprises, je ne savais pas exactement ce que j'étais censé faire. Je ne savais pas ce que faisaient mes collègues, je ne savais même pas à quoi servait vraiment l'entreprise. Ça c'est du vécu.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est vrai.

  • Speaker #1

    Je ne vais pas citer d'exemple pour le coup trop précis.

  • Speaker #0

    Ben si ! Non ! Moi je vous les cite pour vous.

  • Speaker #1

    Non, parce que j'ai des copains là-bas et tout.

  • Speaker #0

    Non, mais je vais vous les citer. Par exemple, est-ce que ça existe les Happiness Officers ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #0

    C'est quoi ?

  • Speaker #1

    C'est à la marge, mais c'est des gens qui sont censés veiller au bien-être des salariés. Ils arrivent avec des... Ils vont organiser les anniversaires ou des trucs comme ça.

  • Speaker #0

    C'est bien ça.

  • Speaker #1

    Faire en sorte qu'il y ait un saladier de bonbons qui soit rempli, des trucs dans le genre. Oui, oui.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qu'un growth hacker ?

  • Speaker #1

    Ah ça, ça, il y en a beaucoup.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est ?

  • Speaker #1

    Je n'ai jamais trop compris. Ils sont chargés... Si, ils sont censés générer de la croissance avec des petits hacks, des... petits bidouillages sur internet je sais pas tu t'es il faut savoir les éditions referment son nom professionnel oui et qu'on a tous un travail à côté donc on connaît le monde dans l'entreprise donc vous êtes tous un peu dans ce monde là de la tech et vous faites à côté un

  • Speaker #0

    travail comme un hobby qui est de découvrir benjamin stock c'est très bien tant mieux et donc le reste de votre vie n'a aucun sens mathieu en allemagne qui bosse au pmu par exemple

  • Speaker #2

    On a un autre qui bosse dans l'installation de télévision dans les hôpitaux. Il y en a qui font de l'e-commerce. Il y a un peu de tout. Il y en a un qui est à Dubaï, qui travaille pour des gouvernements.

  • Speaker #1

    C'est lequel à Dubaï ?

  • Speaker #2

    C'est Quentin.

  • Speaker #1

    Ah bon ?

  • Speaker #0

    La commission permet à Benjamin de connaître mieux sa maison d'édition.

  • Speaker #1

    Ils sont cinq et je suis beaucoup en contact avec Mathieu.

  • Speaker #0

    On continue avec la liste des métiers bizarres. Chief Information Officer.

  • Speaker #1

    Je crois, oui, c'est une variante de knowledge manager. C'est un boulot qu'on m'avait proposé. Et la personne qui me l'a proposé n'a pas vraiment réussi à me l'expliquer. Et je ne savais pas si je l'avais accepté. Elle m'a dit, c'est pour gérer la connaissance dans l'entreprise.

  • Speaker #0

    C'est kafkaïen quand même.

  • Speaker #1

    Oui, tout à fait.

  • Speaker #0

    C'est très marrant parce que Kafka et d'ailleurs d'autres, courte mine, ont décrit l'absurdité des débuts du capitalisme. Et puis là, on s'aperçoit qu'avec la révolution digitale, on a créé vraiment bien pire. Oui,

  • Speaker #1

    souvent le roman est dépassé par la fiction.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qu'un programme manager ?

  • Speaker #1

    Ça, je ne sais pas.

  • Speaker #0

    Et il y a des types qui sont payés et ils ne savent pas exactement ce que c'est que leur boulot.

  • Speaker #1

    C'est le sujet de votre livre. Oui, mais après, moi, je suis allé voir des organigrammes de boîtes sur Internet. Et puis, je n'ai pas côtoyé de programme manager, mais je sais que c'est un métier qui existe.

  • Speaker #0

    Donc, le roman maintenant, venons-en. Donc, ce héros qui s'appelle David Bomer, il a créé The Share Academy. C'est une start-up. Il ne sait pas très bien à quoi elle sert.

  • Speaker #1

    On ne sait même pas tellement ce que c'est. Est-ce que c'est une entreprise ? Est-ce que c'est une fondation ? Ça, on ne sait pas trop.

  • Speaker #0

    Et donc, en gros, c'est une satire de ce monde incompréhensible, où les gens sont très nombreux à travailler dans un bureau sans trop savoir pourquoi. En fait, c'est peut-être une agence de com'un peu digitale. Peut-être. Peut-être. Mais peut-être.

  • Speaker #1

    C'est possible aussi.

  • Speaker #0

    C'est une théorie. Et de cette histoire qui est très drôle au début... On arrive dans ce qui a posé problème pour la publication du livre, c'est que David rencontre une employée, Cheyenne, qui lit Marc Lévy, il se fout de sa gueule, et puis quand même, comme elle est très jolie, il s'intéresse à elle, et pour la séduire, il va se mettre à lire les livres de Marc Lévy, raconter la suite.

  • Speaker #1

    Alors il va lire les livres de Marc Lévy, et puis Cheyenne est une fille un petit peu cryptique, qui laisse entendre que Marc Lévy est quand même plus que ce qu'on croit, et lui, comme il est séduit par cette fille, peut-être un peu sous influence. Il va se mettre à penser comme elle, alors au début il se force un peu parce qu'effectivement il cherche un sujet de conversation, il veut boire un verre avec elle, et donc au début il va inventer un petit peu, puis finalement il va se prendre au jeu et finir par être vraiment convaincu qu'il y a des messages, alors on pourrait dire crypto-communistes ou... révolutionnaire, en tout cas très politisé dans l'œuvre de Marc Lévy qui n'est qu'une... Ce ne sont que des romans à clé en fait. Les métaphores très élaborées.

  • Speaker #0

    Les romans de Marc Lévy qui parlent souvent de fantômes, qui sont des romans d'amour principalement.

  • Speaker #1

    Au début en tout cas.

  • Speaker #0

    Dedans, on trouve des raisons de faire la révolution et de renverser le système dans lequel nous vivons. Et c'est une secte. Il y a une secte dans votre livre.

  • Speaker #1

    Alors oui, mais ça... C'est sujet à interprétation. C'est pas vraiment dit. Il va trouver un groupe de personnes...

  • Speaker #0

    Je vous enlève un cheveu,

  • Speaker #1

    parce que c'est votre première télé. Voilà, voilà.

  • Speaker #0

    Il faut quand même réussir. Pas sage.

  • Speaker #1

    Il va rencontrer un groupe qui lit Marc Lévy, un petit peu en cachette, et puis qui ont l'air de vraiment l'apprécier beaucoup, beaucoup. Mais enfin, on ne comprend pas vraiment tout ce que ces gens pensent. Et c'est pas certain que tout le monde pense la même chose. Donc c'est une interprétation possible, effectivement, que ce soit une secte et qu'ils soient tous d'accord pour avoir la même interprétation. Mais jusqu'au bout du roman, je pense qu'il y a une forme d'ambiguïté. Et peut-être que David est seul.

  • Speaker #0

    Ah, d'accord. C'était quand même possible. Peut-être que tout ça est dans sa tête.

  • Speaker #1

    C'est une possibilité et je crois que le roman fonctionne aussi avec cette lecture-là.

  • Speaker #0

    D'accord. Parce qu'on ne va pas raconter la fin, mais il y a une fin apocalyptique, ultra spectaculaire, ultra violente. Peut-être que tout ça n'est qu'un rêve. C'est un peu facile si c'est le cas. J'aime bien l'idée qu'il y ait vraiment, oui, un complot et qu'il arrive à une révolution à Paris.

  • Speaker #1

    Oui, oui, mais regardez bien. On ne va pas trop en dire, mais enfin, David, il est seul à la fin. Et d'ailleurs, il se rend compte. Il est de plus en plus seul. Et effectivement, il essaie de créer une révolution, etc. Mais on voit bien qu'en fait, chacun fait sa révolution à sa manière pour ses raisons. Et c'est la question, c'est est-ce qu'aujourd'hui, en fait, on peut faire une révolution quand on voit à quel point on est atomisés et à quel point on est tous regroupés dans des chapelles différentes qui sont minuscules ? Est-ce qu'on a encore une grande idée commune qui nous permettrait de faire la révolution ? Et on voit bien que David, à la fin, il en doute.

  • Speaker #0

    Mais c'est un roman, c'est marrant parce que c'est ce roman qui commence comme une blague un peu, en réalité extrêmement ambitieux. C'est pour ça d'ailleurs qu'il a été primé par le jury du Flore, un jury qui n'est jamais d'accord et qui, pour une fois, a voté pour vous à l'unanimité. Ça n'est pas arrivé depuis Houellebecq en 1996, donc c'est quand même extraordinaire. Et je pense que c'est pour cette raison-là, c'est parce que peut-être vous ne l'avez pas fait exprès, mais vous captez tout l'air du temps. Nous vivons en France dans une situation pré-révolutionnaire. Il y a du complotisme partout, y compris à la tête des États-Unis d'Amérique. Tout ça, vous le sentiez ? Chez nos élites aussi. Chez les ?

  • Speaker #1

    Chez nos élites aussi, parce que quand je parle du complotisme, on va croire que je me moque. En gros, des beaufs, des gens qui votent Trump, etc. Mais en fait, le complotisme, il est partout. Je veux dire, dans les médias, chez les intellectuels, il y a des raisonnements complotistes qui consistent à avoir une histoire du monde qui est simple, avec des gentils, des méchants. Je ne vais pas donner d'exemple tout de suite pour ne pas me faire trop d'ennemis. Ça concerne tout le monde,

  • Speaker #0

    ce mode de raisonnement. Vous êtes quand même parti de vous intéresser à ce mouvement.

  • Speaker #1

    C'est vrai que j'ai été fasciné par le mouvement QAnon pendant le Covid, donc pendant le Covid, confinement, je suis beaucoup sur internet, je m'occupe et je découvre le mouvement QAnon et c'est des gens qui vont commencer à surinterpréter des messages postés sur des forums, mais des messages vraiment complètement nuls, qui n'ont à peu près aucun sens, qui font quatre lignes. Et ces messages-là vont donner naissance à ce qui est quelque chose qui peut s'apparenter à une religion et qui va avoir plus de poids que certaines religions traditionnelles en un an ou deux ans. Et effectivement, c'est un grand récit, une grande conspiration d'extrême droite, où Donald Trump est un messie qui vient délivrer la population américaine en proie aux pédos satanistes. Mais du coup,

  • Speaker #0

    l'idée de base... La réponse à la question qui était dans le teaser. Oui !

  • Speaker #1

    Je me suis dit, moi je vais me faire plaisir, je comprends ces gens-là, on a besoin de grands récits, on a besoin de donner du sens à notre existence, mais moi je vais faire une conspiration qui me fait plaisir, je vais me faire une conspiration d'extrême gauche.

  • Speaker #0

    Mais pourquoi vous êtes arrivé sur Marc Lévy ? C'est ça qui est surprenant. Parce que c'est le romancier le plus populaire ?

  • Speaker #1

    Oui, il fallait se fixer un défi. Alors, il fallait que je trouve une conspiration dans l'endroit le plus insoupçonnable. Mais ça a failli être autre chose que Marc Lévy. J'ai hésité avec la magazine Astrapi, avec le magazine des cheminots de la SNCF. Ça aurait pu être plein de choses différentes. Marc Lévy, c'était un symbole. Et puis, beaucoup de gens avaient lu le premier. Donc, je trouvais ça sympa. De me fixer un défi difficile et de me dire, tiens, je vais réussir à trouver une conspiration dedans.

  • Speaker #0

    J'ai le point de départ du livre. C'est un dialogue qui est presque philosophique sur est-ce que le roman peut changer le monde ou bien il ne sert qu'à nous distraire. C'est d'ailleurs un roman qui critique les livres engagés. J'ai l'impression, votre livre. Ou est-ce un roman engagé ?

  • Speaker #1

    Oui, après, quand je dis que c'est engagé, je ne crois pas qu'un roman doit dire voilà ce que vous devez penser Je préfère que le roman soit relativement ambigu et puis je laisse le lecteur avec tout ça sur les bras. Mais oui, il y a quand même tout un tas de passages où le narrateur se permet de faire des analyses.

  • Speaker #0

    relativement univoque sur la politique la société oui mais même je dirais ce qui est intéressant c'est que vous au fond et vous le dites je vais vous faire lire un passage mais c'est vraiment pas fort moi je vous savez pas lire non je ne suis pas guillaume gallienne moi non mais vous lisez simplement ce que vous avez écrit et puis qu'on en reparle juste après parce que ce passage C'est très important parce que vous dites au fond qu'Internet, ça a été une utopie et que cette utopie,

  • Speaker #1

    elle a déçu. Oui. Lui et Diana s'étaient pris de fascination pour les nouvelles technologies et la possibilité de numériser tous les services. Ils se crurent au seuil d'une nouvelle ère où l'usage des biens l'emporterait bientôt sur leur possession. Il était évident que l'économie du partage était sur le point d'éclore et que cette révolution toucherait tous les aspects de la vie, du travail, de la production, notre rapport aux choses et notre rapport aux autres. Le couple rêvait, sans le savoir, de l'homme nouveau dont rêvaient les soviétiques, un homme meilleur au regard fier, la poitrine large, libéré des superstitions bourgeoises, prêt à tout partager, savoir, objet, pouvoir, à la force de son téléphone mobile. Prolétaires, paysans, jeunes cadres et milliardaires, tous unis par le covoiturage et le financement participatif. Je continue ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est bien, peut-être que vous lisez plus lentement.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    On sent que vous êtes pressé de finir pour passer à autre chose. Soyez gourmand avec votre...

  • Speaker #1

    Allez, tout en gourmandise. Tu te rends compte, disait Diana, il n'y aura plus d'employeur ni d'employé, mais seulement des entrepreneurs indépendants liés par des contrats libres. C'est la fin du salariat, c'est la fin du capitalisme.

  • Speaker #0

    C'est vous, c'est vous. C'est exactement votre vie. Continuez cher.

  • Speaker #1

    Je pourrais commenter ça après.

  • Speaker #0

    Mais oui, mais arrêtez-vous pour... commenter quand vous voulez.

  • Speaker #1

    En fin de compte, Internet n'avait rien aboli. Ni l'exploitation des hommes, ni celle de la nature. Au contraire, le fétichisme de la marchandise et l'isolement des individus atteignaient un pinacle. La révolution numérique fut seulement le nom d'un chassé-croisé, le remplacement d'une classe de dominants par une nouvelle génération de dominants, de la cravate au sweat à capuche.

  • Speaker #0

    De la cravate au hoodie, mais finalement, rien n'a changé. Non, mais... Non, mais c'est...

  • Speaker #1

    Parce que moi, j'ai connu des gens qui parlaient comme ça. Oui, oui. la première start-up où j'ai travaillé, les gens croyaient vraiment, dans ces milieux-là, avec le début de l'économie du partage, que c'était la fin du capitalisme. Mais bien sûr, on a trouvé tout un tas d'articles de l'époque qui disent ça. Et ce qui est marrant, c'est que j'ai fait un parallèle très intelligent, sans le savoir, c'est que, encore une fois, c'est un accident, mais je l'ai appris plus tard en écoutant un philosophe parler de ça, c'est qu'en fait... David va après se fasciner pour les Saint-Simoniens. Et les Saint-Simoniens étaient fascinés par la révolution industrielle. Et les réseaux, mais de chemin de fer. Il disait que les réseaux de chemin de fer vont amener le socialisme. Et tout ça, ce sera la fin du capitalisme, etc. Parce qu'on va s'interconnecter. Et en fait, c'était la même utopie. Et là, on a des réseaux numériques. On s'est dit, ça y est, en fait, tout est réglé.

  • Speaker #0

    Au début d'Internet, quand Internet arrive, je ne sais pas si c'est à la fin du XXe siècle ou au début du XXIe, on se disait que tout serait gratuit. que tout le monde échangerait tout, que c'était la fin des médias, la fin de la domination du capital. Vous qui travaillez là-dedans depuis des années et des années, vous êtes passé par cette phase d'utopisme ?

  • Speaker #2

    Je pense qu'on y a tous cru à un moment et que si on s'est lancé dans l'édition, c'était justement pour fuir ça qui était notre quotidien auquel on ne trouvait plus aucun sens.

  • Speaker #0

    Parce que vous êtes déçus, vous êtes des déçus du numérique.

  • Speaker #2

    On est des déçus du numérique, je pense. Et puis, ce que tu disais Benjamin sur ces jobs dont on ne comprend pas vraiment le sens, on ne sait plus très bien pourquoi on est au bureau, ce à quoi on sert. Je pense que ça nous a beaucoup touché, ça.

  • Speaker #0

    Oui, et le point de départ, c'est cette critique-là d'une utopie ratée. pour basculer après dans une tentative de révolution absurde. Mais pourtant, on a envie de savoir où vous vous situez. Est-ce que vous êtes un révolutionnaire ou un romancier qui se moque ?

  • Speaker #1

    Tu vois, on va devoir mettre les pieds dedans.

  • Speaker #0

    Vous pouvez rester ambigu. Non,

  • Speaker #1

    non, je n'ai pas envie de... Non, non, je suis de tendance révolutionnaire. Mais un peu désespéré. Et effectivement, je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, il soit possible de faire la révolution.

  • Speaker #0

    On verra bien dans les jours à venir.

  • Speaker #1

    Oui, mais effectivement, je trouve qu'on le voit bien. En fait, je crois que la société est quand même très, très fragmentée et il nous manque, ne serait-ce que ça, peut-être une gauche réelle, puissante. Je crois qu'aujourd'hui, la gauche est morte. Elle doit repartir de zéro. ça prendra 10, 20, 30 ans. Mais aujourd'hui, la gauche ne peut plus penser au pouvoir. Mais ce qui fait que beaucoup de gens doivent être désespérés, ils veulent reprendre le contrôle sur les choses, et donc ça peut mener à des accès de violence quand on est un peu trop impatient. Tout le monde n'a pas envie d'attendre 30 ans.

  • Speaker #2

    C'est vrai que vous posez cette question, parce qu'en fait, quand on a lu le bouquin, on s'est dit, il est complètement inclassable, ce bouquin. Et en fait, dans la réception critique, on a des gens de droite qui disent, c'est génial, c'est la dénonciation ultime du wokisme, etc. Et puis des gens comme Arnaud Vivian, qui considère que c'est un appel à la révolution géniale et en fait le bouquin est vraiment très très ambigu là-dessus.

  • Speaker #0

    Oui mais c'est ça qui est bien, je pense que le rôle d'un roman n'est pas de prendre position mais simplement de, voilà, comme dit Stendhal, d'être un miroir qu'on promène le long du chemin.

  • Speaker #1

    Je pense que tu peux prendre position. Mais quand il y a des dialogues entre les personnages, il ne faut pas tricher et faire que l'autre passe pour un con. On est obligé de lui mettre les meilleurs arguments dans la bouche. Voilà, c'est plutôt là-dedans. Oui,

  • Speaker #0

    c'est vrai. C'est vrai qu'on peut voir une influence des romanciers sarcastiques de la fin du XXe siècle. Je pense à Houellebecq, à Patrice Jean, peut-être à Belcantin, mais peut-être vous allez me dire pas du tout, je ne les ai jamais lus.

  • Speaker #1

    Je ne les ai pas beaucoup lus. J'ai lu un petit peu Houellebecq, mais non, j'ai lu... Il faut savoir que je n'ai pas une grosse culture littéraire. et que surtout j'ai lu très peu d'auteurs contemporains.

  • Speaker #0

    Donc d'où vient votre désir de renverser la table, de regarder le monde et de rire comme ça ?

  • Speaker #1

    Avec ce rire-là diabolique ? Oui. Non, mais c'est plus l'idée de la création. Moi, je n'ai jamais vécu sans créer un truc. Alors, ça a beaucoup été l'écriture, mais... Il y a des époques où j'ai essayé de... On a fabriqué des jeux vidéo, j'ai fait des projets multimédia, j'ai fait... Enfin, j'ai tenté différents trucs, quoi. L'écriture, ça me réussit bien, ça me plaît bien, et puis globalement, ça coûte pas cher par rapport au reste, alors...

  • Speaker #0

    Mais quand vous voyez... C'est marrant, parce que vous donc... Moi, je viens...

  • Speaker #1

    Et puis je dis pas que je lis pas, hein !

  • Speaker #0

    Je viens du milieu littéraire, voilà, et de la presse, j'ai fait un peu de tout, mais aujourd'hui, grâce au numérique... J'arrive à faire ce podcast et à être complètement libre. Donc, il y a aussi du positif. C'est ça qui est étonnant. Alors que moi, j'ai beaucoup critiqué les réseaux sociaux et tout. Je voyais un peu du George Orwell là-dedans. Aujourd'hui, je peux faire une émission, vous inviter et on parle librement aussi longtemps qu'on le veut. L'émission, elle peut durer cinq heures. Je vois la tête de nos techniciens qui sont un petit peu en panique. Et ça, il y a donc du positif aussi ?

  • Speaker #1

    Ah oui, évidemment. Mais moi, ce n'est pas un livre... Non, les réseaux sociaux, j'ai un vrai problème avec ça. Mais justement, moi, je suis arrivé sur Internet, comme tout le monde ici, je suppose, dès le début. En fait, on oublie un peu, les jeunes générations ont oublié qu'il n'y avait pas les réseaux sociaux. Internet existait avant et c'était mieux. Les réseaux sociaux, c'était quand même des énormes boîtes qui coûtent des milliards, etc., qui vont en fait récupérer Internet et en faire un système plus fermé qu'avant. Mais avant, c'était la même chose, en plus ouvert. Il y avait des forums, des Ausha, tout un tas de trucs, des sites amateurs. C'était le Far West et c'était génial. Et ça existe encore un peu, mais bon, aujourd'hui, c'est un peu oublié.

  • Speaker #0

    Mais juste pour finir sur les réseaux sociaux, ce que vous reprochez, c'est qu'ils collectent des informations sur les citoyens pour leur envoyer des pubs. Ça, c'est ma paranoïa à moi, mais quelle est la vôtre ?

  • Speaker #1

    C'est qu'on se soumet à des algorithmes, en fait, on demande à des algorithmes de juste de maximiser le taux de clic, en gros. Et après, on les laisse faire, on ne sait pas ce qu'ils font. Et globalement, on voit que ce qu'ils font, c'est maximiser des émotions négatives chez les gens, fracturer la société, etc. Pas parce que les algorithmes sont méchants, mais c'est que apparemment, ça marche et ça maximise le taux de clic. Et oui, je pense qu'ils font beaucoup de mal à la société. On sait qu'ils font beaucoup de mal aux jeunes. J'entendais ce matin, l'Australie vient interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans.

  • Speaker #0

    Moins de 16 ans ?

  • Speaker #1

    Je trouve que c'est des trucs qu'on devrait... Ça fait des dégâts chez les jeunes quand même. Ce serait bien,

  • Speaker #0

    ce serait bien. Et je me tourne vers vous, Mathieu. C'est quand même symboliquement intéressant que, travaillant dans le digital... vous passez par une phase d'enthousiasme puis de dépression, et qu'est-ce que vous faites ? Vous ouvrez une maison d'édition de livres en papier. Genre, c'est comme si vous reveniez à l'âge de Pierre. Vous êtes dans une cave à lire des manuscrits, à faire des corrections sur des manuscrits. C'est fascinant, c'est comme dans un roman de Ray Bradbury.

  • Speaker #1

    C'est un peu ça, oui. Mais je pense que c'est une sorte de bulle d'oxygène dont on a besoin, de revenir à du papier, effectivement de quitter les réseaux sociaux. Et puis je pense qu'on le fait en plus de façon hyper artisanale. Je pense qu'il y a aussi ça, lire des manuscrits, prendre le temps. C'est un temps qui est beaucoup plus long aussi, l'édition, que les métiers qu'on fait habituellement. Je crois que c'est ça qui nous a vraiment...

  • Speaker #0

    Qui vous plaît. Vous vous sentez libéré ?

  • Speaker #1

    Et puis on le fait sans contrainte économique en plus. Donc on est vraiment des artisans, on sort ses livres, on sort tout ce qu'on a envie de sortir, quand on veut.

  • Speaker #0

    Et maintenant qu'il a eu le prix de Flore, est-ce que vous voyez des différences de vente ? Est-ce que vous allez lui donner beaucoup d'argent ?

  • Speaker #1

    Alors c'est une discussion qu'il faut qu'on ait dans pas longtemps. Mais on sent que Benjamin commence à nous demander, c'est normal.

  • Speaker #2

    Non mais il ne demande jamais. Moi mes amis passent mon temps à me demander, ils me disent mais alors,

  • Speaker #0

    t'en vends combien ? Et je ne sais pas,

  • Speaker #2

    je ne demande jamais.

  • Speaker #0

    Est-ce que ça marche ?

  • Speaker #1

    Oui, ça marche.

  • Speaker #0

    Donc le prix de fleurs a un effet.

  • Speaker #1

    En fait, on a eu une commande massive deux jours après. Donc ça marche tout de suite. Donc on a vu la différence, c'est massif.

  • Speaker #0

    Vous avez fait un bandeau rouge ?

  • Speaker #1

    On a fait un bandeau rouge qu'on avait prévu à l'avance.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous vous doutiez un petit peu ?

  • Speaker #1

    Pas du tout. En vérité, on ne pensait vraiment pas qu'on l'aurait. En fait, on avait fait un peu, c'était un petit peu house of cards. On avait regardé un petit peu qui allait voter pour qui. On pensait bien que vous alliez voter pour nous. On s'était dit que Vivian allait voter pour nous aussi. Mais voilà, on pensait avoir 2-3 voix. Vous êtes 12.

  • Speaker #0

    Non mais là, vous avez eu 11 voix sur 12. Je ne sais pas si vous voyez, ça n'existe pas. Ça n'arrive jamais.

  • Speaker #2

    Je sais qu'il n'a pas voté pour nous. Il m'a dit de toute façon, je vote toujours à l'inverse de tout le monde pour faire chier. Donc, voilà.

  • Speaker #0

    Non, c'est elle.

  • Speaker #2

    Ah c'est elle ? Oui,

  • Speaker #0

    c'est Michel Fittoussi. Moi je lui le dis, je m'en fous. Elle l'assume.

  • Speaker #2

    Bon, alors ce n'est pas lui. Je pense à quelqu'un d'autre.

  • Speaker #0

    Bon, avez-vous rencontré Marc Lévy, oui ou non ?

  • Speaker #2

    Ah bah non !

  • Speaker #0

    À ce jour, toujours pas. Mais écoute, on lui a envoyé le livre, on voulait qu'il vienne à la soirée vous décerner le prix, j'aurais beaucoup aimé qu'il soit là aussi aujourd'hui.

  • Speaker #2

    Oui, mais je comprends qu'il n'a pas envie de participer à la promo d'un roman qui n'est pas le sien.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce que lui-même a un livre en promo. Ben oui ! Ça s'appelle La librairie des livres interdits et c'est sur la censure et c'est sur aussi le même sujet que vous, l'autre réalité, les faits alternatifs. Donc c'est fou que le vrai Marc Lévy... Ce mois-ci, en même temps que vous, prend la défense des livres interdits. Mais refuse de vous rencontrer. C'est paradoxal.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on lui a... On l'a contacté...

  • Speaker #2

    Vraiment ?

  • Speaker #1

    Par cinq ou six biais, ouais.

  • Speaker #2

    Il a fait ça,

  • Speaker #0

    c'est toujours pas fait.

  • Speaker #1

    Non, ça c'est toujours pas fait. Mais bon, on ne désespère pas.

  • Speaker #0

    Non, il faut qu'il lise le livre. Parce que le livre n'est pas agressif.

  • Speaker #2

    Non, mais surtout, c'est même pas sur Marc Lévy. Marc Lévy n'est qu'un prétexte. Encore une fois, ça aurait pu être quelqu'un d'autre. Bon, c'est tombé sur lui. Parce que c'est un personnage public. Mais...

  • Speaker #0

    Et surtout parce que vous aviez une revanche à prendre Mais non ! Pour un romancier qui a plus de succès que vous,

  • Speaker #2

    c'est tout Oui, mais tant mieux pour lui,

  • Speaker #1

    je suis content Et puis Marc Lévy est devenu très politique Je ne sais pas si vous le suivez un peu Il a changé le bouquin Il en a écrit un justement contre les réseaux sociaux Oui,

  • Speaker #0

    il critique Marc Zuckerberg D'ailleurs, tout ça est dans le livre Dans votre livre,

  • Speaker #2

    vous parlez de la transformation de Marc Lévy en homme politique Je cite ses romans et je cite aussi ses interviews Et je n'invente rien Oui, oui Toutes les citations sont réelles. Je crois qu'à l'époque, il y avait même les notes de bas de page pour dire ça vient de telle radio.

  • Speaker #0

    Je pense que personne n'a jamais fait un tel travail d'exégèse sur l'œuvre de Marc Lévy.

  • Speaker #2

    Si je vous dis, on en parle. Il y a un thésard sur Marc Lévy, indonésien. Indonésien ? C'est cité dans le bouquin. Je crois qu'il y a une thèse d'un étudiant étranger.

  • Speaker #0

    Je croyais que c'était inventé, moi. Non,

  • Speaker #2

    ce n'est pas une blague.

  • Speaker #0

    L'absurdité du monde contemporain est également symbolisée par le lancement de la moutarde goût mojito.

  • Speaker #2

    C'est pas symbolisé, je crois que ça existe. Et vous allez goûter ? Non, mais je crois qu'il existe des moutardes goût morito. J'ai pas goût... Non, j'ai autre chose à faire. J'aime bien le morito et la moutarde, mais alors ensemble...

  • Speaker #0

    Mais ensemble, ça paraît bizarre. Et donc...

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup de trucs qu'on croit que c'est inventé, et en fait, non. Le monde est vraiment pire que...

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #2

    J'arrive pas à suivre.

  • Speaker #0

    Je me demandais si je faisais le jeu Devine tes citations cette semaine, sachant que vous n'avez qu'un livre. Si je vous demande... Alors, faisons-le. Faisons-le. Toutes sont issues de Marc, mais il y a des pièges. Ok, alors attention. Un livre, ça doit faire réfléchir, ça doit produire des formes nouvelles, ça doit empêcher de dormir. Un livre qui sert à se sentir bien, c'est un antilivre, c'est un dévoiement.

  • Speaker #2

    C'est le premier chapitre de Marc.

  • Speaker #0

    Dans Marc, 2024. Donc j'en déduis que vous n'aimez pas Mélissa d'Acosta non plus.

  • Speaker #2

    Là, on parle de Desperso à ce moment-là.

  • Speaker #0

    Non, mais je veux dire, le livre qui aide à se sentir bien, c'est...

  • Speaker #2

    Je ne connais pas Melissa Dacosta.

  • Speaker #0

    C'est une tendance. Aujourd'hui, ce sont les livres qui ont en tête des ventes. C'est un mot des ventes. Même plus que le prix Goncourt. C'est des livres qui considèrent que la littérature, c'est un lexomile. Oui, oui.

  • Speaker #2

    Je ne la connais pas,

  • Speaker #0

    elle. Vous parlez de ça. Autre phrase de vous. Dans quel livre avez-vous dit ça ? Tu crois que les écrivains... Tu crois que les écrivains font les époques, mais ils ne font que respirer l'air du temps et le transcrire sur papier.

  • Speaker #2

    C'est dur, mais c'est le premier chapitre encore.

  • Speaker #0

    C'est qui ? C'est Youssef qui parle. Vous êtes plus de l'avis de Youssef ou de l'avis de...

  • Speaker #2

    Je ne sais pas. C'est un débat que je n'ai pas tranché. Je passe mon temps à penser l'un ou l'autre, et puis quand on écrit, des fois on a des expériences, on se dit ça sert à rien, et tout le monde s'en fout, et puis des fois on se dit c'est important. Je vais de l'un à l'autre.

  • Speaker #0

    Un manuscrit que vous envoyez à une toute petite maison d'édition, il est publié, personne n'en parle, aucun journal n'en a parlé, et puis tout d'un coup, il a le prix de flore. Bon, il y a eu quand même un article que j'avais écrit moi, et puis un autre dans le Nouvel Obs, mais franchement, il y avait. Il y a eu quoi d'autre ?

  • Speaker #1

    Le masque.

  • Speaker #0

    Le masque ! Arnaud Vivian au masque et la plume. C'est juste ça. Oui,

  • Speaker #2

    ça c'est bien. Pour moi, c'est déjà extraordinaire.

  • Speaker #0

    Ce que je veux dire, c'est qu'un roman peut finir par atteindre son but. C'est ça qui est miraculeux dans votre aventure. Oui,

  • Speaker #2

    c'est un miracle. C'est d'ailleurs ce qu'Arnaud Vivian m'a dit, un des jurés du Prix de Flore. Il me dit qu'un prix, c'est toujours un miracle. Il me dit qu'il a failli ne jamais l'ouvrir. Je sais que vous n'avez pas aimé la couverture, mais lui, il a ouvert.

  • Speaker #0

    Non mais je critique cette couverture parce que je trouve qu'elle est encombrée. Elle est un peu encombrée.

  • Speaker #2

    Du coup,

  • Speaker #0

    moi, elle m'a détourné. Je me suis dit, bon, je regarderai plus tard. Elle dénote.

  • Speaker #1

    La couverture est morte parce qu'on voulait mettre Marc Lévy en couverture. Puis on a débattu ce qu'on met Marc Lévy, on ne met pas Marc Lévy, etc. Et à la fin, on s'est dit, on ne met rien. On va l'appeler Marc. Le roman ne s'appelait pas comme ça à l'origine. On met Marc et on ne va rien mettre du tout.

  • Speaker #0

    Et peut-être que si vous aviez mis la photo de Marc Lévy, là, vous auriez eu un procès. Mais vous auriez vendu beaucoup plus d'exemples. Autre phrase, attention.

  • Speaker #2

    Je me concentre.

  • Speaker #0

    Une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre.

  • Speaker #2

    Alors ça, c'est pas moi.

  • Speaker #0

    Bien plus. C'était le piège. C'était Houellebecq dans Anéantir. D'accord. Une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre. C'est à dire en 2022. Je cite Houellebecq parce que c'est le dernier à avoir eu l'unanimité avant vous, au jury du Flore. Autre phrase. Tu crois vraiment qu'un jour, on lira Houellebecq à l'école, quand il décrit ses branlettes sur YouPorn, ou quand il s'attarde sur le goût du poulet teriyaki picard au micro-ondes ? Oui.

  • Speaker #2

    Il parle de ce goût-là dans Soumission. Il parle des plats picards au micro-ondes. Oui.

  • Speaker #0

    C'est dans Marc. Mais moi, je trouve qu'elles sont très bonnes, les brochettes de poulet Picard.

  • Speaker #2

    Ouais, non, sur la nourriture, je suis très, très, très fait maison.

  • Speaker #0

    D'accord, vous êtes contre ?

  • Speaker #2

    Non, je ne suis pas contre, mais je suis une fine gueule.

  • Speaker #0

    Oui, tant mieux. Je cuisine tout. Vous n'habitez pas à Paris.

  • Speaker #2

    Non, j'habite à la campagne.

  • Speaker #0

    Comme moi. Oui, nous avons ça en commun, et la chevelure et la barbe. Voilà. Et rien d'autre. Vous ne l'avez pas remarqué ? Notre époque est prête à croire n'importe quoi. N'importe qui peut devenir chef de secte. Les temps sont mûrs pour un véritable nouveau messie.

  • Speaker #2

    Ça vient de Mars.

  • Speaker #0

    Mais vous pensez vraiment que nous sommes, par exemple, comme la République de Weimar avant l'avènement d'Hitler, que c'est ça, on est dans une avant-guerre, une avant-révolution ?

  • Speaker #2

    Oui, la situation est fragile. Je pense que les gens sont prêts à croire en n'importe quoi. Oui, les gens sont désespérés. On a besoin de croire en quelque chose, en quelqu'un. On a besoin d'être rassemblés par un discours rassembleur. Là, les fruits sont mûrs. Quelqu'un peut cueillir. Oui, oui.

  • Speaker #0

    la seule chose qu'il avait faite mieux et plus que les autres, c'était de boire.

  • Speaker #2

    Oui, cette phrase, ça me gêne parce que vous l'avez citée, et c'est le moment de faire mon mea culpa, vous l'avez citée dans votre article. C'est une phrase de moi, mais dans ma tête, c'était quand même un peu une espèce de clin d'œil à Guy Debord qui a dit une phrase très similaire. Enfin, très similaire. Il peut la retrouver, donc c'est une forme de plagiat.

  • Speaker #0

    C'est embêtant. Ça fait deux fois que je cite une phrase qui n'est pas de lui. Non, mais est-ce que c'est vrai ? Non,

  • Speaker #2

    mais il dit un truc qui ressemble un peu, parce qu'il parle du fait qu'il passe son temps à Paris à boire, à palabrer. Bon, Guy Debord, je crois, avait un peu cette vie-là. Oui, oui. Et il dit un truc, il dit dans ma vie, il dit un truc un peu similaire. Mais bon, il faut savoir qu'on écrit ce qu'on commence, et ça me permet de le sentir beaucoup plus léger. Ça va faire beaucoup rire ma copine quand elle va entendre ça.

  • Speaker #0

    Une autre phrase. Oui. Le monde de Marc était celui des larges avenues pétrifiées d'ennuis, des cavalcades de tapis empourprés, des scooters à trois roues, des courriers à en-tête sur papier moelleux, des lambris et des meubles design. des coursiers, des chaussettes parmes, des chaussures à boucle, des initiales brodées sur des chemises Ausha, des notes de frais, des arrondissements à un chiffre, des clients tyranniques, des talons aiguilles et de l'argent.

  • Speaker #2

    C'est pas mal, c'est pas moi.

  • Speaker #0

    Non, c'est la belle Quentin. Le voyant des Tempes, prix de flore 2021, un prédécesseur. Un truc qui, on en a parlé il y a peu de temps, mais pourquoi, à votre avis, les auteurs qui critiquent l'ultralibéralisme... se retrouvent souvent catalogués de droite. C'est absurde, c'est un paradoxe.

  • Speaker #1

    Tu veux répondre ? Non, vas-y, vas-y.

  • Speaker #2

    Je pense que beaucoup de gens sont de gauche, mais ne le savent pas. On a un peu oublié ce que c'était que la gauche, mais parce qu'il y a trop de bruit, trop de foin sur, je ne sais pas... Les gens croient qu'être de gauche, c'est avoir des cheveux bleus dans une université américaine, avoir des pronoms, ou c'est être Sandrine Rousseau, parler du barbecue.

  • Speaker #0

    Pas connaître son sexe.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas, mais bon, je pense qu'il y a beaucoup de confusion aujourd'hui, mais je crois que beaucoup de gens sont de gauche, mais ne le savent plus.

  • Speaker #0

    Mais Abel Quentin, c'est intéressant. Il fait donc une moquerie, comme vous, sur ce monde de la bourgeoisie, de l'entreprise et tout. Et puis, le livre suivant, il est engagé... À gauche, il est engagé, en tout cas, écolo, responsable, fin du monde, attention. Peut-être que les gens l'ont pris pour un type de droite, mais il ne l'était pas.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas, il y a peut-être le précédent Houellebecq. En fait, le truc, c'est que les écrivains, ils changent souvent. Ils commencent plutôt à gauche. Et puis, en vieillissant, on en a vu beaucoup qui étaient quand même de plus en plus de droite. Alors, je ne sais pas, peut-être que... En fait, les gens ne se laissent plus avoir. Ils voient un jeune de gauche arriver et ils se disent De toute façon, c'est un futur de droite

  • Speaker #0

    Mais je pense que malheureusement, c'est aussi une question d'âge. C'est-à-dire qu'on peut être très engagé, révolutionnaire à 20 ans et puis à 60, 70 ans, on veut protéger et sauver ce qui peut l'être.

  • Speaker #2

    Oui, c'est ce qui se dit. Mais enfin, il y a plein de gens très vieux qui sont encore très de gauche. Mon cas n'est pas désespéré. Je vous ai cité Bertrand Russell. Il a fini centenaire et il était encore socialiste libertaire. Cela dit, il était dans ses jeunes années anarchiste, enfin sympathisant anarchiste. Et en vieillissant, effectivement, il s'est décalé un petit peu à droite. Enfin, ce qui veut dire quand même...

  • Speaker #0

    Donc tout n'est pas foutu, on n'est pas nécessairement un réac parce qu'on est vieux ?

  • Speaker #2

    Non, non, non, je ne pense pas. On se demande ce que je pense, d'où je viens, mais en fait, moi, je pense des choses extrêmement banales. Si vous voulez savoir ce que je pense, en général, quand je ne sais pas quoi penser, j'achète Le Monde Diplomatique, je suis aligné dessus. Mais il n'y a que des vieux qui écrivent dedans, ce n'est pas un journal de jeunes.

  • Speaker #0

    Cette émission est parrainée par le Figaro Magazine. Voilà. Je vous demande s'il vous plaît de changer de lecture. Bien, alors, les conseils de professionnels, c'est des conseils de lecture ? Oui,

  • Speaker #2

    j'ai des mémoires,

  • Speaker #0

    tout est là. Parce que de toute façon, on n'est pas bon quand on n'a pas préparé cet interrogatoire. Ah ben non,

  • Speaker #2

    impossible.

  • Speaker #0

    Il faut préparer. Donc, je vous demande simplement, puisque vous connaissez bien le numérique, de regarder la caméra. Ah oui ? Car il faut rester instagrammable et moi, je ne suis plus là. Donc, vous ne me regardez pas. Un livre qui donne envie de pleurer ?

  • Speaker #2

    Alors, La Nouvelle Famille de Shun, c'est un livre pour enfants. Et Shun est une petite chienne abandonnée dans les bois. C'est dévastateur.

  • Speaker #0

    Vous avez chialé comme une madone.

  • Speaker #2

    Oui, surtout que Sa Nouvelle Famille, c'est une famille d'oies. Elle est adoptée par des oies. Et qui veut être adopté par des oies ?

  • Speaker #0

    et surtout quand on est un chien.

  • Speaker #2

    Oui, oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer ?

  • Speaker #2

    Un livre que j'ai lu récemment, Endkind de Charlie Kaufman, qui s'est fait connaître comme scénariste.

  • Speaker #0

    Dans la peau de John Malkovich.

  • Speaker #2

    Exactement, et qui a écrit, qui est plus vraiment bienvenu à Hollywood parce qu'il a perdu trop d'argent. Et donc là, il a fait un roman colossal de 900 pages qui est absolument irracontable et qui est très drôle.

  • Speaker #0

    Et le titre encore ?

  • Speaker #2

    Antkind, ce qui se traduirait par du genre fourmi.

  • Speaker #0

    Ah oui, kind of ant. Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #2

    Il y en a plein. Moi, je m'ennuie beaucoup. Mais je vais dire Tolstoy. C'est pas un livre.

  • Speaker #0

    Mais quelle honte !

  • Speaker #2

    Comment osez-vous ? C'est pas un livre, mais j'ai essayé de lire Anna Karenin, Gare et Paix. Ça aurait pu rentrer aussi dans la catégorie des livres que j'ai fait semblant d'avoir fini. Oui. Et pourtant, j'aimerais beaucoup l'aimer parce que j'adore le gars et ce qu'il représente et tout ce qu'il dit à côté. Notamment, il a écrit des espèces d'essais.

  • Speaker #0

    Oui, mais peut-être qu'il faut commencer par les essais, justement.

  • Speaker #2

    J'ai beaucoup aimé. J'aime beaucoup tout ce qu'il dit, tout ce qu'il pense. Mais ces romans, je n'y arrive pas.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue ?

  • Speaker #2

    J'ai mis Raymond Queneau, Aux confins des ténèbres, parce que c'est un livre pas connu et qui parle de livres encore moins connus. En fait, c'est un essai. C'est Raymond Queneau qui va dans les bibliothèques et qui va chercher des livres de ce qu'il appelle des fous littéraires. Donc des gens qui sont effectivement parfois des caps psychiatriques ou alors des gens qui ont eu des théories farfelues et qui n'ont jamais eu de postérité. Et donc, on va découvrir une dizaine ou une quinzaine de bouquins complètement délirants. Je vous en cite juste un, un bouquin de Pierre Roux, qui était un homme persuadé que le soleil était fait en excréments. Voilà, ça existe.

  • Speaker #0

    Un livre qui rend intelligent,

  • Speaker #2

    à part le vôtre. Oui, un livre qui m'a changé la vie, moi, par exemple, il y en a eu plein, mais Histoire de la philosophie occidentale de Bertrand Russell. Parce que c'est un livre qui fait l'histoire de l'Occident, l'histoire de la philosophie, mais surtout Bertrand Russell était quelqu'un de très irrévérencieux, très drôle.

  • Speaker #0

    Je sens que c'est votre maître à penser, vous l'avez beaucoup cité dans l'émission.

  • Speaker #2

    Ouais, j'aurais pu en citer d'autres, mais oui oui. Ouais Bertrand Russell, pour le coup, j'ai vraiment beaucoup beaucoup lu. Et encore une fois, il a cette attitude vis-à-vis des philosophes qui est une attitude pas tellement respectueuse, et ça fait énormément de bien parce qu'on n'a pas cette habitude-là.

  • Speaker #0

    Je vais quand même vous demander un petit peu plus de concision parce que je vous rappelle que...

  • Speaker #2

    Pardon pardon !

  • Speaker #0

    Dans le digital, dans le monde digital, Rien ne doit durer plus d'une minute trente. Allez,

  • Speaker #2

    c'est parti.

  • Speaker #0

    Un livre pour draguer.

  • Speaker #2

    Les deux étendards de Lucien Rebattet, qui n'est pas un homme aimable, mais qui a écrit une histoire d'amour sublime, très longue, où se mêlent aussi beaucoup de religions.

  • Speaker #0

    C'est pour draguer, mais que dans un congrès du Rassemblement national.

  • Speaker #2

    Non, j'ai dragué plein de filles avec ça.

  • Speaker #0

    Ce sera coupé. Un livre que je regrette d'avoir lu.

  • Speaker #2

    Euh... ou bah je mets... L'être et le néant.

  • Speaker #0

    Oui, vous moquez beaucoup de l'être et le néant de Sartre dans Marc, c'est vrai. Oui,

  • Speaker #2

    je pense que ça incarne un peu une dérive de la philosophie qui consiste à écrire de manière extrêmement compliquée pour dire des choses pas très intéressantes.

  • Speaker #0

    Un livre que je fais semblant d'avoir fini, bah vous avez déjà dit...

  • Speaker #2

    Non, attends, j'en ai...

  • Speaker #0

    Ah, il y en a un autre ?

  • Speaker #2

    Ouais, non, mais comme tu veux.

  • Speaker #0

    Un livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #2

    J'en profite pour parler de Abattoir 5, de Kurt Von Goode, que j'ai lu récemment, qui est un livre complètement inclassable, où il parle de la guerre qu'il a connue, des bombardements de Dresde, et en même temps de son enlèvement par des extraterrestres. Et ça souligne l'absurdité de tout ça.

  • Speaker #0

    Oui, c'est un peu votre univers.

  • Speaker #2

    Et c'est très drôle.

  • Speaker #0

    Mais en même temps, on le sait, le livre que vous auriez aimé écrire, c'est Et si c'était vrai ? De Marc Lévy. Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu ?

  • Speaker #2

    Je vais mettre toute la littérature de Dave Perso dedans.

  • Speaker #0

    Qui c'est ça ?

  • Speaker #2

    Toute la littérature de Dave Perso.

  • Speaker #0

    Dave Perso ?

  • Speaker #2

    Dave Perso ? Non, de développement personnel.

  • Speaker #0

    Ah, personne n'avait compris.

  • Speaker #2

    Sérieux ? Oui. Vous ne dites pas Dave Perso ?

  • Speaker #0

    Non, de développement personnel. C'est drôle ça. Ils vont en faire une miniature pour Dave Perso. La littérature de Dave Perso.

  • Speaker #2

    Non, oui, le développement personnel, oui, je crois que là, on atteint un niveau d'indigence, de nullité historique dans l'histoire de l'humanité.

  • Speaker #0

    Le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Speaker #2

    Je lis deux trucs. Je lis les petits textes d'Alphonse Allais, qui est quelqu'un de très comique et qui écrit extrêmement bien. Et je lis un manga qui s'appelle Berzerk, un manga culte des années 80. Et je recommande les deux. Ça n'a rien à voir, mais ça se complète bien.

  • Speaker #0

    Merci infiniment, Benjamin Storg, Mathieu Lecomte. Merci beaucoup. Et je... Ce n'est pas que je conseille, c'est que j'ordonne à tout le monde de lire Marc de Benjamin Stock aux éditions Rue Fromentin pour comprendre pourquoi on est dans ce monde incompréhensible. Cette émission vous est présentée, comme je l'ai dit, en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Et l'ingénieur du son se nomme Guilhem Pagelache. La réalisation et le montage vidéo sont faits par ma fille Chloé Becbedé. Et n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous crèverez idiot et seul.

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Description

LA RÉVÉLATION DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE.

Lauréat du Prix de Flore 2024, Benjamin Stock n'a pas eu peur de changer de café pour venir chez Lapérouse répondre à mes questions. Son roman "Marc" est un coup de maître qui démonte notre époque de fake news, de complotisme, de révolution impossible et d'utopies déçues.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir à toutes et quand même aux autres. Vous écoutez Conversations chez la Pérouse et je parle comme un steward d'Air France. Une émission de Frédéric Beigbeder sans aucun patron est strictement impossible à virer. Avec cette semaine,

  • Speaker #1

    Benjamin Stock.

  • Speaker #0

    Pour son livre,

  • Speaker #1

    Marc.

  • Speaker #0

    Aux éditions,

  • Speaker #1

    Rue Fromentin.

  • Speaker #0

    Et en présence de son éditeur,

  • Speaker #2

    Mathieu Lecomte.

  • Speaker #0

    Je salue ce professionnalisme de générique. On remercie Émile Fournier pour cette interprétation de Misty. Bien, bienvenue Benjamin Stock et bravo pour votre prix de flore 2024 pour Marc aux éditions Rue Fromentin. Mais avant de parler de votre livre, je suis rémunéré pour parler de Mésopotamia d'Olivier Ghez. Olivier Ghez qui avait reçu le prix Renaudot en 2017 pour la disparition de Joseph Mengele. Il revient avec ce livre époustouflant et je ne le dis pas parce que je suis payé. Je le dis parce que je le pense et je précise d'ailleurs pour nos spectateurs que les livres dont je fais la publicité, je les sélectionne. Si je n'aime pas, je refuse l'argent. Bien, je suis tellement intègre. Donc, c'est le roman du Moyen-Orient au XXe siècle. L'histoire de Gertrude Bell, la femme la plus puissante de l'Empire britannique dans les années 20. Elle était à la fois exploratrice, archéologue, alpiniste, écrivaine. espionnes, polyglottes. Et dans le livre, on voit Laurence d'Arabie, on voit Winston Churchill. Et si vous voulez l'ambiance, pour vous convaincre de lire ce livre, en ce début d'année 2025, c'est Indiana Jones, mais s'ils étaient une femme, et à Bagdad, et en 1917. Donc c'est Mésopotamia d'Olivier Guez chez Grasset. Maintenant, c'est la fin de la publicité, on peut commencer à parler. Je vous félicite. D'abord, quel âge avez-vous, Benjamin Stock ?

  • Speaker #1

    Je ne sais jamais, je crois que j'ai 36 ans.

  • Speaker #0

    36 ans, très bien. Marc est donc un roman complètement fou. Et je suis assez heureux que vous ayez 36 ans parce qu'on me dit que je n'invite que des vieux dans cette émission. C'est vrai que j'invite des gens qui ont une œuvre derrière eux, qui ont en général entre 20 ou 30 livres derrière eux.

  • Speaker #1

    Miguel Bonfoy, il est jeune.

  • Speaker #0

    Miguel Monfoy est jeune, mais il a déjà six ou sept romans. Oui, c'est vrai. C'est rare que j'invite, parce que comme je suis pendant une heure avec vous, c'est compliqué d'inviter quelqu'un qui n'a qu'un roman, c'est votre cas. Mais on va y arriver.

  • Speaker #1

    J'espère, on va trouver des choses à dire.

  • Speaker #0

    On va y arriver très, très facilement parce que j'ai adoré le livre. Mais enfin, je suis content de recevoir un jeune pour une fois, qui vient de recevoir le prix de Flore. Comment s'est passée la soirée du prix de Flore ? J'ai l'impression que vous étiez assez agité.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    Vous avez donné beaucoup d'interviews, bien sûr.

  • Speaker #1

    On y est allé ensemble avec mes éditeurs,

  • Speaker #0

    qui sont cinq. Oui, les cinq éditeurs et leurs femmes. Ça fait dix personnes. Et c'était quand même beaucoup, beaucoup de... Enfin, ça nous a coûté beaucoup d'argent.

  • Speaker #1

    C'est une toute petite maison d'édition, mais ils sont très nombreux. Et c'était la première fois pour nous tous, je crois, qu'on recevait un prix. Donc on y est allé, on disait, on est comme une bande de puceaux. On était hyper intimidés. On a bu un petit coup avant pour se réchauffer le cœur. Pendant aussi.

  • Speaker #0

    Pendant.

  • Speaker #1

    Voilà, les gens doivent savoir qu'il y a beaucoup d'alcool au prix de Flore, et il est gratuit.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Donc ça peut...

  • Speaker #0

    Grâce au champagne Louis Roder et à la vodka Le Filtre. Et bam, deux marques citées.

  • Speaker #1

    Ah c'est de la vodka ?

  • Speaker #0

    Je croyais que c'était du gin. Ça ressemble à de l'eau, mais c'est de la vodka. Je croyais que c'était du gin. Ah non, c'est de la vodka.

  • Speaker #1

    Et très vite, on se sent très à l'aise du coup.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Voilà, on fume, on boit, on parle à des gens très sympathiques.

  • Speaker #0

    Vous étiez avec votre épouse.

  • Speaker #2

    Tout à fait, une belle fête.

  • Speaker #0

    Votre épouse était assez exubérante.

  • Speaker #2

    Elle était effectivement assez exubérante. Vous m'en avez reparlé d'ailleurs après,

  • Speaker #0

    je crois. C'est bien.

  • Speaker #2

    Elle a été tardée.

  • Speaker #0

    Eh bien, tant mieux. En fait, ce n'est pas votre premier roman. C'est ça qu'il faut expliquer aux jeunes qui rêvent d'être à votre place, qui rêvent d'être édités. C'est que vous avez beaucoup galéré et vous aviez cinq manuscrits refusés auparavant. Oui. Alors, racontez-nous vos cinq romans refusés. Voilà.

  • Speaker #1

    Non mais j'ai commencé à écrire un roman pour la première fois à l'âge de 15 ans. Et j'ai essayé d'être édité. Et le problème, c'est que je n'ai jamais été édité, mais j'ai toujours reçu des encouragements. Ce qui nourrissait suffisamment mon égo pour me pousser à réessayer, puis réessayer, puis réessayer. Et à chaque fois, j'ai eu des encouragements. Et je me disais toujours, c'est bête, peut-être que je passe tout près d'un truc. Il me manque peut-être un essai de plus. Et je me suis entêté. Et donc, ça a pris 20 ans pour être édité. Et ce qu'il faut dire aux jeunes, c'est que c'est quand même... Ça aurait pu aussi ne jamais être édité. Enfin, je veux dire, ce roman était édité aussi par un coup de chance incroyable. La conclusion serait peut-être au bout d'un temps.

  • Speaker #0

    Racontez-nous, Mathieu, comment vous avez reçu ce manuscrit de Marc. Et vous êtes l'éditeur de Rue Fromentin.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Alors, c'est le moment de rendre hommage à Jean-Pierre Montal. Jean-Pierre Montal, c'est le fondateur des émissions Rue Fromentin, qu'on a repris il y a 3-4 ans. Et c'est Jean-Pierre Montal qui est un excellent écrivain. Bien sûr.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas reçu, mais j'aimerais beaucoup le recevoir. Et j'ai... défendu dans le Figaro, son dernier roman, La face Nord.

  • Speaker #2

    Exactement. Et donc, Jean-Pierre Montal nous a envoyé le texte il y a un an, à peu près, pile poil. Tout de suite, nous, on a été charmés par le livre. Enfin, c'était évident qu'il y avait quelque chose. On n'a pas vraiment compris pourquoi les autres maisons ne l'avaient pas pris, parce que ça se distinguait au premier coup d'œil. Je crois qu'il y en a quand même un certain nombre, on en parlera sûrement, qui ont eu un peu peur du thème et de Marc Lévy.

  • Speaker #0

    Ils pensaient que Marc Lévy ferait un procès ? Oui.

  • Speaker #2

    Alors, il y a des journalistes qui ont refusé de parler du livre, en tout cas, à cause de ça, qui nous l'ont dit. Il y a des maisons qui, a priori, ont refusé de le publier, plus par autocensure, je pense. Et après, à mon avis, le manuscrit s'est perdu aussi. Il y a des dizaines de manuscrits perdus. Mais ce qui était évident, c'est qu'unanimement, on a trouvé que le texte était génial. Et on savait en trois minutes qu'on allait le sortir.

  • Speaker #0

    Et quand vous receviez toutes ces lettres de refus, vous dites qu'il y avait toujours des encouragements. Oui. Mais moi, vous ne me l'avez jamais envoyé, un manuscrit ? Parce que j'ai l'impression que peut-être j'avais lu... Directement ? Non, oui.

  • Speaker #1

    Non, j'ai toujours envoyé aux grosses maisons d'édition, parce que c'est les seules que je connaissais.

  • Speaker #0

    Vous me disiez, j'avais peut-être lu une version précédente.

  • Speaker #1

    Ah non, je ne crois pas.

  • Speaker #0

    Vous l'aviez envoyé à Juliette Joss chez Grasset ? Ah oui. Ah, vous voyez.

  • Speaker #1

    J'ai été reçu par Juliette Joss dans les bureaux de Grasset.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    On était passé tout près d'une publication ?

  • Speaker #0

    Voilà, oui, c'est ce qu'elle m'a dit. Peut-être qu'à l'époque, j'avais vu ce livre. C'est pas la même version qui est sortie.

  • Speaker #1

    C'était pas le même livre.

  • Speaker #0

    Ah d'accord, c'est pas le même livre.

  • Speaker #1

    J'avais 25 ans.

  • Speaker #0

    Vous voyez, je vous apprends quelque chose en direct. Mais c'est drôle.

  • Speaker #1

    Ça fait partie des livres qui avaient failli être publiés. Juliette Jost, de chez Grasset, m'avait reçu dans ses bureaux. Elle m'avait demandé de retravailler. Et la nouvelle version est passée en comité de lecture. Enfin, puis bon, ça ne l'a pas fait. C'était quel titre ? Ça s'appelait Que je ne me gourbe pas

  • Speaker #0

    Le gouffre ? Le gouffre. Oui. Oui, mais ça me dit quelque chose.

  • Speaker #1

    Ah bah ça, c'est drôle.

  • Speaker #0

    Et bon, donc, des années à écrire des livres qu'on vous renvoie à la figure, ça ne vous décourage pas ?

  • Speaker #1

    Alors moi, j'ai suivi le conseil de Bertrand Russell, un philosophe anglais que j'aime beaucoup, et qui disait, si vous écrivez que vous n'êtes pas publié, le plus probable, c'est que vous n'ayez pas de talent. Alors continuez uniquement si ça vous fait plaisir. Et j'ai continué parce que je suis très heureux quand j'écris. Voilà.

  • Speaker #0

    Mais ça c'est original parce que...

  • Speaker #1

    Il faut le faire sans espoir.

  • Speaker #0

    Non mais beaucoup d'écrivains souffrent quand ils écrivent. Et vous, ça vous rend heureux. Et d'ailleurs ça se sent, il y a une jubilation dans votre manière d'écrire. On sent que vous êtes content d'être là. Et du coup le lecteur aussi.

  • Speaker #1

    Oui. Ah non, non, je ne souffre pas quand j'écris. Ah oui. Ah non, ça je ne crois pas. Vous croyez qu'ils sont sincères les gens ? Les artistes qui disent qu'ils souffrent quand ils font de l'art ?

  • Speaker #0

    Ça m'arrive de sentir une inspiration et d'avoir une belle journée et puis il y a d'autres jours...

  • Speaker #1

    Non mais ça d'accord !

  • Speaker #0

    C'est la transpiration principalement.

  • Speaker #1

    Oui ça d'accord mais oui, dix fois par jour on est découragé, on se dit que de toute façon ça n'a aucun sens. Mais dix fois par jour il y a aussi un moment, une phrase, une ligne où on se dit Ah bah non là je suis quand même content, ça me fait plaisir Et puis de toute façon c'est toujours mieux que d'aller au bureau non ?

  • Speaker #0

    C'est un bureau, c'est un esclavage Bah non,

  • Speaker #1

    on est chez soi, on se boit des petits cafés C'est quand même une vie confortable, faut pas exagérer Non parce que sinon, il faut savoir que j'ai un travail à temps plein Je suis salarié Donc non, c'est mieux que d'être salarié Alors justement,

  • Speaker #0

    vous avez fait des petits boulots Et là vous êtes... Alors racontez-nous, parce que c'est un peu ce qui a inspiré le livre Le livre se passe dans une start-up Qui s'appelle The Share Academy Et vous, vous travaillez dans la communication d'entreprises écologiques Oui,

  • Speaker #1

    oui, oui. Et les passages qui parlent de l'entreprise, même s'ils sont burlesques et un tout petit peu exagérés, en fait, ils sont quasiment autobiographiques.

  • Speaker #0

    Il faut être content, vos employeurs. Vous vous foutez de leur gueule pendant des dizaines et des dizaines de pages.

  • Speaker #1

    Mais je pense dans le fond, ils le savent, que tout ça n'est pas si sérieux. Je pense qu'ils le savent et qu'ils en souffrent. Il faut bien que quelqu'un leur dise.

  • Speaker #0

    Je peux vous dire que moi, quand j'avais critiqué des agents de la République, j'ai été viré pour faute grave. Donc vous pensez que vous n'allez pas être viré. Alors quelque chose a changé dans le monde.

  • Speaker #1

    Quelque chose a changé, oui. Je pense que maintenant, les gens savent que le monde économique est quand même relativement absurde. Mais comme on n'a rien d'autre à proposer, on continue, on fait semblant.

  • Speaker #0

    Vous foutez énormément de la gueule du vocabulaire. Du jargon un peu des startups.

  • Speaker #1

    Oui, mais ça c'est quasiment autobiographique. Moi je me suis retrouvé dans des entreprises, je ne savais pas exactement ce que j'étais censé faire. Je ne savais pas ce que faisaient mes collègues, je ne savais même pas à quoi servait vraiment l'entreprise. Ça c'est du vécu.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est vrai.

  • Speaker #1

    Je ne vais pas citer d'exemple pour le coup trop précis.

  • Speaker #0

    Ben si ! Non ! Moi je vous les cite pour vous.

  • Speaker #1

    Non, parce que j'ai des copains là-bas et tout.

  • Speaker #0

    Non, mais je vais vous les citer. Par exemple, est-ce que ça existe les Happiness Officers ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #0

    C'est quoi ?

  • Speaker #1

    C'est à la marge, mais c'est des gens qui sont censés veiller au bien-être des salariés. Ils arrivent avec des... Ils vont organiser les anniversaires ou des trucs comme ça.

  • Speaker #0

    C'est bien ça.

  • Speaker #1

    Faire en sorte qu'il y ait un saladier de bonbons qui soit rempli, des trucs dans le genre. Oui, oui.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qu'un growth hacker ?

  • Speaker #1

    Ah ça, ça, il y en a beaucoup.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est ?

  • Speaker #1

    Je n'ai jamais trop compris. Ils sont chargés... Si, ils sont censés générer de la croissance avec des petits hacks, des... petits bidouillages sur internet je sais pas tu t'es il faut savoir les éditions referment son nom professionnel oui et qu'on a tous un travail à côté donc on connaît le monde dans l'entreprise donc vous êtes tous un peu dans ce monde là de la tech et vous faites à côté un

  • Speaker #0

    travail comme un hobby qui est de découvrir benjamin stock c'est très bien tant mieux et donc le reste de votre vie n'a aucun sens mathieu en allemagne qui bosse au pmu par exemple

  • Speaker #2

    On a un autre qui bosse dans l'installation de télévision dans les hôpitaux. Il y en a qui font de l'e-commerce. Il y a un peu de tout. Il y en a un qui est à Dubaï, qui travaille pour des gouvernements.

  • Speaker #1

    C'est lequel à Dubaï ?

  • Speaker #2

    C'est Quentin.

  • Speaker #1

    Ah bon ?

  • Speaker #0

    La commission permet à Benjamin de connaître mieux sa maison d'édition.

  • Speaker #1

    Ils sont cinq et je suis beaucoup en contact avec Mathieu.

  • Speaker #0

    On continue avec la liste des métiers bizarres. Chief Information Officer.

  • Speaker #1

    Je crois, oui, c'est une variante de knowledge manager. C'est un boulot qu'on m'avait proposé. Et la personne qui me l'a proposé n'a pas vraiment réussi à me l'expliquer. Et je ne savais pas si je l'avais accepté. Elle m'a dit, c'est pour gérer la connaissance dans l'entreprise.

  • Speaker #0

    C'est kafkaïen quand même.

  • Speaker #1

    Oui, tout à fait.

  • Speaker #0

    C'est très marrant parce que Kafka et d'ailleurs d'autres, courte mine, ont décrit l'absurdité des débuts du capitalisme. Et puis là, on s'aperçoit qu'avec la révolution digitale, on a créé vraiment bien pire. Oui,

  • Speaker #1

    souvent le roman est dépassé par la fiction.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qu'un programme manager ?

  • Speaker #1

    Ça, je ne sais pas.

  • Speaker #0

    Et il y a des types qui sont payés et ils ne savent pas exactement ce que c'est que leur boulot.

  • Speaker #1

    C'est le sujet de votre livre. Oui, mais après, moi, je suis allé voir des organigrammes de boîtes sur Internet. Et puis, je n'ai pas côtoyé de programme manager, mais je sais que c'est un métier qui existe.

  • Speaker #0

    Donc, le roman maintenant, venons-en. Donc, ce héros qui s'appelle David Bomer, il a créé The Share Academy. C'est une start-up. Il ne sait pas très bien à quoi elle sert.

  • Speaker #1

    On ne sait même pas tellement ce que c'est. Est-ce que c'est une entreprise ? Est-ce que c'est une fondation ? Ça, on ne sait pas trop.

  • Speaker #0

    Et donc, en gros, c'est une satire de ce monde incompréhensible, où les gens sont très nombreux à travailler dans un bureau sans trop savoir pourquoi. En fait, c'est peut-être une agence de com'un peu digitale. Peut-être. Peut-être. Mais peut-être.

  • Speaker #1

    C'est possible aussi.

  • Speaker #0

    C'est une théorie. Et de cette histoire qui est très drôle au début... On arrive dans ce qui a posé problème pour la publication du livre, c'est que David rencontre une employée, Cheyenne, qui lit Marc Lévy, il se fout de sa gueule, et puis quand même, comme elle est très jolie, il s'intéresse à elle, et pour la séduire, il va se mettre à lire les livres de Marc Lévy, raconter la suite.

  • Speaker #1

    Alors il va lire les livres de Marc Lévy, et puis Cheyenne est une fille un petit peu cryptique, qui laisse entendre que Marc Lévy est quand même plus que ce qu'on croit, et lui, comme il est séduit par cette fille, peut-être un peu sous influence. Il va se mettre à penser comme elle, alors au début il se force un peu parce qu'effectivement il cherche un sujet de conversation, il veut boire un verre avec elle, et donc au début il va inventer un petit peu, puis finalement il va se prendre au jeu et finir par être vraiment convaincu qu'il y a des messages, alors on pourrait dire crypto-communistes ou... révolutionnaire, en tout cas très politisé dans l'œuvre de Marc Lévy qui n'est qu'une... Ce ne sont que des romans à clé en fait. Les métaphores très élaborées.

  • Speaker #0

    Les romans de Marc Lévy qui parlent souvent de fantômes, qui sont des romans d'amour principalement.

  • Speaker #1

    Au début en tout cas.

  • Speaker #0

    Dedans, on trouve des raisons de faire la révolution et de renverser le système dans lequel nous vivons. Et c'est une secte. Il y a une secte dans votre livre.

  • Speaker #1

    Alors oui, mais ça... C'est sujet à interprétation. C'est pas vraiment dit. Il va trouver un groupe de personnes...

  • Speaker #0

    Je vous enlève un cheveu,

  • Speaker #1

    parce que c'est votre première télé. Voilà, voilà.

  • Speaker #0

    Il faut quand même réussir. Pas sage.

  • Speaker #1

    Il va rencontrer un groupe qui lit Marc Lévy, un petit peu en cachette, et puis qui ont l'air de vraiment l'apprécier beaucoup, beaucoup. Mais enfin, on ne comprend pas vraiment tout ce que ces gens pensent. Et c'est pas certain que tout le monde pense la même chose. Donc c'est une interprétation possible, effectivement, que ce soit une secte et qu'ils soient tous d'accord pour avoir la même interprétation. Mais jusqu'au bout du roman, je pense qu'il y a une forme d'ambiguïté. Et peut-être que David est seul.

  • Speaker #0

    Ah, d'accord. C'était quand même possible. Peut-être que tout ça est dans sa tête.

  • Speaker #1

    C'est une possibilité et je crois que le roman fonctionne aussi avec cette lecture-là.

  • Speaker #0

    D'accord. Parce qu'on ne va pas raconter la fin, mais il y a une fin apocalyptique, ultra spectaculaire, ultra violente. Peut-être que tout ça n'est qu'un rêve. C'est un peu facile si c'est le cas. J'aime bien l'idée qu'il y ait vraiment, oui, un complot et qu'il arrive à une révolution à Paris.

  • Speaker #1

    Oui, oui, mais regardez bien. On ne va pas trop en dire, mais enfin, David, il est seul à la fin. Et d'ailleurs, il se rend compte. Il est de plus en plus seul. Et effectivement, il essaie de créer une révolution, etc. Mais on voit bien qu'en fait, chacun fait sa révolution à sa manière pour ses raisons. Et c'est la question, c'est est-ce qu'aujourd'hui, en fait, on peut faire une révolution quand on voit à quel point on est atomisés et à quel point on est tous regroupés dans des chapelles différentes qui sont minuscules ? Est-ce qu'on a encore une grande idée commune qui nous permettrait de faire la révolution ? Et on voit bien que David, à la fin, il en doute.

  • Speaker #0

    Mais c'est un roman, c'est marrant parce que c'est ce roman qui commence comme une blague un peu, en réalité extrêmement ambitieux. C'est pour ça d'ailleurs qu'il a été primé par le jury du Flore, un jury qui n'est jamais d'accord et qui, pour une fois, a voté pour vous à l'unanimité. Ça n'est pas arrivé depuis Houellebecq en 1996, donc c'est quand même extraordinaire. Et je pense que c'est pour cette raison-là, c'est parce que peut-être vous ne l'avez pas fait exprès, mais vous captez tout l'air du temps. Nous vivons en France dans une situation pré-révolutionnaire. Il y a du complotisme partout, y compris à la tête des États-Unis d'Amérique. Tout ça, vous le sentiez ? Chez nos élites aussi. Chez les ?

  • Speaker #1

    Chez nos élites aussi, parce que quand je parle du complotisme, on va croire que je me moque. En gros, des beaufs, des gens qui votent Trump, etc. Mais en fait, le complotisme, il est partout. Je veux dire, dans les médias, chez les intellectuels, il y a des raisonnements complotistes qui consistent à avoir une histoire du monde qui est simple, avec des gentils, des méchants. Je ne vais pas donner d'exemple tout de suite pour ne pas me faire trop d'ennemis. Ça concerne tout le monde,

  • Speaker #0

    ce mode de raisonnement. Vous êtes quand même parti de vous intéresser à ce mouvement.

  • Speaker #1

    C'est vrai que j'ai été fasciné par le mouvement QAnon pendant le Covid, donc pendant le Covid, confinement, je suis beaucoup sur internet, je m'occupe et je découvre le mouvement QAnon et c'est des gens qui vont commencer à surinterpréter des messages postés sur des forums, mais des messages vraiment complètement nuls, qui n'ont à peu près aucun sens, qui font quatre lignes. Et ces messages-là vont donner naissance à ce qui est quelque chose qui peut s'apparenter à une religion et qui va avoir plus de poids que certaines religions traditionnelles en un an ou deux ans. Et effectivement, c'est un grand récit, une grande conspiration d'extrême droite, où Donald Trump est un messie qui vient délivrer la population américaine en proie aux pédos satanistes. Mais du coup,

  • Speaker #0

    l'idée de base... La réponse à la question qui était dans le teaser. Oui !

  • Speaker #1

    Je me suis dit, moi je vais me faire plaisir, je comprends ces gens-là, on a besoin de grands récits, on a besoin de donner du sens à notre existence, mais moi je vais faire une conspiration qui me fait plaisir, je vais me faire une conspiration d'extrême gauche.

  • Speaker #0

    Mais pourquoi vous êtes arrivé sur Marc Lévy ? C'est ça qui est surprenant. Parce que c'est le romancier le plus populaire ?

  • Speaker #1

    Oui, il fallait se fixer un défi. Alors, il fallait que je trouve une conspiration dans l'endroit le plus insoupçonnable. Mais ça a failli être autre chose que Marc Lévy. J'ai hésité avec la magazine Astrapi, avec le magazine des cheminots de la SNCF. Ça aurait pu être plein de choses différentes. Marc Lévy, c'était un symbole. Et puis, beaucoup de gens avaient lu le premier. Donc, je trouvais ça sympa. De me fixer un défi difficile et de me dire, tiens, je vais réussir à trouver une conspiration dedans.

  • Speaker #0

    J'ai le point de départ du livre. C'est un dialogue qui est presque philosophique sur est-ce que le roman peut changer le monde ou bien il ne sert qu'à nous distraire. C'est d'ailleurs un roman qui critique les livres engagés. J'ai l'impression, votre livre. Ou est-ce un roman engagé ?

  • Speaker #1

    Oui, après, quand je dis que c'est engagé, je ne crois pas qu'un roman doit dire voilà ce que vous devez penser Je préfère que le roman soit relativement ambigu et puis je laisse le lecteur avec tout ça sur les bras. Mais oui, il y a quand même tout un tas de passages où le narrateur se permet de faire des analyses.

  • Speaker #0

    relativement univoque sur la politique la société oui mais même je dirais ce qui est intéressant c'est que vous au fond et vous le dites je vais vous faire lire un passage mais c'est vraiment pas fort moi je vous savez pas lire non je ne suis pas guillaume gallienne moi non mais vous lisez simplement ce que vous avez écrit et puis qu'on en reparle juste après parce que ce passage C'est très important parce que vous dites au fond qu'Internet, ça a été une utopie et que cette utopie,

  • Speaker #1

    elle a déçu. Oui. Lui et Diana s'étaient pris de fascination pour les nouvelles technologies et la possibilité de numériser tous les services. Ils se crurent au seuil d'une nouvelle ère où l'usage des biens l'emporterait bientôt sur leur possession. Il était évident que l'économie du partage était sur le point d'éclore et que cette révolution toucherait tous les aspects de la vie, du travail, de la production, notre rapport aux choses et notre rapport aux autres. Le couple rêvait, sans le savoir, de l'homme nouveau dont rêvaient les soviétiques, un homme meilleur au regard fier, la poitrine large, libéré des superstitions bourgeoises, prêt à tout partager, savoir, objet, pouvoir, à la force de son téléphone mobile. Prolétaires, paysans, jeunes cadres et milliardaires, tous unis par le covoiturage et le financement participatif. Je continue ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est bien, peut-être que vous lisez plus lentement.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    On sent que vous êtes pressé de finir pour passer à autre chose. Soyez gourmand avec votre...

  • Speaker #1

    Allez, tout en gourmandise. Tu te rends compte, disait Diana, il n'y aura plus d'employeur ni d'employé, mais seulement des entrepreneurs indépendants liés par des contrats libres. C'est la fin du salariat, c'est la fin du capitalisme.

  • Speaker #0

    C'est vous, c'est vous. C'est exactement votre vie. Continuez cher.

  • Speaker #1

    Je pourrais commenter ça après.

  • Speaker #0

    Mais oui, mais arrêtez-vous pour... commenter quand vous voulez.

  • Speaker #1

    En fin de compte, Internet n'avait rien aboli. Ni l'exploitation des hommes, ni celle de la nature. Au contraire, le fétichisme de la marchandise et l'isolement des individus atteignaient un pinacle. La révolution numérique fut seulement le nom d'un chassé-croisé, le remplacement d'une classe de dominants par une nouvelle génération de dominants, de la cravate au sweat à capuche.

  • Speaker #0

    De la cravate au hoodie, mais finalement, rien n'a changé. Non, mais... Non, mais c'est...

  • Speaker #1

    Parce que moi, j'ai connu des gens qui parlaient comme ça. Oui, oui. la première start-up où j'ai travaillé, les gens croyaient vraiment, dans ces milieux-là, avec le début de l'économie du partage, que c'était la fin du capitalisme. Mais bien sûr, on a trouvé tout un tas d'articles de l'époque qui disent ça. Et ce qui est marrant, c'est que j'ai fait un parallèle très intelligent, sans le savoir, c'est que, encore une fois, c'est un accident, mais je l'ai appris plus tard en écoutant un philosophe parler de ça, c'est qu'en fait... David va après se fasciner pour les Saint-Simoniens. Et les Saint-Simoniens étaient fascinés par la révolution industrielle. Et les réseaux, mais de chemin de fer. Il disait que les réseaux de chemin de fer vont amener le socialisme. Et tout ça, ce sera la fin du capitalisme, etc. Parce qu'on va s'interconnecter. Et en fait, c'était la même utopie. Et là, on a des réseaux numériques. On s'est dit, ça y est, en fait, tout est réglé.

  • Speaker #0

    Au début d'Internet, quand Internet arrive, je ne sais pas si c'est à la fin du XXe siècle ou au début du XXIe, on se disait que tout serait gratuit. que tout le monde échangerait tout, que c'était la fin des médias, la fin de la domination du capital. Vous qui travaillez là-dedans depuis des années et des années, vous êtes passé par cette phase d'utopisme ?

  • Speaker #2

    Je pense qu'on y a tous cru à un moment et que si on s'est lancé dans l'édition, c'était justement pour fuir ça qui était notre quotidien auquel on ne trouvait plus aucun sens.

  • Speaker #0

    Parce que vous êtes déçus, vous êtes des déçus du numérique.

  • Speaker #2

    On est des déçus du numérique, je pense. Et puis, ce que tu disais Benjamin sur ces jobs dont on ne comprend pas vraiment le sens, on ne sait plus très bien pourquoi on est au bureau, ce à quoi on sert. Je pense que ça nous a beaucoup touché, ça.

  • Speaker #0

    Oui, et le point de départ, c'est cette critique-là d'une utopie ratée. pour basculer après dans une tentative de révolution absurde. Mais pourtant, on a envie de savoir où vous vous situez. Est-ce que vous êtes un révolutionnaire ou un romancier qui se moque ?

  • Speaker #1

    Tu vois, on va devoir mettre les pieds dedans.

  • Speaker #0

    Vous pouvez rester ambigu. Non,

  • Speaker #1

    non, je n'ai pas envie de... Non, non, je suis de tendance révolutionnaire. Mais un peu désespéré. Et effectivement, je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, il soit possible de faire la révolution.

  • Speaker #0

    On verra bien dans les jours à venir.

  • Speaker #1

    Oui, mais effectivement, je trouve qu'on le voit bien. En fait, je crois que la société est quand même très, très fragmentée et il nous manque, ne serait-ce que ça, peut-être une gauche réelle, puissante. Je crois qu'aujourd'hui, la gauche est morte. Elle doit repartir de zéro. ça prendra 10, 20, 30 ans. Mais aujourd'hui, la gauche ne peut plus penser au pouvoir. Mais ce qui fait que beaucoup de gens doivent être désespérés, ils veulent reprendre le contrôle sur les choses, et donc ça peut mener à des accès de violence quand on est un peu trop impatient. Tout le monde n'a pas envie d'attendre 30 ans.

  • Speaker #2

    C'est vrai que vous posez cette question, parce qu'en fait, quand on a lu le bouquin, on s'est dit, il est complètement inclassable, ce bouquin. Et en fait, dans la réception critique, on a des gens de droite qui disent, c'est génial, c'est la dénonciation ultime du wokisme, etc. Et puis des gens comme Arnaud Vivian, qui considère que c'est un appel à la révolution géniale et en fait le bouquin est vraiment très très ambigu là-dessus.

  • Speaker #0

    Oui mais c'est ça qui est bien, je pense que le rôle d'un roman n'est pas de prendre position mais simplement de, voilà, comme dit Stendhal, d'être un miroir qu'on promène le long du chemin.

  • Speaker #1

    Je pense que tu peux prendre position. Mais quand il y a des dialogues entre les personnages, il ne faut pas tricher et faire que l'autre passe pour un con. On est obligé de lui mettre les meilleurs arguments dans la bouche. Voilà, c'est plutôt là-dedans. Oui,

  • Speaker #0

    c'est vrai. C'est vrai qu'on peut voir une influence des romanciers sarcastiques de la fin du XXe siècle. Je pense à Houellebecq, à Patrice Jean, peut-être à Belcantin, mais peut-être vous allez me dire pas du tout, je ne les ai jamais lus.

  • Speaker #1

    Je ne les ai pas beaucoup lus. J'ai lu un petit peu Houellebecq, mais non, j'ai lu... Il faut savoir que je n'ai pas une grosse culture littéraire. et que surtout j'ai lu très peu d'auteurs contemporains.

  • Speaker #0

    Donc d'où vient votre désir de renverser la table, de regarder le monde et de rire comme ça ?

  • Speaker #1

    Avec ce rire-là diabolique ? Oui. Non, mais c'est plus l'idée de la création. Moi, je n'ai jamais vécu sans créer un truc. Alors, ça a beaucoup été l'écriture, mais... Il y a des époques où j'ai essayé de... On a fabriqué des jeux vidéo, j'ai fait des projets multimédia, j'ai fait... Enfin, j'ai tenté différents trucs, quoi. L'écriture, ça me réussit bien, ça me plaît bien, et puis globalement, ça coûte pas cher par rapport au reste, alors...

  • Speaker #0

    Mais quand vous voyez... C'est marrant, parce que vous donc... Moi, je viens...

  • Speaker #1

    Et puis je dis pas que je lis pas, hein !

  • Speaker #0

    Je viens du milieu littéraire, voilà, et de la presse, j'ai fait un peu de tout, mais aujourd'hui, grâce au numérique... J'arrive à faire ce podcast et à être complètement libre. Donc, il y a aussi du positif. C'est ça qui est étonnant. Alors que moi, j'ai beaucoup critiqué les réseaux sociaux et tout. Je voyais un peu du George Orwell là-dedans. Aujourd'hui, je peux faire une émission, vous inviter et on parle librement aussi longtemps qu'on le veut. L'émission, elle peut durer cinq heures. Je vois la tête de nos techniciens qui sont un petit peu en panique. Et ça, il y a donc du positif aussi ?

  • Speaker #1

    Ah oui, évidemment. Mais moi, ce n'est pas un livre... Non, les réseaux sociaux, j'ai un vrai problème avec ça. Mais justement, moi, je suis arrivé sur Internet, comme tout le monde ici, je suppose, dès le début. En fait, on oublie un peu, les jeunes générations ont oublié qu'il n'y avait pas les réseaux sociaux. Internet existait avant et c'était mieux. Les réseaux sociaux, c'était quand même des énormes boîtes qui coûtent des milliards, etc., qui vont en fait récupérer Internet et en faire un système plus fermé qu'avant. Mais avant, c'était la même chose, en plus ouvert. Il y avait des forums, des Ausha, tout un tas de trucs, des sites amateurs. C'était le Far West et c'était génial. Et ça existe encore un peu, mais bon, aujourd'hui, c'est un peu oublié.

  • Speaker #0

    Mais juste pour finir sur les réseaux sociaux, ce que vous reprochez, c'est qu'ils collectent des informations sur les citoyens pour leur envoyer des pubs. Ça, c'est ma paranoïa à moi, mais quelle est la vôtre ?

  • Speaker #1

    C'est qu'on se soumet à des algorithmes, en fait, on demande à des algorithmes de juste de maximiser le taux de clic, en gros. Et après, on les laisse faire, on ne sait pas ce qu'ils font. Et globalement, on voit que ce qu'ils font, c'est maximiser des émotions négatives chez les gens, fracturer la société, etc. Pas parce que les algorithmes sont méchants, mais c'est que apparemment, ça marche et ça maximise le taux de clic. Et oui, je pense qu'ils font beaucoup de mal à la société. On sait qu'ils font beaucoup de mal aux jeunes. J'entendais ce matin, l'Australie vient interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans.

  • Speaker #0

    Moins de 16 ans ?

  • Speaker #1

    Je trouve que c'est des trucs qu'on devrait... Ça fait des dégâts chez les jeunes quand même. Ce serait bien,

  • Speaker #0

    ce serait bien. Et je me tourne vers vous, Mathieu. C'est quand même symboliquement intéressant que, travaillant dans le digital... vous passez par une phase d'enthousiasme puis de dépression, et qu'est-ce que vous faites ? Vous ouvrez une maison d'édition de livres en papier. Genre, c'est comme si vous reveniez à l'âge de Pierre. Vous êtes dans une cave à lire des manuscrits, à faire des corrections sur des manuscrits. C'est fascinant, c'est comme dans un roman de Ray Bradbury.

  • Speaker #1

    C'est un peu ça, oui. Mais je pense que c'est une sorte de bulle d'oxygène dont on a besoin, de revenir à du papier, effectivement de quitter les réseaux sociaux. Et puis je pense qu'on le fait en plus de façon hyper artisanale. Je pense qu'il y a aussi ça, lire des manuscrits, prendre le temps. C'est un temps qui est beaucoup plus long aussi, l'édition, que les métiers qu'on fait habituellement. Je crois que c'est ça qui nous a vraiment...

  • Speaker #0

    Qui vous plaît. Vous vous sentez libéré ?

  • Speaker #1

    Et puis on le fait sans contrainte économique en plus. Donc on est vraiment des artisans, on sort ses livres, on sort tout ce qu'on a envie de sortir, quand on veut.

  • Speaker #0

    Et maintenant qu'il a eu le prix de Flore, est-ce que vous voyez des différences de vente ? Est-ce que vous allez lui donner beaucoup d'argent ?

  • Speaker #1

    Alors c'est une discussion qu'il faut qu'on ait dans pas longtemps. Mais on sent que Benjamin commence à nous demander, c'est normal.

  • Speaker #2

    Non mais il ne demande jamais. Moi mes amis passent mon temps à me demander, ils me disent mais alors,

  • Speaker #0

    t'en vends combien ? Et je ne sais pas,

  • Speaker #2

    je ne demande jamais.

  • Speaker #0

    Est-ce que ça marche ?

  • Speaker #1

    Oui, ça marche.

  • Speaker #0

    Donc le prix de fleurs a un effet.

  • Speaker #1

    En fait, on a eu une commande massive deux jours après. Donc ça marche tout de suite. Donc on a vu la différence, c'est massif.

  • Speaker #0

    Vous avez fait un bandeau rouge ?

  • Speaker #1

    On a fait un bandeau rouge qu'on avait prévu à l'avance.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous vous doutiez un petit peu ?

  • Speaker #1

    Pas du tout. En vérité, on ne pensait vraiment pas qu'on l'aurait. En fait, on avait fait un peu, c'était un petit peu house of cards. On avait regardé un petit peu qui allait voter pour qui. On pensait bien que vous alliez voter pour nous. On s'était dit que Vivian allait voter pour nous aussi. Mais voilà, on pensait avoir 2-3 voix. Vous êtes 12.

  • Speaker #0

    Non mais là, vous avez eu 11 voix sur 12. Je ne sais pas si vous voyez, ça n'existe pas. Ça n'arrive jamais.

  • Speaker #2

    Je sais qu'il n'a pas voté pour nous. Il m'a dit de toute façon, je vote toujours à l'inverse de tout le monde pour faire chier. Donc, voilà.

  • Speaker #0

    Non, c'est elle.

  • Speaker #2

    Ah c'est elle ? Oui,

  • Speaker #0

    c'est Michel Fittoussi. Moi je lui le dis, je m'en fous. Elle l'assume.

  • Speaker #2

    Bon, alors ce n'est pas lui. Je pense à quelqu'un d'autre.

  • Speaker #0

    Bon, avez-vous rencontré Marc Lévy, oui ou non ?

  • Speaker #2

    Ah bah non !

  • Speaker #0

    À ce jour, toujours pas. Mais écoute, on lui a envoyé le livre, on voulait qu'il vienne à la soirée vous décerner le prix, j'aurais beaucoup aimé qu'il soit là aussi aujourd'hui.

  • Speaker #2

    Oui, mais je comprends qu'il n'a pas envie de participer à la promo d'un roman qui n'est pas le sien.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce que lui-même a un livre en promo. Ben oui ! Ça s'appelle La librairie des livres interdits et c'est sur la censure et c'est sur aussi le même sujet que vous, l'autre réalité, les faits alternatifs. Donc c'est fou que le vrai Marc Lévy... Ce mois-ci, en même temps que vous, prend la défense des livres interdits. Mais refuse de vous rencontrer. C'est paradoxal.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on lui a... On l'a contacté...

  • Speaker #2

    Vraiment ?

  • Speaker #1

    Par cinq ou six biais, ouais.

  • Speaker #2

    Il a fait ça,

  • Speaker #0

    c'est toujours pas fait.

  • Speaker #1

    Non, ça c'est toujours pas fait. Mais bon, on ne désespère pas.

  • Speaker #0

    Non, il faut qu'il lise le livre. Parce que le livre n'est pas agressif.

  • Speaker #2

    Non, mais surtout, c'est même pas sur Marc Lévy. Marc Lévy n'est qu'un prétexte. Encore une fois, ça aurait pu être quelqu'un d'autre. Bon, c'est tombé sur lui. Parce que c'est un personnage public. Mais...

  • Speaker #0

    Et surtout parce que vous aviez une revanche à prendre Mais non ! Pour un romancier qui a plus de succès que vous,

  • Speaker #2

    c'est tout Oui, mais tant mieux pour lui,

  • Speaker #1

    je suis content Et puis Marc Lévy est devenu très politique Je ne sais pas si vous le suivez un peu Il a changé le bouquin Il en a écrit un justement contre les réseaux sociaux Oui,

  • Speaker #0

    il critique Marc Zuckerberg D'ailleurs, tout ça est dans le livre Dans votre livre,

  • Speaker #2

    vous parlez de la transformation de Marc Lévy en homme politique Je cite ses romans et je cite aussi ses interviews Et je n'invente rien Oui, oui Toutes les citations sont réelles. Je crois qu'à l'époque, il y avait même les notes de bas de page pour dire ça vient de telle radio.

  • Speaker #0

    Je pense que personne n'a jamais fait un tel travail d'exégèse sur l'œuvre de Marc Lévy.

  • Speaker #2

    Si je vous dis, on en parle. Il y a un thésard sur Marc Lévy, indonésien. Indonésien ? C'est cité dans le bouquin. Je crois qu'il y a une thèse d'un étudiant étranger.

  • Speaker #0

    Je croyais que c'était inventé, moi. Non,

  • Speaker #2

    ce n'est pas une blague.

  • Speaker #0

    L'absurdité du monde contemporain est également symbolisée par le lancement de la moutarde goût mojito.

  • Speaker #2

    C'est pas symbolisé, je crois que ça existe. Et vous allez goûter ? Non, mais je crois qu'il existe des moutardes goût morito. J'ai pas goût... Non, j'ai autre chose à faire. J'aime bien le morito et la moutarde, mais alors ensemble...

  • Speaker #0

    Mais ensemble, ça paraît bizarre. Et donc...

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup de trucs qu'on croit que c'est inventé, et en fait, non. Le monde est vraiment pire que...

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #2

    J'arrive pas à suivre.

  • Speaker #0

    Je me demandais si je faisais le jeu Devine tes citations cette semaine, sachant que vous n'avez qu'un livre. Si je vous demande... Alors, faisons-le. Faisons-le. Toutes sont issues de Marc, mais il y a des pièges. Ok, alors attention. Un livre, ça doit faire réfléchir, ça doit produire des formes nouvelles, ça doit empêcher de dormir. Un livre qui sert à se sentir bien, c'est un antilivre, c'est un dévoiement.

  • Speaker #2

    C'est le premier chapitre de Marc.

  • Speaker #0

    Dans Marc, 2024. Donc j'en déduis que vous n'aimez pas Mélissa d'Acosta non plus.

  • Speaker #2

    Là, on parle de Desperso à ce moment-là.

  • Speaker #0

    Non, mais je veux dire, le livre qui aide à se sentir bien, c'est...

  • Speaker #2

    Je ne connais pas Melissa Dacosta.

  • Speaker #0

    C'est une tendance. Aujourd'hui, ce sont les livres qui ont en tête des ventes. C'est un mot des ventes. Même plus que le prix Goncourt. C'est des livres qui considèrent que la littérature, c'est un lexomile. Oui, oui.

  • Speaker #2

    Je ne la connais pas,

  • Speaker #0

    elle. Vous parlez de ça. Autre phrase de vous. Dans quel livre avez-vous dit ça ? Tu crois que les écrivains... Tu crois que les écrivains font les époques, mais ils ne font que respirer l'air du temps et le transcrire sur papier.

  • Speaker #2

    C'est dur, mais c'est le premier chapitre encore.

  • Speaker #0

    C'est qui ? C'est Youssef qui parle. Vous êtes plus de l'avis de Youssef ou de l'avis de...

  • Speaker #2

    Je ne sais pas. C'est un débat que je n'ai pas tranché. Je passe mon temps à penser l'un ou l'autre, et puis quand on écrit, des fois on a des expériences, on se dit ça sert à rien, et tout le monde s'en fout, et puis des fois on se dit c'est important. Je vais de l'un à l'autre.

  • Speaker #0

    Un manuscrit que vous envoyez à une toute petite maison d'édition, il est publié, personne n'en parle, aucun journal n'en a parlé, et puis tout d'un coup, il a le prix de flore. Bon, il y a eu quand même un article que j'avais écrit moi, et puis un autre dans le Nouvel Obs, mais franchement, il y avait. Il y a eu quoi d'autre ?

  • Speaker #1

    Le masque.

  • Speaker #0

    Le masque ! Arnaud Vivian au masque et la plume. C'est juste ça. Oui,

  • Speaker #2

    ça c'est bien. Pour moi, c'est déjà extraordinaire.

  • Speaker #0

    Ce que je veux dire, c'est qu'un roman peut finir par atteindre son but. C'est ça qui est miraculeux dans votre aventure. Oui,

  • Speaker #2

    c'est un miracle. C'est d'ailleurs ce qu'Arnaud Vivian m'a dit, un des jurés du Prix de Flore. Il me dit qu'un prix, c'est toujours un miracle. Il me dit qu'il a failli ne jamais l'ouvrir. Je sais que vous n'avez pas aimé la couverture, mais lui, il a ouvert.

  • Speaker #0

    Non mais je critique cette couverture parce que je trouve qu'elle est encombrée. Elle est un peu encombrée.

  • Speaker #2

    Du coup,

  • Speaker #0

    moi, elle m'a détourné. Je me suis dit, bon, je regarderai plus tard. Elle dénote.

  • Speaker #1

    La couverture est morte parce qu'on voulait mettre Marc Lévy en couverture. Puis on a débattu ce qu'on met Marc Lévy, on ne met pas Marc Lévy, etc. Et à la fin, on s'est dit, on ne met rien. On va l'appeler Marc. Le roman ne s'appelait pas comme ça à l'origine. On met Marc et on ne va rien mettre du tout.

  • Speaker #0

    Et peut-être que si vous aviez mis la photo de Marc Lévy, là, vous auriez eu un procès. Mais vous auriez vendu beaucoup plus d'exemples. Autre phrase, attention.

  • Speaker #2

    Je me concentre.

  • Speaker #0

    Une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre.

  • Speaker #2

    Alors ça, c'est pas moi.

  • Speaker #0

    Bien plus. C'était le piège. C'était Houellebecq dans Anéantir. D'accord. Une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre. C'est à dire en 2022. Je cite Houellebecq parce que c'est le dernier à avoir eu l'unanimité avant vous, au jury du Flore. Autre phrase. Tu crois vraiment qu'un jour, on lira Houellebecq à l'école, quand il décrit ses branlettes sur YouPorn, ou quand il s'attarde sur le goût du poulet teriyaki picard au micro-ondes ? Oui.

  • Speaker #2

    Il parle de ce goût-là dans Soumission. Il parle des plats picards au micro-ondes. Oui.

  • Speaker #0

    C'est dans Marc. Mais moi, je trouve qu'elles sont très bonnes, les brochettes de poulet Picard.

  • Speaker #2

    Ouais, non, sur la nourriture, je suis très, très, très fait maison.

  • Speaker #0

    D'accord, vous êtes contre ?

  • Speaker #2

    Non, je ne suis pas contre, mais je suis une fine gueule.

  • Speaker #0

    Oui, tant mieux. Je cuisine tout. Vous n'habitez pas à Paris.

  • Speaker #2

    Non, j'habite à la campagne.

  • Speaker #0

    Comme moi. Oui, nous avons ça en commun, et la chevelure et la barbe. Voilà. Et rien d'autre. Vous ne l'avez pas remarqué ? Notre époque est prête à croire n'importe quoi. N'importe qui peut devenir chef de secte. Les temps sont mûrs pour un véritable nouveau messie.

  • Speaker #2

    Ça vient de Mars.

  • Speaker #0

    Mais vous pensez vraiment que nous sommes, par exemple, comme la République de Weimar avant l'avènement d'Hitler, que c'est ça, on est dans une avant-guerre, une avant-révolution ?

  • Speaker #2

    Oui, la situation est fragile. Je pense que les gens sont prêts à croire en n'importe quoi. Oui, les gens sont désespérés. On a besoin de croire en quelque chose, en quelqu'un. On a besoin d'être rassemblés par un discours rassembleur. Là, les fruits sont mûrs. Quelqu'un peut cueillir. Oui, oui.

  • Speaker #0

    la seule chose qu'il avait faite mieux et plus que les autres, c'était de boire.

  • Speaker #2

    Oui, cette phrase, ça me gêne parce que vous l'avez citée, et c'est le moment de faire mon mea culpa, vous l'avez citée dans votre article. C'est une phrase de moi, mais dans ma tête, c'était quand même un peu une espèce de clin d'œil à Guy Debord qui a dit une phrase très similaire. Enfin, très similaire. Il peut la retrouver, donc c'est une forme de plagiat.

  • Speaker #0

    C'est embêtant. Ça fait deux fois que je cite une phrase qui n'est pas de lui. Non, mais est-ce que c'est vrai ? Non,

  • Speaker #2

    mais il dit un truc qui ressemble un peu, parce qu'il parle du fait qu'il passe son temps à Paris à boire, à palabrer. Bon, Guy Debord, je crois, avait un peu cette vie-là. Oui, oui. Et il dit un truc, il dit dans ma vie, il dit un truc un peu similaire. Mais bon, il faut savoir qu'on écrit ce qu'on commence, et ça me permet de le sentir beaucoup plus léger. Ça va faire beaucoup rire ma copine quand elle va entendre ça.

  • Speaker #0

    Une autre phrase. Oui. Le monde de Marc était celui des larges avenues pétrifiées d'ennuis, des cavalcades de tapis empourprés, des scooters à trois roues, des courriers à en-tête sur papier moelleux, des lambris et des meubles design. des coursiers, des chaussettes parmes, des chaussures à boucle, des initiales brodées sur des chemises Ausha, des notes de frais, des arrondissements à un chiffre, des clients tyranniques, des talons aiguilles et de l'argent.

  • Speaker #2

    C'est pas mal, c'est pas moi.

  • Speaker #0

    Non, c'est la belle Quentin. Le voyant des Tempes, prix de flore 2021, un prédécesseur. Un truc qui, on en a parlé il y a peu de temps, mais pourquoi, à votre avis, les auteurs qui critiquent l'ultralibéralisme... se retrouvent souvent catalogués de droite. C'est absurde, c'est un paradoxe.

  • Speaker #1

    Tu veux répondre ? Non, vas-y, vas-y.

  • Speaker #2

    Je pense que beaucoup de gens sont de gauche, mais ne le savent pas. On a un peu oublié ce que c'était que la gauche, mais parce qu'il y a trop de bruit, trop de foin sur, je ne sais pas... Les gens croient qu'être de gauche, c'est avoir des cheveux bleus dans une université américaine, avoir des pronoms, ou c'est être Sandrine Rousseau, parler du barbecue.

  • Speaker #0

    Pas connaître son sexe.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas, mais bon, je pense qu'il y a beaucoup de confusion aujourd'hui, mais je crois que beaucoup de gens sont de gauche, mais ne le savent plus.

  • Speaker #0

    Mais Abel Quentin, c'est intéressant. Il fait donc une moquerie, comme vous, sur ce monde de la bourgeoisie, de l'entreprise et tout. Et puis, le livre suivant, il est engagé... À gauche, il est engagé, en tout cas, écolo, responsable, fin du monde, attention. Peut-être que les gens l'ont pris pour un type de droite, mais il ne l'était pas.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas, il y a peut-être le précédent Houellebecq. En fait, le truc, c'est que les écrivains, ils changent souvent. Ils commencent plutôt à gauche. Et puis, en vieillissant, on en a vu beaucoup qui étaient quand même de plus en plus de droite. Alors, je ne sais pas, peut-être que... En fait, les gens ne se laissent plus avoir. Ils voient un jeune de gauche arriver et ils se disent De toute façon, c'est un futur de droite

  • Speaker #0

    Mais je pense que malheureusement, c'est aussi une question d'âge. C'est-à-dire qu'on peut être très engagé, révolutionnaire à 20 ans et puis à 60, 70 ans, on veut protéger et sauver ce qui peut l'être.

  • Speaker #2

    Oui, c'est ce qui se dit. Mais enfin, il y a plein de gens très vieux qui sont encore très de gauche. Mon cas n'est pas désespéré. Je vous ai cité Bertrand Russell. Il a fini centenaire et il était encore socialiste libertaire. Cela dit, il était dans ses jeunes années anarchiste, enfin sympathisant anarchiste. Et en vieillissant, effectivement, il s'est décalé un petit peu à droite. Enfin, ce qui veut dire quand même...

  • Speaker #0

    Donc tout n'est pas foutu, on n'est pas nécessairement un réac parce qu'on est vieux ?

  • Speaker #2

    Non, non, non, je ne pense pas. On se demande ce que je pense, d'où je viens, mais en fait, moi, je pense des choses extrêmement banales. Si vous voulez savoir ce que je pense, en général, quand je ne sais pas quoi penser, j'achète Le Monde Diplomatique, je suis aligné dessus. Mais il n'y a que des vieux qui écrivent dedans, ce n'est pas un journal de jeunes.

  • Speaker #0

    Cette émission est parrainée par le Figaro Magazine. Voilà. Je vous demande s'il vous plaît de changer de lecture. Bien, alors, les conseils de professionnels, c'est des conseils de lecture ? Oui,

  • Speaker #2

    j'ai des mémoires,

  • Speaker #0

    tout est là. Parce que de toute façon, on n'est pas bon quand on n'a pas préparé cet interrogatoire. Ah ben non,

  • Speaker #2

    impossible.

  • Speaker #0

    Il faut préparer. Donc, je vous demande simplement, puisque vous connaissez bien le numérique, de regarder la caméra. Ah oui ? Car il faut rester instagrammable et moi, je ne suis plus là. Donc, vous ne me regardez pas. Un livre qui donne envie de pleurer ?

  • Speaker #2

    Alors, La Nouvelle Famille de Shun, c'est un livre pour enfants. Et Shun est une petite chienne abandonnée dans les bois. C'est dévastateur.

  • Speaker #0

    Vous avez chialé comme une madone.

  • Speaker #2

    Oui, surtout que Sa Nouvelle Famille, c'est une famille d'oies. Elle est adoptée par des oies. Et qui veut être adopté par des oies ?

  • Speaker #0

    et surtout quand on est un chien.

  • Speaker #2

    Oui, oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer ?

  • Speaker #2

    Un livre que j'ai lu récemment, Endkind de Charlie Kaufman, qui s'est fait connaître comme scénariste.

  • Speaker #0

    Dans la peau de John Malkovich.

  • Speaker #2

    Exactement, et qui a écrit, qui est plus vraiment bienvenu à Hollywood parce qu'il a perdu trop d'argent. Et donc là, il a fait un roman colossal de 900 pages qui est absolument irracontable et qui est très drôle.

  • Speaker #0

    Et le titre encore ?

  • Speaker #2

    Antkind, ce qui se traduirait par du genre fourmi.

  • Speaker #0

    Ah oui, kind of ant. Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #2

    Il y en a plein. Moi, je m'ennuie beaucoup. Mais je vais dire Tolstoy. C'est pas un livre.

  • Speaker #0

    Mais quelle honte !

  • Speaker #2

    Comment osez-vous ? C'est pas un livre, mais j'ai essayé de lire Anna Karenin, Gare et Paix. Ça aurait pu rentrer aussi dans la catégorie des livres que j'ai fait semblant d'avoir fini. Oui. Et pourtant, j'aimerais beaucoup l'aimer parce que j'adore le gars et ce qu'il représente et tout ce qu'il dit à côté. Notamment, il a écrit des espèces d'essais.

  • Speaker #0

    Oui, mais peut-être qu'il faut commencer par les essais, justement.

  • Speaker #2

    J'ai beaucoup aimé. J'aime beaucoup tout ce qu'il dit, tout ce qu'il pense. Mais ces romans, je n'y arrive pas.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue ?

  • Speaker #2

    J'ai mis Raymond Queneau, Aux confins des ténèbres, parce que c'est un livre pas connu et qui parle de livres encore moins connus. En fait, c'est un essai. C'est Raymond Queneau qui va dans les bibliothèques et qui va chercher des livres de ce qu'il appelle des fous littéraires. Donc des gens qui sont effectivement parfois des caps psychiatriques ou alors des gens qui ont eu des théories farfelues et qui n'ont jamais eu de postérité. Et donc, on va découvrir une dizaine ou une quinzaine de bouquins complètement délirants. Je vous en cite juste un, un bouquin de Pierre Roux, qui était un homme persuadé que le soleil était fait en excréments. Voilà, ça existe.

  • Speaker #0

    Un livre qui rend intelligent,

  • Speaker #2

    à part le vôtre. Oui, un livre qui m'a changé la vie, moi, par exemple, il y en a eu plein, mais Histoire de la philosophie occidentale de Bertrand Russell. Parce que c'est un livre qui fait l'histoire de l'Occident, l'histoire de la philosophie, mais surtout Bertrand Russell était quelqu'un de très irrévérencieux, très drôle.

  • Speaker #0

    Je sens que c'est votre maître à penser, vous l'avez beaucoup cité dans l'émission.

  • Speaker #2

    Ouais, j'aurais pu en citer d'autres, mais oui oui. Ouais Bertrand Russell, pour le coup, j'ai vraiment beaucoup beaucoup lu. Et encore une fois, il a cette attitude vis-à-vis des philosophes qui est une attitude pas tellement respectueuse, et ça fait énormément de bien parce qu'on n'a pas cette habitude-là.

  • Speaker #0

    Je vais quand même vous demander un petit peu plus de concision parce que je vous rappelle que...

  • Speaker #2

    Pardon pardon !

  • Speaker #0

    Dans le digital, dans le monde digital, Rien ne doit durer plus d'une minute trente. Allez,

  • Speaker #2

    c'est parti.

  • Speaker #0

    Un livre pour draguer.

  • Speaker #2

    Les deux étendards de Lucien Rebattet, qui n'est pas un homme aimable, mais qui a écrit une histoire d'amour sublime, très longue, où se mêlent aussi beaucoup de religions.

  • Speaker #0

    C'est pour draguer, mais que dans un congrès du Rassemblement national.

  • Speaker #2

    Non, j'ai dragué plein de filles avec ça.

  • Speaker #0

    Ce sera coupé. Un livre que je regrette d'avoir lu.

  • Speaker #2

    Euh... ou bah je mets... L'être et le néant.

  • Speaker #0

    Oui, vous moquez beaucoup de l'être et le néant de Sartre dans Marc, c'est vrai. Oui,

  • Speaker #2

    je pense que ça incarne un peu une dérive de la philosophie qui consiste à écrire de manière extrêmement compliquée pour dire des choses pas très intéressantes.

  • Speaker #0

    Un livre que je fais semblant d'avoir fini, bah vous avez déjà dit...

  • Speaker #2

    Non, attends, j'en ai...

  • Speaker #0

    Ah, il y en a un autre ?

  • Speaker #2

    Ouais, non, mais comme tu veux.

  • Speaker #0

    Un livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #2

    J'en profite pour parler de Abattoir 5, de Kurt Von Goode, que j'ai lu récemment, qui est un livre complètement inclassable, où il parle de la guerre qu'il a connue, des bombardements de Dresde, et en même temps de son enlèvement par des extraterrestres. Et ça souligne l'absurdité de tout ça.

  • Speaker #0

    Oui, c'est un peu votre univers.

  • Speaker #2

    Et c'est très drôle.

  • Speaker #0

    Mais en même temps, on le sait, le livre que vous auriez aimé écrire, c'est Et si c'était vrai ? De Marc Lévy. Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu ?

  • Speaker #2

    Je vais mettre toute la littérature de Dave Perso dedans.

  • Speaker #0

    Qui c'est ça ?

  • Speaker #2

    Toute la littérature de Dave Perso.

  • Speaker #0

    Dave Perso ?

  • Speaker #2

    Dave Perso ? Non, de développement personnel.

  • Speaker #0

    Ah, personne n'avait compris.

  • Speaker #2

    Sérieux ? Oui. Vous ne dites pas Dave Perso ?

  • Speaker #0

    Non, de développement personnel. C'est drôle ça. Ils vont en faire une miniature pour Dave Perso. La littérature de Dave Perso.

  • Speaker #2

    Non, oui, le développement personnel, oui, je crois que là, on atteint un niveau d'indigence, de nullité historique dans l'histoire de l'humanité.

  • Speaker #0

    Le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Speaker #2

    Je lis deux trucs. Je lis les petits textes d'Alphonse Allais, qui est quelqu'un de très comique et qui écrit extrêmement bien. Et je lis un manga qui s'appelle Berzerk, un manga culte des années 80. Et je recommande les deux. Ça n'a rien à voir, mais ça se complète bien.

  • Speaker #0

    Merci infiniment, Benjamin Storg, Mathieu Lecomte. Merci beaucoup. Et je... Ce n'est pas que je conseille, c'est que j'ordonne à tout le monde de lire Marc de Benjamin Stock aux éditions Rue Fromentin pour comprendre pourquoi on est dans ce monde incompréhensible. Cette émission vous est présentée, comme je l'ai dit, en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Et l'ingénieur du son se nomme Guilhem Pagelache. La réalisation et le montage vidéo sont faits par ma fille Chloé Becbedé. Et n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous crèverez idiot et seul.

Description

LA RÉVÉLATION DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE.

Lauréat du Prix de Flore 2024, Benjamin Stock n'a pas eu peur de changer de café pour venir chez Lapérouse répondre à mes questions. Son roman "Marc" est un coup de maître qui démonte notre époque de fake news, de complotisme, de révolution impossible et d'utopies déçues.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir à toutes et quand même aux autres. Vous écoutez Conversations chez la Pérouse et je parle comme un steward d'Air France. Une émission de Frédéric Beigbeder sans aucun patron est strictement impossible à virer. Avec cette semaine,

  • Speaker #1

    Benjamin Stock.

  • Speaker #0

    Pour son livre,

  • Speaker #1

    Marc.

  • Speaker #0

    Aux éditions,

  • Speaker #1

    Rue Fromentin.

  • Speaker #0

    Et en présence de son éditeur,

  • Speaker #2

    Mathieu Lecomte.

  • Speaker #0

    Je salue ce professionnalisme de générique. On remercie Émile Fournier pour cette interprétation de Misty. Bien, bienvenue Benjamin Stock et bravo pour votre prix de flore 2024 pour Marc aux éditions Rue Fromentin. Mais avant de parler de votre livre, je suis rémunéré pour parler de Mésopotamia d'Olivier Ghez. Olivier Ghez qui avait reçu le prix Renaudot en 2017 pour la disparition de Joseph Mengele. Il revient avec ce livre époustouflant et je ne le dis pas parce que je suis payé. Je le dis parce que je le pense et je précise d'ailleurs pour nos spectateurs que les livres dont je fais la publicité, je les sélectionne. Si je n'aime pas, je refuse l'argent. Bien, je suis tellement intègre. Donc, c'est le roman du Moyen-Orient au XXe siècle. L'histoire de Gertrude Bell, la femme la plus puissante de l'Empire britannique dans les années 20. Elle était à la fois exploratrice, archéologue, alpiniste, écrivaine. espionnes, polyglottes. Et dans le livre, on voit Laurence d'Arabie, on voit Winston Churchill. Et si vous voulez l'ambiance, pour vous convaincre de lire ce livre, en ce début d'année 2025, c'est Indiana Jones, mais s'ils étaient une femme, et à Bagdad, et en 1917. Donc c'est Mésopotamia d'Olivier Guez chez Grasset. Maintenant, c'est la fin de la publicité, on peut commencer à parler. Je vous félicite. D'abord, quel âge avez-vous, Benjamin Stock ?

  • Speaker #1

    Je ne sais jamais, je crois que j'ai 36 ans.

  • Speaker #0

    36 ans, très bien. Marc est donc un roman complètement fou. Et je suis assez heureux que vous ayez 36 ans parce qu'on me dit que je n'invite que des vieux dans cette émission. C'est vrai que j'invite des gens qui ont une œuvre derrière eux, qui ont en général entre 20 ou 30 livres derrière eux.

  • Speaker #1

    Miguel Bonfoy, il est jeune.

  • Speaker #0

    Miguel Monfoy est jeune, mais il a déjà six ou sept romans. Oui, c'est vrai. C'est rare que j'invite, parce que comme je suis pendant une heure avec vous, c'est compliqué d'inviter quelqu'un qui n'a qu'un roman, c'est votre cas. Mais on va y arriver.

  • Speaker #1

    J'espère, on va trouver des choses à dire.

  • Speaker #0

    On va y arriver très, très facilement parce que j'ai adoré le livre. Mais enfin, je suis content de recevoir un jeune pour une fois, qui vient de recevoir le prix de Flore. Comment s'est passée la soirée du prix de Flore ? J'ai l'impression que vous étiez assez agité.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    Vous avez donné beaucoup d'interviews, bien sûr.

  • Speaker #1

    On y est allé ensemble avec mes éditeurs,

  • Speaker #0

    qui sont cinq. Oui, les cinq éditeurs et leurs femmes. Ça fait dix personnes. Et c'était quand même beaucoup, beaucoup de... Enfin, ça nous a coûté beaucoup d'argent.

  • Speaker #1

    C'est une toute petite maison d'édition, mais ils sont très nombreux. Et c'était la première fois pour nous tous, je crois, qu'on recevait un prix. Donc on y est allé, on disait, on est comme une bande de puceaux. On était hyper intimidés. On a bu un petit coup avant pour se réchauffer le cœur. Pendant aussi.

  • Speaker #0

    Pendant.

  • Speaker #1

    Voilà, les gens doivent savoir qu'il y a beaucoup d'alcool au prix de Flore, et il est gratuit.

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    Donc ça peut...

  • Speaker #0

    Grâce au champagne Louis Roder et à la vodka Le Filtre. Et bam, deux marques citées.

  • Speaker #1

    Ah c'est de la vodka ?

  • Speaker #0

    Je croyais que c'était du gin. Ça ressemble à de l'eau, mais c'est de la vodka. Je croyais que c'était du gin. Ah non, c'est de la vodka.

  • Speaker #1

    Et très vite, on se sent très à l'aise du coup.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #1

    Voilà, on fume, on boit, on parle à des gens très sympathiques.

  • Speaker #0

    Vous étiez avec votre épouse.

  • Speaker #2

    Tout à fait, une belle fête.

  • Speaker #0

    Votre épouse était assez exubérante.

  • Speaker #2

    Elle était effectivement assez exubérante. Vous m'en avez reparlé d'ailleurs après,

  • Speaker #0

    je crois. C'est bien.

  • Speaker #2

    Elle a été tardée.

  • Speaker #0

    Eh bien, tant mieux. En fait, ce n'est pas votre premier roman. C'est ça qu'il faut expliquer aux jeunes qui rêvent d'être à votre place, qui rêvent d'être édités. C'est que vous avez beaucoup galéré et vous aviez cinq manuscrits refusés auparavant. Oui. Alors, racontez-nous vos cinq romans refusés. Voilà.

  • Speaker #1

    Non mais j'ai commencé à écrire un roman pour la première fois à l'âge de 15 ans. Et j'ai essayé d'être édité. Et le problème, c'est que je n'ai jamais été édité, mais j'ai toujours reçu des encouragements. Ce qui nourrissait suffisamment mon égo pour me pousser à réessayer, puis réessayer, puis réessayer. Et à chaque fois, j'ai eu des encouragements. Et je me disais toujours, c'est bête, peut-être que je passe tout près d'un truc. Il me manque peut-être un essai de plus. Et je me suis entêté. Et donc, ça a pris 20 ans pour être édité. Et ce qu'il faut dire aux jeunes, c'est que c'est quand même... Ça aurait pu aussi ne jamais être édité. Enfin, je veux dire, ce roman était édité aussi par un coup de chance incroyable. La conclusion serait peut-être au bout d'un temps.

  • Speaker #0

    Racontez-nous, Mathieu, comment vous avez reçu ce manuscrit de Marc. Et vous êtes l'éditeur de Rue Fromentin.

  • Speaker #2

    Tout à fait. Alors, c'est le moment de rendre hommage à Jean-Pierre Montal. Jean-Pierre Montal, c'est le fondateur des émissions Rue Fromentin, qu'on a repris il y a 3-4 ans. Et c'est Jean-Pierre Montal qui est un excellent écrivain. Bien sûr.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas reçu, mais j'aimerais beaucoup le recevoir. Et j'ai... défendu dans le Figaro, son dernier roman, La face Nord.

  • Speaker #2

    Exactement. Et donc, Jean-Pierre Montal nous a envoyé le texte il y a un an, à peu près, pile poil. Tout de suite, nous, on a été charmés par le livre. Enfin, c'était évident qu'il y avait quelque chose. On n'a pas vraiment compris pourquoi les autres maisons ne l'avaient pas pris, parce que ça se distinguait au premier coup d'œil. Je crois qu'il y en a quand même un certain nombre, on en parlera sûrement, qui ont eu un peu peur du thème et de Marc Lévy.

  • Speaker #0

    Ils pensaient que Marc Lévy ferait un procès ? Oui.

  • Speaker #2

    Alors, il y a des journalistes qui ont refusé de parler du livre, en tout cas, à cause de ça, qui nous l'ont dit. Il y a des maisons qui, a priori, ont refusé de le publier, plus par autocensure, je pense. Et après, à mon avis, le manuscrit s'est perdu aussi. Il y a des dizaines de manuscrits perdus. Mais ce qui était évident, c'est qu'unanimement, on a trouvé que le texte était génial. Et on savait en trois minutes qu'on allait le sortir.

  • Speaker #0

    Et quand vous receviez toutes ces lettres de refus, vous dites qu'il y avait toujours des encouragements. Oui. Mais moi, vous ne me l'avez jamais envoyé, un manuscrit ? Parce que j'ai l'impression que peut-être j'avais lu... Directement ? Non, oui.

  • Speaker #1

    Non, j'ai toujours envoyé aux grosses maisons d'édition, parce que c'est les seules que je connaissais.

  • Speaker #0

    Vous me disiez, j'avais peut-être lu une version précédente.

  • Speaker #1

    Ah non, je ne crois pas.

  • Speaker #0

    Vous l'aviez envoyé à Juliette Joss chez Grasset ? Ah oui. Ah, vous voyez.

  • Speaker #1

    J'ai été reçu par Juliette Joss dans les bureaux de Grasset.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    On était passé tout près d'une publication ?

  • Speaker #0

    Voilà, oui, c'est ce qu'elle m'a dit. Peut-être qu'à l'époque, j'avais vu ce livre. C'est pas la même version qui est sortie.

  • Speaker #1

    C'était pas le même livre.

  • Speaker #0

    Ah d'accord, c'est pas le même livre.

  • Speaker #1

    J'avais 25 ans.

  • Speaker #0

    Vous voyez, je vous apprends quelque chose en direct. Mais c'est drôle.

  • Speaker #1

    Ça fait partie des livres qui avaient failli être publiés. Juliette Jost, de chez Grasset, m'avait reçu dans ses bureaux. Elle m'avait demandé de retravailler. Et la nouvelle version est passée en comité de lecture. Enfin, puis bon, ça ne l'a pas fait. C'était quel titre ? Ça s'appelait Que je ne me gourbe pas

  • Speaker #0

    Le gouffre ? Le gouffre. Oui. Oui, mais ça me dit quelque chose.

  • Speaker #1

    Ah bah ça, c'est drôle.

  • Speaker #0

    Et bon, donc, des années à écrire des livres qu'on vous renvoie à la figure, ça ne vous décourage pas ?

  • Speaker #1

    Alors moi, j'ai suivi le conseil de Bertrand Russell, un philosophe anglais que j'aime beaucoup, et qui disait, si vous écrivez que vous n'êtes pas publié, le plus probable, c'est que vous n'ayez pas de talent. Alors continuez uniquement si ça vous fait plaisir. Et j'ai continué parce que je suis très heureux quand j'écris. Voilà.

  • Speaker #0

    Mais ça c'est original parce que...

  • Speaker #1

    Il faut le faire sans espoir.

  • Speaker #0

    Non mais beaucoup d'écrivains souffrent quand ils écrivent. Et vous, ça vous rend heureux. Et d'ailleurs ça se sent, il y a une jubilation dans votre manière d'écrire. On sent que vous êtes content d'être là. Et du coup le lecteur aussi.

  • Speaker #1

    Oui. Ah non, non, je ne souffre pas quand j'écris. Ah oui. Ah non, ça je ne crois pas. Vous croyez qu'ils sont sincères les gens ? Les artistes qui disent qu'ils souffrent quand ils font de l'art ?

  • Speaker #0

    Ça m'arrive de sentir une inspiration et d'avoir une belle journée et puis il y a d'autres jours...

  • Speaker #1

    Non mais ça d'accord !

  • Speaker #0

    C'est la transpiration principalement.

  • Speaker #1

    Oui ça d'accord mais oui, dix fois par jour on est découragé, on se dit que de toute façon ça n'a aucun sens. Mais dix fois par jour il y a aussi un moment, une phrase, une ligne où on se dit Ah bah non là je suis quand même content, ça me fait plaisir Et puis de toute façon c'est toujours mieux que d'aller au bureau non ?

  • Speaker #0

    C'est un bureau, c'est un esclavage Bah non,

  • Speaker #1

    on est chez soi, on se boit des petits cafés C'est quand même une vie confortable, faut pas exagérer Non parce que sinon, il faut savoir que j'ai un travail à temps plein Je suis salarié Donc non, c'est mieux que d'être salarié Alors justement,

  • Speaker #0

    vous avez fait des petits boulots Et là vous êtes... Alors racontez-nous, parce que c'est un peu ce qui a inspiré le livre Le livre se passe dans une start-up Qui s'appelle The Share Academy Et vous, vous travaillez dans la communication d'entreprises écologiques Oui,

  • Speaker #1

    oui, oui. Et les passages qui parlent de l'entreprise, même s'ils sont burlesques et un tout petit peu exagérés, en fait, ils sont quasiment autobiographiques.

  • Speaker #0

    Il faut être content, vos employeurs. Vous vous foutez de leur gueule pendant des dizaines et des dizaines de pages.

  • Speaker #1

    Mais je pense dans le fond, ils le savent, que tout ça n'est pas si sérieux. Je pense qu'ils le savent et qu'ils en souffrent. Il faut bien que quelqu'un leur dise.

  • Speaker #0

    Je peux vous dire que moi, quand j'avais critiqué des agents de la République, j'ai été viré pour faute grave. Donc vous pensez que vous n'allez pas être viré. Alors quelque chose a changé dans le monde.

  • Speaker #1

    Quelque chose a changé, oui. Je pense que maintenant, les gens savent que le monde économique est quand même relativement absurde. Mais comme on n'a rien d'autre à proposer, on continue, on fait semblant.

  • Speaker #0

    Vous foutez énormément de la gueule du vocabulaire. Du jargon un peu des startups.

  • Speaker #1

    Oui, mais ça c'est quasiment autobiographique. Moi je me suis retrouvé dans des entreprises, je ne savais pas exactement ce que j'étais censé faire. Je ne savais pas ce que faisaient mes collègues, je ne savais même pas à quoi servait vraiment l'entreprise. Ça c'est du vécu.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est vrai.

  • Speaker #1

    Je ne vais pas citer d'exemple pour le coup trop précis.

  • Speaker #0

    Ben si ! Non ! Moi je vous les cite pour vous.

  • Speaker #1

    Non, parce que j'ai des copains là-bas et tout.

  • Speaker #0

    Non, mais je vais vous les citer. Par exemple, est-ce que ça existe les Happiness Officers ?

  • Speaker #1

    Oui, bien sûr.

  • Speaker #0

    C'est quoi ?

  • Speaker #1

    C'est à la marge, mais c'est des gens qui sont censés veiller au bien-être des salariés. Ils arrivent avec des... Ils vont organiser les anniversaires ou des trucs comme ça.

  • Speaker #0

    C'est bien ça.

  • Speaker #1

    Faire en sorte qu'il y ait un saladier de bonbons qui soit rempli, des trucs dans le genre. Oui, oui.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qu'un growth hacker ?

  • Speaker #1

    Ah ça, ça, il y en a beaucoup.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est ?

  • Speaker #1

    Je n'ai jamais trop compris. Ils sont chargés... Si, ils sont censés générer de la croissance avec des petits hacks, des... petits bidouillages sur internet je sais pas tu t'es il faut savoir les éditions referment son nom professionnel oui et qu'on a tous un travail à côté donc on connaît le monde dans l'entreprise donc vous êtes tous un peu dans ce monde là de la tech et vous faites à côté un

  • Speaker #0

    travail comme un hobby qui est de découvrir benjamin stock c'est très bien tant mieux et donc le reste de votre vie n'a aucun sens mathieu en allemagne qui bosse au pmu par exemple

  • Speaker #2

    On a un autre qui bosse dans l'installation de télévision dans les hôpitaux. Il y en a qui font de l'e-commerce. Il y a un peu de tout. Il y en a un qui est à Dubaï, qui travaille pour des gouvernements.

  • Speaker #1

    C'est lequel à Dubaï ?

  • Speaker #2

    C'est Quentin.

  • Speaker #1

    Ah bon ?

  • Speaker #0

    La commission permet à Benjamin de connaître mieux sa maison d'édition.

  • Speaker #1

    Ils sont cinq et je suis beaucoup en contact avec Mathieu.

  • Speaker #0

    On continue avec la liste des métiers bizarres. Chief Information Officer.

  • Speaker #1

    Je crois, oui, c'est une variante de knowledge manager. C'est un boulot qu'on m'avait proposé. Et la personne qui me l'a proposé n'a pas vraiment réussi à me l'expliquer. Et je ne savais pas si je l'avais accepté. Elle m'a dit, c'est pour gérer la connaissance dans l'entreprise.

  • Speaker #0

    C'est kafkaïen quand même.

  • Speaker #1

    Oui, tout à fait.

  • Speaker #0

    C'est très marrant parce que Kafka et d'ailleurs d'autres, courte mine, ont décrit l'absurdité des débuts du capitalisme. Et puis là, on s'aperçoit qu'avec la révolution digitale, on a créé vraiment bien pire. Oui,

  • Speaker #1

    souvent le roman est dépassé par la fiction.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qu'un programme manager ?

  • Speaker #1

    Ça, je ne sais pas.

  • Speaker #0

    Et il y a des types qui sont payés et ils ne savent pas exactement ce que c'est que leur boulot.

  • Speaker #1

    C'est le sujet de votre livre. Oui, mais après, moi, je suis allé voir des organigrammes de boîtes sur Internet. Et puis, je n'ai pas côtoyé de programme manager, mais je sais que c'est un métier qui existe.

  • Speaker #0

    Donc, le roman maintenant, venons-en. Donc, ce héros qui s'appelle David Bomer, il a créé The Share Academy. C'est une start-up. Il ne sait pas très bien à quoi elle sert.

  • Speaker #1

    On ne sait même pas tellement ce que c'est. Est-ce que c'est une entreprise ? Est-ce que c'est une fondation ? Ça, on ne sait pas trop.

  • Speaker #0

    Et donc, en gros, c'est une satire de ce monde incompréhensible, où les gens sont très nombreux à travailler dans un bureau sans trop savoir pourquoi. En fait, c'est peut-être une agence de com'un peu digitale. Peut-être. Peut-être. Mais peut-être.

  • Speaker #1

    C'est possible aussi.

  • Speaker #0

    C'est une théorie. Et de cette histoire qui est très drôle au début... On arrive dans ce qui a posé problème pour la publication du livre, c'est que David rencontre une employée, Cheyenne, qui lit Marc Lévy, il se fout de sa gueule, et puis quand même, comme elle est très jolie, il s'intéresse à elle, et pour la séduire, il va se mettre à lire les livres de Marc Lévy, raconter la suite.

  • Speaker #1

    Alors il va lire les livres de Marc Lévy, et puis Cheyenne est une fille un petit peu cryptique, qui laisse entendre que Marc Lévy est quand même plus que ce qu'on croit, et lui, comme il est séduit par cette fille, peut-être un peu sous influence. Il va se mettre à penser comme elle, alors au début il se force un peu parce qu'effectivement il cherche un sujet de conversation, il veut boire un verre avec elle, et donc au début il va inventer un petit peu, puis finalement il va se prendre au jeu et finir par être vraiment convaincu qu'il y a des messages, alors on pourrait dire crypto-communistes ou... révolutionnaire, en tout cas très politisé dans l'œuvre de Marc Lévy qui n'est qu'une... Ce ne sont que des romans à clé en fait. Les métaphores très élaborées.

  • Speaker #0

    Les romans de Marc Lévy qui parlent souvent de fantômes, qui sont des romans d'amour principalement.

  • Speaker #1

    Au début en tout cas.

  • Speaker #0

    Dedans, on trouve des raisons de faire la révolution et de renverser le système dans lequel nous vivons. Et c'est une secte. Il y a une secte dans votre livre.

  • Speaker #1

    Alors oui, mais ça... C'est sujet à interprétation. C'est pas vraiment dit. Il va trouver un groupe de personnes...

  • Speaker #0

    Je vous enlève un cheveu,

  • Speaker #1

    parce que c'est votre première télé. Voilà, voilà.

  • Speaker #0

    Il faut quand même réussir. Pas sage.

  • Speaker #1

    Il va rencontrer un groupe qui lit Marc Lévy, un petit peu en cachette, et puis qui ont l'air de vraiment l'apprécier beaucoup, beaucoup. Mais enfin, on ne comprend pas vraiment tout ce que ces gens pensent. Et c'est pas certain que tout le monde pense la même chose. Donc c'est une interprétation possible, effectivement, que ce soit une secte et qu'ils soient tous d'accord pour avoir la même interprétation. Mais jusqu'au bout du roman, je pense qu'il y a une forme d'ambiguïté. Et peut-être que David est seul.

  • Speaker #0

    Ah, d'accord. C'était quand même possible. Peut-être que tout ça est dans sa tête.

  • Speaker #1

    C'est une possibilité et je crois que le roman fonctionne aussi avec cette lecture-là.

  • Speaker #0

    D'accord. Parce qu'on ne va pas raconter la fin, mais il y a une fin apocalyptique, ultra spectaculaire, ultra violente. Peut-être que tout ça n'est qu'un rêve. C'est un peu facile si c'est le cas. J'aime bien l'idée qu'il y ait vraiment, oui, un complot et qu'il arrive à une révolution à Paris.

  • Speaker #1

    Oui, oui, mais regardez bien. On ne va pas trop en dire, mais enfin, David, il est seul à la fin. Et d'ailleurs, il se rend compte. Il est de plus en plus seul. Et effectivement, il essaie de créer une révolution, etc. Mais on voit bien qu'en fait, chacun fait sa révolution à sa manière pour ses raisons. Et c'est la question, c'est est-ce qu'aujourd'hui, en fait, on peut faire une révolution quand on voit à quel point on est atomisés et à quel point on est tous regroupés dans des chapelles différentes qui sont minuscules ? Est-ce qu'on a encore une grande idée commune qui nous permettrait de faire la révolution ? Et on voit bien que David, à la fin, il en doute.

  • Speaker #0

    Mais c'est un roman, c'est marrant parce que c'est ce roman qui commence comme une blague un peu, en réalité extrêmement ambitieux. C'est pour ça d'ailleurs qu'il a été primé par le jury du Flore, un jury qui n'est jamais d'accord et qui, pour une fois, a voté pour vous à l'unanimité. Ça n'est pas arrivé depuis Houellebecq en 1996, donc c'est quand même extraordinaire. Et je pense que c'est pour cette raison-là, c'est parce que peut-être vous ne l'avez pas fait exprès, mais vous captez tout l'air du temps. Nous vivons en France dans une situation pré-révolutionnaire. Il y a du complotisme partout, y compris à la tête des États-Unis d'Amérique. Tout ça, vous le sentiez ? Chez nos élites aussi. Chez les ?

  • Speaker #1

    Chez nos élites aussi, parce que quand je parle du complotisme, on va croire que je me moque. En gros, des beaufs, des gens qui votent Trump, etc. Mais en fait, le complotisme, il est partout. Je veux dire, dans les médias, chez les intellectuels, il y a des raisonnements complotistes qui consistent à avoir une histoire du monde qui est simple, avec des gentils, des méchants. Je ne vais pas donner d'exemple tout de suite pour ne pas me faire trop d'ennemis. Ça concerne tout le monde,

  • Speaker #0

    ce mode de raisonnement. Vous êtes quand même parti de vous intéresser à ce mouvement.

  • Speaker #1

    C'est vrai que j'ai été fasciné par le mouvement QAnon pendant le Covid, donc pendant le Covid, confinement, je suis beaucoup sur internet, je m'occupe et je découvre le mouvement QAnon et c'est des gens qui vont commencer à surinterpréter des messages postés sur des forums, mais des messages vraiment complètement nuls, qui n'ont à peu près aucun sens, qui font quatre lignes. Et ces messages-là vont donner naissance à ce qui est quelque chose qui peut s'apparenter à une religion et qui va avoir plus de poids que certaines religions traditionnelles en un an ou deux ans. Et effectivement, c'est un grand récit, une grande conspiration d'extrême droite, où Donald Trump est un messie qui vient délivrer la population américaine en proie aux pédos satanistes. Mais du coup,

  • Speaker #0

    l'idée de base... La réponse à la question qui était dans le teaser. Oui !

  • Speaker #1

    Je me suis dit, moi je vais me faire plaisir, je comprends ces gens-là, on a besoin de grands récits, on a besoin de donner du sens à notre existence, mais moi je vais faire une conspiration qui me fait plaisir, je vais me faire une conspiration d'extrême gauche.

  • Speaker #0

    Mais pourquoi vous êtes arrivé sur Marc Lévy ? C'est ça qui est surprenant. Parce que c'est le romancier le plus populaire ?

  • Speaker #1

    Oui, il fallait se fixer un défi. Alors, il fallait que je trouve une conspiration dans l'endroit le plus insoupçonnable. Mais ça a failli être autre chose que Marc Lévy. J'ai hésité avec la magazine Astrapi, avec le magazine des cheminots de la SNCF. Ça aurait pu être plein de choses différentes. Marc Lévy, c'était un symbole. Et puis, beaucoup de gens avaient lu le premier. Donc, je trouvais ça sympa. De me fixer un défi difficile et de me dire, tiens, je vais réussir à trouver une conspiration dedans.

  • Speaker #0

    J'ai le point de départ du livre. C'est un dialogue qui est presque philosophique sur est-ce que le roman peut changer le monde ou bien il ne sert qu'à nous distraire. C'est d'ailleurs un roman qui critique les livres engagés. J'ai l'impression, votre livre. Ou est-ce un roman engagé ?

  • Speaker #1

    Oui, après, quand je dis que c'est engagé, je ne crois pas qu'un roman doit dire voilà ce que vous devez penser Je préfère que le roman soit relativement ambigu et puis je laisse le lecteur avec tout ça sur les bras. Mais oui, il y a quand même tout un tas de passages où le narrateur se permet de faire des analyses.

  • Speaker #0

    relativement univoque sur la politique la société oui mais même je dirais ce qui est intéressant c'est que vous au fond et vous le dites je vais vous faire lire un passage mais c'est vraiment pas fort moi je vous savez pas lire non je ne suis pas guillaume gallienne moi non mais vous lisez simplement ce que vous avez écrit et puis qu'on en reparle juste après parce que ce passage C'est très important parce que vous dites au fond qu'Internet, ça a été une utopie et que cette utopie,

  • Speaker #1

    elle a déçu. Oui. Lui et Diana s'étaient pris de fascination pour les nouvelles technologies et la possibilité de numériser tous les services. Ils se crurent au seuil d'une nouvelle ère où l'usage des biens l'emporterait bientôt sur leur possession. Il était évident que l'économie du partage était sur le point d'éclore et que cette révolution toucherait tous les aspects de la vie, du travail, de la production, notre rapport aux choses et notre rapport aux autres. Le couple rêvait, sans le savoir, de l'homme nouveau dont rêvaient les soviétiques, un homme meilleur au regard fier, la poitrine large, libéré des superstitions bourgeoises, prêt à tout partager, savoir, objet, pouvoir, à la force de son téléphone mobile. Prolétaires, paysans, jeunes cadres et milliardaires, tous unis par le covoiturage et le financement participatif. Je continue ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est bien, peut-être que vous lisez plus lentement.

  • Speaker #1

    C'est vrai ?

  • Speaker #0

    On sent que vous êtes pressé de finir pour passer à autre chose. Soyez gourmand avec votre...

  • Speaker #1

    Allez, tout en gourmandise. Tu te rends compte, disait Diana, il n'y aura plus d'employeur ni d'employé, mais seulement des entrepreneurs indépendants liés par des contrats libres. C'est la fin du salariat, c'est la fin du capitalisme.

  • Speaker #0

    C'est vous, c'est vous. C'est exactement votre vie. Continuez cher.

  • Speaker #1

    Je pourrais commenter ça après.

  • Speaker #0

    Mais oui, mais arrêtez-vous pour... commenter quand vous voulez.

  • Speaker #1

    En fin de compte, Internet n'avait rien aboli. Ni l'exploitation des hommes, ni celle de la nature. Au contraire, le fétichisme de la marchandise et l'isolement des individus atteignaient un pinacle. La révolution numérique fut seulement le nom d'un chassé-croisé, le remplacement d'une classe de dominants par une nouvelle génération de dominants, de la cravate au sweat à capuche.

  • Speaker #0

    De la cravate au hoodie, mais finalement, rien n'a changé. Non, mais... Non, mais c'est...

  • Speaker #1

    Parce que moi, j'ai connu des gens qui parlaient comme ça. Oui, oui. la première start-up où j'ai travaillé, les gens croyaient vraiment, dans ces milieux-là, avec le début de l'économie du partage, que c'était la fin du capitalisme. Mais bien sûr, on a trouvé tout un tas d'articles de l'époque qui disent ça. Et ce qui est marrant, c'est que j'ai fait un parallèle très intelligent, sans le savoir, c'est que, encore une fois, c'est un accident, mais je l'ai appris plus tard en écoutant un philosophe parler de ça, c'est qu'en fait... David va après se fasciner pour les Saint-Simoniens. Et les Saint-Simoniens étaient fascinés par la révolution industrielle. Et les réseaux, mais de chemin de fer. Il disait que les réseaux de chemin de fer vont amener le socialisme. Et tout ça, ce sera la fin du capitalisme, etc. Parce qu'on va s'interconnecter. Et en fait, c'était la même utopie. Et là, on a des réseaux numériques. On s'est dit, ça y est, en fait, tout est réglé.

  • Speaker #0

    Au début d'Internet, quand Internet arrive, je ne sais pas si c'est à la fin du XXe siècle ou au début du XXIe, on se disait que tout serait gratuit. que tout le monde échangerait tout, que c'était la fin des médias, la fin de la domination du capital. Vous qui travaillez là-dedans depuis des années et des années, vous êtes passé par cette phase d'utopisme ?

  • Speaker #2

    Je pense qu'on y a tous cru à un moment et que si on s'est lancé dans l'édition, c'était justement pour fuir ça qui était notre quotidien auquel on ne trouvait plus aucun sens.

  • Speaker #0

    Parce que vous êtes déçus, vous êtes des déçus du numérique.

  • Speaker #2

    On est des déçus du numérique, je pense. Et puis, ce que tu disais Benjamin sur ces jobs dont on ne comprend pas vraiment le sens, on ne sait plus très bien pourquoi on est au bureau, ce à quoi on sert. Je pense que ça nous a beaucoup touché, ça.

  • Speaker #0

    Oui, et le point de départ, c'est cette critique-là d'une utopie ratée. pour basculer après dans une tentative de révolution absurde. Mais pourtant, on a envie de savoir où vous vous situez. Est-ce que vous êtes un révolutionnaire ou un romancier qui se moque ?

  • Speaker #1

    Tu vois, on va devoir mettre les pieds dedans.

  • Speaker #0

    Vous pouvez rester ambigu. Non,

  • Speaker #1

    non, je n'ai pas envie de... Non, non, je suis de tendance révolutionnaire. Mais un peu désespéré. Et effectivement, je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, il soit possible de faire la révolution.

  • Speaker #0

    On verra bien dans les jours à venir.

  • Speaker #1

    Oui, mais effectivement, je trouve qu'on le voit bien. En fait, je crois que la société est quand même très, très fragmentée et il nous manque, ne serait-ce que ça, peut-être une gauche réelle, puissante. Je crois qu'aujourd'hui, la gauche est morte. Elle doit repartir de zéro. ça prendra 10, 20, 30 ans. Mais aujourd'hui, la gauche ne peut plus penser au pouvoir. Mais ce qui fait que beaucoup de gens doivent être désespérés, ils veulent reprendre le contrôle sur les choses, et donc ça peut mener à des accès de violence quand on est un peu trop impatient. Tout le monde n'a pas envie d'attendre 30 ans.

  • Speaker #2

    C'est vrai que vous posez cette question, parce qu'en fait, quand on a lu le bouquin, on s'est dit, il est complètement inclassable, ce bouquin. Et en fait, dans la réception critique, on a des gens de droite qui disent, c'est génial, c'est la dénonciation ultime du wokisme, etc. Et puis des gens comme Arnaud Vivian, qui considère que c'est un appel à la révolution géniale et en fait le bouquin est vraiment très très ambigu là-dessus.

  • Speaker #0

    Oui mais c'est ça qui est bien, je pense que le rôle d'un roman n'est pas de prendre position mais simplement de, voilà, comme dit Stendhal, d'être un miroir qu'on promène le long du chemin.

  • Speaker #1

    Je pense que tu peux prendre position. Mais quand il y a des dialogues entre les personnages, il ne faut pas tricher et faire que l'autre passe pour un con. On est obligé de lui mettre les meilleurs arguments dans la bouche. Voilà, c'est plutôt là-dedans. Oui,

  • Speaker #0

    c'est vrai. C'est vrai qu'on peut voir une influence des romanciers sarcastiques de la fin du XXe siècle. Je pense à Houellebecq, à Patrice Jean, peut-être à Belcantin, mais peut-être vous allez me dire pas du tout, je ne les ai jamais lus.

  • Speaker #1

    Je ne les ai pas beaucoup lus. J'ai lu un petit peu Houellebecq, mais non, j'ai lu... Il faut savoir que je n'ai pas une grosse culture littéraire. et que surtout j'ai lu très peu d'auteurs contemporains.

  • Speaker #0

    Donc d'où vient votre désir de renverser la table, de regarder le monde et de rire comme ça ?

  • Speaker #1

    Avec ce rire-là diabolique ? Oui. Non, mais c'est plus l'idée de la création. Moi, je n'ai jamais vécu sans créer un truc. Alors, ça a beaucoup été l'écriture, mais... Il y a des époques où j'ai essayé de... On a fabriqué des jeux vidéo, j'ai fait des projets multimédia, j'ai fait... Enfin, j'ai tenté différents trucs, quoi. L'écriture, ça me réussit bien, ça me plaît bien, et puis globalement, ça coûte pas cher par rapport au reste, alors...

  • Speaker #0

    Mais quand vous voyez... C'est marrant, parce que vous donc... Moi, je viens...

  • Speaker #1

    Et puis je dis pas que je lis pas, hein !

  • Speaker #0

    Je viens du milieu littéraire, voilà, et de la presse, j'ai fait un peu de tout, mais aujourd'hui, grâce au numérique... J'arrive à faire ce podcast et à être complètement libre. Donc, il y a aussi du positif. C'est ça qui est étonnant. Alors que moi, j'ai beaucoup critiqué les réseaux sociaux et tout. Je voyais un peu du George Orwell là-dedans. Aujourd'hui, je peux faire une émission, vous inviter et on parle librement aussi longtemps qu'on le veut. L'émission, elle peut durer cinq heures. Je vois la tête de nos techniciens qui sont un petit peu en panique. Et ça, il y a donc du positif aussi ?

  • Speaker #1

    Ah oui, évidemment. Mais moi, ce n'est pas un livre... Non, les réseaux sociaux, j'ai un vrai problème avec ça. Mais justement, moi, je suis arrivé sur Internet, comme tout le monde ici, je suppose, dès le début. En fait, on oublie un peu, les jeunes générations ont oublié qu'il n'y avait pas les réseaux sociaux. Internet existait avant et c'était mieux. Les réseaux sociaux, c'était quand même des énormes boîtes qui coûtent des milliards, etc., qui vont en fait récupérer Internet et en faire un système plus fermé qu'avant. Mais avant, c'était la même chose, en plus ouvert. Il y avait des forums, des Ausha, tout un tas de trucs, des sites amateurs. C'était le Far West et c'était génial. Et ça existe encore un peu, mais bon, aujourd'hui, c'est un peu oublié.

  • Speaker #0

    Mais juste pour finir sur les réseaux sociaux, ce que vous reprochez, c'est qu'ils collectent des informations sur les citoyens pour leur envoyer des pubs. Ça, c'est ma paranoïa à moi, mais quelle est la vôtre ?

  • Speaker #1

    C'est qu'on se soumet à des algorithmes, en fait, on demande à des algorithmes de juste de maximiser le taux de clic, en gros. Et après, on les laisse faire, on ne sait pas ce qu'ils font. Et globalement, on voit que ce qu'ils font, c'est maximiser des émotions négatives chez les gens, fracturer la société, etc. Pas parce que les algorithmes sont méchants, mais c'est que apparemment, ça marche et ça maximise le taux de clic. Et oui, je pense qu'ils font beaucoup de mal à la société. On sait qu'ils font beaucoup de mal aux jeunes. J'entendais ce matin, l'Australie vient interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans.

  • Speaker #0

    Moins de 16 ans ?

  • Speaker #1

    Je trouve que c'est des trucs qu'on devrait... Ça fait des dégâts chez les jeunes quand même. Ce serait bien,

  • Speaker #0

    ce serait bien. Et je me tourne vers vous, Mathieu. C'est quand même symboliquement intéressant que, travaillant dans le digital... vous passez par une phase d'enthousiasme puis de dépression, et qu'est-ce que vous faites ? Vous ouvrez une maison d'édition de livres en papier. Genre, c'est comme si vous reveniez à l'âge de Pierre. Vous êtes dans une cave à lire des manuscrits, à faire des corrections sur des manuscrits. C'est fascinant, c'est comme dans un roman de Ray Bradbury.

  • Speaker #1

    C'est un peu ça, oui. Mais je pense que c'est une sorte de bulle d'oxygène dont on a besoin, de revenir à du papier, effectivement de quitter les réseaux sociaux. Et puis je pense qu'on le fait en plus de façon hyper artisanale. Je pense qu'il y a aussi ça, lire des manuscrits, prendre le temps. C'est un temps qui est beaucoup plus long aussi, l'édition, que les métiers qu'on fait habituellement. Je crois que c'est ça qui nous a vraiment...

  • Speaker #0

    Qui vous plaît. Vous vous sentez libéré ?

  • Speaker #1

    Et puis on le fait sans contrainte économique en plus. Donc on est vraiment des artisans, on sort ses livres, on sort tout ce qu'on a envie de sortir, quand on veut.

  • Speaker #0

    Et maintenant qu'il a eu le prix de Flore, est-ce que vous voyez des différences de vente ? Est-ce que vous allez lui donner beaucoup d'argent ?

  • Speaker #1

    Alors c'est une discussion qu'il faut qu'on ait dans pas longtemps. Mais on sent que Benjamin commence à nous demander, c'est normal.

  • Speaker #2

    Non mais il ne demande jamais. Moi mes amis passent mon temps à me demander, ils me disent mais alors,

  • Speaker #0

    t'en vends combien ? Et je ne sais pas,

  • Speaker #2

    je ne demande jamais.

  • Speaker #0

    Est-ce que ça marche ?

  • Speaker #1

    Oui, ça marche.

  • Speaker #0

    Donc le prix de fleurs a un effet.

  • Speaker #1

    En fait, on a eu une commande massive deux jours après. Donc ça marche tout de suite. Donc on a vu la différence, c'est massif.

  • Speaker #0

    Vous avez fait un bandeau rouge ?

  • Speaker #1

    On a fait un bandeau rouge qu'on avait prévu à l'avance.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous vous doutiez un petit peu ?

  • Speaker #1

    Pas du tout. En vérité, on ne pensait vraiment pas qu'on l'aurait. En fait, on avait fait un peu, c'était un petit peu house of cards. On avait regardé un petit peu qui allait voter pour qui. On pensait bien que vous alliez voter pour nous. On s'était dit que Vivian allait voter pour nous aussi. Mais voilà, on pensait avoir 2-3 voix. Vous êtes 12.

  • Speaker #0

    Non mais là, vous avez eu 11 voix sur 12. Je ne sais pas si vous voyez, ça n'existe pas. Ça n'arrive jamais.

  • Speaker #2

    Je sais qu'il n'a pas voté pour nous. Il m'a dit de toute façon, je vote toujours à l'inverse de tout le monde pour faire chier. Donc, voilà.

  • Speaker #0

    Non, c'est elle.

  • Speaker #2

    Ah c'est elle ? Oui,

  • Speaker #0

    c'est Michel Fittoussi. Moi je lui le dis, je m'en fous. Elle l'assume.

  • Speaker #2

    Bon, alors ce n'est pas lui. Je pense à quelqu'un d'autre.

  • Speaker #0

    Bon, avez-vous rencontré Marc Lévy, oui ou non ?

  • Speaker #2

    Ah bah non !

  • Speaker #0

    À ce jour, toujours pas. Mais écoute, on lui a envoyé le livre, on voulait qu'il vienne à la soirée vous décerner le prix, j'aurais beaucoup aimé qu'il soit là aussi aujourd'hui.

  • Speaker #2

    Oui, mais je comprends qu'il n'a pas envie de participer à la promo d'un roman qui n'est pas le sien.

  • Speaker #0

    C'est intéressant parce que lui-même a un livre en promo. Ben oui ! Ça s'appelle La librairie des livres interdits et c'est sur la censure et c'est sur aussi le même sujet que vous, l'autre réalité, les faits alternatifs. Donc c'est fou que le vrai Marc Lévy... Ce mois-ci, en même temps que vous, prend la défense des livres interdits. Mais refuse de vous rencontrer. C'est paradoxal.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on lui a... On l'a contacté...

  • Speaker #2

    Vraiment ?

  • Speaker #1

    Par cinq ou six biais, ouais.

  • Speaker #2

    Il a fait ça,

  • Speaker #0

    c'est toujours pas fait.

  • Speaker #1

    Non, ça c'est toujours pas fait. Mais bon, on ne désespère pas.

  • Speaker #0

    Non, il faut qu'il lise le livre. Parce que le livre n'est pas agressif.

  • Speaker #2

    Non, mais surtout, c'est même pas sur Marc Lévy. Marc Lévy n'est qu'un prétexte. Encore une fois, ça aurait pu être quelqu'un d'autre. Bon, c'est tombé sur lui. Parce que c'est un personnage public. Mais...

  • Speaker #0

    Et surtout parce que vous aviez une revanche à prendre Mais non ! Pour un romancier qui a plus de succès que vous,

  • Speaker #2

    c'est tout Oui, mais tant mieux pour lui,

  • Speaker #1

    je suis content Et puis Marc Lévy est devenu très politique Je ne sais pas si vous le suivez un peu Il a changé le bouquin Il en a écrit un justement contre les réseaux sociaux Oui,

  • Speaker #0

    il critique Marc Zuckerberg D'ailleurs, tout ça est dans le livre Dans votre livre,

  • Speaker #2

    vous parlez de la transformation de Marc Lévy en homme politique Je cite ses romans et je cite aussi ses interviews Et je n'invente rien Oui, oui Toutes les citations sont réelles. Je crois qu'à l'époque, il y avait même les notes de bas de page pour dire ça vient de telle radio.

  • Speaker #0

    Je pense que personne n'a jamais fait un tel travail d'exégèse sur l'œuvre de Marc Lévy.

  • Speaker #2

    Si je vous dis, on en parle. Il y a un thésard sur Marc Lévy, indonésien. Indonésien ? C'est cité dans le bouquin. Je crois qu'il y a une thèse d'un étudiant étranger.

  • Speaker #0

    Je croyais que c'était inventé, moi. Non,

  • Speaker #2

    ce n'est pas une blague.

  • Speaker #0

    L'absurdité du monde contemporain est également symbolisée par le lancement de la moutarde goût mojito.

  • Speaker #2

    C'est pas symbolisé, je crois que ça existe. Et vous allez goûter ? Non, mais je crois qu'il existe des moutardes goût morito. J'ai pas goût... Non, j'ai autre chose à faire. J'aime bien le morito et la moutarde, mais alors ensemble...

  • Speaker #0

    Mais ensemble, ça paraît bizarre. Et donc...

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup de trucs qu'on croit que c'est inventé, et en fait, non. Le monde est vraiment pire que...

  • Speaker #0

    Ouais.

  • Speaker #2

    J'arrive pas à suivre.

  • Speaker #0

    Je me demandais si je faisais le jeu Devine tes citations cette semaine, sachant que vous n'avez qu'un livre. Si je vous demande... Alors, faisons-le. Faisons-le. Toutes sont issues de Marc, mais il y a des pièges. Ok, alors attention. Un livre, ça doit faire réfléchir, ça doit produire des formes nouvelles, ça doit empêcher de dormir. Un livre qui sert à se sentir bien, c'est un antilivre, c'est un dévoiement.

  • Speaker #2

    C'est le premier chapitre de Marc.

  • Speaker #0

    Dans Marc, 2024. Donc j'en déduis que vous n'aimez pas Mélissa d'Acosta non plus.

  • Speaker #2

    Là, on parle de Desperso à ce moment-là.

  • Speaker #0

    Non, mais je veux dire, le livre qui aide à se sentir bien, c'est...

  • Speaker #2

    Je ne connais pas Melissa Dacosta.

  • Speaker #0

    C'est une tendance. Aujourd'hui, ce sont les livres qui ont en tête des ventes. C'est un mot des ventes. Même plus que le prix Goncourt. C'est des livres qui considèrent que la littérature, c'est un lexomile. Oui, oui.

  • Speaker #2

    Je ne la connais pas,

  • Speaker #0

    elle. Vous parlez de ça. Autre phrase de vous. Dans quel livre avez-vous dit ça ? Tu crois que les écrivains... Tu crois que les écrivains font les époques, mais ils ne font que respirer l'air du temps et le transcrire sur papier.

  • Speaker #2

    C'est dur, mais c'est le premier chapitre encore.

  • Speaker #0

    C'est qui ? C'est Youssef qui parle. Vous êtes plus de l'avis de Youssef ou de l'avis de...

  • Speaker #2

    Je ne sais pas. C'est un débat que je n'ai pas tranché. Je passe mon temps à penser l'un ou l'autre, et puis quand on écrit, des fois on a des expériences, on se dit ça sert à rien, et tout le monde s'en fout, et puis des fois on se dit c'est important. Je vais de l'un à l'autre.

  • Speaker #0

    Un manuscrit que vous envoyez à une toute petite maison d'édition, il est publié, personne n'en parle, aucun journal n'en a parlé, et puis tout d'un coup, il a le prix de flore. Bon, il y a eu quand même un article que j'avais écrit moi, et puis un autre dans le Nouvel Obs, mais franchement, il y avait. Il y a eu quoi d'autre ?

  • Speaker #1

    Le masque.

  • Speaker #0

    Le masque ! Arnaud Vivian au masque et la plume. C'est juste ça. Oui,

  • Speaker #2

    ça c'est bien. Pour moi, c'est déjà extraordinaire.

  • Speaker #0

    Ce que je veux dire, c'est qu'un roman peut finir par atteindre son but. C'est ça qui est miraculeux dans votre aventure. Oui,

  • Speaker #2

    c'est un miracle. C'est d'ailleurs ce qu'Arnaud Vivian m'a dit, un des jurés du Prix de Flore. Il me dit qu'un prix, c'est toujours un miracle. Il me dit qu'il a failli ne jamais l'ouvrir. Je sais que vous n'avez pas aimé la couverture, mais lui, il a ouvert.

  • Speaker #0

    Non mais je critique cette couverture parce que je trouve qu'elle est encombrée. Elle est un peu encombrée.

  • Speaker #2

    Du coup,

  • Speaker #0

    moi, elle m'a détourné. Je me suis dit, bon, je regarderai plus tard. Elle dénote.

  • Speaker #1

    La couverture est morte parce qu'on voulait mettre Marc Lévy en couverture. Puis on a débattu ce qu'on met Marc Lévy, on ne met pas Marc Lévy, etc. Et à la fin, on s'est dit, on ne met rien. On va l'appeler Marc. Le roman ne s'appelait pas comme ça à l'origine. On met Marc et on ne va rien mettre du tout.

  • Speaker #0

    Et peut-être que si vous aviez mis la photo de Marc Lévy, là, vous auriez eu un procès. Mais vous auriez vendu beaucoup plus d'exemples. Autre phrase, attention.

  • Speaker #2

    Je me concentre.

  • Speaker #0

    Une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre.

  • Speaker #2

    Alors ça, c'est pas moi.

  • Speaker #0

    Bien plus. C'était le piège. C'était Houellebecq dans Anéantir. D'accord. Une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre. C'est à dire en 2022. Je cite Houellebecq parce que c'est le dernier à avoir eu l'unanimité avant vous, au jury du Flore. Autre phrase. Tu crois vraiment qu'un jour, on lira Houellebecq à l'école, quand il décrit ses branlettes sur YouPorn, ou quand il s'attarde sur le goût du poulet teriyaki picard au micro-ondes ? Oui.

  • Speaker #2

    Il parle de ce goût-là dans Soumission. Il parle des plats picards au micro-ondes. Oui.

  • Speaker #0

    C'est dans Marc. Mais moi, je trouve qu'elles sont très bonnes, les brochettes de poulet Picard.

  • Speaker #2

    Ouais, non, sur la nourriture, je suis très, très, très fait maison.

  • Speaker #0

    D'accord, vous êtes contre ?

  • Speaker #2

    Non, je ne suis pas contre, mais je suis une fine gueule.

  • Speaker #0

    Oui, tant mieux. Je cuisine tout. Vous n'habitez pas à Paris.

  • Speaker #2

    Non, j'habite à la campagne.

  • Speaker #0

    Comme moi. Oui, nous avons ça en commun, et la chevelure et la barbe. Voilà. Et rien d'autre. Vous ne l'avez pas remarqué ? Notre époque est prête à croire n'importe quoi. N'importe qui peut devenir chef de secte. Les temps sont mûrs pour un véritable nouveau messie.

  • Speaker #2

    Ça vient de Mars.

  • Speaker #0

    Mais vous pensez vraiment que nous sommes, par exemple, comme la République de Weimar avant l'avènement d'Hitler, que c'est ça, on est dans une avant-guerre, une avant-révolution ?

  • Speaker #2

    Oui, la situation est fragile. Je pense que les gens sont prêts à croire en n'importe quoi. Oui, les gens sont désespérés. On a besoin de croire en quelque chose, en quelqu'un. On a besoin d'être rassemblés par un discours rassembleur. Là, les fruits sont mûrs. Quelqu'un peut cueillir. Oui, oui.

  • Speaker #0

    la seule chose qu'il avait faite mieux et plus que les autres, c'était de boire.

  • Speaker #2

    Oui, cette phrase, ça me gêne parce que vous l'avez citée, et c'est le moment de faire mon mea culpa, vous l'avez citée dans votre article. C'est une phrase de moi, mais dans ma tête, c'était quand même un peu une espèce de clin d'œil à Guy Debord qui a dit une phrase très similaire. Enfin, très similaire. Il peut la retrouver, donc c'est une forme de plagiat.

  • Speaker #0

    C'est embêtant. Ça fait deux fois que je cite une phrase qui n'est pas de lui. Non, mais est-ce que c'est vrai ? Non,

  • Speaker #2

    mais il dit un truc qui ressemble un peu, parce qu'il parle du fait qu'il passe son temps à Paris à boire, à palabrer. Bon, Guy Debord, je crois, avait un peu cette vie-là. Oui, oui. Et il dit un truc, il dit dans ma vie, il dit un truc un peu similaire. Mais bon, il faut savoir qu'on écrit ce qu'on commence, et ça me permet de le sentir beaucoup plus léger. Ça va faire beaucoup rire ma copine quand elle va entendre ça.

  • Speaker #0

    Une autre phrase. Oui. Le monde de Marc était celui des larges avenues pétrifiées d'ennuis, des cavalcades de tapis empourprés, des scooters à trois roues, des courriers à en-tête sur papier moelleux, des lambris et des meubles design. des coursiers, des chaussettes parmes, des chaussures à boucle, des initiales brodées sur des chemises Ausha, des notes de frais, des arrondissements à un chiffre, des clients tyranniques, des talons aiguilles et de l'argent.

  • Speaker #2

    C'est pas mal, c'est pas moi.

  • Speaker #0

    Non, c'est la belle Quentin. Le voyant des Tempes, prix de flore 2021, un prédécesseur. Un truc qui, on en a parlé il y a peu de temps, mais pourquoi, à votre avis, les auteurs qui critiquent l'ultralibéralisme... se retrouvent souvent catalogués de droite. C'est absurde, c'est un paradoxe.

  • Speaker #1

    Tu veux répondre ? Non, vas-y, vas-y.

  • Speaker #2

    Je pense que beaucoup de gens sont de gauche, mais ne le savent pas. On a un peu oublié ce que c'était que la gauche, mais parce qu'il y a trop de bruit, trop de foin sur, je ne sais pas... Les gens croient qu'être de gauche, c'est avoir des cheveux bleus dans une université américaine, avoir des pronoms, ou c'est être Sandrine Rousseau, parler du barbecue.

  • Speaker #0

    Pas connaître son sexe.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas, mais bon, je pense qu'il y a beaucoup de confusion aujourd'hui, mais je crois que beaucoup de gens sont de gauche, mais ne le savent plus.

  • Speaker #0

    Mais Abel Quentin, c'est intéressant. Il fait donc une moquerie, comme vous, sur ce monde de la bourgeoisie, de l'entreprise et tout. Et puis, le livre suivant, il est engagé... À gauche, il est engagé, en tout cas, écolo, responsable, fin du monde, attention. Peut-être que les gens l'ont pris pour un type de droite, mais il ne l'était pas.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas, il y a peut-être le précédent Houellebecq. En fait, le truc, c'est que les écrivains, ils changent souvent. Ils commencent plutôt à gauche. Et puis, en vieillissant, on en a vu beaucoup qui étaient quand même de plus en plus de droite. Alors, je ne sais pas, peut-être que... En fait, les gens ne se laissent plus avoir. Ils voient un jeune de gauche arriver et ils se disent De toute façon, c'est un futur de droite

  • Speaker #0

    Mais je pense que malheureusement, c'est aussi une question d'âge. C'est-à-dire qu'on peut être très engagé, révolutionnaire à 20 ans et puis à 60, 70 ans, on veut protéger et sauver ce qui peut l'être.

  • Speaker #2

    Oui, c'est ce qui se dit. Mais enfin, il y a plein de gens très vieux qui sont encore très de gauche. Mon cas n'est pas désespéré. Je vous ai cité Bertrand Russell. Il a fini centenaire et il était encore socialiste libertaire. Cela dit, il était dans ses jeunes années anarchiste, enfin sympathisant anarchiste. Et en vieillissant, effectivement, il s'est décalé un petit peu à droite. Enfin, ce qui veut dire quand même...

  • Speaker #0

    Donc tout n'est pas foutu, on n'est pas nécessairement un réac parce qu'on est vieux ?

  • Speaker #2

    Non, non, non, je ne pense pas. On se demande ce que je pense, d'où je viens, mais en fait, moi, je pense des choses extrêmement banales. Si vous voulez savoir ce que je pense, en général, quand je ne sais pas quoi penser, j'achète Le Monde Diplomatique, je suis aligné dessus. Mais il n'y a que des vieux qui écrivent dedans, ce n'est pas un journal de jeunes.

  • Speaker #0

    Cette émission est parrainée par le Figaro Magazine. Voilà. Je vous demande s'il vous plaît de changer de lecture. Bien, alors, les conseils de professionnels, c'est des conseils de lecture ? Oui,

  • Speaker #2

    j'ai des mémoires,

  • Speaker #0

    tout est là. Parce que de toute façon, on n'est pas bon quand on n'a pas préparé cet interrogatoire. Ah ben non,

  • Speaker #2

    impossible.

  • Speaker #0

    Il faut préparer. Donc, je vous demande simplement, puisque vous connaissez bien le numérique, de regarder la caméra. Ah oui ? Car il faut rester instagrammable et moi, je ne suis plus là. Donc, vous ne me regardez pas. Un livre qui donne envie de pleurer ?

  • Speaker #2

    Alors, La Nouvelle Famille de Shun, c'est un livre pour enfants. Et Shun est une petite chienne abandonnée dans les bois. C'est dévastateur.

  • Speaker #0

    Vous avez chialé comme une madone.

  • Speaker #2

    Oui, surtout que Sa Nouvelle Famille, c'est une famille d'oies. Elle est adoptée par des oies. Et qui veut être adopté par des oies ?

  • Speaker #0

    et surtout quand on est un chien.

  • Speaker #2

    Oui, oui, c'est vrai.

  • Speaker #0

    Un livre pour arrêter de pleurer ?

  • Speaker #2

    Un livre que j'ai lu récemment, Endkind de Charlie Kaufman, qui s'est fait connaître comme scénariste.

  • Speaker #0

    Dans la peau de John Malkovich.

  • Speaker #2

    Exactement, et qui a écrit, qui est plus vraiment bienvenu à Hollywood parce qu'il a perdu trop d'argent. Et donc là, il a fait un roman colossal de 900 pages qui est absolument irracontable et qui est très drôle.

  • Speaker #0

    Et le titre encore ?

  • Speaker #2

    Antkind, ce qui se traduirait par du genre fourmi.

  • Speaker #0

    Ah oui, kind of ant. Un livre pour s'ennuyer ?

  • Speaker #2

    Il y en a plein. Moi, je m'ennuie beaucoup. Mais je vais dire Tolstoy. C'est pas un livre.

  • Speaker #0

    Mais quelle honte !

  • Speaker #2

    Comment osez-vous ? C'est pas un livre, mais j'ai essayé de lire Anna Karenin, Gare et Paix. Ça aurait pu rentrer aussi dans la catégorie des livres que j'ai fait semblant d'avoir fini. Oui. Et pourtant, j'aimerais beaucoup l'aimer parce que j'adore le gars et ce qu'il représente et tout ce qu'il dit à côté. Notamment, il a écrit des espèces d'essais.

  • Speaker #0

    Oui, mais peut-être qu'il faut commencer par les essais, justement.

  • Speaker #2

    J'ai beaucoup aimé. J'aime beaucoup tout ce qu'il dit, tout ce qu'il pense. Mais ces romans, je n'y arrive pas.

  • Speaker #0

    Un livre pour crâner dans la rue ?

  • Speaker #2

    J'ai mis Raymond Queneau, Aux confins des ténèbres, parce que c'est un livre pas connu et qui parle de livres encore moins connus. En fait, c'est un essai. C'est Raymond Queneau qui va dans les bibliothèques et qui va chercher des livres de ce qu'il appelle des fous littéraires. Donc des gens qui sont effectivement parfois des caps psychiatriques ou alors des gens qui ont eu des théories farfelues et qui n'ont jamais eu de postérité. Et donc, on va découvrir une dizaine ou une quinzaine de bouquins complètement délirants. Je vous en cite juste un, un bouquin de Pierre Roux, qui était un homme persuadé que le soleil était fait en excréments. Voilà, ça existe.

  • Speaker #0

    Un livre qui rend intelligent,

  • Speaker #2

    à part le vôtre. Oui, un livre qui m'a changé la vie, moi, par exemple, il y en a eu plein, mais Histoire de la philosophie occidentale de Bertrand Russell. Parce que c'est un livre qui fait l'histoire de l'Occident, l'histoire de la philosophie, mais surtout Bertrand Russell était quelqu'un de très irrévérencieux, très drôle.

  • Speaker #0

    Je sens que c'est votre maître à penser, vous l'avez beaucoup cité dans l'émission.

  • Speaker #2

    Ouais, j'aurais pu en citer d'autres, mais oui oui. Ouais Bertrand Russell, pour le coup, j'ai vraiment beaucoup beaucoup lu. Et encore une fois, il a cette attitude vis-à-vis des philosophes qui est une attitude pas tellement respectueuse, et ça fait énormément de bien parce qu'on n'a pas cette habitude-là.

  • Speaker #0

    Je vais quand même vous demander un petit peu plus de concision parce que je vous rappelle que...

  • Speaker #2

    Pardon pardon !

  • Speaker #0

    Dans le digital, dans le monde digital, Rien ne doit durer plus d'une minute trente. Allez,

  • Speaker #2

    c'est parti.

  • Speaker #0

    Un livre pour draguer.

  • Speaker #2

    Les deux étendards de Lucien Rebattet, qui n'est pas un homme aimable, mais qui a écrit une histoire d'amour sublime, très longue, où se mêlent aussi beaucoup de religions.

  • Speaker #0

    C'est pour draguer, mais que dans un congrès du Rassemblement national.

  • Speaker #2

    Non, j'ai dragué plein de filles avec ça.

  • Speaker #0

    Ce sera coupé. Un livre que je regrette d'avoir lu.

  • Speaker #2

    Euh... ou bah je mets... L'être et le néant.

  • Speaker #0

    Oui, vous moquez beaucoup de l'être et le néant de Sartre dans Marc, c'est vrai. Oui,

  • Speaker #2

    je pense que ça incarne un peu une dérive de la philosophie qui consiste à écrire de manière extrêmement compliquée pour dire des choses pas très intéressantes.

  • Speaker #0

    Un livre que je fais semblant d'avoir fini, bah vous avez déjà dit...

  • Speaker #2

    Non, attends, j'en ai...

  • Speaker #0

    Ah, il y en a un autre ?

  • Speaker #2

    Ouais, non, mais comme tu veux.

  • Speaker #0

    Un livre que j'aurais aimé écrire ?

  • Speaker #2

    J'en profite pour parler de Abattoir 5, de Kurt Von Goode, que j'ai lu récemment, qui est un livre complètement inclassable, où il parle de la guerre qu'il a connue, des bombardements de Dresde, et en même temps de son enlèvement par des extraterrestres. Et ça souligne l'absurdité de tout ça.

  • Speaker #0

    Oui, c'est un peu votre univers.

  • Speaker #2

    Et c'est très drôle.

  • Speaker #0

    Mais en même temps, on le sait, le livre que vous auriez aimé écrire, c'est Et si c'était vrai ? De Marc Lévy. Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu ?

  • Speaker #2

    Je vais mettre toute la littérature de Dave Perso dedans.

  • Speaker #0

    Qui c'est ça ?

  • Speaker #2

    Toute la littérature de Dave Perso.

  • Speaker #0

    Dave Perso ?

  • Speaker #2

    Dave Perso ? Non, de développement personnel.

  • Speaker #0

    Ah, personne n'avait compris.

  • Speaker #2

    Sérieux ? Oui. Vous ne dites pas Dave Perso ?

  • Speaker #0

    Non, de développement personnel. C'est drôle ça. Ils vont en faire une miniature pour Dave Perso. La littérature de Dave Perso.

  • Speaker #2

    Non, oui, le développement personnel, oui, je crois que là, on atteint un niveau d'indigence, de nullité historique dans l'histoire de l'humanité.

  • Speaker #0

    Le livre que vous lisez en ce moment ?

  • Speaker #2

    Je lis deux trucs. Je lis les petits textes d'Alphonse Allais, qui est quelqu'un de très comique et qui écrit extrêmement bien. Et je lis un manga qui s'appelle Berzerk, un manga culte des années 80. Et je recommande les deux. Ça n'a rien à voir, mais ça se complète bien.

  • Speaker #0

    Merci infiniment, Benjamin Storg, Mathieu Lecomte. Merci beaucoup. Et je... Ce n'est pas que je conseille, c'est que j'ordonne à tout le monde de lire Marc de Benjamin Stock aux éditions Rue Fromentin pour comprendre pourquoi on est dans ce monde incompréhensible. Cette émission vous est présentée, comme je l'ai dit, en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Et l'ingénieur du son se nomme Guilhem Pagelache. La réalisation et le montage vidéo sont faits par ma fille Chloé Becbedé. Et n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous crèverez idiot et seul.

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