- Speaker #0
Bonsoir à tous, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec
- Speaker #1
François-Henri Désérable pour son livre Chagrin d'un chant inachevé,
- Speaker #0
sous-titré
- Speaker #1
Sur la route de Che Guevara et publié aux éditions Gallimard.
- Speaker #0
Merci beaucoup, vous êtes le seul joueur de hockey professionnel à avoir reçu le grand prix du roman de l'Académie française, c'était en 2021. vous êtes un écrivain pourri de talent et vous publiez votre meilleur livre avec Chagrin d'un chant inachevé. Bref, vous êtes très énervant. Est-ce qu'on peut dire que vous avez eu une période Pierre Michon dans vos deux premiers livres qui étaient des livres un peu historiques Montrera ma tête au peuple 2013 et Evariste en 2015. Là, vous étiez michonisé à cette époque-là. Puis encore deux livres plutôt une saison Romain Garry. C'était un certain M. Piek-Elny en 2017. C'était le voisin d'enfance de Gary à Villers. Puis Mon maître et mon vainqueur en 2021, un roman d'amour lyrique. Et là maintenant, après Michon et Gary, c'est une période Nicolas Bouvier.
- Speaker #1
Ce sont des écrivains qui m'ont beaucoup influencé. J'ai un ami, Miguel Bonnefoy, que vous avez reçu. On avait cette conversation-là il n'y a pas longtemps. Il me disait que la littérature est épiphyte. L'épiphyte, on le dit, de plantes qui poussent sur d'autres plantes. Et Miguel me disait que les livres poussent sur d'autres livres. Je crois qu'il avait lu ça chez Julien Gracq. Et moi, effectivement, quand je suis entré en littérature, j'étais très influencé par Pierre Michon. que je considère comme le plus grand styliste, pas seulement de la littérature contemporaine, mais de la littérature tout court française, depuis Rabelais, en quelque part.
- Speaker #0
Il est venu lui aussi, enfin venu. C'est moi qui suis allé à lui dans la Creuse. Pour l'émission, pour que j'écris l'Iliade, exactement.
- Speaker #1
Et c'est vrai que je tiens Pierre Michon en très, très, très haute estime. Mais ce n'est pas le seul écrivain à faire partie de ma galaxie.
- Speaker #0
C'est amusant de se dire que vous faites deux livres influencés par l'un, puis deux livres influencés par l'autre, et là, ça fait deux livres que vous êtes en voyage. Il y a eu « L'usure d'un monde » , un voyage en Iran en 2023, et puis celui-ci, « Chagrin d'un champ inachevé » , qui est aussi un bouvierisme. Vous bouvierisez en ce moment, vous avez remonté toute l'Amérique du Sud, d'Argentine jusqu'à Cuba.
- Speaker #1
Oui. Oui.
- Speaker #0
Alors, quelle sera votre prochaine influence ?
- Speaker #1
Ça fait cinq ans que j'écris un roman, un gros roman, que je publierai, je ne sais pas quand, quand je l'aurai terminé. Mais c'est un truc sur le vin. Donc, vous voyez, là, c'est une influence viticole. C'est presque, on dirait du bec béné. Non,
- Speaker #0
peut-être que vous allez le terminer vous-même. C'est peut-être là que vous allez devenir délirable.
- Speaker #1
Mais je pense que c'est déjà le cas. Je pense que petit à petit, on forge une langue qui est la nôtre. Et c'est quelque chose qui est... Disons que j'ai l'impression que la plupart des écrivains, lorsqu'on leur demande à quand remonte leur vocation, ils la font toujours remonter au berceau. et ils nous font croire que leur premier vagissement était des des alexandrins parfaits avec ses yeux à l'hémistiche moi j'ai découvert la littérature assez tardivement j'avais 18 ans je me suis lancé comme ça je me suis mis à lire tout mon sou à moissonner un champ immense que je n'aurais jamais fini de moissonner et petit à petit on forge on forge sa propre voie.
- Speaker #0
J'ai même fait l'équation de des érables. Michon multiplié par Gary, divisé par Bouvier. C'est-à-dire, en fait, la pureté de la langue de Michon, multipliée par le souffle de Romain Gary, mais divisée par l'expérience des voyages, la précision, la vérité du voyageur suisse, Nicolas Bouvier. En fait, ça, ça donne des érables.
- Speaker #1
C'est l'équation qui me va très bien.
- Speaker #0
Vous voyez, c'est ça, exactement. Mais cela dit, Quand on regarde l'évolution de votre œuvre...
- Speaker #1
Vous portez vos lunettes sur le bout du nez maintenant. Oui,
- Speaker #0
c'est lâche. C'est pour devenir Bernard Pivot. Vous voyez, moi aussi, j'ai des influences. Non, en fait, quand... Votre style a évolué. Votre style a évolué par rapport à vos débuts. Et le fait de vous être lancé dans ce travel writing, ça a calmé votre romantisme un peu. Vous avez un regard un peu plus... comment on peut dire, simple. C'est un peu... M. J.F. Mosaïque. M. J.F. Non, mais moins échevelé.
- Speaker #1
M. J.F. Mais moi, j'aime bien le romantisme. C'est pas quelque chose dont j'essaie de me détacher à tout prix. Et je... Simplement, c'est le sujet. C'est-à-dire que là, ce sont des racines voyage. Mais évidemment que quand j'écris un roman sur une passion amoureuse, c'est difficile de ne pas verser un peu dans le romantisme.
- Speaker #0
J'allais dire que vous avez dompté votre Alexandre Jardin par du Sylvain Tesson, mais ce ne serait pas très aimable.
- Speaker #1
Non, mais je sais que vous avez fait cette réflexion au masque et la plume. Je vous avais écouté à l'époque, mais je vous l'ai pardonné parce que je pardonne volontiers. Chacun doit avoir sa part de mauvais goût. Moi-même, j'ai beaucoup aimé vos livres dans ma jeunesse.
- Speaker #0
Bon, on sent que c'était préparé cette vanne. Oui, vous voyez. En fait, il n'y a pas de problème. Un écrivain, ça se frotte à ses maîtres, comme vous l'avez dit. Et là, ce qui est drôle, c'est que vous vous brottez à Che Guevara. Donc, vous êtes intéressé à ce voyage à mobilette, enfin à motocyclette plutôt. qu'il a fait avec Alberto Granado en 1951-1952, où c'était 8000 kilomètres en 7 mois. Vous, c'était autant de kilomètres, mais en moins de temps ?
- Speaker #1
Oui, en 5, parce que, par exemple, quand ils passent par Lima, ils y restent un mois. Ils trouvent le gîte et le couvert, ils se sentent bien, et donc ils décident de prolonger un peu ce jour. Donc moi, j'ai fait un peu moins court dans certaines destinations. Mais j'ai suivi le même itinéraire de Cordoba, au nord-ouest de Buenos Aires, à Caracas et en passant par l'Argentine, le Chili, le Pérou. J'ai fait un détour par la Bolivie, parce que c'est là qu'est mort le Tché, la Colombie et le Venezuela. Et dans les mêmes conditions, c'est-à-dire que d'abord à moto, et puis ensuite leur moto, qui était une Norton 500 cm3 qu'ils avaient baptisée la Podelosa, la puissante, la vigoureuse, les a très vite lâchées en réalité. Donc ce voyage qu'on dit à motocyclette, il s'est fait surtout en stop, en camion et puis en bateau à travers la jungle amazonienne. Donc moi je l'ai fait dans les mêmes conditions d'abord à moto et ensuite par d'autres moyens.
- Speaker #0
Et à la fin, carrément tout seul en autocar.
- Speaker #1
Ouais, en bus et puis en cargo pour traverser la jungle.
- Speaker #0
Ouais. Et alors vous aussi, vous étiez accompagné au début par un copain qui s'appelle Quentin parce qu'il parle espagnol. C'est quand même pratique quand on va en Amérique du Sud. Vous ne parlez pas un mot d'espagnol. Non,
- Speaker #1
si, trois. No hablo et espagnol. Ce qui est quand même assez limite des interactions qu'on peut avoir avec les autochtones.
- Speaker #0
Vous avez progressé en espagnol un peu ?
- Speaker #1
De la même manière que la poitrine d'un général se garnit de médailles de bataille en bataille, moi, mon vocabulaire espagnol s'est au fait au gré du voyage.
- Speaker #0
Vous savez dire muchas gracias ?
- Speaker #1
Bien sûr, tequila, je sais dire tout ça. Et je sais dire le titre du livre en espagnol, parce que ce titre, c'est un grand achat inachevé. Je l'ai trouvé en lisant une lettre de Guevara, vous savez, parce qu'après ce premier voyage latino-américain, Guevara a fait un deuxième voyage qui l'a amené au Mexique. Et là, il rencontre un certain Raúl Castro qui lui dit « il faut absolument que je te présente à mon frère Fidel » . Il rencontre Fidel Castro, il y a une sorte de coup de foudre amical entre les deux. Et à un moment, les parents de Guevara lui envoient une lettre pour lui dire « écoute, t'es bien gentil avec tes pérégrinations, mais est-ce qu'il ne serait pas temps que tu reviennes à Buenos Aires, que tu t'installes comme médecin ? » que tu nous donnes de beaux petits enfants et que tu mènes une vie paisible et nonchalante en quelque sorte. Et il répond dans une lettre, il dit « Mes chers parents, j'ai fait la connaissance d'un jeune leader cubain destiné à libérer son pays par les armes. Désormais, mon sort est lié à celui de la révolution cubaine et je triompherai avec elle ou je mourrai là-bas. » Et là, il cite un vers de Hikmet, qui est un poète turc, qu'il a lu en espagnol. Hikmet était un ami de Pablo Neruda, il l'a lu en espagnol. Et ce vers, c'est « Solo llevaré a la tumba, la pesadumbre de un canto » . inconcluso. Et si je meurs, je n'emporterai dans la tombe que le chagrin d'un chant inachevé. Et moi, quand je l'ai traduit en... Parce que cette lettre, je l'avais lue en espagnol, et quand je l'ai traduite en français, j'ai trouvé que ça faisait une des plus belles allitérations en tché. Ouais, ouais. Inachevé, voilà.
- Speaker #0
On va revenir sur le Tché parce que vous êtes sur le Figaro Télé, donc on ne va pas vous laisser à durer très longtemps. Mais j'ai bien compris que c'était là votre côté romantique qui revenait. Cela dit, le livre commence par une agression. Vous avez un tesson de bouteille sous la gorge. Ça aurait pu s'arrêter là et vous ne seriez pas là.
- Speaker #1
Stylian Tesson, qui a lu le livre, m'a écrit un petit mot pour me dire merci de rappeler au monde que le tesson peut être tranchant. Oui, oui, c'était dans un...
- Speaker #0
Vous êtes allé traîner près du stade de foot de Buenos Aires.
- Speaker #1
Oui, dans le Palais Haut de la Boca, là où joue Boca Juniors, qui est le premier club de Diego Maradona. Et Quentin voulait absolument voir le stade. Et effectivement, on s'est un peu égaré dans les rues de la Boca, qui est un quartier qui est formellement déconseillé aux touristes. Et là, un type m'a mis un tesson de bouteille sous la gorge.
- Speaker #0
Mais vous avez donné votre argent et ça s'est bien passé.
- Speaker #1
Ouais, et c'est une petite mésaventure qui est... très désagréable, qui peut être désagréable aux voyageurs, mais qui est très profitable à l'écrivain.
- Speaker #0
Mais d'ailleurs, votre livre n'est qu'une suite de mésaventures.
- Speaker #1
Mais c'est ça.
- Speaker #0
Il y a que des mésaventures.
- Speaker #1
Il y a eu un dictionnaire amoureux de l'aventure, mais moi, je pourrais écrire un dictionnaire amoureux de la mésaventure, parce que la mésaventure, elle est beaucoup plus féconde. Je trouve que le moment d'ataraxie, de quiétude, de l'esprit, de jubilation d'être au monde, quand vous vous trouvez face à un paysage absolument merveilleux, et que vous voyez le soleil se noyer dans l'eau d'un lac, Ce sont des moments qui sont très agréables à vivre, mais d'un point de vue littéraire, vous n'en faites pas grand-chose. Alors que, si on vous fout un testa-bouteille sous la gorge, si vous passez des heures à attendre un bus, si vous mettez...
- Speaker #0
Vous avez failli crever plusieurs fois, notamment dans le désert d'Atacama. Oui,
- Speaker #1
j'en rajoute peut-être un peu là.
- Speaker #0
La bagnole tombe en panne au milieu d'un désert.
- Speaker #1
Oui, mais on n'a pas attendu si longtemps avant d'être... Moi,
- Speaker #0
j'étais avec vous. J'ai cru que vous étiez comme ça, en train de mourir de soif. Il y a quelqu'un qui est arrivé avec de l'île d'eau.
- Speaker #1
Oui, avec de l'île d'eau et qui nous a emmené au Céroparanal, qui est un observatoire astronomique, parce que dans le désert de Takama, le ciel est d'une pureté absolue. Et c'est là qu'il y a le plus grand observatoire astronomique du monde, qui est financé par les Européens et par les Américains. Et on voit les étoiles, mais d'une manière... Enfin, on voit la Lune déjà briller comme le Soleil. C'est extraordinaire. Et j'ai pensé à cette... Quand j'y étais, j'ai pensé à cette phrase de Marguerite Ursenard dans les Mémoires d'Adrien. Quand l'empereur revient à Rome et qu'il sait que sa mort l'attend, il voit la nuit qui tombe et il dit « Bientôt les étoiles montraient une à une à leur place assignée. » Et je trouve que cette phrase est merveilleuse. « Une à une à leur place assignée. » C'est peut-être la meilleure phrase du livre d'ailleurs, mais elle est de... Elle est de Marc-Luc Fusconard,
- Speaker #0
c'est embêtant. Non, j'ai... Alors, le voyage à motocyclette de Che Guevara, ça a été une expérience initiatique pour lui. Donc, vous l'avez dit, il monte, il finit par rencontrer les castros et ensuite, il y a une révolution à Cuba. Et vous ? Et vous ? Alors, vous avez fait le même voyage et qu'est-ce que ça a provoqué en vous ? Est-ce que vous allez monter une révolution à Paris ? Est-ce que... Oui.
- Speaker #1
je vais sortir de la Pérouse et je vais aller piquer une armurerie et marcher sur l'Elysée mais moi je crois pas que j'ai il faut remettre les choses dans leur contexte social et politique de l'époque j'en ai parlé d'ailleurs il y a pas longtemps avec Régis Debray qui était le compagnon du Tché qui d'ailleurs a été capturé et ensuite qui a été emprisonné pendant 4 ans en Bolivie à Camier et donc qui était ... Un intellectuel, mais qui allait vraiment se...
- Speaker #0
Allez-vous devenir le Régis Debré du 21e siècle ?
- Speaker #1
Non, je sais que je n'ai pas du tout l'étoffe d'un révolutionnaire, je n'ai pas l'étoffe d'un guerrier héros, mais j'espère seulement avoir celle d'un vagabond. Et d'ailleurs, il y a un moment, dans le journal du Tché, lorsqu'on lit le journal du Tché, il dit « Je sais désormais que mon sort est de voyager perpétuellement. » Et finalement, le destin a eu raison de ces velléités de... d'errance et de vie nomade. Mais moi, je crois que vraiment, ça va s'articuler autour du voyage et je me vois mal aller piller une armurerie et prendre l'Elysée. Sauf si vous me suivez.
- Speaker #0
Évidemment que je vous suis. Je vous suis tout de suite. On y va.
- Speaker #1
Écoutez, après l'émission...
- Speaker #0
Ce qui est fascinant dans la révolution cubaine, c'est qu'au début, ils sont une vingtaine. Une vingtaine de gars dans la jungle.
- Speaker #1
Ils embarquent sur un bateau qui s'appelle le Grand Mât. Ils sont 82. Ils débarquent. ils se font un peu massacrer et ils sont plus que 12 oui c'est ça ils sont 12 et à partir de là ils vont réussir à agréger les populations de la sierra maestra et puis leur leur armée en grand d'honneur va grandir et ils vont renverser baptiste a donc je veux dire que mais mon livre n'est pas du tout là dessus à nous deux on peut y arriver un peu en peu qu'on peut parler paris
- Speaker #0
et 12 12 personnes vraiment déterminée et terminé on prend le pouvoir ou on déterre d'ailleurs comme on dit aujourd'hui. La cocaïne la meilleure, donc est-ce que c'est la bolivienne, la péruvienne ou la colombienne ? Vous ne répondez pas dans le livre, d'ailleurs vous n'en prenez pas. C'est-à-dire, c'est la première fois que j'entends parler de quelqu'un qui va d'Argentine... Au Venezuela.
- Speaker #1
Sans avoir pris de coke.
- Speaker #0
Sans jamais en prendre.
- Speaker #1
Non, mais j'ai goûté de l'alcool à 90 degrés. Et je peux vous dire que je pense que ça défonce autant sinon plus que là. Où vraiment, on sent passer le truc. Enfin, on sent la tuyauterie qui est en train de se faire déboucher. Je n'ai jamais essayé. Et ça, c'était dans une...
- Speaker #0
Ça brûle, en fait.
- Speaker #1
Ah, mais c'est incroyable. C'était dans une mine à Potosi, qui est le Cerro Rico, le Mont Riche, qui est une mine qui est exploitée depuis l'arrivée des conquistadors, dans laquelle plus de 8 millions d'hommes sont morts. Et aujourd'hui, elle continue à être exploitée, c'est-à-dire qu'elle continue à être creusée par des mineurs qui bossent dans des conditions de travail absolument atroces. Et pour tenir le coup, ils mâchent... Ils mâchent de la coca. Oui, de la coca, exactement. Ils mâchent de la coca et ils boivent de l'alcool. Je me souviens, c'est marqué « Sin Ausha de caducidad » , sans date de péremption, qui était de l'alcool... mais vraiment à plus de 80 degrés. Et donc, j'avais bu une petite rasade.
- Speaker #0
C'est un peu comme le boire du desktop.
- Speaker #1
Ah, mais ce n'est pas loin de ça. C'est ce qui se rapproche le plus du desktop.
- Speaker #0
Vous savez, quand j'ai posé cette question à Miguel Bonnefoy, votre ami, j'ai demandé alors, est-ce que tu as appris de la drogue dans ton Venezuela ? Et il m'a répondu, ma mère regarde l'émission. Vous auriez pu répondre.
- Speaker #1
Mais sa mère, elle est géniale parce que sa mère apparaît dans le livre. La mère de Miguel Bonsoir apparaît dans le livre parce que quand je suis à Caracas, j'ai dormi chez la mère de Miguel Bonsoir. C'est une femme extraordinaire, très flamboyante. Et aujourd'hui encore, avant que je donne des émissions, elle me donne des conseils. Elle m'envoie de longs messages vocaux avec son accent vénézuélien très chantant. Elle me dit « Ah, tu vas rencontrer Frédéric Becbedé » . Fais attention à ne pas trop parler du Che Guevara, c'est pour les auditeurs du Figaro. Mais oui,
- Speaker #0
justement, j'y viens. Le Che n'était pas un saint. Il a fait exécuter des centaines de personnes. C'est vrai. Il a été président de la Banque Centrale de Cuba. Oui. Il a créé les camps de travail forcés en 1960. Alors, voilà, comment justifiez-vous cette admiration pour une personne qui a été certes un libérateur, mais aussi assez sanguinaire ?
- Speaker #1
C'était un révolutionnaire. C'était un révolutionnaire qui a cherché à faire tomber des gouvernements qui étaient des dictatures, que par définition, on ne peut pas faire tomber par les armes. Vous connaissez la phrase d'Hervé Spierre, on ne peut pas faire d'omelette sans casser des oeufs. Mais il a été violent. mais je donne la définition dans le livre que donne Héldor Camara, un évêque brésilien, sur les trois formes de violence. Il disait qu'il y a trois formes de violence, que la première, c'est la violence institutionnelle, et que cette violence-là, c'est celle qui légalise et perpétue les dominations, les exploitations et les humiliations, celle qui lamine et écrase chaque jour des millions d'hommes dans ces rouages silencieux et bien huilés. La deuxième forme de violence, c'est la violence révolutionnaire, qui a pour volonté d'abolir la première. Et la troisième forme de violence...
- Speaker #0
Elle n'y arrive jamais vraiment.
- Speaker #1
Oui, mais la troisième forme de violence, elle n'y arrive jamais, parce qu'il y a la troisième forme de violence qui est la violence répressive, qui se fait l'auxiliaire et la complice de la première en essayant d'étouffer la seconde. Et Hélder Camara ajoute qu'il n'y a pas de pire hypocrisie de n'appeler violence que la deuxième, en feignant d'oublier la première qui la fait naître et la troisième qui la tue. Donc je répondrais ça, je répondrais que c'est trois formes de violence.
- Speaker #0
Mais j'avais une meilleure réponse. Vous auriez pu dire... J'ai suivi la trace du Tché quand il était jeune.
- Speaker #1
C'est ça que j'ai ajouté. Que moi, en fait, ce qui m'intéresse, ce n'est pas le Guevara qui a eu le pouvoir, qui d'ailleurs l'a eu très peu de temps à Cuba. Ce n'est pas le Tché d'ailleurs, parce que Tché, c'est une interjection argentine qui revenait si souvent dans sa bouche que les Cubains la lui ont donnée pour surnom. Mais c'est ce jeune homme, ce jeune Ernesto Guevara, qui était un type qui voulait simplement vivre une aventure, voir du pays. se promener avec son copain Alberto Granado, un peu la fleur au fusil.
- Speaker #0
Il était assez chaud lapin, le Tché. Est-ce que vous-même, dans votre voyage, vous avez fait des rencontres ?
- Speaker #1
Son... Alors, le cousin du Tché écrit que c'était, dès son plus jeune âge, un baiser, un terrible baiser. Moi, récemment, j'ai donné un entretien pour un autre podcast, où on m'a dit, mais il manque quelque chose en votre récit. C'est ça ! C'est qu'il n'y a pas beaucoup de récits de voyage qui parle de l'aspect sexuel. Alors, il y a sur la route de Kerouac. Mais c'est vrai que même dans Bouvier, par exemple, Bouvier ne parle pas des coucheries qu'il a pu avoir avec Thierry Vernet lors de son périple à travers l'Iran.
- Speaker #0
Et s'il vainquait son nom plus,
- Speaker #1
d'ailleurs.
- Speaker #0
Il ne s'intéresse qu'aux faits.
- Speaker #1
Oui, mais justement, je pense qu'un des écueils dans lequel on ne veut pas tomber lorsqu'on écrit un récit de voyage, c'est de céder à la tentation de l'exhaustivité. Et je crois que de savoir en réalité ce que j'ai mangé ou à qui j'ai couché dans un voyage.
- Speaker #0
C'est intéressant.
- Speaker #1
J'essaierai de remédier à ce truc-là dans un autre périple.
- Speaker #0
Je ne peux pas ne pas vous parler de l'Iran. Vous avez écrit votre livre précédent, l'usure d'un monde, hommage à Nicolas Bouvier, l'usure du monde. Oui, c'est ça, l'usage du monde. Donc, vous connaissez bien l'Iran en ce moment, bombardé par non seulement Israël, mais par les États-Unis. Alors, est-ce qu'on peut être pour le Tché et pour Trump à la fois ?
- Speaker #1
Non, on ne peut pas être pour Trump, mais je ne vois pas comment on peut être pour Trump en ce moment. Enfin, moi, je trouve que...
- Speaker #0
S'il arrive à faire chuter un régime qui opprime le peuple, et notamment les femmes ?
- Speaker #1
Écoutez, on sait où on en est au moment où on enregistre ce podcast, mais les choses vont tellement vite qu'on ne sait pas où on en sera au moment où il sera diffusé. Et puis, je pense qu'il faut souvent tirer les leçons du passé. Est-ce que les bombes américaines, que ce soit en Afghanistan, que ce soit en Irak, que ce soit en Libye, ont réussi à changer quoi que ce soit ? Pas grand-chose. Et je n'ai jamais rencontré un peuple en Iran qui détestait autant le régime en place. Donc ça, que les Iraniens aient envie de voir la chute du régime des Mollahs, la chute des guerrières de la Révolution, la chute de Khamenei, la chute du guide suprême, ça ne fait aucune contestation. C'est-à-dire qu'il y a très peu d'Iraniens. On estime à 15% à peu près les Iraniens qui voudraient voir la République islamique se maintenir au pouvoir. Ça, ça ne fait aucune contestation.
- Speaker #0
Mais peut-être qu'avec les bombardements, ça va les aider à se libérer.
- Speaker #1
Mais ce n'est pas du tout ce qu'on voit. C'est-à-dire que peut-être qu'il aurait fallu les aider davantage au moment de Femme-Vie-Liberté, de ce mouvement Zine Zine Giazai, Femme-Vie-Liberté, après la mort de Gina Marsa Amini, cette jeune kurde arrêtée par la police des mœurs parce qu'elle portait le voile de manière un peu trop négligente à leurs yeux. Arrêtée, tabassée et morte sous leurs coups. Peut-être qu'il aurait fallu les aider à ce moment-là davantage. Mais je ne suis pas sûr que c'est en largant des bombes sur l'Iran qu'on va les aider. Et d'ailleurs, on voit là que la répression est féroce. C'est-à-dire que les gardiens de la révolution et les Bassidji en profitent justement pour arrêter quiconque aurait pu apporter son soutien à Israël et à M. Trump.
- Speaker #0
De toute façon, la question est éternelle.
- Speaker #1
C'est très difficile.
- Speaker #0
et est-ce que imposer les droits de l'homme, c'est bien ou est-ce que c'est de l'impérialisme ?
- Speaker #1
Vous savez, il y a une phrase de Jean-François Revelle qui était un grand amoureux des Etats-Unis et un chroniqueur au Figaro et chroniqueur au Figaro et il a dit cette phrase que je trouve très juste il disait depuis le temps que la France rayonne mais on pourrait dire la même chose sur l'Occident je ne comprends pas que le monde entier ne soit pas mort d'insolation et je pense qu'il faut la garder à l'esprit cette phrase Oui,
- Speaker #0
oui. Alors, bon... Plus légère question, vous dites que la moustache est de droite alors que la barbe est de gauche.
- Speaker #1
Oui, mais ce qui veut dire que vous êtes de gauche. Et vous aussi. Et on est de gauche, mais les lecteurs du Figaro seront heureux d'apprendre que vous êtes de gauche.
- Speaker #0
Cela dit, la barbe inclut la moustache, nous avons aussi des moustaches. Nous sommes moustachuques donc de droite, de droite par la moustache.
- Speaker #1
Mais de gauche par la barbe, c'est une sorte de synthèse des premiers temps du macronisme.
- Speaker #0
Vous dites également que le tennis est de droite alors que le ping-pong est de gauche.
- Speaker #1
Oui, mais je ne vois pas comment on peut contester ce truc. Ça me paraît évident.
- Speaker #0
Par exemple, vous pensez que... Parce que ça coûte moins cher.
- Speaker #1
Il y a de ça, bien sûr. Et puis regardez,
- Speaker #0
le ping-pong est un sport de pauvres.
- Speaker #1
Non, mais c'est un sport beaucoup plus populaire, un peu plus... Mais bon, tout ça, c'est cette classification droite-gauche. J'étais avec mon compagnon de voyage, Quentin. Nous étions au bord de la route en train de tendre le pouce à attendre qu'une voiture, eh bien, prenne un stop. D'ailleurs, les Colombiens ont une magnifique expression pour dire faire du stop. Ils disent « ir con el chance » , aller avec la chance. Eh bien, nous étions en train d'essayer d'aller avec la chance. Et on a joué pendant peut-être une heure à ce jeu. Qu'est-ce qui est de droite ? Qu'est-ce qui est de gauche ? Et le cigare, par exemple. Vous prenez le cigare.
- Speaker #0
Le cigare est de droite.
- Speaker #1
Sauf s'il est entre les lèvres du Tché. Le cigare entre les lèvres d'un homme d'affaires ventripotent est de droite. Votre père, il était pas ventripotent,
- Speaker #0
non ? Non, mon père, à la fin de sa vie, un peu.
- Speaker #1
Mais entre les lèvres du Tché, c'est de gauche. C'est autre chose,
- Speaker #0
bien sûr. Quel est le plus beau souvenir de ce voyage et le pire ? Alors j'ai des...
- Speaker #1
Ouais, vous avez des plus beaux souvenirs. Allez-y, je vous dirai si c'est le cas.
- Speaker #0
Je pense que le plus beau souvenir, c'est les chutes d'Iguassou.
- Speaker #1
C'est extraordinaire à voir. Les chutes d'Iguassou, l'Isla del Sol, le Machu Picchu... Cusco. Le désert d'Atacama, la ville de Cusco. Ça, c'est des choses qui sont... Enfin, c'est des endroits qui sont... On a même du mal à écrire dessus parce qu'on a peur que l'indigence de nos pauvres mots ne soit pas à la hauteur du spectacle prodigieux que l'on a sous les yeux. Donc ça, c'est merveilleux à voir.
- Speaker #0
Et le pire, j'ai aussi des suggestions. Il y a le tesson de bouteille là, la soif dans le désert à Atacama, mais... Peut-être le pire de tous, le fameux chemin de la mort, le camino de la mort.
- Speaker #1
Oui,
- Speaker #0
oui, oui.
- Speaker #1
C'est un chemin qui descend. C'est une longue route qui descend depuis La Paz, en Bolivie, et qui a le record d'accidents parce que c'est une route qui est très, très étroite. Et il y a un ravin, il y a un ravin au fond duquel il y a un certain nombre de camions. Alors, je ne sais plus combien de gens perdent la vie chaque année, mais c'est...
- Speaker #0
Là, vous étiez sur une échelle de l'homme rassuré, de 0 à 100. C'est quoi du 0 ?
- Speaker #1
Non, mais j'avais envie de croire en ma bonne étoile.
- Speaker #0
Pourquoi personne ne fait quelque chose ?
- Speaker #1
Parce que c'est très compliqué à aménager, je crois. Et en fait, c'est tellement étroit que quand deux camions se font face, l'un est obligé de reculer pour que l'autre passe avec les roues qui mordent comme ça dans le vide.
- Speaker #0
C'est un peu comme le salaire de la peur.
- Speaker #1
C'est vraiment effarant comme truc. Il n'y a pas beaucoup de garde-corps pour éviter les chutes. donc là il y a Il faut simplement s'en remettre à sa bonne étoile. Et puis, les camionneurs et les conducteurs qui empruntent cette route ne le font pas sans avoir rendu hommage à Pachamama, à la terre-mère. Et ils ne se lancent pas sans avoir fait un stade de croix.
- Speaker #0
C'est le mien de la muerte.
- Speaker #1
On y va. On y va.
- Speaker #0
Ils disent adieu à tous leurs amis, à leur famille.
- Speaker #1
Ils disent adieu.
- Speaker #0
C'est beau. À la grande librairie, vous alliez raconter quelque chose sur Lima, quand une spectatrice est morte derrière vous. Eh oui,
- Speaker #1
Albert, elle n'est pas morte, elle a fait un malaise.
- Speaker #0
Alors, du coup, je suis frustré, je vous ai vu dans cette émission et je voudrais que vous me finissiez votre phrase. La phrase, c'était « d'un côté de la colline, il y a des... » Oui,
- Speaker #1
ça c'est à Lima, où il y a une colline, et d'un côté, il y a des villas de très riches liméniens qui ont fait bâtir des villas d'architectes avec des... des garages avec, à l'intérieur des garages, des bagnoles de luxe, et puis des piscines à débordement, et puis des gazons... Et des gazons bien verts arrosés en permanence par des tuyaux d'arrosage automatique. Et de l'autre côté de la colline, il y a des bidonvilles. Et pour éviter que les bidonvilles ne viennent grignoter jusqu'au pied des villas, eh bien, qu'ont fait les riches liméniens ? Ils ont fait bâtir un mur d'une dizaine de kilomètres de long, le long de la ligne de Crète, qui est un mur de 10 kilomètres de long, de 3 mètres de hauteur.
- Speaker #0
La muraille de Chine.
- Speaker #1
Voilà, hérissé de... tessons de bouteilles et de fils barbelés qui est peut-être l'un des seuls murs, si ce n'est le seul mur de ségrégation économique et sociale au sein d'une ville. Et ce qui est frappant, les riches l'appellent el muro, le mur, et les pauvres, el muro de la vergüenza, le mur de la honte. Et lorsque vous montez, lorsque vous grimpez le bidonville, enfin la colline du côté du bidonville, ce qui est frappant, c'est que la colline aboie. Parce que chaque petite maison, les maisons ce sont des bicoques qui sont des planches mal écarrées avec des toits en taux l'ondulé sur lesquels on a posé des pierres pour éviter qu'au premier coup de vent, ils ne s'envolent. Eh bien, chaque petite bicoque est gardée par un chien. Et moi, j'ai voulu monter jusqu'au mur de séparation. Et là, tout en haut, qui est l'endroit le plus pauvre, Lévi-Strauss, dans Triste Tropique, disait déjà que dans les bidonvilles, la pauvreté se mesurait à l'altimètre. Parce que dans les bidonvilles, il n'y avait pas d'eau courante. Donc, il faut convoyer l'eau à l'épaule dans des bidons d'eau. et bien tout en haut l'endroit le plus beau, je vois une fillette qui est dans le dénuement le plus complet et avec un chien particulièrement nerveux à côté et je lui dis je m'adresse à elle et je lui dis dis à ton chien de se calmer et là le chien me voyant m'adresser à elle se précipite et me mord la jambe c'était peut-être ça le moment le plus désagréable parce que j'ai eu très peur le chien ne me lâchait plus la jambe et finalement un type est arrivé avec un bidon d'eau a décidé de verser le bidon d'eau sur la tête du chien j'ai dû aller me faire désinfecter chez un coiffeur du bidonville ... qui, puisque j'étais là, m'a dit « Est-ce que vous ne voulez pas une petite coupe ? » Et là, il m'a sorti un menu plastifié de footballeurs. Donc, est-ce que je voulais une coupe à la Neymar ou à la Pogba ? On voit qu'elle est très réutile. Mais moi, je suis plutôt conservateur en matière capillaire. Je lui ai demandé un simple rafraîchissement. Et déçu que je ne fasse pas davantage appel à ces talents de Picasso du ciseau, il m'a coupé les cheveux de manière très nonchalante en jouant sur son téléphone. De sorte qu'un mois plus tard, quand j'ai essayé de faire rattraper le coup chez un coiffeur de Bogota, me voyant arriver, il a rameuté ses collègues. un peu comme un professeur de médecine ramotrer les internes devant un cas d'école. Il m'a dit « Mais qui est responsable de ce désastre ? » J'ai dit « Écoutez, vous n'allez pas me croire, mais c'est à cause d'un chien. »
- Speaker #0
C'est à cause d'un chien en haut d'une colline à Lima. D'ailleurs, dans le livre, vous racontez que vous avez eu peur d'attraper la rage, mais heureusement, vous vous étiez fait vacciner au dernier moment.
- Speaker #1
Vous avez fait un certain nombre de vaccins. J'ai fait un rappel de vaccins à Lima.
- Speaker #0
Bon, évidemment, il y a le passage de Boeuvry, mais on en a déjà parlé. Alors, passons maintenant au jeu Devine tes citations.
- Speaker #1
Je suis imbattable. Imbattable.
- Speaker #0
On va voir.
- Speaker #1
Non seulement je suis imbattable, mais j'écoute...
- Speaker #0
Ne vous vantez pas trop.
- Speaker #1
Attendez, j'écoute votre émission. Alors, c'est vrai que c'est le meilleur moyen de passer pour la...
- Speaker #0
Eh oui, attention.
- Speaker #1
Mais j'écoute votre émission et j'arrive même à deviner les citations d'écrivains qui ne se souviennent plus de les avoir écrites. Donc, essayez de me... Alors,
- Speaker #0
on va voir. Ce sont uniquement des phrases que vous avez écrites. dans quel livre avez-vous écrit ceci ? Je n'avais pas l'étoffe d'un révolutionnaire, j'espérais avoir celle d'un vagabond.
- Speaker #1
Chagrin d'un champ inachevé.
- Speaker #0
Chagrin d'un champ inachevé, 2025. On a déjà parlé de cette histoire. Autre phrase de vous. J'ai su que cette histoire allait trop loin. Pour la première fois,
- Speaker #1
je suis entré dans une armurerie. C'est la première phrase de Mon Maître et Mon Vainqueur. Et moi, quand je commence un livre, il me faut toujours le titre et la première phrase.
- Speaker #0
Vous soignez vos insipides, comme on dit. Et alors, quelle est l'insipide du dernier ?
- Speaker #1
Vous voulez dire celui de Chagrin d'un champ inachevé ? Ah ! Linky Pit de Chagrin d'un champ inachevé, c'est au mur du tableau.
- Speaker #0
Au mur de la classe.
- Speaker #1
Au mur de la classe.
- Speaker #0
À côté du tableau.
- Speaker #1
Du tableau, une carte du monde.
- Speaker #0
Bravo.
- Speaker #1
C'est ça.
- Speaker #0
On continue. Oui, nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu'il le faudra.
- Speaker #1
Non, mais c'est pas dans mes livres. Et c'est une phrase de Che Guevara.
- Speaker #0
C'est une phrase de Che Guevara, exactement, en décembre 1964 à l'ONU.
- Speaker #1
Oui, il était un peu nerveux.
- Speaker #0
Il était un peu nerveux, voilà. Une autre phrase, le sonnet, c'est un peu comme l'amour conjugal. Sa beauté naît des contraintes qui lui sont inhérentes.
- Speaker #1
Mon maître et mon vainqueur.
- Speaker #0
Aussi, mon maître et mon vainqueur. C'est la même chose que pour le voyage du Tché, à mon avis. C'est-à-dire que le sonnet, c'est une contrainte. Le voyage du Tché, c'est aussi une contrainte que vous vous êtes fixé.
- Speaker #1
Et souvent, la beauté naît de la contrainte. Et moi, j'ai vu là, en entrant dans les salons de la Pérouse, Il y a un portrait de Blaise Sandrard, qui est moi vraiment un poète pour qui j'ai la plus grande admiration. La prose du Transsibérien, je trouve ça magnifique. Il a d'ailleurs écrit un bouquin qui s'appelle Bourlinguet. J'aurais pu reprendre ce titre-là.
- Speaker #0
Peut-être que ce sera votre prochaine inspiration, Sandrard.
- Speaker #1
Et lui, pourquoi pas ? Mais lui n'a pas écrit de sonnets. Mais moi, j'aime beaucoup la poésie du XIXe. Et je trouve que le sonnet rimbaldien ou verlénien est presque ce qu'on a fait de mieux en matière de poésie.
- Speaker #0
Autre phrase de vous. Ou pas.
- Speaker #1
Elle dit.
- Speaker #0
Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire au numéro 16 de la rue Grande Paulanka,
- Speaker #1
à Villeneuve. Habiter un certain M. Piekelny. Ça, c'est une phrase qui se trouve dans la promesse de l'aube de Romain Garry au chapitre 5. Et voilà, il raconte que sa mère nourrissait de grandes ambitions pour lui. Et elle lui disait, mon fils, tu seras ambassadeur de France, tu seras Gabriel Alamontio, tu seras écrivain. Aujourd'hui, elle aurait dit « Tu seras Frédéric Becbédé » . Et tout le monde dans l'immeuble où il vivait avec sa mère se moquait des prétentions maternelles, sauf un petit homme qui ressemblait à une souris triste, qui avait une petite barbiche roussie par le tabac. Ce petit homme s'appelait M. Piekelny. Un jour, il a coincé le petit Romain dans la cage d'escalier de l'immeuble. Il lui a dit « Écoute, je sais que les mères sentent ces choses-là. Je pense que tu vas devenir quelqu'un d'important. Alors, est-ce que tu peux me faire une promesse ? Promets-moi que tu rends... que... quand tu rencontreras les grands de ce monde, tu leur diras qu'au numéro 16 de la rue Grande Paul, en cas à Villeneuve, habitait un certain monsieur piéquien.
- Speaker #0
Et vous en avez fait un livre, vous avez fait un livre entier pour essayer de retrouver ce personnage qui portait ce titre.
- Speaker #1
Un certain monsieur piéquien.
- Speaker #0
Est-ce que c'est pour la même raison que vous citez Hans Jürgen Sean Hague, le propriétaire de la moto à Bariloche en Patagonie. Oui, oui,
- Speaker #1
ça c'est un...
- Speaker #0
C'est pour la même raison.
- Speaker #1
C'est un type qui m'a dit... Qui vous l'a demandé. Il m'a dit, si tu tires un récit de ce voyage, je t'en supplie, est-ce que tu peux citer mon nom ? Et voilà, je l'ai mis. Hans-Jürgen Schoenhage. Voilà, je ne sais pas si...
- Speaker #0
Vous avez envié le livre ou pas ?
- Speaker #1
Non, je ne sais même pas s'il est en vie. je n'ai aucun moyen de le contacter mais qui n'hésite pas à se faire
- Speaker #0
Espérons que le destin fera...
- Speaker #1
Peut-être qu'il est auditeur de ce...
- Speaker #0
Exactement, bien sûr. Du Figaro Télé en Patagonie.
- Speaker #1
Nous avons beaucoup d'auditeurs patagons.
- Speaker #0
Si je ne devais plus écrire qu'un seul livre, que ce soit celui-ci, un passeport, jusqu'au dernier jour, en noircir les pattes, à coup de tampon...
- Speaker #1
Ça, c'est l'ex qui pite, je ne sais pas si ça se dit. C'est la dernière phrase de Chagrin d'un champ inéchevé. C'est presque un truc programmatique.
- Speaker #0
Alors, du coup, oui, mais alors vous repartez quand et où ?
- Speaker #1
Là, c'est vraiment depuis dix ans. C'est ma première année où j'essaye de me sédentariser pour absolument terminer le roman que j'ai commencé il y a quelques années.
- Speaker #0
Le roman de Poivreau.
- Speaker #1
Voilà. Et ensuite, j'ai quelques idées, mais qui ne sont pas encore définies. Mais je vais repartir, oui.
- Speaker #0
Une autre. Parmi toutes les scènes de ce récit... L'une d'elles est fictive.
- Speaker #1
Ça, c'est dans une note de bas de page, dans chacun d'un chariot achevé.
- Speaker #0
Bravo, page 178.
- Speaker #1
Et il y a une scène qui est fictive.
- Speaker #0
Il y a une scène qui est fictive, vous dites. Alors là, c'est intéressant, parce que j'ai vu d'autres interviews de vous.
- Speaker #1
Je ne l'ai jamais dit. Vous voulez que je vous le dise ? Eh bien, je vais le vous dire. C'est une exclue arrachée par Frédéric Beigbeder. Lorsque je suis au Machu Picchu, je visite le Machu, je fais la visite du Machu Picchu avec un couple. qui a vraiment envie de baiser. Et en fait, cette scène est une parodie d'une scène qui se trouve dans Madame Bovary de Gustave Flaubert, juste avant la scène du fiacre, quand elle est avec Léon, son amant, dans la cathédrale de Rouen, et qu'il y a un guide qui leur fait visiter la cathédrale de Rouen. Et Léon n'a qu'une envie, c'est d'emmener Madame Bovary dans le fiacre pour faire son affaire. Et Madame Bovary se raccroche à sa vertu chancelante en écoutant religieusement... Les explications du guide. Moi, je cherchais un moyen de faire passer des informations sur le Machu Picchu, sans que ce soit rasoir et sans que ce soit une sorte de tartine un peu chiante. Et donc, j'ai inventé ce couple que j'avais rencontré, mais qui n'était pas avec moi au Machu Picchu. Et donc, cette scène est purement fictive.
- Speaker #0
De toute façon, le rôle d'un écrivain, c'est de mentir. C'est très important. Là, évidemment, il y a écrit récit. Mais ça ne vous empêche pas d'être un tout petit peu mythomane.
- Speaker #1
D'autant qu'on est fidèle à ses souvenirs lorsqu'on écrit un récit de voyage, sans être sûr que nos propres souvenirs soient fidèles à ce qu'on a vécu.
- Speaker #0
Est-ce que vous écrivez sur le moment ou vous écrivez en rentrant ? Là,
- Speaker #1
j'ai tout écrit en rentrant, mais je pense que c'est une connerie. Je crois qu'il faut prendre énormément de notes. Maintenant, je noircis mes carnets de notes.
- Speaker #0
Fais tes sons.
- Speaker #1
Il a raison et c'est ce que j'avais fait pour les Journals Monde. Je crois que le mieux, c'est d'arriver avec le bloc de marbre et ensuite de le tailler. Alors que là, j'ai dû aller puiser dans mes souvenirs, aller chercher le bloc de marbre à Carard avant de pouvoir le ciseler.
- Speaker #0
Vos conseils de lecture ? Alors, c'est une rubrique importante parce que ça nous permet de connaître un peu justement vos influences. Alors, j'imagine que vous allez beaucoup citer Romain Garry, Pierre Michon et Nicolas Brun. Mais peut-être pas. Alors, un livre qui vous donne envie de pleurer ?
- Speaker #1
Moi, il y en a trois qui m'ont fait pleurer. Il y a Belle du Seigneur d'Albert Cohen, à la fin. Il y a D'autres vies que la mienne, d'Emmanuel Carrère. et La vie de Vansois de Émile Ajar, donc de Romain Guéry. Ah,
- Speaker #0
vous voyez. Et le livre Pour arrêter de pleurer.
- Speaker #1
Pour arrêter de pleurer. Alors, c'est un peu étonnant, mais je vais vous dire, je vais vous citer le livre d'un jeune homme de 22 ans, écrit par un jeune homme de 22 ans, qui pose un regard extrêmement lucide sur l'absurdité de la vie parce qu'il est en proie à des insomnies terribles, mais qui vont lui permettre de se hisser sur les cimes du désespoir. Et donc, c'est sur les cimes du désespoir de Cioran, que moi, j'ai lu à un moment où j'allais très mal. Et de lire le livre d'un type qui allait encore plus mal m'a permis de me donner l'impulsion pour remonter en quelque sorte. Et ça a été un livre très important pour moi. Oui, oui, Cioran ne déprime jamais. Donc, Cioran déprime du désespoir. En fait,
- Speaker #0
il ne nous déprime jamais.
- Speaker #1
Parce qu'il est beaucoup plus déprimé que nous. Il déprime pour nous,
- Speaker #0
en fait.
- Speaker #1
Et dans ce livre, il dit notamment, si je ne me suscite pas, c'est parce que la mort me dégoûte autant que la vie. Vous voyez quand même le désespoir de cette personne.
- Speaker #0
Il y avait une chose qu'il m'avait dite Jean-Paul en Thauvin, une fois où je lui disais que j'avais envie de me suicider. Il me dit « Oui, c'est très bien le suicide, mais on n'est plus là pour en profiter. »
- Speaker #1
C'est pas mal.
- Speaker #0
Bon, c'est une autre forme de bon conseil. Alors, pardon, je suis en train de chercher mon questionnaire parce que je suis atteint de la maladie d'Alzheimer.
- Speaker #1
et donc ça va arriver alors oui il y avait un livre pour draguer le livre pour draguer je dirais faire l'amour de Jean-Philippe Toussaint c'est pas mal et puis d'une manière générale les quatre tomes de MMMM la tétralogie de Toussaint Jean-Marie Madeleine Marguerite de Montalte qui est pour moi le plus beau roman d'amour du 21ème siècle un livre au crâne dans la rue les fragments d'un discours amoureux de Barthes, c'est pas mal.
- Speaker #0
Ça fait sérieux. Un livre qui rend intelligent ?
- Speaker #1
Je dirais tous les livres de Svetlana Leisievitch. Parce qu'elle montre ce sont des... Elle s'entretient avec des... Elle montre la polyphonie, la multiplicité des voix, la complexité du monde. à travers les témoignages qu'elle recueille. Donc que ce soit la fin de l'homme rouge, la supplication, la guerre n'a pas un visage de femme, enfin tout ça c'est absolument fou.
- Speaker #0
C'est fort d'obtenir le prix Nobel de littérature avec les témoignages des autres.
- Speaker #1
Oui mais qu'elle remet en forme littérairement. Et elle est une immense écrivaine, écrivaine biélorusse, immense écrivaine.
- Speaker #0
Un livre que vous faites semblant d'avoir fini ? et vous n'avez pas le droit de dire Ulysse de Joyce parce que tous les invités disaient la même chose je dirais
- Speaker #1
Bouvard et Pécuchet j'adore Flaubert mais j'ai pas fini Bouvard et Pécuchet et vous allez me dire lui non plus parce que c'est un livre inachevé ce qui avait permis à mon ami Clément Bénèche de dire cette phrase absolument géniale j'ai enfin terminé Bouvard et Pécuchet c'est pas Flaubert qui pourrait en dire autant un livre que vous auriez aimé avoir écrit pas le droit de dire Belle du Seigneur ouais un livre que j'aurais aimé avoir écrit Le Parfum de Patrick Suskind. Parce que c'est un livre dans lequel Suskind n'abdique jamais son exigence littéraire qui est très élevée. C'est un livre où il y a un anti-héros. Un livre qui est écrit souvent au passé simple. Un livre où il y a des latinismes, où il y a très peu de dialogue. Donc rien pour plaire au grand public. 20 millions d'exemplaires.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai.
- Speaker #1
En plus, j'aurais aimé les droits d'auteur. Oui,
- Speaker #0
c'est vrai.
- Speaker #1
Je trouve que c'est un immense livre. Et je le mets beaucoup.
- Speaker #0
Très bien construit en plus, avec une vraie chute.
- Speaker #1
Et avec une langue magnifique. Et c'est un des livres que j'offre le plus, notamment aux gens qui ne lisent pas. Ils me disent, avec quoi je pourrais commencer ? Et je leur mets entre les mains le parfum de Patrick.
- Speaker #0
C'est vrai qu'on n'y pense plus, alors que c'était un livre très à la mode, mais on n'y pense plus. Et c'est un livre, je suis sûr, pour initier des gens à la littérature, ceux qui nous regardent, ceux qui nous regardent sur Instagram notamment. Arrêtez. Bien, le pire livre que vous ayez jamais lu de votre vie ?
- Speaker #1
vous savez moi j'essayais de m'en tenir au précepte de Chateaubriand qui disait il faut être économe de son mépris étant donné le grand nombre des nécessiteux par conséquent je ne parlerai pas à votre micro de Joël Dicker ah ah ah non mais je dirais il ne faut pas dire du mal des gens
- Speaker #0
vous avez raison.
- Speaker #1
Non, mais je vais vous dire pourquoi je parle de Joël Descartes, parce que lui, il a décidé de tuer le système de la péréquation. La littérature a toujours fonctionné sur ce système, c'est-à-dire que les maisons d'édition publient des livres qui touchent un très grand public, qui ne sont pas forcément très littéraires et qui vont ramener beaucoup d'argent et permettre d'avoir des comptes d'exploitation bénéficiaires pour publier à côté des livres beaucoup plus littéraires, beaucoup plus formalistes. et qui vont pas trouver leur public tout de suite. Et lui, il a décidé d'aller créer sa propre maison d'édition pour se publier lui-même. Donc j'admire beaucoup le businessman, mais j'ai moins de respect pour l'écrivain qu'il est.
- Speaker #0
D'ailleurs, j'avais fait un article sur lui où c'était que sur le plan financier. C'était une chronique...
- Speaker #1
Mais bon, il est sans doute hyper sympathique. C'est pas une attaque à dominer, moi.
- Speaker #0
Peu importe. Le livre que vous lisez en ce moment ?
- Speaker #1
Eh bien, c'est Colcos d'Emmanuel Carrère. Ah,
- Speaker #0
ça y est, vous l'avez reçu, oui.
- Speaker #1
Parce qu'il m'a fait l'amitié de me l'envoyer. Et figurez-vous que vous apparaissez dedans.
- Speaker #0
Ah bon ?
- Speaker #1
J'ai pris en photo le passage d'apparaisseur.
- Speaker #0
C'est un chef-d'oeuvre. Oui.
- Speaker #1
Ah, montez. Voilà, je l'ai sur mon téléphone. Non, mais ça va vous plaire parce qu'il dit...
- Speaker #0
Ce n'était pas à l'enterrement de sa mère ? Non, non, non. C'était en Russie.
- Speaker #1
où il dit « Ma chatte, une femme aiguë et volubile est mon éditrice russe. » Je dis mon éditrice parce qu'elle a publié un livre de moi, mais elle n'a pas l'air, au vu des ventes, disposée à en publier un second. Ce qu'elle aimerait publier, comme tout le monde, c'est Frédéric Becbédé, qui est une star sans rival en Russie. Même à Kotelnich, où il n'y a évidemment pas de librairie, un tourniquet dans une quincaillerie propose quelques livres, tous de Frédéric Becbédé.
- Speaker #0
Voilà, mais c'est quand même un peu dommage d'être une star en Russie en ce moment.
- Speaker #1
En ce moment, oui.
- Speaker #0
On n'a même pas le droit d'y aller, ni l'envie d'ailleurs. Bien, écoutez, merci un film de Henri Desheraves. Ça m'a fait plaisir de pouvoir parler de toute votre oeuvre qui évolue et de votre livre, votre meilleur livre, Chagrin d'un chien.
- Speaker #1
Je ne suis pas d'accord avec vous, mais merci.
- Speaker #0
Moi, je trouve qu'il est très drôle et qu'il est différent et qu'il est original et qu'il n'est pas du tout, en fait, comme tous les récits de voyage, puisque ce ne sont que des galères qui vous arrivent. C'est ça qui est assez amusant. Et donc, c'est chez Gallimard. Merci à Berluti. pour ma chemise. Merci au Figaro Télé pour continuer de capter ces conversations complètement vaines. Et puis, je voudrais dire en conclusion que les dinosaures ne lisaient pas de livres. Or, ils ont disparu. Coïncidence ? Je ne crois pas, non. Bonsoir.