- Speaker #0
Bonsoir chers amis de la littérature, ce soir c'est un peu particulier et même un événement puisque je reçois Alain Esquerre, le lanceur d'alerte de l'affaire Bétarame avec Clémence Badeau. Ils ont co-écrit Le silence de Bétarame chez Michel Laffont. Il y a des passages insoutenables. Votre démarche Alain est née un jour où vous avez croisé Patrick Martin. avec des élèves de Bétharame, et tout d'un coup, tout vous est revenu, en fait. C'est-à-dire que c'est devenu insupportable pour vous de ne pas parler de ce que cet homme vous avait fait.
- Speaker #1
Oui, tout de suite, quand j'ai rencontré cet individu, ce triste sire qui était à Bétharame depuis plus de 40 ans, qui sévissait dans l'internat de ces jeunes garçons, euh Je me suis rappelé tout de suite en 1983, quand il était arrivé. Moi, je suis un petit élève de Bétharane. Je rentre en CM dans cette institution.
- Speaker #0
Vous avez quel âge ?
- Speaker #1
J'ai une dizaine d'années. Je vais y rester pendant six ans. J'ai neuf ans, précisément. Du CM2 à la troisième. Et j'habite à côté de cette institution. qui est renommée dans le Béarn. Je suis plutôt fier d'aller à Bétharame, en fait, au départ, parce que pour moi, c'est aller dans l'école des grands. Bétharame, c'est une carte postale. Oui,
- Speaker #0
c'est imposant. C'est un bel immeuble près d'un fleuve.
- Speaker #1
Magnifique bâtisse, une belle piscine, des cours de tennis, une chapelle, un calvaire aussi, avec 15 stations. Et donc je croise ce surveillant et je me dis, « Ah là, on sait quand un pape au CQ soit toujours là. » Lui qui t'avait donné une rouste en 1983, qui était en plus totalement infondée, mais il en donnait un peu à tout le monde, ce jeune homme, tout jeune d'ailleurs, qui arrivait dans l'institution. Et là, mon sang ne fait qu'un tour. Je l'avais déjà revu. Mais de le voir en contact avec ces petits garçons qui étaient tous très polis, qui me saluaient. Bonjour, monsieur. Bonjour, monsieur. Et là, son visage qui m'apparaît, qui est une insulte pour moi. Et là, je me dis non, il faut que je porte cette parole de Bétharame, que je fasse connaître ce qui s'est passé. Alors peut-être que je vais être stupide, je vais être dans mon petit groupe. Mais qu'importe. Il faut recueillir tous les témoignages. Pourquoi c'est important de ces violences physiques qu'il y avait ?
- Speaker #0
Vous avez commencé à créer un groupe Facebook qui était le 10 octobre 2023. Mais en fait, vous parlez de ces violences physiques depuis 1996,
- Speaker #1
c'est ça ? Oui, en 1996. Pourquoi ? J'en parlais déjà avant. Vous en parliez autour de vous. Oui, autour de moi. Tout le monde me disait, mais arrête de pleurnicher,
- Speaker #0
c'est pas grave,
- Speaker #1
c'est l'éducation. Pour faire un homme, c'est normal de prendre des coups dans son éducation. Voilà, ça fait partie du décorum de ces choses qui sont obligées, en fait, dans la vie, un passage,
- Speaker #0
un rituel. J'ai l'impression que ça a duré tout le XXe siècle, sans doute les siècles précédents. Et puis, mais quand est-ce que ça s'est arrêté ? Est-ce que quand même, dans les années 90, il n'y a pas un tournant ?
- Speaker #1
Le basculement à Betaram, ça va être l'arrivée des téléphones portables.
- Speaker #0
Ah, pour une fois que le téléphone portable a une vertu, c'est qu'on ne peut plus tabasser les enfants.
- Speaker #1
On ne peut plus tabasser parce que tout va être filmé. Et donc, ça va s'arrêter grosso modo 2005.
- Speaker #0
C'est dingue, je n'avais jamais pensé à Xardis. C'est la seule fois où on dit du bien des téléphones portables dans cette émission, parce que je suis très contre, mais là, pour le coup... Et Clémence Badeau, expliquez-moi un peu comment vous avez rencontré Alain et pourquoi vous avez pris fait et cause pour ce combat. Ça fait quand même quelques années maintenant.
- Speaker #2
Moi, j'ai commencé ma carrière de journaliste à Radio France Pays-Bas, qui est Radio France Pau-Béarn. Donc, c'est une région que je connais bien. Je connaissais déjà Bétharame. On entendait déjà dans les années 2000 une sorte de petite musique de fond, une sorte de petite rumeur sur ces violences, sur ces châtiments, sans vraiment comprendre ce que c'était. Et puis en août l'année dernière, ça fait presque un an, on s'est rencontrés pour un projet de documentaire et on a commencé à vraiment parler, discuter, enquêter beaucoup ensemble aussi. Mais Alain, il avait à cœur d'écrire un livre. Donc régulièrement, il me disait Clémence, Clémence, le Il se trouve que mon mari écrit aussi, donc je connais quelques personnes dans l'édition. Et en janvier, j'ai appelé Michel Laffont et je leur ai parlé de Bétarame. Je leur ai dit j'ai un spotlight à la française. Je leur ai pitché un peu comme ça.
- Speaker #0
Spotlight, c'est quoi ? C'est une série ?
- Speaker #2
Non, c'est un film qui se passe aux États-Unis, qui dénonce les évêques pédophiles. Et ils ont eu le nez vraiment très creux parce que le 5 janvier, personne ne connaissait l'affaire de Bétarame, à part les gens localement. En France, vous parlez de bêtard, mais on vous regarde avec des yeux ronds. Ils ont eu le nez creux parce qu'ils m'ont dit c'est super, vraiment, on va y aller. Et puis, le 5 février, il y a eu l'affaire Bayrou à l'Assemblée nationale.
- Speaker #0
Mais il y a part en fait qui sort pour nuire au Premier ministre,
- Speaker #2
clairement. Clairement, il y a cette scène à l'Assemblée nationale où il doit répondre aux questions de Paul Vannier. L'affaire devient politique, devient nationale. Et là, Michel Laffont nous rappelle et nous dit alors non seulement on va prendre le livre, mais on le veut pendant six semaines. Voilà, voilà l'histoire. du silence de Betarham.
- Speaker #0
Mais ce qui est fou, c'est que Alain, vous parlez de ça à peau, et autour de vous, et à des journalistes, et puis vous montez ce groupe Facebook, et ça fait très très longtemps. Et donc en fait, ça s'est accéléré pour des raisons politiques, pour savoir si oui ou non, Bayrou était au courant ou pas. Mais bon, est-ce que vous avez pris ça comme une divine surprise ? Ça vous ennuie plutôt parce qu'on s'éloigne de l'affaire en elle-même, de la vraie souffrance de ces victimes ?
- Speaker #1
En fait, je suis très partagé parce qu'évidemment, la médiatisation, elle permet la libération de la parole et elle est essentielle, cette libération de la parole. Elle ne fait que commencer d'ailleurs, parce que sinon, nous en aurons jusqu'à l'overdose. Vous savez, il y a 5,5 millions de Français qui sont abusés sexuellement pendant leur minorité. Les chiffres sont considérables, donc aussi un très grand nombre d'agresseurs. C'est un sujet de société, c'est un sujet extrêmement tabou, puisqu'il se rapproche un peu de celui aussi de l'inceste, parce que c'est un univers clos, Bétharame. Il y a cette confiance qui est donnée à ces prêtres directeurs, en plus des prêtres directeurs, donc c'est eux qui insufflent. Donc, la médiatisation nous sert, mais aussi nous dessert. Parce que pour les victimes, c'est un cheminement qui est compliqué. Je peux vous dire que de recueillir à ce jour près de 250 témoignages de victimes de violences physiques et sexuelles, c'est très lourd à porter. C'est très difficile pour les victimes de s'exprimer. Parce qu'il y a toujours ce truc, il va falloir que tu grandisses, mon grand. il va falloir être adulte et passer l'éponge sur ces périodes mais ça ne marche pas comme ça à l'esprit humain quand vous êtes agressé malheureusement ça met des années des décennies parce que le cerveau efface il y
- Speaker #2
a beaucoup de victimes qui font carrément un blackout la mémoire traumatique fait qu'ils effacent complètement l'événement traumatique, souvent le viol On parle d'une victime dans le livre qui va avoir comme un flash, qui va se réveiller 30 ans plus tard en regardant François Bayrou à l'Assemblée nationale répondre à ses questions sur la violence à Bétharame. Et là, tout lui revient en pleine tête. C'est assez fascinant. Muriel Salmona, qui travaille sur ces questions, explique ça très bien. C'est tellement violent que pour vous protéger, votre cerveau l'oublie, il efface, il enferme tout ça. Mais c'est toujours en roue. Et puis, ça peut vous éclater à la figure à n'importe quel moment. Et c'est vrai qu'on a beaucoup de victimes qui vont, comme ça, 30 ans plus tard, avoir ce traumatisme qui va rejaillir. C'est absolument terrifiant.
- Speaker #0
Alors, en plus, ce qui a doublé aussi l'intérêt pour votre livre, c'est que la fille de François Bayrou témoigne dans votre livre. Et pourquoi est-ce que vous avez intégré ce témoignage ? Parce qu'elle n'était pas vraiment à Bétarra, mais était dans un établissement, je dirais, lié, mais pas vraiment...
- Speaker #1
Elle faisait partie de l'établissement Digon. Et ensuite, elle est allée au lycée de Bétharame. Et elle va y être donc demi-pensionnaire. Hélène, son témoignage, il est essentiel dans le livre. Ce n'était pas prévu au départ. Et elle va me contacter quelques mois avant sa parution, le 24 avril. Pourquoi ? Parce qu'elle va m'expliquer quelque chose que... moi je n'avais pas encore cerné c'est que même quand on est enfant de notable on peut aussi être violenté dans ce type d'établissement et jusqu'à présent il y avait cette petite musique que on choisissait on tapait surtout ceux qui n'avaient pas de parole interne les internes surtout Mais elle va être prise à partie aussi en disant « Mais elle a vu ces violences et pourquoi elle n'a rien dit ? » Et c'est vrai que les victimes se posaient la question parce que, quelque part, ces enfants de notables, ils étaient regardés en fait... Comme des privilégiés. Oui, comme des privilégiés, parce que son père a été ministre de l'Éducation nationale. Et son travail sur le déni collectif est intéressant, à mon sens, et il donne un éclairage supplémentaire. Parce que ce n'est pas parce que... tout le monde qui assiste à des violences qu'il y a des interventions en fait on ne dit rien et qu'est-ce qu'elle nous apprend qu'elle n'a rien dit à son père alors certains disent elle est là pour le protéger mais non en fait ça marche pas comme ça d'ailleurs si elle voulait vraiment le couvrir je pense pas qu'elle serait allée chez Mediapart et elle aurait livré d'ailleurs des informations tout à fait confidentielles directement lors de l'émission mais elle fait preuve d'un courage moi que je trouve exemplaire. Par contre, elle n'est pas, elle, violentée à Béthara, mais elle est violentée dans un camp décoûté qui est organisé par un abbé qui s'appelle l'abbé Lartigué et qui est curé d'Assombe.
- Speaker #2
Et juste pour revenir sur l'élément déclencheur et le coup de fil d'Hélène le 21 février à Alain, parce que je pense que c'est très intéressant, il y a un journaliste de Sud-Ouest qui l'appelle le 21 février pour lui dire, voilà, Hélène, un ancien élève de votre classe porte plainte contre vous et contre votre père pour non-dénonciation de faits de violence, parce que vous avez assisté à son tabassage, il a vu l'effroi dans vos yeux, il est convaincu que le soir à table, vous en avez parlé à votre père, et donc il porte plainte contre vous. Et là, ça a été l'élément déclencheur, et c'est hyper intéressant, parce que ça vient toucher du doigt la force du déni, la chape de plomb. Non, Hélène Bayrou, elle a eu ce regard d'effroi, effectivement. Mais parce que ça l'a renvoyée elle-même à sa propre agression, elle est devenue sidérée. Et il y a une phrase très belle qu'elle dit dans le livre, elle parle de ce regard de papillon mort épinglé au mur. C'est vraiment ça en fait ce qu'elle a vécu. Et je pense qu'elle t'appelle quelques heures après, parce qu'elle veut aussi témoigner de ça, parce qu'elle veut, elle, faire évoluer les mentalités, expliquer ce que est le déni collectif, et faire changer les pensées de manière très intellectuelle, très philosophique. Et c'est ça aussi qu'elle nous a apporté.
- Speaker #1
Cette approche, elle est extraordinaire. Et elle se fiche que son père soit premier ministre ou pas. Elle prend tous les risques et c'est ça qui est intéressant. C'est pour ça qu'il faut lire le livre pour comprendre pourquoi son témoignage vient éclairer tout le reste.
- Speaker #0
Alors, rentrons dans les détails, même si c'est vraiment très dur. Vous, vous étiez externe, c'était plutôt une chance, parce que c'était bien pire pour les pensionnaires. Douche glacée, sévices nocturnes, viols, attouchements, isolement extérieur en pyjama ou en caleçon pieds nus en plein hiver. Alors ça, c'est une torture qui est répertoriée dans les livres sur les goulags soviétiques. On vous met dans le froid pendant des heures en sous-vêtements.
- Speaker #2
Ça s'appelle la punition du perron, qui est donc vraiment située en bordure du gaffe de peau, donc un endroit glacé, l'hiver, et où les enfants étaient laissés parfois plusieurs heures. Le témoignage de Marc. Il a failli être amputé ce gosse, parce qu'il est resté trop longtemps dehors, il a failli perdre ses quatre membres.
- Speaker #0
C'est fou. Et il y en a un, c'est peut-être lui qui a réussi à trouver un...
- Speaker #2
C'est Marc.
- Speaker #0
Donc ça veut dire que c'était assez récent, il a trouvé un téléphone.
- Speaker #2
Alors non, il a trouvé une carte, une carte de téléphone pour aller à la cabine téléphonique.
- Speaker #0
Ah oui d'accord, il est allé à la cabine téléphonique pour appeler son père. Son père est arrivé avec l'air conditionné à fond en position chaude.
- Speaker #2
Exactement.
- Speaker #0
Pour l'emmener à l'hôpital. Exactement. Et il lui a sauvé comme ça les doigts.
- Speaker #2
Les doigts, les pieds,
- Speaker #0
voilà. C'est pour dire quand même, sous ça,
- Speaker #1
il y a un moyen. On est sur des enfants de 10, 12, 14 ans.
- Speaker #0
Et en quelle année ?
- Speaker #2
Là,
- Speaker #1
on est en 96. 96 ? C'était hier. C'est hier, c'est une génération.
- Speaker #2
On dirait le Moyen-Âge, mais ce n'est pas le Moyen-Âge.
- Speaker #0
Il faut bien dire ça, parce que, par exemple, moi, dans mon livre, je parle de mon père à Sorez. C'était dans les années 40. Alors, on peut se dire les années 46, 47. Après la guerre, ça devait être la pénurie. Bon, alors donc, les enfants souffraient énormément. Mais là, en 96,
- Speaker #1
c'est 70 ans après. Adrien, c'est 2004, il est les bras en croix sur le perron. On est sur des punitions moyennes âgeuses. Un enfant a existé, certes.
- Speaker #0
Il y en a un soulevé par les cheveux. Soulevé par les cheveux.
- Speaker #1
Clairement, la touffe de cheveux.
- Speaker #2
Il y a eu beaucoup de tympans percés, beaucoup de nez fracturés. Il y a eu des choses inimaginables.
- Speaker #0
Frotté avec des orties.
- Speaker #2
Et puis les piqûres à l'eau aussi, vous avez lu ça, les piqûres à l'eau. Donc en fait, c'est...
- Speaker #0
Ça, ça devient vraiment... Alors là, on est en bascule dans le détraqué complet.
- Speaker #1
Et acte de torture, qui n'est pas reconnu comme acte de torture, parce que faire des piqûres...
- Speaker #2
Donc c'est un des surveillants...
- Speaker #1
...n'est pas un acte de torture.
- Speaker #2
Le pire bourreau de Bétharame, surnommé Cheval, qui aimait beaucoup aller à l'infirmerie, parce que lui, ce qu'il aimait, c'était... frappait les enfants, puis les réconfortait après. Voilà, c'est la claque et le réconfort. Et il prenait la place de l'infirmière et il faisait des piqûres sous-cutanées, donc à l'eau. C'était terrifiant. Les enfants, du coup, avaient la peau qui se mettait à gondoler. Ça faisait un mal de chien. Et c'était juste pour leur faire mal et pouvoir ensuite les réconforter. Et entendez bien, quand je dis les réconforter, c'est les violer, évidemment.
- Speaker #0
Bien sûr. Alors, le père Caricard s'est suicidé en 2000. Mais finalement, quel est le bilan judiciaire de cette affaire ? Il n'y en a qu'un seul qui est mis en examen.
- Speaker #2
Malheureusement, à cause de la prescription.
- Speaker #0
C'est ce fameux Patrick Martin que vous avez croisé.
- Speaker #1
Qui est aujourd'hui en détention provisoire. On espère un procès. Oui, un seul, parce que sur deux faits, un des années 2000 et l'autre sur 2004, c'est ça qu'il faut bien comprendre. On est face au mur de la prescription sur ce type de dossier. Et c'est pour ça que le travail actuellement mené par le rapport d'enquête parlementaire peut avoir aussi son intérêt.
- Speaker #0
Vous seriez favorable à une modification de la loi ?
- Speaker #2
Il faut totalement modifier la loi, c'est terrifiant.
- Speaker #1
La prescriptibilité des crimes sexuels sur les enfants, elle doit être la norme, l'imprescriptibilité. Parce que c'est toujours la même question, c'est la charge de la preuve. Mais quand vous êtes accusé ? par 10, 15, 50, 100 de plaintes pour le surveillant général Cheval. Donc, 100 de plaintes. La question à la préception ne devrait pas se poser.
- Speaker #2
Il y a donc 100 de plaintes. Là, il y a 100 de plaintes contre Cheval et il est tranquillement peut-être ce soir en train de nous écouter dans son canapé, dans son salon. Ce n'est pas possible. Et l'autre chose aussi qu'on a constaté avec Alain, c'est que la prescription, elle n'est pas du tout possible parce que souvent les victimes, on en a parlé tout à l'heure, ont ce phénomène de blackout et se réveillent 30 ans après. Oui,
- Speaker #0
bien sûr. Comment elle trouvera ? On ne pourra jamais condamner quelqu'un. Alors on peut dire s'il y a 100 plaintes, c'est comme une sorte de preuve. Si,
- Speaker #2
si, vous pouvez. La parole, elle doit être prise en compte, elle doit faire preuve. Non, Surtout quand il y a la sérialité. Là, on n'a aucun doute, personne n'a de doute. Il y a une sérialité. On a 103 plaintes, 103 témoignages qui racontent la même chose. Le même mode opératoire. On est dans du climat.
- Speaker #0
C'est pour Weinstein, entre nous. C'est une accumulation d'une centaine de personnes qui a fait que quand même, ils ont... finit par réagir. C'est l'addition de tous les témoignages.
- Speaker #2
Et puis ces enfants, il faut voir, ce sont des enfants. Donc ce qui vous arrive à 8 ans, vous pouvez l'enfermer pendant 40 ans. Et donc, il faut qu'il y ait une loi spécifique pour les violences sexuelles sur les mineurs. Ce n'est pas la même chose que sur des majeurs.
- Speaker #0
Alors, il y a Bétharame, c'est probablement un des pires endroits. Mais il y en a d'autres, il y en a beaucoup d'autres. Et peut-être que l'intérêt aussi de ce livre est de votre combat, Alain. C'est d'avoir fait connaître la réalité sur le traitement des petits garçons et aussi des petites filles au XXe siècle dans les pensionnats. Les pensionnats, qu'ils soient catholiques ou non. L'alerte que vous avez lancée révèle en réalité, vous dites, un continent de violence faite à peut-être, je ne sais pas, des centaines de milliers d'enfants au XXe siècle. Jusqu'à l'invention du téléphone portable qui les a sauvés.
- Speaker #1
Mais c'était ça.
- Speaker #0
Vous avez cité le chiffre hallucinant de 5 millions de victimes. Ce chiffre, c'est quoi ? C'est 5 millions de victimes en tout ? Depuis quand ?
- Speaker #1
5,5 millions, c'est les rapports de la commission de la Ciaz sur les violences sexuelles. Le rapport Sauvé, il y a le rapport Sauvé notamment. C'est plus de 160 000, je crois, de mémoires sur les pensionnats. Donc, c'est quand même terrible. Mais ça révèle quand même... Le silence de Bétharame, c'est le silence d'une nature. Sur des moyens d'éducation qui ont été perpétrés au fil des décennies, en se disant que... En brisant l'enfance, on allait pouvoir construire des hommes. Et je crois que c'est un changement de société que nous sommes en train aujourd'hui de vivre, parce que la société civile, elle, elle est prête. On a l'impression que les politiques, eux, ne le sont toujours pas. Ils en sont encore à faire des préconisations, des recommandations, mais il faut passer à l'action, parce que les moyens d'éducation... C'est important d'en parler parce qu'il est cruellement d'actualité ce dossier. On parle de revenir à des internats, notamment des... Oui,
- Speaker #0
c'est vrai. Gabriel Attal. Les uniformes, les internats.
- Speaker #1
Les uniformes, mais pourquoi pas ? Mais en tout cas, il faudra prévoir des gardes. Oui, exactement. Parce que les châtiments corporels sur des enfants, ça ne marche pas. Déjà, aujourd'hui, c'est interdit par la loi, mais de fait, avec le dossier Bétarame et tous les autres collectifs qui se sont montés dans le pays, Et puis on se rend compte que non, l'altération de la confiance en soi, la destruction de sa vie d'homme, alors que nos parents ne sont pas dans cette logique. qui pensent que si c'était une paire de gifles, mais ça ne reste pas que sur une paire de gifles. Bétharame, c'est cinq fois plus. C'est des châtiments qui procurent à leurs auteurs des... envies sexuelles, des satisfactions, des pulsions, de cet ordre-là, de la jouissance. C'est ça qu'il faut comprendre, en fait, pour bien comprendre ce dossier. Et dans le livre, on essaie, en fait, de l'expliquer sans tomber dans du misérabilisme, sans accumuler les témoignages. C'est juste quelques témoins clés qui sont venus enrichir mon propre récit.
- Speaker #0
Vous-même, vous êtes catholique ?
- Speaker #1
Bien sûr,
- Speaker #0
je suis toujours de la poix, pratiquant.
- Speaker #1
Alors pratiquant, beaucoup moins aujourd'hui qu'auparavant, mais d'ailleurs certains me le reprochent de dire que je suis chrétien et que je crois toujours dans la parole de l'Église. Ce n'est pas parce que certains de ses serviteurs ont failli dans le passé, et c'est pour moi très très important de m'investir aussi auprès de l'Église, Pour dire, il faut changer les choses, il faut nettoyer ces écuries ecclésiales, parce qu'il en va aussi de notre responsabilité de créer.
- Speaker #0
C'est intéressant, parce que vous pensez, Clémence, que l'Église n'a pas tellement, suffisamment réagi à cette affaire dans son ensemble.
- Speaker #2
Non, c'est vrai qu'on n'a eu aucune parole d'évêques, de prêtres qui sont venus nous soutenir. Non, je pense que c'est encore un problème trop difficile pour eux à affronter. Et c'est dommage parce que moi, je partage la foi catholique avec Alain. Je suis aussi chrétienne et je pratique. Et je n'ai pas envie que mon église, elle ressemble à ça. Et je trouve qu'il faut, comme tu dis très bien, nettoyer les écuries d'Ogéas. Et maintenant, il faut saisir ce problème à bras le corps, l'affronter, oser l'affronter, le regarder dans les yeux et le régler.
- Speaker #0
De nombreux écrivains, nous sommes dans une émission littéraire de très haute qualité, comme vous le savez. C'est pourquoi vous êtes là tous les deux. Mais de nombreux écrivains ont dénoncé la violence des pensionnats français. Je pense à Charles Julier qui parlait des enfants de troupe, à Patrick Modiano. En 1982, dans Deux si braves garçons sur le Mont-Sel, à Jouy-en-Josas, il avait 11 ans. Sorge Chalandon a écrit sur un bagne d'enfants à Bélé-Lanmère. Je pourrais continuer l'énumération, c'est vraiment incroyable. Michel Onfray a parlé de son pensionnat à Giel. Ici même chez La Pérouse, dans cette émission, Serge Rezvani nous a raconté comment on l'obligeait dans un pensionnat pendant la guerre à s'agenouiller sur du riz. Vous voyez, torture qui n'était pas à Bétharame, mais il paraît que ça fait très très mal d'être à genoux sur des grains de riz. Jean-Louis Hésine en a parlé, etc.
- Speaker #1
Et vous-même Frédéric, dans votre dernier livre, vous allez seul pour le pensionnat de Sorez.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #1
c'est votre...
- Speaker #0
Je n'aurais pas dit si vous ne l'aviez pas mentionné, mais puisque vous le mentionnez, je vous remercie parce que c'est grâce à vous qu'on a créé un groupe Facebook sur vos conseils qui permet aujourd'hui de libérer la parole de pas mal d'anciens élèves de Sorez qui ont été frappés, tabassés. Alors pour l'instant, je n'ai pas de témoignages sexuels, mais c'est vraiment beaucoup de traumatismes qui s'étalent sur une quarantaine d'années. Donc... Voilà, il y a d'autres pensionnats qui sont accusés de violence. Notre-Dame du Sacré-Cœur à Dax, surnommée Cendrillon, parce que les élèves faisaient le ménage, je ne sais pas. Je ne sais pas très bien. Saint-François-Xavier à Eustaritz, Notre-Dame de Garaison dans les Hautes-Pyrénées, Riomont dans le Nord où il y a eu une vraie affaire qui est en justice. Donc c'est important de dire ça parce que ce livre-là aurait pu s'intituler, vous avez dit, Le silence d'une nation. Oui, ça aurait pu être ce titre. C'est-à-dire que... Moi, je n'arrive pas à comprendre. Je vous le dis très franchement, quand j'ai découvert ce qu'avait été l'enfance de mon père ou la vôtre, je ne comprends pas, parce que c'est le sommet de l'abjection pour moi de frapper un enfant. Je n'arrive pas à comprendre. On pensait quoi ? Qu'on allait arriver à les élever comme ça ?
- Speaker #2
Oui, mais là, il faut se replonger aussi dans une époque. Et les parents,
- Speaker #0
et le rôle des parents aussi, qui exilent leurs enfants dans des prisons.
- Speaker #2
Moi, je suis frappée... De voir que les parents démissionnent souvent quand même. Ils sont bien contents de confier à cette époque, c'est aussi très générationnel, l'éducation à la dure de leurs enfants. C'est vrai, dans les témoignages, souvent ce sont des parents très occupés, qui n'ont pas le temps de prendre soin. Et puis c'est classe quand même d'avoir ces enfants à Bétharame. Oui,
- Speaker #0
à l'époque c'était même cher.
- Speaker #2
C'est très cher.
- Speaker #0
C'est 10 000 francs.
- Speaker #2
C'est très cher, c'est un bon niveau quand même scolairement. Et puis il y a cette aura, on est tout près de Lourdes, il y a eu des apparitions mariales à Bétharame. C'est quand même tenu par ces pères, et c'est d'ailleurs tout le problème, qui sont des demi-dieux dans cette région. Le père Caricar est un demi-dieu. Le père Ségur est un demi-dieu. Donc on est très fiers d'avoir son enfant à Bétharame.
- Speaker #0
Alain, je vous pose une question personnelle, je ne vais pas oublier de répondre, mais vous en avez parlé avec votre mère ou votre père qui vous ont inscrit à Bétharame ?
- Speaker #1
Non, moi je n'ai jamais parlé des violences que j'avais subies dans l'établissement de Notre-Dame de Bétharame.
- Speaker #0
Mes parents ne m'ont jamais questionné à ce sujet. Il y avait aussi des corrections à la maison, mais qui étaient quand même légères. Je raconte dans le livre d'ailleurs, je me suis pris une claque par mon père, une seule. Donc pour vous dire que c'était compl��tement disproportionné à Bétharame par rapport à ce qu'on prenait des roustes carrément. Et quand je parle de roustes, c'est combien d'assiettes ? Il y en avait plusieurs.
- Speaker #1
Des petits coups,
- Speaker #0
oui, ça peut être. On a eu un surveillant, par exemple, qui avait donné 21 coups à un enfant de 14 ans pour une lecture non appropriée. Lecture non appropriée, qui était un récit philosophique, pour vous dire. Il n'avait tout simplement pas demandé l'autorisation aux surveillants. 21 coups, il y a toute l'étude qui compte les 21 coups. Il faut s'imaginer. Mais il peut en mourir ! Mais il peut en mourir, oui. De toute façon, il y a des gens aussi qui sont...
- Speaker #1
C'est des coups de poing, des coups de pied ? Oui,
- Speaker #0
c'est des gifles, mais qui sont portés avec une violence d'adulte sur un visage d'enfant. Alors déjà, une, c'est peut-être trop, mais comme ça, des séries, c'est des séries, c'est des coups sur les flancs, parce que vous tombez sous le... Moi, j'ai vu des élèves tomber. Moi-même, je suis tombé sous les coups de cheval par terre. Et puis, c'était... jubilation dans les yeux, d'avoir cette supériorité de pouvoir frapper un enfant et de savoir que il n'y a pas de conséquences. Même si vous revenez à la maison avec une marque ou autre, vous allez dire, je me suis battu avec...
- Speaker #2
Les enfants sont des objets. Les enfants sont des objets. Les enfants sont des objets, des objets pour montrer votre pouvoir, pour montrer votre supériorité. dans le cas de Bétharame aussi des objets sexuels, deviennent des objets sexuels. Et donc, vous n'étiez absolument pas considérés comme des personnes humaines, à aucun moment.
- Speaker #0
Oui, la négation de la personne humaine, ça c'est ce qui m'a, quand j'ai fait mes études de droit, c'est ça qui m'a vraiment motivé pour dénoncer. Et vous voyez, la société, elle est prête juste aujourd'hui. Sinon, depuis des années et des années, je prêche dans le désert. C'est le cas de le dire, parce que par exemple, avec... Jean-François Lacoste-Céris, le père de cet enfant qui a eu le tympan en partie brisé, je distribue des tracts aux parents de Bétharame. En 1996. En 1996. Et ses parents me le jettent au visage. Comme pour dire, mais qu'est-ce que tu viens nous embêter avec ces histoires de violence ? Nous, on est d'accord. Il faut des bonnes corrections aux enfants pour qu'ils progressent dans la vie. Moi, j'ai certaines victimes aussi au départ et ça me répit. Moi aussi, avec toi. On est devenus des hommes grâce à ça, comme si Bétharane nous avait greffé un pénis. Tout ça est extrêmement ridicule. Et je trouve qu'il y a eu une démission parentale en se disant, ces établissements, on leur délègue notre autorité, notre éducation. pour donner la meilleure éducation possible.
- Speaker #2
Et surtout, on ne touche pas à l'institution. C'est ça. Le plus important, et c'est d'ailleurs aussi, moi je pense, la position aujourd'hui de l'Église. L'Église, elle préfère parfois sauver l'institution plutôt que de prendre parti pour les victimes.
- Speaker #1
Il y a aussi une question importante qui est d'ailleurs soulevée par les commissions d'enquête parlementaires, c'est l'absence de contrôle de l'État sur ces endroits. Pourquoi sont-ils des lieux de non-droit ? Que faisait l'éducation nationale par rapport à ces centaines et centaines d'endroits ?
- Speaker #2
Elle était déjà un peu débordée et effectivement, elle se concentre sur les lycées, les collèges publics. Et ils estiment que le privé, ça se gère, c'est l'entre-soi. Ils gèrent, ils ne font pas de vagues, ils ont des bons résultats. Donc, on ne va pas mettre notre nez dedans. Il y a eu une fois un rapport académique à la suite de cette violence en 1996 qui a été dénoncé, mais c'est tout. Sinon, Bétarab, c'est un système clos. qui vit avec ses règles, entre soi. Les directeurs se succèdent, reviennent les uns après les autres à la direction, à la tête, etc. Les professeurs sont complètement asservis parce que c'est des professeurs du privé, donc ils n'ont pas le capesque, ils n'ont pas les diplômes pour aller bosser dans le public. Donc ils n'ont pas les moyens de dénoncer ce qui se passe. Ils sont souvent en couple, c'est souvent leur premier boulot. Ils arrivent là, ils font construire la petite maison, ils ont les enfants dans le jardin, ils ne vont pas se faire renvoyer tous les deux. Donc, ils ferment leur gueule. Voilà, c'est tout ce système-là, en fait, Bétharame. Oui,
- Speaker #1
je comprends. Alors, que faire aujourd'hui ? Donc, vous avez rencontré le Premier ministre, votre affaire est devenue une affaire nationale. Tout le monde dit que c'est le MeToo de l'enfance. Donc, vous êtes le lanceur d'alerte du MeToo de l'enfance. Qu'est-ce qu'on peut faire pour augmenter ces contrôles ? Est-ce que vous avez une idée de structure à créer ? Où en sommes-nous ?
- Speaker #0
Où en sommes-nous ? Il y a des choses déjà qui ont sacrément avancé, c'est-à-dire ces contrôles, et notamment les contrôles inopinés, suite à mon intervention auprès d'Elisabeth Borne, qui a été très attentive. Elle m'a reçu près de deux heures, en fait, en tête à tête, pour bien comprendre ces mécanismes. Et elle a avoué... elle-même que l'État allait dysfonctionner sacrément dans le contrôle des établissements. Je crois que ces établissements, c'était aussi dans cette peur du privé et du public. Et aujourd'hui, ça n'a plus lieu d'être. Ces établissements catholiques, ils ont le mérite d'exister. Ils doivent continuer à exister. Et c'est ce que j'ai expliqué en l'enseignement catholique. Parce qu'il y a des valeurs, il y a la catéchèse, il y a un certain nombre de choses qui sont intéressante et Moi-même, j'ai fait toute ma scolarité, mais ce n'est pas parce qu'on y a fait toute sa scolarité et qu'on prône l'éducation catholique qu'on doit tout accepter. Et moi, je ne veux pas de ça. Et le disait Clémence, je ne veux pas de cette Église qui couvre en fait ce type d'institution. Et le secrétaire général Philippe Delorme de l'enseignement catholique l'a bien compris, puisqu'il m'a désigné. avec cinq autres personnalités pour faire un travail sur la libération de la parole et autant vous dire que je ne vais pas y aller que pour être juste représenté et faire de la figuration, ce n'est pas du tout mon objectif. Par ailleurs, je crois qu'il est nécessaire de créer une structure, ou en tout cas à partir de structures existantes peut-elle l'effet déhérer et reconstruire quelque chose qui a du sens et qui permette à la fois à l'État à l'église, aux congrégations, aux parents d'élèves et aux victimes de travailler ensemble. Parce qu'on a une expertise à faire valoir. Alors j'ai parlé d'un office national dans le livre, il y a un observatoire peut-être de violences sexuelles, etc. Moi je pense que c'est d'une impérieuse nécessité. Parce qu'aujourd'hui les signalements, ils ne sont pas, ils sont recueillis, ils ne sont pas traités. Il n'y a pas ces levées de doutes. Parfois, il y a des signalements pour tout et... Il y a n'importe quoi.
- Speaker #1
Il y a le 119.
- Speaker #0
Il y a le 119. Mais qu'est-ce qu'on fait après ? Qui suit les dossiers ? De quelle manière les victimes vont collaborer ? Donc, il est nécessaire de se mettre autour de la table et de discuter. Alors, pour le moment, je discute un peu avec tout le monde, mais je n'ai pas encore réussi à rassembler toutes les entités pour faire un travail en... commun et avoir des objectifs. Des contrôles inopinés dans les établissements scolaires, des parents référents sur l'ensemble du territoire, des lanceurs d'alerte, parce que des alertes à l'ESCR, il en faut partout.
- Speaker #1
Il y a aussi une instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation,
- Speaker #0
l'INIR, qui vient en complément du CRR, mais là encore, c'est des traitements individuels. On voit bien que sur le dossier Betarham, parce que vous avez été violé par un laïc, vous n'avez pas droit aux indemnisations, il faut être violé par un prêtre. Mais ce qui pose aussi un certain nombre de questions, parce que pour les victimes, parfois, il y a des révélations qui vont être faites et vont orienter leur déclaration. Et je me bats contre tout ça, en fait. Et ça, c'est quand même très, très important à dire, que si on est violé par un prêtre ou par un laïc, passer la même chose sur les conséquences sur sa vie. Et donc, on doit être indemnisé à la même hauteur. Et pour le moment, à l'heure actuelle où l'on se parle, eh bien, ce n'est pas possible.
- Speaker #1
Vous travaillez sur un projet de documentaire, ensemble ?
- Speaker #0
Ensemble.
- Speaker #1
Je n'ai pas le droit de dire pour qui, mais racontez-nous. C'est-à-dire que vous allez... Vous êtes suivi par une caméra ou qu'est-ce qui se passe ?
- Speaker #2
Alain va être suivi par une caméra et va être un petit peu le fil rouge de quatre épisodes. On va essayer vraiment de démanteler le système de Betaram et de comprendre comment ces 50 années d'Omerta ont pu avoir lieu. Comment 30 agresseurs ont pu se succéder à Betaram. Comment aujourd'hui on a 203 plaintes. Mais vous pouvez multiplier ce chiffre aisément par 3 ou 4 parce que, évidemment, beaucoup de personnes n'arriveront pas, malheureusement, à déposer plainte.
- Speaker #1
Je vous interromps un instant, on a oublié de dire une chose. C'est qu'il y a aussi beaucoup de morts. Oui. Il y a des suicides.
- Speaker #2
On a répertorié une trentaine d'élèves, une trentaine d'élèves qui se sont suicidés alors qu'ils étaient élèves à Bétharame ou après avoir quitté l'institution. C'est énorme. Moi, je sais que dans mon expérience, quand j'étais à l'école, il y a peut-être eu un suicide en 20 ans. Donc ça, c'est une vraie question, en fait. Qu'est-ce qui les a poussés au suicide ? Et ce qui est très beau aussi... dans le groupe Facebook d'Alain, c'est qu'on a énormément de familles et de proches qui demandent à entrer en contact justement avec les amis, parce qu'ils ont, depuis ces années, plein de questions sur la mort tragique de leurs proches, et ils disent « Est-ce que tu connaissais un tel ? Est-ce que tu sais pourquoi ? » Et ils font une petite enquête à leur échelle pour comprendre ce geste tragique et essayer d'apporter des réponses, en fait. Mais on est convaincus tous les deux que beaucoup de suicides sont liés sans doute.
- Speaker #1
J'ai recueilli un témoignage d'un ancien de Sorez qui est parti vivre au Québec parce qu'il est dégoûté par ce pays, la France. Et dans sa classe, il y a trois suicides. Dans une classe. Donc c'est énorme. C'est vraiment des proportions incroyables.
- Speaker #2
Et là, en fait, il faut aussi évoquer, et c'est aussi l'objet du livre, je pense, les répercussions que tout ça peut avoir. sur ces hommes aujourd'hui qui ont 50, 60, 70 ans, qui sont des hommes qui ont réussi à construire leur vie, à avoir parfois une famille, un super boulot, etc. Mais quand vous leur reparlez des années Bétharame, ils redeviennent le petit garçon de 10 ans dont la souffrance n'a pas été entendue, n'a pas été écoutée. Et ce traumatisme infernal, doublé de ce silence, de cette chape de plomb de silence qu'on leur a imposé jusqu'à ce qu'Alain arrive. Alain, il faut savoir qu'il a entendu Chacune des 203 victimes est... C'est pas...
- Speaker #0
C'est pas...
- Speaker #2
Et il est encore là.
- Speaker #1
C'est pas un peu... Non mais franchement, on ne vous le demande jamais, comme si vous étiez une sorte de saint ou de soldat, mais de recueillir toutes ces paroles...
- Speaker #0
Il faut apprendre à écouter. Et chaque victime, c'est plusieurs heures en fait, parce que des fois, ils vous rappellent, ils cherchent aussi, vous... Vous êtes là à la fois un enquêteur, vous êtes psychologue, vous êtes fournisseur aussi de documents parce que vous mettez en relation.
- Speaker #2
Vous gérez les journalistes.
- Speaker #0
Vous gérez les journalistes parce que... Ils ne veulent pas parler de la police. Je le dis dans le livre. Ils ne veulent pas. Un journaliste, il vous appelle. Je veux un viol. En franche-comté. Parce que j'anime une radio locale. Mais vous avez quelqu'un en Savoie ? Est-ce que vous voyez ? Mais oui, mais c'est ça en fait, au quotidien, on est un peu comme un supermarché. Et moi, j'avais l'impression de mettre en... Mais si je fais ce travail-là, c'est que ça n'existe pas. Enfin, je crée une méthode, une façon d'agir. Il faut des gens totalement désintéressés qui vont passer toute leur soirée, tout leur week-end dans quelque chose qui est d'intérêt public. C'est pour ça que je dis lire le silence de Bétharame, c'est d'intérêt public, c'est de salut public pour ne pas répondre forcément à l'expression révolutionnaire. Mais c'est un peu ça quand même, c'est la révolution dans ce livre parce que peut-être vous allez passer par plusieurs, par de l'émotion évidemment, mais aussi par des moments de sourire, etc. Comme quand je décris la scène. où le prêtre nous explique comment fonctionne la sexualité entre hommes et femmes. Et on voit qu'il y a de la jouissance de sa part. On voit qu'il n'y a pas l'encontre, mais il n'y a pas beaucoup d'expérience. Malheureusement, il y en a.
- Speaker #2
Et ce qu'il faut dire aussi, c'est qu'Alain, quand tu te lances dans cette aventure, après avoir croisé ton agresseur, à aucun moment tu n'imagines la teneur des témoignages qui vont arriver à toi. Toi, tu imagines que les autres, comme toi, ils ont vécu des violences physiques. Et tu découvres ce continent de violences sexuelles, notamment avec le témoignage d'Alexandre, qui est le premier qui va te confier son viol lors d'un camp scout sous une tente. Et ce chapitre est très beau, parce que tu expliques comment ce témoignage va rester en boucle dans ta tête. Et comment tu comprends à ce moment-là, j'ai envie de dire, ta mission.
- Speaker #1
Oui, mais Alain, alors je suis renchéri. Pardon, c'est peut-être désagréable, mais vous n'êtes jamais sorti de Bétharame, finalement.
- Speaker #0
Puisque vous y avez été. Quand on aime,
- Speaker #1
on ne compte pas. Non, mais sérieusement, vous y avez été élève. On vous a tabassé. Finalement, ensuite, vous avez... décider de dénoncer tout ça et ça vous a pris encore une trentaine d'années.
- Speaker #0
Et ça me prend encore du temps mais je ne le regrette pas, je suis attaché à Bétharame, d'ailleurs en un chapitre du livre. Vous n'habitez pas loin, j'habite à 700 mètres de l'établissement, vous voyez j'ai la vue sur le calvaire de Bétharame. Peut-être que je serai enterré au cimetière de Bétharame, vous voyez. Peut-être pas.
- Speaker #1
Mais il faut sortir.
- Speaker #0
Foutez le camp. Laissez tomber.
- Speaker #1
Non,
- Speaker #0
vous n'avez jamais... Non, non, non. Je ne peux pas. Je suis attachée. Et c'est très curieux, en fait. Vous avez raison de le souligner. C'est très curieux, cet attachement à quelque chose qui... Qui vous a fait souffrir. Oui, qui m'a fait souffrir. Et de l'autre, j'étais attachée aussi à des prêtres qui se sont toujours très bien comportés envers moi, notamment ceux de la maison de retraite. C'est pour ça aussi que ça donne une légitimité au combat que je porte, parce que j'en veux pas à l'Église catholique, j'en veux pas aux prêtres de Bétarame, mais j'en veux aux salopards qui ont abusé, qui ont brisé des vies, et ces laïcs qu'on a laissé faire, parce que malheureusement, la congrégation de Bétarame, qu'elle le veuille ou pas, qu'elle le reconnaisse ou pas, elle a laissé faire des laïcs aussi.
- Speaker #1
Vous êtes une sorte de justicier.
- Speaker #2
Vous avez soif de justice. Tu restes prêt aussi, peut-être, parce que tu as l'espoir que les choses évoluent. Et souvent, tu m'as dit, j'aimerais que la congrégation sorte de cette crise par le haut. C'est aussi un souhait que tu as. Alain, il n'a jamais été dans la vengeance. Il n'a jamais eu de propos véhéments. Il n'a jamais...
- Speaker #1
D'ailleurs, franchement, quand vous avez rencontré François Bayrou, ou sommet de la polémique, vous avez été magnanime. Parce que vous auriez pu, ce jour-là, plenir sa démission en quelques mots, en quelques phrases. Vous ne l'avez pas fait.
- Speaker #0
Je pense que j'étais prêt à quitter si je n'avais pas senti la sincérité de la personne. Je serais parti. Et certains m'en veulent beaucoup, d'ailleurs, de ne pas l'avoir enfoncé. Oui, de ne pas l'avoir enfoncé. En plus, vous voyez, avec l'impopularité qu'il a, je pense que... j'aurais gagné en popularité. Non, je crois que c'est aussi un devoir d'essayer d'être le plus juste possible, le plus digne possible. Mais d'accuser un homme de couvrir des réseaux pédocriminels, c'est une connerie. Après qu'il n'ait pas agi comme il aurait dû agir, comme beaucoup d'enseignants, toute cette communauté, tous ces élus qui gravitaient autour de ce type de structure, et notamment celle de Betara, oui, il avait une responsabilité. Je le dis dans le livre, je lui ai dédicacé à Matignon d'ailleurs le livre, et vous savez ce que j'ai mis dans la dédicace ? J'ai mis à François Bayrou l'homme qui peut tout changer. Parce que je crois que les hommes, ils ont toujours cette capacité de pouvoir progresser, d'aller au-delà. Aujourd'hui, il est Premier ministre, et c'est de sa responsabilité de traiter de ses dossiers de victime, même s'il n'aime pas ça, même si ça le remue au fond de lui, parce que je sais que... C'est un homme qui est blessé, qui souffre, qui n'est pas du tout fier de cette affaire de Bétharame. Et c'est un père de victime. Et c'est le père d'enfant. Il a beaucoup de petits-enfants. Donc, considérons que ce dossier, il n'est pas si simple qu'il n'y paraît. Parce que tout le monde aimerait avoir une personne responsable de ce merdier. En fait, je dis qu'on a tous une responsabilité dans cette façon de croire. qu'en brisant les enfants, en permettant d'approcher leur corps, de les violenter, on peut se permettre ce que se sont permis ces laïcs et ces prêtres de Bétharame.
- Speaker #1
C'est donc le silence de Bétharame d'Alain Esquerre et Clémence Badeau. Merci infiniment d'être venu. C'est aux éditions Michel Laffont. Et je dirais même pour reprendre encore plus de la hauteur, c'est... aussi un devoir d'écouter ces victimes parce que ce sont comment dire c'est la masculinité qui est en cause mais si on veut savoir ce que sont les hommes il faut s'interroger sur nos pères sur ces sur ces sur ces hommes traumatisés parce qu'ils sont si nombreux que peut-être que c'est là le secret du changement et que peut-être si on entend cette voix là on peut on pourra tous évoluer ensemble. Voilà, c'était une belle parole finale. Voilà, merci beaucoup à tous. Merci à l'équipe du Figaro Télé qui est si patiente avec nous. Merci à la Pérouse. Je voulais dire autre chose. Ah oui ! Les dinosaures... Je termine toujours avec une bêtise, pardon. Les dinosaures ne lisaient pas de livres. Or, ils ont disparu. Coïncidence ? Je ne crois pas, non. Bonsoir.