- Speaker #0
Bonsoir à toi, bienvenue chez La Pérouse pour une nouvelle conversation avec ce soir Eva Ionesco pour son nouveau livre Grand Amour publié aux éditions
- Speaker #1
Robert Laffont
- Speaker #0
Bravo, bienvenue Eva Ionesco, vous êtes cinéaste, actrice, romancière et nous avons exactement le même âge Exactement C'est pourquoi je ne dirai pas lequel Non Alors il y a une différence entre nous, c'est que vous, vous étiez célèbre dès l'âge de 4 ans.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Votre mère vous prenait en photographie, voilà, des photographies très bizarres.
- Speaker #1
Voilà, bizarres.
- Speaker #0
Et qui vous ont beaucoup traumatisé. Oui. On va parler de ça. Mais avant de commencer, il y a une nouvelle rubrique dans cette émission, c'est le critique critiqué. Car demain... Dans le Figaro Magazine, il y a mon article sur vous. Et je me suis dit que j'allais vous le lire.
- Speaker #1
C'est tellement gentil.
- Speaker #0
Vous ne l'avez pas encore lu. Voilà, c'est un cadeau. Mais ce qui est intéressant, c'est que vous pouvez réagir autant que vous le voulez. Vous m'interrompez pour dire, ah non, mais là, vous dites une bêtise. D'accord. Ah non, ça, je suis d'accord. Non, ça, je ne suis pas d'accord, etc. Alors déjà, le titre, c'est Little Eva. Ça vous plaît, ce titre, Little Eva ?
- Speaker #1
Pourquoi pas, oui.
- Speaker #0
Vous parlez de Little Eva à un moment dans le livre, vous citez une soirée où Philippe Crouchet passe The Locomotion.
- Speaker #1
Exactement, c'est une chanson de Little Eva qui était très très bien.
- Speaker #0
Maintenant le chapeau, le chapeau du texte c'est ce n'est pas la souffrance qui fait l'artiste, mais l'artiste qui parfois embellit sa souffrance.
- Speaker #1
Oui, la souffrance fait partie je crois de l'écriture. Moi je souffre beaucoup quand j'écris malheureusement, mais pas tout le temps. le temps, parfois je ris aussi beaucoup. Ça passe d'un extrême à l'autre, mais c'est vrai que la souffrance, c'est présente.
- Speaker #0
Dans vos livres, il y a cette enfance complètement unique au monde, en fait. Il n'y a personne qui a eu cette enfance.
- Speaker #1
J'ai décidé de faire cette trilogie, et puis du coup, ça s'est agrandi, ça s'est agrandi, et au fur et à mesure, j'avais un regard, effectivement, même sur les premiers livres.
- Speaker #0
Innocence, qui était en 2017.
- Speaker #1
Voilà, où je raconte la recherche de mon père, un papa nazi, absent des femmes, des trois femmes. Et je pars à sa recherche. Et c'est drôle parce qu'aujourd'hui, je redécouvre d'autres choses, en fait. Un livre, il n'est jamais... Quand on commence l'autobiographie, finalement, on sait quand on commence, on ne sait pas quand on arrête.
- Speaker #0
Alors, vous avez continué avec Les Enfants de la Nuit en 2022.
- Speaker #1
Oui, les enfants de la nuit, exact.
- Speaker #0
Et puis, maintenant, c'est Grand Amour.
- Speaker #1
Un peu un portrait de Christian Louboutin. Oui. Voilà, le premier, c'était plutôt un portrait de mon père. Un regard sur l'homme, le mal. Et là, c'était Christian Louboutin et les amis. Et ce troisième, c'est sur Charles Serruyat.
- Speaker #0
Charles Serruyat, votre Grand Amour.
- Speaker #1
Mon Grand Amour, absolument.
- Speaker #0
Je continue de lire ma prose. Le type invite des gens et il lit son texte à lui, c'est n'importe quoi. Récemment, lors d'une conversation avec Christine Angot, je lui ai dit ceci. Ce n'est pas parce qu'on est une victime qu'on a du talent. Elle a acquiescé et a ajouté, ce n'est pas parce qu'on est une victime qu'on a envie d'écrire le tableau complet. Et c'est vrai que, en d'autres termes, souffrir ne suffit pas à forger un écrivain. Et si Angot est devenu écrivain, c'est parce qu'elle a... transfigurer sa tragédie personnelle. Oui. Votre cas est comparable,
- Speaker #1
je pense. Oui, oui, c'est exact. Mais en même temps, il est à la fois comparable et différent. Parce que moi, je ne parle pas... Il y a l'histoire de l'inceste dans ma famille. Elle a vécu directement l'inceste.
- Speaker #0
Votre mère, elle a vécu un inceste.
- Speaker #1
Oui, et elle l'a retransposé sur moi. Mais je ne... Christine Angot, on va dire, c'est un sujet, un de ses sujets principaux.
- Speaker #0
Oui, oui.
- Speaker #1
Ce n'est pas mon sujet principal.
- Speaker #0
Non, mais justement, j'y viens. Le point commun entre les deux romancières est d'avoir lancé l'alerte sur l'inceste et la pédophilie bien avant le mouvement MeToo.
- Speaker #1
My Little Princess.
- Speaker #0
My Little Princess, oui.
- Speaker #1
My Little Princess était un film qui m'a aidée.
- Speaker #0
C'était 2011.
- Speaker #1
C'était 2011.
- Speaker #0
Ça fait six ans.
- Speaker #1
J'ai mis des années à monter le film. Des années. Et c'est grâce à Isabelle Huppert que j'ai pu le faire. Et après, j'ai gagné ma procédure. Enfin, ça a été une histoire comme ça, on va dire.
- Speaker #0
Un peu curieuse. Exhibée nue par sa mère depuis l'âge de 4 ans, tripotée par des vieux, placée à la dasse, héroïnomane à 13 ans, Eva raconte sa jeunesse fracassée,
- Speaker #1
violée à la dasse,
- Speaker #0
Violé aussi à la DAS.
- Speaker #1
Oui, par les copains écrivains.
- Speaker #0
Oui, vous citez les noms, Gabriel Maznev, André-Pierre de Mandiarg, Alain Robb-Grillet.
- Speaker #1
Je traite ça tout tripoteur.
- Speaker #0
Oui, oui, oui. Bref, dans l'article, je donne la liste des titres. My Little Princess, Innocence, Les Enfants de la Nuit, Une Jeunesse Dorée. La litanie de vos titres donne... Une idée de votre univers, c'est un plongeon dans la pureté détruite. Oui.
- Speaker #1
C'est ça, en fait. Et c'est une grande histoire sur l'enfance, que je voulais raconter, d'adolescence et de la sexualité. Je voulais vraiment... Moi, quand j'ai écrit ça, je voulais faire quelque chose de très sérieux, comme une étude. Comme une étude de mœurs enfantines, de l'époque, à la fois littéraire et qui passe par le prisme du cinéma, c'est-à-dire avec un autre regard, en mettant en scène aussi des filles... que j'ai aidé aussi, enfin voilà, comme Anna Marnaria Bartholomé, d'ailleurs,
- Speaker #0
tu as travaillé avec elle dans l'idéal.
- Speaker #1
Anna Marnaria Bellugi, voilà, qui est formidable.
- Speaker #0
Qui était dans une jeunesse dorée.
- Speaker #1
Qui était dans une jeunesse dorée. Et d'être aussi sur le texte littéraire. Voilà. Les deux. Donc effectivement, c'est une enfance un peu démesurée avec ce qui... ce qui abîme, et c'est aussi son enchantement avec ses points de morale et d'immoralité. Parce que je veux dire, dans le dernier, c'est très moderne, tout ce qui se passe avec la DAS, parce qu'on n'en parle pas beaucoup.
- Speaker #0
On va y revenir. Je finis de vous lire ce que vous allez lire dans le journal demain matin. L'extrême violence de son enfance ne garantissait nullement l'invention d'un style. Or, on reconnaît immédiatement la prose d'Eva Ionesco. Elle est à la fois hyper mnésique et argotique. Sa mémoire a tout emmagasiné. Les couleurs, les parfums, les sons, jusqu'au plissé des étoffes. Et elle retranscrit son passé avec la gouaille d'une Arletti des années 80.
- Speaker #1
Alors, c'est vrai, pour ces romans-là, c'est moins pour celui dont on ne parle pas qu'à la bagoudoua, et moins que ce sera moins aussi pour le prochain, parce que je pense que les livres sont différents, qu'il y a des époques différentes, c'est comme en peinture. Oui. Il y a des recherches différentes, c'est des recherches. Donc peut-être que le prochain, la matière textuelle, la manière dont je vais m'exprimer ne convoquera pas exactement le même besoin du détail. Il y a quelque chose d'hypnotique dans cette recherche. Parce que je cherche des choses et tout d'un coup dans l'écriture, les choses apparaissent. Elles apparaissent. Je ne les ai pas forcément, mais je les vois venir. Enfin, je veux dire, elles apparaissent. et donc c'est pour ça qu'il y a aussi toute cette toutes ces descriptions, elles m'emmènent à la chose sentie, à la chose vécue.
- Speaker #0
Oui, mais c'est fou, parce que la plupart des traumatisés oublient, leur cerveau efface. Or, vous, on a l'impression que vous vous souvenez d'absolument tout.
- Speaker #1
Non, je ne me souviens pas de tout. L'écriture m'emmène à me rappeler de certaines choses. Alors, ce n'est pas une chose thérapeutique, mais c'est vrai qu'il y a des choses que je découvre au fur et à mesure que je l'écris. Il y a des axes de l'écriture.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #1
oui. Je ne sais pas ce que je vais faire exactement quand je vais me mettre à écrire. Je sais à peu près, mais...
- Speaker #0
C'est très mystérieux. Alors, je dis que c'est un conte de fées, Grand Amour, ce livre-là. Un conte de fées dont le dragon est une mère pornographe et le château une prison d'orphelins. Il y a un prince charmant, prénommé Charles. Mais aujourd'hui, ce sauveur serait mis en examen. puisqu'au début, Eva a 13 ans.
- Speaker #1
13 ans et demi, presque 14. Alors, je tiens juste à faire une parenthèse. Moi, je ne fais pas du tout l'apologie dans ce livre des jeunes filles de 14 ans qui pourraient sortir avec des gens plus âgés.
- Speaker #0
Lui, il avait quel âge ?
- Speaker #1
Il avait 27 ans. Et moi, j'étais une petite fille hyper sexualisée. Oui, plein volant perçu. Mes rapports sexuels ont commencé à 10 ans. Même avant, puisque j'étais exhibée, j'étais violée. Et on va dire que c'était un... Charles était quelqu'un qui m'a réparé. Et notre rapprochement, tout d'abord, n'était pas un rapprochement sexuel. On était amis. Et c'est devenu un grand amour au fur et à mesure des choses. C'est devenu presque le père de mon fils que j'ai perdu. On devait se marier, etc.
- Speaker #0
Et même il a demandé, avec votre accord, d'être votre tuteur. Et il l'a obtenu à 16 ans.
- Speaker #1
Oui, mais ça a été très long. Et ça a commencé avant. Et il est devenu effectivement mon tuteur. Et on devait se marier. et puis finalement... Bon, voilà, on s'est séparés, mais on est restés très proches l'un de l'autre.
- Speaker #0
La force de Dionysko. C'est vous ? Parce qu'il y a aussi Eugène, mais ça n'a rien à voir. Vous n'êtes pas de la famille d'Eugène Ionesco.
- Speaker #1
Alors c'est vague. Ah bon ? Oui, peut-être. Non, ce n'est pas proche en tout cas. Oui.
- Speaker #0
Donc, votre force consiste à transformer en féerie votre malheur au détour de phrases de noctambules errantes, un peu comme une cendrillon qui est perdue à Pigalle.
- Speaker #1
Oui, un peu ça. J'ai relu dernièrement des choses de Jen Rees. Je m'identifie. Il y a plein d'écrivains auxquels je m'identifie. Il y a aussi des écrivains vachement bien, mais on en parlera peut-être l'occasion d'en parler plus tard.
- Speaker #0
Et votre méthode, comme tous les vrais écrivains, est d'embarquer votre lecteur dans une machine à remonter le temps. On se demande même si vous n'étiez pas écrivain depuis le début, sans le savoir, par cette manière de tout retenir. Vous venez de me dire qu'en fait, c'est plutôt quand vous écrivez que les souvenirs reviennent.
- Speaker #1
Non, je sais à peu près ce que je veux, mais il y a un flou, il y a quelque chose de flou, d'hypnotique. C'est pour ça que j'aime bien aussi les choses de Modiano. Il y a quelque chose d'hypnotique et qui se joue sur un peu de funambule. Donc, je sais à peu près où je vais. et puis tout d'un coup, voilà, donc je... Voilà, et je pense que dans le livre, il y a quelque chose d'hypnotique, enfin je ne vais pas dire magnétique, mais par moments, il y a cette chose comme ça.
- Speaker #0
Bon, j'arrête, je vous laisse la surprise du reste. Oui,
- Speaker #1
merci.
- Speaker #0
Mais moi, je vais vous dire franchement, quand j'ai lu le livre, j'ai eu l'impression de lire à la fois... Un roman mélodramatique terrible, genre Sans Famille d'Hector Malot. Vous voyez, le livre vraiment, le livre qui fait pleurer. Et il fait pleurer. Et puis, en même temps, Le jeune homme chic d'Alain Pacadis. C'est ça qui est génial avec vous, c'est qu'il y a les deux.
- Speaker #1
La chose sur laquelle je parle quand même beaucoup des centres, mine de rien, et de ces gens. Parce que Charles était devenu à la fois mon tuteur, mon père, mon fiancé. Et c'est quand même une chose sur l'adoption aussi. C'est qu'à un moment donné, je ne veux pas être une enfant de la DAS. Je ne veux pas être une fille de l'État, de ne pas appartenir à l'État français. Je ne veux pas appartenir à personne, appartenir à ce que je dis, à la folie de l'État. Parce que je veux dire, quand on est dans les centres, on appartient à la folie de l'État. Et il y a toujours un père de substitution qui soit représenté par quelqu'un. Je ne voulais pas de cette substitution violente, parce que l'État est très violent. L'État vous vaut, l'État vous viole, l'État vous ment. La justice est trahie. Les hommes. Et je ne voulais pas de ça. Je voulais d'un garçon doux qui m'aime et qui me dise que je suis sa femme et que je suis jolie. Et vous voyez ce que je veux dire.
- Speaker #0
Mais c'est ça qui est... Alors, c'est assez fascinant. Je ne sais pas si c'est correct ou incorrect et je m'en fous. Mais ce livre-là montre une petite fille violée, maltraitée, exhibée par sa mère. Oui. Qui n'a pas... qui n'a pas envie d'aller à la DAS, qui n'a pas envie d'aller dans ces prisons pour enfants. Pendant tout le livre, d'ailleurs, vous craignez d'aller à Lyon. C'est quoi ce qui se passe à Lyon ?
- Speaker #1
La prison de Lyon, juste pour dire qu'elle existe toujours...
- Speaker #0
C'est un endroit où on envoie les enfants maltraiteux.
- Speaker #1
Qui ont commis des crimes graves, vont à la prison de Lyon.
- Speaker #0
Et vous n'avez pas commis de crimes graves ?
- Speaker #1
Non, mais dans notre groupe d'enfants... Après, je parle d'un pensionnat de filles, pas un pensionnat, mais... Un centre où il n'y avait que des filles qui étaient des filles effectivement assez maltraitées, abusées. Certaines, je sais qu'elles avaient été à Lyon parce qu'elles avaient commis des choses. Donc, ce n'est pas grand-chose. Donc, on maltraite. Et il y avait beaucoup, je parle des filles qu'on met pas dans les hôpitaux psychiatriques et qu'on met à la DAS et qui ont besoin de réels soins. Donc, tous ces échanges entre les établissements, hôpital, centre, prison plus dure, etc. Les frontières sont assez floues et on n'y va pour pas grand chose. Et en fait, c'est un grand territoire de peur incontestable.
- Speaker #0
C'est là où le livre est dingue. D'ailleurs, ça ferait un bon film. C'est que la fille, chez elle, c'est l'enfer. Mais si l'État s'en occupe, si les assistantes sociales font bien leur travail, si une juge pour enfants veut vous mettre pour vous protéger de votre mère dans un endroit de l'État... c'est aussi un cauchemar. Vous avez le choix entre deux enfers.
- Speaker #1
Voilà, c'est ça.
- Speaker #0
C'est ça qui est fou. Et finalement, votre refuge, c'est le palace, c'est les bains de douche, c'est votre bande d'amis et c'est ce garçon, Charles, qui, lui, veut vous aider.
- Speaker #1
Là, c'est moins le palace. On est quand même dans l'intimité avec Charles, etc. Alors, ce que j'ai essayé aussi de raconter dans ce livre, mais là, c'est subtil, etc. C'est que c'est quand même une vraie Lolita. C'est-à-dire que c'est Lolita de Nabokov. Elle a existé, elle a été créée par Nabokov. Là, il n'y a pas du tout l'idée de l'amusement de Nabokov, de jouer avec ça, etc., avec ce personnage. J'ai voulu aussi... Alors, c'est vrai que je n'en parle pas beaucoup parce que c'est un peu pas l'époque. Et puis, on ne me pose pas ce genre de questions. Donc, à toi, je réponds. Mais c'est vrai que je voulais aussi raconter qu'est-ce que c'était finalement... Vous êtes une Lolita, quoi. Vraiment.
- Speaker #0
C'est le journal de
- Speaker #1
Lolita. Une fille qui s'habille de Lolita. Parce que j'étais une vraie Lolita. Enfin, je veux dire ça, après, on peut dire du bien, du mal, on était malheureuse, on racontait ce qu'on veut. Mais j'étais une Lolita.
- Speaker #0
Oui, mais vous ne faites pas l'apologie du tout. Vous dites simplement une réalité. C'est ce qui vous est arrivé, malgré vous. Ce n'est pas vous qui avez choisi.
- Speaker #1
Le grand amour de Lolita.
- Speaker #0
Oui. Et les centres sont-ils vraiment dangereux ? C'est-à-dire les endroits prévus par l'État pour aider les enfants maltraités, sont-ils
- Speaker #1
pire ? Non mais je veux dire, on n'en parle pas parce que je pense que si vous voulez enfin je te dis tu, je dis vous on peut se tutoyer je pense que c'est tellement dangereux d'en parler c'est tellement une poudrière, il faut tellement prendre des gants pour parler de ces enfants grands et que c'est tellement dangereux en ce moment qu'on n'ouvre pas la possibilité de dire par exemple, nous on voulait par exemple entre filles communiquer, dire ce qui se passait, témoigner en fait, témoigner de ce qui se passait Il y a peu de gens qui ont finalement... Parce que les filles, après, elles ne veulent plus. On veut nous oublier. Il n'y a pas de pédigré.
- Speaker #0
C'est quand même écrit dans le livre. Donc, vous pouvez le dire. Enfin, tu peux le dire. Je veux dire, ce que tu dis, c'est que quand on a été violé, victime de pédophiles et tout ça, on se retrouve... Souvent, on est drogué. Souvent, on est dans la délinquance. Souvent, on est violent. Et à ce moment-là, quand on met tous ces enfants ensemble, ça donne des viols entre enfants.
- Speaker #1
Ils souffrent. Les filles souffrent beaucoup. et donc on est... On devient très hypersensible à votre fille, c'est-à-dire qu'on imagine plusieurs filles violées, agressées, fragilisées, en manque d'amour ensemble. Ce grand cœur se met à battre très très fort et on ressent tout. On comprend quoi, donc on est... Je le raconte ça à un moment donné quand même à la DAS, ce moment-là. Et c'est vrai que c'est une autre vie quoi.
- Speaker #0
Donc on s'est dit qu'il fallait fuir aussi cet endroit-là.
- Speaker #1
Oui, parce qu'à un moment donné, les filles devenaient aussi très violentes, parce que c'était assourdissant. Le malheur des autres, c'est difficile.
- Speaker #0
Il y a des scènes de toxicos qui se suicident. Dans votre livre, c'est vraiment comme des orphelinats. Mais on est chez Dickens.
- Speaker #1
Dickens m'a beaucoup inspiré aussi. Quand j'ai lu Dickens...
- Speaker #0
Sauf qu'on est dans les années 80.
- Speaker #1
Sauf que dans les années 80, ça se passe toujours maintenant. On n'en parle pas beaucoup. Les centres sont de plus en plus grands. Il y a des gens beaucoup plus violents. Il y a du racket total.
- Speaker #0
C'est entre enfants ou c'est aussi les surveillants ?
- Speaker #1
Maintenant, dans les centres, je parle d'un petit centre, on est 18, ou dans un autre centre, je fais plusieurs centres, j'en fais 5 je crois. Maintenant, les centres, je crois qu'ils sont 180. je ne sais pas combien de gens d'éducateurs qui eux-mêmes ont été des anciens enfants de la DAS les structures sont submergées tout le monde se vit c'est violent, on est quand même dans des endroits violents avec des chambres à plusieurs l'intimité n'existe pas il n'y a pas de lieu d'intimité l'intimité n'existe pas l'intimité tout de suite en effraction
- Speaker #0
Et ce sont des gens dont les parents sont vivants, mais n'ont plus le droit de voir leurs enfants ?
- Speaker #1
Ce sont des parents qui ont abusé... Alors, je ne sais plus maintenant comment exactement la loi, etc. Mais même des parents qui ont agressé leurs enfants, etc. Ou des parents très alcooliques qui ont commis des méfaits. On ne coupe pas tout à fait les liens avec eux, parce que ce sont quand même des parents. Donc, ce sont des rapports qui restent sous contrôle, comme on dit. Ils ont le droit de se voir. Tous les parents ont le droit de voir les enfants.
- Speaker #0
Est-ce que c'est votre dernier livre sur votre enfance ? Oui. Vous le savez ? Comment vous le savez ? Il ne faut pas s'interdire, peut-être qu'un jour vous y reviendrez.
- Speaker #1
Parce que... Peut-être que tout à fait, j'y reviendrai peut-être un jour. Mais parce que là, j'explore autre chose. J'ai beaucoup de choses à explorer dans la fiction, déjà pure. Et des choses que je n'ai pas faites. Et que dans les autres livres, j'ai beaucoup... Beaucoup de choses à dire qui ne parlent pas des traumatismes d'enfants, ni de ces violences, mais d'autres choses.
- Speaker #0
Donc vous avez parlé de votre manière d'écrire et de reconstituer votre passé. Et c'est vrai que je pense que vous le faites mieux dans les livres. qu'au cinéma, c'est-à-dire que c'est très difficile. Par exemple, j'ai vu Une jeunesse dorée, c'est difficile de reconstituer.
- Speaker #1
Mais Little Princess, c'était quand même un film extrêmement réussi.
- Speaker #0
Oui, oui, c'est vrai. Mais Little Princess,
- Speaker #1
c'était un film extrêmement réussi parce que je pense qu'il n'y avait que dans Une jeunesse dorée, il y avait la part de... C'était pas un film totalement autobiographique, c'était un film où on a brodé, qui a été brodé entre des idées, de la chienne de Renoir, de... de qui se prostituent, un peu le truc à la Jean Genet, toujours la même mythologie, etc. Des enfants qui trônent dans les foires, qui vont un peu dans les paradis. Donc on était partis sur autre chose, comme ça, un peu des choses maudites, etc.
- Speaker #0
Non mais je parle que c'était pas un reproche.
- Speaker #1
On l'a vécu quand on était adolescent, quand on a traîné dans la nuit. Et donc du coup ça a enlevé, je pense, la grâce et la nécessité qu'il y a dans ce livre. Oui, exactement. La nécessité de vie dans ce livre, ça crie c'est un cri d'amour et puis c'est un cri de reconnaissance et puis cette reconnaissance qu'il y a entre nous parce que Charles, je voudrais quand même le dire, est quand même un fils de grands rescapés des camps de la guerre et il en parlait très très peu bon moi je viens de l'Est c'est quand même très très curieux donc des choses qu'avec le temps on apprend beaucoup plus tard c'est quand même étonnant qu'on se soit retrouvés l'un et l'autre à des distances telles sur cette moquette bleue méditerranée, il y a quelque chose d'angélique quoi Voilà, donc il y a quand même des choses, ça veut dire qu'aussi les histoires d'amour peuvent... Comment ça se fait que tout ça soit passé ? Parce qu'on aurait pu ne pas se rencontrer.
- Speaker #0
Il y a une ambiance très cinématographique dans ce que vous écrivez depuis toujours. Là, je veux dire, dans le premier, c'était un peu les 400 coups de Truffaut, ses enfants un peu livrés à eux-mêmes.
- Speaker #1
Tu veux dire dans...
- Speaker #0
Peut-être dans Les Enfants de la Nuit.
- Speaker #1
Dans Les Enfants de la Nuit, parce que dans le premier, c'était vraiment sur le père. C'était vraiment le père absent, présent, le père nazi, le père a-t-il fait du mal, le père, où est-il, qu'a-t-il fait ? Je fais des recherches en Allemagne, je fais des recherches dans les Pays-de-l'Est, je vois mon cousin hongrois, etc. Et je raconte toute cette mise en place de photos avec la mère, etc., qui devient artiste, etc., avec la grand-mère. Et la mise en place des photos dans l'appartement, et le Paris d'alors, etc. De l'art, et des limites entre l'art et la vie. Parce que ça parle tout le temps d'art et de vie, en fait, les livres. Ces livres-là, c'est ma vie dans l'art.
- Speaker #0
Mais je voudrais revenir sur cette gouaille, cette espèce de style qui n'appartient qu'à vous, d'Arletti des années 80. Où est-ce que vous avez... Est-ce que ça s'est fait malgré vous, ce côté... Trash et naïf à la fois.
- Speaker #1
Je crois que ça vient aussi des lectures que j'ai eues, parce que moi j'aime beaucoup, alors bon, maintenant, je ne le citerai pas pour d'autres raisons, mais c'est vrai que dans un temps passé, j'aimais beaucoup Céline, maintenant, il m'a passé, dire le mot Céline, je pense que ce n'est pas la mode.
- Speaker #0
On a tout à fait le droit d'aimer Céline.
- Speaker #1
J'aime aussi des livres, comment s'appelle, Carco, les livres de Francine Carco, il y a quand même plein de livres. Même chez Colette, on trouve dans un autre sens, parce qu'elle a plein de langages différents, Colette.
- Speaker #0
Dans le pur et l'impur.
- Speaker #1
Voilà, il y a plein de choses, on les entend, la vagabonde, etc. Il y a plein de choses, si on écoute bien les inflexions qu'a Colette, etc. Qui a fait du théâtre et qui connaît très très bien toutes les différences de ton, des contrées de français, on trouve aussi ce côté très parisien. très france,
- Speaker #0
très gouaille il y a plein dans la littérature mais vous êtes une titi parisienne parce que vous avez grandi un peu dans les rues un peu dans les rues quoi, exagère mais c'est un peu ça et là alors je disais, je parlais des 400 coups,
- Speaker #1
là ce livre là il m'a envie de le faire aussi comme ça parce que c'est aussi des lectures qui m'ont porté à avoir envie d'écrire de cette manière là pour créer ce personnage parce que c'est l'idée c'était véritablement de créer un personnage et pauvres.
- Speaker #0
de prénom.
- Speaker #1
Qui porte mon prénom et qui parle comme ça. Avec des gens qui parlent comme ça autour.
- Speaker #0
Le couple Eva et Charles, franchement, moi j'ai pensé aussi à un autre grand film. C'est A bout de souffle. Vous n'avez pas eu cette impression ? Mais oui ! Ils sont là, ils se rencontrent et puis ils passent leur temps à bouger, à courir, à sortir, à voyager, à aller à New York, revenir, repartir. C'est un livre qui cavale tout le temps. Comme une cavale d'ailleurs J'ai poursuivi par la mer Et par l'adas Oui oui oui Enfin on fuit
- Speaker #1
Il y a de ça Il y a un moment donné On est totalement effectivement Et c'est là où je tombe amoureuse Le moment où je tombe vraiment amoureuse de Charles C'est quand on est tous les deux Dans cette sorte de Où je me reconnais comme étant sa femme comme étant... être une femme, qui me parle vraiment comme à une femme, quand on est dans un appartement vide parisien, etc. C'est ce moment de cavale où tout d'un coup, je me dis, je suis en face du miroir, et puis je vois qu'on va un peu rond, et il dessine, et je me dis, il me parle comme à une femme. En fait, c'est moi, je suis une femme, je suis la femme à qui il me parle, quoi. Je l'entends.
- Speaker #0
Et vous grappillez ces moments de joie, ces moments fugaces de bonheur, et vous faites un livre. qui est une quête en fait, une quête de lumière, mais au fond du gouffre, parce que c'est quand même sur un fond très très noir.
- Speaker #1
Je voulais que ce livre, contrairement au précédent, qui ne fait pas partie de la trilogie, parce que Charles est quelqu'un d'angélique, pour moi il était quelqu'un d'angélique, quelqu'un qui m'a sauvée, c'est-à-dire, qu'est-ce qu'on dit d'un prédateur ? Un prédateur c'est quelqu'un qui vous fait du mal, je veux dire à l'origine, en ce moment la manière de parler c'est les prédateurs sont des gens cabines qui vous font du mal, etc. Charles ne m'a pas abîmé, ne m'a pas fait du mal, etc. Il a été peut-être plus âgé que moi, mais il m'a sauvé, il m'a libéré. Et nous vivions aussi en groupe avec des gens, etc. Et moi, je leur ai dit très en avance sexuellement, donc je ne fais pas l'apologie. Voilà, donc j'ai perdu le climat.
- Speaker #0
Non, non, mais c'est le livre qui est comme ça. Il est sans arrêt entre le hardcore et la fleur bleue. Et c'est vous. c'est ça,
- Speaker #1
c'est vous à cette époque là je crois que c'est un truc un peu c'est une idée du roman un peu romantique oui exactement,
- Speaker #0
le romantisme c'est souvent noir, c'est souvent très très sombre il y a ça c'est les fleurs du mal je ne sais pas si c'est un romantique, Baudelaire, je ne pense pas mais en tout cas les fleurs ne poussent pas elles poussent sur le mal puis je vous demandais de lire la page 18 oui absolument
- Speaker #1
J'espère que je n'ai pas Je ne sais pas ce qu'il y a dessus On va voir
- Speaker #0
Vous verrez
- Speaker #1
Le palace a un air d'abandon De vieux dancing de bord de mer Les serveurs sont à l'anguille Presque des bras rayés et rient entre eux Quelques danseurs vivent les révoltes Ainsi que la ribambelle de copains Vincent, Edwige, Farida, Freddy Paquita, Paquin, Philippe Crouchet, Bethumen Pacadis, Francis Donnéan, Pierre Gilles, Christian ... sont pour la plupart tous occupés à jouer à des jeux stupides et enfantins je me sens terriblement belle mon corps se tend avec cette sensation d'attendre quelqu'un d'être enfin là ce soir pour ça soudain la machine à brouillard propulse un peu trop de brume sur le dance floor comme une bonne farce de fin d'année puis les fameux lasers verts des grands jours surgissent pour nous crayonner à double vitesse nous crions je sillonne la tapiste. Un garçon m'apparaît. Il se glisse contre le mur du théâtre, vêtu de noir, légèrement caché dans la pénombre. Bousculé malgré moi par les camarades en liesse, je m'avance. Je reconnais Charles. Je le discerne plus clairement comme à travers un cristal d'intensité. Il est identique à la fois où je le croisais dans cette lumière d'aurore, alors que la foule déconfite et joyeuse s'expire paix du bal ange et démon. Se précipitant vers la rue Montmartre, il s'accotait alors négligemment contre une des vitrines platines de la galerie des glaces. À présent, nos regards se pénètrent pareillement, avec cette impression inaltérable que la jeune fille en moi existe. Elle n'est pas totalement détruite.
- Speaker #0
Merci beaucoup Eva. Est-ce qu'on peut dire, puisque vous vous appelez Ionesco... Que vous êtes née dans une famille de vampires et que ça explique votre attraction pour la nuit ?
- Speaker #1
Oui. C'est un cliché sur les Romains,
- Speaker #0
pardon. Oui,
- Speaker #1
c'est un cliché sur les Romains. Mon attraction pour la nuit, non, c'est vrai que j'ai vécu... La nuit, je l'ai beaucoup côtoyée. Après, je l'ai côtoyée encore d'une autre manière, différemment. Oui. J'étais attirée par la nuit, oui. Et...
- Speaker #0
Ce monde-là, c'était une alternative aussi à votre domicile où là, vous étiez piégé avec des...
- Speaker #1
C'était impossible de rester chez ma mère parce que de toute façon, tout le monde rôdait. Enfin, je veux dire, c'était vraiment... C'était un appartement où les gens rentraient, les portes étaient ouvertes, les gens s'installaient.
- Speaker #0
Vous avez déclaré dans Le Monde... Elle vous vendait ? Votre mère était proxénète.
- Speaker #1
Oui, elle me vendait. Il y avait des commandes spéciales qui étaient faites par des gens qui venaient, qui se cachaient, qui regardaient dans l'appartement. Il y a eu des bioles, il y a eu des ventes. Il y a eu de tout. Il y a eu à peu près tout ce qu'on veut, de ce qu'on peut imaginer.
- Speaker #0
Nous avons un jeu dans cette émission que le monde entier nous envie, qui s'appelle « Devine tes citations » . Je vais vous lire des phrases de vous, tirées de tous vos livres. N'essayez pas de tricher, Eva. Et vous devez me dire dans quel livre vous avez écrit ceci. Voilà, n'ayez pas peur, c'est très facile. Mon corps pétillait comme une bouteille de soda qu'on secoue.
- Speaker #1
C'est dans celui-là.
- Speaker #0
Dans celui-là, Grand Apôtre 2025. Et c'est intéressant parce que c'est une phrase positive. Avec toutes les catastrophes qui vous arrivent, vous dites mon corps pétillait comme une bouteille de soda qu'on secoue, l'image est géniale. Et au fond, ça n'a rien à voir, mais ça m'a fait penser à Imre Kertesz. Vous savez, Imre Kertesz, grand écrivain hongrois qui avait 15 ans à Auschwitz et qui a osé écrire qu'il était nostalgique de cette enfance. C'est-à-dire que c'était sa jeunesse. Elle était horrible, mais il n'y en avait pas d'autre. Et donc, il y avait la gloire de l'adolescence même à Auschwitz. Et je me demande si ce n'est pas votre point commun. Et ça, c'est vrai que c'est très pays de l'Est, pardon. C'est-à-dire, soit vous effaciez tout, soit vous arriviez quand même à en faire quelque chose d'artistique et donc de nostalgique peut-être. C'est une question compliquée.
- Speaker #1
C'est une question compliquée, oui. C'est une question compliquée, oui.
- Speaker #0
On sent que vous regrettez votre jeunesse, même si elle était, par certains côtés, épouvantable.
- Speaker #1
Ça, c'est peut-être le fait de l'écrire pose des choses dans une autre perspective. La écriture met une autre perspective et pose d'autres questions. Effectivement, en l'écrivant, oui, mais peut-être pas dans la réalité. C'est deux choses différentes. Je ne sais pas comment dire exactement. Est-ce que je suis nostalgique ?
- Speaker #0
Est-ce qu'il y a beaucoup d'amitié avec toute la bande ? Vincent, Christian, ils reviennent tout le temps ?
- Speaker #1
J'ai bien l'idée d'écrire aussi pour des... Pas tout le temps, mais d'écrire aussi pour des amis. Ville Morin le faisait, vous ne savez pas que j'adore Ville Morin, mais il y a plein de gens qui...
- Speaker #0
Qui vous ont sauvés ?
- Speaker #1
Qui m'ont sauvée. et puis j'aimais bien l'idée d'écrire Pour des gens. Je ne sais pas comment dire.
- Speaker #0
C'est qu'il y avait du mal chez vous, mais il y avait du bien ailleurs.
- Speaker #1
Non, mais de faire un pont. Je m'adresse aussi à eux maintenant. Oui, oui. Voilà, donc...
- Speaker #0
Alors, une autre phrase de vous. Continue le jeu. Je ne me souviens pas de grand-chose de ma toute petite enfance, sinon que j'habitais avec mes parents en face du parc Monceau.
- Speaker #1
Ça, c'est dans Innocence.
- Speaker #0
C'est la première phrase du livre, tout à fait. Et là, pour le coup, ça me fait penser à... La première phrase de Triste Tropique de Claude Lévi-Strauss, « Je hais les voyages et les explorateurs » , puis après il passe tout le livre à parler que de voyages et d'explorateurs. Et là vous dites, je ne me souviens pas de grand-chose, sauf qu'en fait vous vous souvenez de tout.
- Speaker #1
Oui, c'est ça.
- Speaker #0
Oui, donc c'était exprès. Pourquoi le titre « Innocence » pour votre premier livre ?
- Speaker #1
Parce que c'était l'histoire de la perte de l'innocence et que ça ouvrait l'ouverture à cette trilogie et que l'innocence n'est plus innocente après. L'innocence c'est quelque chose qui n'a pas pu l'être. Ou qu'on garde quand même malgré tout.
- Speaker #0
parce que moi je pense quand même que c'est ça votre magie à vous, c'est que vous avez ce regard innocent sur tout sur tout ce que vit l'héroïne. Vous gardez un regard naïf, et vous regardez des choses monstrueuses, mais avec un regard innocent.
- Speaker #1
Peut-être, ça je... Je n'ai pas voulu en tout cas dans ce livre-là, parce que ça faisait partie d'une trilogie qui était commencée, avec des personnages qui se suivaient, etc. Je l'ai fait, il y a des insertions à l'intérieur du texte, où quand même il y a un tout petit peu... où je... voilà. Ce n'est pas de livres plaidoyés, ni de nouvelles grilles, comme on dit, de relecture du nouveau. Et un petit peu quand même, je le fais quand même un peu à certains moments. Je fais des incises et je dis quand même certaines choses si on arrive à les... Mais disons que le livre n'est pas construit pour ça. Ce n'est pas l'opération.
- Speaker #0
Autre phrase de vous toujours. Je suis celle qui n'en revient pas. Je n'en suis jamais revenue. Je suis resté coincé à l'âge de mes toutes. première fois ?
- Speaker #1
Je dis ça à Christian dans la chambre quand je dis que je suis amoureuse de lui et c'est vrai d'ailleurs.
- Speaker #0
C'est dans Les Enfants de la Nuit ?
- Speaker #1
C'est dans Les Enfants de la Nuit, exactement.
- Speaker #0
Alors, vous dites donc, je suis coincé à l'âge de mes toutes premières fois. Est-ce que vous êtes une adulte aujourd'hui ?
- Speaker #1
Ah oui, oui. Mais un peu.
- Speaker #0
Parce que je me dis, votre mère est morte en 2022, l'année où ce livre est sorti. Peut-être que c'est aussi ça qui vous a... en quelque sorte, libérés ou soulagés ?
- Speaker #1
Vous savez, je ne sais pas, je pense que c'est très compliqué. Je pense qu'on a beaucoup de personnes en soi, différentes, qui cohabitent, et qu'il faut beaucoup de temps pour les explorer toutes différemment. Il y a beaucoup d'êtres, il y a beaucoup de choses. Là, c'est vrai que c'est une partie. Moi, j'ai cette sensation-là, qu'il y a beaucoup de voix, beaucoup de... je ne sais pas, toi, mais moi j'ai l'impression qu'on est quand même très... Oui,
- Speaker #0
très nombreux, surtout nous. Nous, les schizophrènes, nous sommes... Peuplé de multitude. Voilà. Mais quand même, vous avez fait un procès à votre mère pour tout ça. Et vous avez gagné ce procès. Tout ça, ça a été un soulagement.
- Speaker #1
Non mais ça, je ne veux pas parler de ces histoires. C'est très compliqué. Les problèmes de juridiction ne doivent pas rentrer en contact pour le direct aujourd'hui.
- Speaker #0
Vous n'avez pas le droit de commenter la chose jugée, c'est ça ?
- Speaker #1
Non, non, mais ce n'est pas ça.
- Speaker #0
Je fais ce que je veux. Oui.
- Speaker #1
Mais voilà quoi, c'est compliqué.
- Speaker #0
Bon, ok. Passons à la rubrique suivante, les conseils de lecture d'une experte. Parce que même si vous étiez souvent au Palace très jeune...
- Speaker #1
Et que c'est un décor quand même à la fin. Oui, oui. C'est un peu un décor. Oui. Parce que voilà.
- Speaker #0
Oui, mais non, mais c'est un très beau décor. La scène où vous êtes à Languy, sur une banquette, au fumoir. Moi, ça m'a rappelé des souvenirs, cet endroit qui était en haut du Palace. Oui, ça se terminait souvent là-haut.
- Speaker #1
Il y avait le paradis, il y avait le fumoir.
- Speaker #0
Et puis il y avait le privilège aussi. Et puis même pour les gens qui n'ont pas connu le palace, il y a une scène par exemple à l'aéroport d'Orly. C'est un moment de grâce.
- Speaker #1
On adorait, c'était beau l'aéroport d'Orly. C'est magnifique, bleu Orly.
- Speaker #0
Parce qu'en fait, avec votre bande, vous partez comme ça, regardez les avions s'envoler. Oui. C'était...
- Speaker #1
Oui, mais il y a ça aussi.
- Speaker #0
En fin de nuit,
- Speaker #1
en fin de jour,
- Speaker #0
quand le jour se lève.
- Speaker #1
Dans celui qui a écrit la crucifixion en rose quand il est à Paris, il y a aussi toutes ces histoires. Oui,
- Speaker #0
Henri Miller.
- Speaker #1
Oui, un peu clochard, comme ça, où il traînait partout, etc. où il passe son temps à regarder tout Paris. Oui.
- Speaker #0
Vous attendiez que le jour se lève pour aller vous coucher.
- Speaker #1
Voilà.
- Speaker #0
Comme les vampires.
- Speaker #1
Comme les durs.
- Speaker #0
Donc, les conseils de lecture. Allons-y. Un livre qui donne envie de pleurer.
- Speaker #1
Chéri, la fin de Chéri de Colette
- Speaker #0
Ah oui parce que c'est là où Chéri la quitte
- Speaker #1
Chéri, surtout qu'il ne peut plus aimer une autre femme parce qu'il a été à mon haut très jeune, une femme plus âgée et c'est très beau de part de Colette de raconter son désarroi à lui il ne peut plus l'aimer, il ne peut plus aimer il ne pourra plus, c'est fini c'est la fin il collapse mais...
- Speaker #0
Ah zut, ça m'angoisse. Vous pensez que la différence d'âge dans un couple, c'est très mauvais ?
- Speaker #1
Je pense que, en tout cas, ce que j'ai ressenti dans la lecture de ce livre, c'est qu'il ne peut plus aimer quelqu'un d'autre.
- Speaker #0
Et pas elle non plus ?
- Speaker #1
Voilà, non, pas elle non plus.
- Speaker #0
Un livre pour arrêter de pleurer ?
- Speaker #1
Philippe Roth.
- Speaker #0
C'est drôle.
- Speaker #1
Porte-nous et son complexe.
- Speaker #0
C'est la même réponse que Guillaume Gallienne.
- Speaker #1
Et c'est vrai que c'est l'anniversaire de Philippe Roth, là, non ?
- Speaker #0
Et Philip Roth, c'est vrai que ce livre est très différent des suivants, mais qu'est-ce qu'il est drôle.
- Speaker #1
Oui, il y en a plusieurs aussi, celui-là.
- Speaker #0
Il est scandaleux aussi, aujourd'hui.
- Speaker #1
Oui, très.
- Speaker #0
Un livre pour s'ennuyer ?
- Speaker #1
Alors, un livre pour s'ennuyer, c'est... Évidemment, il y a tous les écrivains italiens comme Pavès, mais il n'y a pas Pavès.
- Speaker #0
Vous trouvez ça chiant ?
- Speaker #1
Non, pas du tout, justement. Je ne trouve pas ça du tout ennuyeux, mais je préfère parler de l'ennui dans Le beau ténébreux de Julien Gracq. Parce qu'il y a toutes ces pages, avec justement toutes ces descriptions de lumière, de temps, qui pourraient paraître totalement hors du temps et ennuyeuses, et qui sont totalement métaphysiques en fait. Dans une autre dimension. Donc c'est un ennui, mais l'ennui métaphysique, c'est quelque chose, on apprend beaucoup de choses sur l'être humain, qui est magnifique. Et je trouve que Julien Gracq, son ennui est très beau, parce que c'est un ennui, les ennuis du dimanche, les ennuis de... Oui, toutes ces choses. mais...
- Speaker #0
Non, non, mais... Les romans de Grax sont peut-être plus ennuyeux que ces essais littéraires. La littérature à l'estomac.
- Speaker #1
Ça, je n'ai pas...
- Speaker #0
Alors, un livre pour crâner dans la rue.
- Speaker #1
Junkie de William Brooks.
- Speaker #0
Ah oui, c'est bien William Brooks.
- Speaker #1
Oui, il y a des choses qui sont plus difficiles d'accès. Mais Junkie, ça va.
- Speaker #0
Junkie, en plus, vous connaissez bien le sujet.
- Speaker #1
Voilà. Et puis, ça va vite. C'est vraiment comme une corde de basse tout le temps. Il n'arrête pas, quoi. Depuis jusqu'à la fin du livre.
- Speaker #0
Un livre qui rend intelligent ?
- Speaker #1
Lumière d'août.
- Speaker #0
Ah oui, Faulkner.
- Speaker #1
Le Faulkner. Faulkner, ça rend intelligent. d'abord parce que je pense que très bien parler du racisme, du bien, du mal. Moi, j'aime bien tous lui dans le Sud. J'aime beaucoup comment les livres sont agencés. Ça rend forcément intelligent. Il a inventé tellement de choses.
- Speaker #0
C'est drôle que quand vous parlez, j'ai l'impression d'entendre Françoise Sagan. Vous avez un peu le même genre d'intonation. Et vous avez le point commun d'être sortie très jeune. Oui,
- Speaker #1
et de nous être amusés peut-être beaucoup.
- Speaker #0
Quand on s'est trop amusés, très tôt, on finit par... Pardon, ce n'est pas un reproche, un livre pour séduire.
- Speaker #1
Ah, Le Bleu du Ciel de Bataille.
- Speaker #0
Ah oui.
- Speaker #1
Ça, on séduit quand on parle de...
- Speaker #0
C'est un peu porno, hein ?
- Speaker #1
Bah oui, oui, enfin, c'est porno. Il faut l'appeler Erotie, parce qu'elle est tout le temps saoule, comment elle s'appelle, Dirty ?
- Speaker #0
Oui, Dirty.
- Speaker #1
Dirty, et Tretma, c'est ça, voilà.
- Speaker #0
Je pense que c'est plus séduisant quand on est une femme. de se balader avec le bleu du ciel qu'un mec où ça peut avoir l'air d'être un vieux dégoûtant, pervers.
- Speaker #1
Non mais bon, voilà, les œuvres de bataille. Oui, oui. Voilà, on peut séduire en disant voilà,
- Speaker #0
est-ce que tu as lu des œuvres de bataille ? Ça intéresse à la question.
- Speaker #1
Voilà.
- Speaker #0
Ça intéresse à la question.
- Speaker #1
Voilà.
- Speaker #0
Un livre que je regrette d'avoir lu.
- Speaker #1
Alors un livre que je regrette d'avoir lu, je vais regarder. Oui, oui, vous avez. Alors, je ne sais pas, est-ce qu'on peut dire Michel Foucault ?
- Speaker #0
On a le droit de tout dire ici. C'est l'avantage d'être dans un podcast.
- Speaker #1
Non, mais parce que ce n'est pas un roman.
- Speaker #0
Pourquoi vous regrettez d'avoir lu lequel ?
- Speaker #1
Surveiller et punir, je trouve que je n'aime pas du tout.
- Speaker #0
C'est très dur au début. Il décrit l'exécution d'un... Non,
- Speaker #1
mais il prend plein de choses. Mais en même temps, je ne sais pas, je n'aime pas tellement.
- Speaker #0
Oui. Un livre que je fais semblant d'avoir fini ? Tout le monde répond Proust.
- Speaker #1
Non, mais ça, je l'ai lu deux fois.
- Speaker #0
Deux fois jusqu'au bout ?
- Speaker #1
Oui, deux fois jusqu'au bout. Bravo. Parfois, je reviens dessus. Ce n'est pas beaucoup. Anna Karenin.
- Speaker #0
Anna Karenin, d'accord. Vous n'avez pas envie qu'elle se suicide à la fin ?
- Speaker #1
Mais je n'arrive pas à rentrer dans le livre. À chaque fois, je m'arrête dans les salons.
- Speaker #0
D'accord. Oui, c'est un peu long, les salons.
- Speaker #1
Je suis tout à fait bourgeois.
- Speaker #0
Le livre que j'aurais aimé écrire ? Ada ou l'ardeur de Nabokov. Ah tiens.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et encore lui.
- Speaker #1
Encore lui, oui. Ada ou l'ardeur. Oui, c'est un livre merveilleux de Nabokov.
- Speaker #0
Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu ?
- Speaker #1
Alors, je ne sais pas. J'ai envie de dire un que je n'ai jamais lu, que j'ai entreouvert et que j'ai refermé. Tony Duvers.
- Speaker #0
Ah oui. Ah oui. Voilà. Auteur pédophile. Voilà. Oui.
- Speaker #1
Voilà, bah oui.
- Speaker #0
Le livre que vous lisez en ce moment ?
- Speaker #1
Peter Hanke.
- Speaker #0
Il est venu dans cette émission ? Ah oui.
- Speaker #1
Je lis dans l'ordre des livres. Et la femme, c'est l'heure de la sensation vraie. Je ne connais pas le titre par cœur.
- Speaker #0
Très bien, très bien. On espère que cette heure a été une heure de la sensation vraie.
- Speaker #1
Oui, elle partait très vite en tout cas.
- Speaker #0
Merci beaucoup. J'ai peut-être encore un peu de temps pour vous faire mon questionnaire qui s'appelle Shop Talk. c'est un titre de philippe roth en français le livre était traduit parlons boutique en tant que consoeur et confrères je voudrais savoir comment vous travaillez alors par exemple où écrivez vous j'écris sur ma table je prends des notes au lit je prends des notes au lit le soir je prends des notes au lit le matin je
- Speaker #1
prends des notes et après vous les rentrer dans l'ordinateur j'ai des notes des notes je prends le nom mais il faut j'ai plein de notes et j'ai plein d'archives parce que j'ai une mémoire mais elle n'est pas non plus sans fin donc j'ai plein d'archives avec des des articles de journaux des livres tout est annoté des piles de choses annotées des numéros de références avec des choses de films à voir avec des références visuelles pour toutes les scènes quasiment j'ai beaucoup de références visuelles je fais des recherches visuelles ça c'est parce que vous êtes cinéaste toutes les choses sur les lumières de recherche sur les costumes donc je lis les livres que pourraient lire des personnages je lis des livres que j'aime ah oui oui non mais c'est bien ça c'est intéressant parce que je m'intéresse à ce que pourrait lire donc en fait c'est assez archivé en fait il y a deux catégories d'écrivains il y a ceux
- Speaker #0
qui vont la fleur au fusil sans rien et qui se mettent avec leur stylo et ils commencent. Et puis il y a, comme nous, une autre catégorie, c'est ceux qui ne y vont pas sans avoir du biscuit. Il faut avoir des notes, des trucs. Moi je suis comme vous. Je ne pars pas comme ça, sans rien, dans mes poches.
- Speaker #1
Donc je lis, je relis.
- Speaker #0
Est-ce qu'il y a des horaires ?
- Speaker #1
Les biographies des gens.
- Speaker #0
Est-ce qu'il y a des horaires ? Est-ce qu'il y a un horaire où vous êtes meilleur ?
- Speaker #1
Normalement, le matin, je me lève. Mais maintenant, c'est le matin et l'après-midi. Oui.
- Speaker #0
Bon, très bien. Vous faites votre journée de travail. Ordinateur ou feutre ?
- Speaker #1
Non, les notes à la main. Oui. Et après, directement sur l'ordinateur. Oui. Voilà.
- Speaker #0
Combien de signes par jour ?
- Speaker #1
Je crois, parfois, ça dépend. Normalement, deux pages.
- Speaker #0
Oui, 4000 signes. 5000 sites par jour.
- Speaker #1
Voilà, c'est ça. Parfois moins. Parce que je reprends. Mais un peu moins. J'écris. Ça dépend des moments.
- Speaker #0
Donc vous avez déjà répondu à la question. Mais vous faites un plan ou pas de plan ? Je fais un plan.
- Speaker #1
Je fais un plan que je coache. Mais le plan, après... Et vous suivez le plan ? Non.
- Speaker #0
Mais évidemment qu'on ne suit pas le plan. Non mais c'était normal.
- Speaker #1
J'ai aussi beaucoup de choses audio. Genre j'interviewe des gens.
- Speaker #0
Ah oui, oui, d'accord.
- Speaker #1
J'ai énormément de trucs audio.
- Speaker #0
Donc là, pour ce livre-là, vous avez questionné Louboutin, Vincent Daré. Tout ça. Et donc à chaque fois, vous revenez les voir. Tu te souviens ? Non,
- Speaker #1
non.
- Speaker #0
Quand on est allé à Orly, tu te souviens ?
- Speaker #1
Non, non, non. Mais c'est parce que je ne veux pas du tout, du tout, du tout. C'est des choses, elles viennent dans la vie. On en discute avec les gens. Moi, ça me remonte. on veut... Je leur parle une fois et après, j'arrête.
- Speaker #0
Allô, Farida Kelfar, raconte-moi.
- Speaker #1
Farida, non. Farida, elle m'a parlé une fois. Et même pas, elle n'a pas voulu, je crois.
- Speaker #0
Bon, très bien, là, ça y est, je me suis bien renseignée sur vous. Je vous remercie infiniment, Eva Ionesco, d'être venue dans cette émission pour parler de grand amour. Et vraiment, je conseille à nos spectateurs, auditeurs, mais aussi aux non-voyants et malentendants, de lire ce livre.
- Speaker #1
Une grande histoire d'amour.
- Speaker #0
Une grande histoire d'amour, publiée aux éditions Robert Laffont. Une histoire d'amour qui triomphe du mal, surtout. Et merci au Figaro Télé, merci à Figaret pour ma chemise. Oui, merci. Et surtout, n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous mourrez idiot. Et le monde s'arrêtera.
- Speaker #1
Bon, merci à toi, Faudré.
- Speaker #0
Merci beaucoup.
- Speaker #1
Merci.