- Speaker #0
Bonsoir La France. Alors vous avez sans doute remarqué depuis le début de la saison, nous avions un spot de publicité pour un livre au début de l'émission. Nous innovons aujourd'hui mondialement car je crois à ma connaissance ça n'a jamais été fait. La publicité pour le livre de la semaine sera faite par son propre éditeur. Bonsoir Jean Le Gall. Bonsoir. Vous dirigez les éditions Séguier et vous êtes l'éditeur de La Face Nord. de Jean-Pierre Montal, qui vient d'obtenir le prix des Deux Magots 2024. Et vous avez donc la parole, que vous avez payée.
- Speaker #1
Merci Frédéric. Chers auditeurs, chères auditrices, avez-vous remarqué combien la publicité pour les livres était d'une nullité accablante ?
- Speaker #0
Sauf aujourd'hui.
- Speaker #1
Sauf aujourd'hui, bien sûr. Mais enfin, en général, soit on vous montre le grand roman de la rentrée posé sur une table basse entre une tasse à café fumante et une plante décorative. Soit le livre se tient debout, légèrement désaxé, avec ses citations de presse, toutes d'une impayable immodestie. C'est ça le marketing dernier cri de l'édition. C'est pourquoi, Frédéric, vous avez eu une idée de génie avec ce format publicitaire que je suis heureux d'inaugurer.
- Speaker #0
Merci pour le génie.
- Speaker #1
Car enfin, c'est évident, la meilleure publicité possible pour un livre consiste à faire avouer à son éditeur les véritables raisons qui l'ont conduit à publier un texte en particulier, sachant qu'il en refuse des centaines, que dis-je, des milliers d'autres.
- Speaker #0
Ça fait beaucoup d'ennemis par jour.
- Speaker #1
Beaucoup. Il faut le dire, un éditeur c'est quelqu'un qui vit de manière permanente entre son domicile et son bureau sous la menace d'un manuscrit. Pourquoi donc ai-je voulu publier chez Séguier ce roman de Jean-Pierre Montal intitulé La Face Nord ? Animé d'un projet de transparence certainement inédit dans ce métier vénérable et mesquin... Je m'en vais vous lire, chers auditeurs Le petit mot que j'avais adressé en mars 2023 à Jean-Pierre Montal Quelques minutes seulement après avoir lu Son manuscrit.
- Speaker #0
Donc La Face Nord Voilà. Toujours dire le titre quand on parle de la publicité
- Speaker #1
La Face Nord, chez Séguier, de Jean-Pierre Montal Voilà, voilà Au prix de 19 euros Donc j'en viens à vous lire Ce petit mot que je lui avais envoyé, sitôt ma lecture terminée De son manuscrit. Cher Jean-Pierre Je viens de terminer ton roman Tu as osé, en 2023, nous raconter l'histoire d'un homme qui rencontre une femme. Car c'est à peu près ça, l'histoire. Un homme de 50 ballets rencontre une femme de 72 ans à la sortie d'une salle de cinéma. Ton audace, ta bravoure, consiste à nous faire le vieux coup de l'amour, à tenter l'impossible pour sortir l'attraction amoureuse de l'archaïsme littéraire. Bien sûr, tu ne t'arrêtes pas en si bon chemin. La seconde partie de ton texte aggrave ton cas. Là, tu nous écris carrément un conte intellectuel. où ton écriture resserrée fait merveille et où tu nous racontes en 80 pages comment l'Europe née d'un rêve viennois s'est jetée dans la modernité et dans un tombeau. On est d'accord, ce roman sur rien, ce roman flaubertien et terriblement révolu, est promis au succès critique et donc à l'insuccès commercial.
- Speaker #0
Mais voilà ! Ça n'a pas été le cas, ça marche pas mal, non, je crois ?
- Speaker #1
Ok, d'accord. Moyennement. Mais voilà, toi tu es le moins putain des auteurs et moi je ne pèse aucun écrivain au poids de ses ventes. Il me semble par conséquent inéluctable que nous fassions ce livre ensemble. Là, je pense à cette phrase de Georges Santayana. Tout sur terre est lyrique dans sa représentation idéale, tragique dans son destin et comique dans sa réalité. Ton avance sur droit sera de 3000 euros. Amitié, Jean.
- Speaker #0
Merci beaucoup, Jean Le Gall, d'avoir inauguré cette nouvelle forme de publicité par l'éditeur lui-même. Je vous avais vendu un espace de 30 secondes. Vous avez pris 4 minutes 15. Ce sera un petit problème de facturation entre nous. Et c'est toujours en écoutant Misty par Émile Fournier. que j'ai le plaisir de vous dire bonsoir. Bonsoir. Vous écoutez Conversations chez la Pérouse, une émission animée par moi-même. Et ce soir, mon invité est le prix Goncourt 2024. Oui, il a reçu ce prix lundi. Et il est chez nous, vendredi. Ce qui lui a permis de dessouler pendant cinq jours. Kamel Daoud est avec nous pour parler de Ouri aux éditions Gallimard. Félicitations Kamel Daoud, félicitations pour le prix Goncourt que vous venez de recevoir pour Ouri chez Gallimard. Vous êtes un récidiviste parce que vous aviez eu le prix Goncourt du premier roman il y a dix ans en 2014 pour Meursault contre Enquête. Pourquoi ils vous aiment autant ? Qu'est-ce que vous leur avez fait ?
- Speaker #2
Vous parlez de qui ? Parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne m'aiment pas aussi.
- Speaker #0
Oui c'est vrai, on en parlera après. Je parle de l'Académie Goncourt. Ils sont très fidèles avec vous.
- Speaker #2
Je n'aime pas juger les jurys. Je pense que ce pays aussi je l'aime parce que les jurys sont là, ils donnent des prix, de la valeur à l'acte d'écrire, etc. C'est à moi de conquérir les esprits, les voix.
- Speaker #0
Viet d'arriver.
- Speaker #2
Et cette idée de réussir, je ne suis pas un ambitieux cupide, je suis quelqu'un qui aime la réussite. Et si je suis sorti de mon villa, ce n'est pas pour être le deuxième. C'est chacun son mythe. Et mon mythe c'est... Iméngoé disait on écrit toujours sur le regard de quelqu'un qui soit... mort au vivant. Généralement, on essaie d'écrire mieux sous le regard de quelqu'un qu'on a perdu, qui est mort. J'aime ce pays, j'aime la conquête, j'aime le succès, j'aime la visibilité, j'aime le lecteur, mais à la fois la littérature permet les deux d'avoir de l'intime et du spectaculaire.
- Speaker #0
Et puis, il faut dire que vous aviez raté le Goncourt de peu en 2014. Meursault contre Enquête était en finale et donc, finalement, vous vous êtes vengé cette année. C'est un peu comme il y a Rocky. 1 et Rocky 2 et là voilà vous êtes revenu. Non,
- Speaker #2
on m'a posé la question avant-hier en disant est-ce que vous pensez que c'est une réparation ? J'ai dit ça c'est la mentalité du régime algérien, il veut de la réparation. Moi je ne pense pas depuis le début j'ai un principe, je ne pense pas que le monde soit juste ou injuste. C'est à moi de m'y imposer. Donc ce n'est pas une revanche. C'est juste, j'ai écrit un roman, pour être sincère, je ne m'attendais pas à ce succès spectaculaire, auprès des lecteurs d'abord. Parce qu'on peut avoir un succès médiatique, vous le savez, un succès de jury, un succès par les peurs, mais le meilleur, c'est le bouche à oreille des lecteurs quand ils viennent dans le jury. C'est le socle. Et donc, je ne m'attendais pas à ça.
- Speaker #0
Mais c'était déjà le cas pour le premier. Et d'ailleurs, Ouri pourrait peut-être s'intituler Algérie contre enquête.
- Speaker #2
C'est une enquête, une contre-enquête, je ne sais pas, parce qu'on n'a pas mené d'enquête sur la guerre civile algérienne. Algérie, je ne pense pas, on ne lit pas un roman avec un passeport. On le lit parce que justement, c'est la seule frontière que l'on peut traverser sans aucun passeport. Et c'est un roman algérien, parce que ce sont mes racines, c'est mon pays natal, mais c'est un roman sur quand même un principe de base, à quoi sert une mémoire. Est-ce qu'il faut y habiter ou la traverser ? À quoi sert l'oubli ? Est-ce que c'est une forme du bonheur ou une forme de crime ? À quoi sert la langue si elle ne raconte pas la vraie histoire de chacun ? Donc ce sont des questions qui un peu... C'est ce qui fait la littérature. C'est que nous entrons par un pays pour émerger dans un autre pays, qui est celui de notre intimité. Donc non, on peut peut-être dire que c'est une enquête. J'ai écrit une contre-enquête, après j'ai écrit une enquête. Oui,
- Speaker #0
d'accord. Le titre Ouri, ça représente les créatures fantasmagoriques qui accompagneront les martyrs dans l'au-delà, au paradis. On a vraiment 72 Ouri, c'est vrai ça ? Parce que c'est beaucoup quand même.
- Speaker #2
Vous savez, les fantasmes, les délires religieux, en règle générale pour toutes les religions, s'enrichissent d'une manière rétrospective. Plus on avance dans le temps, plus on donne des détails. 72, peut-être si on remonte vers les premiers textes, on ne les retrouve pas. Mais après, ce sont les vierges qui doivent récompenser, les plus fidèles, les martyrs, etc. Mais est-ce qu'on parle de 72 ?
- Speaker #0
Si on imagine un homme avec 72 femmes, même dans un salon chez la Pérouse, il y aura beaucoup de houris insatisfaites.
- Speaker #2
Le problème n'est pas là, c'est l'inverse qui pose problème. Si les plus fidèles ont 72 vierges, et les femmes les plus fidèles, qu'est-ce qu'elles ont ? C'est une question théologique qu'on a évité pendant huit siècles. C'est la vraie question, et qui pose, et qui quand même met à nu toute la version sexiste de cette mythologie. Qu'est-ce qu'elles ont les femmes ?
- Speaker #0
Mais c'est le sujet du roman. Votre roman est un sujet, est un roman sur les femmes d'Algérie, sur les femmes en général. Alors je résume l'histoire parce que maintenant presque toute la France la connaît. Donc la narratrice est une victime de la guerre civile. civile des années 90, elle a été égorgée, elle n'a plus de corde vocale, et donc elle monologue, elle parle à la fille qui est dans son ventre, un bébé qui va naître, ou pas, tout à fait. Elle se prénomme Aube, la maman, qui a été égorgée à 5 ans. Et est-ce qu'on peut dire que... Enfin non, c'est pas est-ce qu'on peut dire, je l'affirme, votre roman est le roman le plus féministe de cette rentrée littéraire. C'est très... c'est comme ça.
- Speaker #2
Ça vient du fait aussi que je viens de géographies où le statut de la femme est en train de se dégrader à vue d'œil. Je le répète et quelqu'un me disait que c'est quand même étrange. Non, ce n'est pas étrange, c'est attendu. Le roman sur un ami, Oud, je me rappelle trois jours plus tard, les talibans votent une loi qui interdit aux femmes de rire et de parler en public. Ils viennent de voter une autre loi qui interdit aux femmes de parler aux femmes.
- Speaker #0
De se parler entre elles.
- Speaker #2
Exactement. Donc on est là, on arrache la voix aux femmes. Donc je viens de ces géographies où le statut de la femme... est une tragédie à vue d'œil. Et donc, est-ce qu'il est féministe ? Oui, mais... Les mots voyagent mal parfois, d'une géographie à une autre. Et le mot féministe arrive ici un peu avec beaucoup de parure, ou pas, avec beaucoup de nuances, ou pas, de mauvaise et de bonne conjugaison. Mais la réalité, c'est que les femmes payent nos libertés. Elles payent les tragédies des guerres, elles payent tout. Même pour la mythologie la plus spectaculaire du XXe siècle, celle des décolonisations, ça a changé la vie des hommes. Très peu celle des femmes.
- Speaker #0
Non, mais c'est aussi même... Il y a une double actualité dans le fait que vous ayez eu le prix Goncourt lundi, puisque c'était concomitant avec cette jeune étudiante iranienne à qui on a dit que son voile était mal porté et qui a choisi de se déshabiller, d'être en sous-vêtements devant son université. Et on ne sait pas ce qu'elle est devenue. Elle est dans un hôpital psychiatrique, paraît-il, ou dans un goulag, je ne sais pas. Et c'est constamment... Votre livre rejoint l'actualité. La deuxième, évidemment, c'est l'élection de Donald Trump. Donald Trump qui n'est pas pour l'avortement ou qui a des positions assez ambiguës sur le sujet. Or, votre livre, c'est l'histoire d'une femme qui hésite à avorter, qui se pose cette question pendant 400 pages. Est-ce que je vais garder ou pas cet enfant puisque c'est une femme qui va naître ? Est-ce qu'il est bon ou mauvais de donner naissance à une femme en Algérie ? C'est quand même incroyable à quel point votre roman tombe pile dans le sujet de toutes les souffrances du monde entier.
- Speaker #2
Oui, mais j'aurais voulu que mon roman reste de la science-fiction. Ce n'est pas le cas. Les femmes, je le disais, payent nos libertés et elles vont le payer encore plus. C'est tragique partout dans le monde, dans des démocraties, mais aussi... mais aussi ailleurs. J'aurais voulu, je ne dirais pas me tromper, j'aurais voulu raconter une histoire qui était finie. Le problème c'est que c'est une histoire qui n'est pas finie. Elle va s'aggraver avec le temps. C'est malheureux de le dire. En fait la question la plus marquante qui m'a bouleversé quand j'étais jeune, c'est que j'ai très tôt découvert que, bon d'abord deux grandes découvertes, j'ai très tôt découvert que les dieux en veulent à mon corps. Ils veulent les ablutions, ils veulent les contraintes, ils veulent le jeûne, ils veulent en sorte de pouvoir s'agenouiller. marcher sur les coudes, se crucifier, etc. Je me suis dit, mais ils ont un problème avec mon corps, ils veulent se l'approprier. Et après, j'ai fini par comprendre que... Comme les dieux, les hommes en veulent au corps des femmes. J'avais écrit un texte il y a très longtemps qui s'appelle « Ton corps est ton crime » . C'est-à-dire, au fond, cette femme habite un corps qui ne lui appartient pas. Elle est l'indu occupante de son propre corps. Et c'est fantastique, tout le monde veut s'accaparer le corps de la femme et décider pour le corps de la femme. Je ne peux pas concevoir et imaginer profondément ça.
- Speaker #0
Il y a dans le livre une comparaison qui revient plusieurs fois avec les moutons qu'on sacrifie pour la fête de l'Aïd, puisque cette narratrice a été égorgée comme un mouton.
- Speaker #2
C'est une histoire qui m'a frappé. Je suis un grand lecteur de la mythologie. Je suis né au monde intellectuel avec la mythologie depuis l'âge de 9 ans. J'ai eu la chance de fréquenter les dieux très tôt.
- Speaker #0
Moi aussi.
- Speaker #2
Oui, la mythologie. Mais j'étais frappé dès le début par ce qu'on appelle le sacrifice d'Abraham. Comment se fait-il que quelqu'un qui a mal dormi, qui a fait un rêve, on arrive à égorger son fils. Et après la métaphore, parce qu'on vieillit à maturité, on devient un être politisé, je commençais à déplier le raisonnement en me disant mais dans le monde qu'on appelle arabe, nous avons un problème avec nos fils. Nous voulons l'assentiment de nos ancêtres, mais on s'en fout, entre guillemets, de la vie de nos fils. Donc nous sommes des Abraham, c'est la même chose. Et ce roman, Oury, c'est un lecteur qui m'a fait la remarque, pas moi, je ne suis pas aussi intelligent que le lecteur parfois. Il m'a dit mais au fond... Abraham prend son fils, il grimpe l'escalade de la montagne pour l'égorger, et pendant tout ce trajet, il parle à Dieu. Hobbes prend sa fille pour l'égorger quelque part, mais tout le trajet, elle parle à sa fille. Parce qu'une mère parle à la vie, alors qu'un prophète parle à Dieu, à l'abstraction, comme dirait Camus dans la peste, l'abstraction. Donc, le mythe d'Abraham a toujours bouleversé, et je me suis dit, mais c'est...
- Speaker #0
la narration c'est la séquence qui prévaut dans le monde qu'on appelle à rate l'éloge des ancêtres mais le sacrifice des enfants vous savez c'est pas il n'y a pas besoin de chercher si loin en chez nous puisque moi on m'a enseigné qu'il fallait adorer un fils de dieu qui est cloué sur une croix et c'est C'est pas très très gentil pour un dieu de clouer son fils sur une croix, vous êtes d'accord. Bon donc il y a ce problème un petit peu dans toutes les religions.
- Speaker #2
Je ne compatis pas au malheur.
- Speaker #0
Vous dites que le voile est un cercueil dans les cheveux. Alors que répondez-vous à des politiciennes françaises comme Sandrine Rousseau qui disent que le voile c'est une liberté, que si on a envie d'en mettre un, on a le droit ?
- Speaker #2
Vous savez, c'est un vieux débat. Je peux vous répondre par trois entrées. Je me rappelle d'une femme dans une ville algérienne, il y a quelques années, qui me disait « c'est ma liberté de porter le voile en pleine salle » . Il y avait à peu près 500 personnes. J'ai dit « je ne vous crois pas » . Parce que si la valeur suprême, c'est la liberté, je vous demande à manifester demain à Alger pour la liberté des femmes de porter une mini-jupe. Vous ne le ferez pas. Parce que la valeur suprême n'est pas la... La deuxième des choses, la deuxième entrée, c'est que pour pouvoir concevoir le voile comme un droit, il faut que ça soit subventionné par la démocratie. On le fait dans des pays où on a le luxe par démocratie, même le luxe du renoncement à ses propres droits et son propre corps. Mais on est en démocratie, qu'est-ce qu'on risque ? Le vrai prix du voile, ce sont les Iraniens et les Afghans qui le fixent. Là, il n'y a pas de subvention par la démocratie. Là, il n'y a rien. Ce n'est pas culturel, c'est pas... contre culturel, ce n'est pas communautaire, c'est quelque chose que l'on paye. La troisième des choses, je l'ai dit avant-hier, pourquoi on en veut au corps de la femme ? Pourquoi il faut le cacher ? Pourquoi les hommes qui ont des beaux cheveux comme vous ne les cachent pas ? Parce que...
- Speaker #0
Je suis fier de ma chevelure,
- Speaker #2
je ne l'ai pas. Mais c'est extraordinaire, pourquoi c'est... Parce qu'au fond, au fond, nous avons aussi vécu ça en Algérie, au début on nous disait, oui mais le voile c'est culturel. Non, le haïk de ma grand-mère, etc. c'était un peu culturel. 92, les femmes commencent à se voiler parce qu'elles ont peur. 94, les premiers... Première fatwa, c'est-à-dire avis religieux pour dire, c'est pas le voile légitime, le hijab Ausha. Il faut qu'il soit ample, noir, corbeau, et qu'on masque la totalité, on laisse le visage. Deux ans plus tard, non, même le visage et les mains, il faut les cacher. Au fait, il y a une entreprise d'effacement du corps de la femme. Et donc, dire que le voile, c'est ma liberté, je ne le crois pas. Et puis, j'en reviens aux intellectuels organiques du renoncement, au corps. Moi, je les invite à aller vivre en Iran, par exemple. C'est ce que disait un humoriste qui disait, mais pourquoi suffit-il que tous les gens qui soutiennent le goulag et Staline, quand le mur de Berlin est tombé, personne n'est allé vivre de l'autre côté. Donc, je suis en colère. Au fait, sachant ce que coûte le voile, sachant ce que coûte de le porter, mais ce que coûte encore.
- Speaker #0
plus de vouloir l'enlever. Donc, on va peut-être raconter cette histoire à des Occidentaux blancs qui promènent un peu la culpabilité comme une croix. Ça peut aller, mais moi, on ne me racontera pas d'histoire sur ça.
- Speaker #1
Qu'est-ce que c'est que cette guerre civile algérienne ? Alors, puisqu'il n'y a presque pas de livre sur le sujet, est-ce qu'on peut résumer un peu ce qui s'est passé ? C'était la victoire du fils. Donc la victoire des islamistes en Algérie en 92, c'est ça, qui a déclenché ?
- Speaker #0
Pas exactement, non. Pas exactement. Disons qu'on peut retenir la séquence la plus grossière. Disons que en 1998, soulèvement contre le régime du Parti Unique, un peu partout dans le monde, c'est la suite du mur de Berlin, etc. En Algérie, ça a été inaugural. Donc le Parti Unique s'effondre, l'armée sort dans la rue. On tire sur des jeunes, on a eu 500 morts, les événements du 5 octobre 1988. Et comme toujours, quand il y a une rupture politique, ce sont les islamistes qui se greffent, parce qu'ils sont très bien organisés, on arrive aux élections 90-91. Le système électoral était totalement faussé, parce que c'est un système électoral avec un engineering de fraude depuis toujours. Mais il s'est retourné contre les régimes. Le Front Islamique du Salut gagne, l'armée annule, explosion de violence. Ça c'est pour la séquence simple. Mais la réalité c'est que les mouvements djihadistes étaient actifs depuis... qui, pardon, depuis le retour de l'Afghanistan. Donc depuis 1988, il y avait déjà des attentats, etc. Un projet de califat, etc. Il faut lire leur premier manifeste en 88-89. Donc on est là. Ça explose, confrontation. Et les gens sont au milieu. Et ça fait à la fin entre 200-250 000 morts.
- Speaker #1
Et sur ces 250 000 morts, il y a un silence absolu. On n'a pas le droit d'en parler.
- Speaker #0
Non, non. Parce que c'est la guerre honteuse. Ce n'est pas la guerre contre l'autre, c'est un suicide. C'est la guerre où tout le monde a tué, où tout le monde a été tué. C'est une guerre civile. Dans un pays qui a bâti sa mythologie, à juste titre, sur une guerre d'indépendance comme beaucoup d'autres pays, là c'est une guerre honteuse, donc on ne la raconte pas.
- Speaker #1
C'est marrant parce que la semaine prochaine je reçois Gaël Fay pour Jacques Aranda, qui a un livre où il montre comment les Rwandais ont réussi. avec des milliers de procès, beaucoup beaucoup beaucoup de bourreaux ont été en prison, mais ils ont quand même réussi à un peu se réconcilier.
- Speaker #0
A parler d'abord.
- Speaker #1
A parler. Et là, l'Algérie c'est un pays qui, en refusant de parler... ne parviendra jamais à pardonner.
- Speaker #0
Mais je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est que d'abord il faut parler, il faut témoigner, il faut raconter. Non pas seulement pour juger, mais pour rétablir cette loi fondamentale, celle de la conséquence des actes. établir la responsabilité. Ce n'est pas un jugement. Je peux comprendre que l'on taise une guerre pendant les cinq premières années parce qu'il faut apaiser les esprits et cicatriser les blessures. Mais par la suite, il y a un travail quand même à réaliser. C'est pour ça que, après le prix Goncourt, j'ai vu des réactions de gens qui... Oui, je parle d'Algérie ou du Maghreb. Oui, non, oui, non.
- Speaker #1
Il y a beaucoup de gens qui disent... En France, vous êtes le bon arabe, quoi. Et là-bas, vous êtes le prêtre.
- Speaker #0
Bien sûr, mais écoutez, on ne peut pas être singulier et libre sans se faire tirailler entre tous les sens, etc. Moi, ma nationalité, c'est le roman. Donc, je comprends que chacun veuille me voir à travers ses propres obsessions. Mais je continue, j'ai toujours été quelqu'un de libre. Je vais essayer de...
- Speaker #1
Mais vous avez quand même dû partir. Vous viviez à Oran et vous êtes parti en France depuis un an.
- Speaker #0
Justement pour pouvoir être libre.
- Speaker #1
Parce que vous saviez que le livre allait sortir et qu'il fallait partir.
- Speaker #0
Non, non, non, sérieusement. Franchement, non. J'avais même pas, moi. J'ai commencé le livre en arrivant en France. Donc c'est pas ça. C'est qu'à un moment, la parole était... coûtait trop. Le système politique en entier. Quand je dis le système, il faut peut-être corriger. Ce n'est pas le régime politique. Les intellectuels hyper-urbains algers sont aussi féroces que le régime. Ils n'ont pas d'armée et de prison. Il n'y a que des textes et des manifestes et des déformations et du numérique. Mais c'est pas ça. C'est que la liberté, c'est quelque chose qui s'apprend. Et en Algérie, nous sommes un pays libéré, mais c'est... on n'a pas encore pris conscience de la liberté et de l'infraction qu'elle fait à l'unanimité. J'ai eu autant de problèmes avec le régime qu'avec les élites urbaines algéroises qui ont la pensée unique. Je leur en veux pas. Je me dis que depuis 62, ça s'apprend la liberté. La liberté, c'est un risque que l'on prend comme l'amour. On se met à nu et on accepte la différence des autres. Maintenant, pour ce livre-là, moi j'invite les Algériens, comme moi, non pas à juger d'un prix sa valeur, de ma bonne ou mauvaise foi. Je les invite à apaiser leurs âmes et à parler de ça. de cette période-là et à construire une réconciliation avec nous-mêmes. Moi, je voudrais que l'on parle plus des 250 000 morts et des auteurs de ces tueries qui se promènent au soleil plutôt que de mon roman. Parce que le crime... Le crime, je le rappelle, c'est bête, le crime ce n'est pas d'écrire, c'est de tuer. C'est pas moi le criminel.
- Speaker #1
Oui mais vous êtes menacé de mort. Je veux dire, vous avez... Non, je ne sais pas. Alors, j'étais dans le jury du Renaudot lundi chez Drouan. Il y avait des policiers partout, vous n'avez pas vu ? Il y avait des policiers à l'entrée, il y avait des policiers à l'étage. Je n'avais jamais vu ça, avec des armes.
- Speaker #0
Ah bon ?
- Speaker #1
Oui, il y avait des flics qui protégeaient le restaurant. Il n'y en a pas d'ailleurs aujourd'hui chez la Pérouse, donc je suis un petit peu craintif, parce que je suis beaucoup moins courageux que vous. Beaucoup, beaucoup,
- Speaker #0
beaucoup. Ah mais moi je ne suis pas courageux, je suis quelqu'un de digne. Je suis quelqu'un de digne. Je parle d'une phrase que je répète souvent, c'est mon mantra, c'est que celui qui ne peut pas mourir à ma place ne peut pas vivre à ma place. C'est une révélation que j'ai eue à un moment. Si je rencontre l'être humain, qui va me dire, monsieur Daoud, vous allez mourir tel jour, à telle heure, et c'est moi qui vais le faire à votre place. Il sera Dieu pour moi. Mais cet être n'existe pas. Donc quand je regarde quelqu'un, ce n'est pas à moi de baisser les yeux. Moi je vis ma vie jusqu'au bout. Et donc ce n'est pas une question de courage, c'est une question de dignité.
- Speaker #1
Vous avez dit sur France Inter le lendemain du Goncourt, je réunis tout ce qu'il faut pour une décapitation. Ce n'est pas une phrase anodine.
- Speaker #0
Oui, mais un enseignant dans une école française maintenant peut aussi dire cette phrase-là. Oui.
- Speaker #1
D'accord ?
- Speaker #0
Ce n'est pas uniquement moi. Nous sommes des écrivains. Nous sommes nombreux. Nous sommes nombreux. Nous sommes nombreux. Le problème, c'est que nous sommes une majorité à avoir peur, alors que nous devrions être une majorité à rétablir l'équilibre.
- Speaker #1
Non, mais vous avez une fatwa contre vous depuis 2014.
- Speaker #0
Mais ce n'est pas important. Franchement, ce n'est pas important.
- Speaker #1
Ce n'est pas important ? Il n'y a pas de garde du corps chez la Pérouse ?
- Speaker #0
Non, ce n'est pas ça.
- Speaker #1
J'ai peur.
- Speaker #0
Non, ce n'est pas ça. Croyez-moi, ce n'est pas pour jouer les... C'est que un... il ne faut pas mettre la peur au centre de sa vie. Ça veut dire que vous avez perdu. La deuxième des choses, c'est quand même rester un peu digne. Vous parliez de cette étudiante dans une université. Comment moi je vais parler de courage face à une femme pareille ? Non, il faut rester quand même. Trois, c'est que moi je ne suis pas chrétien. Cette sublimation du martyr. L'Occident, ça fait 2000 ans qu'il cherche un Jésus-Christ, un peu brun, qui arrive de l'autre côté, qu'on crucifie et qui va rétablir un peu le monde comme châtiment et comme crime. Ce n'est pas mon rôle. Moi je suis venu ici pour écrire, pour être libre. Non pas pour décrier, je suis un revival, c'est-à-dire le départ a été une seconde naissance. Mon pays natal m'est cher, je le dis souvent parce que les gens... Je ne confonds pas l'Algérie avec ceux qui l'ont privatisé. Je suis méditerranéen, j'aime ce pays, il m'habite, mais je suis quelqu'un qui n'est pas... Moi je préfère... même la peau au drapeau donc je préfère quand même ce que je ressens quand je au bord de la méditerranée que les grands hymnes etc...
- Speaker #1
peut-être que mon défaut c'est que je suis pas un grand nationaliste parce que je suis villageois mais comment va être reçu le livre comment il est reçu déjà Le fait que ce livre, qui est sorti en août, il est en novembre, le prix Goncourt, le plus prestigieux prix français, va avoir des conséquences en Algérie. Le livre est déjà lu sur WhatsApp, en PDF, il circule énormément, mais il est vraiment censuré là-bas ? Il n'y aura aucun moyen de le lire, ni en français, ni en arabe ? Non,
- Speaker #0
je ne pense pas. Non, je ne pense pas. Les choses ont été claires. Vous savez les décisions les plus spectaculaires et les plus fortes, ce ne sont pas celles que l'on dit, mais dans des systèmes politiques le silence équivaut à une décision qui n'est sans appel. Mais le roman circule, il est lu, il fait l'objet...
- Speaker #1
Vous avez des retours ?
- Speaker #0
Énormément. Depuis le prix j'ai reçu énormément. Moi j'aime pas m'enfermer dans ce cercle malsain de gens qui, des détracteurs qui vous attaquent, vous leur répondez etc. C'est normal, moi je pense qu'on a le droit... C'est quoi ? Les droits ? Les droits humains devraient inclure parfois celui de la méchanceté. Ils ont le droit d'être méchants, certains, mais pour le reste, les Algériens étaient fiers. Ils étaient fiers. Je suis le produit de l'école algérienne, je suis le produit de livres déchirés, je suis le produit d'un village, je suis le produit de maisons, etc. La littérature, elle est belle. Il y a peu de gens qui ont fait le lien. J'ai appelé mon personnage Aube, c'est aussi pour Romain Garry.
- Speaker #1
Ah oui !
- Speaker #0
La promesse de l'aube.
- Speaker #1
Ah oui, la promesse de l'aube, c'est beau. Mais justement, parlons un peu de littérature. Parce que le problème quand on traite un grand sujet politique comme vous, c'est que parfois on oublie de dire le travail littéraire de style qu'il y a. Alors, par exemple, votre livre c'est un monologue intérieur, comme celui de Molly Bloom à la fin du Lys de Joyce. C'est aussi quelque chose que personne ne vous a jamais dit, c'est que c'est aussi dans vos deux romans précédents. Vous êtes le spécialiste du monologue, puisque le frère de l'Arabe assassiné par Meursault dans votre premier livre, Meursault contre enquête, c'était aussi un monologue. Et c'était le cas dans Zabor aussi.
- Speaker #0
Oui, j'ai écrit...
- Speaker #1
C'était une confession Zabor en 2017. Oui, mais j'ai... Le truc d'être à l'intérieur de quelqu'un qui se confie.
- Speaker #0
Oui, alors j'ai toujours pensé en termes de trilogie. Pour moi, c'est la trilogie des monologues. Je voulais l'appeler ainsi un moment. Ah bon ?
- Speaker #1
Oui. Confirmez-moi, je suis le premier à vous dire ça. Oui. Ah, merci. Parce que les gens ne parlent que de politique.
- Speaker #0
Oui, mais ça va s'apaiser. La politique, je vous le disais tout à l'heure, c'est une passion française et algérienne. C'est notre roman national, donc les gens voient les choses à travers la politique. Quand je lis maintenant des romans qui m'ont bouleversé comme... sur les falaises de marbre, Bernays Junger par exemple. Qu'est-ce qu'on lit ? Est-ce qu'on lit l'histoire du nazisme de cette époque-là ? Oui et non. Mais en même temps, on lit ce roman-là qui est un peu onirique, un peu métaphysique, etc. Et donc, la littérature, elle finit par atteindre l'émancipation de la conjoncture de l'histoire. Donc, je laisse passer tout ça.
- Speaker #1
Mais moi, ça m'a frappé. J'ai pensé aussi à Malcolm Lurie, Au-dessous du volcan. Vous aimez le lyrisme, une recherche... lexicale, une musique, un peu un ressassement aussi.
- Speaker #0
Oui, mais parce que l'enjeu, parce que les gens oublient que pour moi, la langue est un personnage. La langue elle-même est un personnage, c'est le principal personnage. Parce que dans cette trilogie des monologues, je la parlais ainsi maintenant ouvertement, c'est que l'enjeu de la prise de parole est énorme. Vous avez quelqu'un dont on a tué le frère et qui n'a pas le droit de parole, parce que c'est son tueur, entre guillemets, qui écrit mieux que lui. Vous avez quelqu'un qui est dans un bord, qui apprend la langue et qui veut sauver son village et ses ancêtres, mais personne ne le comprend parce qu'il écrit dans une langue étrangère. Et vous avez quelqu'un qui, à la fin, a perdu la voix et qui ne peut pas raconter une histoire. La langue et la prise de parole... Le monologue, vous savez ce qui est extraordinaire ? C'est que à la fois...
- Speaker #1
Tout est très libre.
- Speaker #0
Oui, mais en même temps c'est une tragédie parce que c'est un monologue.
- Speaker #1
Oui. Enfin là, elle parle à son enfant.
- Speaker #0
Et là, je suis à la fin du monologue, justement. Et je suis content que vous le dites parce que je suis vraiment à la fin d'un cycle de monologues. Là, ça a été entamé. Le dialogue a été entamé. Et je rêve de ce roman-là où il y aura du papotage entre Robinson Crisouet et Vendredi.
- Speaker #1
Mais c'est ce que nous faisons là. Oui. Mais on ne dira pas qui est seul sur son île. On ne le dira pas.
- Speaker #0
Non, mais je le sais. Non, mais c'est vrai que le monologue est là. Mais le monologue, c'est une tragédie en soi-même. Et l'enjeu de la langue, c'est un enjeu important. C'est un enjeu humain, trouver les mots. Vous savez, je dis toujours qu'on a... qu'on a deux histoires. Celle qu'on aime bien raconter et celle qu'on n'arrive pas à raconter. Parfois, ça prend toute une vie. Parfois, on se trompe sur le destinataire de cette histoire. Parfois, on la commence et on s'arrête. Et cette histoire, elle est là. Et à un moment, il faut qu'elle trouve ses mots. les perds, elle les cherche, etc. C'est comme un jeu d'osler, les mots. Et donc, pour moi, c'est ça ce qui est important. Maintenant, la lecture politique, mais bien sûr, on ne laissera pas ça. Oui,
- Speaker #1
mais alors là, je vais vous dire quelque chose d'un peu cliché. C'est que... tout ça, ça vient des mille et une nuits. Les mille et une nuits, c'est Cheikh Razad qui raconte des histoires pour qu'on la tue pas.
- Speaker #0
Et puis,
- Speaker #1
on reconnaît bien l'influence des mille et une nuits dans Ouri, je trouve. Et alors, la semaine dernière, j'avais Miguel Bonnefoy, et je lui ai dit, puisqu'il est franco-vénézuélien, je lui ai cité Don Quichotte. Donc c'est pareil, c'est un peu cliché. Je reçois un Algérien, je lui sors les mille et une nuits. C'est un petit peu... Mais non, c'est vrai, je n'en ai même pas 100%. Les mille nuits sont omniprésentes dans votre livre.
- Speaker #0
Bien sûr, mais je pense que dans la généalogie des écrivains, il y a ce que j'appellerais le livre ancêtre. Eh oui. Ferkas parle tout le temps de Don Quichotte. Est-ce qu'on le lui reprocherait ? Est-ce que c'est du cliché ? Non, pour lui, le roman, c'est Don Quichotte.
- Speaker #1
C'est la langue espagnole, peut-être.
- Speaker #0
Oui, mais c'est le socle de la possibilité de la fiction. dans des systèmes catholiques fermés, etc. Dans le monde qu'on appelle arabe, le socle, le texte fondateur du droit à la fiction, ce sont les Mélinuis. Donc on a des géographies où il y a des textes... fondateur qui restaure le droit à la fiction. Et tous les écrivains se cherchent des ancêtres. Donc, on revient vers cet ancêtre éponyme qui donne son nom à toute la littérature. Et les Mille et Nuit, moi je suis à la fin, je me dis que c'est une histoire triste, parce qu'à la fin, elle épouse quand même quelqu'un qui a beaucoup tué. Donc, ce n'est pas la bonne histoire. Don Quichotte aussi. Mais que faisons-nous à un certain âge sinon revisiter ce livre ancêtre ?
- Speaker #1
Oui, c'est le livre fondateur. Et la sœur d'Aube a été tuée. Et donc elle est la seule à pouvoir parler et donc elle est bien obligée de parler pour survivre. Est-ce que... alors qu'est-ce que je voulais vous demander ? Oui on surnomme l'armée la grande muette. Je sais pas si c'est le cas en Algérie mais en France on dit la grande muette. Or votre héroïne c'est une grande muette.
- Speaker #0
Oui si mais même en Algérie je me rappelle il y a dix ans il y a eu quand même un texte de l'armée algérienne qui interdisait que l'on emploie l'expression de la grande muette. Ah bon ? Et là le mutisme est devenu total parce qu'on pouvait même pas dire cette phrase.
- Speaker #1
Faisons un rêve, comme disaient Sacha Guitry et Martin Luther King. Qu'est-ce que vous souhaitez à l'Algérie contemporaine ? Imaginez que vous êtes nommé président. Je ne vous souhaite pas.
- Speaker #0
Oui. Je voudrais que l'Algérie revienne au présent. Franchement, le passé n'est pas une demeure, c'est la demeure des morts. Nous, nous habitons le présent. Je souhaite que l'on restaure la primauté de l'enfant sur l'ancêtre. Je souhaite qu'on en parle nos langues, au lieu des langues d'identités imaginaires. J'adore la langue arabe, je la maîtrise, j'écris avec. Mais ce n'est pas la langue algérienne, ce n'est pas les langues algériennes. Donc j'ai envie, si j'étais président, je pense que je vais inverser le tout. Je vais commencer par l'école, le livre des comptes, l'éditorial. Les textes de jeunesse. Ce voilà ne veut pas dire que je désespère des aînés. Je vais les laisser disparaître un peu et je mettrai, je miserai tout sur l'enfant. Au fait, métaphoriquement, j'ai envie de renverser la tendance du temps et d'aller vers le futur. Bien sûr. Une des choses les plus difficiles à habiter, c'est le présent. Pour beaucoup de pays d'ailleurs. Et donc, je dirais ça. Revenons au présent.
- Speaker #1
Oui, mais là-bas, on célèbre la guerre de libération d'indépendants. de décolonisation contre la France et on nommait complètement la décennie noire. C'est ce que vous répétez tout le temps. Alors, est-ce que aussi vous diriez faisons, comme les Rwandais, faisons des procès, faisons des témoignages, des confessions, et après, un pardon possible ?
- Speaker #0
Bien sûr, mais vous savez pourquoi il faut le faire ? Parce que là, on rétablira la dignité du vivant et la dignité du mort. Pour le moment, qu'est-ce qu'on dit à ceux qui viennent de naître en Algérie ? On leur dit ... La meilleure vie, c'est d'être mort et surtout d'être mort durant la guerre de libération. Et un jour, un ami m'a dit, mais regarde, on reproche aux occidentaux de hiérarchiser le vivant. C'est-à-dire, regardez, quand il y a deux Suisses morts, tout le monde en parle dans un attentat. Quand il y a 400 jeunes filles kidnappées par Boko Haram, personne n'en parle. Il m'a dit, mais c'est vrai, mais en même temps, nous aussi, nous faisons la même chose. Nous hiérarchisons nos morts. Et donc, on est dans cette rétablissement aussi. Moi, ce que j'ai envie, c'est que mon pays natal s'apaise. Et qu'il se dise, j'ai une responsabilité au présent. Et qu'il s'apaise son rapport aux autres. et à l'altérité, au reste du monde. Nous voulons appartenir au reste du monde, en même temps, nous ne voulons pas que le reste du monde pose le pied chez nous. Donc, réparons-nous notre présence au monde. Je comprends l'histoire, elle fut douloureuse, etc. Moi, je suis quelqu'un qui croit que... fatalisme. Sinon, je n'aurais pas été ici à la Pérouse avec vous si j'avais suivi le déterminisme de ma famille. D'accord ? Donc, je ne crois pas. Je crois que il faut construire sa présence au monde. Il faut conquérir. Et j'ai envie que ce pays-là s'apaise et qu'il ne trouve pas dans la vantardise, la fierté, le passé, la fausse monnaie de sa richesse. Parce que vous,
- Speaker #1
vous connaissez. Vous étiez journaliste à Oran, vous étiez reporter pendant cette guerre, vous avez vu les atrocités. physiquement, vous avez vu ça. Et vous voyez que personne n'est jugé, que personne n'est coupable. C'est quand même surréaliste.
- Speaker #0
Oui, mais c'est une conjonction d'intérêts. Si vous avez un système politique entier bâti sur la rente mémorielle, tout est de la faute de la France parce que ça ne dispense de tout. Mais, si vous avez remarqué, l'Algérie, elle commence à parler d'excuses à la France, etc. Après les années 2000, pas avant. Je me suis toujours posé la question jusqu'au moment où... C'est pas par assuration, j'ai compris. Je me suis dit, mais pourquoi les islamistes soutiennent à grand cri la demande d'excuses de la France ? Mais parce que c'est le seul moyen de faire oublier leur propre crime. Parce que eux, le seul moyen de faire oublier qu'ils ont un devoir d'excuse vis-à-vis des Algériens qu'ils ont tués, c'est de dire que tout est de la faute de la France. Donc, cette concurrence dont l'amnésie, l'oubli et la mémoire, elles servent des enjeux politiques. Si vous lisez la presse islamiste algérienne, chaque jour il y a un édito ou deux ou trois contre la France. Pourquoi ?
- Speaker #1
C'était quand même il y a longtemps tout ça. Oui,
- Speaker #0
mais c'est pas ça.
- Speaker #1
Des meurtres qui ont eu lieu au début des années 2000 ne peuvent pas être reprochés aux Français.
- Speaker #0
Non, je sais, mais le mémoral, ce n'est pas le domaine de la rationalité aussi. Oui, c'est vrai. Donc, moi, je voudrais que l'histoire soit réparée, qu'elle s'apaise et qu'on puisse se dire nous avons un devoir vis-à-vis de nos... enfants. C'est ce que je répasse toujours, être un ancêtre ça se mérite, donc il faudrait qu'on laisse à nos enfants un pays debout, un pays fier, un pays qui a réparé le rapport aux autres, etc. Donc oui, réparons le présent.
- Speaker #1
Et je dis pour les gens qui... n'aurait pas encore lu Ouri, et sans dévoiler la fin, que c'est un livre qui va vers la paix, la lumière et l'espoir.
- Speaker #0
Je n'ai pas voulu écrire un livre de guerre, j'ai écrit un livre de retour à la vie. Parce que sinon je ne l'aurais pas écrit. Ce n'est pas un livre de pédagogie, c'est que, vous savez, vous êtes écrivain, il y a des livres qui sont là à la fois par une nécessité visible et une nécessité invisible. C'est comme ça qu'on construit un roman. Et écrire, c'est partir de la nécessité visible vers la nécessité invisible, que l'on finit par découvrir et que l'auteur découvre bien plus tard. Et je crois que c'est ça.
- Speaker #1
Vous-même, vous avez des enfants.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Et vous l'avez écrit pour eux, ce livre.
- Speaker #0
Bien sûr. Mais j'ai écrit aussi pour rétablir, pour que l'histoire soit apaisée. Et j'avais envie, au fond, de trouver des raisons d'aimer, de m'aimer. Parce qu'en Algérie, nous avons un grand problème, je le dis maintenant à lanterne et je sais que ça va être attaqué, nous ne nous aimons pas. Et nous ne nous aimons pas. Pourquoi ? Je ne sais pas, je pense que...
- Speaker #1
Oui, il y a la colonisation qui joue un rôle. Vous étiez un peu déshumanisé pendant cette période.
- Speaker #0
Oui, mais pas, quelle colonisation ? Il y en a eu tellement. Les Ottomans, les Romains, les Vandales, les Espagnols. Tout le monde est venu dans ce pays, il a saccagé ce pays, etc. Il a construit, il a... Mais notre histoire est plurielle. Et vous savez, après 2000 ans d'histoire plurielle, nous avons inventé le Parti Unique. Vous voyez un peu la tragédie. Au fait, c'est que... Il faut apaiser, il faut revenir à soi. En fait, j'ai envie qu'on habite ce pays.
- Speaker #1
Mais vous savez, en lisant Ouri, on a envie d'aller en Algérie. Passons maintenant au jeu très célèbre de conversation chez la Pérouse. Devine tes citations, je vais vous lire des phrases de vous, et vous devez me dire dans quel livre vous avez écrit cette phrase. Alors c'est facile, il n'y en a que trois. Meursault, Zabor ou Ouri. Voilà. Aujourd'hui, Ma est encore vivante.
- Speaker #0
Merci au compte-enquête.
- Speaker #1
Oui, c'était un pastiche, bien sûr, de l'insipide de l'étranger de Camus. Aujourd'hui, maman est morte. Est-ce que la famille de Camus a réagi après la sortie du livre ? Les descendants, vous savez, ils ont refusé que Camus soit au Panthéon.
- Speaker #0
Oui, mais sans plus.
- Speaker #1
Oui, parce que Meursault a très très bien marché, peut-être qu'il voulait participer au succès du livre.
- Speaker #0
Je ne juge pas des intentions des autres.
- Speaker #1
Autre phrase de vous. Bon sang, comment peut-on tuer quelqu'un et lui ravir jusque sa mort ?
- Speaker #0
Meursault.
- Speaker #1
Meursault, toujours en 2014. Cette phrase aurait pu être dans Ouri. Pourquoi il y a eu dix ans entre...
- Speaker #0
deux d'ailleurs vous avez mis longtemps avant de reparler de vous le savez il est difficile de survivre à un succès et meursault a été un succès international et qui a provoqué énormément d'antan et à un moment je me suis dit peut-être que il fallait retrouver l'insulaire en moi. Il fallait du temps.
- Speaker #1
Écrire est la seule ruse efficace contre la mort.
- Speaker #0
Zabor.
- Speaker #1
Oui il connaît bien ses livres Kamel Daoud 2017. C'était chez Actes Sud. Vous avez changé d'éditeur et pourquoi vous avez changé d'éditeur ? C'est une question très gênante.
- Speaker #0
Non parce que le monde est vaste et il est fait de rencontres et de belles rencontres.
- Speaker #1
Autre phrase de vous, je voudrais posséder l'Occident et je ne le peux pas.
- Speaker #0
C'était dans le musée. Oui,
- Speaker #1
le peintre dévorant la femme. Vous avez passé une nuit au musée Picasso en 2018 et c'est un livre très différent de vos autres livres. En gros, voir des tableaux de Picasso pendant toute une nuit, ça vous rend complètement obsédé.
- Speaker #0
Totalement. Totalement. C'est vrai que vous êtes... Non mais ce qui m'avait frappé...
- Speaker #1
C'est très actuel ce livre.
- Speaker #0
Oui mais ce qui m'avait frappé, c'est que quand je suis sorti le lendemain, je lisais des descriptions des Vierges du Paradis. Mais elle correspondait exactement au tableau de Picasso.
- Speaker #1
Attention, vous dérapez, vous devenez islamiste, attention.
- Speaker #0
Ah ben non, je deviens esthète.
- Speaker #1
C'est vrai que c'est un livre très différent.
- Speaker #0
Il faut imaginer l'inverse, le paradis peuplé des tableaux de Picasso, le monde peuplé de Ouri maintenant.
- Speaker #1
Oui, je préfère. Mais cette phrase, sérieusement, je voudrais posséder l'Occident et je ne le peux pas. Ben si, la preuve, ça y est, vous possédez l'Occident.
- Speaker #0
Vous savez, c'est un sentiment vraiment véridique que j'ai vécu en arrivant pour la première fois, pour le premier voyage en Occident à 26 ans. Les choses étaient tellement belles. Et après, je me suis dit, c'est comme rencontrer un être tellement beau qui vous regarde, qui vous sourit, et puis il s'en va. Il a sa propre vie. Je voyais les pierres, les façades, les femmes.
- Speaker #1
Il y a tout ça en Algérie.
- Speaker #0
Non, non. Et j'avais envie de dire, j'avais envie que ça m'appartienne parce que c'était le seul moyen d'assouvir ce creux en moi. Vous savez, le... le beau, le beau est terrible. Le beau vous met... Un jour, j'ai dit à une femme que j'ai croisée il y a des années, elle était tellement belle, j'ai dit je sais que vous ne me comprendrez pas, mais je voudrais avoir votre visage pendant une journée.
- Speaker #1
Mais est-ce que vous ne croyez pas justement que le problème des islamistes c'est un problème avec le désir ? C'est insoutenable de désirer une belle femme et un visage de femme. Il vaut mieux le cacher pour souffrir moins.
- Speaker #0
Non, je crois que c'est plus que ça. Je crois que... La femme, face à des gens comme ça, elle leur renvoie à leur humanité, leur faiblesse. Et donc, parce que aimer c'est se mettre nu, au commencement et à la fin de la nuit. Et donc, eux, ils se prennent pour des dieux. Ils se lavent ce corps, ils le purifient tout le temps, etc. Et d'un coup, ils sont face à ce miroir qui leur renvoie à leur propre précarité, humanité, faiblesse. Alors, cachons ce miroir de nous-mêmes, le miroir de nos propres faiblesses.
- Speaker #1
Ne nous soumets pas à la tentation dans notre père catholique.
- Speaker #0
Vous voyez, les descriptions du paradis, ils ne décrivent pas des femmes, ils décrivent des objets.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
D'accord ?
- Speaker #1
Dernière phrase, c'est toujours de vous. C'est ainsi, pour certains, se tuer pour les autres est une manière de vivre.
- Speaker #0
C'est dans Oury, le dernier roman, c'est la place de la maman de Hobbes.
- Speaker #1
C'est Khadija.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
La mère d'Aube qui lui dit ça, se tuer pour les autres est une manière de vivre. C'est une très belle conclusion à notre conversation, merci infiniment. Juste avant de se quitter, il y a une nouvelle rubrique dans cette émission, ce sont des conseils de lecture, les conseils d'un professionnel, d'un confrère.
- Speaker #0
Vous parlez de vous ?
- Speaker #1
Bien sûr, voilà. Aujourd'hui c'est vous qui allez donner des conseils, donc je vous demande par exemple un livre qui vous donne envie de pleurer. Euh...
- Speaker #0
Vous me renvoyez à des livres plus...
- Speaker #1
Allez-y si vous avez...
- Speaker #0
Oui, parce que généralement c'est une conversation à Saint-Exupéry. Le Château de ma mère, la première fois où j'ai pleuré, mais j'ai sangloté en lisant un livre.
- Speaker #1
De Marcel Pagnol.
- Speaker #0
De Marcel Pagnol, exactement. Il y a un autre livre qui m'a fait pleurer et qui me fait pleurer jusqu'à maintenant, c'est Des souris et des hommes.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Donc on ne peut pas ne pas pleurer. Sauf si on est un critique littéraire.
- Speaker #1
Oui, c'est mon cas, je n'ai pas pleuré. Non, j'aime beaucoup Steinbeck, mais je trouve qu'il en fait quand même un petit peu des caisses dans Des souris et des hommes.
- Speaker #0
J'ai oublié aussi un autre livre qui m'a fait pleurer de dépit, de chagrin, de colère. C'est le livre de Al-Aswani, J'ai couru vers le Nil. C'est-à-dire l'échec des soulèvements dans le monde arabe. Ça, ça m'avait pleuré. Mais qu'est-ce que c'est dur, ce livre-là.
- Speaker #1
Est-ce que vous avez pleuré par moments en écrivant Ouri ?
- Speaker #0
Oui. J'ai un des chapitres...
- Speaker #1
La scène du massacre des enfants ?
- Speaker #0
Non. Vous savez, j'ai écrit ça entre 10h et midi, la séquence de Amra. Cette femme qu'on appelle la terroriste et qui dit ou l'oublie. Rappelle toi de mon nom, n'oublie pas mon nom, etc. Et j'étais dans un bistrot en train d'écrire et j'ai fini. Et j'ai fini en sanglots et tout le monde me regardait dans l'astro parce que cette femme qu'on appelle la terroriste, elle a été violée. Elle a été kidnappée. Quand elle est revenue, on a pardonné au tueur, mais pas à elle. Je vous jure que j'ai sangloté parce que toute la scène pour moi, ça s'est joué dans un bistrot et c'était comme ça. J'ai pleuré.
- Speaker #1
Est-ce que le serveur vous a apporté un Kleenex ?
- Speaker #0
Non, il se tenait loin, donc il ne savait pas comment réagir. Et moi, comme méditerranéen, j'ai très vite recomposé mon visage. Donc, j'ai pleuré.
- Speaker #1
Un livre pour arrêter de pleurer ?
- Speaker #0
Un livre pour qu'est-ce que j'avais arrêté de pleurer ? Donc, pour réfléchir, pour espérer. Il y a des livres qui m'ont marqué, que je relis jusqu'à maintenant, par exemple, L'inorité terrestre d'André Gide. Il y a un livre, un écrivain qu'on a tendance à oublier maintenant. qui m'a marqué, c'est Hermanas.
- Speaker #1
Ah oui,
- Speaker #0
bien sûr. Le jeu des perles des verts, ça donne de l'espoir. Ça me place dans une sorte d'univers, d'idées. Et je lisais beaucoup Hermanas jusqu'à récemment.
- Speaker #1
Un livre pour s'ennuyer.
- Speaker #0
Alors il faudrait que je choisisse des morts pour ne pas avoir de problèmes. J'aime pas les romans de Gide.
- Speaker #1
Les romans d'André Gide ?
- Speaker #0
Oui, les Fonds Monnayeur, etc. C'est quand même accroché. Et un grand génie, j'ai jamais pu le lire. Proust.
- Speaker #1
Ah bon, vraiment ?
- Speaker #0
Je n'y arrive pas.
- Speaker #1
Non, mais vous êtes libre.
- Speaker #0
Je ne sais pas, mais je n'y arrive pas.
- Speaker #1
Beaucoup de jeunes qui nous regardent ont du mal. Il faut s'accrocher.
- Speaker #0
Oui, mais je n'y arrive pas. Je n'y arrive pas.
- Speaker #1
Un livre pour crâner dans la rue.
- Speaker #0
J'étais, vous pouvez le comprendre facilement, fasciné par Hervé Bassin, un vipère au poing.
- Speaker #1
Ah oui, d'accord, parce que c'est le fait que ce soit au point. Oui,
- Speaker #0
il va au point. Un livre pour se prendre pour un héros, par exemple, ce n'est pas un roman. En même temps, c'est un roman. C'est les sept piliers de la sagesse de l'Agence d'Arabie. Et le poème inaugural, qui pour moi est le plus grand poème que j'ai jamais lu.
- Speaker #1
Un livre qui rend intelligent, à part le vôtre ?
- Speaker #0
Alors, j'avais noté un livre que je relis. Chaque fois, c'est Tandis que j'agonise. de Faulkner. Parce que quand je le lis, au-delà de l'usage de la langue, de la métaphore, il rend intelligent la perception. Il est bouleversant. Ce roman, c'est un chef-d'oeuvre d'apprentissage pour les romanciers.
- Speaker #1
Un livre pour séduire, éventuellement en laissant traîner sur la table de chevet, vous voyez ?
- Speaker #0
Non...
- Speaker #1
Sur la table de chevet, ça veut dire que la personne est déjà là, donc... Un livre pour séduire...
- Speaker #0
J'ai bien raconté ma façon, ma découverte de Martin Eden et de... Ah, de
- Speaker #1
Jack London ?
- Speaker #0
Jack London. La vie de Jack London, elle est incroyable, c'est une manière de séduire, c'est-à-dire de dire qu'à la limite, regardez, ça finit bien, si vous êtes avec moi, ça va finir comme ça, bien, enfin, bien... Non,
- Speaker #1
non,
- Speaker #0
il... Il a quand même choisi à la fin de Martin Eden... C'est suicide. Oui, mais il raconte dans Martin Eden son propre sujet. Cette phrase m'a bouleversé quand j'étais jeune. Il plongea. Et au moment même où il le sut, il ne savait déjà plus rien.
- Speaker #1
Un livre que je regrette d'avoir lu.
- Speaker #0
J'ai pas...
- Speaker #1
Au moment que c'est pas un livre de BQBD, ça va, vous pouvez y aller.
- Speaker #0
Écoutez, c'est bizarre, j'ai été fasciné par un titre pendant des années, c'est Le Seigneur des Anneaux. J'avais fini par écrire un résumé de ce livre que je n'ai jamais lu, juste en répétant le titre, j'avais 13 ans. Donc j'ai écrit les premières nouvelles qui s'appelaient Le Seigneur des Anneaux, c'était magnifique. Un jour, à l'âge de 25 ans, je suis tombé sur la trilogie, je l'ai acheté, je l'ai lu. C'est prétentieux de ma part, mais ma version était...
- Speaker #1
Oui, c'est prétentieux. Alors, il y a la question de Gaël Fay, qui est un livre que je fais semblant d'avoir fini.
- Speaker #0
Oui, je pense que nous promenons tout cette infamie que nous avons...
- Speaker #1
Il y en a beaucoup.
- Speaker #0
Oui, Proust.
- Speaker #1
Oui, c'est ça, Proust. Mais là, vous assumez que vous ne l'avez pas lu. Ah,
- Speaker #0
j'assume.
- Speaker #1
Vous êtes courageux. Un livre que j'aurais aimé écrire.
- Speaker #0
Ah, là... Très nettement, très clairement, les deux livres de Yursenar, Mémoire d'Adrien et surtout, surtout l'œuvre noire. Et puis, j'ai envie de réécrire moi aussi, Les Vendredis ou les Lèvres du Pacifique. Parce que lui, il l'a fait pour Daniel Defoe, moi j'ai envie de le faire pour...
- Speaker #1
C'est une histoire qui mérite d'être réécrite tout le temps.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Quel est le pire livre que vous ayez jamais lu ?
- Speaker #0
Moi, j'étais un grand lecteur de science-fiction.
- Speaker #1
Moi aussi.
- Speaker #0
Mais j'adorais. Science-fiction, c'est un genre magnifique. On a des chefs-d'oeuvre indépassables, comme Dan Simmons, par exemple, Hyperion, Iléon. Et on a des...
- Speaker #1
Dieu.
- Speaker #0
Dune, etc. Surtout l'âge d'or de la nouvelle américaine, la short story de science-fiction, etc. Et puis on a de temps en temps des livres, surtout les russes qui étaient très mauvais écrivains de science-fiction à l'époque. Et donc je tombais, moi j'avais pas le choix. En fait les mauvais livres, je ne les ai pas lus parce que, par masochisme, c'est qu'il y avait tellement peu de livres dans le village, que je lisais tout et que je finissais par trouver du génie même chez ceux qui n'en avaient pas. Donc les livres de science-fiction russes, non. Les livres communistes par exemple.
- Speaker #1
Ah oui.
- Speaker #0
Mais horrible, horrible. Les livres des héros de guerre qui sont encore vivants. C'est horrible, j'aime pas.
- Speaker #1
Et enfin, le livre que vous lisez en ce moment ?
- Speaker #0
Alors là, j'ai commencé il y a deux semaines, Les guerriers de l'hiver de Norek. Je le trouve bien. J'ai fini un livre, mais qui n'est pas un roman, c'est un essai, une biographie de Frantz Fanon, écrite par un ami qui travaille dans le New York Times, dans le London Book Review. C'est une biographie à l'américaine, très romancée aussi. Enfin, pas romancée, mais construite comme un livre. très fourni sur Frantz Fanon, qui est devenu une sorte de prophète pour beaucoup de monde, alors qu'on ne l'a pas lu. On n'a pas lu. C'est le propre des grands prophètes, c'est de publier, de ne pas être lu, et tout le monde s'en réclame.
- Speaker #1
Merci infiniment. Alors je rappelle que cette émission est parrainée par le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Je vous recommande chaudement la littérature de Ouri, mais enfin vous le savez, puisqu'on ne parle que de ce livre, Ouri, de vous-même, Kamel Daoud, chez Gallimard. L'ingénieur du son de cette émission, c'est Guilhem Pagelache, dont le nom est presque aussi difficile à prononcer que le mien. Et la réalisation et le montage vidéo, c'est Chloé Begbeder. Et n'oubliez pas, lisez des livres, sinon vous mourrez idiot.