- Speaker #0
Dans l'ombre, un podcast produit par We Are et Time to Sign Off.
- Speaker #1
Bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, bref, toutes celles et ceux qui tirent les ficelles mais évitent la lumière. Ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur métier et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off, TTSO, et ce soir je reçois un de ces noms qu'on voit au générique des films de cinéma, et pourtant un nom qu'on oublie immédiatement, même si, comme c'est le cas de mon invité, il gagne des grands prix du jury à Cannes. Ce soir, je reçois un producteur de cinéma. Bonsoir David Atlan.
- Speaker #2
Bonsoir Romain.
- Speaker #1
25 ans de production en France et aux Etats-Unis, plus de 500 films produits, un homme d'expérience mais aussi un homme de l'ombre, dans un milieu où on ne semble exister, où on ne semble qu'exister, que et pour la lumière. David, pouvons-nous commencer cet entretien par une explication de ce qu'est le rôle d'un producteur sur un film ?
- Speaker #2
Tout à fait. Alors, un producteur, c'est la personne qui va agréger des équipes, qui va parfois trouver des sujets et qui va devoir trouver le bon équilibre entre ce qui est artistique, ce qui va être commercial. C'est un des chefs de la cuisine qui va essayer de trouver toutes les saveurs. Mais ce n'est pas l'homme du financement ? Ça fait partie de la formule. Le financement, ça doit faire partie de la formule. L'équilibre financier doit faire partie de la formule, que ce soit le... Le rapport entre ce que va coûter le film et donc jusqu'où la créativité peut aller et savoir comment il va falloir faire pour le financer et donc savoir quelles sont les limites qu'il va pouvoir avoir.
- Speaker #1
C'est l'homme qui crée le projet, qui fait arriver le projet au départ et si pendant le projet, c'est l'homme qui dit non ?
- Speaker #2
C'est l'accompagnateur de la personne qui va faire le projet. Donc c'est l'accompagnateur du réalisateur et du scénariste qui va tout faire en sorte pour que leur vision puisse aboutir et qui va donc du coup devoir dire non bien souvent.
- Speaker #1
D'accord. Est-ce que vous vous souvenez du premier film qui vous a donné envie de faire ce métier ? Comment est née l'envie de faire ce métier ?
- Speaker #2
Il y a plein de films qui m'ont accompagné tout au long de ma vie. Le premier, ça doit être l'Empire contre-attaque, j'en ai un souvenir frappant. Mais il y a plein de films qui m'ont accompagné tout au long de ma vie. Jusqu'à même encore cette année, je vois des films et je me dis, c'est quand même merveilleux.
- Speaker #1
En voyant l'Empire contre-attaque, vous vous êtes dit, je vais être le producteur. Remarquez, vous avez raison, ça doit être titanesque.
- Speaker #2
Le souvenir est frappant parce que mon père m'accompagnait souvent au cinéma et détestait faire la queue. Donc, on arrivait toujours un peu après le début. À l'époque, on pouvait rester dans les salles et on avait l'habitude de rester pour revoir jusqu'au moment où on était parti, enfin, où on était arrivé. Et là, j'ai supplié mon père de rester. Donc, on a vu le film deux fois de suite, enfin, une fois, trois quarts de suite. Et vraiment, ça a été le premier choc cinématographique. Un événement fort pour moi.
- Speaker #1
C'est dingue d'être cinéphile en ayant commencé sa vie de cinéma en voyant des films un peu tronqués. Il y a un passage dans Annie Hall où il dit « Alain, refuse d'aller voir Le Chagrin et la Pitié » qu'il a vu 12 000 fois parce qu'ils sont 5 minutes en retard. Et Diane Keaton lui dit « Mais tu l'as vu 12 000 fois » . Elle dit « Non, ce n'est pas possible, un film, ça se voit dans son entièreté » .
- Speaker #2
C'est justement dans la queue que je comprends pourquoi mon père... Quand tu fais dans la queue dans le film, c'est là où je comprends mon père quand il ne veut pas supporter par la queue.
- Speaker #1
Vous commencez dans les années 2000. La production est pré-Netflix, pré-une certaine tendance lourde qu'on a vu apparaître depuis. Qu'est-ce qu'elle a de différent par rapport à maintenant ? Dans quelles conditions elle se pose ?
- Speaker #2
La production, au début des années 2000, on arrive à un moment où, avec mes associés de l'époque, on ressentait déjà une difficulté à financer des projets ambitieux sur un seul territoire. Ça commençait à être de plus en plus dur. Mes associés, on sentait que la façon d'arriver à faire accoucher ces projets ambitieux, c'était de la collaboration, la coproduction, notamment au niveau européen. C'était de pouvoir coproduire un film avec l'Allemagne, de coproduire un film avec l'Italie, de coproduire un film avec l'Espagne, pour pouvoir justement faire en sorte que ces projets ambitieux puissent exister.
- Speaker #1
D'accord. Et ça, les choses ont radicalement changé depuis. Maintenant, les choses se financent plus territoire par territoire ?
- Speaker #2
Non, c'est justement ça. C'est le début. Les années 2000, c'est le début justement du finançon par territoire par territoire qui commence à se tarir pour des projets autres que purement commerciaux. Et donc, c'est les prémices de ça. Et l'idée était de commencer à poser les bases de coproductions qui commençaient relativement tôt, contrairement à ce qui pouvait être fait avant. Il y a toujours eu des coproductions. La Dolce Vita, c'est une coproduction franco-italienne. On prenait un acteur, et puis c'est un acteur qui était fort sur un marché, et ça suffisait pour faire une coproduction. Aujourd'hui, le marché est très différent. Les acteurs sont connus plus en plus que sur leur territoire, en tout cas les acteurs qui font la différence. Et c'est plus suffisant. Il faut vraiment s'impliquer dès le début de la production. pour pouvoir rendre une coproduction réelle.
- Speaker #1
Il n'y a plus de stars mondiales qui font... Il y a quand même des stars mondiales qui font la différence pour une production, non ?
- Speaker #2
Elles sont essentiellement américaines ou anglo-saxonnes.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #2
Il y a peut-être une personne en Italie, même pas une personne en Espagne, je dirais, peut-être Javier Bardem, Penélope Cruz, et puis voilà, il y a peut-être une ou deux par territoire, mais c'est quand même assez rare.
- Speaker #1
Alors, vous avez produit en France et aux États-Unis, vous avez eu un Oscar, et vous avez eu... Un grand prix du jury à Cannes ?
- Speaker #2
Oui, il y a eu un Oscar, c'est pas pour moi, c'était pour Julianne Moore, dans un film, c'est elle qui l'a eu, elle était beaucoup plus forte que moi, c'est pour un film qui s'appelle Tropical Maladie, un film thaïlandais, c'est la première fois qu'il y avait un film thaïlandais en compétition à Cannes, c'était vraiment un outsider, et c'était chouette de l'accompagner.
- Speaker #1
Et comment est-ce que vous arrivez sur un film thaïlandais ? Par quel truchement, un producteur franco-américain arrive sur un film thaïlandais ?
- Speaker #2
Alors, c'était vraiment un de nos premiers films, et comme je disais, la... La possibilité de financer un film de surcroît sur un territoire comme la Thaïlande, un film d'auteur qui est hors marché, puisque ce n'est pas du tout un film de marché thaïlandais, les films de marché thaïlandais ont vraiment des caractéristiques très spéciales. C'est vraiment un film d'auteur, c'était un ovni, un film très artistique qui était fait par un réalisateur qui venait de l'art contemporain. Pour réussir à financer son projet, il a fallu agréger de nombreuses sources de financement, en France, en Italie, en Allemagne, et donc toujours cette idée européenne. de pouvoir accompagner des talents du monde entier, parce que la France a toujours été un centre névralgique du cinéma pour le monde. Almodovar s'est financé ici, Lars von Trier s'est financé en France. Depuis l'invention du cinéma, la France est un centre névralgique du cinéma. Et donc, on est arrivé sur ce film parce qu'il a fallu coproduire, trouver des solutions, agréger des financements. Mes associés et moi, nous avons vraiment travaillé avec le producteur. Il y avait plusieurs producteurs, puisque c'était une coproduction, avec le producteur principal qui était Charles Demeaux. Et on a ramené des financements à travers l'Europe pour montrer que l'Europe était capable de supporter des auteurs du monde entier.
- Speaker #1
Mais comment se répartissent les tâches et les producteurs ? Parce qu'au générique, on voit souvent des noms qui, pour le grand public, sont assez mystérieux. Producteur délégué, producteur exécutif. Qu'est-ce que sont tous ces différents producteurs ?
- Speaker #2
Il y a plusieurs typologies de producteurs. Exécutif, produceur, en anglais, c'est une personne qui va être à un moment ou à un autre utile dans la production du film. Ça peut être parce qu'il amène un lien. avec un talent, c'est le type qui va connaître Tom Cruise, qui va permettre à Tom Cruise de venir sur un film, et bien lui sera... Il est crédité au générique ? Il est crédité au générique comme exécutif-produceur.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #2
Ça s'est beaucoup développé aux États-Unis, parce qu'il y a énormément d'intermédiaires aux États-Unis. Un acteur qui va décider de mettre une partie de sa rémunération, ou qui est tellement important, qui va être un élément essentiel de la faisabilité du film, va prendre un exécutif-produceur-crédit, parfois même un produceur-crédit. Après, le producteur délégué... C'est vraiment une notion européenne. C'est le producteur qui va être délégué par l'ensemble des producteurs pour assurer la finition du film. Quand il y a une coproduction européenne, vis-à-vis des autorités nationales, chaque producteur local est le producteur délégué. Vis-à-vis du CNC, ce sera le producteur français. Vis-à-vis de l'ICA en Espagne, ce sera le producteur espagnol. Le producteur délégué, c'est vraiment celui qui est responsable d'amener le film au bout. La plupart des paiements de production sont à la livraison du film, une fois le film fini.
- Speaker #1
Et alors justement, pour rester sur les problématiques financières, comment est-ce que vous, sur les 500 films que vous avez faits, sur des 500 films dont vous le disiez, certains sont faits par des anciens artistes contemporains, des films qui ont une forte valeur à ajouter artistique, comment est-ce que vous conciliez l'intégrité artistique et l'intégrité financière ?
- Speaker #2
Ça, c'est vraiment le métier du producteur. C'est les dosages, c'est... Parfois prendre des risques, parfois ne pas en prendre, parfois regretter de ne pas les avoir pris, parfois regretter de les avoir pris. Ça fait partie du métier du producteur. C'est vraiment un métier où il faut peser les risques, les avantages, savoir jusqu'où il faut aller. Je ne saurais pas vous dire.
- Speaker #1
C'est un métier très risqué financièrement ?
- Speaker #2
Non, ce n'est pas un métier risqué financièrement parce qu'à quelques rares exceptions, les producteurs n'utilisent pas leur fonds propre. Ils sont à risque sur une partie qui est... assez difficile, qui est délicate, qui est le développement, parce qu'il y a très peu d'outils de financement en développement. Donc là, c'est un moment qui est délicat pour le producteur. Il doit s'engager financièrement pour l'écriture d'un scénario, pour les premières étapes. Mais après, le métier du producteur, c'est d'aller trouver des financements. Et heureusement, en France et dans une bonne partie de l'Europe, on a un système qui est très développé, où les chaînes ont des obligations d'achat, où on est supporté par l'État ou les régions, où il y a des crédits d'impôt. Donc normalement, un producteur qui fait bien son travail peut financer ses films sans avoir à y mettre de sa poche. C'est de plus en plus difficile. La réalité, c'est qu'aujourd'hui, les marges sont de plus en plus faibles pour les producteurs parce que les sources de financement starissent, parce que les chaînes de télé veulent prendre de moins en moins de risques, parce qu'elles veulent répartir leurs obligations sur un plus petit nombre de films, sur des films plus commerciaux, plus gros. On peut comprendre aussi que Canal+, à l'antenne, n'ait pas forcément envie de... de mettre des films que personne n'a envie de voir. Donc il y a un équilibre qui est en train de changer encore et en permanence. Mais normalement, un producteur doit réussir à financer son film sans y mettre de sa poche.
- Speaker #1
Vous avez l'impression qu'artistiquement, les choses sont plus difficiles ou que financièrement, les choses sont plus difficiles maintenant ?
- Speaker #2
C'est une bonne question. Depuis que je commence, on me dit que c'était mieux avant. Dans les années 60, il suffisait d'appeler le distributeur pour financer un film. Puis dans les années... 80-90, il fallait appeler la chaîne de télé et le distributeur. Puis après, il a fallu commencer à composer avec des coproductions, etc. La réalité, c'est que oui, les films coûtent de plus en plus cher, malgré tout, et que les sources de financement sont de plus en plus rigides ou difficiles à obtenir. Et c'est toujours le cas. Donc, il faut toujours être à la recherche de solutions, à la fois économiques, donc dans le budget, de savoir comment faire pour que le film coûte de moins en moins cher, ce qui est très difficile. est composée avec les nouvelles sources de financement qui existent. Il y a l'ouverture aujourd'hui des plateformes, qui permet aussi de pallier à certaines chaînes de télévision qui prennent moins de risques. Elles ne prennent pas forcément plus de risques. En général, on s'aperçoit qu'elles vont vouloir les mêmes films. Mais voilà, il y a plusieurs possibilités qui s'ouvrent à nous, il y a plusieurs solutions qui s'ouvrent à nous.
- Speaker #1
Est-ce que vous constatez qu'il y a une sorte de formatisation des demandes qui vous sont faites et de la production cinématographique ?
- Speaker #2
Je pense que ça a toujours été le cas. Les gens ont toujours voulu avoir... En termes de casting, les gens ont toujours voulu avoir les acteurs principaux les plus connus. Jean Dujardin, s'il peut être là, c'est mieux. J'ai l'impression que ça a toujours été le cas. Je n'aime pas trop être dans cette idée de se dire que c'était mieux avant. Je pense qu'il y a toujours eu des contraintes. Les contraintes évoluent avec le temps. Aujourd'hui, malgré tout, il y a une multiplicité des possibilités de financer un film. Il y a des contraintes, il y a toujours des contraintes. Alors parfois, la contrainte, ce sera d'avoir l'acteur principal le plus connu du moment. ou un acteur moins connu mais pour moins d'argent, c'est la contrainte. La contrainte, ça fait partie de la production. C'est ce qui permet d'être créatif et de trouver les solutions.
- Speaker #1
Juste pour ma dernière question, c'était mieux avant, est-ce que vous avez l'impression que la nouvelle vague pourrait exister à l'heure actuelle ? Il pourrait y avoir cette espèce de renouvellement de génération dans une période très courte et assez radicale ?
- Speaker #2
Je pense que si la nouvelle vague a pu exister, C'est parce qu'il y a eu une révolution technologique aussi, à l'époque. Les caméras se sont retrouvées plus légères. On a pu filmer comme on faisait avec du documentaire. La lumière était plus performante. On n'avait plus besoin de studio pour éclairer tout un plateau. Je pense qu'il y a des révolutions technologiques qui arrivent. L'intelligence artificielle en est une. Et ça va forcément ouvrir des portes. Après, c'est aux artistes de s'en emparer et de faire la révolution. Et aux producteurs de les accompagner s'ils le peuvent.
- Speaker #1
Alors, revenons-en à vous maintenant. Vous avez eu deux boîtes qui vont ponctuer votre existence professionnelle, Backup Media et Vuelta Group. Est-ce qu'elles sont le témoignage de ce qu'est la production et ce qu'est devenue la production dans ces 25 dernières années ?
- Speaker #2
Vuelta est clairement...
- Speaker #1
Vuelta, c'est la seconde.
- Speaker #2
Vuelta, c'est la seconde, oui, tout à fait. Vuelta, c'est la seconde. Vuelta a clairement une ambition aujourd'hui de peser sur le modèle européen. d'être influent, de pouvoir accompagner tous les talents européens et même les talents étrangers à faire leur œuvre. Backup, qui est la première société que j'ai montée, ce n'était pas tellement une ambition. J'ai monté une boîte de prod. Très rapidement, les producteurs français m'ont dit qu'ils n'avaient pas besoin, dont l'idée était d'accompagner les producteurs pour aller trouver des financements à l'étranger. Les producteurs français très vite m'ont dit « Excuse-moi, mais je n'ai pas besoin d'aller à l'étranger, j'ai Canal+, et j'ai les distributeurs. » Donc, il a fallu se débrouiller, se créer un réseau à l'étranger et trouver des films thaïlandais, des films allemands, des films espagnols pour commencer à faire des films. Donc oui, il y en a un qui est clairement une ambition forte, établie, parce qu'il y a l'expérience de ces 20 dernières années ou 25 dernières années qui précèdent. La première, c'était juste une aventure et une expérience insolites, on va dire.
- Speaker #1
Et alors, Vuelta, venez-en sur l'ambition de Vuelta. Quelle est l'ambition ? différenciante de Vuelta dans le paysage de la production ?
- Speaker #2
Alors, Vuelta a comme spécificité d'être présente sur plusieurs territoires européens et d'être présente dans la distribution, ce qui est assez rare. Il y a très peu de modèles qui sont construits comme ça. Et l'idée est vraiment de pouvoir accompagner des films et des talents, notamment à travers l'Europe. de pouvoir sortir des films en salle à travers l'Europe, de pouvoir coproduire des films à travers l'Europe. Il y a vraiment une volonté européenne de remettre l'Europe au centre du système du cinéma.
- Speaker #1
Le système européen, il y a le système français qu'on connaît, avec le CNC. Le système européen est organisé peu ou prou comme le système français ? Je n'ai pas du tout cette impression, non ?
- Speaker #2
Chaque pays a ses spécificités, mais il y a quand même un modèle européen qui existe et qui est... un système qui aide la culture au sens large, au sens général, soit avec des aides directes, avec l'avance sur recettes, soit avec des aides indirectes et des crédits d'impôt, soit avec des... Il y a même des aides qui ne sont pas européennes. Il y a un système qui... Il y a deux systèmes qui cohabitent. Il y en a un pour le cinéma et pour la télé qui s'appelle Eurimage et qui sont des subventions directes qui viennent couronner des films. qui sont coproduits à travers l'Europe, avec des schémas de coproduction qui sont parfois utilisants des territoires avec différents bassins linguistiques ou avec des systèmes. Il y a des tests culturels qui sont là, qui sont mis en place pour qu'on puisse y répondre. Mais voilà, l'Europe accompagne vraiment les talents et sa création.
- Speaker #1
Vous dites que vous voulez aller maintenant jusqu'à l'étape de distribution. Le producteur, il s'arrête quand le film est fait, il n'influe pas sur la distribution ?
- Speaker #2
Ou une fois que le film est fini, il ne peut plus rien faire ? le film non même sur sa vie c'est le producteur c'est le distributeur qui ensuite va le mettre en marché et qui va en faire la campagne qui va choisir l'affiche alors il va suggérer plusieurs affiches il va suggérer plusieurs bonnes annonces mais c'est le distributeur qui a la main sur le qui a la main sur le sur tout le processus de mise en marché et c'est pour ça que pour nous c'était important pour Vuelta c'était important d'être à ce niveau là parce que c'est là que se contrôle la vie du film en revenant à un schéma qui va vouloir exploiter toutes les fenêtres. Pardon, c'est un peu compliqué, c'est un peu technique, mais Vuelta estime, Jérôme, mon associé qui est venu me chercher pour monter Vuelta, et moi, nous estimons que pour vraiment faire exister un film, il faut revenir à une sortie sale. C'est essentiel. C'est là où le film va exister, prendre sa place, imprimer la rétine des gens, imprimer la cervelle des gens, pour ensuite pouvoir... être exploité en vidéo, à la télé, sur Canal+, sur les plateformes. Sans ça, le film disparaît au bout d'un certain temps. Et les films qui sont faits pour les plateformes, il y en a qui sont merveilleux. Mais malheureusement, mon impression est qu'ils impriment moins la rétine des gens et qu'ils restent après moins présents culturellement.
- Speaker #1
Mais qu'est-ce qui fait qu'un film qu'on a vu au cinéma, selon vous, est un film qui dure ? versus un film qu'on a vu sur une plateforme est un film qu'on va oublier.
- Speaker #2
Je pense qu'il y a une relation émotionnelle qui se noue avec un film. Quand on le voit sur grand écran, on voit avec un public, on partage des émotions avec 100, 150, 200 personnes, 30 personnes, 10 personnes, de manière différente. Et du coup, ce film va s'imprimer en soi, va nourrir l'espace émotionnel du cerveau. pour rester avec nous, nous accompagner tout au long de la vie. Mais il est fini qu'il m'a accompagné, que je revois systématiquement et dont je me souviens la première fois que je l'ai vu au cinéma, parfois dans les salles vides, mais ça fait partie de l'expérience aussi.
- Speaker #1
Mais ça, est-ce que ce n'est pas un peu générationnel ? Excusez-moi, est-ce que nos enfants, on n'a pas tout à fait le même âge, mais enfin, on a l'âge tous les deux d'avoir des enfants. Est-ce que nos enfants ne vont pas avoir un imaginaire et une culture cinématographique qui va être structurée par les séries ?
- Speaker #2
C'est possible, mais... Encore une fois, les séries, aujourd'hui, l'âge d'or des séries, si je peux me permettre, l'âge d'or des séries qu'on a vécu est peut-être déjà derrière nous. J'ai l'impression que les séries, aujourd'hui, on en revient à des choses qui sont très localisées, localisables. TF1 va vouloir faire du TF1 et il répète, et c'est très bien, il n'y a pas de jugement, mais il répète la formule de HPI de façon un peu systématique. et ça devient... plus des produits de consommation. La magie du cinéma, c'est que c'est à la fois un produit de consommation et aussi quelque chose qui a été inventé, qui répond parfois à aucun code. Ça peut être un film... Quentin Dupieux, par exemple, c'est des films qui ne répondent à aucun code narratif. On part dans une rêverie. Audiard nous emmène quelque part ailleurs. Il y a vraiment une touche au cinéma. qui fait que ça nous emmène ailleurs. Alors qu'une série télé, malgré tout, il y a énormément de codes. Je pense qu'il y a des gens qui sont très contents. Il n'y a pas de jugement, mais il y a des gens qui sont très contents avec des séries télé. Il y a des gens qui préfèrent aller ailleurs. Il faut un peu de tout. Et je pense que les enfants ont besoin. Il y a des enfants qui seront très contents d'avoir que des jeux vidéo, qui, à mon avis, est peut-être le plus gros concurrent au cinéma que la série télé. Surtout quand on voit la qualité des jeux vidéo aujourd'hui. et l'espace narratif, parce qu'il amène, encore une fois, quelque chose d'émotionnel hyper fort. C'est-à-dire que le joueur de jeu vidéo est l'acteur, est celui qui va diriger l'histoire. Et là, pour le coup, ça donne un autre lien émotionnel fort au matériel.
- Speaker #1
Mais pour revenir sur ce que vous disiez, sur l'aspect formule ou formulatoire de HPI, de ces formats, les formules, et c'est souvent ce qu'on reproche au cinéma français, les formules sont aussi... manifeste et reproduite à l'infini, semble-t-il, dans le cinéma français. Est-ce que ça, c'est quelque chose qui vous semble appartenir aux séries essentiellement ?
- Speaker #2
Non, ça appartient évidemment aux films. Le cinéma est à la fois un outil artistique, mais c'est aussi une industrie. Il y a 200 films qui sont faits par an. Donc oui, effectivement, il y a des films qui sont... industrialisés. Les comédies jouent souvent les mêmes créneaux, les drames jouent souvent les mêmes créneaux. Le nombre d'histoires est limité de toutes les manières. Romoy et Juliette, West Side Story, c'est la même histoire. Ce qui va compter, c'est la façon de raconter cette histoire. C'est le lien qu'on va créer avec l'espace-temps dans lequel on habite pour raconter cette histoire et avec le public avec lequel on s'adresse. C'est justement ça qui fait que le cinéma euh a encore de beaux jours devant lui, je pense.
- Speaker #1
Est-ce que c'est plus compliqué maintenant de faire du cinéma avec justement tous ces écrans, avec l'intelligence artificielle qui brouille la frontière entre ce qui est tourné et ce qui est créé de manière synthétique ? Quel est votre jugement là-dessus ?
- Speaker #2
C'est plus compliqué d'atteindre un public aujourd'hui, c'est sûr. C'est le challenge essentiel du cinéma, c'est de réussir à trouver un public, c'est de réussir à trouver les histoires qui vont toucher les gens. Et ce que je vois... dans le box-office, et ce qu'on voit avec Voltaire dans le box-office dans tous les pays sur lesquels on est présent, c'est que les histoires qui sont formulaïques, on va dire, les comédies qu'on a déjà vues 200 fois, les films d'action qu'on a déjà vues 200 fois, au fait, performent moins, parce que les gens les voient sur les plateformes, les ont déjà vues, donc préfèrent regarder peut-être autre chose, mais dès qu'il y a une histoire sincère, dès qu'il y a une histoire qui sort de la norme, qu'elle soit avec un petit budget ou un grand budget, peu importe, Dès qu'il y a une histoire qui raconte quelque chose, qui touche les gens, des gens vont le voir au cinéma. On a eu la chance de sortir Un petit truc en plus avec Vuelta et Pan, notre distributeur français. C'est un film qui était très compliqué, que personne ne voulait sortir. Et pourtant, le film a fait 11 millions d'entrées, est devenu le neuvième plus gros film de l'histoire française, parce que le film est sincère, parce que le film va raconter une histoire que... personne n'a vraiment jamais vu, va montrer des personnages qui sont rarement montrés et les gens ont envie de voir quelque chose comme ça de différent. Au Pays-Bas, notre distributeur, WW Entertainment, a sorti un film de la même manière. Personne ne voulait du film. C'est un film qui parle de l'histoire de gangsters, de trafic d'êtres humains. C'est une histoire qui touche, à mon avis, la Hollande, je ne sais pas pour quelle raison, mais en tout cas, ça a touché un air. à ce moment-là de la sortie aux Pays-Bas. Et le film est venu un des plus gros succès, enfin le plus gros succès de l'année, c'est sûr, et certainement un des plus gros succès hollandais depuis longtemps. Donc, il y a encore cette magie. Il faut savoir raconter l'histoire. Si on se dit qu'on fait du cinéma pour raconter les mêmes histoires sans réfléchir, juste en répétant les choses, c'est sûr qu'on ne va pas concurrencer les jeux vidéo et les plateformes et la multiplicité des écrans. Par contre, on a un outil qui est incroyable, ça reste le spectacle. le moins cher pour emmener sa famille et pour sortir. Le théâtre, c'est plus cher. Les concerts, c'est plus cher. C'est vraiment de l'entertainment qui est... encore de façon accessible, on va dire. Mais si on sait raconter des histoires, si on touche les gens de façon différente, les gens viendront au cinéma. J'en suis convaincu l'année dernière. En France, il y a trois films français qui ont su toucher le public. Monté Cristo, L'Amour Ouf, un petit truc en plus. C'est des histoires qui sont quand même assez basiques. Monté Cristo, on l'a vu je ne sais pas combien de fois. L'Amour Ouf, c'est une histoire d'amour. On vient d'en parler, c'est Romain et Juliette. Un petit truc en plus, c'est une comédie avec des ressorts aussi assez simples. Mais c'est la sincérité des personnages qui a réussi à toucher le public.
- Speaker #1
Quel est votre fil rouge, votre guide quand vous regardez un scénario, quand vous vous dites est-ce qu'on produit ce projet ou pas ? Est-ce que c'est la sincérité, comme vous venez de le dire, ou est-ce que quand même il y a dans votre cerveau reptilien quelque chose d'inscrit en se disant ça c'est une formule, ne serait-ce que se dire je repère une trame à la Roméo et Juliette, ça c'est une formule qui peut toucher les gens ?
- Speaker #2
C'est un peu les deux. C'est un peu les deux, parce que de toutes les manières, il n'y a pas une multiplicité infinie de choix d'histoire. Donc quoi qu'il arrive, l'histoire qu'on va recevoir est rarement surprenante. Mais c'est la façon de raconter, c'est la façon que le réalisateur ou que le scénariste mettront leur personnalité dedans, leur sincérité. Aujourd'hui, pour moi, la sincérité, c'est vraiment un élément qui est essentiel. pour aller au cinéma.
- Speaker #1
Quand vous repensez aux 25 années qui viennent de s'écouler, qui sont les 25 années de votre carrière, de quoi vous êtes le plus fier en tant que producteur ?
- Speaker #2
J'espère que ce dont je suis le plus fier est encore à venir. On va produire avec Vuelta et notre filiale scandinave, Scanbox, un film d'un réalisateur que j'admire, qui s'appelle Alexander Payne, qui est un réalisateur américain. Je me rappelle quand j'ai été voir son premier film au cinéma. J'ai vu tous ses films au cinéma. Je suis extrêmement fier que la société pour laquelle je travaille, je suis très loin de la production de ce film-là, mais la société pour laquelle je travaille produit ce film, j'en suis très très fier. Je suis aussi très fier de Tropical Maladie, dont j'ai parlé tout à l'heure, le premier film, qui est un film thaïlandais qu'on a réussi à amener à Cannes et qui a eu le prix du jury. J'espère qu'il y aura plein de fierté encore tout au long de ma vie et que ce n'est pas la fin.
- Speaker #1
Ce serait quoi le film idéal à produire pour vous ?
- Speaker #2
Le film idéal à produire ? Aïe ! Le film idéal à produire, c'est celui qui... C'est celui dont les problématiques à résoudre sont simples. Il y a toujours des problématiques à résoudre dans la production d'un film. Celles qui sont simples, c'est l'idéal.
- Speaker #1
Alors, pour terminer, j'aimerais vous faire réagir à deux avis sur la production. Deux avis de géants l'un comme l'autre. J'ai vu récemment un documentaire sur Louis Malle. Louis Malle, à un moment, dit que le producteur est un parasite. D'ailleurs, on va s'en passer complètement. et on va produire un film nous-mêmes. Et j'avais vu quelque chose sur Delon, Delon qui est devenu producteur, et qui dit finalement, qui ne voulait pas devenir réalisateur, parce qu'il était écrasé par les ombres tutélaires de ceux qui l'avaient fait débuter, mais il dit, je veux être producteur, parce que c'est un métier totalement artistique. Comment est-ce que vous vous situez par rapport aux deux ? Enfin, il y a une vision franchement insultante, donc je ne vous demande pas de l'épouser.
- Speaker #2
On est toujours l'ennemi de quelqu'un d'autre. dans ce métier. Le producteur, c'est celui qui va forcer le réalisateur à faire des choix, qui va forcer le réalisateur à faire des sacrifices. Le producteur, lui, c'est le distributeur qui va être son problème parce que le distributeur va aussi limiter ses choix. Le distributeur va lui dire « Choisis-toi l'acteur, ça sera plus simple pour l'affiche. » Donc, il y aura toujours un ennemi, il y aura toujours quelqu'un qui sera là pour limiter ses choix et c'est pour ça que vous voyez le tas des producteurs et distributeurs.
- Speaker #1
Ce sera le mot de la fin. Merci David Atlan.
- Speaker #2
Merci beaucoup.