- Speaker #0
Bonjour, c'est Léa Hirschfeld. Vous êtes en train d'écouter SIR, une mini-série décalée soutenue par la Fondation d'entreprise Ossier. Engagée pour l'autonomie, elle agit pour que chacun puisse se construire dans un environnement qui s'adapte aux différences. Mieux connaître et faire connaître la réalité des jeunes aidants et identifier des réponses concrètes pour les accompagner dans la réalisation de leurs projets de vie autonome, c'était l'objet de la recherche Trajectoire et socialisation des jeunes aidants ou TRAJED. menée par Céline Jung-Lorient auprès d'aidantes de 18 à 28 ans. Dans ce premier épisode de Sœurs, vous entendrez les regards croisés d'Inès et Céline. Bonjour Inès, bonjour Céline. Comment vous êtes-vous rencontrée ?
- Speaker #1
Eh bien, moi j'ai rencontré Inès lors de cette recherche sur les jeunes aidantes que j'ai entrepris en 2020 au sein du CESAR, le collectif en sciences sociales appliquées, avec mon collègue David Mahut. En fait, on... On s'est posé la question de la réalité de ces enfances et de ces adolescences singulières que vivent les jeunes aidants et sur lesquelles on n'avait absolument aucune donnée, aucune information à cette époque-là, en 2020. Il y avait quand même des associations qui s'intéressaient au sujet et qui les connaissaient déjà un petit peu. Et donc, quand on a entrepris cette recherche, on a passé un appel à participation à travers plusieurs canaux, les universités. mais surtout des associations dont JAD, Jeunes Aidants Ensemble, et par exemple aussi l'UNAFAM, qui sont les deux grosses associations qui nous ont aidés.
- Speaker #0
Être aidant, c'est être proche de personnes handicapées ?
- Speaker #1
Nous avons abordé la question des jeunes aidants par rapport à la question du handicap. Et donc, être un jeune aidant, il y a des définitions fluctuantes, mais il y a quand même un consensus autour de l'idée que ça veut dire d'abord être mineurs et qu'on apporte une aide variable, qu'on contribue à une configuration d'aide familiale autour d'un proche cohabitant qui a une situation de perte d'autonomie, de handicap. Mais ça peut être en fait des situations extrêmement variables, puisqu'on peut parler de handicap moteur, de problèmes psychiatriques. Enfin, ça peut même être un proche avec une maladie chronique évoluant peut-être vers une fin de vie. Donc vraiment, toutes les situations du proche sont possibles. Ça peut être son père, sa mère, son frère, sa sœur. Ça peut être d'autres membres de la famille. Nous, on s'est cantonnés à la sphère domestique de cohabitation.
- Speaker #0
Et c'est un sujet qui concerne Inès, parce que vous vous êtes rencontrée pour cette recherche. Vous pouvez me parler de cette rencontre ?
- Speaker #2
Oui. Bonjour Léa, bonjour Céline. Effectivement, j'ai rencontré tout d'abord le collègue de Céline en 2020, puisque ma mère a vu passer cet appel. je ne sais pas si on peut dire candidature, mais je vais dire appel à candidature, et m'a proposé le projet. Ça m'a tout de suite parlé, puisque j'étais en première année post-bac, mais j'étais très intéressée par les sciences sociales. Et je venais tout juste de découvrir le terme de jeune aidante, et même d'aidant, tout court. Jusqu'ici, j'avais juste l'impression d'avoir une sœur un peu différente des autres. Pour le contexte, j'ai trois sœurs, et ma grande sœur, qui a aujourd'hui 25 ans. et polyhandicapée atteinte de lystencéphalie. Elle ne parle pas, elle est en fauteuil roulant, elle n'est pas apte à manger toute seule, elle ne communique pas, elle n'est pas apte à exprimer des volontés, elle ne peut pas faire sa toilette seule, donc elle a besoin de beaucoup d'aide. Et pour moi, ça avait toujours été une aide que j'ai apportée à ma sœur sans trop me poser de questions parce que c'est ce qu'il fallait faire. Et en 2019, ma mère a... nous a parlé pour la première fois du terme d'aidant, de jeune aidante. Et donc, on a pris conscience du fait qu'il existait un terme et une situation propre à ce qu'on vivait. C'est dans le courant de cette année-là que j'ai rencontré David et Céline qui m'ont parlé de leur projet et qui ensuite m'ont suivi jusqu'aujourd'hui. Donc, à cette époque-là, j'avais 18 ou 19 ans et maintenant, j'en ai 23.
- Speaker #0
Qu'est-ce que ça t'a fait d'apprendre qu'il y avait un terme qui qualifiait une situation de vie qui te concerne depuis toujours ? et qui j'imagine a dû te questionner ?
- Speaker #2
Je pense que ma première réaction, ça a surtout été de prendre conscience du fait que d'autres personnes vivaient la même chose que mes sœurs et moi. J'avais vu des personnes qui aidaient leurs grands-parents en perte d'autonomie, mais c'est vrai que je ne le visualisais pas de la même façon que d'aider quelqu'un qui fait partie de la fratrie. Donc ça m'a vraiment permis de prendre conscience du fait qu'on était beaucoup, et je me suis dit que c'était lunaire que j'entende parler. de ce terme d'aidant pour la première fois à 19 ans, alors qu'il y a 11 millions de personnes qui sont concernées. C'était vraiment ma première réaction. Et que c'est un terme que j'ai appris à déconstruire, puis reconstruire dans les années qui ont suivi. Parce que pour moi, ça a englobé toute ma situation de vie. Je me suis toujours construite en aidant ma grande sœur. Ma grande sœur est née polyhandicapée, donc je n'ai pas connu un avant et un après du handicap. Ça a toujours fait partie de ma vie, de qui je suis et de comment ma famille fonctionne. Et en fait, après, c'est tout ce qui est... allé avec le terme d'aidant, tout ce qui englobait le terme d'aidant. Et la première chose qui m'a vraiment marquée, qui je pense a permis un gros changement dans ma vie, c'est qu'une des émotions qui est très propre aux aidants, c'est la culpabilité. Et j'ai toujours grandi dans une culpabilité qui était immense et que, premièrement, je ne savais pas désigner, je ne comprenais pas vraiment que ce que je ressentais était de la culpabilité. Et ensuite, je ne savais pas d'où est-ce qu'elle venait, donc je ne savais pas comment la gérer. comment m'y acclimater et comment faire en sorte de l'extérioriser pour la transformer en autre chose et m'en séparer.
- Speaker #0
Coupable de quoi ?
- Speaker #2
C'est une bonne question. Ça m'a demandé plusieurs années de psychothérapie assez régulière pour arriver au fait, je suppose aujourd'hui, je ne sais pas si c'est la réponse complète, mais en tout cas là où j'en suis aujourd'hui, c'est que je pense que je me suis toujours sentie coupable de ne pas aider suffisamment, notamment parce que j'ai des parents qui... à ce moment-là particulièrement, faisait en sorte que mes soeurs et moi soyons le moins aidantes possible. Ils s'occupaient de toute la toilette, de tous les repas. On n'avait jamais à porter ma soeur, on n'avait vraiment pas à faire grand-chose. Et donc j'avais la sensation de jamais aider suffisamment. Je pense aussi que ma culpabilité reposait beaucoup sur le fait que j'avais l'impression de ne jamais donner assez d'amour. Parce que c'est très compliqué de montrer à quelqu'un qui ne bouge pas, qui ne réagit pas. qui n'affectionne pas une forme d'affection et une forme d'amour. Je traitais mes deux sœurs non handicapées d'une façon différente de ma sœur handicapée, avec laquelle je pouvais jouer, je pouvais... Je n'étais pas très caline, mais si j'en avais envie, les caliner, et que j'avais plus de distance, ou en tout cas j'instaurais une distance avec ma grande sœur, qui, je pense, était pour me protéger, d'une certaine manière. Mais voilà, je pense que c'est surtout là-dessus que reposait ma culpabilité.
- Speaker #1
Ça me fait penser à quelque chose qu'il faut peut-être préciser concernant les jeunes aidantes ou les jeunes aidants. On reviendra peut-être tout à l'heure sur le fait qu'on s'est intéressé essentiellement à des jeunes filles. Mais c'est qu'être aidant, tout à l'heure j'ai dit, c'est aider ou participer à la configuration d'aide d'un proche. Et là, ce que nous dit Inès, par rapport à cette culpabilité de ne pas aider directement ta sœur, c'est aussi une des particularités de ce qu'on découvre sur les activités des jeunes aidants. C'est qu'en fait, être jeune aidant, ça ne veut pas dire tout à fait la même chose qu'être un aidant adulte, en tout cas tel qu'on se le représente et tel que c'est construit dans le discours public. Être un jeune aidant, ça veut dire qu'on a un rôle précis dans cette famille qui n'est pas forcément directement auprès de la personne, du proche en situation de perte d'autonomie. Mais ça veut dire que cette situation-là fait que des rôles vont être redistribués dans la famille. Et probablement pour toi, Inès, en tout cas, on en avait discuté à l'époque, quelque chose qui s'est joué aussi par rapport à tes deux autres sœurs et ton rôle auprès d'elles.
- Speaker #0
Donc en fait, quand on est plus jeune et qu'on n'est pas nécessairement impliqué physiquement, il y a une pression mentale qui s'opère. Elle se situe essentiellement là, pour toi ?
- Speaker #2
Effectivement, comme je disais, mes parents nous ont beaucoup épargnés du fait d'aider physiquement et matériellement presque. ma sœur, parce que ça demande une attention physique qui est constante, mais aussi une attention de manière générale qui est constante. Et je pense que moi, mon aide, elle se portait plus à ce niveau-là. C'est-à-dire qu'à partir du moment où on a l'âge d'être un peu en éveil, et je l'ai notamment vu avec ma dernière petite sœur, qui a 10 ans, 11 ans de moins que moi. En fait, dès l'âge de 3-4 ans, on devient très alerte à tout ce qui se passe. Et donc, dès qu'il y a un moindre bruit, un moindre muscle qui réagit un peu de la part de ma grande soeur tout le monde est en alerte, tout le monde fait attention ça peut être le début d'une crise d'épilepsie, ça peut être le début d'un sursaut qu'il faut pouvoir contrôler parce qu'en fait si la jambe se lève et que le fauteuil roulant est trop près d'un meuble ça veut dire qu'elle se cogne vu qu'elle marche pas, elle a très peu de muscles donc elle pèse un poids feuille et donc elle se fait vite mal et donc je pense que c'est vraiment cette idée d'être sensée en alerte et de porter une attention constante à quelqu'un, ce qui peut être aussi très fatigant. Je sais aussi qu'on en avait un peu discuté, Céline, mais... Moi, c'est quelque chose qui m'a pas mal impactée dans mes études. J'ai toujours été quelqu'un de très scolaire, j'ai toujours eu des très bons résultats. Et j'ai eu la chance de vivre dans une très grande maison avec mes parents et mes sœurs. Et j'avais une chambre dans les combles. Et en fait, même quand je révisais, en primaire, au collège, au lycée, j'avais tout le temps cette attention auditive qui était portée à l'entièreté de la maison, d'être à l'affût du moindre bruit. Parce que le moindre bruit est une source d'inquiétude. Le moindre bruit est... et quelque chose d'anormal auquel il faut faire attention et auquel il faut être réactif. Et après, effectivement, je pense que mon aide, elle s'est aussi beaucoup portée sur les tâches ménagères que mes parents avaient peut-être moins le temps de faire. En tout cas, ce n'était pas leur priorité, puisque leur priorité, c'était ma grande-sœur et puis mes petites-sœurs. Donc la troisième, on a pris aussi beaucoup soin quand mes parents étaient occupés avec la plus âgée.
- Speaker #0
Tu pensais beaucoup au fait de soulager tes parents ?
- Speaker #2
Oui. à la fois dans tout ce que j'ai énuméré là et aussi dans le fait de ne pas les importuner. Donc par ça, ça veut dire toujours avoir des bons résultats, parce qu'en fait ils ont d'autres chats à fouetter qu'une enfant qui ne travaille pas à l'école. Ne pas faire d'histoire, parce qu'encore une fois ils sont occupés par autre chose. En fait, être la plus constante possible et faire le moins de vagues, leur créer le moins d'inquiétude, parce qu'ils étaient déjà tellement pris par ma grande sœur. que je pense que le but de mes deux petites sœurs et le mien, c'était vraiment d'être le plus sage et le plus autonome possible pour leur permettre ce répit par rapport à nous et concentrer leur effort sur ma grande sœur.
- Speaker #0
Est-ce que ça t'a coûté ?
- Speaker #2
Oui, d'une certaine façon. Je pense que ça m'a premièrement beaucoup apporté parce que j'ai très vite été très autonome, financièrement, émotionnellement aussi, ou en tout cas, je pensais être autonome émotionnellement. Je pense que c'est là que ça m'a le plus coûté. C'est qu'une fois que j'ai déménagé, à 20 ans, je suis emménagée à Paris pour mes études. J'avais l'impression de revivre toute cette culpabilité de ne pas aider, de ne pas être présente. J'avais vraiment cette sensation de laisser ma grande sœur, mais je savais qu'elle était entre de bonnes mains. Et laisser mes petites sœurs, je savais aussi qu'elles étaient entre de bonnes mains, mais j'avais vraiment la sensation de les trahir en partant. Et en fait, je recherchais constamment la sensation de satisfaire mes parents, de réussir et de pouvoir leur dire, vous inquiétez pas parce que regardez, je réussis. Et en fait, en quittant la maison, forcément, mes parents ont un peu moins porté cette attention-là à mes réussites. Je pense qu'ils étaient toujours très contents pour moi, mais je le ressentais moins. Et je pense que ça m'a beaucoup peiné et qu'il a fallu que je retrouve un équilibre dans qui j'étais quand je n'étais plus avec mes sœurs.
- Speaker #0
Mais donc, il n'y avait pas du tout pour autant un manque d'attention.
- Speaker #2
Ma psy dirait que oui. Moi, je pense que je le perçois par moment, mais en même temps, je sais que, et notamment ma mère, si je vais la voir demain et que je lui dis que j'ai un problème, elle sera présente. Donc c'est peut-être pas une attention qui va être portée quotidiennement, mais si j'ai besoin d'elle, elle sera là. Si je vais pas... C'est dit d'une façon qui n'est pas la bonne. J'allais dire que je suis pas sa priorité, et si, évidemment, je suis sa priorité, mais je demande pas autant de temps et d'énergie que ma grande sœur. Donc, je vais passer dans un second temps. Mais si, par exemple, les fois où j'ai eu des problèmes de santé, j'ai vu que directement, je repassais en premier plan. Et je pense que ma mère, elle a aussi ce truc où cette attention, parce qu'elle vit en fait depuis 25 ans avec ma grande sœur, se porte dans un premier temps sur la santé. Et s'il y a un problème, je pense qu'elle fait une sorte de transfert entre ce qui se passe avec ma grande sœur et ce qui se passe avec nous, et qu'elle va être d'autant plus présente. Après, pour le reste, je pense qu'elle part du principe qu'on sait gérer. et qu'on va pouvoir gérer puisqu'on a toujours géré.
- Speaker #1
Ça me fait penser au concept de Glass Child, qui est en fait le concept de l'enfant transparent qui a été développé autour de cette expérience de jeune aidant, mais surtout de sœur d'un enfant de la fratrie qui a un handicap, qui montre en fait que dans cette situation particulière, les autres enfants de la fratrie ont souvent l'impression d'être transparents, c'est-à-dire que ce n'est pas que les parents ne les voient pas, mais n'arrivent pas à voir tous leurs besoins. Mais c'est aussi ces enfants-là qui peuvent se rendre transparents, au sens de, comme tu le disais, de ne surtout pas en rajouter, de ne pas manifester d'autres besoins parce qu'en fait, il n'y a pas le temps, il n'y a pas la place. Et c'est un phénomène qui s'observe essentiellement dans les cas où le jeune aidant est le jeune aidant de son frère ou de sa sœur. J'en profite pour dire que la recherche n'était pas ciblée spécifiquement sur les frères et sœurs aidants, mais que c'était quasiment la moitié de notre échantillon qui était dans ce cas-là. Et si je peux en profiter pour dire que justement, on parle beaucoup des aidants adultes qui vont aider. Leurs conjoints, leurs enfants, leurs parents âgés. Mais c'est assez rare qu'on évoque d'être aidant de son frère ou de sa sœur.
- Speaker #0
Mais la relève, la relève des parents. Tu parles de ce sentiment de responsabilité envers ta famille, envers ta sœur, envers tes parents, envers tes sœurs. Est-ce que tu as eu aussi un sentiment de responsabilité avec l'extérieur ou alors d'aider d'autres personnes à ta façon et qui ne soient pas forcément en lien avec le handicap ?
- Speaker #2
J'ai commencé par faire une école de commerce solidaire et je voulais absolument travailler dans l'humanitaire. À ce moment-là, je me suis beaucoup investie dans des associations et j'avais l'impression que ce que je recherchais dans ma vie, c'était absolument de faire un métier dans lequel je ressentirais une certaine utilité. Et pour moi, le mot utilité, il était très important. Et que je ne me voyais absolument pas faire un métier ou quelque chose qui ne soit pas au service de certaines personnes ou en tout cas qui n'aide. de personne. C'est quelque chose que j'ai beaucoup remis en question au fur et à mesure de mes années d'études puisqu'après, je me suis tournée vers une licence en relations internationales où j'avais nettement moins cet attrait pour l'utilité mais je pense que c'était un moment où j'étais beaucoup en rejet de la question d'aide et un moment où je voulais absolument m'en séparer, m'en décrocher dans le but de me construire moi-même de façon séparée de ma vie familiale.
- Speaker #0
Donc de ne plus être indispensable à la maison et pouvoir vivre ta vie comme il te plaît.
- Speaker #2
Exactement, c'est exactement ça. Et à la fin de ma licence, j'ai trouvé que ce que je faisais n'avait pas de sens. Que effectivement, probablement que ces choix-là, ils étaient influencés par ma situation familiale, mais qu'en fait, je ne pouvais pas vraiment y échapper. Et que si c'est ce qui me plaisait, tant mieux et qu'il fallait que je poursuive dans cette voie-là. Donc j'ai fait un master en études européennes que j'ai axé sur les questions de genre. d'une façon complètement différente de ma situation d'aidante parce que je ne suis pas au service direct de quelqu'un, mais je sers une cause qui m'est importante.
- Speaker #0
Donc tu dirais que ton enfance et ton contexte familial a totalement influencé ton choix d'études ?
- Speaker #2
Oui, totalement. Et je vais même me faire un lien avec ta question d'avant sur à quel point ça a pu impacter l'extérieur de ma vie familiale. Je pense que ça a aussi beaucoup impacté mes relations amoureuses et mes amitiés. Parce que ma première relation amoureuse qui a duré trois ans et demi, je pense que je me comportais beaucoup comme une aidante, avec un côté très maternant, très maternel, de toujours devoir prendre soin de l'autre et de m'oublier. Et pareil, dans mes amitiés, c'est quelque chose que j'ai beaucoup eu, de materner, de me porter tout le temps au secours de telle personne, de tout faire pour protéger, pour aider, pour épauler, et de le faire sans rien attendre en retour. Et en fait... Depuis là, deux ou trois ans, j'ai appris à recevoir et à accepter de recevoir l'amour des autres. Ce qui, par exemple, dans ma relation avec ma grande sœur, n'est pas vraiment possible puisqu'elle ne peut pas montrer l'amour qu'elle ressent. Encore une fois, c'est un travail que j'ai fait avec ma psy, donc je m'autorise à faire ce lien-là. Mais je pense qu'effectivement, il y a une connexion entre les deux.
- Speaker #1
C'est hyper intéressant. Et en fait, cette question d'équilibre dont tu parlais, Inès, C'est vraiment quelque chose qui s'est rejoué dans plusieurs situations qu'on a suivies, parce que les jeunes avaient quand même cette particularité d'être très fortement tournés vers l'engagement, des actions bénévoles, participer, rendre service, se projeter dans des métiers vraiment d'aide, faire des études pour pouvoir s'impliquer au niveau politique, sur la politique du handicap au niveau du département, diriger un hôpital, etc. De contribuer en fait à... à un fonctionnement qui permette de réfléchir et de mieux vivre ensemble.
- Speaker #0
Est-ce que toi, tu t'es déjà dit, Inès, si je n'avais pas eu cette sœur-là, si je n'avais pas eu cette réalité vie de famille-là, j'aurais choisi une toute autre voie ?
- Speaker #2
Je pense que je n'ai aucune façon d'imaginer ce que je serais si je n'avais pas eu ce schéma familial-là. Il faut dire, chaque personne qui a... a vécu quelque chose qui a un peu chamboulé son enfance, pourrait probablement se poser cette question-là ?
- Speaker #0
Je demande ça parce que moi, j'ai un grand frère qui a un handicap mental, qui a un trouble neurologique. Et je me suis toujours dit, et je pense que je le pense toujours, si j'avais eu l'espace mental pour m'intéresser à d'autres choses qu'à notre histoire familiale, un besoin autre que celui d'écrire, que de raconter, que d'avoir des rencontres comme celles qu'on a aujourd'hui. Je suis sûre que je serai architecte. Donc voilà, je pose toujours cette question parce que... Voilà, parfois, il y a des intuitions ou des envies un peu plus profondes qui traduisent juste quelque chose de nous. Et puis, il y a le fait qu'il y a d'autres sujets qui prennent le dessus parce qu'ils nous intéressent plus, parce qu'ils font plus de sens. Mais voilà.
- Speaker #2
Mais du coup, si je peux rebondir là-dessus, je pense que pendant longtemps, j'ai eu la sensation que c'est quelque chose qui m'avait contraint ou en tout cas limité. Et en fait, un jour, j'ai eu une sorte de déclic où je me suis dit, mais c'est probablement que pendant un certain temps, oui, ça a été le cas. Mais aujourd'hui, je n'ai pas du tout la sensation que ce soit le cas. Et je ne sais pas si tu as lu un livre de Julie Félix, donc j'ai oublié le titre, je suis désolée. Mais en fait, pareil, elle a un frère qui est polyhandicapé. Et elle finit son livre en disant que, elle, la sensation qu'elle a, ce n'est pas d'être limitée, c'est justement de vivre pour deux. Et cette phrase-là, elle m'a énormément marquée. Et j'ai lu ce livre au moment où, justement, j'avais quitté le domicile familial et mes sœurs. Et je pense que ça a eu un impact assez significatif sur moi. Je me suis dit, en fait, ma soeur, il y a plein de choses qu'elle n'a pas la possibilité de faire. Et il y a énormément de choses que j'affectionne. Notamment, j'adore danser. Vraiment, j'adore. Je suis très nulle, mais j'adore danser. Et si j'aime ça, je vais le faire fois deux parce qu'en fait, elle, elle ne peut pas. Donc, pourquoi pas le faire à sa place ?
- Speaker #0
Est-ce que tu as trouvé des moyens un petit peu qui vous appartiennent à vous deux ? de communiquer avec ta grande sœur ?
- Speaker #2
Oui. Il y a un truc un peu particulier. Je ne communique pas avec ma grande sœur en présence de ma mère. C'est quelque chose qui me gêne beaucoup. J'ai l'impression d'être observée. Je ne saurais pas vraiment expliquer ce pourquoi, mais ce n'est pas quelque chose que je fais. Mais du coup, généralement, c'est des liens où... Enfin, j'entretiens ce lien-là plus dans des moments où on est toutes les deux. Et je le faisais déjà pas mal quand j'étais petite, où j'attendais généralement qu'il fasse nuit, que tout le monde soit couché. Et c'est à ce moment-là que j'allais parler à ma sœur, que je développais vraiment un lien avec elle.
- Speaker #0
Donc c'est comme si en groupe, en famille, tu avais plus un rôle peut-être d'aidante, quelqu'un qui peut accompagner, et quand vous êtes toutes les deux, vous êtes sœurs.
- Speaker #2
Oui, totalement.
- Speaker #0
Est-ce que tu as eu parfois, ça c'est peut-être plus jeune qu'on a ce sentiment-là, mais d'inversion des rôles et du manque d'une grande sœur ? Ça reste la grande sœur quand même.
- Speaker #2
D'une certaine façon. mais effectivement sa date de courte j'étais beaucoup plus jeune je ne l'ai pas du tout vu je ne l'ai pas vécu d'un point de vue positif où elle m'aurait montré la voie à suivre par contre j'avais la sensation de devoir me tenir à carreau parce que je rêvais très souvent du fait que ma soeur allait se réveiller pendant la nuit et qu'en fait au moment où elle allait se réveiller elle allait être entre guillemets tout à fait normale et que si jamais je faisais quelques bêtises, en fait j'allais me faire pourrir par ma grande sœur. Et je pense que ça rejoint un petit peu le sujet de la culpabilité, mais j'avais vraiment cette crainte qu'un jour elle se réveille de son handicap, ce qui n'est vraiment pas possible, et qu'en fait elle me reproche de ne pas avoir pris suffisamment soin d'elle, de ne pas avoir fait forcément assez attention à elle, etc. Donc je pense que c'était plus cette vision-là que j'avais. Après oui, j'ai beaucoup eu la sensation des rôles qui s'inversaient. je pense que c'est des choses qui me faisaient ressentir par exemple l'année où j'ai passé le bac je saurais même pas te dire qui mais je sais que quelqu'un m'a fait la réflexion de c'est génial en plus t'es la première de ta fratrie à passer le bac et puis ta grande soeur elle peut pas le faire donc il va y avoir une petite pression pour réussir, cette phrase elle est horrible, je crois que j'ai eu le même sentiment par rapport au permis et en fait après plus tard c'est des conversations que j'ai beaucoup eu avec ma mère, d'à quel point euh... Avoir la place de deuxième dans une fratrie avec la première qui est handicapée, c'est une place qui est hyper importante, parce qu'en fait, je serai jamais l'aînée. Et en même temps, je le suis un peu, parce que c'est moi qui fais les premières fois, les premières choses de tout. Et puis pour le coup, c'est moi qui dois un peu donner l'exemple à mes sœurs. Donc je pense que c'était plus quelque chose d'extérieur. Et pour le coup, je pense que mes parents ont toujours fait très attention à ne pas me donner ce rôle-là, malgré eux, parce qu'évidemment, parfois... C'est logique que ce soit le cas, mais je pense qu'ils y ont fait très attention.
- Speaker #1
C'était intéressant parce qu'on avait beaucoup retrouvé des modifications de places pour des jeunes aidants qui aidaient leur père ou leur mère. On ne peut pas dire qu'ils étaient les parents de leurs parents, mais en tout cas, c'était quelque chose de cet ordre-là, un déplacement. Et on n'avait pas du tout pensé et émis l'hypothèse que ça pouvait se jouer aussi dans les fratries.
- Speaker #0
Si je te dis, regarde l'autre. À quoi penses-tu ?
- Speaker #2
Quand j'étais jeune, ça a été un sujet. Parce que quand j'étais en primaire, ma mère venait me chercher tous les vendredis avec ma grande sœur, parce qu'elle rentrait de son centre. Elle arrivait devant l'école avec ma grande sœur en fauteuil roulant. C'était une époque où les enfants, entre eux, quand quelqu'un faisait quelque chose d'un peu débile, se traitaient d'handicapés. Et alors je détestais cette expression, ça m'horripilait. Et en fait, à ce moment-là, j'ai absolument voulu cacher ma sœur. Donc en primaire, c'était une toute petite école, tout le monde savait très bien qu'il y avait une sœur handicapée, en situation de handicap. Et quand je suis rentrée au collège, pour le coup, j'ai vraiment fait en sorte de la cacher. dans le sens où ma mère ne venait plus avec elle devant l'école et j'étais au collège. Et ça m'est arrivé plusieurs fois de me questionner par rapport à ce que je disais aux autres. Je ne précisais jamais que ma grande sœur était handicapée, jamais. Et au collège, je me souviens avoir formulé plusieurs fois que j'avais deux sœurs, parce que du coup, je n'avais pas à mentionner la troisième et je n'avais pas à parler d'elle, parce qu'on parle toujours de nos frères et sœurs et moi, je n'avais pas envie que ce soit un sujet qui revienne. Je pense que je voulais vraiment le... le cacher, l'eau mettre, faire sang. Et puis au lycée, c'est redevenu une partie de moi et quelque chose que j'assumais. Et j'ai eu un truc qui, je pense, m'a beaucoup touchée dans mon identité, où vraiment, aujourd'hui, quand je me présente, je me dis, je m'appelle Inès, j'ai 23 ans, j'ai trois soeurs. Je veux dire, ça fait vraiment partie de moi. Et maintenant que je suis à l'aise avec l'idée de parler de ce que c'est de vivre avec quelqu'un qui est en situation de handicap, d'avoir une fratrie hyper soudée comme celle que j'ai. En fait, c'est un sujet que j'ai envie de mentionner à tout va. Et donc, c'est quelque chose dont je parle beaucoup plus souvent, oui.
- Speaker #0
Est-ce que du coup, ça a affecté les anniversaires, les goûters à la maison et les choses comme ça ? Est-ce que tu as invité des gens à la maison quand tu étais plus petite ? Ou est-ce que ça a un peu bloqué cette partie-là de montrer ton intimité ?
- Speaker #2
Étrangement, dans mes souvenirs, je n'ai pas la sensation que ça ait bloqué quoi que ce soit. Quand j'étais petite, j'ai eu la chance de faire beaucoup d'anniversaires avec plein de copains, mais c'était souvent les enfants des amis de mes parents, donc en fait, qui connaissaient très bien ma sœur. Et puis au collège, j'avais juste un groupe de trois copines avec qui je m'entendais hyper bien et donc qui connaissaient très bien ma famille et je crois que ça n'a jamais vraiment posé problème. Mais c'est vrai que personne ne s'adressait vraiment à ma sœur. Il y avait un bonjour collectif, vu que j'ai une grande famille, c'est quand même assez simple. de ne pas aller faire la bise à tout le monde et lancer un bonjour en rentrant dans la maison. Et en fait, au lycée, c'est plus une question qui s'est posée de vraiment prendre le temps de présenter ma sœur et dire aux gens, c'est Lucie, Lucie, c'est telle personne. Et voilà, mais non, je ne crois pas que ce soit une question que je me sois beaucoup posée en réalité. Et en fait, je suis en train de me dire que c'est très étrange parce que vraiment, je ne parlais pas de ma sœur, mais a priori, je n'avais pas trop de problèmes à ramener du monde à la maison et à ce qu'ils la voient.
- Speaker #1
Est-ce que justement, quand tu rencontres quelqu'un, parce que ça s'est trouvé dans plein d'autres situations, où des jeunes me disaient je suis très amoureuse, ça se passe très bien, mais j'ai très très peur de sa réaction si c'est quelqu'un qui n'assure pas vis-à-vis de ma sœur ou mon frère, ça va poser un gros problème pour moi, ça ne va pas être possible. Et donc, est-ce que toi, tu y penses ? Comment ça s'est joué pour toi, ça ?
- Speaker #2
Ce n'est pas quelque chose de lequel je pense beaucoup. Je pense que ça s'explique par le fait que ma sœur, c'était probablement le premier gros traumatisme de ma vie. Traumatisme, c'est un mot qui est dur, mais dans ma construction, je pense que je l'ai vraiment vécu par moments comme un traumatisme. Et en fait, Céline était un petit peu au courant, mais après, il s'est passé quand même beaucoup d'autres choses dans ma famille, notamment mon père qui est parti du jour au lendemain. Et du coup, les questions que je me pose... pose, c'est pas tant par rapport à comment est-ce que la personne en face de moi va recevoir le fait que j'ai une sœur qui soit en situation de handicap, ou comment est-ce qu'elle va s'adresser à elle et accepter, parce qu'en fait, j'ai jamais rencontré personne dans mes amitiés ou dans mes relations amoureuses qui était en rejet complet de ma sœur. Je crois vraiment que c'est jamais arrivé. Je pense que c'est des choses qui s'apprennent aussi. Quand aujourd'hui, j'arrive dans une famille dans laquelle... Il y a quelqu'un qui est en situation de handicap, c'est très rare que ce soit le même handicap que ma sœur. Et du coup, à chaque fois, c'est réapprendre à comment est-ce qu'on s'adresse à la personne, en fonction de son handicap, en fonction de sa situation, etc. Donc je pense que je n'ai pas vraiment peur de dire à quelqu'un, j'ai une grande sœur qui est handicapée, il va falloir que tu fasses avec. Je pense que ça ira. Je pense que le plus difficile, c'est vraiment d'exprimer à quel point est-ce que ça m'impacte sur qui je suis et à quel point je peux... peut-être par rapport à certaines situations réagir différemment que d'autres personnes. Et je pense que c'est vraiment tout cet aspect-là qui est difficile à faire comprendre à quelqu'un avec qui on partage sa vie ou à quelqu'un qu'on rencontre.
- Speaker #0
de vraiment savoir expliquer, alors ouais, j'ai une grande soeur qui est en situation de handicap, tu lui dis bonjour de telle manière. Mais par contre, sache que ça veut dire que quand j'étais petite, je ne sortais pas beaucoup parce qu'en fait, le fauteuil roulant, il ne va pas dans tous les endroits du monde. Donc ouais, j'ai un certain manque de culture par rapport à beaucoup de choses. Ça veut dire que la plupart de mes centres d'intérêt, c'est lié à la construction des gens, de la sociologie, des sciences politiques. parce que je pense que c'est lié à ça. Enfin, voilà, je pense que c'est tous ces petits facteurs-là liés à ma sœur qui font qui je suis aujourd'hui qui sont compliqués à expliquer à quelqu'un, mais pas tant le fait que j'ai une sœur handicapée.
- Speaker #1
Je suis très sensible à ce que tu viens de dire par rapport au fait qu'on ne peut pas nécessairement aller partout. Quand il y a un fauteuil roulant, le monde n'est pas accessible. On ne le sait que trop bien. Et donc, il y a parfois effectivement des sentiments de manque. parce qu'on n'a pas eu accès aussi parfois à certaines discussions avec nos parents. Ils n'ont pas nécessairement pu nous transmettre l'amour du cinéma, de la couture, de choses comme ça. Est-ce que c'est quelque chose que tu as ressenti aussi ? Peut-être de ne pas nécessairement avoir eu l'opportunité de rencontrer tes parents comme des êtres humains aussi et pas comme des parents qui prennent soin de leurs enfants.
- Speaker #0
Oui, totalement. Ça, je pense que c'est quelque chose que j'ai vraiment... découvert là il y a deux ans ça paraît débile comme ça mais réussir à prendre un recul nécessaire pour se dire déjà mes parents avant d'être parents c'était pas ces personnes là mais en plus de ça se dire mes parents avaient prévu d'être des parents tout à fait normaux et lambda et en fait ils se sont retrouvés avec une situation qui est inenvisageable inimaginable c'est assez je pense que c'est une petite violence à se faire Et effectivement, c'est venu très récemment, je pense que ça fait deux, trois ans que j'ai pris conscience du fait que mes parents avaient totalement changé, en fait. Le jour où ils ont eu ma sœur, et que ça soulève des questionnements de comment est-ce qu'ils auraient été si effectivement il n'y avait pas eu cette question du fauteuil roulant. Et après, je pense que ça se ressent plus aujourd'hui dans mes amitiés, où j'ai fait quand même des longues études. sociologiquement je suis entourée de personnes qui ont quand même des très bonnes situations de vie, qui ont eu l'opportunité de beaucoup voyager avec des grandes fratries, de faire énormément de musées, d'aller au cinéma, etc. Et en fait parfois ils ont des conversations et je me dis mais le manque de culture que j'ai ! Et pourtant j'ai beaucoup lu ! Mais ouais effectivement il y a plein de films que j'ai pas vus parce que les cinémas c'était pas accessible. Les voyages que j'ai faits, en fait c'était toujours des voyages en voiture parce que... Prendre la vision avec ma sœur, on l'a fait une fois, je m'en souviens encore. Donc ça limite. Et en même temps, ça m'a apporté tellement de choses que beaucoup de personnes n'ont pas. Notamment par rapport à l'empathie, la compréhension, la patience. Et vraiment le fait d'être tournée vers l'autre de manière générale. Que je me dis, il y a plein de petites choses que je n'ai pas. Et au final, il y a plein d'autres choses que... que j'ai de façon décuplée et avec lesquelles je suis très heureuse.
- Speaker #1
Est-ce que tu pourrais dire qu'il y a une innocence que tu as perdue plus tôt que les autres ?
- Speaker #0
Complètement. Il y a 15 ans, j'avais une innocence beaucoup plus importante que celle que j'ai aujourd'hui, mais j'ai l'impression qu'elle n'a jamais été très complète. Et notamment, il y a une phrase qui m'a beaucoup marquée dans mon enfance et qui m'a toujours dérangée, c'est quand on me disait à ma mère mais qu'est-ce qu'elle est mature ! Et en fait, quand j'étais petite, au début, c'était hyper flatteur. Et puis, dès l'âge de 8-9 ans, je crois que c'est une phrase qui a commencé à me déranger ou je ne savais pas bien pourquoi, mais c'était une phrase que je n'aimais pas. Et il n'y a pas très longtemps, j'ai retrouvé un truc que j'avais écrit à 15 ans. En fait, je le vivais vraiment comme un coup de couteau. De, bah ouais, c'est un petit truc de ton enfance qu'on t'a retiré. Et je pense que j'aurais été prête à payer assez cher pour que jamais dans ma vie, on me dise que je sois mature. Mais juste d'avoir cette insouciance de profiter de tout et de ne pas être constamment en alerte et inquiétée par quoi que ce soit. Et encore aujourd'hui, c'est des choses que j'apprends à faire au quotidien. Ça date d'il n'y a même pas deux, trois mois que j'ai appris à mettre mon téléphone en mode avion. Parce qu'en fait, jusqu'ici, je ne le mettais jamais en mode avion au cas où ma mère m'appelle pour me dire qu'il se passe quelque chose avec ma sœur. Et ouais, c'est plein de tout petits éléments comme ça. Un jour tu réalises qu'ils sont là pour une raison et que tout le monde n'agit pas de cette manière et qu'il y a des gens qui peuvent poser leur téléphone dans un coin de la pièce et l'oublier pendant toute une journée. Et en soi je ne suis pas vraiment accro à mon téléphone mais juste il est toujours sur moi et allumé pour être joignable s'il y a un problème.
- Speaker #1
Est-ce que tu as pu discuter de ces réalités avec des professionnels ?
- Speaker #0
Alors, j'ai été voir des psys à plusieurs reprises dans ma vie quand j'étais enfant et ado. Ça n'a jamais duré très longtemps, parce qu'encore une fois, après deux séances, je me disais Ok, tout va bien, je suis autonome, je sais me gérer Et puis, il y a deux ans et demi, j'ai décidé de me tourner vers une professionnelle. J'ai cherché une femme. En fait, j'ai cherché une psychologue à Paris. Et je suis tombée complètement par hasard sur une psychologue qui vivait à deux rues de chez moi à l'époque et qui était spécialisée dans la question de l'aide dans les fratries. Donc, des aidants dans les fratries. Et donc, tout au long de cette première année, j'ai dû apprendre, comme si j'avais un manuel sous les yeux, avec le nom des différentes émotions, à dire, OK, là, ce que je ressens, c'est ça. Et là, ce que je ressens, c'est ça. Et en fait, c'est un travail qui a été assez long, mais qui m'a fait énormément de bien. Et suite à ça, je me suis sentie plus apte à en parler à mon entourage. C'est quand même nécessaire pour pouvoir parler de ce qu'on vit assez proche. Et ça m'a fait beaucoup de bien d'en parler à mes amis. J'ai notamment une de mes amis très proches qui a une maman qui a été dente de son frère. Donc qui fait des liens qui sont hyper intéressants parce que c'est sa mère. Et moi, j'avais l'impression que si un jour j'avais des enfants, j'allais forcément leur transmettre toutes mes craintes et toutes mes... peur et en fait, elle, elle vit très bien sans tout ça. Et notamment un sujet qui m'a fait beaucoup bien d'aborder avec mes amis, c'était la peur de la mort. Parce que j'avais cette peur constante, autant moi si je mourais, pas grave. Mais j'avais cette peur constante de perdre ma grande sœur qui s'est élargie à perdre l'une de mes sœurs. Et vraiment, j'en faisais des cauchemars la nuit. Et encore aujourd'hui, c'est le pire truc que je puisse envisager, vraiment perdre une de mes sœurs, c'est perdre le lien le plus fort que j'ai dans ma vie. Et du coup, pouvoir en parler à mes amis, l'extérioriser, et juste en parler, ça m'a fait énormément de bien.
- Speaker #1
Est-ce que tu penses que ça va permettre d'amener des conversations sur l'avenir et sur ce que vous envisagez ? Parce qu'il y a toujours un après-parent, on n'y pense pas toujours à 23 ans, on n'est pas... Peut-être que vous n'êtes pas du tout encore dans ces conversations-là et auquel cas, je ne veux pas. Mais est-ce que tu as une idée de comment ça peut se passer ?
- Speaker #0
Mon père, du coup, est parti il y a deux ans et on n'a plus du tout de contact avec lui. C'est en gros quelqu'un qui a très mal vécu le fait que ma grande sœur naisse en situation de handicap, qui s'est beaucoup... beaucoup réfugiés dans l'alcool et les drogues, et qui du coup étaient complètement fermés au dialogue, parce que de manière beaucoup moins saine que ce que moi j'avais pu faire, mais à aussi faire un blocage complet de ses émotions. Et je pense que ma mère a beaucoup de mal à s'approprier les mérites d'avoir réussi à élever quatre enfants avec ce contexte familial-là. Mais voilà, mon père, c'était impossible de lui parler de tout ça. On a beaucoup eu cette conversation avec ma mère. Parce qu'il y a un point qui est très important pour elle, c'est que ma mère, après qu'elle ait eu ma grande sœur, a arrêté de travailler pendant 20 ans pour pouvoir s'occuper d'elle et puis de nous. Et je dirais pas que c'est quelque chose qu'elle a regretté, mais c'est quelque chose qui a eu des conséquences importantes sur sa vie et qu'on a encore aujourd'hui par rapport à la retraite, etc. Et c'est absolument pas quelque chose qu'elle veut pour nous, elle veut absolument pas qu'on mette notre vie en pause d'une certaine manière pour s'occuper de la vie de quelqu'un d'autre, même si c'est notre sœur et qu'on l'aime de tout notre cœur. Jusqu'ici, c'est compliqué encore, mais jusqu'à l'année dernière, ma sœur était dans un centre spécialisé. Maintenant, elle est en hospitalisation à domicile parce que les choses se sont un peu détériorées. Mais en tout cas, ce qui est prévu, effectivement, si ma mère venait à décéder et ne plus pouvoir s'occuper de ma sœur, c'est que ma sœur retourne en foyer. Et en gros, le deal, c'est que nous, on vive notre vie absolument normalement. en allant voir ma sœur au maximum, en fonction de nos emplois du temps, de nos envies et de comment on est responsable des choses pour qu'elle ait une présence. Mais qu'en tout cas, on ne prenne absolument pas cette responsabilité de la voir chez nous, aménager une maison, aménager un temps, une vie de famille pour s'occuper d'elle et que la priorité c'est nous et pas elle. Ce qui est quelque chose de très compliqué quand on est aidant à vraiment comprendre. La priorité, c'est soi et ce n'est pas l'autre. Je pense que c'est quelque chose qu'il faut déconstruire pendant longtemps. Et donc, je sais que pour ma sœur de 20 ans et pour moi, c'est quelque chose qui est très bien compris. Pour ma petite sœur de 11 ans, c'est plus compliqué, très maternante. Mais j'ose espérer qu'elle aura le même parcours de déconstruction que nous et que... et elle saura se faire passer avant les autres.
- Speaker #1
Est-ce que tu dirais que ton histoire familiale a une influence sur ton désir de famille ?
- Speaker #0
Oui, en tout cas, ça le remet plus en question. Tout d'abord parce qu'il y avait la question de, est-ce que c'est un handicap qui est génétique ? Donc, a priori, ce n'est pas le cas, mais ça soulève forcément, je pense, auprès de toutes mes sœurs et de moi-même, la question de, est-ce qu'on est prête à avoir un jour ? potentiellement un enfant en situation de handicap ou malade, en tout cas pas avec une santé dite normale, moi je sais que c'est non. J'ai vu les sacrifices que ça demande et je ne suis pas prête à les faire. Donc je pars déjà du principe que je n'aurai pas d'enfant, parce que je ne prendrai pas le risque d'avoir un enfant qui nécessite autant d'aide que ce que ma soeur en demande. C'est comblé par le fait qu'il y a beaucoup de bipolarité dans ma famille, donc en plus c'est un facteur qui s'ajoute, et que pareil, je n'ai pas envie de transmettre ces gènes-là. Et après, comme je le disais un petit peu tout à l'heure aussi, en plus de toute la question génétique et vraiment du handicap et de la maladie potentielle d'un enfant, il y a aussi, je pense, la peur de transmettre ses propres craintes, ses propres traumatismes. ses propres interrogations. Et je me connais, je suis quelqu'un qui fatigue vite, je suis quelqu'un qui est vite sur les nerfs, heurté par trop de sensibilité autour, etc. Et je me dis qu'en fait, j'aurais pas du tout la patience, le calme nécessaire et la sainteté d'esprit d'avoir des enfants et de faire les choses bien avec eux. Donc même s'il y a une grande partie de moi qui aimerait beaucoup avoir des enfants, je pense que vraiment le côté rationnel de... de je ne prendrai pas le risque de est plus fort que la volonté d'avoir des enfants.
- Speaker #2
C'est intéressant parce que cette position-là, on l'a retrouvée dans plusieurs parcours de jeunes participants à l'enquête, quel que soit le handicap considéré. De s'occuper de son frère, sa sœur, et en plus avoir des enfants, est-ce que ça ne va pas faire finalement beaucoup trop ?
- Speaker #1
Et aussi d'accompagner les parents vieillissants.
- Speaker #2
Effectivement.
- Speaker #1
Elle fait beaucoup de questions, elle se pose. Céline, je me tourne vers toi. toi pour la dernière question de notre premier épisode de la série Sœurs. Comment se fait-il que ce soit que des jeunes filles, jeunes femmes qui ont participé à cette enquête ?
- Speaker #2
À la base, cette enquête s'intéressait aux jeunes aidants en général et on a féminisé le terme parce qu'en fait ce ne sont que des filles, sauf un garçon, qui ont répondu dans la première vague d'enquête. Même si c'est un hasard, ça en dit quand même long sur... la féminisation de la question de l'aidance. De toute façon, c'est renseigné aussi par les enquêtes quantitatives. C'est quand même plus des femmes qui se retrouvent dans ces positions d'aidant familial. D'ailleurs, Inès, quand tu disais que ta maman avait dû arrêter de travailler pendant longtemps, c'est aussi typique finalement de la question de l'aidance dans la famille qui est plus prise en charge dans la quotidienneté par les femmes et d'ailleurs dans cette enquête. on s'est aussi bien rendu compte de tout ce qui se transmettait de mère en fille, dans l'attention aux autres. Ça, ça se transmet vraiment de mère en fille aussi. Et cette empathie qui se développe au fil du temps envers sa mère, qu'on a vu faire des choix cruciaux, renoncer à plein de choses de sa propre vie de femme, c'est quelque chose qui est très, très éveillé chez les jeunes femmes qu'on a rencontrées dans l'enquête.
- Speaker #1
Merci Inès, merci Céline. c'est la fin du premier épisode de la mini-série Sœur, créée par Décalé et soutenue par la Fondation d'entreprise OCIERP, engagée pour l'autonomie. La Fondation d'entreprise OCIERP agit pour que chacun puisse se construire dans un environnement qui s'adapte aux différences. Elle a souhaité soutenir cette recherche, puis la création de ces podcasts pour mieux connaître et faire reconnaître la situation des jeunes aidants, afin d'identifier des réponses concrètes pour les aider dans la réalisation de leurs projets de vie autonome.
- Speaker #2
La recherche trajade a été possible grâce au soutien Défenseurs des droits, de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, l'INJEP, la Fondation Crédit Agricole, et pour la deuxième vague, la Caisse nationale d'allocations familiales, la Fondation d'entreprise au CIR et CLEZIA.